2. Une sanction graduée
La
commission d'enquête a été particulièrement sensible
à la remarque formulée lors de son audition par M. Nicolas
Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité
intérieure et des libertés locales, selon laquelle
«
prévoir tant d'années de prison n'a pas beaucoup
de sens dans la mesure où ce n'est jamais appliqué, mais à
l'inverse, parce que les sanctions sont trop lourdes et ne sont pas
appliquées, n'en prévoir aucune n'en a plus aucun. »
La commission d'enquête préconise donc de prévoir une
contravention en cas de première infraction et de maintenir le
délit assorti d'une peine d'emprisonnement d'un an en cas de
récidive ou de refus de soins ou d'orientation.
a) Prévoir une contravention pour une première infraction d'usage simple
Punir
d'un an d'emprisonnement un usager de drogue occasionnel n'ayant commis aucun
autre délit paraît disproportionné et n'est d'ailleurs
jamais appliqué.
Selon Mme Nicole Maestracci, ancienne présidente de la MILDT, il semble
qu'un consensus se dégage pour des sanctions qui seraient de l'ordre de
la contravention. C'est d'ailleurs l'option envisagée par M.
Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des
personnes handicapées.
L'emprisonnement pour les usagers de drogues illicites paraît en effet
l'une des mesures les plus controversées. Un consensus semble
dorénavant se dégager pour dire que la prison n'est pas une
sanction adaptée pour le simple usager qui n'a commis aucun autre
délit, ainsi que l'a indiqué Mme Nicole Maestracci lors
de son audition.
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales, a de
même appelé à «
gommer la disposition la plus
critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de
prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre de simples
usagers.
»
Le docteur Francis Curtet, psychiatre ayant exercé pendant 10 ans en
prison, a également souligné lors de son audition que
«
mettre en prison des usagers de drogues ou des toxicomanes est
aberrant. Il ne s'agit pas d'un lieu thérapeutique et le risque de
suicide est élevé.
»
M. Didier Lallement, directeur de l'administration pénitentiaire, a en
outre indiqué à la commission d'enquête que
«
le risque, s'agissant d'usagers simples, était
évidemment que l'univers pénitentiaire ne permette pas d'assurer
leur plein sevrage et donc qu'au contraire, ils rencontrent d'autres tentations
et d'autres consommations de produits stupéfiants.
»
Ainsi que l'a indiqué M. Yves Bot, procureur de la République de
Paris, «
quand on est en présence d'un usager simple, on
peut dire qu'il n'est pas besoin de circulaires pour nous dire que
l'incarcération n'est pas adaptée
».
Néanmoins, il apparaît que si, au cours des cinq dernières
années, le nombre de condamnations à des peines d'emprisonnement
ferme pour usage illicite a baissé, passant de 494 cas en 1997 à
395 cas en 2001, «
c'est un chiffre qui n'est pas
considérable, mais qui n'est pas négligeable
»,
comme l'a reconnu M. Dominique Perben, garde des Sceaux.
La commission d'enquête s'est interrogée sur les motifs ayant
conduit des magistrats à prononcer la condamnation à des peines
d'emprisonnement ferme de simples usagers, alors même que la circulaire
du garde des Sceaux du 17 juin 1999 appelle à considérer la
prison comme le «
dernier recours
».
M. Yves Bot, procureur de la République de Paris, a fourni une
explication en indiquant que le parquet requérait de l'emprisonnement
ferme à l'encontre de certaines personnes qui comparaissaient pour
usage, et dont on n'avait pu prouver l'implication dans un trafic du fait des
difficultés de preuve. Il a néanmoins estimé qu'il
s'agissait d'une pratique résiduelle, le code pénal sanctionnant
l'aide à la consommation, mais que la politique pénale suivie
dans ce cas était légitimée par la volonté de
mettre en échec l'argument utilisé par le trafiquant sur lequel
on trouve une certaine dose et qui prétend qu'il s'agit de sa
consommation personnelle.
La commission d'enquête préconise donc de retenir une
contravention de la cinquième classe, pour laquelle une amende modulable
jusqu'à concurrence de 1.500 euros peut être prononcée
(article 131-13 du code pénal).
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales a, lors
de son audition proposé de «
prévoir la
création d'une échelle de sanctions adaptées permettant de
punir réellement et rapidement (...) les mineurs qui consomment
occasionnellement du cannabis ou de l'ecstasy (...). Il y a bien sûr
l'obligation d'accomplir un travail d'intérêt
général, un stage, peut-être le recul de l'âge pour
passer le permis de conduire, peut-être la confiscation du scooter
lorsqu'il y en a un. Le législateur peut en la matière imaginer
une panoplie de sanctions adaptées à l'âge
».
La commission d'enquête s'est interrogée sur ces propositions. En
effet, il ne faudrait pas que des mesures comme la confiscation du scooter
apparaissent comme des mesures « anti-jeunes ». Il faudrait
alors prévoir la confiscation de tout véhicule, quel qu'il soit
et quel que soit l'âge de la personne. De plus, la notion de confiscation
paraît assez novatrice puisque les peines complémentaires
prévoient en général l'immobilisation du véhicule
pendant une durée maximale de 6 mois, s'agissant d'infractions n'ayant
pas de rapport direct avec la conduite d'engins motorisés. Or la
confiscation serait définitive, alors même que l'infraction, fumer
un joint par exemple dans un parc, n'aurait aucun rapport avec la conduite d'un
engin motorisé.
