TROISIÈME TABLE RONDE :
QUELLES OPTIONS POUR LA NOUVELLE
LÉGISLATURE ?
Intervention de M. Jacques Valade, sénateur de la
Gironde,
président de la commission des Affaires culturelles du
Sénat
L'énergie est un enjeu majeur dans le monde
d'aujourd'hui, le
fondement, pour un Etat comme la France, de son indépendance nationale,
sans se soustraire au contexte général européen et
international.
L'énergie n'est pas un bien comme les autres, dont les échanges
pourraient se faire à l'abri du regard des pouvoirs publics. Les choix
énergétiques relèvent de la responsabilité de
l'Etat. En ce sens, la volonté des politiques a toujours
été de préserver l'indépendance nationale et de
soutenir le développement économique. Ne disposant pas de
ressources énergétiques autochtones, la France a
été amenée à développer un programme
nucléaire ambitieux, à promouvoir les économies
d'énergie et les énergies renouvelables, tout en diversifiant les
approvisionnements extérieurs.
Mais nous venons de vivre cinq années d'incertitudes et
d'incohérence, pendant lesquelles les fondements mêmes de la
politique énergétique ont été
ébranlés en raison d'un certain nombre de concessions faites par
le gouvernement à sa majorité plurielle.
Concession aux Verts, tout d'abord, qui a entraîné la fermeture et
le démantèlement de Superphénix, un gâchis que l'on
ne peut que déplorer, sur le plan financier comme sur le plan technique.
Cette action ne visait qu'à satisfaire une promesse électorale et
a entraîné la dispersion de chercheurs et d'ingénieurs dont
le savoir-faire est mondialement connu.
Par ailleurs, le gouvernement précédent, toujours sous la
même contrainte, a repoussé la décision concernant la
construction du réacteur du futur, l'EPR, compromettant ainsi le
renouvellement à terme de notre parc nucléaire. Il est
indispensable de reprendre ce dossier afin d'être prêt au
renouvellement de notre parc.
Une concession a été ensuite faite au Parti communiste, qui s'est
traduite par le retard dans la transposition des directives européennes,
mettant ainsi la France au ban de la Communauté européenne.
Nombre de pays européens, en toute mauvaise foi, ont critiqué le
protectionnisme français, puis contesté et freiné le
développement international d'EDF et de GDF au nom de l'absence de
réciprocité. Les réactions en Espagne et en Italie face
à l'acquisition d'actifs par EDF ont bien montré
l'ambiguïté de la situation actuelle, sans parler de
l'indispensable évolution du statut juridique de ces entreprises afin de
favoriser l'ouverture du capital, ouverture à la réalisation de
projets industriels communs avec nos partenaires étrangers.
Aujourd'hui, cette parenthèse liée à la vie politique
semble heureusement refermée. Les fondements de notre politique
énergétique doivent maintenant être confirmés.
Quelles sont les grandes lignes de cette politique ?
Notre pays doit tout d'abord conduire une politique de l'énergie
soucieuse de l'environnement, cohérente avec le concept de
développement durable. La ratification du protocole de Kyoto est en ce
sens une étape décisive, l'Europe devant servir d'exemple aux
pays émergents. La France est un exemple en Europe : nous avons en 10
années réduit de 10 % nos émissions de gaz à effet
de serre. Nous devons maintenant aller plus loin, notamment dans le secteur de
l'habitat et des transports, où des réponses
décentralisées devront être privilégiées.
Pour l'industrie, en concertation avec les industriels, nous devons mettre en
place un marché d'échange des permis d'émission.
Parallèlement, la recherche dans le domaine de la meilleure utilisation
des ressources fossiles doit être accentuée. La contribution des
terres agricoles et des forêts à la réduction du carbone
atmosphérique doit être précisée et
intensifiée.
En second lieu, la politique énergétique doit se
préoccuper de garantir la sécurité de l'approvisionnement.
Pour cela une réflexion lucide et pragmatique est nécessaire.
Enfin, la politique énergétique doit assurer la
compétitivité de nos choix dans un contexte d'ouverture
croissante des marchés de l'énergie, intégrant le principe
fondamental du choix énergétique dans une diversification
maîtrisée.
Rappelons aussi nos obligations. Nous devons assurer le service public,
développer la compétitivité de nos entreprises, permettre
à tous, usagers et entreprises, de choisir leurs fournisseurs, renforcer
la position de nos producteurs en France, en Europe et dans le monde, assumer
la dimension humaine et la mutation des personnels.
Pour assurer ces obligations impérieuses, il me paraît
nécessaire, tout d'abord, de conforter l'industrie nucléaire, qui
garantit notre indépendance énergétique. Nos
compétences dans ce domaine doivent être maintenues afin de
répondre à la demande nationale, européenne et
internationale. Les querelles idéologiques sur la sortie ou non du
nucléaire sont dépassées. Il faut dépassionner le
débat en informant nos concitoyens sur cette question.
