3. La répression des réseaux organisés et du trafic international : les difficultés pratiques et institutionnelles de mise en oeuvre de la législation
a) Des difficultés liées à l'insuffisante coordination institutionnelle des services répressifs
L'insuffisante coordination des services répressifs
en
termes de lutte contre les trafics de stupéfiants constitue une critique
récurrente adressée à l'encontre de la politique nationale
de lutte contre les drogues illicites.
Ainsi, dans son rapport public particulier de juillet 1998 sur le dispositif de
lutte contre la toxicomanie, la Cour des comptes soulignait «
les
difficultés rencontrées par l'Office central pour la
répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), que le
décret du 3 août 1953 charge de centraliser tous les
renseignements pouvant faciliter la recherche et la prévention du trafic
illicite de stupéfiants et de coordonner toutes les opérations
tendant à la répression de ce trafic, pour faire
reconnaître son autorité tant vis-à-vis des autres services
de police et de la gendarmerie que, surtout, de l'administration des douanes,
en raison de la réticence, voire du refus, de certains services ou
structures d'appliquer les textes qui lui confèrent un rôle
interministériel
».
Dans son rapport de suivi, rendu public en juillet 2002, la Cour des comptes
soulignait la persistance de cette insuffisante coordination des
différents services répressifs engagés dans la lutte
contre les trafics.
Enfin, dans son rapport d'évaluation du plan triennal de lutte contre la
drogue et de prévention des dépendances (1999-2002), non encore
rendu public, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies
(OFDT) souligne les carences de la coordination des services d'enquête
d'une part, des services répressifs d'autre part.
(1) La coordination des services d'enquête
La
circulaire judiciaire du 17 juin 1999 relative à la lutte contre le
trafic de stupéfiants avait notamment pour but une meilleure
coordination dans la conduite de l'action publique et encourageait la
création de structures locales de concertation afin d'éviter le
chevauchement des interventions visant à lutter contre le trafic.
A ce titre, d'après le rapport d'évaluation précité
de l'OFDT, «
quelques avancées ont pu être
observées au cours de la période triennale
»,
notamment grâce à la conduite d'une réflexion
interministérielle ayant permis d'identifier les principaux obstacles
à la lutte contre les trafics de façon à pouvoir les
contourner et guider ainsi le travail d'enquête.
En outre, il faut souligner que
l'annexe de la loi n° 2002-1094 du
29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la
sécurité intérieure
citait «
parmi les
priorités opérationnelles : la lutte contre le
développement du trafic de drogues qui génère en amont
comme en aval de multiples formes de délinquance et constitue un
fléau sanitaire qui frappe en priorité les jeunes. Dans ce
contexte, la nocivité de toutes les drogues doit être reconnue et
la dépénalisation de l'usage de certains produits
stupéfiants doit être rejetée »
,
et
préconisait le développement d'outils d'investigation
performants, ainsi que le rapprochement du système uniformisé des
produits stupéfiants (fichier STUP) entre les bases de données de
la police, de la gendarmerie et des douanes, sous la forme d'une mise en
réseau des informations détenues par ces trois services.
L'OFDT dresse en revanche un bilan mitigé des deux bureaux de liaison
permanents (BLP) mis en place en 1997 dans le Nord-Pas-de-Calais et aux
Antilles-Guyane en précisant que «
le partage des
renseignements et des objectifs s'est peu développé car les
structures qui devaient accompagner le fonctionnement des BLP pour
l'exploitation du renseignement et la définition des objectifs n'ont
jamais fonctionné
».
L'EFFICACITÉ MITIGÉE DES DEUX BLP
1 -
Le BLP de Lille
Le BLP de Lille se compose de trois agents : deux gendarmes et un
policier. Compte tenu de la proximité géographique des services,
la douane n'est pas représentée au sein du BLP, deux agents du
groupe « recherche » de l'échelon direction des
enquêtes douanières de Lille assurant la liaison entre la douane
et le BLP et intégrant les objectifs du BLP.
La cellule de coordination de Lille fonctionne depuis le mois d'avril 1998.
Dans cette base figurent, en permanence et en moyenne, un millier de fiches
d'identité d'individus faisant l'objet d'enquêtes et environ 250
objectifs en cours. Au 31 décembre 2002, 277 objectifs étaient
inscrits au BLP, dont 55 intégrés par la douane.
Les consultations du fichier, effectives de jour comme de nuit, ont permis
d'éviter 19 « doublons » d'enquêtes en
1999, 41 en 2000, 53 en 2001 et 58 en 2002. L'augmentation du nombre de
doublons évités au fil des ans indique une meilleure prise en
compte du dispositif BLP par les services répressifs.
Un état des objectifs est adressé chaque trimestre aux onze
procureurs de la République du ressort de la Cour d'appel de Douai.
Le BLP de Lille a également pour vocation de s'impliquer dans la
coopération transfrontalière. Il est l'interlocuteur
privilégié des officiers de liaison français en poste aux
Pays-Bas pour la région, l'échange de renseignements étant
constant. La présence d'un officier de police néerlandais dans
les locaux du BLP contribue également à la communication entre
les deux pays.
Le BLP s'efforce de mettre en place une coopération similaire avec la
Belgique, notamment avec le concours du CCPD de Tournai. Une réunion a
eu lieu à Mons (Belgique) le 3 février 2003 et le principe
de la transmission réciproque des renseignements a été
accepté.
Lors de son
déplacement à Valenciennes
, la commission
d'enquête a notamment pu rencontrer le major Thirard, représentant
du BLP de Lille. Ce dernier a indiqué que le BLP devait permettre des
échanges de renseignement entre les services de police, de gendarmerie
et des douanes, en collaboration avec un officier de liaison
néerlandais. En outre, il a précisé que la mission
principale du BLP était de mettre en contact tous les services
répressifs de la région, qu'en 2002 le BLP avait fait l'objet de
7.678 consultations contre 3.000 en 2000. Le commandant Gazan, chef d'escadron
de la gendarmerie de Valenciennes, a, quant à lui, estimé que le
BLP et le GIR étaient deux entités complémentaires et que
le BLP mériterait d'être généralisé sur le
territoire aux frontières. Enfin, le commandant Rossignol, adjoint au
chef du GIR de Valenciennes, a souligné que le BLP avait un rôle
de régulateur et qu'il permettait d'éviter les doublons dans les
enquêtes tandis que le GIR avait un rôle opérationnel, qu'il
devait appuyer l'ensemble des services répressifs dans le montage de
leurs dossiers « stupéfiants » et qu'il était
en droit d'exercer l'ensemble des prérogatives de poursuite de ses
membres participants.
Conçu à l'origine comme une structure de coopération
à vocation opérationnelle, le BLP s'est donc vu réduit au
rôle de simple régulateur sans réelle capacité
d'action.
2 - Le BLP de Pointe-à-Pitre
Le BLP des Antilles est actuellement composé de quatre
fonctionnaires : un policier, deux gendarmes et un douanier. L'agent de la
douane, issu de l'antenne de la direction des enquêtes douanières
de Guadeloupe, n'y est toutefois pas affecté en permanence, il assure
une présence partielle mais régulière permettant d'assurer
la liaison avec les services douaniers de la zone.
Au 31 janvier 2003, 194 objectifs étaient inscrits au BLP, dont 82
intégrés par la douane. Parmi les objectifs
intégrés par la douane en 2002, 24 doublons d'enquête ont
pu être évités.
Dans ses réponses au questionnaire adressé par la commission
d'enquête, le ministère de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales
précise que «
la cellule de coordination des Antilles,
basée dans les locaux du SRPJ Antilles-Guyane aux Abymes (Guadeloupe),
ne fonctionne pas de manière totalement satisfaisante et n'a pas
suffisamment fait la preuve de sa capacité à
fédérer les actions des trois administrations
répressives
».
A cet égard, lors de son
déplacement à
Saint-Martin
, la commission d'enquête a pu se rendre compte des
difficultés fonctionnelles rencontrées par le BLP Antilles-Guyane.
Ainsi, le Colonel Alain Despaux, commandant la gendarmerie de Guadeloupe, a
exprimé des réserves à l'encontre de cette structure et a
souligné l'existence d'un problème de coordination entre services
notamment en termes d'échange du renseignement. Il a estimé que
la question de l'utilité du Bureau de liaison permanent (BLP),
créé en 1997 sur la zone Antilles-Guyane, se posait. Il a
estimé que le BLP permettait certes d'éviter le chevauchement des
enquêtes mais qu'il ne permettait pas une synthèse du
renseignement et la désignation d'un pôle opérationnel.
De même, M. Serge Garcia, représentant la direction
départementale de la police aux frontières de la Guadeloupe, a
estimé que les services opérationnels ne redistribuaient pas de
manière efficace le renseignement auprès du BLP. En outre, il a
souligné que le GIR de Guadeloupe avait une existence quasi virtuelle.
Il a estimé nécessaire de créer une cellule administrative
commune afin de lutter contre les difficultés matérielles
d'échange de renseignement.
Plusieurs
réformes du fonctionnement du BLP
Antilles-Guyane ont
été envisagées pour 2003 :
- le BLP doit redevenir le centre de référence, le point de
passage unique et obligé dans le circuit de toute information en lien
avec la lutte contre le trafic de stupéfiants intéressant la zone
Caraïbe, que celle-ci provienne des services des départements
français d'Amérique ou de ceux, français ou
étrangers, présents dans la zone ;
- le BLP sera, au cours de l'année 2003, transféré de
Pointe-à-Pitre à Fort-de-France (Martinique). Le groupe de
travail interministériel, créé en mai 2002 pour
réfléchir aux modalités d'amélioration du
dispositif de lutte contre le trafic de drogue dans la Caraïbe, avait
initialement prévu une implantation du BLP dans les locaux de la
direction des douanes ; toutefois, conformément à l'avis du
Préfet de la région Martinique, il sera matériellement
installé dans les locaux du COMAR afin de faciliter les échanges
avec l'autorité maritime lorsque les renseignements impliqueront une
action en mer. L'objectif de la démarche est de rapprocher cette
structure des principaux centres de décision, tels que le préfet
de la Martinique, le COMAR, l'antenne de l'OCRTIS, la direction
interrégionale des douanes d'Antilles-Guyane et le Centre
interministériel de formation anti-drogue (CIFAD) ;
- enfin, le rôle du représentant de l'OCRTIS en Martinique
sera conforté afin qu'il puisse assurer l'animation et la coordination
de la structure pour, notamment, dégager un consensus sur les analyses
et les options opérationnelles. En outre, la gendarmerie nationale
installera au BLP deux militaires dont un officier supérieur et un
sous-officier, la police nationale un commissaire ainsi qu'un officier tandis
que la direction des douanes étudie les modalités de
délégation d'un représentant et, en cas
d'opérations dont la douane est à l'origine ou lorsqu'elle est
chargée de l'intervention, cette administration renforcera
temporairement sa représentation en tant que de besoins. Une permanence,
bénéficiant des liaisons sécurisées et du personnel
du COMAR, sera organisée de telle façon qu'elle couvre l'ensemble
de la plage horaire et qu'en dehors de ses heures de présence, le
personnel du BLP puisse être alerté à domicile.
