B. LES CHANTIERS NÉCESSAIRES
A l'occasion des réunions de la commission des comptes de la sécurité sociale tenues en juillet et septembre 2002, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a présenté les axes et les principes qui allaient guider son action.
Deux axes prioritaires ont ainsi été mis en avant : la situation des professionnels de santé « désenchantés et en proie à une crise matérielle et morale 9 ( * ) » et le nécessaire renouvellement de la gouvernance de notre système de sécurité sociale dont les « outils de la régulation ont perdu, les uns après les autres, une large partie de leur crédibilité 10 ( * ) ».
1. Le contexte nouveau
Développer un climat propice à la confiance et au dialogue avec l'ensemble des acteurs du système de santé, et plus particulièrement avec les professionnels vis-à-vis desquels le ministre jugeait indispensable de « solder le passé », a donc été une des toutes premières préoccupations du ministre.
Ce préalable était selon lui indispensable « afin de pouvoir enclencher une nouvelle dynamique ».
a) Le retour de la confiance
Erigé en symbole de ce retour à la confiance, l'accord du 5 juin 2002 avec les médecins généralistes a été salué par la majorité des syndicats médicaux comme un texte exemplaire tandis que la CNAMTS évoquait un accord historique.
La mesure phare de l'accord est la revalorisation au 1 er juillet 2002 du tarif de la consultation au cabinet du médecin qui est désormais fixée à 20 euros, contre 18,5 euros précédemment, tandis que le tarif de la visite est porté à 30 euros au 1 er octobre 2002, dont 10 euros de majoration de déplacement remboursables pour les visites médicalement justifiées.
Mais, en contrepartie de la revalorisation de l'acte de soins, les médecins s'engagent sur un double objectif : 12,5 % des médicaments prescrits doivent correspondre à des médicaments génériques. 25 % des prescriptions de médicaments doivent être rédigées en dénomination commune ou en génériques.
L'amélioration du service médical rendu figure également en bonne place parmi les dispositions de l'accord. Il inspire les dispositions portant réforme des indemnités de déplacements dont l'objectif est d'inciter les patients à se rendre au cabinet du médecin et de limiter ainsi les visites à domicile aux seules demandes médicalement justifiées. Enfin les généralistes s'engagent également à diminuer les prescriptions d'antibiotiques, cette partie de l'accord trouvant sa place dans un volet sanitaire plus vaste qui vise à limiter la consommation d'antibiotiques.
L'économie générale de l'accord traduit un esprit de responsabilité partagée et se fonde à la fois sur une amélioration des pratiques médicales et sur la recherche de marges de manoeuvre pour le financement. Elle reflète la volonté du ministre qui, le 30 mai 2002 11 ( * ) , déclarait : « l'un des enjeux de la négociation sera donc de demander des contreparties aux généralistes, par exemple, en prescrivant davantage de médicaments génériques, tout aussi efficaces mais moins chers. Il ne s'agit pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. »
De fait, ainsi que le note la CNAMTS, « un an plus tard, les données disponibles début juin 2003 permettent de dire que cet accord a entraîné de vrais changements dans les pratiques des médecins et les comportements des patients. Le nombre de visites a fortement régressé (- 22,5 %). Les prescriptions de génériques ont fortement augmenté depuis juin 2002 : en nombre de boîtes, les génériques sont passés de 8,2 % du marché des médicaments en mai 2002 à 11,3 % en avril 2003, soit une augmentation de + 38 % » 12 ( * ) .
Cette première conclusion est saluée par la commission des comptes de la sécurité sociale qui, dans son rapport de mai 2003, souligne les effets modérateurs de la baisse d'activité des généralistes sur l'évolution des dépenses de soins de ville et pointe durant la même période l'augmentation de la part des médicaments génériques sur le marché du médicament, due en partie à l'action des mêmes généralistes.
Elle donne un relief particulier aux déclarations de M. Jean-François Mattei devant la Commission des comptes de la sécurité sociale du 11 juillet 2002 lorsqu'il affirmait : « cet accord est autofinancé grâce aux engagements pris par les professionnels de modifier leurs pratiques et de prescrire des génériques. Ce point est essentiel si nous voulons réussir ensemble : chaque partie au contrat est responsable et doit apporter sa contribution à la sauvegarde de notre système solidaire de sécurité sociale et d'assurance maladie ».
b) Les limites du processus
La conclusion de l'accord du 5 juin 2002 était donc clairement conçue comme une première étape destinée à remettre les partenaires conventionnels autour de la table.
