3. Le non-respect par certains Etats de leurs obligations internationales, limite à l'efficacité du système onusien
Le
dispositif international de contrôle des drogues a permis
d'indéniables avancées
: institué à une
époque où régnait entre les Etats une quasi liberté
en matière de production, distribution et usage de stupéfiants,
il a permis
de limiter et d'encadrer, à défaut de le
réduire véritablement, le commerce international illicite des
drogues. Il est permis à ce titre de penser qu'en son absence, la
situation actuelle en matière de trafic serait bien pire encore qu'elle
ne l'est aujourd'hui
.
En ce qui concerne le marché licite des stupéfiants (concernant
les seules substances à usage médical), bien plus important en
volume que le marché illicite, les conventions ont permis de
contrôler leur production et prescription à un tel degré
que l'OICS a pu noter dans son rapport 2002 que cette année, comme les
précédentes, n'a connu aucun détournement du commerce
international de stupéfiants et psychotropes malgré les
quantités importantes de substances concernées et le nombre
élevé de transactions réalisées.
Ensuite, les conventions onusiennes ont contribué au
développement de véritables politiques nationales de
réduction de la demande
en incitant les Etats à
prévenir l'abus des drogues et à prendre des mesures en vue du
traitement et de la réhabilitation des toxicomanes. Enfin, elles ont
introduit des standards permettant de favoriser l'harmonisation des
législations nationales et d'instaurer une coopération judiciaire
internationale.
Tous ces apports sont indéniables et plaident pour le maintien, et
même pour le renforcement du système international de lutte contre
la drogue
. C'est ce qu'a d'ailleurs souhaité M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, qui a appelé devant la commission
à «
un soutien sans faille de l'ONU, qui s'efforce avec une
légitime détermination de faire ratifier les trois conventions
internationales interdisant la légalisation des drogues et la
dépénalisation du cannabis
».
Malgré ces apports, le système souffre de son irrespect par de
nombreux Etats qui ont pourtant adhéré à ses
traités fondateurs, et ce à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, et sans qu'il soit facile de faire le départ entre leur
mauvaise volonté et leur manque de moyens,
une part non
négligeable d'Etats parties aux diverses conventions ne s'acquitte pas
ou s'acquitte mal de ses obligations de coopération avec les
institutions onusiennes
. Bien qu'ils aient l'obligation formelle de
présenter chaque année à l'OICS un rapport sur
l'évolution de la situation des drogues sur leur territoire, afin que
l'organe puisse les synthétiser au niveau mondial et apprécier le
respect par les Etats de leurs obligations, une forte proportion d'entre eux,
appartenant notamment aux zones Afrique et Océanie, s'abstient de rendre
un tel rapport, ou bien le rend tardivement ou de façon
incomplète.
Par ailleurs, et sans qu'il soit aisé là encore de faire le
partage entre leur mauvaise volonté et leur manque de moyens,
de
très nombreux Etats ne respectent pas les dispositions des conventions
leur faisant obligation, d'une part de limiter aux seules fins
médicales et scientifiques la fabrication, le commerce, la distribution
et l'utilisation des substances stupéfiantes et psychotropes, d'autre
part de prévoir des sanctions dissuasives lorsqu'il s'avère que
certaines personnes ont effectué de tels actes à des fins non
médicales ou abusives.
En effet, la culture et le commerce illicites de substances psychoactives
continue de perdurer à une très vaste échelle dans de
nombreuses régions du monde (Afghanistan, Maroc, Bolivie ...), tandis
que la fabrication de stimulants de synthèse de type amphétamine
ou ecstasy prend une ampleur sans précédent, notamment en Europe.
Ce dynamisme du marché mondial des drogues illicites s'accompagne
souvent d'une inaction des Etats concernés, voire de leur complaisance
lorsque, comme l'a évoqué le criminologue Xavier Raufer à
propos de la Bolivie et même de Singapour, ils en retirent un avantage
financier.
Or,
le dispositif onusien de contrôle des drogues
, et notamment
l'OICS qui en constitue le « bras judiciaire »,
ne
possède pas vraiment d'instruments adaptés permettant de faire
cesser systématiquement toute infraction par un Etat à la
législation internationale
. M. Franquet a ainsi expliqué que
ces instruments, qui vont «
du simple avertissement jusqu'à
l'embargo (...) des médicaments psychotropes à destination du
pays ou venant du pays (litigieux)
», posent plusieurs
problèmes en pratique : les organes de l'ONU n'y recourent que
«
petit à petit
» ; le processus de
sanctions n'est jamais mené jusqu'à son terme (l'embargo n'ayant
«
jamais été utilisé
») ;
