II. UN SCÉNARIO DE CROISSANCE À 2,7 % CONDITIONNÉ À UNE IMPORTANTE BAISSE DE L'ÉPARGNE DES AGENTS
On examinera, dans un premier temps, les conditions de réalisation de ce scénario de croissance à 2,7 %. Puis, on mettra en évidence les implications d'un tel scénario sur le taux d'épargne et le niveau d'endettement des ménages et des entreprises. Une croissance du PIB de 2,7 % sur 2005-2008 permettrait une baisse importante du chômage, qui s'établirait à 7,5 % à l'horizon de la projection, en admettant toutefois une hypothèse de baisse graduelle du taux de chômage structurel.
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- A. UN SCÉNARIO QUI SUPPOSE UNE PROGRESSION VIGOUREUSE DE LA DEMANDE INTÉRIEURE COMME DE LA DEMANDE EXTÉRIEURE ADRESSÉE À LA FRANCE
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- 1. La réalisation de ce scénario suppose un fort dynamisme de nos partenaires commerciaux
Or, on a mis en évidence, dans le premier chapitre, le faible dynamisme de la croissance de nos principaux partenaires commerciaux, qui sont les pays de la zone euro (60 % de notre commerce extérieur).
L'hypothèse d'un vigoureux redémarrage d'ensemble de la zone euro conditionne donc la réalisation de ce scénario.
Concrètement, cela signifie que la zone euro devrait enregistrer une croissance très supérieure à sa croissance tendancielle, ce qui suppose qu'elle puisse relever ses gains de productivité et son taux d'emploi. Ces objectifs ne seront pas atteints sans la mise en oeuvre de politiques appropriées.
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- 2. Une croissance du PIB de 2,7 % par an suppose une progression particulièrement dynamique de la consommation et, surtout, de l'investissement productif
Il faudrait, dans cet exercice de simulation, que la consommation des ménages progresse de 3 % par an sur 2004-2008, et que l'investissement des entreprises progresse de plus de 7 % par an, sur la même période, pour que la croissance du PIB atteigne 2,7 %. Le surcroît de consommation des ménages explique deux tiers de l'écart de croissance constaté par rapport au compte central, le tiers restant s'expliquant par le surcroît d'investissement des entreprises.
CROISSANCE DU PIB ET DE SES PRINCIPALES COMPOSANTES
|
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2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
Croissance projetée |
1,2 |
0,4 |
1,7 |
2,7 |
2,7 |
2,7 |
2,7 |
Consommation des ménages |
1,5 |
1,4 |
2,2 |
2,8 |
3,1 |
3,1 |
3 |
FBCF des SNF-EI |
-2,8 |
-2,7 |
1,4 |
7,2 |
7,3 |
6,9 |
7 |
Dépenses publiques croissance en volume |
2,9 |
1,6 |
0,9 |
0,8 |
1,1 |
1 |
1 |
En
l'absence d'impulsion plus favorable de la politique économique, ce
scénario implique un comportement des agents privés beaucoup plus
dynamique que dans l'histoire récente.
Ainsi, la consommation des ménages a progressé, en moyenne, de
2,9 % par an dans la deuxième moitié des années 1980,
puis a ralenti dans la première moitié des années 1990
(moyenne de 0,8 % par an), avant de revenir à un rythme annuel de
progression de 2,2 % entre 1996 et 2003. Une nette
accélération de la consommation des ménages serait donc
nécessaire pour que le scénario envisagé se réalise.
La progression de l'investissement des entreprises projetée sur
2005-2008 apparaît encore plus exceptionnelle au regard des tendances
passées ; elle serait en moyenne de 7,1 % par an. Ce rythme
d'investissement serait supérieur à celui observé tant
pendant la période de forte croissance de la deuxième
moitié des années 1980 (+ 6 % par an), que pendant la
période 1995-2000 (+ 5,2 % par an).
La progression de l'investissement en logement des ménages serait assez
faible sur la période de projection (+0,8 %, contre
+ 2,4 % sur la période 1996-2003). C'est donc bien
l'investissement productif des entreprises qui serait le moteur principal de la
croissance
La dynamique de la demande intérieure serait freinée, comme dans
le compte central, par le faible rythme de croissance des dépenses
publiques. Le modèle intègre cependant les retombées
positives sur les dépenses publiques de la plus forte croissance du PIB.
