QUATRIÈME TABLE RONDE :
QUELS CHOIX POUR ELECTRICITÉ
DE FRANCE
ET GAZ DE FRANCE ?
Intervention de M. Philippe Marini, sénateur de l'Oise, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat
J'aborderai la question soulevée par l'intitulé
de
cette table ronde en partant de la notion d'urgence.
Je crois que ni EDF, ni GDF, ni la France n'ont le temps de se complaire en
débats dilatoires sur ce sujet. La transformation des règles
européennes dans les domaines de l'électricité et du gaz
nous impose d'être mobiles et flexibles dans nos réflexions, de
trouver et d'arbitrer dans des délais très brefs les voies les
plus propices pour le pays et les entreprises concernées. Nous allons
devoir très bientôt travailler à la transposition de la
directive gaz, or l'on sait que le Conseil européen a
décidé de permettre le libre choix du fournisseur
d'électricité ou de gaz pour tous les consommateurs autres que
les ménages à partir de 2004, autant dire demain.
Cette urgence s'adresse d'abord à l'Etat, l'Etat-stratège et
l'Etat-actionnaire, dont les responsabilités sont à mettre en
valeur. Pour la stratégie, la situation actuelle impose qu'en termes de
politique énergétique du pays des orientations soient prises ou
validées dans la clarté. L'exemple courageux de la Finlande, l'un
des pays légitimement les plus attachés aux notions de
développement durable et de respect de l'environnement, peut nous
éclairer. Les orientations prises pour EDF et GDF doivent être
issues de la réalité économique, donc des marchés.
Les marchés du gaz et de l'électricité sont
différents, et même si l'histoire a rapproché ces deux
entreprises, elles doivent être examinées
séparément. EDF est un champion national qui a acquis des
dimensions mondiales. GDF est une belle entreprise moyenne. Ceci est uniquement
comparatif et ne doit choquer personne !
Cependant, bien entendu, plusieurs conditions de mutation sont communes
à EDF et à GDF. La première de ces conditions est de faire
la lumière sur les comptes, les engagements, les bilans et hors-bilans.
Il faut se mettre en position de diffuser une information financière
selon les normes internationales, ce qui permettrait le moment venu de se
placer sur le marché à égalité avec les autres
entreprises comparables. En ce sens devra être cernée la question
des retraites, conformément à la réalité
économique et à la règle du jeu que l'Etat pourra faire
valoir.
Les autres conditions sont pour une large part de la responsabilité de
l'Etat. La définition du périmètre, tout d'abord,
c'est-à-dire la séparation entre EDF et GDF. Cette question
suppose que l'Etat-actionnaire fasse son métier d'actionnaire,
c'est-à-dire qu'il définisse les meilleurs gages d'avenir des
deux entreprises. On ne peut, par ailleurs, imaginer l'ouverture d'un capital
quelconque sans une stratégie clairement actée par l'actionnaire,
en l'occurrence l'Etat. L'avenir d'EDF dépend de la vision que l'Etat a
de sa politique énergétique, celle-ci devant être conjointe
à la stratégie propre de l'entreprise. Ceci conditionne tout le
reste. En ce qui concerne GDF, l'Etat peut légitimement se poser la
question de savoir si la stratégie de l'entreprise doit tendre vers une
intégration, tant en amont qu'en aval. Ces questions
détermineront les partenariats du futur.
Pour ce qui est des statuts juridiques de ces entreprises, personne ne peut
plus envisager le statu quo. La nécessité de l'ouverture du
capital est une évidence, mais là encore plusieurs conditions
doivent être satisfaites.
L'ouverture doit répondre à une logique industrielle. Elle ne
doit que conforter la position européenne de ces entreprises dont
l'ambiguïté des statuts actuels ne peut durer : la
réciprocité des partenariats ne pourra exister que grâce
à cette évolution. Les meilleures formules doivent être
trouvées dans l'intérêt patrimonial de l'Etat et dans
l'intérêt industriel des entreprises : c'est cet équilibre
qui sera le plus difficile à établir.
Intervention de M. Pierre Gadonneix,
président de Gaz de France
(GDF)
Je
voudrais présenter le projet industriel de Gaz de France aujourd'hui,
dans le contexte d'évolutions que nous avons largement décrit
depuis le début de nos échanges.