l'unanimité qu'ils requièrent n'est que rarement acquise
(«
on n'est pas prêt, lorsqu'on est à treize autour
d'une table et alors que l'on va du Chinois au Français en passant par
le Philippin, à accepter des choses de façon unanime ou
même aux deux tiers
» a indiqué M. Franquet) et
leurs effets sont problématiques (de l'avertissement, qui n'est pas
réellement contraignant, à l'embargo, «
qui fait
surtout mal au type qui a besoin de psychotropes pour se soigner de la douleur
parce qu'il est en phase terminale du cancer
», a remarqué
M. Franquet).
Enfin, le système des Nations-Unies souffre d'un débat
international engagé sur le cannabis altérant son action à
deux niveaux. Tout d'abord, il subit la pression continue Etats ou
d'organisations non gouvernementales (telles que le Senlis Council, dont fait
partie M. Raymond Kendall, ancien directeur d'Interpol, ou encore
The European Foundation) cherchant à obtenir une modification de la
classification du cannabis. Il s'agirait de l'extraire des tableaux I des
psychotropes et I et IV des stupéfiants, qui sont identiques et le
soumettent à une quasi prohibition en raison de l'absence d'effets
médicaux connus, à un autre tableau dont le régime de
contrôle serait beaucoup plus souple.
Plusieurs arguments ont été avancés en ce sens, notamment
l'existence d'effets médicaux et scientifiques liés à
l'usage de cannabis (position de l'Angleterre) et le fait qu'il n'y aurait pas
d'abus du THC en tant que substance chimique isolée (idée
défendue par l'OMS). Or, M. Franquet a successivement rejeté ces
deux arguments : le premier parce que les recherches menées sur les
bénéfices du cannabis sur la santé «
sont
loin d'être concluantes
», le second parce qu'il
reviendrait à faire «
un pari sur les abus
»
et que «
la question de l'affichage
médiatique
» qu'il soulève «
chez les
gens mal informés ou mal intentionnés
» aurait des
effets «
catastrophiques
».
Par ailleurs, le système de contrôle des drogues des
Nations-Unies se trouve confronté à de nombreux Etats tels la
Suisse, le Canada, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne, le Portugal, le
Luxembourg ou le Royaume-Uni qui ont assoupli, ou s'apprêtent à
assouplir leur législation en matière de cannabis en violation
formelle des dispositions internationales précitées
. Lors de
la réunion de la Commission des stupéfiants à Vienne au
mois d'avril dernier, le directeur général du PNUCID, M. Antonio
Costa, s'est dit «
gravement
préoccupé
» par ces approches libérales qui
«
risquent de remettre en cause le régime de contrôle
international des drogues »
et «
ne sont pas en
accord avec les trois conventions onusiennes »
.
M. Franquet a illustré ces problèmes en se référant
à la Suisse, pays autorisant l'usage domestique, mais aussi la
fabrication, la transformation, la détention et la commercialisation de
cannabis dans certaines limites. Il a à ce propos avoué la
relative impuissance de l'OICS, chargé de faire respecter la
législation internationale sur les drogues, en tenant devant la
commission les propos suivants : «
On a dit aux Suisses que
c'était illégal par rapport aux conventions et ils nous ont
répondu que nous nous méprenions et que c'était à
titre interne. Nous leur avons donc répété (...) qu'ils
sont dans l'illégalité et qu'ils sont donc passibles des
sanctions prévues par les conventions (...). C'est une espèce de
menace. (...). C'est un premier geste. Je ne vais pas vous apprendre que, dans
le domaine international, les sanctions prennent du temps
».
M. Philip Emafo, président de l'OICS, a confirmé à la
délégation s'étant rendue à Vienne que son
institution connaissait des problèmes de ce type avec d'autres pays,
notamment la Hollande, qui reste insensible aux remarques et mises en garde
formulées à plusieurs reprises en raison de sa législation
sur le cannabis.
L'analyse de l'application qui est faite de ces conventions internationales
montre bien, aussi méritoires soient-elles, que le degré de
contrainte qu'elles font peser sur chacun des Etats parties en matière
de contrôle des drogues est extrêmement faible. Ceci est d'autant
plus vrai qu'elles ne sont assorties d'aucun véritable moyen de
sanction, si ce n'est la publicité que les organes de l'ONU peuvent
faire de leur non respect.
L'objectif d'une éradication totale, ou
à tout le moins d'une réduction substantielle de la production et
du commerce de drogues illicites dans le monde fixé en 1998 par
l'Assemblée générale des Nations-Unies lors de sa
vingtième session extraordinaire semble à ce titre loin
d'être atteint.