B. DES LACUNES ÉVIDENTES

1. De nombreuses productions négligées

Bien que le projet de la Commission tende à proposer une véritable mise à plat de la PAC qui outrepasse largement le cadre défini à Berlin en 1999, il n'en est pas moins en-deçà de ce qui pourrait être attendu d'une revue à mi-parcours en matière d'amélioration du fonctionnement des différents marchés.

Ainsi, des initiatives auraient été bienvenues dans le secteur des fruits et légumes, qui reste peu organisé et subit régulièrement des variations importantes de prix, liées aux fluctuations des volumes produits . De même, le secteur de la viticulture souffre de l'inadaptation des mécanismes de régulation mis en place lors de la dernière réforme de la PAC, comme en témoigne la multiplication des distillations de crise et l'obligation pour les Etats membres de verser des aides nationales exceptionnelles.

Enfin, aucune proposition d'envergure n'est formulée en vue de favoriser le développement des cultures oléo-protéagineuses , alors que ces productions faisaient explicitement l'objet d'une clause de rendez-vous à mi-parcours et que l'interdiction des farines animales intervenue en 2000 a contribué, depuis l'adoption de l'Agenda 2000, à aggraver la dépendance protéique de l'Union européenne .

Votre rapporteur rappelle que l'Union européenne ne couvre aujourd'hui que 25 % de ses besoins en protéines végétales, contre 31 % en 1998. Basée sur la culture du colza, du tournesol et du pois, la production européenne, essentiellement destinée au secteur de l'alimentation animale, est nettement insuffisante. Les importations concernent principalement des tourteaux de soja, qui ont une teneur en protéines plus élevée que les graines. Elles proviennent, pour plus de 75 %, des Etats-Unis, du Brésil et de l'Argentine, cette concentration des approvisionnements posant incontestablement un problème stratégique.

CULTURES OLÉO-PROTÉAGINEUSES DANS L'UNION EUROPÉENNE EN 2000

Colza

Tournesol

Pois

Soja

Autres (1)

TOTAL

Production (en millions de tonnes)

9,0

3,3

3,1

1,2

2,2

7,8

Superficie (en millions d'hectares)

3,1

1,9

0,9

0,3

1,4

7,6

(1) graines de coton, lin, fèves et féveroles, lupin, trèfle, luzerne Source : SCEES (Ministère de l'agriculture)

Historiquement, la production européenne d'oléo-protéagineux a toujours été déficitaire en raison d'un accord passé dans le cadre du Gatt avec les Etats-Unis. Ces derniers ont imposé, dans les années 1960, une libéralisation du secteur des oléagineux en Europe, acceptant, en contrepartie, l'instauration, dans le cadre de la PAC, d'une organisation commune de marché forte en faveur des céréales. En conséquence, la production céréalière européenne s'est beaucoup développée alors que, parallèlement, les importations d'oléagineux étaient exonérées de droits de douanes.

Prenant conscience de sa dépendance en 1973, quand les Etats-Unis ont décrété un embargo partiel sur leurs exportations de soja afin de limiter la hausse des cours sur leur marché intérieur, la Communauté économique européenne s'est dotée d'un « plan protéines » qui a permis un certain essor des productions oléo-protéagineuses en Europe, notamment grâce à l'attribution d'aides spécifiques.

Mais l'accord de Blair House, négocié en 1992 entre l'Union européenne et les Etats-Unis , a remis en cause ce développement. Il prévoit, en contrepartie de la tolérance d'un soutien spécifique accordé aux oléagineux :

- le contingentement à 5 millions d'hectares (5.128.000 hectares exactement) des surfaces oléagineuses en Europe, diminué d'un taux de jachère de 10 % ;

- la limitation des cultures oléagineuses à des fins industrielles, lesquelles ne doivent pas engendrer plus d'un million de tonnes de sous-produits en équivalents de tourteaux de soja. Ces cultures énergétiques sont essentiellement implantées sur les parcelles soumises au gel des terres.

Parallèlement, un régime d'aides aux protéagineux, fondé sur une aide à l'hectare, a été institué lors de la réforme de la PAC de 1992.

Un nouveau recul des surfaces oléagineuses a été observé à la suite de la réforme de la PAC de 1999, qui a prévu un alignement en trois ans de l'aide spécifique aux oléagineux sur les aides aux céréales. L'incitation particulière à développer cette production, qui est techniquement plus contraignante que les cultures céréalières a, en effet, disparu.

Les conséquences de cette décision n'ont pas tardé à se traduire dans les chiffres. Selon la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP), les surfaces oléagineuses ont diminué en France de 30 % depuis trois ans . Au niveau de l'Union européenne, ces surfaces ont reculé d'un million d'hectares.

Face à cette situation préoccupante, force est de constater que la Commission européenne ne propose rien.

La position qu'elle exprime dans l'exposé des motifs de sa proposition de réforme ne diffère pas de celle qu'elle avait déjà formulée dans un rapport du 19 mars 2001 sur l'approvisionnement de l'Union européenne en protéines végétales, publié à la suite du moratoire sur l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation animale. Arguant du coût exorbitant que représenterait la relance de la production d'oléagineux en Europe, elle recommande de recourir aux importations de tourteaux de soja, disponibles à bas prix sur le marché mondial.

Il convient de noter que, dans le même temps, les Etats-Unis accroissent leurs soutiens à ces productions à travers le versement d'aides directes spécifiques et par l'utilisation des marketing loans. Ces mesures de soutien contribuent à faire baisser le cours mondial des cultures oléo-protéagineuses et dopent les importations vers l'Union européenne.

Alors que l'on observe indéniablement une détérioration du potentiel de production, le projet Fischler risque, au contraire, d'aggraver la situation .

Ainsi, l'interdiction de produire des cultures oléagineuses sur les terres en jachère se traduirait par une nouvelle réduction de la production. La mesure de crédit-carbone, qui est proposée en substitution, n'est pas suffisamment incitative pour compenser cette interdiction, encore moins pour générer un accroissement de ces cultures. En outre, aucune mesure transitoire n'est prévue pour passer d'un système à l'autre, alors que des contrats pluriannuels sont en cours entre producteurs et fabricants de diester.

La proposition de modification du calcul de l'aide spécifique aux protéagineux , prévoyant l'utilisation d'un rendement moyen communautaire inférieur au rendement moyen français, est, quant à elle, très critiquable car elle conduirait, sous couvert d'une modification à caractère technique, à réduire l'aide allouée à cette production . De même, la fixation à 1,4 million d'hectares d'une surface maximale garantie (SMG) au-delà de laquelle le soutien serait réduit au prorata du dépassement, est une mesure malthusienne qui limiterait la production.

Enfin, les propositions concernant le secteur des fourrages séchés menace la pérennité d'une filière certes modeste, mais dont l'intérêt au regard des besoins en protéines végétales est loin d'être négligeable.

Si l'instauration d'une aide aux producteurs de luzerne va dans le bons sens, la suppression programmée de l'aide aux déshydrateurs fragiliserait considérablement la rentabilité de la transformation. Selon le centre d'économie rurale de la Haute-Marne, leur marge brute pourrait baisser de 65 % en 2004 et deviendrait négative à partir de 2008.

La mission d'information considère, par conséquent, les propositions de la Commission européenne comme totalement inappropriées et souhaite qu'elles soient rejetées au profit de mesures réellement incitatives.

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