B. DÉFENDRE LE MODÈLE AGRICOLE EUROPÉEN
1. Réaffirmer les fondements du modèle agricole européen
Dès l'origine, la PAC a assigné un objectif clair aux agriculteurs : assurer l'indépendance alimentaire européenne. Il convient de relever la dimension éthique de cette mission, puisqu'il s'agissait, avant tout, de nourrir les hommes.
Un pacte tacite a ainsi été conclu, à travers la PAC, entre les agriculteurs et la société :
- la politique agricole offrait un revenu décent et un cadre stable à l'activité des agriculteurs ;
- ceux-ci, en contrepartie, mettaient tout en oeuvre pour moderniser leur production et accroître les rendements, afin d'offrir aux consommateurs européens des produits alimentaires à un prix raisonnable.
Cet accord renvoie aux cinq grands objectifs mentionnés à l'article 39 du traité de Rome.
Il a été couronné de succès dès les années 1970, permettant à l'Europe non seulement d'être indépendante sur le plan alimentaire, mais également de devenir exportatrice.
Sa mise en oeuvre s'est, en outre, accompagnée d'une formidable modernisation de l'agriculture européenne . Sous l'effet du remembrement, de la mécanisation et de la spécialisation, les exploitations se sont transformées, agrandies, cependant que les gains de productivité du secteur connaissaient une augmentation sans précédent.
Mais malgré une réduction importante de leur nombre, les exploitations européennes gardent une taille moyenne et une dimension familiale. Jusqu'à présent, en dehors de certains secteurs comme celui du porc ou celui de la volaille, l'agriculture européenne a su, malgré un mouvement continu de restructuration, échapper à une intégration qui lui ferait perdre son indépendance .
Elle s'oppose, à cet égard, à l'agriculture de pays comme le Brésil, la Nouvelle-Zélande ou l'Australie, qui repose sur des exploitations intégrées à vocation exportatrice, possédées le plus souvent par des entreprises multinationales. Dans ce modèle, les agriculteurs ne sont pas des exploitants indépendants, mais de simples fournisseurs de matières premières agissant comme des sous-traitants de l'aval de la chaîne de production agro-alimentaire.
En définitive, le modèle agricole auquel la mission d'information se déclare attachée, c'est celui d'une agriculture entreprenante et indépendante, prête à répondre aux attentes de la société européenne en contrepartie d'une PAC forte.
2. Procéder aux adaptations nécessaires
Depuis que l'objectif de sécurité alimentaire est atteint, d'aucuns considèrent que l'agriculture européenne est en quête de sens et que la légitimité de la PAC en est fragilisée.
Pourtant, d'autres défis se posent aujourd'hui aux agriculteurs européens.
Certes, la sécurité de l'approvisionnement agroalimentaire doit rester une préoccupation publique.
Il reste que la PAC ne doit plus seulement viser à un développement quantitatif de l'agriculture, mais également faire en sorte d'offrir les garanties attendues par les consommateurs en termes de qualité, de sécurité sanitaire et de traçabilité des aliments .
En outre, le rôle du secteur agricole ne doit plus se limiter à la production de denrées alimentaires et de matières premières agricoles, mais s'élargir aux fonctions de protection de l'environnement et d'entretien de l'espace, contribuer à l'aménagement du territoire et offrir tous les services connexes à ces nouvelles fonctions .
Ces défis appellent une redéfinition du métier d'agriculteur, comme le souligne le groupe de Bruges 11 ( * ) dans son ouvrage « L'agriculture, un tournant nécessaire » : « Ce qui est attendu du métier d'agriculteur, c'est qu'il soit un métier de synthèse, au carrefour de la production, de la gestion de la nature et de l'aménagement du territoire ».
Cet ouvrage souligne que les changements attendus devront s'accompagner d'une réflexion éthique : « Quelles valeurs pourraient mobiliser la recherche d'un nouvel idéal professionnel ? »
Nous devons y participer avec la volonté de recréer, avec les « citoyens-consommateurs », ce consensus qui a permis l'extraordinaire aventure agricole des cinquante dernières années.
* 11 Créé par MM. Edgar Pisani et Bertrand Hervieu, le groupe de Bruges réunit des universitaires, des chercheurs, des formateurs, des écologistes et des responsables agricoles de l'Union européenne, participant au débat sur l'avenir de la politique agricole commune.