Gaz de France connaît une réussite attestée, notamment sur
le plan de son développement et de sa rentabilité
économique. Cette situation vient de sa position antérieure de
monopole d'importation, qui permettait de contracter à long terme avec
nos fournisseurs et ainsi d'assurer la sécurité
d'approvisionnement.
Depuis maintenant six ans, le contexte change : il n'y a plus de monopole, ni
en matière d'importation ni en matière de fourniture. Gaz de
France a strictement appliqué la directive européenne en ouvrant
ses réseaux à des concurrents dans des conditions transparentes,
nos clients peuvent en attester. Ceci fait que nous sommes aujourd'hui l'un des
marchés les plus ouverts d'Europe, alors que légalement, et c'est
un paradoxe, les textes français n'ont pas encore transposé la
directive européenne. Cette situation est d'ailleurs
préjudiciable à l'entreprise, puisque certains pays invoquent le
principe de réciprocité pour nous empêcher de livrer du gaz
à l'extérieur de la France.
Le marché étant ouvert, nous nous attendions à trois types
de concurrents : des entreprises étrangères de même
nature que Gaz de France, des opérateurs multiservices ou des traders,
des producteurs qui auraient décidé de s'intégrer vers
l'aval. Nos prévisions se sont révélées exactes. Il
nous a ainsi fallu créer une filiale de trading qui nous permette
d'avoir accès au marché de court terme. Si nos collègues
européens n'ont pas d'avantages compétitifs, les producteurs sont
des concurrents dangereux et agressifs, à l'exception de nos grands
fournisseurs traditionnels, russes par exemple, qui ne se sont pas mis dans la
situation de nous concurrencer. Mais il y a d'autres producteurs. Notre
stratégie est donc d'anticiper à chaque étape les
évolutions du marché.
Notre stratégie est fondée sur trois atouts essentiels qui seront
pérennes dans les années qui viennent.
Le premier atout est que le marché du gaz est durablement porteur. Le
gaz naturel va connaître durant plusieurs décennies un taux de
développement plus fort que la consommation moyenne d'énergie.
Par ailleurs, Gaz de France est dans une situation favorable dans la mesure
où nous avons un marché important : 10 millions de clients
en France, 2 millions à l'étranger.
Nous avons enfin un troisième atout : une situation financière
assainie qui nous permet d'investir massivement, même au-delà du
cash-flow.
Sur cette base, notre stratégie se déploie sur deux termes : la
croissance, étant donné la situation précédemment
décrite, et l'intégration négoce-transport-distribution.
Pour conforter nos positions dans un monde ouvert à la concurrence, nous
pensons de plus qu'il faut soutenir ces trois métiers traditionnels, le
négoce, le transport et la distribution, par deux autres métiers.
La production, tout d'abord, de manière à avoir un portefeuille
d'accès au gaz qui permette de répondre aux clients de
façon compétitive. Les contrats à long terme avec des
producteurs resteront l'essentiel de ce portefeuille ; une partie sera
gagée par l'accès au marché à court terme, via
notre société de trading ; enfin, nous aurons accès
à une ressource à prix fixe, c'est-à-dire que nous serons
nous-mêmes producteurs, même si cela se fait sans que nous soyons
opérateur à proprement parler. Par ailleurs, nous nous engageons
de plus en plus sur les services, à travers notre filiale Cofatec.
Cette stratégie est aujourd'hui bien engagée, et nous allons
d'ailleurs vraisemblablement émettre des obligations avant la fin de
l'année pour financer cette croissance. Le sommet de Barcelone ayant
acté que d'ici deux ans le marché serait ouvert à
60 %, nous nous appliquons donc à mettre en oeuvre les adaptations
nécessaires le plus rapidement possible.
M. Olivier Schneid
Vous évoquiez la belle santé financière de Gaz de France.
Certains se demandent alors quelle est l'utilité d'ouvrir le
capital...
M. Pierre Gadonneix
La réponse appartient à l'actionnaire, donc au Gouvernement et au
Parlement. Si cette éventualité était retenue, je ferai
valoir que cela constitue une opportunité de poursuivre ou
d'accélérer son rythme de développement. Nos objectifs
doivent aussi prendre en compte le fait que nous ne pouvons pas tout faire tout
seuls et tout de suite. Les moyens complémentaires et les partenaires
peuvent donc être bienvenus.