(2) La coordination des services répressifs
La
circulaire judiciaire du 17 juin 1999 relative à la lutte contre le
trafic de stupéfiants insistait également sur le fait que
«
la coordination des services répressifs, tant en termes
d'objectifs que de modalités d'intervention des services, est
essentielle dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
L'insuffisance de celle-ci conduit inéluctablement à une moindre
efficacité de l'action judiciaire. Les parquets doivent en
conséquence s'impliquer pleinement dans la définition et la mise
en oeuvre de l'activité déployée par les services
répressifs
».
Le risque découlant d'une coordination défaillante des services
répressifs résulte de ce que plusieurs services, agissant en
enquête préliminaire ou sur commission rogatoire, enquêtent
sur le même trafic ou sur des séquences connexes, avec des
objectifs d'enquête parfois différents, de tels chevauchements
étant de nature à préjudicier aux résultats des
investigations. Sur ce point, la circulaire de 17 juin 1999
précitée rappelle «
les missions de centralisation
d'informations et de coordination dévolues à l'OCRTIS au sein de
la direction centrale de la police judiciaire
».
La question de l'articulation des services de l'Etat dans la répression
du trafic local notamment se pose avec acuité en raison des divergences
de vue s'étant exprimées dans le cadre des contrats locaux de
sécurité (CLS). Les CLS ont ainsi mis en évidence des
différences de conception et de logique professionnelle susceptibles de
produire des effets sur l'articulation des politiques en matière de
lutte contre les trafics de stupéfiants. La MILDT a ainsi tenté
de faciliter la mise en oeuvre d'une approche pénale cohérente
à l'égard des trafiquants des acteurs locaux et nationaux
participant aux CLS, par le biais des rencontres interrégionales des CLS
organisées en 2001 et 2002. A cette occasion, l'idée de concevoir
des contrats plus spécifiquement orientés vers la lutte contre
les trafics, au sein ou en dehors des cadres des CLS, a été
évoquée par les professionnels.
En outre, la circulaire du garde des Sceaux sur la sécurité du 9
mai 2001 a déterminé des outils permettant d'améliorer la
coordination locale des services répressifs, des administrations et des
intervenants institutionnel du territoire concerné autour d'objectifs
spécifiques, parmi lesquels la lutte contre le trafic de
stupéfiants, dans le cadre des groupes locaux de traitement de la
délinquance (GLTD). Cette orientation a été
confirmée par une circulaire interministérielle des ministres de
l'intérieur et de la justice du 5 septembre 2001 relative à la
mise en oeuvre d'actions répressives contre les infractions commises en
bande et les trafics locaux et notamment des actions ciblées sur le
démantèlement des bandes et la lutte contre les économies
souterraines fondées sur les trafics locaux de stupéfiants ou les
vols recels organisés.
Les recommandations contenues dans la circulaire du 17 juin 1999
précitée semblent, pour leur part, être restées
lettre morte puisque, dans son rapport d'évaluation du plan triennal de
lutte contre la drogue et de prévention des dépendances, l'OFDT
souligne que «
dans sa mission de coordination
interministérielle de l'action opérationnelle des services
concernés par le trafic de stupéfiants (gendarmerie et douanes),
l'OCRTIS semble s'être heurté à de nombreuses
résistances (
et)
peine à faire fonctionner sa
transversalité
». En outre, d'après les informations
fournies par l'OFDT, le nombre de fonctionnaires affectés à cet
office n'a cessé de diminuer et le détachement d'un agent des
douanes à l'OCRTIS a été particulièrement difficile
à concrétiser.
Force est toutefois de constater que l'ORCTIS a multiplié les efforts
pour améliorer la coordination entre services répressifs en
mettant notamment en place une réunion mensuelle sur les objectifs et en
travaillant à une meilleure association de la gendarmerie. En outre,
pour favoriser la collaboration des services d'enquête, l'OCRTIS a mis en
place un fichier de numéros de téléphone à
l'étranger (notamment en Espagne). Enfin, l'OCRTIS a lui-même
opéré annuellement près de 200 arrestations de trafiquants
et la saisie de près de 10 tonnes de produits stupéfiants.
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Nicolas Sarkozy a
d'ailleurs précisé : «
Sur l'OCRTIS, nous
allons mettre dix fonctionnaires de plus, c'est-à-dire 30 au total
à l'issue du programme -il y en a 80 aujourd'hui-, notamment des
officiers de liaison en poste à l'étranger (...) pour un pays
comme le nôtre, 110 personnes consacrées uniquement aux
renseignements et à la lutte contre les trafics internationaux sur la
drogue n'est pas rien
».
Les difficultés résultant de cette insuffisante coordination
de l'action des services répressifs sont toutefois en passe d'être
résolues grâce à la création en mai 2002 des groupes
d'intervention régionaux, les GIR, dont le bilan après moins d'un
an d'existence est particulièrement satisfaisant.
Dans son rapport d'évaluation précité, l'OFDT indique,
à ce titre, que «
les vertus d'une meilleure
intégration verticale, c'est-à-dire la mise en place de
structures nouvelles destinées à piloter de manière plus
centralisée l'action répressive constitue une piste qui doit
être exploitée. De ce point de vue, la création des GIR
constitue une innovation réelle en matière de coordination dont
les effets positifs devront être documentés
».
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure
et des libertés locales, a souligné les effets positifs induits
par la création des GIR en termes de lutte contre les trafics de
stupéfiants : «
Les GIR existent depuis une dizaine de
mois, très exactement depuis l'été 2002. Les GIR, rien que
sur la lutte contre la drogue et l'économie souterraine, ont
engagé 335 opérations, qui ont conduit à 2.500
arrestations, à la saisie d'une tonne de résine de cannabis, de
25.000 comprimés d'ecstasy et de 24 kilos d'héroïne et de
cocaïne. Manifestement, les GIR sont la voie la plus adaptée pour
lutter contre l'économie souterraine
».
LES
PRINCIPALES ACTIONS RÉALISÉES PAR LES GIR
EN MATIÈRE
DE LUTTE CONTRE LES DROGUES ILLICITES
DEPUIS LEUR MISE EN PLACE
La lutte
contre les trafics illicites de stupéfiants et l'infraction de
« proxénétisme de la drogue »
représente le tiers de l'activité des groupes d'intervention
régionaux. Associés principalement à des services
combattant ce phénomène au sein des banlieues sensibles, ils
participent à des enquêtes contre des trafics locaux où ils
apportent la valeur ajoutée de l'interministérialité par
le biais de la direction générale des douanes et la direction des
services fiscaux, certains moyens matériels et les effectifs
nécessaires aux perquisitions et auditions.
Depuis l'été 2002, les GIR ont été à
l'origine de 335 opérations de police qui ont fortement contribué
à restaurer la crédibilité des forces de l'ordre et des
administrations partenaires, notamment auprès des couches les plus
défavorisées de la population. L'ensemble des enquêtes a
permis l'arrestation de plus de 2.500 malfaiteurs dont une bonne part sera
poursuivie sur la base des textes du code pénal mais fera
également l'objet de sanctions fiscales ou douanières. Ces
interpellations ont été assorties de la saisie de près
d'une tonne de résine de cannabis, 25.000 comprimés d'ecstasty,
24 kilos d'héroïne et de cocaine. En outre, 2.5000.000 euros
d'origine frauduleuse ainsi que 235 armes à feu (dont des pistolets
mitrailleurs) ont pu être appréhendés.
En termes d'efficacité, il convient de ne pas s'arrêter au volume
des prises mais davantage sur l'impact des opérations au sein des
collectivités confrontées à une dégradation de
l'autorité de l'Etat.
Dans cette optique, quatre affaires principales méritent d'être
citées.
1- Celle réalisée le 17 septembre 2002 à Mulhouse, au sein
du quartier Saint-Fridolin qui, grâce aux investigations du GIR d'Alsace,
a retrouvé une vie normale après le démantèlement
d'un réseau d'économie souterraine mettant en cause plus de
trente personnes dont plusieurs mineurs qui s'étaient progressivement
approprié les lieux pour en faire un véritable marché aux
stupéfiants approvisionnant la localité de ses environs.
Cette intervention est également remarquable au plan des poursuites. Au
terme de la procédure de flagrant délit, 15 individus dont un
mineur ont été déférés. Les 14 majeurs ont
été cités en audience de comparution immédiate en
vertu des nouvelles dispositions prévues par l'article 40 de la loi
d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, et 12
d'entre eux ont été condamnés à des peines de
prison s'échelonnant de 6 mois à 2 ans, assorties
partiellement d'un sursis avec mise à l'épreuve.
2- Celle consécutive à la mise en évidence par le service
d'investigations et de recherches de la direction départementale de la
sécurité publique de Pau (Pyrénées Atlantiques),
d'un important trafic de résine de cannabis se déroulant
quotidiennement aux abords de la « maison des jeunes et de la
culture » et du terrain de basket-ball dans le quartier sensible de
« l'Ousse des bois ». L'ampleur des investigations a
conduit à la saisine du groupe d'intervention régional
d'Aquitaine en septembre 2002.
Le 18 novembre 2002, une vaste opération était
déclenchée à Pau, Bayonne et Lescar
(Pyrénées Atlantique).
46 personnes étaient placées en garde à vue tant pour
trafic de stupéfiants que pour « proxénétisme de
la drogue ». Les saisies opérées lors des perquisitions
confirmaient les faits (1,5 kilo de résine de cannabis et 500 g de la
même substance chez les deux organisateurs du trafic, 16.430 euros) et
l'implication présumée des suspects dans des affaires de vols et
de recel (véhicules, matériel vidéo, etc.).
Au terme de la procédure, 18 suspects ont été
écroués.
3- Celle réalisée le 25 mars 2003, en appui du service
d'investigation et de recherche de la circonscription de sécurité
publique d'Orléans et du service régional de police judiciaire
local saisis conjointement d'une enquête relative à un vaste
trafic de stupéfiants touchant les villes d'Orléans, de Tours, de
Vendôme, d'Epinal, de Saint Brieuc, d'Angers et de Strasbourg.
A cette occasion, le groupe d'intervention régional a parfaitement
rempli sa mission de coordination et de support en apportant aux deux
directeurs d'enquête l'appui de 29 personnes
« ressource », de 4 services extérieurs à la
région (Nancy, Rennes, Strasbourg et Angers), de
16 maîtres-chiens (des douanes, de la gendarmerie nationale, de la
direction départementale de la sécurité publique des
Yvelines) et des effectifs de sécurisation.