Les négociations conventionnelles ont donc repris dans le cadre fixé par la loi du 6 mars 2002.
1 -Un accord-cadre applicable à l'ensemble des professions de santé Cet accord cadre conclu pour une durée maximale de cinq ans à pour vocation de fixer des dispositions transversales communes à l'ensemble des professions et qui entrent dans le champ des conventions actuelles. Il peut déterminer les obligations respectives des caisses d'assurance maladie et des professionnels de santé exerçant, les mesures que les partenaires conventionnels juges appropriées pour garantir la qualité des soins dispensés, les conditions d'une meilleure coordination des soins, ou la promotion des actions de santé publique. Sont concernés les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sages-femmes, les auxiliaires médicaux, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes, les directeurs de laboratoires privés d'analyses médicales et les entreprises de transports sanitaires. L'accord doit être conclu par la CNAMTS, une autre caisse et le centre national des professions de santé. Il ne s'applique à une profession concernée que lorsqu'au moins une organisation syndicale représentative de cette profession a marqué son, adhésion en le signant. 2 - Des conventions professionnelles Ces conventions dont la durée est fixée à cinq ans au plus, déterminent : - les tarifs des honoraires, rémunération et frais accessoires dus aux professionnels de santé par les assurés sociaux en dehors des cas de dépassement autorisés par la convention pour les médecins et les chirurgiens dentistes (ces tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires sont fixés dans le cadre d'avenants à chaque convention); - les engagements des signataires, collectifs ou individuels, le cas échéant pluriannuels, portant sur l'évolution de l'activité des professions concernées. Ces engagements prennent la forme d'accords de bon usage de soins (L. 162-12-17 du code de la sécurité sociale) qui constituent dans ce cas une annexe de la convention médicale professionnelle ou de contrats de bonne pratique (L. 162-12-18 du code la sécurité sociale). 3 -Des contrats de santé publique Ces contrats de santé publique (L. 162-12-18 du code de la sécurité sociale) doivent avoir été déterminés dans le cadre conventionnel, avant que les professionnels de santé puissent adhérer individuellement. Ces contrats fixent les engagements des professionnels et ouvrent droit à une rémunération forfaitaire. |
Tout au long de l'année qui vient de s'écouler les professions de santé et la CNAM ont recherché des accords susceptibles de déterminer les obligations respectives des parties. La revalorisation des actes devait avoir pour contrepartie des engagements de bons usages de soins, fidèles en cela à la ligne tracée par le ministre de la santé dès sa prise de fonction.
Au final, la conclusion de ces négociations devait traduire la conviction réaffirmée le 7 avril par M. Jean-François Mattei « l'on ne réformera qu'avec les professionnels de santé 13 ( * ) ».
Pourtant au mois de mai 2003, la mise en place de la nouvelle architecture conventionnelle n'est pas complètement achevée.
L'appréciation de cette situation varie suivant les interlocuteurs. Le conseil d'administration de la CNAMTS se félicite dans une résolution du 29 avril 2003 d'être arrivé « au terme d'un processus de négociation qui lui a permis de conclure des accords conventionnels avec toutes les professions de santé, à la seule exception des médecins spécialistes ».
Le ministre, lors du débat sur l'assurance maladie organisé à l'Assemblée nationale le 13 mai dernier, « ( a pris) acte, en la regrettant, de la rupture du dialogue entre les caisses et les médecins spécialistes » alors qu'« un accord conventionnel était à portée de main » sur la base du document signé le 10 janvier 2003.
Cette rupture « concourt à attiser le désespoir des professionnels et la tension entre les caisses et les médecins spécialistes » poursuivait le ministre « je ne peux m'en satisfaire ». Cette « situation complique également, sans l'interdire, la prise des mesures nécessaires à l'optimisation des dépenses ambulatoires qui doivent permettre d'améliorer les conditions d'exercice des spécialistes tout en maîtrisant la croissance des volumes d'actes et de prescription ».
Le défaut de signature d'un seul accord pèse donc sur l'ensemble de l'architecture conventionnelle, à travers la fausse note qu'il fait entendre dans la politique de retour à la confiance prônée par le ministre, et à travers le difficultés qu'il provoque pour l'adoption de l'accord cadre interprofessionnel (ACIP).
Cet accord, qui a vocation à fixer des règles transversales communes à l'ensemble des professions dans leurs relations avec la CNAMTS, a vu son approbation par le Centre national des professions repoussé à plusieurs reprises de par la volonté de plusieurs syndicats de médecins qui estiment que l'adoption de l'ACIP ne peut intervenir qu'après la conclusion de l'ensemble des dispositifs conventionnels propres à chaque profession.