Conformément à ses engagements de campagne, le Président
de la République s'est dit soucieux de transparence en ce domaine et
souhaite que le nucléaire civil soit mieux encadré, ceci hors de
tout activisme politicien.
La question des déchets ne peut bien évidemment pas être
occultée. Elle est le « maillon faible » de
l'énergie nucléaire. Il faut donc sans plus tarder mener les
recherches prévues par la loi Bataille de 1991. Un certain nombre de
résultats scientifiques et techniques sont déjà
disponibles. Il faut sans plus attendre organiser un grand débat public
à partir d'exposés scientifiques incontestables. Le retraitement
préalable des combustibles usés est indispensable. J'insiste
à nouveau sur la nécessité d'accentuer la recherche sur
les nouveaux réacteurs, l'objectif étant d'intégrer la
destruction des déchets dans cette nouvelle génération.
Il nous faut poursuivre aussi la diversification de notre équilibre
énergétique, le mix énergétique étant la
seule solution pour les pays dépourvus de ressources autochtones. Les
recherches doivent là aussi être accentuées. Il est
évident que nous aurons recours aux énergies renouvelables :
il faut aller dans cette direction, mais il faut aussi raison garder. Le
coût du kilowatt éolien est de dix-neuf centimes d'euro au
Danemark, contre trois centimes pour le coût du kilowatt
nucléaire...
Les efforts d'économies d'énergie, enfin, doivent être sans
cesse poursuivis.
Concernant l'ouverture du marché européen, après le sommet
de Barcelone il faut que nous recherchions une voie moyenne entre la totale
dérégulation et le statu quo désormais impossible. Il en
va de la survie de nos industries.
Après une période d'attentisme qui nous a fait perdre un temps
précieux, nous devons reprendre, à l'occasion de cette nouvelle
législature, ce dossier du renouveau d'une politique
énergétique cohérente qui a porté ses fruits depuis
trente ans. Nous devons aboutir à l'élaboration et au vote d'une
grande loi-cadre de programmation énergétique pour la
décennie future.
Intervention de M. André Sainjon, président de la Société nationale d'électricité thermique (SNET)
La
question de la vision et des attentes pour les cinq années à
venir est parfaitement pertinente. Pour un industriel, cinq ans est un laps de
temps qui permet de mesurer avec objectivité le succès ou
l'impasse, de sanctionner une vision. Une entreprise comme la nôtre,
encore publique mais appelée à devenir privée, s'inscrit
forcément aussi dans le temps politique. Cette législature sera
donc aussi importante que la précédente pour la SNET. La vision
qui éclairera le gouvernement et les deux assemblées aura un
impact certain sur notre évolution.
Ces cinq années seront également décisives pour la
construction de l'Europe, comme cela a déjà été
souligné. Le sommet de Barcelone, sous tous ces aspects, nous a
montré que nous étions confrontés à une demande de
plus et d'une meilleure Europe, à une prise de conscience de la
nécessité d'harmoniser nos politiques, mais aussi à une
défiance vis-à-vis de la mondialisation, souvent assimilée
à une remise en cause destructrice des services publics. La voie de la
réussite est donc délicate et étroite.
Nous aurons donc collectivement à forger une politique de
l'énergie à la fois lucide, empirique et inventive.
En France, la SNET est pionnière dans le processus de
libéralisation concrétisé par la loi de février
2000. Elle avait été créée à l'origine pour
rassembler les activités électriques de la maison Charbonnages de
France. Elle s'est trouvée très vite concurrente de
l'opérateur historique EDF. La SNET a engagé l'ouverture de son
capital avec qui plus est un acteur européen sans liens culturels avec
ce que nous connaissions ; car Endesa s'est surtout
développé à l'international en Amérique latine. Par
ailleurs, la SNET s'est trouvée confrontée au scepticisme, voire
à l'incompréhension de ses personnels. Telle était notre
situation il y a deux ans, situation passionnante parce que nous n'avions pas,
en tant que pionniers, le droit d'échouer. Réussir,
c'était faire avancer la société française dans la
voie de la modernisation. Sans que nous soyons aujourd'hui un modèle,
nous ne sommes en tout cas pas un contre-modèle, ce qui est
déjà beaucoup dans le contexte actuel....
Nous sommes maintenant un concurrent sérieux de l'opérateur
historique, et le seul « petit » à jouer dans "la
cour des grands" dans certains pays comme la Pologne.
Mais je ne voudrais pas ici donner dans l'autosatisfaction. Il s'agit de faire
profiter les observateurs, les politiques et les opérateurs d'une
expérience à travers quelques leçons.
Un dialogue social multiple et permanent est une condition sine qua non du
succès. De l'ouvrier au cadre supérieur, il est indispensable
d'expliquer sans cesse la nécessité d'évoluer. Ouvrir le
capital sans ouvrir les yeux du personnel, c'est aller droit à
l'échec. Inversement, il faut écouter les personnels, qui
apportent fréquemment des solutions pratiques pour faire avancer tout le
monde dans la bonne direction. Qui que nous soyons, il nous faut sans cesse
vérifier par le dialogue la perception des acteurs de la modernisation.