4- Celle consacrant l'aboutissement d'investigations menées depuis
l'été 2002 par le commissariat de sécurité publique
d'Evreux et le GIR de Haute-Normandie sur divers trafics semblant se
dérouler dans le quartier de la « madeleine »,
théâtre au printemps 2002 d'importantes émeutes
consécutives au décès par overdose durant sa garde
à vue d'un revendeur notoire d'héroïne. Les surveillances
mettaient en évidence plusieurs réseaux de revente de drogues
s'interpénétrant à l'occasion ainsi que de nombreuses
infractions incidentes (infraction à la législation sur les
sociétés de surveillance, travail dissimulé, aide au
séjour irrégulier, vols, escroqueries diverses).
Le 7 avril 2003, une vaste opération menée au sein de trois
quartiers sensible de l'agglomération ébroïcienne
permettrait la découverte d'un laboratoire clandestin de culture de
plants de cannabis, d'un kilo de résine de cannabis, de trois armes de
poing et de divers matériels, vêtements et denrées
alimentaires volés).
Sur les 36 personnes mises en causes, 12 ont été
écrouées.
5- Enfin, bien que rarement sollicités par des services enquêtant
sur des trafics internationaux, les groupes d'intervention régionaux ont
néanmoins contribué au succès de certaines affaires.
A ce titre figure l'importante saisie de 504 kilos de résine de cannabis
réalisée le 10 octobre 2002 à Lyon par le GIR de la
région « Rhône-Alpes » en appui du service
régional de police judiciaire local.
b) Des difficultés liées à la sophistication croissante des méthodes des trafiquants
Lors de
son audition par la commission, M. Nicolas Sarkozy, ministre de
l'intérieur, de la sécurité intérieure et des
libertés locales, a insisté sur un point crucial en termes de
lutte contre le trafic de stupéfiants :
«
Nous nous
apercevons que la force des mafias, car ce sont des mafias, est qu'elles sont
réactives et s'adaptent plus rapidement que l'Etat. J'aimerais que
l'Etat, en tout cas dans l'administration dont j'ai la responsabilité,
ait cette culture de la réactivité et de l'adaptabilité.
Il faut que nous puissions nous adapter tout de suite, beaucoup plus
rapidement. Eux s'adaptent à une vitesse stupéfiante. C'est leur
force. Il faut que nous le fassions aussi.
»
La commission d'enquête, au cours de ses travaux, a pu constater la
sophistication et la criminalisation croissantes des méthodes
employées par les trafiquants auxquelles les capacités
d'enquête et les moyens des différents services répressifs
sont aujourd'hui incapables de faire face.
(1) Les nouvelles technologies au service des trafiquants de drogues
Lors de
son audition par la commission d'enquête, M. Bernard Petit, chef de
l'OCRTIS, a déclaré : «
Le degré de
sophistication auquel on assiste aujourd'hui dans le trafic atteint des niveaux
inégalés. Les progrès de la téléphonie
mobile et la disposition du réseau internet facilitent grandement les
activités de trafic des organisations
spécialisées
et les rendent, par certains aspects,
moins vulnérables aux attaques de la police, de la douane, de la
gendarmerie et de la justice. Cela rend notre travail plus
difficile.
»
En effet,
les possibilités d'anonymat de la téléphonie
mobile constituent un obstacle important aux capacités d'enquête
des services répressifs,
de même que les difficultés
rencontrées par ces services pour obtenir des opérateurs de
téléphonie mobile les facturations détaillées dans
des délais compatibles avec les nécessités d'une
enquête.
Ainsi, M. Bernard Petit a souligné, lors de son audition par la
commission d'enquête, que «
tous les trafiquants de
stupéfiants aujourd'hui, depuis le petit jusqu'au plus grand, utilisent
les cartes prépayées, qui sont source d'anonymat et qui
empêchent toute identification. Vous pouvez avoir un informateur qui vous
donne une information capitale, notamment le numéro de
téléphone de telle personne, mais cela ne vous permet pas de
savoir qui se cache derrière la carte prépayée et la
facturation que vous allez obtenir, au mieux dans les quatre semaines qui
suivent, ne vous permettra pas une exploitation rapide : en quatre
semaines, le téléphone aura changé, la carte
prépayée aura été jetée après une
importation de résine et sera échangée par une
autre.
»
Il a ajouté : «
Ça n'est pas un problème
propre à la France, il ne peut sans doute être réglé
qu'au niveau européen et sa connotation commerciale
pour nos
opérateurs téléphoniques mérite d'être prise
en considération, mais cela explique pourquoi on piétine parfois
dans les enquêtes.
»
Dans son rapport sur l'évaluation du plan triennal de lutte contre la
drogue et de prévention des dépendances, l'OFDT mentionne cet
obstacle lié aux possibilités d'anonymat offertes par la
téléphonie mobile et précise qu'une discussion avec les
opérateurs de téléphonie mobile a été
ouverte et a fait l'objet d'un groupe de travail au niveau de la Chancellerie
et de la police judiciaire. Ainsi, l'accès aux renseignements relatifs
aux lieux et horaires des trafics, échangés anonymement par
téléphone portable, a été identifié comme un
canal d'investigation qui pourrait être utile aux services
d'enquête. Toutefois, l'OFDT souligne que «
les
opérateurs téléphoniques sont réticents à
coopérer : certains refusent ou répondent dans des
délais longs ; d'autres font preuve de « mauvaise
volonté, ne respectant pas le cahier des charges qu'ils ont signé
en matière d'interception ou opposant des tarifs prohibitifs qui
bloquent l'autorisation des recherches.
»
Toutefois, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2002-239 du
18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, les
opérateurs de services de télécommunications sont tenus de
permettre l'accès par les autorités judiciaires, les services de
la police et de la gendarmerie nationales, agissant dans le cadre de missions
judiciaires, à leurs listes d'abonnés et d'utilisateurs
complètes, non expurgées et mises à jour. Sur demande de
l'officier de police judiciaire, les organismes publics ou les personnes
morales de droit privé mettent à sa disposition les informations
utiles à la manifestation de la vérité, à
l'exception de celles protégées par un secret prévu par la
loi, contenues dans le ou les systèmes ou traitements de données
nominatives qu'ils administrent.
L'officier de police judiciaire
intervenant sur réquisition du
procureur de la République préalablement autorisé par
ordonnance du juge des libertés et de la détention
peut
requérir des opérateurs de télécommunication de
prendre sans délai toutes mesures propres à assurer la
préservation pour une durée ne pouvant excéder un an du
contenu des informations consultées par les personnes utilisatrices des
services fournis par les opérateurs
. Ils doivent mettre à
disposition les informations reçues dans les meilleurs délais par
voie informatique ou télématique.
(2) Des méthodes d'interception inadaptées à la nouvelle technique des « go fast »
Outre la
sophistication technique des méthodes employées par les
trafiquants, la commission d'enquête a également pu noter une
criminalisation croissante de ces méthodes au cours des dernières
années, liée essentiellement à l'émergence de la
technique des « go fast
»
, déjà
évoquée dans le présent rapport.
Cette méthode particulièrement violente impose une
nécessaire adaptation des capacités d'intervention des services
répressifs nationaux.
A la question de savoir s'il existait une solution aux problèmes des
« go fast
»
, M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS
a répondu: «
Oui. Nous organisons
régulièrement des bureaux de liaison entre les unités
spécialisées des « stup » de toute la France,
et nous avons mis au point une stratégie pour mieux lutter contre les
« go fast ». (...) Nous nous organisons davantage. Le vrai
problème des « go fast », c'est l'interception
matérielle de ces véhicules sans mettre en danger la vie des
usagers des autoroutes. Si, demain, alors que vous faites votre plein à
trois heures du matin sur l'autoroute, vous voyez arriver quatre « go
fast » à vos côtés et que la police commence
à tirer au fusil à pompe, vous ne serez pas content, ce qui est
normal. Les sociétés autoroutières nous demandent aussi
d'intervenir légèrement. Nous avons développé
certaines stratégies
(qui)
sont extrêmement vitales pour
nous et notre activité.
»
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales a
également souligné les difficultés rencontrées par
les services répressifs liées à la technique des
« go fast
»
. Il a en outre proposé plusieurs
pistes de réflexion destinées à contourner ce
problème : «
nous avons d'abord à mettre en
place une nouvelle doctrine pour piéger les autoroutes.
Les
autoroutes sont devenues des axes de circulation rapide pour la grande
délinquance
(...) pas simplement pour les trafiquants de drogue.
(...) Il faut que la gendarmerie comme la police changent leurs méthodes
sur les autoroutes. Nous sommes en train de travailler là-dessus. C'est
plus facile à dire qu'à faire. (...) J'ai demandé que l'on
travaille sur ces questions pour
mettre en place une nouvelle doctrine afin
de rendre dangereux pour les délinquants nos axes autoroutiers
.
C'est un premier élément
».
En outre, M. Nicolas Sarkozy a rappelé devant la commission
d'enquête que l'article 26 de la loi n° 2003-239 du 18 mars
2003 pour la sécurité intérieure prévoit que des
dispositifs fixes et permanents de contrôle automatisé des
données signalétiques des véhicules, permettant la
vérification systématique au fichier des véhicules
volés de la police et de la gendarmerie nationales, peuvent être
installés en tous points appropriés du territoire, notamment les
zones frontalières, portuaires ou aéroportuaires et les grands
axes de transit national et international. Cette disposition permet donc de
savoir «
si chaque voiture qui passe aux péages a
été volée ou pas
».
Enfin, M. Nicolas Sarkozy a rappelé l'acquisition de nouveaux
véhicules, plus modernes, pour la police et la gendarmerie nationales,
respectivement 5.000 et 4.400 en 2003.
Pour conclure son propos sur la question des « go
fast
»
, M. Nicolas Sarkozy a précisé :
«
Je ne vous dis pas que nous allons résoudre le
problème (...) mais des véhicules rapides, des fichiers de
lecture automatique des plaques de voiture volées aux péages, de
nouvelles stratégies d'intervention sur les autoroutes (...) pourront
produire des résultats.
»
La nécessité d'un changement des méthodes employées
par les services répressifs face à l'avènement de la
technique des « go fast
»
a également
été évoquée par M. François Mongin,
directeur général des douanes et des droits indirects, lors de
son audition par la commission d'enquête. Il a notamment insisté
sur la nécessité d'une coopération entre services
répressifs sur ce sujet et indiqué que la douane avait mis en
place une
« veille technologique »
permanente, en
collaboration avec les services de la gendarmerie, ainsi que des groupes de
travail chargé de réfléchir aux différents moyens
de sécuriser leurs méthodes d'interception ou leurs barrages.