Intervention de M. Denis Cohen, secrétaire général de la fédération Mines-Energie de la Confédération générale du travail (CGT)
Je
ciblerai bien entendu mon propos sur les attentes sociales, dont la
non-satisfaction a conduit à ce que de nombreux commentateurs ont
appelé un "séisme politique". Ces attentes sociales demeurent.
En ce qui concerne donc les questions de dérégulation, au retard
pris quant aux réponses à y apporter s'ajoutent des
problèmes nouveaux liés aux dysfonctionnements dont les exemples
sont nombreux, depuis la crise californienne jusqu'à l'Espagne, en
passant par la faillite d'Enron, présenté il y a encore peu comme
le modèle de la nouvelle économie.
Nous avions proposé à Barcelone de tirer le bilan de la
dérégulation avant toute décision. Le choix
effectué a été de l'amplifier avec l'ouverture du
marché aux professionnels, choix ajoutant encore de nouveaux
problèmes. Le seul sujet de satisfaction de ce Sommet réside dans
la proposition de la France d'élaborer une directive-cadre.
Les regards se tournent aujourd'hui vers l'organisation française. Si
nous ne proposons pas un retour en arrière, apporter des réponses
pour une nouvelle organisation énergétique nécessite
créativité, dialogue, réflexion et consensus.
La politique de privatisation relève du dogme si l'on occulte ses
objectifs et les partenariats potentiels. Or, le processus de privatisation ne
répond pas aux questions de financements et d'alliances, d'autant que
les choix industriels à effectuer sont complexes et que le débat
sur la politique énergétique n'a pas été
mené. Au dogme, préférons le pragmatisme, qui permet le
développement des entreprises et de l'emploi, tout en améliorant
le service public pour tous les usagers.
Améliorer le service public, c'est aussi renforcer la maîtrise
publique. Une réflexion doit être engagée sur la place des
usagers, de leurs élus et de leurs associations, la maille de leur
intervention au niveau régional, départemental et national.
L'avenir du service public est une question citoyenne.
La séparation de la production, du transport, de la distribution et de
la commercialisation a démontré les risques pour des industries
qui doivent programmer leurs investissements à très long terme,
mais l'ouverture à la concurrence ne nécessite en rien cette
désintégration forcée.
Convenons qu'en matière sociale, nous sommes bien dans notre rôle
exclusif de représentants de personnels. De ce point de vue, la
privatisation du gaz aurait des conséquences sur l'ensemble des
salariés des industries électriques et gazières (IEG)
actifs et inactifs.
Là encore, le législateur a voulu, lors de la loi de
transposition de février 2000, que les dispositions statutaires soient
maintenues quelle que soit l'évolution de la branche. La situation de
l'une des entreprises ne peut donc être examinée qu'en
concomitance avec celle de l'autre. Si la désintégration peut
s'avérer dangereuse pour EDF, elle serait funeste pour GDF.
La directive gaz, bien qu'adoptée par le Conseil Energie il y a deux
ans, n'est pas encore transposée au droit français. Outre que
cette situation prive les usagers de possibilités d'amélioration
du service public, elle met Gaz de France en grande difficulté et la
France en situation de non-conformité à l'égard du
Traité de l'Union.
Gaz de France est aujourd'hui une entité industrielle, constituée
de quatre ensembles :
En amont, le monopole d'importation, qui doit être abrogé.
Le réseau du transport GDF disposant d'un monopole national sur le
réseau de Gazoduc, à l'exception de la région Sud-Ouest.
Les installations de liquéfaction et de stockage qui peuvent être
soit considérées comme intégrées au transport, soit
autonomes du réseau.
La distribution, conjointe avec EDF.
La directive conduit à la fragilisation de trois de ces entités
sur quatre, mais il est possible de consolider l'existence autonome de Gaz de
France comme gazier en coopération avec EDF. Cette solution aurait le
mérite de créer un grand groupe électro-gazier
français de taille européenne, à l'image de ce qui s'est
réalisé en Allemagne avec la fusion Ruhrgas et Eon.
