SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS
Après avoir expliqué le contenu de la proposition de réforme présentée par la Commission européenne et rappelé le contexte dans lequel elle s'inscrit, en particulier la perspective de l'élargissement et les négociations agricoles internationales dans le cadre de l'OMC, le rapport prend position sur ce projet de réforme et dégage des propositions pour l'avenir de la PAC.
1) LA POSITION EXPRIMÉE PAR LA MISSION D'INFORMATION SUR LE PROJET DE RÉFORME
Sur l'opportunité d'adopter une nouvelle PAC en 2003
? Tout d'abord, la mission d'information constate qu'il n'y pas d'impératif budgétaire interne puisque le cadre budgétaire de la PAC actuelle, défini à Berlin en 1999, vaut jusqu'en 2006. Pour l'après 2006, le Conseil européen de Bruxelles a décidé en octobre 2002, à la suite de l'accord entre le Président de la République et le Chancelier allemand Gerhardt Schröder, de plafonner les dépenses du premier pilier de la PAC à leur niveau de 2006 afin d'éviter toute dérive budgétaire après l'élargissement. Sur cette base, de nouvelles perspectives budgétaires devraient être adoptées en 2005. Dans l'immédiat, aucun motif budgétaire n'appelle donc de réforme.
? Les négociations à l'OMC ne constituent pas, non plus, une raison valable . Pour la Commission, l'Union européenne devrait procéder à une réforme d'envergure de la PAC pour avoir plus de marges de manoeuvres à l'OMC. La mission d'information estime qu'il serait, au contraire, naïf d'offrir d'entrée de jeu des concessions à nos partenaires, d'autant que certains, comme les Etats-Unis, ont augmenté de manière significative leurs soutiens à l'agriculture peu de temps avant le début du cycle. Réformer avant l'aboutissement des négociations serait trop hasardeux : l'Union européenne prendrait le risque « de payer deux fois ».
? Enfin, l'adoption d'une nouvelle PAC, trois ans seulement après l'entrée en vigueur de la précédente, bouleverserait les repères des agriculteurs et risquerait de rendre ce secteur encore moins attractif auprès des jeunes, qui ont besoin d'un minimum de visibilité pour l'avenir.
Sur le fond, les réformes proposées ne semblent pas, dans l'ensemble, aller dans le bon sens
? Le découplage total des aides est une proposition excessivement risquée . Le caractère historique des droits à primes va générer des distorsions de concurrence au sein d'un même secteur , puisque tous les producteurs n'auraient pas droit aux aides, et déstabiliser les marchés . Ainsi, des anciens céréaliers continueraient à être subventionnés alors qu'ils se sont reconvertis dans la production de carottes, entrant en concurrence avec des producteurs traditionnels de carottes qui, eux, ne toucheraient pas de primes !
Il est également à craindre que les productions, en l'absence d'un encadrement par des instruments spécifiques à chaque filière (primes, quotas) et gérés au plus près du territoire, se délocalisent vers les zones les plus rentables , au risque de favoriser une intensification préjudiciable à l'environnement. A l'inverse, les zones les plus difficiles seraient délaissées , avec comme conséquence une accentuation de la déprise agricole.
Enfin, l'attribution d'une aide déliée de toute obligation de produire pourrait conduire à une réduction globale de la production agricole et à une diminution du nombre d'exploitants.
? De même, la proposition visant à procéder à de nouvelles baisses de prix, en vue d'un alignement sur les prix mondiaux, est un leurre absolu puisque le prix mondial n'est pas le prix de l'ensemble des productions agricoles, mais seulement celui des productions échangées. Ce prix mondial subit des pressions à la baisse sous l'effet des soutiens à l'exportation pratiqués par les pays riches, mais aussi en raison des conditions de production très favorables dont bénéficient certains pays agricoles, tels que le Brésil ou l'Australie, qui sont sans commune mesure avec celles de l'Union européenne. Le démantèlement des instruments de gestion qui, dans le projet Fischler, accompagne cette baisse des prix, est également contestable , la variabilité qui caractérise les marchés agricoles rendant indispensable le recours à des mesures ponctuelles de régulation.
? Par ailleurs, le projet de réforme comporte des lacunes manifestes . Ainsi, il passe sous silence la situation de nombreux secteurs pour lesquels des propositions sont attendues. C'est notamment le cas de la filière « fruits et légumes » qui souffre d'une insuffisante organisation de la production avec, comme conséquence, d'importantes variations de prix. Il en est de même pour les cultures oléagineuses, alors que l'Union européenne ne couvre que 25 % de ses besoins en protéines végétales . Dans ce domaine, le projet Fischler marquerait même un recul puisqu'il interdirait la production d'oléo-protéagineux à finalité industrielle sur les terres en jachère.
En outre, aucune mesure structurelle n'est prévue en vue de sécuriser l'environnement des agriculteurs. Il serait pourtant souhaitable de faciliter la mise en place de dispositifs d' assurance-récolte et d'assurance-revenu , en particulier pour les secteurs ne bénéficiant pas d'une organisation commune de marché (OCM) structurée.
2) ORIENTATIONS PROPOSÉES POUR L'AVENIR DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE
? La mission d'information réaffirme le choix d'un modèle agricole fondé sur des exploitations moyennes , à l'opposé des grandes exploitations intégrées qui se développent dans les pays où l'agriculture est entièrement libéralisée. Elle plaide pour que la PAC reste le garant d'un tel modèle.
