CONCLUSION DU COLLOQUE
M. Gérard Larcher, sénateur des Yvelines, président de la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat
Je voudrais remercier l'ensemble des intervenants, dont la diversité des horizons a permis de faire naître un débat riche qui n'a pas occulté la complexité du sujet abordé.
Comme Gérard Delfau, je pense essentiel que nous poursuivions le dialogue. Il y a une dizaine d'années un tel débat, sans a priori, sans omissions ni préjugés n'aurait pas pu avoir lieu.
Sans faire la synthèse des débats, je remarquerai que les problèmes ont été abordés dans toutes leurs dimensions, y compris sous des angles originaux. Retenons, par exemple, la nécessité de maîtriser les intrants en viticulture, ou encore l'intérêt de développer une pédagogie de l'alimentation dans laquelle une consommation raisonnée du vin aurait sa place, de façon à restaurer une régularité du rythme alimentaire.
Je laisse la parole à Hervé Gaymard qui va certainement nous apporter des notes d'actualité et quelques perspectives pour la viticulture et pour le vin.
ALLOCUTION DE CLÔTURE
M. Hervé Gaymard, Ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à clôturer vos travaux au programme dense et... gouleyant ! Vos échanges vont certainement contribuer à aller de l'avant et à nourrir encore davantage le travail remarquable qui a été fourni par la commission des Affaires économiques et du Plan du Sénat.
« Vin, Santé, Alimentation » : trois mots lourds de sens.
La modification des modes de vie, le poids croissant des exigences personnelles en matière de santé, la place que prennent les préoccupations collectives en matière de sécurité alimentaire et le développement des échanges sont autant de facteurs qui ont modifié le rapport entre le consommateur et son alimentation. Cette relation, sensible par nature, prend un relief particulier lorsqu'il s'agit du vin, qui est avant tout un art de vivre.
En effet, le vin est bien autre chose qu'un simple produit agricole ou qu'une vague commodity , comme disent nos amis anglo-saxons, que l'on pourrait échanger sur un marché désincarné à Londres ou à Chicago. Le vin est, d'ailleurs, de moins en moins considéré comme un simple aliment : il accompagne, met en valeur, complète et parfois sublime notre table. Mais il ne peut pas être confiné au secteur de la gastronomie, il est beaucoup plus que cela.
Le vin est tout un monde, chargé d'une très forte dimension culturelle et patrimoniale. Il a tracé notre histoire, dessiné nos paysages, façonné notre géographie, et il continue de faire battre le coeur économique et social d'innombrables régions ; il fait partie de notre histoire, de notre identité et de notre avenir.
Sur un peu plus de 3 % de notre surface agricole, la viticulture assure 15 % des livraisons et pèse pour plus de 40 % dans le solde agroalimentaire français. Ces chiffres se passent de commentaires.
Grande utilisatrice de main d'oeuvre, gestionnaire d'espaces et de territoires, fleuron de notre économie nationale et de nos exportations, ambassadrice de notre puissance agroalimentaire, la viticulture française demeure, à bien des égards, une référence que le monde entier nous envie pour sa tradition, ses qualités et son authenticité.
Mais comme vous le savez, aucun leadership ni aucune position ne sont acquis pour l'éternité... Ainsi, notre place ancienne et éminente est-elle aujourd'hui disputée et contestée : c'est d'ailleurs le constat sans ambiguïté qu'établit le groupe de travail sénatorial sur l'avenir de la viticulture française. Les faits sont là : le marché intérieur poursuit son repli, lent mais régulier, alors qu'une concurrence acharnée se développe un peu plus chaque jour sur les marchés de l'exportation. Cette évolution est le fait de ces nouveaux pays producteurs, dont la part dans le vignoble mondial a doublé en dix ans. L'exiguïté de leurs marchés domestiques les entraîne vers les marchés les plus solvables, avec des appuis et des moyens professionnels et publics extrêmement importants.
Dans ce contexte nouveau, où l'offre élargie est devenue excédentaire, la clé est le consommateur, et sa sensibilité.
Sur ce point, soyons clairs : les problèmes d'alcoolisation liés à une consommation excessive ne peuvent, ni ne doivent être niés. Ils doivent au contraire être dénoncés en toute circonstance.
Chacun sait que dans presque chaque famille existent des meurtrissures liées à la violence routière : il faut prendre en compte cette importante donnée pour éviter les malentendus et les positions par nature irréconciliables.