EDF et GDF sont des entreprises indispensables à une République
démocratique moderne, pour que l'Europe assure la sécurité
de ses approvisionnements et le respect des engagements de Kyoto.
Si le statu quo n'est pas possible, refonder une organisation
énergétique stable et sur un consensus social fort
nécessite à l'évidence concertation et large débat.
Intervention de M. Henri Guaino, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (IEP), ancien commissaire au Plan
Nous ne
débattons pas aujourd'hui de notre sujet comme nous l'aurions fait il y
a seulement deux ou trois ans. L'affaire Enron ne pose pas seulement la
question de la déontologie comptable ou de la transparence, mais aussi
celle de la viabilité d'un modèle économique dont
l'échec est patent.
S'agissant de l'avenir d'EDF et de GDF, nous sommes confrontés à
trois problèmes essentiels, l'un de politique énergétique,
l'autre de stratégie et le troisième de service public.
Commençons par la politique énergétique. Aujourd'hui, le
marché unique n'existe pas en Europe dans le domaine de
l'énergie. Pour le construire, la première chose à faire
est de travailler sur les interconnexions. Cette priorité concerne plus
les gestionnaires de réseaux que les entreprises de production et de
distribution de l'énergie.
Nous devons par ailleurs nous demander quels seront les leviers à notre
disposition pour la mise en oeuvre de la politique énergétique et
l'accomplissement des missions de service public. Non sans nous poser une autre
question : assistons-nous à la véritable mise en oeuvre d'un
marché unique parfaitement concurrentiel, ou à la
création, dans chaque pays ou sur chaque "plaque" électrique ou
gazière, d'oligopoles permettant de structurer la concurrence ? La carte
des mouvements de ces dernières années nous montre que nous nous
dirigeons plutôt vers la deuxième solution à partir de
noyaux durs d'organisation autour desquels s'organise le marché.
En tout état de cause, les choix managériaux et
stratégiques de nos grandes entreprises énergétiques
seront décisifs.
Devons-nous choisir un modèle d'entreprise intégrée ou un
modèle désintégré ? Dans quelle mesure faut-il
diluer l'organisation dans le marché ? Le calcul économique est
simple : si l'on pense que les métiers valent plus cher lorsqu'ils sont
séparés, alors il faut choisir la désintégration et
transformer nos entreprises en holdings. Mais je ne suis pas convaincu que l'on
créera ainsi beaucoup de valeur... On risque plutôt d'en
détruire. Et si l'on choisit la désintégration, comment
fera-t-on appliquer les règles de service public ? Où seront les
leviers de la politique énergétique ? A-t-on bien mesuré
ce que sera l'impérialisme du trading dans un monde d'entreprises
désintégrées ? Cette régulation par le trading
sera-t-elle compatible avec les objectifs collectifs que nous nous fixons dans
le domaine particulier de l'énergie ?
Il est vrai que le modèle intégré est battu en
brèche par les directives européennes qui nous conduisent
à une séparation de plus en plus grande des réseaux de
transport et peut-être demain de distribution. Il est clair que cette
séparation conduit à une mutation en profondeur d'EDF et de GDF
dont il faut bien tenir compte quand on envisage l'avenir de ces deux
entreprises.
Que reste-t-il de GDF après la perte du monopole d'importation et du
réseau de transport ? Comment intégrer la production, le
négoce et la commercialisation de l'électricité une fois
qu'EDF est totalement séparée du RTE ? Mais la question la plus
cruciale est celle des rapports entre EDF et GDF. Elle doit absolument
être posée avant l'ouverture du capital et la
libéralisation complète des marchés. L'enjeu n'est pas
mince si l'on veut bien admettre que GDF aura bien du mal à vivre seule
une fois privée de son réseau de transport et qu'EDF ne peut
absolument pas envisager son avenir sans le gaz. Alors que tous les
électriciens cherchent à fusionner avec des gaziers, nous nous
apprêtons à séparer et à mettre en concurrence deux
entreprises étroitement liées depuis un demi-siècle sans
avoir sérieusement étudié le problème. Est-ce bien
raisonnable ? Bruxelles, qui n'a jamais été saisie de ce dossier,
sera-t-elle une fois de plus l'alibi commode de tous nos renoncements ?
