C. ADOPTER UNE POLITIQUE DIFFÉRENCIÉE EN FAVEUR DE L'AGRICULTURE DES PAYS LES PLUS PAUVRES
La question du développement de l'agriculture des pays du Sud revêt une importance capitale, non seulement parce qu'elle est à la base du développement économique de ces pays, mais aussi parce qu'elle conditionne la capacité de la planète à nourrir plus de six milliards d'hommes. Or, le problème de la faim dans le monde est encore loin d'être résolu . Aujourd'hui encore, en Afrique, deux cents millions de personnes souffrent de famine de manière chronique.
Face à cet enjeu, la mission d'information pense que les pays développés doivent favoriser l'essor de l'agriculture des pays pauvres , en adoptant, en leur faveur, des traitements différenciés .
La légitimité d'une politique spéciale et différenciée en faveur des pays en développement a d'ailleurs été reconnue par la Déclaration ministérielle de Doha, qui a ouvert le cycle actuel des négociations à l'OMC.
1. Par la reconnaissance d'une plus grande protection vis-à-vis des échanges internationaux
a) Réduire progressivement les soutiens à l'exportation vers ces pays
? Les soutiens à l'exportation mis en oeuvre par les pays développés sont les instruments de politique agricole les plus dommageables à l'agriculture des pays en développement , comme l'ont expliqué les experts du CIRAD entendus au Sénat par les membres de la mission d'information.
Les restitutions aux exportations européennes, tout comme l'aide alimentaire américaine, conduisent à mettre brutalement sur le marché de ces pays des produits agricoles à très bas prix qui entrent directement en concurrence avec la production locale . Celle-ci est alors évincée, à moins que ses prix s'alignent sur ceux des produits importés, au risque de ne plus permettre la couverture des coûts de revient. Les exportations subventionnées privent donc l'agriculture locale de rentabilité et, par conséquent, de perspectives de développement. Utilisées le plus souvent comme un moyen d'écouler des excédents apparus sur les marchés des pays développés , elles sont pratiquées de manière ponctuelle, de sorte que les marchés des pays importateurs n'en retirent, par ailleurs, aucune garantie d'approvisionnement sur le long terme .
? C'est pourquoi la mission d'information estime que la PAC devrait progressivement renoncer à l'utilisation des restitutions aux exportations, en particulier en direction des pays les plus fragiles .
Il est fort probable que les restitutions aux exportations soient appelées à disparaître au terme de l'actuel cycle de négociations à l'OMC. C'est, en tout cas, ce que laisse entendre la Déclaration ministérielle de Doha qui a retenu l'objectif de leur suppression, sans préjudice du résultat des négociations.
Dès lors, l' Union européenne aurait tout intérêt à réaliser , dans les négociations multilatérales, des concessions dans ce domaine , en contrepartie d'une meilleure reconnaissance de la préférence communautaire, et donc d'avancées plus modestes sur le volet « accès aux marchés ».
L'Union européenne est concernée au premier chef . En 1998 (derniers chiffres connus), elle a distribué 88 % des restitutions aux exportations notifiées à l'OMC (soit 6 milliards sur 6,8 milliards de dollars au total). Peu de pays recourent, en effet, à cet instrument.
Cependant, ce chiffre ne tient pas compte des autres formes de soutiens à l'exportation utilisées dans le monde , qui sont moins transparentes , mais tout aussi contestables. Il en est ainsi des crédits publics à l'exportation, essentiellement mis en oeuvre par les Etats-Unis, le Canada et l'Australie, ou encore de la gestion des exportations par des monopoles publics (les « boards »), que l'on rencontre également aux Etats-Unis et au Canada.
Certes, les restitutions aux exportations européennes n'ont pas comme objectif de développer la vocation exportatrice à l'UE, mais plutôt de trouver des débouchés à des productions excédentaires. Elles sont donc plutôt utilisées comme des instruments de gestion du marché.
Cependant, outre les perturbations qu'elles provoquent dans les pays en développement, les restitutions aux exportations apparaissent contestables pour plusieurs raisons, exposées dans une contribution 21 ( * ) récente de l'INRA de Rennes :
- il s'agit, tout d'abord, d'un instrument de politique agricole peu légitime pour les contribuables européens car il conduit à subventionner des produits destinés à des consommateurs étrangers ;
- en outre, ce transfert s'accompagne d'autres pertes sèches liées notamment à l'augmentation des coûts de production, dès lors que les subventions aux exportations déplacent une partie de l'offre vers des zones de productivité marginale inférieure. C'est donc un moyen particulièrement coûteux pour soutenir le revenu des agriculteurs ;
- enfin, elles contribuent à exporter les variations de prix rencontrées sur le marché intérieur et donc à augmenter l'instabilité des prix agricoles sur le marché mondial .
Il convient toutefois de relativiser le rôle joué par les restitutions dans les résultats obtenus par l'Union européenne à l'exportation.
D'abord, parce que leur niveau a sensiblement décru depuis le début des années 1990, en application des accords de Marrakech. En outre, les contingents annuels attribués par l'OMC à l'Union européenne sont rarement utilisés à 100 %. Enfin, beaucoup des productions à haute valeur ajoutée comme le vin et les fromages connaissent un certain succès à l'exportation sans restitution.