? S'agissant de la réforme proprement dite , elle défend le rôle structurant du premier pilier, véritable pierre angulaire de la PAC
? C'est pourquoi la mission d'information refuse les baisses de prix proposées et demande le maintien des instruments de régulation conjoncturelle du marché , voire leur rétablissement quand ils ont été supprimés (par exemple, l'intervention publique en viande bovine). Elle souhaite également que soient préservés les mécanismes de maîtrise de l'offre , tels que la possibilité de faire varier le taux de jachère applicable aux grandes cultures ou les quotas laitiers. A ce propos, il lui semble qu'une décision concernant le maintien des quotas laitiers jusqu'en 2013 devrait être prise dès maintenant , car la présence des nouveaux Etats membres à partir de 2004 risque de rendre cette décision plus aléatoire.
? Si la mission d'information s'oppose au schéma de découplage total et demeure attachée au maintien d'aides spécifiques par secteur de production , elle se déclare ouverte à l'égard de la notion de « découplage partiel » . Cependant, ce concept apparemment fédérateur ne renvoie pas, pour l'heure, à une alternative précise. C'est pourquoi la mission d'information souhaite qu' une synthèse des propositions évoquées en matière de découplage partiel soit établie au niveau européen , assortie de simulations détaillées, afin que les Etats membres puissent se prononcer sur une proposition précise.
En revanche, la mission d'information estime qu'une simplification dans le secteur de la viande bovine serait souhaitable . Compte tenu de la complexité du système de primes à l'animal, sur laquelle le récent rapport de nos collègues Gérard Bailly et Jean-Paul Emorine a mis l'accent, il paraîtrait pertinent de remplacer les différentes aides bovines par une seule aide directe basée sur la surface, mais dont le calcul tiendrait aussi compte de l'emploi et du taux de chargement.
? Un renforcement modéré du deuxième pilier par un mécanisme de modulation généralisé serait, par ailleurs, positif . Ce deuxième pilier peut aider les agriculteurs à répondre aux attentes de la société, en matière d'environnement, d'aménagement du territoire, de qualité des produits ou même de bien-être animal. Ces aspirations, qui influencent l'évolution des pratiques agricoles, ne peuvent plus être ignorées.
A cet égard, le champ des actions susceptibles d'être financées par le développement rural devrait être élargi pour, par exemple, encourager le développement de l'assurance-récolte, accroître la production d'oléagineux ou faciliter les mises aux normes . Il faudra cependant veiller à simplifier le fonctionnement de ce deuxième pilier, notamment en assouplissant les règles de gestion des crédits et en reconnaissant une plus grande autonomie aux Etats membres . La mission d'information se prononce également en faveur d'une diminution du cofinancement exigé des Etats membres en matière de développement rural , cette contrainte freinant considérablement sa mise en oeuvre.
? En revanche, le prélèvement, sur le premier pilier, de crédits en vue de financer des démantèlements ultérieurs d'OCM , telle que celle du sucre, n'est pas acceptable. La double finalité du dispositif de modulation/dégressivité proposé par la Commission européenne en fait d'ailleurs un mécanisme très complexe , qui rendrait difficile la lecture de la répartition des dépenses agricoles.
En ce qui concerne les autres orientations que devrait prendre la politique agricole commune, les propositions s'articulent autour de deux axes :
? Le choix d'un positionnement différent de l'Union européenne sur les marchés agricoles mondiaux
? Après avoir montré les écueils du libre-échange intégral en agriculture, notamment pour les pays les moins avancés , le rapport réaffirme le droit pour chaque pays ou ensemble de pays à conduire des politiques agricoles autonomes.
? Il préconise, à cet égard, une restauration de la préférence communautaire . Cette notion renvoie, tout d'abord, à une ouverture raisonnable aux importations , donc à des concessions mesurées sur ce volet dans le cadre des négociations de l'OMC.
Elle suppose également de remédier aux distorsions existantes , en particulier dans le domaine douanier , qui ont été récemment très pénalisantes pour le secteur de la volaille, concurrencé par les importations saumurées du Brésil, et pour le secteur céréalier, éprouvé par les importations en provenance de la Mer noire. D'autres distorsions sont dues au fait que les produits importés ne respectent pas des normes (sanitaires, qualitatives...) aussi exigeantes que celles appliquées par l'Union européenne.
La préférence communautaire devrait également conduire l'Europe à développer sa propre production d'oléo-protéagineux . Dans cette optique, il est proposé de revaloriser fortement les soutiens spécifiques à ces productions, ce qui supposerait de renégocier l'accord de Blair House qui, compte tenu de la libéralisation croissante du secteur céréalier, paraît de moins en moins justifié.
? En ce qui concerne les effets de la PAC sur les pays en développement, la mission d'information s'interroge sur la légitimité de certains instruments , en particulier des restitutions aux exportations , au regard des effets déstabilisants qu'ils induisent pour les pays en développement. Ces restitutions devraient être progressivement réduites à condition, toutefois, que les pays développés recourant à des soutiens moins transparents à l'exportation les suppriment également. La mission soutient également l'idée de préférences commerciales spécifiques dans le domaine agricole en faveur des pays les plus pauvres .
? L'accompagnement de l'intégration des nouveaux Etats membres à l'Union européenne à partir de 2004
? Il s'agit, par exemple, de leur attribuer des aides et des prêts afin de faciliter la modernisation de leurs agricultures.
? Il est également souhaitable de développer avec eux des coopérations et les transferts de savoirs-faire , que ce soit en matière de gestion des aides PAC, pour la mise en place des services vétérinaires ou au niveau des organisations professionnelles. Ces pays sont très demandeurs de contacts , comme la mission d'information a pu s'en rendre compte lors de son déplacement en Pologne. Il importe, pour la France, de ne pas laisser ce champ de la coopération aux seuls Etats membres de sensibilité anglo-saxonne, tels que la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, qui sont déjà très influents dans les pays d'Europe centrale et orientale (PECO). A défaut, cela pourrait contrarier ses espoirs d'alliance sur la PAC avec des pays qui restent très attachés à l'agriculture.