Or peuvent déjà être proposées en cas de
contraventions de la cinquième classe les peines complémentaires
suivantes (article 131-14 du code pénal) :
- la suspension, pour une durée d'un an au plus du permis de
conduire, cette suspension pouvant être limitée à la
conduite en dehors de l'activité professionnelle ;
- l'immobilisation, pour une durée de six mois au plus, d'un ou
plusieurs véhicules appartenant au condamné ;
- le retrait du permis de chasser, avec interdiction de solliciter la
délivrance d'un nouveau permis pendant un an au plus ;
- l'interdiction, pendant une durée d'un an au plus
d'émettre des chèques autres que ceux certifiés et
d'utiliser des cartes de paiement ;
- la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée
à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit.
Des peines de travail d'intérêt général peuvent
à cette occasion être proposées pour une durée de 20
à 120 heures (article 131-17 du code pénal).
Une peine complémentaire prévoyant une obligation de soins ou
d'orientation vers une structure psychosociale devrait être introduite
pour la contravention d'usage de stupéfiants.
b) Conserver le délit en cas de récidive ou de refus de soins
La
commission d'enquête préconise de conserver le délit en cas
de récidive ou de refus de soins. La récidive pourrait être
appréciée dans un délai de trois ans.
La commission d'enquête s'est interrogée sur le point de savoir
quelle solution pourrait être trouvée afin d'inciter très
fortement les toxicomanes dépendants à suivre des soins,
l'injonction thérapeutique se trouvant dépourvue de toute nature
coercitive en cas de suppression de la peine d'emprisonnement.
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales, s'est
lui-même interrogé sur ce point, estimant qu'il faudrait trouver
des sanctions adaptées.
Or il apparaît que s'agissant de personnes bien souvent
désocialisées, voire marginalisées, la menace d'amendes
apparaissait peu pertinente, alors même qu'elles devaient constituer le
public prioritaire de l'injonction thérapeutique.
Ainsi que l'a indiqué lors de son audition Mme Catherine Domingo,
substitut du procureur de Bayonne, si la personne n'a pas respecté la
mesure d'injonction thérapeutique ou s'il s'agit de
multi-récidivistes, il est actuellement possible de prononcer des
mesures d'assistance, comme un sursis avec mise à l'épreuve et
obligation de soins (la personne étant suivie par le juge d'application
des peines).
De tels moyens de pression, justifiés et n'aboutissant pas en pratique
à l'incarcération, ne seraient donc plus possibles.
c) Prévoir des solutions pour les personnes dépendantes et refusant les soins
Deux options étaient susceptibles d'être retenues par la commission d'enquête. On peut soit envoyer les toxicomanes n'ayant commis aucun autre délit dans des centres pénitentiaires spécialisés dans les soins aux toxicomanes, soit les envoyer de manière coercitive dans des centres de soins.
(1) Maintenir des peines d'emprisonnement en cas de refus de se soumettre aux soins ou en cas de récidive
En
maintenant des peines d'emprisonnement pour les toxicomanes les plus lourds, on
conserverait ainsi un moyen de pression, sachant que les mesures alternatives
à l'incarcération devraient être
privilégiées.
Il s'agirait ainsi de la transposition de la « contrainte par
corps », qui prévoit d'incarcérer des personnes
refusant de s'acquitter de leurs condamnations pécuniaires. Ici, ce
serait le refus de soins qui serait sanctionné.
En outre, la commission d'enquête
préconise de créer des
centres fermés de traitement de la toxicomanie
sur le modèle
des centres fermés pour jeunes délinquants.
Les personnes incarcérées pour simple usage à la suite de
multiples récidives ou de refus de soins le seraient dans des centres
gérés par l'administration pénitentiaire, mais
situés en dehors des établissements pénitentiaires
existants, où ils recevraient des soins adaptés. Les
détenus toxicomanes incarcérés pour d'autres infractions
à la législation sur les stupéfiants ou pour d'autres
actes de délinquance continueraient à dépendre des UCSA,
le but étant d'éviter que de simples usagers se retrouvent au
contact de délinquants endurcis, la prison étant
considérée par beaucoup comme un milieu criminogène.
De tels centres pourraient permettre de « dépayser »
certains jeunes afin de briser les phénomènes de bandes les
conduisant à l'addiction.
(2) Etendre la procédure d'hospitalisation d'office aux toxicomanes nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte de façon grave à l'ordre public
L'article L. 3213-1 du code de la santé publique
prévoit qu'à Paris, le préfet de police et, dans les
départements, les représentants de l'Etat prononcent par
arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié,
l'hospitalisation d'office de personnes dont les troubles mentaux
nécessitent des soins et compromettent la sûreté des
personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public.
La commission d'enquête suggère que cette procédure soit
étendue aux personnes toxicomanes dépendantes ou dangereuses pour
elles-mêmes ou pour autrui, le procureur de la République devant
alors saisir un médecin de la DDASS afin d'obtenir un certificat
médical. Il appartiendrait au procureur de la République de le
transmettre au préfet de police, à Paris, ou aux
représentants de l'Etat dans le département, afin qu'ils
procèdent à cette hospitalisation d'office.
Il est bien évident que ces personnes ne seraient pas
hospitalisées dans des hôpitaux psychiatriques, mais dans des
services hospitaliers de traitement de la toxicomanie.
Dans cette hypothèse, la peine de prison pour usage de stupéfiant
serait supprimée.
Au terme de ces débats, la commission d'enquête a
préconisé de retenir la première solution et de conserver
la possibilité de prononcer une peine d'emprisonnement à
l'encontre de toxicomanes multi-récidivistes et refusant les soins,
cette peine devant être accomplie dans des centres pénitentiaires
fermés dédiés spécifiquement au traitement de la
toxicomanie.