2. Une large réflexion préalable à la réforme
Pour mener à bien les réformes indispensables, M. Jean-François Mattei a choisi de prendre « le temps nécessaire de l'écoute et de la concertation » 14 ( * ) .
a) La multiplication des expertises
Cette volonté de prendre le temps de la réflexion et de l'analyse a trouvé sa traduction dans la commande, depuis l'automne 2002 d'un nombre impressionnant de rapports - on en dénombre plus de 30 - qui couvrent les grands secteurs de la santé publique, de l'hôpital, des professions de santé et de l'assurance maladie.
Rapports commandés par le ministre entre septembre 2002 et mai 2003
NOM |
OBJET |
MISSIONS EN COURS |
|
M. AURENGO |
Conséquences de Tchernobyl |
M. Christian BABUSIAUX |
Anonymisation des feuilles de soins |
M. Yvon BERLAND |
Coopérations entre médecins et entre médecins et professions paramédicales |
MM. BESSIS, DOMMERGUE |
Echographie foetale |
MM. BOIS, MELET, MASSONAUD |
Odontologie |
MM. Gérard BREART, Jean-Christophe ROZE et Francis PUECH |
Périnatalité |
M. Alain-Michel CERRETTI |
Critères de représentativité des associations de santé |
M. P. CLERY-MELIN |
Santé mentale + violence santé |
M. François EISINGER |
Oncogénétique |
M. GRISCELLI |
Recherche bio-médicale |
Mme de HENNEZEL |
Fin de vie |
M. O. JARDE |
Médecine légale |
M. MAGOUDI |
Amélioration de la prise en charge des adolescents en difficulté |
M. MATHONNAT |
Evaluation des actions internationales en matière de santé |
M. MATILLON |
Qualités des soins Evaluation des compétences |
M. Max MICOUD |
Politique vaccinale |
M. Philippe MOST |
Santé des jeunes d'âge scolaire |
M. Lucien NEUWIRTH |
Douleur - Comparaison internationale |
M. Didier RAOULT |
Bioterrorisme |
M. RICOUR |
Obésité de l'enfant
|
M. J.L. TERRA |
Suicide des détenus |
MISSIONS TERMINEES |
|
M. Christian BABUSIAUX |
Accès par les assureurs complémentaires aux données des feuilles de soins électroniques |
M. Yvon BERLAND |
Démographie médicale |
M. Alain BOUREZ |
Recours contre les tiers |
M. Alain CORDIER |
Enseignement de l'éthique |
M. Charles DESCOURS |
Permanence des soins |
M. DOMERGUE |
Chirurgie française en 2003 |
MM. DUCASSOU, JAECK, LECLERCQ |
Centre hospitalo-universitaire |
M. FIESCHI |
Dossier médical |
M. Dominique LAURENT |
Formation médicale continue des médecins libéraux |
MM. PERRIN, VALLANCIEN, DEBROSSE |
Organisation interne de l'hôpital |
M. Angel PIQUEMAL |
Evaluation de la réduction du temps de travail |
M. Charles DESCOURS |
Conditions d'installation des professionnels de santé libéraux |
M. GRALL, MONIER, BORONOF-LEMSI |
Médicament à l'hôpital |
Les rapports relatifs aux professions de santé, et notamment ceux relatifs à la démographie médicale et à la permanence des soins, ont déjà fait l'objet d'un premier train de mesures à l'occasion de l'adoption de la loi d'habilitation autorisant le Gouvernement à simplifier le droit et des textes réglementaires indispensables à l'application des mesures sont d'ores et déjà en préparation.
En outre, mention doit être faite du rapport remis par la commission d'orientation sur le cancer , présidée par M. Lucien Abenhaïm. Ses travaux ont débouché sur le plan de mobilisation nationale contre le cancer annoncé par le président de la République le 24 mars 2003. Ce plan se veut, de surcroît, « une action exemplaire qui pourra bénéficier à l'ensemble de l'organisation sanitaire et de la recherche médicale pour toutes les pathologies et tous les patients 15 ( * ) ».
b) Trois chantiers majeurs
Le ministre soulignait devant la Commission des comptes de la sécurité sociale, le 15 mai 2003 : « la réforme de l'assurance maladie constitue en réalité une série de réformes ».