Va-t-on continuer de miser sur la croissance externe à tout va pour
assurer l'avenir de notre pôle énergétique au lieu de miser
sur la construction d'une base industrielle solide permettant d'asseoir une
stratégie efficace de croissance interne ? Le secteur de
l'énergie sera-t-il le seul à ne pas tirer les leçons des
déboires occasionnés par l'idée fausse qu'on ne peut
élargir ses parts de marché qu'à coup d'acquisitions
coûteuses ? Allons-nous continuer de croire que l'ouverture du capital et
la libéralisation nous dispensent d'un véritable projet
industriel ?
Intervention de M. Josy Moinet,
président de la
Fédération nationale
des collectivités
concédantes et régies
(FNCCR)
M.
Chevalier a mis l'accent sur la nécessité de faire participer les
collectivités locales, et au-delà les citoyens, à la
gestion et au fonctionnement du service public de l'électricité.
La FNCCR partage pleinement ce point de vue. Les communes et leurs groupements,
singulièrement les syndicats départementaux
d'électricité, ont une vocation traditionnelle à assurer
cette participation citoyenne comme le confirme la loi de modernisation et de
développement du service public de l'électricité du 10
février 2000. Dans un contexte institutionnel et économique
marqué par la libéralisation du système électrique
européen, il est permis de s'interroger sur les conditions dans
lesquelles une seule et même entreprise -EDF- va pouvoir concilier les
exigences liées à son immersion dans un marché
concurrentiel et l'exercice des missions de service public que la loi lui
confie.
Deux exigences retiennent particulièrement l'attention des
collectivités locales, la protection de l'environnement et la
cohésion territoriale et sociale. Les contraintes liées à
l'environnement ont un coût dont la prise en compte par le marché
n'est ni spontanée ni systématique. Et cependant l'enfouissement
des réseaux électriques répond aux légitimes
attentes de nos concitoyens tant du point de vue esthétique que du point
de vue de la sécurité. Il importe à cet égard de
tirer les enseignements de la tempête de décembre 1999 qui a
révélé la fragilité des réseaux
aériens. La cohésion territoriale et sociale -
caractérisée par un égal accès de l'ensemble des
usagers sur le territoire national à une énergie
électrique de qualité homogène est une obligation
impérative pour un service public assurant la fourniture et la
distribution de ce bien de première nécessité qu'est
aujourd'hui l'énergie électrique. Ces missions ont un coût
dont il appartient aux collectivités locales, en leur qualité
d'autorités organisatrices du service public de
l'électricité, de veiller à ce qu'il ne soit pas
supporté par les seuls consommateurs domestiques et que la
libéralisation du système électrique ne profite pas qu'aux
gros consommateurs.
Ainsi, attentives à ce que le bon accomplissement des missions de
service public ne compromette pas le fonctionnement transparent du
marché, les collectivités locales, en qualité
d'autorités organisatrices du service public de
l'électricité, doivent conforter leur organisation à la
taille départementale pour exercer leur pouvoir de contrôle sur le
cadre du régime concessionnaire actuellement en vigueur ou dans un cadre
juridique différent si le législateur en décidait ainsi.
Le maintien d'un pouvoir de contrôle des collectivités locales sur
le fonctionnement d'un système électrique ouvert à la
concurrence est la meilleure garantie de pérennisation d'un service
public de qualité.
A l'aube du XXI
ème
siècle, l'implication des
citoyens-consommateurs, par le truchement de leurs élus locaux, dans le
fonctionnement du système électrique peut être un exemple
concret et emblématique d'une volonté de faire vivre au quotidien
une authentique démocratie de proximité.
Intervention de M. François Roussely,
président
d'Electricité de France
(EDF)
Les
sujets dont nous parlons ont deux dimensions, l'une locale et l'autre mondiale.
Ce sont également des sujets de politique industrielle et de politique
sociale.
Notre situation de départ présente deux originalités.