Ainsi, M. François Mongin a déclaré devant la
commission d'enquête : «
Nous sommes en train
d'acquérir, en liaison avec la gendarmerie nationale, un nouveau
système de herses qui permettrait d'éviter ce type de passage de
vive force.
»
M. François Mongin a également tenu, lors de son audition,
à attirer l'attention de la commission sur les difficultés que
rencontraient les services douaniers ainsi que l'ensemble des services
répressifs à opérer des contrôles sur les grands
axes routiers et autoroutiers : «
Les grands axes routiers,
les voies express, les autoroutes deviennent en quelque sorte des tunnels (...)
et nous avons de plus en plus de difficultés à obtenir des
sociétés d'autoroute des plates-formes de contrôle et des
locaux de visite ou de contrôle qui permettent à nos agents et aux
gendarmes (...) d'effectuer en toute sécurité des contrôles
permettant de savoir si un camion transporte ou non des
stupéfiants.
»
Sur le même sujet, M. Gérard Estavoyer, directeur national du
renseignement et des enquêtes douanières, a précisé
que les services douaniers essayaient de «
travailler le plus
possible sur le renseignement afin de faire interpeller ces véhicules
non pas par des services classiques mais par des services particuliers (...).
Les deux façons de lutte contre les « go fast », sur
terre comme en mer, sont d'une part, le renseignement et, d'autre part, la
technique pour essayer de les immobiliser d'une façon ferme et sans trop
de dommages.
»
(3) Les « bolitas » : nouvelle technique de transport des drogues dures
Lors de
son déplacement à Saint-Martin, la commission d'enquête a
été particulièrement sensible à la recrudescence du
phénomène des passeurs, ou « mules », qui
ingèrent des quantités parfois considérables
(jusqu'à 1,7 kilogramme) de drogue (cocaïne, parfois
héroïne) sous forme de boulettes, ou
« bolitas ».
M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, a expliqué cette technique lors de
son audition par la commission d'enquête : «
On roule
la cocaïne dans des préservatifs, on la compacte selon un
procédé particulier, on avale trente, quarante ou cinquante
boulettes et on se présente à l'aéroport de Roissy pour
emmener ces boulettes jusqu'à Barcelone. Cela entraîne de temps en
temps des incidents graves : si une boulette s'ouvre, on se retrouve dans
le coma et en réanimation
».
Cette nouvelle technique de transport de la drogue pose de nombreuses
difficultés aux services répressifs chargés de la lutte
contre le trafic de stupéfiants.
A cet égard, M. Bernard Petit a souligné lors de son
audition : «
nous sommes face au dilemme suivant : d'un
côté, il nous faut interpeller ces passeurs aux
aéroports ; si nous les laissons venir impunément dans notre
pays, cela créera un appel d'air, les flux ne feront que
s'accroître (...) ; d'un autre côté nous ne pouvons pas
engager toutes nos forces pour lutter contre ces passeurs. En effet, tandis
qu'un passeur arrive avec 600 ou 700 grammes, cela n'empêche pas un clan
lyonnais ou marseillais d'importer 400 kilos par voilier. Il faut donc
équilibrer nos forces et penser à la stratégie par rapport
aux passeurs avec leurs boulettes et leurs 600 grammes et aux gros trafiquants
qui importent massivement par camion et bateau
».
Le phénomène des « bolitas
» est
commun à l'ensemble des pays européens et particulièrement
important aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne.
LA RECRUDESCENCE DES PASSEURS À L'AÉROPORT D'AMSTERDAM-SCHIPOL
En 2000,
le nombre de passeurs de drogues interpellés à Schipol
était de 800 ; en 2001, il était de 1.233, soit une
augmentation de 54 % par rapport à 2000.
En 2002, le bilan de la situation est particulièrement inquiétant
puisque le nombre de passeurs interpellés étaient de 1.265 pour
un total de saisies évalué à 6.343 kilogrammes. Le total
des saisies de cocaïne s'élève à 6.232 kilogrammes,
tandis qu'il est seulement de 9,3 kilogrammes d'héroïne. Les
saisies de résine de cannabis s'élèvent à 100,6
kilogrammes pour 1,2 kg d'herbe. Sur les 1.265 passeurs interpellés, 867
personnes l'ont été alors qu'elles transportaient des produits
stupéfiants
in corpore
.
Pour tenter de trouver une solution au phénomène des
« bolitas », les autorités judiciaires
néerlandaises ont mis en place une procédure simplifiée
qui leur permet de laisser en liberté les personnes pour la
première fois interpellées de nationalité
néerlandaise et ayant une adresse aux Pays-Bas. Ces personnes seront
convoquées à une date ultérieure pour être
jugées par un tribunal. Les mesures prises par les autorités
néerlandaises visent à restreindre le nombre de détentions
provisoires. Dans la pratique, de nombreux passeurs sont ainsi laissés
en liberté lorsque les quantités importées sont
inférieures à 1,5 kg.
En outre, pour tenter de faire face à la recrudescence des passeurs, les
autorités néerlandaises ont été contraintes de
prendre un certain nombre de mesures parmi lesquelles la construction de
locaux, dans l'enceinte de l'aéroport de Schipol. Courant 2002, les
autorités de l'aéroport de Schipol ont ainsi identifié
jusqu'à 47 passeurs voyageant à bord d'un même avion en
provenance de Curaçao (Antilles néerlandaises). A la fin du
premier trimestre 2003, les services répressifs de Schipol devraient en
outre disposer de 100 cellules pour accueillir ces passeurs.
Parallèlement, afin de lutter contre les trafics en amont, les
capacités de contrôle dans les aéroports des Antilles
néerlandaises ont été renforcées. Une
coopération plus étroite avec la compagnie KLM a
été mise en place. Du matériel de radiographie a
également été dépêché sur
l'aéroport d'Hato - Curaçao au début du mois de janvier
2003. L'installation de ce matériel a été
décidée afin d'accroître les possibilités
d'identification des passeurs avant leur embarquement.
Enfin, depuis le 1
er
octobre 2002, le gouvernement
néerlandais a mis en place un programme de renvoi des passeurs en
provenance de pays étrangers après admonestation. Les passeurs
faisant l'objet de ce traitement peuvent néanmoins faire l'objet de
poursuites judiciaires dans leur pays d'origine et doivent être interdits
de territoire pendant une période de dix ans.
L'augmentation importante du nombre de passeurs ne permet pas aux
autorités de l'aéroport de Schipol de mener des investigations
d'envergure permettant l'identification des personnes dirigeant les
réseaux internationaux de trafic de stupéfiants.
La saturation actuelle de certains aéroports européens pourrait
avoir pour conséquence une intensification du passage de passeurs de
drogues par les grands aéroports parisiens. D'après les chiffres
avancés par M. Bernard Petit, l'aéroport de Roissy
représente environ 150 à 200 affaires par an, toutes
traitées par l'Office central pour la répression du trafic
illicite des stupéfiants. Toutefois, il a ajouté que
«
les filières boliviennes de Santa-Cruz, par exemple,
s'intéressent énormément à l'aéroport de
Roissy parce qu'elles sont moins durement frappées qu'à Heathrow
ou Schipol
».
Une réflexion quant à l'évolution des méthodes des
services répressifs à l'encontre de ce phénomène
est donc dès aujourd'hui nécessaire.
Cette adaptation doit
notamment reposer sur une intensification de la coopération
internationale entre services des différents aéroports
considérés comme les plus sensibles, un renforcement de la
coordination entre services répressifs nationaux ainsi qu'une
simplification des procédures judiciaires engagées à
l'encontre des passeurs.
Parmi les techniques les plus efficaces pour lutter contre ces passeurs de
drogue, la
technique du ciblage aérien
, mise en oeuvre par les
services douaniers, est celle qui a le plus fait ses preuves et qui permet de
détecter à l'avance quels seront les passagers susceptibles de
transporter de la drogue
in corpore
.
De plus, il s'agit d'un mode de transport qui a actuellement tendance à
se généraliser et qui ne touche plus seulement les
aéroports. Lors de son audition par la commission d'enquête, M.
Gérard Peuch, chef de la brigade des stupéfiants à la
direction régionale de police judiciaire de la préfecture de
police de Paris, a ainsi déclaré : «
Je
travaille avec les douanes parce que je suis chargé de gérer les
importations par les voies ferroviaires. Les gares étant à Paris,
on se rend compte qu'entre Amsterdam et Milan, au lieu de passer par les voies
aériennes, de plus en plus de « mules » (...)
passent par les trains. Je suis donc chargé de gérer les
procédures suite aux interpellations
douanières
».
(4) Des difficultés liées à l'insuffisante circulation de l'information et à l'absence de statut des indicateurs
Le
renseignement et la circulation de l'information sont deux
éléments indispensables à la conduite des enquêtes
menées par les services répressifs dans la lutte contre les
trafics de stupéfiants.
Dans ce domaine, les carences aussi bien en termes de transmission et de
circulation de l'information d'une part, que de statut des informateurs des
différents services répressifs d'autre part, sont
avérées.
Dans son rapport d'évaluation du plan triennal de lutte contre la drogue
et de prévention des dépendances, l'OFDT souligne ainsi que les
efforts de mise en cohérence des interventions ont été
conséquents sur la période triennale mais qu'ils restent
limités par un certain nombre de facteurs. Ainsi, le rapport indique
que, «
au stade de l'enquête sur les trafiquants ou sur ceux
qui leur sont indirectement liés, les services spécialisés
se heurtent à de nombreux problèmes techniques : les
délais de transmission de l'information d'un service à l'autre
persistent, les moyens techniques ou en personnel sont insuffisants, les outils
juridiques s'avèrent inadaptés ou insuffisants
».
En outre, au stade de la constatation de l'infraction de trafic,
«
la complémentarité entre les services de police,
de gendarmerie et des douanes ne fonctionne pas encore de façon
suffisamment efficace ; malgré des efforts de rapprochement, la
circulation de l'information ne permet pas de confondre en temps réel
les trafiquants ou leur complice
».
A cet égard, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales, a
déclaré, lors de son audition par la commission
d'enquête : «
Je souhaite développer le
renseignement sur le grand banditisme, sur les trafiquants de drogue et
l'infiltration. Ce qui fonctionne avec le terrorisme doit être
utilisé avec les mafias
».
Parallèlement, l'attention de la commission d'enquête a
été attirée à plusieurs reprises sur le
problème du
statut des indicateurs
des différents services
répressifs.
M. Gérard Peuch, chef de la brigade de stupéfiants à la
direction de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, a
souhaité lors de son audition donner un réel statut à
l'indicateur de police, sur le modèle de « l'aviseur des
douanes »,
« afin de normaliser et de judiciariser les
relations que nous pouvons avoir avec ces personnes dont nous avons besoin
à 101 %. Les relations que nous entretenons avec les indicateurs de
police sont toujours considérées soit comme malsaines, soit comme
ambiguës, en tout cas suspectes. C'est une revendication de l'ensemble des
personnels de la police judiciaire (...) on ne peut pas continuer à
initier des enquêtes en imaginant des faits faux pour mieux
protéger un indicateur de police. Il faudrait avoir le courage de dire
que nous avons pu traiter une affaire parce que quelqu'un nous a
renseignés.