En particulier, les dépenses d'assurance chômage sont moins
élevées, et les charges d'intérêt de la dette sont
moins fortes que dans le compte central, surtout en fin de période (en
raison d'une baisse plus prononcée des déficits publics). Ces
deux effets expliquent que la progression des dépenses publiques soit un
peu plus faible (à hauteur de un dixième de point) dans ce
scénario de croissance à 2,7 % que dans le compte central.
CONTRIBUTIONS À LA CROISSANCE DU PIB |
|||||||
|
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
Croissance projetée |
1,2 |
0,4 |
1,7 |
2,7 |
2,7 |
2,7 |
2,7 |
Consommation des ménages |
0,8 |
0,8 |
1,2 |
1,6 |
1,7 |
1,7 |
1,7 |
FBCF des ménages hors EI |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,1 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
FBCF des SNF-EI |
- 0,3 |
- 0,3 |
0,2 |
0,8 |
0,8 |
0,8 |
0,9 |
Dépenses des administrations |
0,9 |
0,3 |
0,1 |
0,2 |
0,1 |
0,2 |
0,1 |
Variations de stocks (contribution) |
- 0,4 |
0,1 |
0,1 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Demande intérieure |
1,1 |
0,9 |
1,7 |
2,7 |
2,7 |
2,7 |
2,7 |
Solde extérieur |
0,1 |
- 0,5 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Source : INSEE, calculs OFCE
L'accélération de la croissance à partir de 2004
s'accompagnerait d'une
diminution importante du chômage
à
moyen terme. L'évolution de l'emploi est, en effet, plus favorable que
dans le scénario central : 168 000 emplois seraient
créés chaque année, contre 27 400 dans le compte
central. Le nombre de chômeurs diminuerait d'environ 155 000 par an.
Le taux de chômage serait ramené à 7,5 %
de la
population active en 2008, ce qui représenterait une amélioration
de 2,1 points par rapport au taux de chômage observé en 2003
(9,6 %).
Les hypothèses relatives aux gains de productivité sont les
mêmes dans le scénario central et dans cette variante. Par
conséquent, les écarts en matière d'emploi
résultent uniquement du différentiel de croissance entre les deux
scénarios.
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-
-
- 3. L'inflation serait à peine plus élevée que dans le compte central
L'absence de tensions inflationnistes plus marquées peut surprendre. En effet, dans cette variante, la croissance excède nettement le niveau de la croissance potentielle et ce, plusieurs années durant. Or, la croissance potentielle est définie, théoriquement, comme la croissance maximale qu'une économie puisse connaître sans résurgence de l'inflation.
Cette apparente contradiction peut se dénouer à condition de supposer qu'une diminution graduelle du taux de chômage d'équilibre se produise. Cette hypothèse implique que les entreprises ne sont pas confrontées à des pénuries de main-d'oeuvre et qu'aucune pression importante à la hausse des salaires ne se manifeste.
EVOLUTION DU CHÔMAGE, DES COÛTS SALARIAUX UNITAIRES ET DE L'INFLATION (en %) |
|||||||
|
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
Taux de chômage |
9 |
9,6 |
9,6 |
9,2 |
8,7 |
8,1 |
7,5 |
Coûts salariaux par unité produite |
2,3 |
2 |
1 |
1,6 |
1,7 |
1,8 |
1,8 |
Prix à la consommation |
1,8 |
1,5 |
1,6 |
1,8 |
1,8 |
1,8 |
1,8 |
Le
raisonnement est le suivant : la baisse du taux de chômage encourage
des inactifs à entrer sur le marché du travail (chômeurs
ayant abandonné toute recherche d'emploi, jeunes prolongeant leurs
études, femmes au foyer...). Les entreprises peuvent embaucher au sein
de cette population d'inactifs, et continuer ainsi à trouver du
personnel, quand bien même les chômeurs recensés à
l'ANPE seraient peu employables.
