2. Les réformes libérales des années 1990
a) L'influence croissante des négociations commerciales internationales
Le 15 septembre 1986 s'ouvre, à Punta del Este, un nouveau cycle de négociations commerciales internationales : l'« Uruguay Round ».
L'objectif des Etats-Unis et de leurs alliés est clair : il s'agit, s'agissant de l'agriculture, rien de moins que du démantèlement complet de la politique agricole commune.
On sait que leur sera finalement accordée, à l'issue de huit années d'un processus des plus chaotiques, une concession majeure : le renoncement aux prélèvements variables qui avaient été le rempart de la « citadelle Europe » en matière agricole.
Durant toute cette période, la démarche de la Commission européenne sera quelque peu ambiguë.
La participation aux négociations commerciales internationales et la recherche d'un consensus européen sur une réforme interne s'effectuent, en effet, parallèlement . L'observateur a peiné à discerner dans quelle mesure, aux yeux de la Commission, ce sont les nécessités de l'« Uruguay Round » qui auront pesé sur la réforme interne ou si, au contraire, ce sont les exigences de cette dernière qui ont influencé les positions prises par la Communauté lors des négociations.
A bien des égards, nous sommes aujourd'hui dans une situation comparable.
La PAC a assuré, pendant trente ans, le succès de l'agriculture européenne en déconnectant, dans une large mesure, le marché communautaire du marché mondial et ce, grâce à un double « système d'écluses » à l'entrée (prélèvements variables) et à la sortie (restitutions). Son démantèlement progressif tend à replacer le marché mondial et ses soubresauts dans la fonction de « pivot » du système et va requérir d'autres « variables d'ajustement ».
Les années 90 resteront celles d'une nouvelle réforme de la PAC (1992), des accords de Marrakech concluant le cycle de l'Uruguay Round (1994) et de l' Agenda 2000 (1999), réforme qui approfondit la précédente et commence à prendre la mesure financière de l'élargissement programmé à dix ou douze nouveaux candidats à l'Union européenne, en fixant un cadre budgétaire transitoire.
b) La réforme de 1992
La réforme de 1992 est l'aboutissement d'un processus de réflexion interne à la Commission (à partir de 1989) alors que les négociations du GATT se déroulent parallèlement, sous la pression des Etats-Unis dont l'objectif essentiel est le démantèlement progressif de la politique agricole européenne.
L'échec de la conférence ministérielle du GATT à Bruxelles, le 7 décembre 1990 (alors que l'Europe venait quasiment d'accepter de réduire ses soutiens internes de 30 % et de renoncer à ses « prélèvements variables » !), intervient dans un climat quelque peu délétère.
Publié le 31 janvier 1991, le document de la Commission « Evolution et avenir de la PAC» annonce le choix de la réforme , alors que les négociations du GATT sont provisoirement suspendues.
Après de nombreuses péripéties mais aussi un rapprochement franco-allemand très révélateur du climat consensuel prévalant lors de la signature du traité de « Maastricht », un accord est conclu le 21 mai 1992 . Même si elle se présente plutôt comme un document d'orientation, la réforme est, sur le fond, « révolutionnaire ». Elle fut néanmoins finalement acceptée -au bout d'un certain nombre de mois, il est vrai- par un monde agricole qui a su faire la preuve, une fois encore, de son degré de maturité.
De fait, il ne s'agit rien de moins que de consentir à de fortes baisses des prix européens garantis (et notamment des céréales) avec en contrepartie un mécanisme d'aides directes sous forme de primes à l'hectare ou à l'animal dont des règlements ultérieurs prévoiront les modalités de versement.
Par ailleurs, l'instauration de la « jachère obligatoire » (taux de 15 % en 1993 et 1994) conforte l'objectif de maîtrise quantitative des productions.
c) La réforme de 1999
Au mois de décembre 1995, le Conseil européen de Madrid lançait le chantier de « l'Agenda 2000 » afin de fixer le cadre financier de la PAC au-delà de 2000, dans la perspective de l'élargissement de l'Europe.
Le 4 avril 1996, les Etats-Unis mettaient en application une loi fédérale « pour l'amélioration et la réforme de l'agriculture » (le « FAIR Act ») dont les aides (dénommées « paiements de transition vers le marché ») sont -assurent-ils- entièrement « découplées » des productions, même si un « filet de sécurité » est mis en place en cas d'effondrement des cours (un seuil de déclenchement ou « loan rate » permettant l'attribution - proportionnelle aux volumes de production - de « loan deficiency payments »).
La Commission publia, le 16 juillet 1997, un document (« Agenda 2000 - Pour une Union plus forte et plus large », appelé aussi le « paquet Santer ») axé, avant tout, sur une volonté de maîtrise budgétaire désormais entérinée, au demeurant, par tout les Etats membres.
Le débat fut intense et nourri. Il durera plus de trois ans.
La France mit plutôt en avant les notions de plafonnement des dépenses, de dégressivité des aides et de « modulation » (chaque Etat pouvant disposer d'une partie des aides directes pour des actions liées, par exemple, au développement rural). Elle adopta, d'ailleurs, en 1998, une « loi d'orientation » qui mit en place une nouvelle forme de soutien : le « contrat territorial d'exploitation ».
L'Allemagne aurait préféré que l'on réfléchisse à un « co-financement » des aides directes, c'est-à-dire, en fait, à une certaine « re-nationalisation » de la PAC.
Sur le dossier céréalier, les intérêts des deux pays étaient divergents et suscitaient des approches différentes.
Dans un contexte préoccupant, marqué par la chute des cours mondiaux et par la mise en oeuvre de la nouvelle loi agricole américaine, les Etats membres aboutissent à un accord au Conseil européen de Berlin des 24 et 25 mars 1999 , après plusieurs « marathons » de discussions.
Le prix de soutien des céréales est réduit de 15 % sur la période 1999-2002.
Celui de la viande bovine baisse de 20 % sur la même période.
Les compensations (primes à l'hectare et à l'animal) sont revalorisées (avec, en outre, la création d'une aide en faveur de l'élevage extensif) tandis que la réforme laitière, de son côté, est reportée.
Un compromis sur un nouveau cadre financier détermine, par ailleurs, les « ressources propres » du budget de l'Union durant la période 2000-2006.