La concurrence est comprise dès lors que l'on se donne un contenu et des
objectifs. La compétition est un stimulant qui crée une dynamique
plus forte, à condition que chacun comprenne qu'il sert
l'intérêt général. Dans une entreprise
d'électricité, le service reste le coeur du processus.
Naturellement, toute entreprise doit gagner de l'argent. La SNET cherche donc
à faire de l'électricité au coût le moins
élevé possible et recherche des combustibles moins chers. C'est
ainsi que nous nous sommes lancés dans la recherche de ce que peuvent
nous apporter les farines animales. Ceci illustre la nécessité de
l'équilibre entre notre propre intérêt et
l'intérêt général : un équilibre
dynamique.
La SNET, avec Endesa, doit jouer un rôle de plus en plus important en
Europe. L'harmonisation de la politique énergétique est donc pour
nous une nécessité. Face à la question de
l'énergie, l'Europe doit être ambitieuse. Elle doit avoir du
souffle et parler un langage audible pour forger un modèle
spécifique, dynamique et résolument engagé dans le
siècle nouveau, mais qui garde vivace la mémoire de ce qui fait
le meilleur de ses nations et de ses peuples. Le risque existe d'une
déstabilisation du monde électrique européen. Nous sommes
face à une insuffisance actuelle ou future des réseaux de
transport, car la libéralisation signifie une augmentation des
échanges. Il est donc de la responsabilité des Etats
d'améliorer leurs outils de production et de distribution. Avoir une
ambition européenne, c'est aussi avoir le souci aigu et permanent du
service public. En ce sens, il me paraît souhaitable de pousser les
discussions concernant la recherche pour l'Europe énergétique du
XXI
ème
siècle.
Intervention de M. Bertrand Barré,
directeur au secrétariat
général d'AREVA
Nous
sommes à un bon moment pour parler du nucléaire, étant
donné la conjoncture internationale.
L'Asie continue de construire. En Russie, les choses repartent
discrètement, les Russes sont aujourd'hui les premiers exportateurs de
réacteurs dans le monde. Aux Etats-Unis, un retournement est en marche
depuis quelques années. Nombreux y sont ceux qui cherchent à
obtenir, par exemple, des autorisations de prolongement de durée de vie
des centrales à 60 ans. Ceci est favorisé par un
regroupement de l'industrie, puisque à l'heure actuelle au moins trois
électriciens ont créé des parcs constitués d'une
quinzaine de réacteurs. Ce changement d'ambiance a facilité
à l'administration Bush le lancement d'une « politique
énergétique », terme qui avait disparu du vocabulaire
américain, politique énergétique dans laquelle le maintien
du nucléaire est en bonne place.
En Europe, le débat s'est rouvert grâce à la prise de
conscience par la Commission de la question de la dépendance
énergétique et à la volonté de respecter les
accords de Kyoto. Cependant, tout le monde ne suit pas le mouvement vers le
nucléaire : la Belgique notamment a décidé de sortir du
nucléaire, mais ceci par une loi qui pourrait être annulée
par simple décret... Sur le plan du droit, cela doit être une
première ! En Allemagne, une loi prévoit la sortie du
nucléaire, mais les choses ne se font pas très rapidement dans
les faits : on peut donc encore espérer. La Suède ne
prévoit plus de date de sortie et la Finlande a voté la commande
d'un cinquième réacteur. Le contexte pousse donc à se
demander ce qui va se passer en France.
Quelle est donc la « shopping list » d'Areva ? Nous
voudrions « libérer » le décret qui a
été pris en otage par les Verts durant la législature
précédente. Il s'agit de pouvoir gérer les deux
entités qui constituent La Hague comme une seule, de manière
à pouvoir jouer sur les ateliers parallèles afin d'optimiser
l'exploitation.
Nous voulons, d'autre part, obtenir l'autorisation de faire fonctionner
à sa pleine capacité technique l'usine qui fabrique le
combustible Mox, qui recycle le plutonium de première
génération.
Il est temps, dans les deux cas, de sortir de ces situations ridicules.
Un autre centre d'intérêt est bien entendu l'EPR. Ce qui a fait le
succès principal du programme actuel d'EDF est sa politique de paliers.
On a commandé et fait construire des séries significatives de
réacteurs identiques. Aux environs de 2015 se posera le problème
du renouvellement de ce parc. Le succès précédent incitera
à lancer aussi une politique de paliers. Il est donc prudent de pouvoir
bénéficier d'un retour d'expérience sur une tête de
série, qu'il faut donc lancer en avance de phase, et cette
décision est à prendre maintenant.
