CHAPITRE PREMIER
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ASSURANCE MALADIE : UNE RÉFLEXION DANS L'URGENCE

« Texte de transition », la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 s'est accompagné de l'ouverture d'un vaste chantier de réflexion sur l'avenir de notre système de santé et d'assurance maladie.

Cette réflexion de fond intervient toutefois dans un contexte d'urgence absolue tant la fragilité financière de l'assurance maladie se trouve confirmée, et au-delà, par les dernières prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale.

A. UN PASSIF INQUIÉTANT

« Je savais que ce serait difficile mais la situation est plus détériorée encore que je ne l'imaginais ». Ainsi s'exprimait M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées en juillet dernier 2 ( * ) .

De fait, il y a quelques semaines, la Commission des comptes de la sécurité sociale 3 ( * ) faisait le constat d'un retour de la sécurité sociale à une situation de « profond déficit » et d'un déficit de l'assurance maladie « le plus élevé jamais enregistré » . Parallèlement, le souci manifesté par le ministre de « renouer le dialogue bloqué et (de) restaurer la confiance » 4 ( * ) n'a pas encore porté tous ses fruits.

1. La situation alarmante des comptes de l'assurance maladie

Tout au long de la précédente législature, votre commission s'est inquiétée de l'extrême fragilité des comptes sociaux et du déficit persistant de l'assurance maladie dans un contexte pourtant de croissance exceptionnellement élevée. Aujourd'hui, alors que le rythme de progression des recettes ralentit, la situation financière particulièrement dégradée de la sécurité sociale ne peut plus être masquée.

a) La confirmation d'une fragilité extrême

A l'automne 2001, votre commission s'étonnait que le Gouvernement ait pu se féliciter de la « robustesse du redressement des comptes sociaux » dont elle soulignait au contraire « la fragilité extrême ».

Ces comptes lui semblaient traduire un « bilan désastreux » au regard de la période de forte croissance enregistrée par notre pays.

Elle avait alors insisté sur la lourde ponction opérée sur les budgets sociaux pour financer la politique des trente-cinq heures qu'elle avait évaluée pour 2002 à 30 milliards de francs (4,6 milliards d'euros).

Elle avait qualifié de « stupéfiante » la ponction opérée sur les recettes de l'assurance maladie au titre des exercices 2001 et 2002 qu'elle avait estimée à 14 milliards de francs (2,13 milliards d'euros) alors même qu'allait peser sur elle le coût des trente-cinq heures dans les hôpitaux.

De façon générale, elle avait constaté les illusions d'un exercice consistant à agréger les différentes branches de la sécurité sociale pour se satisfaire d'un prétendu redressement alors que l'assurance maladie n'a jamais cessé, au cours de cette période, d'être lourdement déficitaire.

Elle concluait ainsi son analyse : « A l'issue d'une période de croissance économique exceptionnelle, la sécurité sociale se trouve dépourvue de toute réserve pour affronter une conjoncture difficile. Les marges dont elle a disposé, détournées pour financer la coûteuse politique des trente-cinq heures et « mangées » par une dérive subie des dépenses d'assurance maladie, n'ont pas été utilisées pour mettre en place les réformes indispensables à la pérennité de notre système de protection sociale. ».

Aujourd'hui, la Commission des comptes de la sécurité sociale 5 ( * ) constate que « la faiblesse des marges de manoeuvre constituée en période haute du cycle économique se traduit par un retour très rapide à un déficit de grande ampleur ».

Elle n'est, ce faisant, que cohérente avec l'avertissement qu'elle avait elle-même lancé en septembre 2001 6 ( * ) : « le régime général aborde la période plus difficile qui s'ouvre à présent sans avoir suffisamment rétabli sa situation financière ».

De fait, le régime général affiche pour 2003 un déficit global de 7,9 milliards d'euros.

Résultats du régime général

(en milliards d'euros)

1999

2000

2001

2002

2003 (p)

Maladie

- 0,7

- 1,6

- 2,1

- 6,1

- 9,7

Accidents du travail

0,2

0,4

0,0

0,0

- 0,1

Vieillesse

0,8

0,5

1,5

1,7

1,5

Famille

0,2

1,5

1,7

1,0

0,4

TOTAL

0,5

0,7

1,2

- 3,4

- 7,9

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale - mai 2003

De même, le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale souligne « une caractéristique remarquable des dernières années, qui s'accentue en 2002-2003 : la concentration de la totalité du déficit du régime général sur la branche assurance maladie ».