La première est que nous avons connu un modèle de monopole
vertueux. N'ayons pas le capitalisme public honteux : nos services publics de
l'électricité et du gaz ont donné à nos concitoyens
de bons résultats. Nos entreprises ont été profitables,
elles offrent une qualité de service reconnue à des prix
satisfaisants, les résultats des enquêtes de satisfaction le
prouvent. Les pays anglo-saxons ou les autres pays européens font
pourtant des services publics l'illustration de ce qui ne fonctionne pas, qui
est poussiéreux, coûteux et inefficace...
La deuxième originalité, notamment en ce qui concerne
l'électricité, est que le mouvement d'internationalisation
d'Electricité de France a commencé bien avant le mouvement de
libéralisation. La loi de 1946, confirmée en ce sens par la loi
de 2000, affirme le principe de spécialité : Electricité
de France doit produire, transporter et distribuer de
l'électricité en France. Ainsi, si hors de France nous pouvons
avoir toutes les activités que nous souhaitons, nous ne pouvons pas
faire autre chose sur le territoire national que d'assumer cette
spécialité. Nos concurrents se sont développés sur
leur plan national en se diversifiant sur de très nombreuses autres
activités, mais très peu à l'international, ce qu'a fait
très tôt Electricité de France. Aujourd'hui, à
côté des 31 millions de clients en France, nous en comptons
20 millions à l'étranger.
Pourquoi alors changer un modèle qui marche aussi bien ?
Ce n'est pas Electricité de France qui a changé, c'est le monde
qui a changé autour ! Les industriels sont aujourd'hui au minimum
européens, la nature de leur demande a changé. Nous devons
d'autant plus tenir compte du nouvel univers dans lequel nous allons devoir
évoluer que cette situation est vécue comme asymétrique
par nos concurrents. Elle peut paraître injuste, certains estiment que
nous profitons d'un marché protégé pour être
agressifs vers l'extérieur. Quoi qu'il en soit, cette perception bien
réelle d'une asymétrie nous amène à changer dans la
dualité qui a été imposée à Barcelone. Ce
sommet a reconnu la justesse des thèses françaises, puisqu'il a
confirmé l'ouverture des marchés, en allant au-delà du
service public vers le service d'intérêt général. A
côté de l'ouverture des marchés, il faut préciser la
définition du service, ce qui est simple en France puisque nous y sommes
accoutumés depuis la définition du Conseil d'Etat au
XIX
ème
siècle ! Avec le même luxe d'attention,
nous devons donc aujourd'hui et pour demain tenir compte de la qualité
du service, de la solidarité, de l'aménagement du territoire,
d'un certain nombre de valeurs auxquelles l'Europe est attachée.
Quels choix faut-il faire pour Electricité de France? Ce sont des choix
de marchés qui doivent être fidèles à nos valeurs.
Les choix de marchés sont simples. Il s'agit d'être et de demeurer
une entreprise intégrée. Nous devons être présents
sur chacun des métiers et dans leurs connexions.
Etre présents sur la production, avec un « mix
énergétique » bien sûr, dont le socle doit
être le nucléaire. Rappelons qu'entre le nucléaire et
l'hydraulique, nous produisons 95 % de notre électricité
sans émettre un seul centimètre cube de gaz carbonique... De
plus, la compétitivité du kilowattheure n'est pas pour les
comptes d'Electricité de France, mais pour les entreprises et chacun de
nos clients qui achètent cette énergie.
Etre présents sur tous les métiers concerne aussi la recherche et
développement. La menace de la segmentation ne peut qu'appauvrir ce
secteur, dont le financement ne peut relever que de grandes entreprises et de
programmes communautaires.
Par ailleurs, précisons, pour aller dans le sens de ce que disait
M. Moinet, que nous ne sommes pas les télécommunications !
Nous ne sommes pas liés uniquement à des clients, nous le sommes
aussi à des territoires. Notre force est de desservir avec la même
qualité de service et au même prix un seul abonné
isolé au bout d'un chemin et celui qui est au pied d'un barrage !
Nous avons ainsi fait le choix de l'Europe, parce que c'est le territoire sur
lequel sont nos clients. Rappelons à ce sujet que le marché est
ouvert, chaque client éligible en France aujourd'hui pourrait se
procurer de l'électricité hors Electricité de France
uniquement par importation, mais aussi auprès des producteurs qui
achètent les 6.000 mégawatts que nous vendons au coût
marginal de production, c'est-à-dire aux meilleures conditions de prix.