Ce réacteur EPR présente un vrai progrès par rapport aux
modèles existants. Les risques d'endommagement du coeur sont
sensiblement plus faibles. De plus, dès la conception, la
possibilité, même réduite, de fusion complète du
coeur a été prise en compte, et il est donc conçu de
manière à ce que même en ce cas, il n'y ait pas de
relâchement massif de radioactivité.
Cette décision à prendre est également importante pour
notre crédibilité à l'exportation. Cette
crédibilité est basée sur la réussite du programme
domestique. Nous avons ainsi en perspective la Chine, la Finlande, et demain le
Brésil...
Par ailleurs, le maintien de l'emploi dans les forces d'ingénierie et de
fabrication des composants lourds est important pour les exportations, le
soutien du parc actuel, mais aussi pour la pérennité du
savoir-faire, indispensable à la préparation des
générations futures de réacteurs nucléaires.
Reste un point important : le rendez-vous de 2006 pour choisir la
manière dont les déchets ultimes seront stockés,
échéance fixée par la loi de 1991. Il a été
dit que la recherche et le développement n'était pas allée
aussi vite que nécessaire. C'est sans doute vrai, mais beaucoup de
résultats ont tout de même été obtenus en France et
ailleurs (les chercheurs communiquent entre eux) et le contexte international a
progressé : un premier site de stockage définitif est
déjà en fonctionnement aux Etats-Unis. Avec les divers
progrès attestés, nous avons aussi acquis la certitude qu'il
faudra un stockage géologique.
2006 verra s'ouvrir un vaste débat, qui devra déboucher sur une
décision. La recherche doit continuer, mais ne doit pas devenir un alibi
pour se passer de décisions.
Les trois objectifs fondamentaux que le Sénateur Larcher nous
délivrait précédemment se traduisent notamment pour moi
par le fait qu'il faut garder toute sa place au nucléaire. Pour la
législature à venir, cela se décline en trois
points : débloquer les décrets-otages, lancer un EPR et
conclure la loi de 1991.
Intervention de M. Philippe Sauquet
directeur Stratégie
Gaz-Electricité du groupe
TotalFinalElf
Nous
avons choisi de parler plus particulièrement du gaz, sujet
d'actualité du fait de la directive européenne en cours de
discussion. Nous avons par ailleurs la conviction que le gaz, énergie
propre, économe et relativement abondante, est en matière de
politique énergétique une chance pour la France et l'Europe,
soucieuses de leur approvisionnement et de promouvoir leur développement
tout en respectant l'environnement.
Mais la France et l'Europe doivent savoir saisir cette chance en relevant
certains défis qui, s'ils n'étaient résolus par les
pouvoirs publics, s'opposeraient au développement du gaz comme source
importante d'énergie. Parmi ces défis, deux nous paraissent
essentiels : la nécessité d'une organisation du marché
plus ouverte et flexible, d'une part, et le besoin du maintien de la
sécurité d'approvisionnement du marché européen,
d'autre part.
Historiquement, le marché du gaz européen s'est
développé sur la base d'une structure traditionnelle, avec
quelques fournisseurs nationaux en nombre limité et, côté
achat, quelques monopoles régionaux ou nationaux. Cette structure a
prouvé son efficacité, mais s'est révélée
très rigide et très peu tournée vers les besoins de
flexibilité manifestés par les clients : peu de
flexibilité sur les prix, sur les quantités ou encore sur la
durée des contrats. Dans le monde ouvert, concurrentiel et
évolutif d'aujourd'hui, la plupart des consommateurs ne peuvent faire le
choix du gaz qu'à la condition d'avoir le choix de leur fournisseur,
pour permettre la mise en concurrence, aiguillon de la flexibilité
nécessaire pour être en accord avec leurs besoins.
L'Europe s'est résolument engagée sur cette voie prometteuse de
l'ouverture des marchés gaziers à la concurrence, mais beaucoup
reste à faire pour transformer les intentions en réalité.
Il est évident, par ailleurs, que cette ouverture ne doit pas se faire
au détriment de la sécurité d'approvisionnement.
Aujourd'hui, l'Europe importe 50 % de ses ressources gazières, soit
250 milliards de m
3
. A l'horizon 2015, ces importations vont
devoir plus que doubler, notamment pour compenser la décroissance de
ressources locales. Nous devrons donc recourir à des sources
situées de plus en plus loin. Ces distances vont nécessiter des
investissements lourds pour développer de nouveaux champs gaziers dans
des environnements naturels et géopolitiques difficiles et
risqués, et pour créer ou renforcer la logistique de transport de
ces ressources sur les marchés européens. Ces investissements ne
seront réalisés qu'à la condition que l'on offre aux
investisseurs un minimum de visibilité sur leur rentabilité
future, donc à la condition que les Etats et les régulateurs
européens créent un climat favorable à ces
investissements. Au moment où les régulateurs sont en passe de
définir les conditions de rémunération de leurs
transporteurs, les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer en
ce domaine.