».
Il en va de même pour la gendarmerie nationale.
Le statut de « l'aviseur » douanier
est sans doute
le plus pertinent. Lors de son audition par la commission d'enquête, M.
Gérard Estavoyer, directeur national du renseignement et des
enquêtes douanières, a précisé :
«
Pour l'instant, seule la douane est capable de
rémunérer ses aviseurs de façon correcte, légitime
et parfaitement légale
».
Il a ajouté : «
On peut qualifier les relations entre
un aviseur des douanes et les services des douanes comme obéissant
à une espèce de contrat civil : un aviseur s'engage à
fournir un certain nombre de renseignements et, si ce renseignement est utile
et s'il produit une affaire, cet aviseur peut être
rémunéré dans la parfaite légalité. Cela
nous permet aussi de ne faire aucune concession avec les aviseurs, dans la
mesure où, dès l'instant où ils sortent de ce contrat sur
une affaire que nous connaissons et dont il nous a parlé, nous n'avons
pas, comme d'autres, à le protéger. Nous ne le protégeons
que sur ce que nous connaissons. Il y a donc une certaine souplesse et des
textes qui ont le mérite d'exister
».
Il a ajouté que ces aviseurs étaient
rémunérés sur la base du chapitre 15-03 de la dette
publique, celui du produit des amendes et des confiscations, pour lequel il
existe des barèmes précis et limités. Ce barème est
fixé au «
tiers théorique
(du produit des
affaires)
avec un plafond (...) actuellement fixé à 3.000
euros, et seule une décision du directeur général des
douanes peut permettre d'autoriser son dépassement
».
Parallèlement, dans le cadre de la procédure douanière
dite des livraisons surveillées, l'article 67
bis
du code des
douanes régit le statut des agents douaniers infiltrés, qui ne
peuvent être pénalement responsables si, dans le cadre de leurs
activités d'infiltration, ils acquièrent, détiennent,
transportent ou livrent des stupéfiants.
LES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 67 BIS DU CODE DES DOUANES
« Afin de constater les infractions
douanières
d'importation, d'exportation ou de détention de substances ou plantes
classées comme stupéfiants, d'identifier les auteurs et complices
de ces infractions ainsi que ceux qui ont participé comme
intéressés au sens de l'article 399 et d'effectuer les saisies
prévues par le présent code, les agents des douanes
habilités par le ministre chargé des douanes dans des conditions
fixées par décret peuvent, après en avoir informé
le procureur de la République et sous son contrôle,
procéder à la surveillance de l'acheminement de ces substances ou
plantes.
Ils ne sont pas pénalement responsables lorsque, aux mêmes fins,
avec l'autorisation du procureur de la République et sous son
contrôle, ils acquièrent, détiennent, transportent ou
livrent ces substances ou plantes ou mettent à la disposition des
personnes les détenant ou se livrant aux infractions douanières
mentionnées à l'alinéa précédent des moyens
à caractère juridique, ainsi que des moyens de transport, de
dépôt et de communication. L'autorisation ne peut être
donnée que pour des actes ne déterminant pas la commission des
infractions visées au premier alinéa.
Les dispositions des deux premiers alinéas sont, aux mêmes fins,
applicables aux substances qui sont utilisées pour la fabrication
illicite des produits stupéfiants et dont la liste est fixée par
décret, ainsi qu'aux matériels servant à cette fabrication.
Ne sont pas pénalement punissables les agents des douanes qui
accomplissent, en ce qui concerne les fonds sur lesquels porte l'infraction
prévue à l'article 415 et pour la constatation de celle-ci, les
actes mentionnés aux deux premiers alinéas. »
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Gérard
Estavoyer a précisé qu'un projet de loi devait être
prochainement déposé afin de modifier les dispositions de
l'article 67
bis
du code des douanes dans le sens d'une meilleure
protection des aviseurs douaniers. Il a en effet souligné que ce texte
«
qui date de 1991, ne permettait pas suffisamment (...) une
protection de ce que nous appelons les aviseurs. Ceux-ci étaient en
effet en péril absolu devant la justice s'ils étaient
découverts
».
Le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, présenté en conseil des ministres par le
garde des Sceaux le 9 avril 2003, prévoit une nouvelle
rédaction de l'article 67
bis
du code des douanes en
définissant la notion d'opération d'infiltration et en organisant
la protection pénale des agents des douanes participant à ces
opérations.
c) Des difficultés liées à l'insuffisante exploitation des outils législatifs disponibles
Outre des dispositions de procédure pénale dérogatoires au droit commun, certaines incriminations sont spécifiques au domaine des stupéfiants et constituent un arsenal législatif complet mais encore insuffisamment exploité dans le cadre de la répression du trafic de stupéfiants.
(1) Les dispositions visant à atteindre le patrimoine des trafiquants ou de ceux dégageant un profit indirect du trafic de drogues
La loi
n° 96-392 du 13 mai 1996, relative à la lutte contre le
blanchiment et au trafic des stupéfiants et à la
coopération internationale en matière de saisies et de
confiscation des produits du crime, a eu deux mesures novatrices :
- la création du
délit de blanchiment de fonds
provenant de tout crime ou délit ;
- la création du
délit de non justification de ses
ressources
par une personne ayant des relations habituelles avec un
trafiquant ou des usagers de stupéfiants.
(a) Les sanctions patrimoniales spécifiques au trafic de stupéfiants
La
circulaire judiciaire du 17 juin 1999 relative au renforcement de la lutte
contre le trafic de stupéfiants rappelle avec force
l'intérêt pour les magistrats d'avoir recours aux mesures
destinées à atteindre le patrimoine des trafiquants en estimant
que la privation du patrimoine des trafiquants doit constituer un axe
prioritaire de la politique criminelle en matière de lutte contre le
trafic de stupéfiants, passant par une mobilisation accrue des
magistrats aux fins de rechercher, d'identifier, de saisir et de confisquer les
produits du trafic.
Le législateur a adopté deux types de mesures
spécifiques destinées à atteindre le patrimoine des
trafiquants
, l'une visant à élargir l'assiette de la peine de
confiscation, l'autre visant organiser la mise en oeuvre de mesures
conservatoires permettant de figer le patrimoine identifié du trafiquant.
• L'élargissement de l'assiette de la peine de confiscation
S'agissant des infraction les plus graves à la législation sur
les stupéfiants, le législateur est allé au-delà du
régime de droit commun de la peine complémentaire de confiscation
qui, aux termes de l'article 131-21 du code pénal, s'applique aux biens
qui sont en lien avec l'infraction commise, qu'ils en soient le produit ou
qu'ils aient servi à la commettre.
Le deuxième alinéa de l'article 222-49 du code pénal
prévoit la possibilité d'une confiscation générale
du patrimoine du trafiquant : peut être prononcée la
confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu'en soit
la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis, dans les cas limitativement
prévus par les articles suivants du code pénal :
- article 222-34 : direction d'un groupement ayant pour objet le
trafic de stupéfiants ;
- article 222-35 : production ou fabrication de stupéfiants ;
- article 222-36 : importation ou exportation de stupéfiants ;
- article 222-38 : blanchiment de fonds provenant du trafic de
stupéfiants.
La confiscation peut donc porter sur des biens qui ne sont pas le produit de
l'infraction et qui peuvent avoir été acquis licitement,
antérieurement ou postérieurement à la commission de
l'infraction.
• La possibilité de prendre des mesures conservatoires en vue de
permettre la confiscation de tout ou partie des biens du condamné
Aux termes des dispositions de l'article 706-30 du code de procédure
pénale, le procureur de la République peut solliciter la prise de
mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen en cas
d'ouverture d'une information judiciaire pour les infractions prévues
aux articles 222-34 à 222-38 du code pénal dans deux
hypothèses :
- pour garantir le paiement des amendes encourues ;
- pour l'exécution de la confiscation générale
prévue au deuxième alinéa de l'article 222-49 du code
pénal.
Dans les deux cas, le président du tribunal de grande instance, sur
requête du procureur de la République, peut ordonner aux frais
avancés du Trésor et selon les modalités prévues
par le code de procédure civile relatives aux voies d'exécution,
des mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen. La
condamnation vaut validation des saisies confiscatoires et permet l'utilisation
définitive des sûretés. La décision de non-lieu, de
relaxe ou d'acquittement emporte de plein droit, aux frais du Trésor,
mainlevée des mesures ordonnées.
Peuvent ainsi coexister, dans une même procédure, deux initiatives
distinctes tendant à préparer la mesure de confiscation : la
mise en oeuvre des pouvoirs habituels de saisie du produit de l'infraction par
le magistrat instructeur et la mise en oeuvre par le parquet des dispositions
de l'article 706-30 du code de procédure pénale pour les
biens qui ne sont pas le produit du crime mais qui sont néanmoins
susceptibles de faire l'objet d'une confiscation.
Toutefois, dans son rapport sur l'évaluation du plan triennal de lutte
contre la drogue et de prévention des dépendances, l'OFDT a
estimé que la gamme des outils répressifs effectivement
appliqués à l'encontre des trafiquants est difficile à
estimer, toute tentative de chiffrage se heurtant aux
limites des
statistiques policières et pénales
, les peines
d'emprisonnement seules étant recensées. Par ailleurs
d'après l'OFDT, «
il semble que les peines de confiscation
prononcées par les tribunaux se limitent le plus souvent à la
seule confiscation des biens saisis lors des interpellations
».
En effet, la circulaire du 17 juin 1999 relative à la lutte contre le
trafic de stupéfiants souligne également que, faute
d'identification du patrimoine des trafiquants et en l'absence de mesures
conservatoires préalables prises au cours de l'information,
les
peines de confiscation prononcées par les tribunaux se limitent le plus
souvent à la seule confiscation des biens saisis lors des
interpellations, ou dans un temps très proche
.
La circulaire rappelle en outre que plusieurs facteurs concourent à
rendre complexes ces investigations, dont la difficulté de mettre en
évidence et d'appréhender les patrimoines des trafiquants en
raison de leur état d'insolvabilité apparente, ainsi que la
complexité de certaines investigations financières.
Dans leurs réponses au questionnaire adressé par la commission
d'enquête au ministère de la justice, les services de la
Chancellerie précisent à cet égard que «
le
système de recueil de données statistiques ne permet pas de
déterminer le nombre total des peines de confiscation prononcées
par les juridictions. Il ressort toutefois de l'analyse des différentes
procédures suivies par la direction des affaires criminelles et des
grâces en matière de trafic de stupéfiants et de
blanchiment que ce type de peine est très régulièrement
prononcé
».