Dès septembre 2002, toujours devant la Commission des comptes, il réaffirmait sa volonté de « poser sans tarder les fondations de la nouvelle gouvernance du système de santé et d'assurance maladie sur la base d'une clarification des rôles et des financements à partir d'un diagnostic partagé . »
Votre commission, par le passé, s'était interrogée sur la place de la Commission des comptes de la sécurité sociale dans le nouveau contexte institutionnel créé par les lois de financement. Ainsi, avait-elle estimé, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement pour 2000 que la Commission des comptes ne devait pas être le « faux nez » du Gouvernement et que son secrétaire général ne devait pas être un homme seul à qui l'on dicte, en septembre, les « anticipations » que le Gouvernement souhaite voir figurer dans les comptes « tendanciels » de la sécurité sociale.
Aussi, s'est-elle félicitée que, dès sa réunion du 11 juillet 2002, le ministre ait fait part de son ambition de faire évoluer le travail de la Commission des comptes et d'y instaurer un véritable dialogue.
Il avait alors évoqué la possibilité de constituer des groupes de travail au sein de la commission.
En septembre 2002, il concrétisait ce projet en annonçant la constitution de trois groupes de travail.
Le premier, animé par Mme Rolande Ruellan, conseiller maître à la Cour des comptes avait pour mission d'établir pour le 15 novembre 2002 « un état des lieux partagé des relations entre l'Etat et l'assurance maladie, de la nature des rôles des uns et des autres et des problèmes posés » 16 ( * ) .
Le second groupe de travail animé par M. Alain Coulomb, alors délégué général de la Fédération de l'hospitalisation privée, qui devait remettre ses conclusions au premier trimestre 2003, répondait à la volonté du ministre de « redonner de la crédibilité à l'ONDAM et, donc, de le « médicaliser » 17 ( * ) .
Le dernier animé par M. Jean-François Chadelat, inspecteur général des affaires sociales, correspondait à un aspect de « la gouvernance (qui) est aussi une redéfinition de la place de la solidarité nationale » et à une interrogation « sur les champs de compétences de l'assurance de base et de l'assurance complémentaire » .
Ce groupe se voyait fixer une « feuille de route » assez explicite puisque le ministre indiquait : « il va sans dire qu'un nouveau partage des rôles entre assurance maladie de base et assurance maladie complémentaire va de pair avec un élargissement de l'accès de tous nos concitoyens à la couverture complémentaire grâce à une aide qui a été évoquée par le président de la République et le Premier ministre » 18 ( * ) .
De fait, relevant d'une préoccupation commune « inventer une nouvelle gouvernance » , ces trois groupes ont eu pour mission de répondre à quelques unes des questions les plus déterminantes pour l'évolution de notre système de santé et d'assurance maladie s'agissant notamment :
- du rôle de l'Etat et en son sein de celui de la représentation nationale, à travers la fixation d'un ONDAM médicalisé et des voies et moyens d'assurer son respect ;
- de celui des partenaires sociaux qui, comme l'indiquait récemment le président de la République 19 ( * ) « faute d'un partage clair des rôles entre l'Etat et les caisses (...) n'ont pas réellement été mis en mesure d'assurer leur mission » entraînant par là-même une déstabilisation de la vie conventionnelle ;
- de l'assurance maladie complémentaire dont le président de la République 20 ( * ) a souhaité qu'elle soit désormais « mieux reconnue » et qu'elle devienne « un acteur à part entière d'une vie conventionnelle renouvelée et élargie par l'instauration d'un véritable partenariat avec l'assurance maladie » 21 ( * ) .
Ce sont ces trois rapports dont votre commission a souhaité analyser les conclusions et les implications à travers notamment un large programme d'auditions.
* 9 Intervention devant la Commission des comptes de la sécurité sociale le 24 septembre 2002.
* 10 Ibidem.
* 11 Entretien de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, accordé au journal, Le Parisien.
* 12 Point d'information mensuel de la CNAMTS (5 juin 2003).
* 13 Entretien publié par le Figaro du 7 avril 2003.
* 14 Intervention devant la Commission des comptes de la sécurité sociale - 11 juillet 2002.
* 15 M. Jean-François Mattei, audition devant la commission des Affaires sociales du Sénat, 25 mars 2003.
* 16 M. Jean-François Mattei - Intervention devant la Commission des comptes de la sécurité sociale - 24 septembre 2002.
* 17 Ibidem.
* 18 Ibidem.
* 19 Discours au 37 ème Congrès de la Mutualité le 12 juin 2003.
* 20 Ibidem.
* 21 Ibidem.