Le groupe TotalFinaElf est aujourd'hui le numéro 4 mondial du gaz et
l'un des deux leaders mondiaux du gaz naturel liquéfié. Nos
ressources gazières sont réparties sur l'ensemble des continents.
Hormis notre position de producteur, en Europe, nous avons également une
forte position en aval sur le marché, notamment en France, avec un
réseau d'environ 11.100 kilomètres. Nous sommes surtout un
des leaders dans le domaine du trading et du marketing de gaz et
d'électricité. Nous sommes donc totalement engagés dans le
développement du gaz en Europe, dans un contexte de marché
ouvert, en mettant au service de ce développement notre solidité
financière, nos capacités managériales et techniques
nécessaires pour investir en amont et dans les infrastructures, notre
expertise et notre culture de l'efficacité.
Nous pensons donc que les pouvoirs publics français doivent adopter une
politique active, tournée vers l'Europe et favorable à
l'ouverture de tous les marchés européens sans exception, tout en
sachant préserver les intérêts essentiels des consommateurs.
Notre groupe est bien entendu disponible pour contribuer à la
réflexion des pouvoirs publics.
Intervention de M. Jean-Pierre Rodier, président de Pechiney
En tant
que premier consommateur français d'électricité, je dirais
que l'on peut observer cette question de l'évolution du marché
comme un verre à moitié plein... ou à moitié vide !
Les prix à long terme de l'électricité, en France mais
aussi en Europe, ont permis à une certaine époque glorieuse d'y
construire une forte industrie de l'aluminium. Ces prix ne permettent plus
aujourd'hui de construire une seule usine nouvelle et, tels qu'ils
évoluent, ils permettent difficilement d'augmenter la capacité de
production des usines existantes.
Je m'attarderai sur cinq sujets de réflexion qui me paraissent
importants et sur lesquels on peut éventuellement agir :
- l'évolution du marché européen ;
- la formation des prix en Europe ;
- la sécurité d'approvisionnement ;
- environnement et énergie ;
- le rôle de l'Etat actionnaire des grandes entreprises de
l'énergie.
En ce qui concerne le marché européen, il y a maintenant
théoriquement un début de concurrence à l'intérieur
de chaque pays, mais le marché européen de
l'électricité n'existe pas. Les prix sont différents d'un
pays à l'autre, les coûts d'accès aux réseaux
également, tout comme les modes de régulation. L'accès aux
interconnexions via des enchères mal conduites est symptomatique de cet
état de fait. Que les pouvoirs publics résolvent cela est une
priorité pour l'existence d'un marché européen.
Aujourd'hui, la situation n'est pas satisfaisante sur le plan de la formation
des prix et des bourses de marchés. Les prix proposés sont
très volatils et soumis aux aléas météorologiques.
Cela est compréhensible sur un marché d'ajustement, mais il est
anormal que celui-ci serve de guide au marché à moyen et long
terme.
Les marchés souffrent aussi d'un manque de transparence statistique
nécessaires à la sincérité de la formation des
prix. Il me paraît important d'avoir une certaine régulation et un
certain encadrement des systèmes de marchés pour mettre un
maximum d'informations à disposition des intervenants. Ceci
écarterait l'essentiel des risques de manipulation des marchés et
permettrait une rationalisation des prix à moyen terme.
La sécurité de l'approvisionnement est un sujet majeur pour tous
les consommateurs, industriels ou non. Dans le cas de
l'électricité cette sécurité passe par une
surcapacité disponible permettant de faire face aux aléas. Il
n'est pas certain que les systèmes de marchés et les
décisions d'investisseurs financiers conduisent naturellement au niveau
de surcapacité nécessaire. Ces investissements en Europe sont
rarement rentables pour un investisseur normal. Les pouvoirs publics doivent
donc continuer à observer de près la programmation des grands
investissements en électricité.
Le lien entre énergie et environnement est un sujet bien connu. Nous
souhaitons sans ambiguïté que le protocole de Kyoto soit
appliqué, et espérons persuader nos collègues
américains de faire de même. En France, Pechiney a réduit
de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre en dix ans
tout en augmentant sa production de 30 %. Nous allons poursuivre nos
efforts dans les années à venir et nous nous sommes
engagés à réduire nos émissions au niveau mondial
de 15 % entre 1990 et 2012, tout en augmentant notre production. Pour y
parvenir, il est essentiel que des mécanismes de marchés sur les
permis soient mis en place pour permettre une optimisation à la marge de
nos décisions industrielles. Il est également nécessaire
qu'aucune taxe ne vienne perturber nos engagements.
Tenant compte de la donnée environnementale, le consommateur que je suis
est favorable au nucléaire. Par ailleurs, si l'on veut que
l'électricité reste compétitive et favoriser l'emploi, il
ne faut pas mettre à la charge du service public, et in fine des
consommateurs que nous sommes, des dépenses excessives : ce qui a
été fait sur les éoliennes, par exemple, est hallucinant !