Il convient d'ajouter qu'une grande part des échanges réalisés par les Etats membres est dirigée vers l'Union européenne et n'ouvre donc pas droit aux restitutions.
Sur un budget de la PAC de 42 milliards d'euros en 2001, les restitutions ne représentaient qu'un montant de 3,4 milliards d'euros, soit seulement 8 % de l'ensemble des dépenses .
En outre, réparties équitablement entre productions végétales et productions animales, les restitutions concernent un nombre limité de produits, dont les principaux sont le lait (32 % des restitutions), le sucre (30 %) et la viande bovine (10,7 %).
RÉPARTITION DES RESTITUTIONS AUX
EXPORTATIONS
PAR SECTEUR DE PRODUCTION
Montant en milliards d'euros |
Part dans le montant total |
|
Lait et produits laitiers |
1 106 |
32,5 % |
Sucre |
1 008 |
30,0 % |
Viande bovine |
363 |
10,7 % |
Cultures arables |
260 |
7,6 % |
Porcs, oeufs et volailles |
116 |
3,4 % |
Fruits et légumes |
51 |
1,5 % |
Autres productions |
496 |
14,6 % |
TOTAL |
3 400 |
100 % |
Source : Commission européenne
Les secteurs bénéficiant de restitutions aux exportations diffèrent, en outre, selon les Etats membres. La France est ainsi plutôt concernée au titre du sucre, du lait et de la volaille, alors que la Belgique et le Danemark le sont davantage pour la viande porcine et l'Allemagne pour la viande bovine.
Les conséquences d'une suppression dans chaque filière dépendront de la compétitivité prix de celle-cipar rapport au marché mondial :
- pour certaines céréales, comme le blé ou l'orge, dont les prix au sein de l'Union européenne sont relativement proches des prix mondiaux, un renoncement aux restitutions est facilement envisageable ;
- ce serait, en revanche, plus délicat pour des productions telles que la viande bovine ou les produits laitiers, pour lesquelles l'Union européenne n'est pas compétitive au plan mondial. Dans ce cas, deux alternatives se présentent :
soit laisser jouer le marché en escomptant que l'offre excédentaire sera absorbée par la consommation intérieure . C'est notamment le pari que font les professionnels de la filière laitière, qui savent que la suppression des restitutions est, à terme, inéluctable. Cette évolution s'accompagnerait alors d'un recul des produits laitiers dits « industriels » (beurre et poudre de lait écrémé), qui représentent l'essentiel des exportations subventionnées, au profit des produits de grande consommation (PGC) que sont les desserts lactés, le lait frais et les fromages.
De même, pour le sucre, une idée intéressante, évoquée par M. Jean-Michel Bastian lors de son audition au Sénat, serait de trouver de nouveaux débouchés sur le marché intérieur en développant, par exemple, les utilisations non-alimentaires (éthanol).
soit opter pour une stricte maîtrise de la production afin de prévenir l'apparition de surplus. C'est sans doute le choix que serait amené à faire le secteur de la viande bovine.
Dans tous les cas , la sortie du dispositif devrait être gérée en douceur . Il conviendrait également de garder une enveloppe résiduelle de restitutions pour corriger, au cas par cas, des difficultés conjoncturelles liées, par exemple, à une trop forte appréciation de l'euro.
Enfin, le renoncement progressif aux restitutions à l'exportation ne saurait être un engagement unilatéral de l'Union européenne . Il devrait, au contraire, s'inscrire, dans un mouvement de réduction de l'ensemble des soutiens, plus ou moins déguisés, aux exportations, dans le cadre de l'OMC.
b) Encourager la mise en place de politiques agricoles dans ces pays
Il faut permettre aux pays en développement, en particulier aux PMA, de se doter de politiques agricoles autonomes . S'il est bien évident que ces pays n'ont pas les moyens d'offrir des soutiens financiers à leurs agricultures, ils devraient, au moins, être autorisés à les protéger contre les prix bas du marché mondial par le maintien de protection douanière aux frontières.
Cela ne doit pas exclure - c'est même souhaitable - des échanges libéralisés à l'échelle de zones régionales , ce que la FAO désigne sous le terme de « coopération Sud-Sud ». L'intégration régionale est , en effet , moins déstabilisante que l'insertion directe dans le marché mondial , dans la mesure où elle concerne des produits dont les prix et les coûts de revient sont assez proches.
L'aide au développement destinée à l'agriculture devrait, quant à elle, avoir pour objectif de favoriser l'autonomie des agricultures des pays du Sud , par exemple en apportant un soutien à l'organisation des filières vivrières , à la réduction des achats d'intrants ou encore à la maîtrise de l'eau . Un effort financier accru devrait, à cet égard, être fourni par les pays développés puisque, selon la FAO, le niveau de l'aide versée en faveur de l'agriculture des pays du Sud a diminué de 30 % entre 1990 et 1999.
* 21 « Faut-il et peut-on supprimer les subventions à l'exportations ? » : communication à l'Académie d'Agriculture de France de MM. Jean-Christophe Bureau, Alexandre Gohin et Vincent Réquillart - 27 novembre 2002.