N'est-ce pas cela, un marché ouvert ?
Nous avons donc fait de l'Europe notre coeur de marché, mais nous avons
encore à progresser. Il est facile de parler de "l'Europe de
l'énergie", mais il y a encore autant de marchés de
l'énergie que de pays.
Nous devons construire un groupe industriel, pas seulement une
fédération d'entreprises à l'échelle
européenne. J'ajoute que nous avons à adjoindre à la
fourniture d'électricité la convergence avec le gaz, notamment
parce que nos clients ont alternativement besoin de gaz et
d'électricité.
Si nous avions dû procéder à la fusion avec Gaz de France,
il fallait le faire avant les directives. Aujourd'hui, les contreparties que
demanderaient les autorités nationales ou européennes de
concurrence représenteraient un coût insupportable
économiquement et politiquement. Nous n'avons pas de religion sur ce
point, quoi qu'il en soit, nous souhaitons pérenniser la
coopération avec Gaz de France sur l'ensemble des métiers
possibles, au regard des directives et des règles de concurrence.
Nos choix doivent aussi être fidèles à nos valeurs.
L'histoire de nos deux entreprises montre qu'ont toujours été
menés en parallèle un projet social et un projet industriel, tout
simplement parce que l'électricité ne se stockant pas, un grand
degré de confiance est nécessaire. Cela nécessite une
alchimie que l'on appelle "service public" ou "développement
durable"..., pourvu que cela soit compréhensible et traduisible partout.
Ce qui importe est le fond.
Ce fond est la concomitance de trois préoccupations :
L'efficacité économique, dans la transparence ;
La protection de l'environnement, qui donne lieu à un mouvement profond
dans notre entreprise ;
La dimension sociale, vis-à-vis des démunis par exemple, mais
aussi vis-à-vis de nos personnels ou des 2 milliards d'individus qui
n'ont pas accès à l'électricité dans le monde. Il
s'agit là de responsabilité, de générosité
et de solidarité collectives.
Je crois que personne ne conteste le fait qu'il faut évoluer vers une
entreprise d'un nouveau type qui, à côté des actionnaires,
des clients et des personnels tiendra compte des générations
présentes et à venir. Cette entreprise n'existe encore nulle
part, et nous avons à la créer ensemble.
Notre responsabilité d'entreprise est de rendre possible les
évolutions en nous appuyant sur le capital humain que constituent nos
clients et nos personnels. Mais nous ne sommes plus les seuls
dépositaires de l'intérêt général, il y a
aussi une responsabilité de la Nation, notamment dans un marché
ouvert. Nous nous inscrivons dans une politique énergétique qui
ne peut résulter que d'une décision gouvernementale. Rien ne peut
se décider sans un débat démocratique.
Intervention de M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure
La
question de la transposition de la directive « gaz »
m'offre l'occasion de m'interroger sur le « mal
français » qui veut qu'à force de vouloir trop bien
faire, on ne produise rien, le « mieux » étant
l'ennemi du « bien ».
La directive de 1998 relative à l'ouverture à la concurrence du
marché gazier aurait dû être transposée en droit
français avant le mois d'août 2000. Un projet de loi a bien
été déposé par M. Pierret devant
l'Assemblée nationale en mai 2000, mais il n'a pas été
inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Je suis donc, depuis deux ans,
le rapporteur pressenti d'un projet de loi
« virtuel » !
Certes, les occasions n'ont pas manqué, au cours desquelles le
« gaz » a fait parler de lui, notamment dans les rangs de
l'ancienne majorité. Force est de constater que si certains hommes
politiques aiment à laisser leurs noms à une loi, les
« pères » de la loi de transposition étaient
peu soucieux d'assumer leurs responsabilité. Heureusement, le
Sénat veillait sur cet enfant ...
En ma qualité de rapporteur, j'ai mis à profit ces deux
années pour poursuivre ma réflexion. Lors de l'examen de chacun
des budgets depuis 2000, je me suis fait l'interprète des
difficultés rencontrées par l'opérateur gazier historique.