L'Etat doit pleinement jouer son rôle d'actionnaire vis-à-vis des
entreprises qui sont aujourd'hui dans le secteur public, même si elles le
seront un jour un peu moins... Il faut encourager le développement
international des grands groupes énergétiques historiques, la
croissance faisant partie du dynamisme d'une entreprise et de la motivation de
ceux qui y travaillent. L'Etat doit cependant veiller à ce que les
décisions prises en ce sens soient basées sur de bons
critères économiques.
Intervention de M. Jean-François Conil-Lacoste,
directeur
général de Powernext
En tant
qu'homme de marché je vais essayer de donner un peu d'espoir à M.
Rodier.
La bourse d'électricité française, Powernext, n'a que sept
mois. Je rappelle qu'il s'agit d'un projet privé conçu par des
acteurs européens majeurs du monde de l'énergie et de la finance,
qui a été porté sur les fonds baptismaux avec le soutien
des pouvoirs publics par la Commission de Régulation de
l'Electricité et, ce que l'on sait moins, le Comité des
Etablissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement. Powernext
a démarré son activité de marché organisé le
26 novembre 2001, moins de deux ans après la loi de transposition.
Powernext est un marché électronique qui centralise 7 jours sur 7
la libre confrontation de l'offre et de la demande de mégawattheures,
établissant pour chacune des 24 heures du lendemain un prix
d'équilibre par le biais d'un fixing qui a lieu à 11 heures.
Ces mégawattheures sont garantis livrables sur l'ensemble du
réseau français de haute et très haute tension, par le
biais d'un accord structurant avec l'un de ses actionnaires fondateurs, RTE.
Le marché a une mission fondamentale : révéler un
prix, produire en toute transparence un prix connu de tous au même
instant, qui serve de référence fiable et incontestable, une
sorte de guide permanent pour l'ensemble des acteurs et notamment pour les
clients éligibles, désormais libres de choisir leurs fournisseurs
et désireux de gérer au plus serré leur facture
énergétique.
Environ un million de mégawattheures auront été
traités à la fin juin par une trentaine de membres, soit une
croissance mensuelle des volumes supérieure à 70 %.
Le challenge est de valoriser les atouts exceptionnels du marché
français, fournir un outil de gestion du risque utile et efficace aux
opérateurs européens et ainsi contribuer à la construction
du grand marché intérieur de l'énergie. Aux
côtés d'Euronext, actionnaire à hauteur de 34 %, se
sont regroupés au sein d'une holding dénommée HGRT
(17 %), les gestionnaires des réseaux français, belge et
hollandais, RTE, Elia et Tennet. Les électriciens Endesa et Atel ont
rejoint EDF et Electrabel, actionnaires fondateurs avec TotalFinaElf,
Société Générale et BNP Paribas, achevant de donner
à Powernext une dimension plus européenne qu'hexagonale.
L'ouverture d'un marché ne se mesure pas uniquement à la part de
marché de son ou de ses champions nationaux. Il faut que les
règles du jeu concurrentiel soient claires et respectées, que des
capacités de production réelles ou virtuelles soient
réparties entre des fournisseurs en nombre suffisant, fussent-ils
étrangers, pour que s'épanouisse une véritable
pluralité de l'offre.
L'accès au marché est un critère tout aussi important que
celui de la concentration. A cet égard, la France fait figure d'exemple
: plus de soixante opérateurs, la plupart étrangers, ont
signé des contrats de responsables d'équilibre avec RTE.
L'existence d'un régulateur, la CRE, constitue un autre atout majeur,
notamment pour assurer la transparence des informations, l'équité
d'accès et éviter l'abus de position dominante.
Cette infrastructure est de nature à valoriser le double atout naturel
du marché français : son positionnement géographique au
carrefour de nombreuses routes électriques et la taille de son
marché intérieur, le second en Europe. Encore faut-il que les
capacités aux interconnexions soient suffisantes et suffisamment bien
gérées pour permettre une véritable fluidité des
échanges, notamment à l'exportation. Il y a là un vaste
chantier qui requiert une coopération toujours plus étroite entre
les gestionnaires de réseau, les bourses et les régulateurs.
Par ailleurs, abaisser le seuil d'éligibilité au niveau
immédiatement supérieur à celui des ménages
résidentiels sera certainement de nature à susciter des vocations
de fournisseurs et à augmenter la motivation des acteurs existants. Une
activité de négoce sur le marché français pourra
ainsi se développer plus fortement, ce qui donnera un élan au
marché de gros, qui ne représente aujourd'hui que 0,3 % de
la consommation de notre pays, contre 200 % en Allemagne et 800 % en
Scandinavie.
Le prix qui sortira de l'équilibrage quotidien de l'offre et de la
demande sur Powernext pourra alors définitivement servir de
référence en toute transparence. Négociés
exclusivement sur le marché organisé, les produits
« spot » et à terme bénéficieront d'un
mécanisme financier de contrepartie centrale éliminant le risque
de crédit et d'une concentration maximale de la liquidité.