La filière viticole française a pleinement conscience de sa responsabilité dans la lutte contre les méfaits de l'alcoolisme. Je me félicite, à cet égard, que les professionnels et les experts rassemblés aujourd'hui sous la bannière « Vin et Société » aient entrepris de se rapprocher de la Ligue pour la Sécurité routière, afin de jeter les bases d'un partenariat. C'est ainsi, en prenant part à un combat commun et concerté, que la filière viticole pourra s'associer à une politique de santé publique fondée sur l'éducation du consommateur et participer à une prévention ciblée sur les comportements plus que sur la stigmatisation de tel ou tel produit.
Depuis trente ans, la consommation globale de produits alcoolisés ne cesse de se contracter, de même que la part du vin dans la consommation d'alcool des Français. Cela confirme, s'il en était besoin, que le vin ne peut être tenu pour seul responsable, loin s'en faut, de tous les maux liés à une consommation excessive d'alcool.
Certains travaux, auxquels il a été fait référence aujourd'hui, montrent qu'une consommation modérée de vin peut avoir des effets bénéfiques, en réduisant le risque d'apparition de certaines pathologies. Je sais, cependant, que quelques-uns de ces travaux sont contestés ; ainsi, quelle que soit l'appréciation que l'on peut porter sur ce débat, nous ne devons pas le laisser interférer avec les campagnes de communication conduites dans l'objet de promouvoir nos vins dans le monde. Nous avons bien d'autres atouts pour vanter la qualité de nos vins, sans avoir recours à des arguments que pourraient contester certains prescripteurs d'opinion sur les marchés que nous cherchons à développer.
Il semble donc important de solliciter les scientifiques de toutes les disciplines concernées et de les inciter à poursuivre leurs travaux en pleine et totale indépendance, dans toutes les instances publiques ou privées, nationales ou internationales, qui se sont déjà engagées dans cette recherche. D'une façon plus générale, je crois que la transparence et la mise à disposition du consommateur d'une information claire sur la nature, la valeur ou les effets de tel ou tel produit alimentaire est une tendance de fond avec laquelle il faut désormais compter. Tous les débats qui mobilisent régulièrement les enceintes communautaires, sur l'étiquetage, sur l'information fiable du consommateur et la traçabilité des produits en sont la claire illustration.
Pour autant, s'il est devenu essentiel de mieux faire connaître le produit, cela n'est pas suffisant pour gagner de nouveaux consommateurs, surtout dans des pays qui n'ont pas de tradition viticole. Tel est le défi que doit désormais relever la viticulture française : gagner ou regagner des parts de marché, séduire de nouveaux consommateurs chez nous et plus encore hors de nos frontières, là où nous sommes justement de plus en plus concurrencés.
Disant cela, je ne fais que résumer le diagnostic du groupe de travail sur l'avenir de la viticulture et de Cap 2010, un diagnostic qui semble aujourd'hui largement partagé. La réalité de l'enjeu ne fait plus de doute pour personne.
Une plus grande prise en compte des préoccupations du consommateur me semble être le fil conducteur de la réflexion engagée.
Partant de cela, certaines orientations que ce groupe de travail a tracées me paraissent pouvoir être retenues sans états d'âme.
Tout d'abord la nécessité d'un investissement large dans la qualité me semble fondamentale. Comme le rappelle le rapport, cela passe par la poursuite d'une restructuration qualitative du vignoble, par le contrôle de tous les vins en aval de la filière, et également par plus de rigueur dans la mise en oeuvre du suivi des conditions de production et de l'agrément. Cela est d'ailleurs une nécessité si l'on veut renforcer l'image et la qualité de ces produits. Je sais que des démarches constructives et vertueuses sont engagées. Il en a été question pour ce qui relève des appellations, et je sais que des initiatives se mettent également en place dans le secteur des vins de pays.
Il convient aussi de développer une politique de communication qui permette au consommateur de mieux connaître et surtout de mieux reconnaître nos vins, qui les rendent plus « visibles », comme l'indique le rapport. Il faut pour cela expliquer clairement et collectivement au consommateur étranger sur quoi repose notre politique des signes de qualité, ce qu'elle apporte et garantit. Il faut aussi coordonner les actions de communication en faveur des différents vins de notre pays, en France et plus encore à l'étranger, où il est important de ne pas disperser nos efforts, mais au contraire de les harmoniser, de les fédérer et surtout de les concentrer.
Il convient également que nos productions soient plus lisibles pour le consommateur, notamment à l'étranger où l'on considère que notre offre est trop complexe. Faut-il pour cela procéder à un reclassement des différentes catégories de vins, favorisant ainsi une nouvelle segmentation de l'offre française ? Faut-il regrouper au sein des vins de qualité produits dans des régions déterminées les vins assis sur une logique de terroirs, gage de typicité, et développer à côté de nouvelles catégories de vins bénéficiant d'un espace de plus grande liberté pour une plus grande compétitivité face aux produits concurrents des pays tiers ? Faut-il que, parallèlement à des signes distinctifs que sont les appellations d'origine ou les vins de pays, se développent des grandes marques de vins qui pourraient constituer des identifiants forts pour les consommateurs ?