En outre, ces services indiquent que la peine porte essentiellement sur le
produit direct ou indirect de l'infraction. En revanche aucune peine de
confiscation de l'ensemble du patrimoine du délinquant, en vertu de
l'article 222-49 deuxième alinéa du code pénal, n'a,
à leur connaissance, été prononcée à ce jour.
Une réflexion est actuellement en cours sur l'opportunité de
procéder à une révision du dispositif législatif
applicable en termes de sanctions patrimoniales des trafiquants.
Le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de
la criminalité
, présenté par le garde des Sceaux en
conseil des ministres le 9 avril 2003, devrait permettre d'étendre
au trafic de stupéfiants et au blanchiment l'application du
système juridique nouveau de saisie des avoirs criminels en lien avec
une entreprise terroriste introduit par la loi n° 2001-1062 du 15
novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne et
permettant d'autoriser la prise de mesures conservatoires par le juge des
libertés sur saisine du procureur de la République.
• Le régime douanier spécifique de confiscation
D'après le rapport d'évaluation de l'OFDT, «
ce sont
essentiellement les services douaniers qui procèdent aux saisies et aux
mesures confiscatoires. Cependant, l'utilisation des incriminations et
sanctions spécifiques dont disposent les services douaniers pour
réprimer des infractions liées au trafic n'a pu être
chiffrée très précisément avec les données
statistiques disponibles
».
La direction générale des douanes et droits indirects a fourni
à la commission d'enquête des informations précises quant
au régime de confiscation prévu par le code des douanes, à
la procédure d'aliénation des biens confisqués et à
la procédure de saisie pour sûreté des amendes
douanières régie par le code des douanes.
Ainsi, s'agissant du régime douanier de confiscation, l'article 323-2 du
code des douanes dispose que ceux qui constatent une infraction ont le droit de
saisir tous les objets passibles de confiscation, de retenir les
expéditions et tous les autres documents relatifs aux objets.
LES DISPOSITIONS DU CODE DES DOUANES PRÉVOYANT LA CONFISCATION
- l'article 412 vise «
la confiscation des
marchandises litigieuses
», c'est-à-dire celles sur
lesquelles porte l'infraction douanière ;
- l'article 414 dispose que «
sont passibles d'un
emprisonnement maximum de trois ans, de la confiscation d'un objet de fraude,
de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets
servant à masquer la fraude et d'une amende comprise entre une et deux
fois la valeur de l'objet de fraude, tout fait de contrebande ainsi que tout
fait d'importation ou d'exportation sans déclaration lorsque ces
infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de
celles qui sont prohibées ou fortement taxées au sens du
présent code
» ;
- l'article 415 (délit de blanchiment) prévoit
également que sont punis notamment de la confiscation de sommes en
infraction ou d'une somme tenant lieu lorsque la saisie n'a pas pu être
prononcée ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou
compensation, procédé ou tenté de procéder à
une opération financière entre la France et l'étranger
portant sur des fonds qu'ils savaient provenir, directement ou indirectement,
d'un délit prévu au présent code ou d'une infraction
à la législation sur les substances ou plantes
vénéneuses classées comme stupéfiants ;
- l'article 430 prévoit, à titre de peine
complémentaire, la confiscation de marchandises substituées, soit
en cours de transport de marchandises placées sous un régime
suspensif, soit sous douane, de même que la confiscation du moyen de
transport, en cas de refus d'obtempérer ;
- l'article 459, relatif aux infractions en matière de
réglementation des relations financières avec l'étranger,
prévoit la confiscation du corps du délit et des moyens de
transport utilisés pour la fraude.
La confiscation est une peine principale ; elle peut être
prononcée en nature et constitue une saisie réelle qui
transfère la propriété à l'Etat de tous droits des
objets confisqués. En outre, les juges ne peuvent dispenser le redevable
de la peine de confiscation dès lors que l'objet de la fraude a
été saisi au préalable et en nature.
Ainsi, en vertu des dispositions du code des douanes, une infraction
constatée à la législation sur les stupéfiants
donne lieu à :
- la saisie et la destruction de la marchandise ;
- une peine d'amende comprise entre une et deux fois la valeur de la
marchandise ;
- une peine d'emprisonnement maximum de trois ans ;
- la confiscation de l'objet de la fraude, celle des moyens de transport
et celle des objets servant à masquer la fraude.
S'agissant d'opérations de blanchiment provenant de la drogue, la
confiscation des sommes en infraction est également prévue par le
code des douanes.
L'action visant l'application des sanctions fiscales, dont la confiscation, est
exercée à titre principal par l'administration des douanes, sur
la base de l'article 343 du code des douanes. Lorsque le jugement est
passé en force de chose jugée, l'aliénation des objets
confisqués est réalisée par le service des douanes.
Les statistiques fournies par la direction générale des douanes
et des droits indirects ne permettent pas distinguer, au sein de
l'évaluation du montant des biens et objets confisqués par les
douanes, celui relatif aux seules confiscations réalisées dans le
cadre d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
RECETTES ISSUES DES VENTES DE MARCHANDISES
CONFISQUÉES
PAR LES DOUANES
En euros
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
903.961 |
1.315.329 |
1.485.144 |
1.034.915 |
783.558 |
877.469 |
494.705 |
463.117 |
608.109 |
340.612 |
Source : DGDDI
En application des dispositions de l'article 391 du code des douanes, la
répartition du produit des amendes et des confiscations s'établit
comme suit : 40 % du produit net des saisies sont affectés au
Trésor, 10 % à l'oeuvre des orphelins des douanes, 10 %
aux sociétés de secours mutuel intéressant le personnel
des douanes, le reste à la rémunération des ayants-droit
(saisissants, intervenants, transmetteurs d'avis, chefs, agents poursuivants,
dépositaires).
En outre, l'article 323-2 du code des douanes autorise, indépendamment
de la saisie de marchandises passibles de confiscation, la retenue
préventive, concomitamment à la constatation d'une infraction
douanière, des objets affectés à la sûreté
des pénalités. La retenue est donc effectuée dans le
même temps que la constatation de l'infraction et intervient comme
complément de la saisie des objets passibles de confiscation. A cet
égard, le pouvoir de retenue de l'article 323-2 peut être
appliqué aux sommes d'argent détenues par l'infracteur afin de
garantir le paiement des amendes qui seront prononcées au jugement,
notamment si l'infracteur n'apparaît pas solvable ou réside
à l'étranger.
D'après les informations fournies à la commission d'enquête
par la DGDDI, le système d'information comptable douanier ne permet pas
de distinguer les sommes perçues au titre des amendes de celles
perçues suite à des transactions ou à des confiscations,
ni les saisies de sommes en numéraire des saisies portant sur d'autres
moyens de paiement. De même, il est impossible de distinguer au sein du
montant des biens et objets confisqués par les douanes les sommes issues
d'une infraction à la législation sur les stupéfiants ou
du blanchiment de sommes provenant, directement ou indirectement, d'une
infraction à la législation sur les stupéfiants.
(b) La création du délit de non justification de ressources : une innovation méconnue
• Les dispositions relatives au
« proxénétisme de la drogue »
La loi du 13 mai 1996 précitée introduit un nouvel article
222-39-1 dans le code pénal, incriminant le fait pour celui qui est en
relation habituelle avec un usager ou un trafiquant de stupéfiants de ne
pouvoir justifier de l'origine de ses ressources ou de son train de vie.
Cette disposition a été spécifiquement conçue par
le législateur pour être mise en oeuvre dans les enquêtes
visant à lutter contre les économies souterraines et à
renforcer la répression à l'encontre de ceux qui, côtoyant
les trafiquants, profitent des fonds générés par le trafic
de stupéfiants sans s'y compromettre.
LES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 222-39-1 DU CODE PÉNAL
«
Le fait de ne pas pouvoir justifier de
ressources
correspondant à son train de vie, tout en étant en relations
habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à l'une des
activités réprimées par la présente section
[section IV : Du trafic de stupéfiants]
ou avec plusieurs
personnes se livrant à l'usage de stupéfiants, est puni de cinq
ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.
La peine d'emprisonnement est portée à dix ans lorsqu'une ou
plusieurs des personnes visées à l'alinéa
précédent sont mineures. Les deux premiers alinéas
relatifs à la procédure de sûreté sont applicables
à l'infraction prévue par l'alinéa
précédent.
»
Cette infraction instaure un renversement de la charge de la preuve selon
lequel la connaissance de l'origine frauduleuse des ressources est
présumée : si le parquet doit établir l'existence
d'une relation habituelle avec une personne se livrant à l'usage ou au
trafic de stupéfiants, il n'est pas tenu d'établir le lien
financier entre les ressources non justifiées et le produit de
l'infraction commise par le trafiquant ou l'usager de stupéfiants.
L'objectif de la création de cette nouvelle infraction, plus connue sous
le nom de « proxénétisme de la drogue »,
était de faciliter l'exercice des poursuites à l'encontre de ceux
qui profitent de l'activité des trafiquants de stupéfiants sans
se compromettre eux-mêmes dans la manipulation de ces substances ou sans
que leur implication ait pu être établie.
En outre, l'article 46 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative
aux nouvelles régulations économiques, en créant une
nouvelle infraction, codifiée à l'article 450-2-1 du code
pénal, instaure le même renversement de la charge de la preuve et
a pour objet de sanctionner pénalement les personnes dont la preuve de
la participation à une association de malfaiteurs ne peut être
directement rapportée, mais dont le train de vie et les relations
habituelles avec une ou plusieurs personnes membres de cette dernière
laissent présumer leur implication dans cette association.
La circulaire du 17 juin 1999 relative à la lutte contre le trafic de
stupéfiants invite les magistrats à utiliser pleinement les
possibilités légales permettant d'atteindre ceux qui participent
au retraitement du produit du trafic sans être impliqués dans sa
commission.
Force est pourtant de constater aujourd'hui que le bilan de l'application de
ce nouvel instrument juridique est particulièrement décevant
.
• Le bilan de l'application de l'article 222-39-1 du code
pénal
Dans son rapport d'évaluation du plan triennal de lutte contre la drogue
et de prévention des dépendances précité, l'OFDT
souligne que «
les signes extérieurs de richesse ont
été très peu exploités pour confondre les
trafiquants locaux alors qu'ils peuvent motiver l'engagement d'une
procédure judiciaire du fait de l'article 222-39-1 du code pénal.
Cet outil législatif puissant autorise en effet les services de police
à poursuivre ceux qui disposent de revenus qu'ils ne peuvent pas
justifier : il reste néanmoins peu mobilisé par les
juridictions. Cette désaffection s'explique en partie par une
collaboration difficile à mettre en place avec les services
fiscaux
».