La première fonction économique de la Bourse se situe dans la
qualité du prix ainsi défini qui représente la clé
de voûte du dispositif de libéralisation du marché de
l'énergie. Néanmoins, il est plus que souhaitable que la nouvelle
législature complète avec des dispositions claires la loi
d'application du 10 février 2000, afin de proposer sans
ambiguïté à l'ensemble des acteurs, français ou
étrangers, producteurs, fournisseurs ou clients éligibles, un
accès au marché équitable, c'est-à-dire avec la
pleine faculté d'acheter et de vendre, en cohérence avec l'avis
rendu par la CRE en septembre 2001. C'est aussi l'occasion de donner au
marché français les moyens de se développer
harmonieusement et sans handicap par rapport à ses voisins, sur la base
de fondamentaux librement exprimés.
Une fois ces conditions réunies ou en voie de l'être, le potentiel
de croissance pourra alors s'exprimer.
Si les périmètres de consolidation réalistes sont
limités -il est probable que le marché physique intérieur
s'apparentera longtemps à un patchwork plutôt qu'à une
mosaïque !- en revanche, il est vraisemblable qu'émergeront un
ou deux grands marchés financiers de l'énergie
développés à partir d'une zone de prix suffisamment large,
tel le hub allemand ou le hub français. Ce n'est pas un hasard si
Euronext et Deutsche Börse sont impliquées toutes deux dans des
entreprises de marché électrique. L'objectif à terme est
bien de bâtir un marché financier liquide proposant sur une
même plate-forme une gamme de produits dérivés de
l'énergie : électricité, gaz, permis
d'émission... Cette bourse globale de l'énergie, multi-produits
et multi-pays constituera un outil économique, performant et
sécurisé, indispensable pour mener une politique de gestion
dynamique des risques énergétiques.
A l'heure où l'intégration des instruments dérivés
sur matières premières dans la liste des instruments financiers
couverts par la DSI se précise, la place des marchés
organisés dans le monde de l'énergie, aux côtés de
réseaux de transports régulés et indépendants, et
leur contribution à un développement raisonné et
contrôlé du négoce paraissent plus que jamais
légitimes.
Intervention de M. Philippe Bodson, sénateur membre de la commission des Affaires économiques du Sénat de Belgique
Ma
présence ici est due à mes fonctions actuelles mais aussi
à l'expertise que j'ai pu construire par le passé, notamment
à la présidence de Tractebel.
Il est intéressant de constater qu'en ce qui concerne notre sujet, la
préoccupation politique semble commune à l'ensemble de nos
gouvernements. En Belgique, ce sujet est schématisé par les
« 3 E » : l'Energie, l'Environnement et
l'Economie.
En ce qui concerne l'énergie, et la question de l'indépendance
qui est sous-entendue, il faut favoriser la diversité des
énergies primaires, ce qui passe par le non-abandon du nucléaire,
par des efforts importants de réduction de consommation et par le
développement du renouvelable, sans rêver bien sûr !
La question de l'écologie et du climat nous ramène
également à la réduction de la consommation, au
développement des énergies renouvelables et à la relance
du nucléaire.
L'économie est également indissociable de la réduction de
consommation, mais aussi des conditions de concurrence qui doivent être
créées et de la notion fondamentale de service public.
Il faut donc réduire la consommation, concentrer la pollution,
n'abandonner aucune source primaire, renforcer le renouvelable et ouvrir le
marché.
Sur le plan politique, nos populations ont le sentiment que l'ensemble de ces
thèmes n'a jamais été abordé de manière
globale par nos gouvernements. La Commission européenne nous parle
récemment, dans son Livre Vert, de la sécurité
d'approvisionnement. Nos ministres des Finances n'arrivent pas à se
mettre d'accord sur le signal fiscal qu'il faudrait envoyer aux divers
consommateurs pour limiter la consommation ; d'autres encore se
préoccupent d'efficacité énergétique... Ces actions
sont parcellaires, et la cacophonie de l'après Kyoto sur le plan mondial
n'arrange rien à l'affaire !
Or tout cela est partie intégrante d'une politique globale, mais au
niveau du grand public, il n'existe aucune vision d'ensemble de ce que nous
cherchons à faire. C'est pourtant cela qui est important.
J'aborderai un thème qui n'a pas été beaucoup
présent dans nos échanges jusqu'à présent : la
fiscalité.
Lorsque j'étais étudiant, on m'apprenait que la croissance d'un
PNB était en corrélation directe avec la consommation
énergétique. La crise pétrolière est ensuite
intervenue, et l'on a constaté que cette corrélation n'existait
plus. II faut donc maintenant un signal fiscal fort pour réduire la
consommation énergétique de façon suffisante. Posons donc
la question des prix au niveau des ménages. L'industrie a fait de gros
efforts dans le sens de la réduction de la consommation, et donc de la
pollution. Mais ce n'est pas le cas au niveau des ménages. Ne devrait-on
donc pas envisager une taxation des énergies ? La question mérite
d'être posée dans le cadre d'un aussi large débat que
celui-ci.