Depuis le début de l'année, le président Gérard
Larcher et moi même avons procédé à diverses
auditions sur le secteur gazier...C'est à l'aune de ces travaux
préparatoires que je vous propose de nous interroger sur les
perspectives ouvertes en matière de libéralisation du
marché gazier.
Comme vous le savez, le retard pris par la France a, d'ores et
déjà, porté préjudice à GDF dont le
développement des activités en Espagne a été
contrarié. Les Espagnols lui ont opposé la « clause de
réciprocité » prévue par la directive. Ils ont
estimé que le marché français n'étant juridiquement
pas libéralisé, tandis que le leur l'est à 100 %,
l'opérateur historique français ne pouvait accroître ses
activités au-delà des Pyrénées. J'objecterai
à cette attitude que d'autres pays, tels l'Allemagne qui
représente le triple du marché français, ont
procédé à une libéralisation plus
« juridique » qu' « effective ». Il
n'en reste pas moins que Gaz de France est limité dans ses exportations
et dans sa stratégie de développement hors de nos
frontières. Un point fait donc consensus : la transposition est
désormais incontournable.
Dès lors qu'une transposition de la directive gazière revêt
le caractère d'une urgente nécessité. Reste à
savoir selon quelle procédure elle peut s'opérer. C'est ce que je
vous propose d'examiner, à présent.
L'éventualité d'une transposition par ordonnance pourrait
être envisagée dans certains cercles. Une telle procédure,
peu respectueuse des droits du Parlement, aurait l'avantage de la
rapidité. Reste à savoir si l'ordonnance de nature à faire
passer la « pilule » gazière devrait être
courte ou longue ? A l'évidence, entre une ordonnance courte,
centrée sur l'essentiel et une ordonnance qui se fonderait sur le projet
de loi « Pierret », la première serait cependant
préférable à la seconde. Faute de cela on s'en remettrait,
sur une question hautement politique, à l'appréciation des
services du ministère de l'industrie.
La transposition de la directive gazière par le biais d'un projet de loi
pourrait, quant à elle, revêtir trois modalités :
- une ordonnance dont le contenu serait voisin de celui de la
directive ;
- un projet de loi procédant à une transposition de la
directive de 1998 ;
- un projet de loi procédant, par anticipation, à une
transposition de la directive actuellement négociée à
Bruxelles, laquelle devrait voir le jour au printemps 2003. Voilà qui
serait ambitieux, mais cela est-il réellement envisageable ?
Il serait, à mon sens, souhaitable que le Parlement examine un texte
court, à l'automne 2002, afin de permettre son entrée en vigueur
effective d'ici à la fin de l'année. Le temps nous est
compté car, comme vous le savez, la négociation a
évolué à l'échelon européen.
Le processus d'élaboration de la nouvelle directive s'est poursuivi,
à Bruxelles, depuis 2001. La situation est particulièrement
préoccupante : Nul ne sait ce que sera la conséquence de
l'adoption de ce texte qui aura pour effet d'accélérer, pour la
porter à son terme, la libéralisation du marché
énergétique européen.
C'est pourquoi il m'apparaît non seulement souhaitable, mais aussi
impératif, d'insister sur la nécessité, pour le
Gouvernement français, de prendre la mesure des implications
économiques et sociales de ce texte. Nous devons poursuivre les
négociations en conservant à l'esprit le fait que bon nombre de
nos partenaires ont procédé à une libéralisation
apparente sans mettre en place de régulateur puissant ni faciliter
l'accès des tiers au réseau, alors même que la France a
suivi une démarche strictement inverse et qui porte ses fruits. Or le
temps presse et joue contre nous : La négociation de la directive
pourrait se conclure cet automne.
Pour pouvoir négocier à Bruxelles, nous devons être
exemplaires : c'est pourquoi il nous faut procéder à une
transposition rapide. Pour que cette modification soit, comprise par nos
concitoyens, comme le souhaitait le président Gérard Larcher dans
son allocution de ce matin, elle doit être entourée d'un
véritable « pédagogie ». C'est pourquoi je
revendique pour le Sénat, qui a travaillé sur ce texte, alors que
nos collègues députés ont connu les bouleversements que
l'on sait, la possibilité d'être saisi, en premier lieu, du projet
de loi portant transposition de la directive gazière que, vous l'aurez
compris, j'appelle de mes voeux.