Le nombre d'actifs se rapproche du nombre de personnes en âge de
travailler au fur et à mesure que l'on se rapproche du plein emploi.
Cela explique que la progression de la population active soit un peu plus
dynamique que dans le scénario central.
VARIATIONS DE LA POPULATION ACTIVE ( en %) |
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|
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
Scénario central |
0,6 |
0,3 |
0,4 |
0,3 |
0,3 |
0,1 |
0,1 |
Scénario alternatif |
0,6 |
0,3 |
0,4 |
0,4 |
0,3 |
0,1 |
0,2 |
Cette
hypothèse de diminution progressive du taux de chômage structurel
a été discutée dans le rapport de l'an dernier
(perspectives à l'horizon 2007), et il n'y a donc pas lieu d'y revenir
en détails ici. Rappelons simplement que la question du niveau du
chômage structurel divise les économistes, et que la projection
repose donc sur une hypothèse économique favorable.
D'autres conditions de réalisation de ce scénario tiennent aux
comportements d'épargne des ménages et des entreprises.
-
-
- B. LA RÉALISATION DE CE SCÉNARIO EST CONDITIONNÉE À UN IMPORTANT MOUVEMENT DE DÉSÉPARGNE DE LA PART DES AGENTS
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-
- 1. La vigueur de la consommation serait alimentée par une chute du taux d'épargne des ménages
PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE L'ÉVOLUTION DU
COMPTE DES MÉNAGES
|
|||||||||||
|
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
90-96 |
96-03 |
04-08 |
|
Masse salariale |
1,7 |
0,9 |
1,6 |
2,3 |
2,5 |
2,3 |
2,3 |
0,5 |
2,8 |
2,4 |
|
Prestations sociales |
2,8 |
2,3 |
1,6 |
2,3 |
2,5 |
2,3 |
2,3 |
1,7 |
- 1,4 |
2,4 |
|
Revenu disponible brut |
2,0 |
1,2 |
1,8 |
1,8 |
1,9 |
1,8 |
2,1 |
1,1 |
2,5 |
1,9 |
C'est donc essentiellement un important mouvement de désépargne des ménages qui viendrait alimenter la hausse de la consommation. Le taux d'épargne passerait de 16,5 % en 2003 à 12,5 % en 2008. Ce faisant, le taux d'épargne s'approcherait de son point le plus bas observé ces trente dernières années. Comme le montre le graphique suivant, le taux d'épargne retrouverait son niveau de 1987.
TAUX
D'ÉPARGNE DES MÉNAGES
Deux
éléments favorables à la baisse du taux d'épargne
ont déjà été mentionnés dans la
première partie de ce chapitre : la récente réforme
des retraites, et la baisse du déficit budgétaire.
Dans ce second scénario, la baisse du taux d'épargne serait
encouragée par un troisième facteur : la diminution du taux
de chômage ; il est vraisemblable que la crainte du chômage
incite nombre de Français à maintenir un niveau
élevé d'épargne de précaution.
Néanmoins, ces trois éléments conjugués
suffisent-ils à rendre plausible l'évolution décrite dans
ce scénario ? Une analyse historique incite à la plus grande
prudence ; en effet, le point bas de l'épargne atteint à la
fin des années 1980 fut le résultat d'un ensemble de
réformes financières qui modifièrent, un temps, les
comportements d'épargne et de crédit des ménages. Mais une
fois la phase d'adaptation passée, le taux d'épargne a
retrouvé un
trend
haussier, qu'il n'a pas quitté depuis.
Les années 1985-86 furent en effet marquées par la fin de
l'encadrement du crédit, et par la réforme des marchés
financiers. Les banques ont cessé d'être limitées dans le
montant des crédits qu'elles pouvaient prêter aux ménages.
Dans le même temps, les entreprises ont développé leur
recours aux marchés financiers afin de lever des capitaux directement
par émission d'actions ou d'obligations, de sorte que les banques ont
disposé de capitaux inemployés qu'elles ont proposés aux
ménages.
Les ménages, de leur côté, ont été
incités à diminuer leur taux d'épargne par l'important
mouvement de désinflation qui s'est alors produit, conformément
à ce que les analyses en termes d'encaisses réelles laissaient
supposer (voir encadré ci-dessous).
