III. UNE RÉPONSE JUDICIAIRE ERRATIQUE

A. LA RÉPRESSION DE L'USAGE : UNE DÉPÉNALISATION DE FAIT

1. Des interpellations à la baisse

Les interpellations par la police, la gendarmerie ou les douanes pour usage simple, après deux années d'augmentation, ont connu un recul notable en 2001 (71.667 usagers, soit une chute de plus de 14 %).

La structure des interpellations est toutefois restée inchangée : près de 9 interpellations sur 10 concernent des consommateurs de cannabis 84( * ) .


 

1998

1999

2000

2001

Interpellations pour ILS

91.048

95.910

100.870

84.533

Interpellations pour usage simple

74.633

80.037

83.385

71.667

Part d'interpellations des usagers simples (%)

82,0

83,5

82,7

84,8

Interpellations pour usage simple de cannabis

64.479

70.802

73.661

63.694

Part d'interpellations pour usage de cannabis (%)

86,4

88,5

88,3

88,9

INTERPELLATIONS

1997

1998

1999

2000

2001

Evol, 1/2

Trafic international

1.369

1.278

1.274

1.245

1.083

-13,0 %

Trafic local

5.191

4.263

4.232

5.286

4.355

-17,6 %

Usage revente

12.281

10.874

10.367

10.954

7.428

-32,1 %

Usage

70.444

74.633

80.037

83.385

71.667

-14,0 %

TOTAL

89.285

91.048

95.910

100.870

84.533

-16,2 %

 

1997

1998

1999

2000

2001

Evol,
01/02

Interpellations pour usage simple

 
 
 
 
 
 

Cannabis

58.134

64.479

70.802

73.661

63.694

-13,53 %

Opiacés

9.168

6.052

4.955

4.863

3.816

-21,53 %

Cocaïne et dérivés

1.557

2.513

2.740

2.651

2.059

-22,33 %

Amphétamines, ecstasy

1.585

1.589

1.540

2.210

2.098

-5.07 %

Total

70.444

74.633

80.037

83.385

71.667

-14,05 %

Interpellations pour trafic et usage-revente

 
 
 
 
 
 

Cannabis

11.957

11.262

10.950

12.313

8.593

-30,21 %

Opiacés

4.755

2.813

2.362

2.238

1.579

-29,45 %

Cocaïne et dérivés

1.329

1.640

1.862

1.829

1.666

-8,91 %

Amphétamines, ecstasy

800

700

699

1.105

1.028

-6,97 %

Total

18.841

16.415

15.873

17.485

12.866

-26,42 %

Source : OCRTIS, 2001

La commission d'enquête s'est interrogée sur la signification d'une telle chute des interpellations, qui lui a semblé due à une certaine démotivation ressentie par les forces de l'ordre devant la réponse judiciaire apportée. Ainsi, M. Jacques Franquet, premier vice-président de l'Organe international de contrôle des stupéfiants et ancien chef de l'Office central de répression du trafic illite des stupéfiants, a exprimé devant la commission d'enquête le sentiment partagé par nombre de policiers et gendarmes : « On emploie une sorte de double langage incompréhensible : l'usage est prévu dans la loi mais, d'un autre côté, on ne le poursuit pas, et il devient presque honteux de poursuivre les usagers. Je suis désolé, mais c'est dans la loi, et je trouve qu'il n'y a rien de honteux à ce que les policiers fassent des interpellations d'usagers. Ils font leur métier de policier. »  M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale, a également déclaré devant la commission d'enquête : « Pour notre part, nous avons poursuivi systématiquement les usagers -on nous en a fait grief ces dernières années-, en considérant que des textes existent et que la gendarmerie fait partie des services répressifs qui doivent les faire appliquer. » Il a d'ailleurs indiqué que ces dernières années, marquées par une banalisation de l'usage dans les discours, les gendarmes voyaient de plus en plus de jeunes s'adonner à la consommation, ne serait-ce que dans un cadre convivial ou ludique, à l'occasion de certaines soirées et le week-end.

Il a semblé paradoxal à la commission d'enquête que des représentants de l'ordre soient ainsi contraints de se justifier d'exercer leur activité et elle souhaite elle aussi saluer l'action des forces de l'ordre en ce domaine.

Les directives en la matière paraissent en effet assez contradictoires.


Si la circulaire du garde des Sceaux du 17 juin 1999 préconise en effet que « les procureurs de la République attireront particulièrement l'attention des services de police et de gendarmerie sur les personnes dont la consommation cause des dommages sanitaires ou sociaux pour elles-mêmes ou pour autrui », la circulaire du ministre de l'intérieur du 11 octobre 1999 relative au renforcement de la lutte contre l'usage et le trafic local de stupéfiants tend à apporter des précisions aux services de police, la circulaire de la Chancellerie du 17 juin 1999 ayant provoqué des interrogations parmi les forces de l'ordre quant à l'attitude à adopter face aux usagers, et à dissiper le malaise provoqué par l'approche de l'usage de la MILDT.