Cette dernière affiche un déficit prévisionnel pour 2003 de 9,7 milliards d'euros et un déficit cumulé 1999-2003 de plus de 20 milliards d'euros (132,5 milliards de francs).

b) Un effet de ciseaux prononcé

La Commission des comptes attribue naturellement la dégradation des comptes à un « effet de ciseaux très prononcé » et observe en 2002, comme en 2003, un différentiel de croissance entre les dépenses et les recettes de l'ordre de 2 points.

Ce différentiel entre des dépenses qui continuent globalement à croître rapidement et des recettes dont la progression ralentit sous l'effet du retournement conjoncturel, s'appliquant à des masses financières de l'ordre de 250 milliards d'euros, « conduit rapidement à des déficits importants qui se creusent d'année en année tant que le sens de l'écart n'a pas été inversé » 7 ( * ) .

La Commission des comptes note ainsi qu'« après deux années de croissance exceptionnelle (supérieure à 6 %) la masse salariale (sur laquelle deux tiers des recettes du régime général sont assises) connaît en 2002 une progression limitée estimée à 3,3 % », la prévision actuelle pour 2003 s'établissant à 2,7 %. Il en résulte une progression fortement ralentie des produits des cotisations et de la CSG.

Quant à la CSG sur les revenus du patrimoine et des placements, qui représente environ 10 % du produit total de la CSG, elle affiche en 2002 une diminution de 7 % par rapport à 2001 (- 500 millions d'euros) et devrait se maintenir à ce bas niveau en 2003. Cette évolution est naturellement due à la chute des cours boursiers ayant entraîné une forte diminution des plus-values.

Se trouvent ainsi soulignées les limites d'un financement de la protection sociale par la taxation des opérations financières.

Au total, la dégradation du solde du régime général en 2003 par rapport à la prévision associée à la loi de financement serait de 4 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros seraient imputables à des moins-values de recettes et 1 milliard d'euros dus à l'évolution des dépenses principalement du fait de l'assurance maladie.

Il reste que, comme le souligne la Commission des comptes, le déficit de l'assurance maladie représente aujourd'hui 9 % des recettes de la branche ou encore « plus de deux fois les honoraires remboursés aux généralistes et plus de 60 % des dépenses de médicaments pris en charge par la caisse ».

Il représente encore 1,1 point de CSG.

2. Des perspectives d'évolution potentiellement explosives

Au-delà des effets de la conjoncture, la Commission des comptes de la sécurité sociale insiste sur le déséquilibre structurel de l'assurance maladie qui, si on le projette dans l'avenir, aboutit à une situation extrêmement préoccupante.

a) Un déséquilibre structurel

Le rapport de la Commission des comptes de mai dernier souligne le déséquilibre structurel dans lequel s'engage le régime général. « Il y a dix ans la sécurité sociale était confrontée à une crise de recettes, aujourd'hui le problème porte sur les recettes dont la progression est affectée par le ralentissement de la conjoncture et sur les dépenses d'assurance maladie dont le rythme de croissance en volume est depuis 2001 plus élevé qu'il n'avait été depuis vingt ans ».

Et le rapport de poursuivre, « les dépenses d'assurance maladie ont augmenté de 7,2 % en 2002, après une accélération continue depuis 2000. En 2003, leur croissance serait encore de l'ordre de 6 %. Ces taux de croissance, les plus élevés depuis la mise en place de l'objectif en 1997 reflètent des tendances de fond très soutenues, auxquelles s'ajoutent les effets des mesures nouvelles qui touchent les soins de ville (revalorisations tarifaires) et les établissements (création d'emplois liés à la mise en place des trente-cinq heures et hausses salariales) ».

Evolution des dépenses réalisées dans le champ de l'ONDAM

2000

2001

2002

2003

Soins de ville

6,7 %

7,6 %

7,9 %

7,2 %

Etablissements

3,5 %

4,0 %

6,3 %

5,7 %

ONDAM

4,7 %

5,8 %

7,2 %

6,4 %

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale - mai 2003

(Encaissements-décaissements jusqu'en 2001, droits constatés à partir de 2002)

La situation de l'assurance maladie apparaît ainsi bien spécifique au sein de la protection sociale.

Le déficit du régime général lui est intégralement imputable alors que le ralentissement du rythme de progression des recettes frappe toutes les branches.

