II. L'OUVERTURE DES ÉCHANGES DE SERVICES
1. Un secteur essentiel à la croissance
La négociation sur les services est un sujet qui concerne directement l'ensemble des pays membres de l'OMC. Le secteur des services constitue en effet aujourd'hui le principal moteur de croissance pour les pays développés puisqu'il représente les deux tiers du produit intérieur brut de l'Union européenne et 70 % de ses emplois, la situation étant sensiblement la même aux États-Unis.
La France, troisième exportateur mondial de services après les États-Unis et le Royaume-Uni, est particulièrement intéressée par la négociation qui s'y rapporte, car elle compte un grand nombre d'entreprises internationales de premier plan dans ce secteur, notamment dans les télécommunications, les services financiers, les services de distribution ou encore les services liés à l'environnement.
L'Union européenne, dans son entier, a donc des intérêts défensifs et offensifs à faire valoir, tout en promouvant les valeurs qu'elle souhaite défendre comme l'insertion des pays en voie de développement dans le commerce international et les attentes de ses propres concitoyens.
De leur côté, les pays en développement partagent l'intérêt qui s'attache à cette négociation. Pour l'ensemble des partenaires, le commerce des biens et marchandises est de plus en plus lié aux échanges de services et une économie ne peut être concurrentielle si elle ne dispose pas d'un accès aux systèmes de financement, d'assurances, de comptabilité, de télécommunications ou de transport.
Les économies émergentes qui souffrent de lacunes dans ces domaines peuvent espérer de cette ouverture des échanges une amélioration de leur capacité d'exportation. Il convient en effet de souligner que cette négociation ne porte pas sur la libéralisation du secteur des services, mais sur l'ouverture des échanges de services , c'est-à-dire sur les règles et conditions d'accès aux différents marchés nationaux.
2. Une négociation atypique
a) L'accord AGSC
L'inclusion des activités de services dans les négociations de l'OMC a constitué une avancée majeure du cycle d'Uruguay par la conclusion de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) (7 ( * )) en 1995. Cet accord comporte vingt-neuf articles, diverses annexes, des listes d'engagements spécifiques de chaque membre et des listes de dérogations à la clause de la nation la plus favorisée.
L'accord AGCS impose en effet à chacun de ses membres d'appliquer la clause de la nation la plus favorisée - sauf dérogations -, de garantir la transparence de la réglementation nationale relative au commerce des services et de mettre en oeuvre les engagements spécifiques qu'il a souscrits. Lorsque l'un des partenaires ne se conforme pas à ces obligations, tout autre État membre peut saisir à ce sujet l'organe de règlement des différends.
Les services visés concernent tous les services de tous les secteurs, à l'exception de ceux qualifiés de « gouvernementaux », c'est-à-dire ceux qui ne sont ni fournis sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services. Les domaines ayant suscité le plus grand nombre d'engagements des États membres touchent les secteurs du tourisme, de la finance, de l'assistance aux entreprises et des communications.
Le commerce de services peut s'établir suivant quatre modes :
mode 1 : en provenance du territoire d'un membre en direction du territoire d'un autre membre. Il s'agit par exemple de la consultation téléphonique d'un avocat qui réside dans un autre pays ;
mode 2 : sur le territoire d'un membre à l'intention d'un consommateur de services de tout autre membre. Dans ce cas, c'est le client qui se déplace à l'étranger pour consulter son prestataire de services ;
mode 3 : par un fournisseur de services d'un membre grâce à une présence commerciale sur le territoire de tout autre membre. Dans cette hypothèse, le fournisseur étranger a créé un établissement sur le territoire du pays de son client ;
mode 4 : par un fournisseur de service d'un membre grâce à la présence de personnes physiques d'un membre sur le territoire de tout autre membre. Selon ce mode, le fournisseur étranger assure sa prestation en envoyant auprès de son client le personnel nécessaire.
La conclusion de l'accord AGCS a conduit à inventer intégralement un cadre juridique adapté à cette forme d'échanges immatériels : les services étant une catégorie économique hétéroclite, les négociateurs ont dû s'entendre sur des définitions et des principes généraux.
b) Des modalités de discussion complexes
L'AGCS organise ce cadre juridique autour de deux grands éléments :
- des règles générales applicables à toutes les activités : on retrouve dans l'AGCS les grandes règles du jeu du commerce international, notamment le principe de la clause de la nation la plus favorisée suivant lequel les ouvertures commerciales consenties à un partenaire doivent obligatoirement bénéficier à tous les autres ;
- des engagements de libéralisation sectoriels : l'AGCS fournit seulement le cadre des négociations et chaque membre est maître des secteurs qu'il accepte de libéraliser, ainsi que du degré de libéralisation qu'il accorde à l'intérieur de chacun de ces secteurs. C'est en effet lui qui rédige les offres qu'il propose dans chacun des secteurs de services. Il peut ensuite adapter son offre au vu de ce que les autres membres lui proposent, mais il n'existe pas d'obligation de réciprocité. Il est donc parfaitement possible qu'un pays demande l'ouverture d'un secteur dans un pays tiers sans offrir lui-même la contrepartie de cet engagement.
Le processus de négociation sur les services est donc particulièrement complexe et opaque puisqu'il comporte deux volets :
- un volet multilatéral auquel tous les États membres participent, pour prendre des décisions collectives portant par exemple sur les règles générales de l'AGCS, les calendriers de discussions ou les conditions d'organisation des travaux ;
- un volet bilatéral où les partenaires échangent demandes et offres de libéralisation, de manière confidentielle en principe, sauf s'ils souhaitent en faire officiellement état. À l'issue de cette première étape, une confrontation multilatérale des concessions réciproques est nécessaire pour vérifier l'équilibre du dispositif, en application de la clause de la nation la plus favorisée.
* (7) En anglais, GATS, General Agreement on Trade in Services.