Ainsi, elle précise aux policiers que l'interpellation privilégiée de consommateurs problématiques ne dispense pas d'agir également à l'endroit de tous les usagers, notamment de cannabis.

La baisse constatée en 2001 semble donc due en partie à un manque de lisibilité des objectifs de la MILDT, outre les modifications procédurales plus contraignantes intervenues à la suite de l'entrée en vigueur de la loi renforçant la présomption d'innocence.

Les signes forts donnés par le nouveau gouvernement et les objectifs ambitieux affichés dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de l'été 2002 semblent avoir rasséréné les forces de l'ordre.

Ainsi, M. Pierre Mutz, directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué lors de son audition que les faits élucidés en 2002 avaient augmenté de 14,6 % par rapport à 2001, soulignant que « cette variation était cohérente avec le degré d'investissement des enquêteurs de la gendarmerie dans la lutte contre ce type de délinquance ». M. Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, a également indiqué lors de son audition que « tous ces chiffres seront à la hausse en 2002. Cette année 2002 est assez bonne pour les services répressifs, une année de reprise très nette ». M. Michel Bouchet, chef de la MILAD a évoqué pour sa part un « saut qualitatif et quantitatif important dans la répression ». Les chiffres fournis par M. Alain Quéant, sous-directeur à la direction de la police urbaine de proximité de la préfecture de police de Paris, sont particulièrement impressionnants : en 2002, les faits constatés ont augmenté de 50,42 % et le nombre de personnes mises en cause de 47,9 %.

M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, a d'ailleurs rendu hommage à la mobilisation des forces de l'ordre lors de son audition : « Je veux souligner, parce que c'est mon devoir, que dans ce contexte, les services de police et de gendarmerie n'ont malgré tout, et c'est très méritant, pas relâché leurs efforts. Il faut du mérite, parce que cela donnait vraiment l'impression de vider la mer Méditerranée avec une cuillère à café. (...) Comment maintenir cette mobilisation des policiers et des gendarmes si l'on peut en toute impunité fumer du cannabis à la sortie même du tribunal où l'on a été convoqué ? (...) Tous les services se sont fortement mobilisés en 2002 dans la lutte contre la toxicomanie. Par rapport à 2001, c'est simple, les arrestations de trafiquants ont augmenté de 20 %, (...) les interpellations d'usagers ont augmenté de 13% et le nombre de saisies de drogues s'est accru de 23 %. Ces chiffres se passent de commentaires. »

Ainsi que l'a rappelé M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, « il n'y aurait pas de cohérence à réprimer sévèrement le trafic si, dans le même temps, l'attitude des pouvoirs public donnait le sentiment d'une forme de tolérance concernant la consommation. Trafic et consommation ne sont en effet que deux aspects de la même problématique et si, de toute évidence, les sanctions doivent être différenciées, il ne peut y avoir un langage et une action forts sur l'un et faibles sur l'autre. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur tient très fermement à marquer l'interdit qui pèse sur la consommation. Ainsi, pour l'année 2002, les interpellations d'usagers de stupéfiants ont augmenté dans les mêmes proportions que celles des trafiquants et leur nombre s'élève à plus de 80.000. »

M. Nicolas Sarkozy l'a d'ailleurs également rappelé : « Quelle logique y aurait-il à vouloir éradiquer les trafiquants sans lutter contre la consommation ? Tolérer la consommation est favoriser le travail des trafiquants, évidemment. Si le nombre de consommateurs augmente et si l'on peut tranquillement consommer, pourquoi voudriez-vous que les grands réseaux de trafiquants internationaux ne considèrent pas que notre pays est un lieu d'atterrissage, d'expansion et de commercialisation particulièrement sympathique, puisque vendre de la drogue est très mal, mais on ne dit rien si l'on en consomme ? Si ce n'était si grave, nous pourrions parler d'incohérence. Depuis quelques années, le discours dénonce les trafiquants, mais reste complaisant avec les usagers qui détiennent quelques grammes de cannabis ou quelques cachets, « toujours pour leur consommation personnelle ». C'est un illogisme absolu puisque, je l'affirme, il ne peut y avoir de trafic sans consommation. »

Le ministre a enfin clairement refusé de distinguer entre les drogues dites dures et le cannabis : « Le combat est pour que de moins en moins de jeunes consomment de moins en moins de drogues, quelles que soient ces drogues, quels que soient ces jeunes. Certaines substances sont illicites, mais il n'y a pas de drogues douces ou dures, pas de petite consommation personnelle, pas d'expérience individuelle, pas de jeunes « libres et branchés » ; il n'y a que des drogues interdites, des usagers qui mettent en péril leur santé et transgressent la loi, des drogues interdites parce que quoi que l'on ait pu en dire parfois, toutes les drogues sont nocives ;(...) Il faut ajouter, et c'est important, que ce ne sont pas les jeunes qui sont visés, mais bien ceux qui transgressent la loi, quel que soit leur âge. »

On l'aura compris, les forces de l'ordre ont désormais une « feuille de route » claire.

LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT À L'ÉGARD DES RAVE PARTIES

Le premier rassemblement de sound systems (un groupe de DJ et leur sono-ambulante) a eu lieu en France il y a 10 ans à la faveur d'un mouvement house et techno naissant.

Les raves se sont débord déroulées dans des entrepôts, péniches ou carrières abandonnées avant de devenir officielles, mais régulièrement interdites. Les free parties se sont alors développées. Ces rassemblements musicaux d'une durée de 2 à 4 jours se traduisent par l'afflux de milliers ou de dizaines de milliers de personnes vers des terrains ne comportant aucun équipement susceptible d'accueillir ce type de manifestation. Il en résulte des nuisances parfois fortes pour le voisinage, tandis que les sites occupés peuvent subir d'importantes dégradations. De même, la consommation de drogues, et en particulier d'ecstasy, apparaît particulièrement importante dans ces manifestations.

La prévention de ces rassemblements est très difficile en raison de leur caractère imprévisible, ainsi que du secret entourant le choix du site.

La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne prévoit désormais que les « rassemblements exclusivement festifs à caractère musical organisés par des personnes privées dans des lieux qui ne sont pas au préalable organisés à cette fin et répondant à certaines caractéristiques fixées par décret en Conseil d'Etat » (paru le 3 mai 2002) doivent faire l'objet par les organisateurs d'une déclaration auprès du préfet.

Cette déclaration mentionne les mesures envisagées pour garantir la sécurité, la salubrité, l'hygiène et la tranquillité publiques, ainsi que l'autorisation d'occuper le terrain donnée par le propriétaire. Le préfet peut imposer toute mesure nécessaire au bon déroulement du rassemblement, notamment la mise en place d'un service d'ordre ou d'un dispositif sanitaire, et interdire le rassemblement si celui-ci est de nature à troubler gravement l'ordre public ou si, en dépit d'une mise en demeure préalable adressée à l'organisateur, les mesures prises par celui-ci pour assurer le bon déroulement du rassemblement sont insuffisantes.

Si le rassemblement se tient sans déclaration préalable ou en dépit d'une interdiction prononcée par le préfet, les officiers et agents de police judiciaire peuvent saisir le matériel utilisé, pour une durée maximale de six mois, en vue de sa confiscation par le tribunal.

Ainsi que l'a indiqué M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des libertés locales lors de son audition par la commission d'enquête, il n'y a pas de raison d'empêcher l'organisation d'événements musicaux tels que les rave parties, chaque époque ayant eu son style musical et les concerts afférents.

Néanmoins, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 a fixé comme objectif de prévenir les nuisances liées aux rave parties. Après les incidents intervenus en août 2002 au col de Larche (Alpes-de-Haute-Provence), envahi par 5.000 ravers contestataires, des discussions se sont ouvertes en septembre et des médiateurs ont été mis en place dans chaque département. Les services du ministère de l'intérieur tentent de trouver des terrains, en échange de l'installation d'un PC de sécurité. Le festival techno du 1 er mai « Teknival », qui existe depuis 10 ans, a donc été organisé pour la première fois en concertation avec le ministère de l'intérieur sur la piste d'un aérodrome militaire désaffecté à Marigny-le-Grand (Marne). Il a réuni durant trois jours plus de 40.000 « teufers », sans incident majeur. La priorité absolue a été la sécurité du voisinage et la protection sanitaire des participants, souvent très jeunes. La Croix rouge comme Médecins du monde se sont félicités de pouvoir travailler dans ces conditions.

M. Nicolas Sarkozy a indiqué qu'il était exclu que la gendarmerie intervienne à l'intérieur des raves, qui peuvent compter jusqu'à 40.000 personnes : « une brigade territoriale de 4 ou 8 qui voit arriver 1.000 jeunes est de toute façon désarmée ». Il a cependant souligné que la gendarmerie assurait la sécurité en périphérie afin d'éviter tout débordement de la délinquance en dehors des lieux-mêmes des raves. Il en en outre souligné que si ces rassemblements n'étaient pas violents, l'intervention des forces de l'ordre pouvait tout faire basculer. Par ailleurs, il a rappelé qu'il était procédé à des contrôles d'alcoolémie et de drogue dans un périmètre de 30 kilomètres autour de la manifestation au moment de sa dispersion.

M. Xavier Raufer, criminologue, a indiqué à la commission que le profit potentiel pour les dealers se rendant dans une rave party était de plus de 750.000 euros par soirée.

Le phénomène des rave parties est suivi statistiquement depuis 1994. Il existe enfin un groupe d'étude commun police-gendarmerie sur les rave parties.

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