En dépit des circulaires d'application tentant de relancer
l'article 222-39-1 du code pénal, passé inaperçu
à sa création en 1996, et malgré les efforts de formation
des services, cet instrument est faiblement utilisé par les services
répressifs et les magistrats. Qu'on en juge !
NOMBRE
DE CONDAMNATIONS PRONONCÉES
POUR NON JUSTIFICATION DE
RESSOURCES
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
0 |
7 |
10 |
8 |
13 |
Source : Chancellerie
La Chancellerie a dressé un premier bilan de cette application pour
l'année 2000, transmis à la commission d'enquête, et 12
parquets généraux, interrogés sur 26 dossiers
particuliers, ont été invités à préciser la
nature des actes d'enquête ayant servi à caractériser le
délit ainsi que les éléments constitutifs finalement
retenus.
Très majoritairement, les constats dressés dans les rapports des
parquets généraux font état de l'absence de situations
susceptibles de relever des dispositions de l'article 222-39-1 du code
pénal ou de la difficulté d'appliquer ces dispositions en raison
de l'ampleur des dossiers de trafics de stupéfiants, peu propice
à l'extension des enquêtes aux personnes non directement
impliquées dans le trafic.
Enfin, malgré des poursuites exercées de ce chef, plusieurs
relaxes ont été prononcées, le tribunal estimant que la
preuve n'était pas rapportée d'un train de vie hors de proportion
avec les ressources régulières du prévenu ou que les faits
étaient mal qualifiés.
L'analyse des rapports des parquets généraux révèle
cependant la généralisation des phénomènes
d'économie souterraine liés au trafic de stupéfiants,
l'impuissance des méthodes traditionnelles d'enquête à y
faire face ainsi que la nécessité de mutualiser les recherches
patrimoniales sur un objectif préalablement déterminé.
C'est pourquoi des initiatives locales prises par certains parquets ont eu pour
but de sensibiliser les différents enquêteurs ou de mettre en
place des cellules de coordination pluridisciplinaire composées, outre
des différents services enquêteurs, du responsable
départemental des douanes, du directeur adjoint des services fiscaux et
d'un représentant de la direction du travail, afin de développer
une action concertée entre différents services susceptibles de
détenir des informations utiles à l'action répressive.
Il faut toutefois noter, avec M. Yves Bot, procureur de la République
près le tribunal de grande instance de Paris, le
risque de rapide
obsolescence de ce type d'instrument juridique
:
«
À l'heure actuelle, dans un très grand nombre de
cas, ce n'est déjà plus le bon critère, parce que,
désormais, ils se méfient. On en a trop parlé et, les
quelques fois où cette idée a été utilisée,
la leçon a été assimilée. Ils sont très
réactifs et nous essayons de l'être autant qu'eux, mais nous avons
parfois du mal... Comme toujours, c'est la lutte de l'arme et de la
cuirasse
».
• Un effort de pédagogie nécessaire
La rareté de l'application de l'article 222-39-1 du code pénal a
posé la question de la formation des enquêteurs et des moyens mis
à leur disposition ainsi que celle de l'interprétation et de la
mise en oeuvre du texte, un certain nombre de relaxes ayant été
prononcées. Un groupe de travail interministériel sur la
méthodologie d'application de l'article 222-39-1 du code pénal a
été mis en place en mai 2002 afin d'envisager les
modalités de sa mise en oeuvre opérationnelle.
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Dominique Perben,
ministre de la justice, a souligné la faible mise en oeuvre du
délit de proxénétisme de la drogue :
«
Six ans après son entrée en vigueur, on constate
une méconnaissance relative de ce délit tant par les services
d'enquête que par les magistrats. Un document méthodologique sur
cette disposition sera donc réalisé et diffusé très
prochainement aux magistrats, policiers et gendarmes
».
Trois actions principales ont été menées par le
ministère de la justice dans le but de relancer le recours au
délit de non justification des ressources :
- l'élaboration par la direction des affaires criminelles et des
grâces d'un mode d'emploi opérationnel de l'article 222-39-1 du
code pénal proposant une « doctrine d'emploi » de
cette incrimination. Ce document, à destination des magistrats, des
policiers et des gendarmes, a été élaboré et
devrait être prochainement diffusé ;
- la facilitation du recueil d'informations :
*
en associant plus systématiquement à l'enquête les
services fiscaux
, au premier rang desquels les agents de la direction
générale des impôts qui, sur la base de l'article L.10 B du
Livre des procédures fiscales, issu de l'article 29 de la loi
n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la
sécurité quotidienne, concourent à la recherche des
infraction réprimées par l'article 222-39-1 du code pénal
dans le cadre des enquêtes menées sur instruction du procureur de
la République. A cette fin, ils procèdent à des recherches
de nature fiscale permettant de contribuer à la preuve desdites
infractions. Une circulaire interministérielle signée
conjointement par le directeur des affaires criminelles et des grâces et
le directeur général des impôts devrait être
prochainement diffusée aux parquets généraux ainsi qu'aux
directeurs des services fiscaux ;
*
en développant le partenariat avec la direction
générale des douanes et des droits indirects
, par le biais de
la transmission de la liste des détenteurs de produits
stupéfiants avec lesquels une transaction a été conclue,
de l'exploitation systématique des éléments contenus dans
les procédures de manquement aux obligations déclaratives et
enfin par l'association plus fréquente des agents des douanes aux
enquêtes judiciaires en application de l'article 28-1 du code de
procédure pénale
93(
*
)
;
- l'organisation de l'échange d'informations via notamment une plus
grande sensibilisation des services enquêteurs à l'approche
patrimoniale de la lutte contre les stupéfiants, en particulier dans le
cadre nouveau des GIR.
En outre, M. Dominique Perben, ministre de la justice, a précisé
devant la commission que le projet de loi portant adaptation de la justice aux
évolutions de la criminalité, présenté en conseil
des ministres le 9 avril 2003, prévoyait la création de
pôles de criminalité organisée et l'instauration de
procédures spécifiques au traitement de ce type de
délinquance. Il a ajouté : «
Je pense que ces
dispositions, si elles sont approuvées par le Parlement, permettront de
renforcer notre dispositif de lutte contre les trafics de grande ampleur
à travers (...) les juridictions interrégionales
spécialisées et les dispositions procédurales
spécifiques à ce type de délinquance
».
(c) La création du délit de blanchiment de fonds provenant de tout crime ou de tout délit
Jusqu'en
1996, seul le délit de blanchiment de fonds provenant du trafic de
stupéfiants était incriminé.
L'article 324-1 du code pénal créé par la loi du 13 mai
1996 précitée incrimine comme blanchiment le fait de faciliter,
par tous moyens, la justification mensongère de l'origine des biens ou
des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré
à celui-ci un profit direct ou indirect et le fait d'apporter un
concours à une opération de placement, de dissimulation ou de
conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
Ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375.000 euros
d'amende, et en cas de circonstances aggravantes, la peine est portée
à dix ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende. En outre, lorsque
le crime ou le délit dont proviennent les fonds blanchis est puni d'une
peine privative de liberté d'une durée supérieure à
celle prévue par les articles 324-1 ou 324-2 du code
pénal, le blanchiment est puni des peines attachées à
cette infraction sous-jacente.
LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU BLANCHIMENT
Blanchir
de l'argent consiste à « légaliser », par
divers procédés, le produit financier d'un crime ou d'un
délit.
La particularité du blanchiment réside dans le fait qu'il suppose
un « concours d'infractions », c'est-à-dire qu'il se
définit par rapport à une infraction sous-jacente ou initiale et
sur laquelle il s'appuie, par exemple un trafic de stupéfiants.
Il est possible de dégager un typologie des opérations de
blanchiment sériées en trois grandes catégories,
aujourd'hui établies au niveau international :
- le placement, qui conduit à convertir les sommes d'argent en
numéraire issues des trafics sous d'autres formes, telles que devises,
or, monnaie scripturale ou électronique ;
- la technique de l'empilage, qui interdit toute possibilité de remonter
à l'origine illicite des fonds, grâce à un système
complexe de transactions financières successives, au recours à
des sociétés-écrans ou encore à des paradis
réglementaires ;
- l'intégration, qui se traduit par l'investissement des fonds d'origine
frauduleuse dans les circuits économiques légaux d'un pays, afin
de leur donner une apparence licite. Une fois le procédé de
l'empilage achevé, le blanchisseur d'argent a en effet besoin de fournir
une explication pour conférer à sa
« richesse » une apparence légale.
Cinq types d'opérations de blanchiment permettant de répondre aux
besoins des organisations criminelles peuvent être
distinguées : les commerces de proximité, les
casinos
94(
*
)
, les actifs de
valeur, les transferts internationaux, enfin les intermédiaires
financiers et les centres offshore.
Le blanchiment des capitaux est difficile à évaluer compte tenu
de la diversité des activités frauduleuses qui l'induisent. Si
les chiffres varient selon les différentes structures d'experts, il est
uniformément admis qu'il représente des centaines de milliards de
dollars chaque année. Le FMI a indiqué en 1998 que l'argent
blanchi représentait 2 à 5 % du PIB mondial, alors que les
produits du seul trafic de stupéfiants en sont estimés à
1 %.
La circulaire judiciaire du 10 juin 1996 commentant les dispositions de la loi
du 13 mai 1996 précise que, à l'instar du délit de recel,
le délit de blanchiment est désormais applicable au produit de
tout crime ou délit, et non plus comme par le passé au seul
produit du trafic de stupéfiants. La France n'a pas souhaité user
de la faculté que lui offrait la convention de Strasbourg du Conseil de
l'Europe du 8 novembre 1990, relative au blanchiment, de limiter l'infraction
de blanchiment au produit de certaines infractions principales
déterminées. Ainsi, quelle que soit l'infraction criminelle ou
délictuelle dont proviennent les fonds en cause, toute justification
mensongère de l'origine de ceux-ci ainsi que tout concours
apporté à leur placement, dissimulation ou conversion,
constituent un délit.
L'objectif essentiel de la loi du 13 mai 1996, en créant un délit
général de blanchiment de fonds provenant de tout crime ou de
tout délit, était donc d'alléger la charge de la preuve de
l'élément intentionnel de blanchiment incombant au
ministère public.
Trois ans après son entrée en vigueur, l'incrimination
générale de blanchiment n'avait toujours pas fait l'objet d'une
appropriation réelle par les magistrats puisque la circulaire du 17 juin
1999 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants invitait
les parquets à solliciter des requalifications lorsqu'il apparaissait
que les poursuites ne pouvaient pas prospérer sur la base de
l'incrimination spécifique du blanchiment de fonds provenant du trafic
de stupéfiants.
Force est de constater aujourd'hui que le faible nombre de condamnations pour
délit de blanchiment en matière de trafic de stupéfiants
prononcées par les juridictions résulte du fait que la
qualification de délit général de blanchiment reste encore
largement sous-utilisée.