L'EFFET D'ENCAISSES RÉELLES
Le lien
entre inflation et épargne a été dégagé par
Pigou en 1949
. Pour ce dernier, l'agent économique désire
détenir un montant donné d'encaisses liquides exprimé en
termes réels (une telle analyse peut être en pratique
étendue aujourd'hui à l'ensemble des actifs financiers
détenus par les ménages). Si le montant désiré
s'écarte du montant effectivement détenu du fait de la hausse des
prix, l'agent modifie son comportement d'épargne afin de maintenir la
valeur de ses encaisses. Ainsi, un surcroît d'inflation se traduira par
une hausse du taux d'épargne des ménages dans le but de
reconstituer le pouvoir d'achat de cette épargne, tandis qu'une baisse
du taux d'inflation aura l'effet inverse. La rapidité de ces adaptations
dépend du rythme de progression de l'inflation et du degré
d'illusion monétaire des agents sur l'évolution de celle-ci.
Comme l'illustre le graphique suivant, relatif au taux d'endettement, les
ménages français ont nettement développé leur
recours au crédit à partir du milieu des années 1980.
Source : OFCE
Cette combinaison de réformes structurelles et de désinflation ne
pourra se reproduire dans les années qui viennent, ne serait-ce que
parce que l'indice des prix à la consommation évolue
désormais à un rythme très modéré. Seules de
vigoureuses mesures de politique économique semblent en mesure
d'inverser la tendance à la hausse du taux d'épargne. Un
important alourdissement de la fiscalité de l'épargne y
pourvoirait, mais entrerait en contradiction avec d'autres objectifs de
politique économique : attractivité du territoire
(éviter la fuite des capitaux), ou développement de plans par
capitalisation en vue de la retraite.
Ces considérations, qui incitent à penser que ce scénario
de baisse franche du taux d'épargne a peu de chances de se
réaliser d'ici 2008, mettent aussi en évidence l'impact d'un
retour de la confiance qui pourrait modifier en profondeur le comportement
d'épargne des ménages.
-
-
-
- 2. Le dynamisme de l'investissement aurait pour contrepartie un endettement accru des entreprises
Les coûts salariaux augmentant plus vite que les coûts de production (1,9 % contre 1,6 %), les entreprises ne pourraient que faiblement améliorer leur taux de marge (32,2 % en 2008 contre 31,8 en 2004). Le surcroît d'investissement, par rapport au compte central, est donc financé par une baisse supplémentaire du taux d'autofinancement.
PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DE L'ÉVOLUTION DU COMPTE DES ENTREPRISES |
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2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
90-96 |
96-03 |
04-08 |
|
Taux de marge |
32,1 |
31,5 |
31,8 |
32,1 |
32,1 |
32,1 |
32,2 |
32,4 |
32,4 |
32,0 |
|
Taux d'investissement |
19,0 |
18,5 |
18,5 |
19,3 |
20,2 |
21,0 |
21,9 |
19,4 |
18,8 |
20,2 |
|
Taux d'autofinancement (hors stocks) |
84,4 |
81,4 |
82,9 |
78,6 |
74,3 |
70,7 |
66,9 |
91,2 |
88,5 |
73,9 |
|
Investissement |
- 2,8 |
- 2,7 |
1,4 |
7,2 |
7,3 |
6,9 |
7,0 |
- 1,1 |
3,5 |
7,1 |
Source : INSEE, calculs OFCE
Logiquement, les frais financiers des sociétés s'accroissent
assez rapidement. Ils progresseraient de 7,5 % par an, en moyenne, sur la
période 2004-2008 (leur progression a été comprise entre 4
et 4,5 % dans la décennie 1990).
On peut s'interroger sur la pérennité d'une reprise de
l'investissement financée par l'endettement. Si l'endettement des
entreprises devient excessif, il est à craindre que la phase d'expansion
décrite dans le scénario ne soit suivie d'une phase de repli
brutal de l'investissement, à laquelle les entreprises seraient
contraintes pour rétablir leurs comptes.