De fait, la Commission des comptes souligne la « déconnexion des rythmes de croissance des dépenses » entre la branche maladie et les trois autres branches du régime général.

Elle observe que l'évolution de la consommation de soins s'est installée depuis le milieu de 1997 sur un rythme rapide et note que la croissance de la dépense à la charge de l'assurance maladie est plus forte encore « du fait de l'amélioration structurelle du taux de remboursement des soins pris en charge » en raison de la forte augmentation du nombre des assurés exonérés du ticket modérateur et, plus généralement, d'une déformation générale de la consommation de soins au profit des soins les mieux pris en charge.

Ainsi, dans son point de conjoncture de mai 2003, la CNAMTS précise-t-elle « que la population du régime général atteinte d'une affection de longue durée (ALD) est estimée à 5,7 million, soit environ 12 % de la population du régime », que les croissances des effectifs en ALD s'accentuent au fil des ans et que « les dépenses qui leur sont consacrées représentent 40 % des dépenses de l'ensemble des malade » et génèrent une croissance des dépenses « beaucoup plus forte que celle des dépenses consacrées au autres malades : 12,8 % par an en moyenne contre 4,5 % ».

La prise en charge du vieillissement de la population et des personnes souffrant d'affection de longues durées semble bien un « enjeu majeur de notre système de santé et d'assurance maladie ». Elle risque de peser dans les scénarios d'évolution des comptes de la branche maladie.

b) Un statu quo impossible

Dans son avant-propos au rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai dernier, le secrétaire général de la commission constate qu' « en quatre ans, de 1999 à 2003, les dépenses d'assurance maladie auront augmenté de 26 %, une progression qui, comparée à celle du PIB (environ 15,5 % sur la période) ne peut que se traduire par des besoins de financement considérables ».

Ce rapprochement fait apparaître qu'en moyenne sur les quatre dernières années, la progression des dépenses d'assurance maladie se situe 2,6 points au-dessus de la croissance de la richesse nationale.

Un calcul simple montre que si ce différentiel se maintient durablement à 2 points, les dépenses d'assurance maladie qui représentent aujourd'hui environ 8 % du PIB, atteindraient près de 11 % en 2020 et plus de 16 % en 2040.

Part des dépenses d'assurance maladie dans le PIB à l'horizon 2040
(comparaison avec les dépenses de retraite)

Source : commission des Affaires sociales du Sénat

Le même calcul, fondé sur un différentiel de 3 points, conduit à des dépenses d'assurance maladie s'élevant à près de 13 % du PIB en 2020 et plus de 23 % en 2040.

Ce qui veut dire encore, qu'en poursuivant au rythme actuel de progression des dépenses d'assurance maladie par rapport à la richesse nationale (+ 2,6 points), il faudra mobiliser entre 3 à 5 points de PIB en 2020 et entre 8 et 15 points à l'horizon 2040.

Ces ordres de grandeurs montrent que, si rien n'est fait, la question des besoins de financement de l'assurance maladie dans les trente à quarante années qui viennent est d'une ampleur bien supérieure à celle que pose l'avenir des retraites par répartition.

Or, rien aujourd'hui ne permet de considérer une telle évolution comme invraisemblable.

A l'issue d'une période de forte croissance des dépenses de santé, prédomine paradoxalement un sentiment de pénurie voire de paupérisation qui se traduit par exemple par des besoins importants de l'hôpital en personnel et en investissement.

Le vieillissement de la population, la progression de la richesse nationale elle-même ou les progrès dans le domaine médical, dont il ne serait pas tolérable qu'ils soient réservés à certains, seront des facteurs structurels de la progression des dépenses de santé.

Il reste que face à une telle perspective le statu quo est impossible.

Le président de la République rappelait ainsi récemment 8 ( * ) qu'il fallait protéger l'acquis fondamental que constitue notre système de santé « contre les dangers de l'immobilisme » .

* 2 Intervention de M. Jean-François Mattei devant la Commission des comptes de la sécurité sociale le 11 juillet 2002.

* 3 Rapport Commission des comptes de la sécurité sociale du 15 mai 2003.

* 4 M. Jean-François Mattei, intervention devant la Commission des comptes de la sécurité sociale le 11 juillet 2002.

* 5 Rapport du 15 mai 2003.

* 6 Rapport du 20 septembre 2001.

* 7 Ibidem.

* 8 Discours au Congrès de la Mutualité le 12 juin 2003.

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