NOMBRE
DE CONDAMNATIONS PRONONCÉES POUR BLANCHIMENT
EN MATIÈRE DE
STUPÉFIANTS
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
7 |
21 |
24 |
21 |
44 |
Source : Chancellerie
Une des caractéristiques essentielles de la répression du
blanchiment réside dans la participation des organismes financiers au
repérage des fonds issus du trafic.
D'après l'OFDT dans son rapport d'évaluation
précité du plan triennal de lutte contre la drogue et de
prévention des dépendances, «
si le délit
général de blanchiment n'a pas donné lieu à une
jurisprudence abondante, les organismes financiers semblent avoir mieux
concouru au repérage des fonds issus du trafic de
stupéfiants
».
La loi n° 90-614 du 12 juillet 1990, relative à la
participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment
des capitaux provenant du trafic de stupéfiants, impose de nouvelles
obligations aux établissements de crédit et professions
financières, dont celle d'informer TRACFIN, la cellule de coordination
créée au sein du ministère de l'économie et des
finances, chargée du traitement, du renseignement et de l'action contre
les circuits financiers clandestins, chaque fois qu'une transaction leur
paraît suspecte : le principe de la « déclaration
de soupçon », qui rompt le secret bancaire, est ainsi
institué.
L'activité de la cellule TRACFIN a connu une forte progression en 1999
et en 2000 et globalement, les institutions financières ont davantage
contribué au démantèlement des filières de
blanchiment des capitaux issus de l'ensemble des trafics (stupéfiants et
autres). Ainsi, le signalement d'opérations suspectes au service
anti-blanchiment de TRACFIN a doublé au cours de la période
triennale, le nombre de déclarations de soupçons passant de 1.244
en 1998 à 2.537 en 2000.
Toutefois, le rapport d'évaluation précité de l'OFDT
précise que «
cette collaboration plus efficace des
services bancaires et financiers concernés est limitée de fait
par la faiblesse du pouvoir de sanction des organismes bancaires qui ne jouent
pas le jeu
». Les sanctions administratives prévues par la
loi à l'encontre de ces organismes n'ont, de fait, jamais
été mises en oeuvre. Le système de lutte contre le
blanchiment via la régulation bancaire est donc d'autant plus fragile
qu'il est exclusivement fondé sur la capacité de contrôle
et la bonne volonté des opérateurs financiers.
En outre, même si elles sont respectées, les mesures
anti-blanchiment s'adaptent lentement aux évolutions technologiques.
Ainsi, le groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux
(GAFI) a attiré l'attention sur le fait qu'internet présentait
trois caractéristiques aggravant certains risques classiques de
blanchiment d'argent : la facilité d'accès, la
dépersonnalisation des contacts entre le client et
l'établissement bancaire et la rapidité des transactions
électroniques. La mondialisation des marchés financiers peut
être considérée comme un facteur de risque
complémentaire.
Dans le cadre de son audition par la commission d'enquête,
M. Jacques Franquet, premier vice-président de l'OICS, a fait part
de sa crainte que le recours accru aux virements électroniques ainsi que
l'augmentation considérable du volume et de la rapidité des flux
monétaires ne réduisent la possibilité de détecter
les mouvements de capitaux illicites dans le monde, et ne se traduisent donc
par une augmentation du blanchiment de l'argent de la drogue. Il a
appelé de ses voeux la signature d'une convention internationale
permettant de réguler ces transactions électroniques.
L'OFDT note également dans son rapport d'évaluation que
«
les déclarations de soupçons des organismes
financiers semblent avoir connu une forte
« évaporation » entre le stade de leur transmission
à TRACFIN et celui de leur présentation aux autorités
judiciaires, puis tout au long du processus judiciaire
». Ainsi,
TRACFIN a porté 226 dossiers en justice en 2001, sur près de
3.000 déclarations de soupçons, parmi lesquels 6 % seulement
concernaient potentiellement des affaires de blanchiment d'argent issu d'un
trafic de stupéfiants, soit 13 dossiers environ.
D'après l'OFDT, «
cette déperdition peut s'expliquer
par la difficulté d'articulation entre le dispositif déclaratif
TRACFIN et le délit général de blanchiment : le
premier dispositif signale ce que le second n'a pas toujours les moyens de
traiter
». En pratique, les procureurs se trouvent souvent
bloqués par le fait que les dénonciations de TRACFIN
n'établissent pas de relation directe avec une infraction
caractérisée. Même s'il est avéré, un flux
financier suspect ne peut justifier des poursuites en tant que tel. En outre,
les délais d'enquête importants associés au travail de
TRACFIN orientent à la baisse le nombre d'affaires transmises à
la justice. C'est pourquoi, d'après l'OFDT, «
on peut se
demander si la place des instruments d'enquête pénale au sein de
la cellule TRACFIN est suffisante et si la qualification pénale du
soupçon de blanchiment ne doit pas être aménagée ou
mieux expliquée
».
La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles
régulations économiques prévoit de mieux relayer les
interventions consécutives à une déclaration de
soupçon en confiant à TRACFIN l'animation d'un comité de
liaison de la lutte contre le blanchiment des produits des crimes et
délits. Cette enceinte réunira les professions
déclarantes, les autorités de contrôle et les services
compétents de l'Etat.
(2) Les dispositions visant à la lutte contre la fabrication et la diffusion de nouvelles drogues de synthèse
Le
plan triennal de lutte contre la drogue invoquait la nécessité de
maîtriser la fabrication et la diffusion des drogues de
synthèse
. Compte tenu de la facilité de leur synthèse
à partir de matières premières d'emploi courantes dans
l'industrie chimique, les profits engrangés par la fabrication et le
commerce des drogues de synthèse sont aussi considérables que
difficiles à pister. En outre, la composition de ces drogues peut
être modifiée par des chimistes clandestins de façon
à obtenir des dérivés toujours plus puissants et
échappant au contrôle légal du fait qu'ils ne sont pas
encore inscrits sur la liste des stupéfiants.
Le plan triennal se fixait donc pour objectif, sur la base des dispositions de
la loi n° 96-542 du 19 juin 1996 relative au contrôle de la
fabrication et du commerce de certaines substances susceptibles d'être
utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de
substances psychotropes :
- d'améliorer les procédures d'identification des produits
stupéfiants et psychotropes utilisés à des fins
d'extraction de drogues ou de fabrication de produits de synthèse ;
- de renforcer le contrôle et la surveillance des produits chimiques
précurseurs de drogues.
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Didier Jayle,
président de la MILDT, a précisé à propos de la
lutte contre le trafic de drogues de synthèse :
«
L'administration répressive a toujours un train de
retard. Nous pouvons les aider à repérer le plus rapidement
possible l'apparition de nouvelles substances, contrôler les
précurseurs servant à la fabrication de ces produits. C'est
difficile, parce que ce sont des précurseurs utilisés dans
l'industrie chimique dans des quantités considérables et celle
détournée pour faire des drogues de synthèse correspond
à moins de 1 % du volume des transactions. Il est vrai qu'en
France c'est assez bien contrôlé. Néanmoins, nous arrivons
à avoir des soupçons sur certains
détournements
».
Avec moins de sévérité, l'OFDT, dans son rapport
d'évaluation du plan triennal, juge que «
les
mécanismes d'identification et de surveillance, développés
dans le cadre d'une coordination entre les multiples services
compétents, ont été mis en oeuvre et affinés au
cours de la période triennale
».
La mise en place de SINTES (Système d'identification national des
toxiques et substances)
pour répondre à l'objectif d'une
meilleure identification et d'un classement adapté des
stupéfiants et des produits psychoactifs répond également
en partie à un objectif de répression du trafic.
La part des drogues de synthèse dans l'ensemble des échantillons
de stupéfiants saisis et analysés par les douanes a connu une
augmentation continue au cours de la période triennale, ce qui
témoigne de l'extension rapide de ces nouveaux produits sur le
marché. En outre, à deux occasions en 2000, la direction
générale des douanes et des droits indirects a
déclenché le processus « alerte rapide drogues de
synthèse ». Le dispositif d'information rapide mis en place
dans le cadre de SINTES a également permis d'informer les partenaires,
notamment les services répressifs, de l'existence de produits en
circulation susceptibles de mettre en danger la vie des usagers.
L'OFDT précise dans son rapport d'évaluation du plan triennal que
«
les efforts de vigilance du dispositif de contrôle
juridique et administratif aux composants des nouvelles drogues de
synthèse se sont traduits par l'inscription de nouveaux produits sur la
liste des stupéfiants (...) de nouveaux précurseurs ont
également été identifiés ou
reclassés
».
S'agissant de l'action de la Mission nationale de contrôle des
précurseurs chimiques (MNCPC), l'OFDT souligne qu'actuellement la MNCPC
n'a pas les moyens d'aller au devant de tout négociant en prise avec les
précurseurs, du fait de moyens en personnel quantitativement trop
faibles et de possibilités de coordination insuffisantes pour de telles
ambitions.
Le principal moyen de la MNCPC pour contrôler le détournement
frauduleux de produits précurseurs destinés à la
fabrication illicite de produits stupéfiants est constitué par un
partenariat avec l'industrie et le commerce du secteur de la chimie.
Néanmoins, le nombre de déclarations de soupçons des
opérateurs industriels est resté faible et le rapport
d'activité pour 2001 de la MNCPC note que la mission ne reçoit
pas encore toutes les déclarations de soupçons exploitables qui
devraient lui être transmises.
La sensibilisation des industriels et négociants a été
développée par la MNCPC au cours des dernières
années, par le biais notamment d'une actualisation en 2001 du recueil
des textes réglementaires applicables aux précurseurs, par
l'organisation de plusieurs colloques et par le développement d'une
application informatique destinée à gérer les contraintes
administratives liées au signalement. La hausse du nombre
d'agréments sur la période triennale traduit ainsi une
adhésion croissante des professionnels à l'obligation
déclarative et une propension plus grande des industriels
concernés à collaborer à la surveillance et à
l'encadrement du commerce des précurseurs.
L'OFDT estime donc que «
les produits chimiques susceptibles
d'être détournés pour la fabrication de stupéfiants
ou de produits psychoactifs ainsi que les drogues de synthèse
elles-mêmes ont pu être mieux identifiés au cours de la
période triennale
».
En revanche, l'OFDT note que «
les moyens en personnel à
disposition des différents structures semblent, globalement, peu
suffisants, qu'il s'agisse des effectifs développés par la MNCPC
dans le cadre de la surveillance et du contrôle à l'exportation,
qui ne sont pas à la hauteur de ses missions, ou des services douaniers
affectés à la surveillance des exportations de produits chimiques
entrant dans la fabrication ou la transformation des drogues à
destination des pays et régions du monde les plus
sensibles
».