Ce sont des questions essentielles, discutées et déterminantes pour l'avenir. Je sais que beaucoup y voient la clé de tous les problèmes que la viticulture française connaît depuis quelques années.
Ces options, comme vous le savez, représentent des choix lourds et durables pour l'ensemble du secteur et pour l'ensemble de nos régions viticoles. Cela mérite donc que l'on y réfléchisse bien et que l'on s'entoure de tous les avis, en particulier de ceux qui, sur le terrain, observent les évolutions en cours, les vivent et souvent s'en inquiètent. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité prendre le temps de la consultation, car je n'imagine pas que sur des sujets aussi fondamentaux, une quelconque option puisse être prise ici, à Paris, sans une volonté partagée et sans une ambition commune.
J'ai donc demandé à la filière de se saisir des différentes propositions qui se dégagent du document décisif du groupe Cap 2010 ainsi que du rapport sénatorial, afin que les professionnels, partout et au niveau de chaque maillon de la filière, puissent s'exprimer en toute liberté sur leur avenir. J'attends leurs conclusions dans les toutes prochaines semaines, en souhaitant parallèlement que la filière viticole française puisse disposer des outils réglementaires les plus pertinents. Or, le moins que l'on puisse dire est que, depuis la dernière réforme de 1999, l'organisation commune du marché n'a pas vraiment fait la preuve de son efficacité - c'est un euphémisme -, tant par son incapacité à traiter les crises conjoncturelles qui se sont succédées au cours des dernières campagnes que par la faiblesse de ses instruments structurels.
Face à ce constat, en arrivant rue de Varenne en juin dernier, j'ai saisi le Commissaire Fischler d'une demande d'adaptation de l'organisation commune du marché, afin que les améliorations nécessaires puissent être apportées aux instruments de gestion du marché et que le volet structurel soit complété par les mesures efficaces que réclame l'adaptation du vignoble : je pense, par exemple, à l'arrachage temporaire, que chacun - je crois - reconnaît aujourd'hui comme un besoin. Sur ce point particulier, les discussions sont encore en cours avec la Commission européenne ; nous ne ménageons pas nos efforts pour convaincre Bruxelles et j'espère être en mesure d'apporter des réponses concrètes aux viticulteurs ainsi qu'à l'ensemble du secteur avant la fin de cette année.
Je crois que les travaux conduits par le Sénat, un colloque comme celui-ci, qui offre une tribune de choix à des professionnels, des élus et des scientifiques, une filière qui se saisit sans hésitation et avec un grand souci de responsabilité d'une réflexion sur son avenir, tout ceci n'est pas un hasard ; ce sont autant de signes et d'événements qui méritent d'être soulignés.
Cela traduit tout d'abord la maturité d'une filière, son aptitude à élaborer un diagnostic sans complaisance et surtout à envisager une stratégie mobilisatrice. Pour le ministre de l'Agriculture, cela est évidemment un signal fort. Agriculture, alimentation et affaires rurales : tout se tient et, de ce point de vue, le vin est une sorte de synthèse de tout cela.
En France, le vin nous suppose et nous dépasse à la fois : il fait partie de notre identité, il met en valeur nos terroirs, il fait chanter nos vies et nos existences. Pour toutes ces raisons, nous avons un beau et durable combat à mener.
Dans le prolongement du rapport du groupe de travail sénatorial sur l'avenir de la viticulture française, publié en juillet 2002, la Commission des Affaires économiques du Sénat et le groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire ont souhaité organiser avec l'ensemble des acteurs concernés, un débat constructif et prospectif sur la situation de la filière viticole française et sur les rapports entre vin, santé et alimentation.
Le colloque qui s'est tenu le 6 novembre 2002 au Sénat a ainsi été l'occasion d'évoquer de nombreuses questions :
Comment appréhender l'évolution des modes de consommation du vin, qui demeure un produit lié aux traditions festives et gastronomiques ?
Quelles adaptations structurelles de la filière viticole sont nécessaires pour permettre à la France d'affronter « la bataille mondiale du vin » ?
Quel bilan peut-on tirer de la recherche scientifique relative aux effets du vin sur la santé ? Les derniers travaux confirment-ils le French Paradox ? Quel lien peut être fait avec le régime méditerranéen ?
Enfin, peut-on valoriser les résultats obtenus en termes de communication ?
Le présent rapport transcrit les interventions des personnes qui ont participé à cette journée.