Un autre thème me tient à coeur : l'environnement. En Belgique,
il n'est pas politiquement correct d'associer les questions d'émission
de CO², de climat et de Kyoto pour en faire un argument pour le
nucléaire. Mais il est choquant d'entendre dire à la population
que les modifications climatiques que nous connaissons ne résultent pas
de ces modifications de notre environnement gazeux.
A court terme, l'abandon du nucléaire serait irresponsable. Il y a par
ailleurs supercherie vis-à-vis des pays en voie de développement.
Ils représentent 80 % de la consommation mondiale, mais par
personne nous consommons six fois plus d'énergie qu'eux ! Et nous avons
l'effronterie de nous présenter dans de grandes assemblées
internationales pour leur dire que nous allons les aider, sachant qu'augmenter
leur consommation énergétique ne fait qu'aggraver le
problème climatique !
Il y a, concernant les grandes villes d'Asie par exemple, largement assez
d'arguments pour justifier l'utilisation du nucléaire...
J'insisterai enfin sur l'absolue nécessité de
l'indépendance de la régulation. Cela est une des conditions
nécessaires à l'ouverture des marchés, mais ce n'est pas
une condition suffisante. Il faudrait en plus rendre possible ce que j'appelle
« l'application asymétrique de la loi ». En effet,
l'application exactement identique de la loi aux nouveaux entrants et aux
opérateurs historiques rend la pénétration du nouvel
entrant quasiment impossible.
Intervention de M. Jean-Marie Chevalier,
directeur du centre de
géopolitique de l'énergie et des matières
premières, professeur de sciences économiques à
l'université Paris IX
Nous
vivons un moment historique : c'est la première fois qu'une
législature française va mettre en place une politique de
l'énergie dans un cadre qui est à la fois contraint par Bruxelles
et largement ouvert sur l'imagination, l'innovation, et nos propres
spécificités.
L'histoire économique récente est marquée par des
mouvements de balancier entre l'Etat et les marchés. L'expression
« politique énergétique européenne »
eût été indécente il y a seulement trois ou quatre
ans. C'est aujourd'hui un thème récurrent dont nous sentons la
nécessité.
Le problème pour nous et pour l'Europe est de trouver l'équilibre
entre les mécanismes de marchés et les modalités
d'intervention des puissances publiques - Commission européenne, Etats,
autorités de régulation et collectivités locales. De plus,
nos concitoyens doivent avoir leur mot à dire sur la façon dont
leur environnement quotidien doit être conçu.
Je résumerai en quatre points les options énergétiques
stratégiques fondamentales :
- efficacité énergétique ;
- libéralisation contrôlée ;
- diversification ;
- Information.
Le contexte énergétique général est fondé
sur la ratification du protocole de Kyoto, la sécurité des
approvisionnements et de la compétitivité de nos
économies. L'une des solutions pour résoudre cette
délicate équation est l'efficacité
énergétique et la politique de la demande de façon
à satisfaire nos besoins en consommant moins d'énergie. Il faut
renforcer la réflexion européenne sur ce point, en combinant tous
les éléments et instruments dont nous disposons : les normes, les
prix, les taxes, les subventions et les nouveaux mécanismes de
marchés (permis). Dans un cadre européen, il faut repenser les
flux financiers qui sont derrière les flux énergétiques
physiques.
Le RTE et la CRE sont aujourd'hui considérés par nos partenaires
comme des organismes efficaces. Notons que nous savons maintenant en France ce
que le service public nous coûte. Cette clarification est importante dans
la définition d'une politique de l'énergie.
M. Conil-Lacoste nous a présenté une vision optimiste du
développement du marché de l'électricité. En
pratique nous sommes au coeur d'un laboratoire d'expérimentation
extrêmement compliqué. Cela implique vigilance, surveillance et
intelligence.
Nous pouvons notamment souligner deux problèmes : Est-ce que les
marchés électriques donnent les bons signaux pour que les
investissements nécessaires se fassent ? Les opportunités de
manipulation des prix par les opérateurs sont de plus en plus
préoccupantes, ce qui touche au pouvoir de marché. Les
distorsions sont liées aux structures des marchés, mais aussi aux
comportements des opérateurs, comme l'a montré le cas Enron.
En ce qui concerne la diversification, nous devons nous ouvrir à toutes
les options énergétiques. J'abonde en ce sens, parce que nous
sommes dans un monde d'incertitudes géopolitiques, technologiques,
d'incertitudes sur les ressources, sur les effets du changement climatique et,
aussi sur les chiffres qui devraient nous aider à décrypter la
situation.
Donc : diversification, oui, mais sous contraintes financières, ce dont
nous n'avons pas suffisamment parlé aujourd'hui.
Pour le nucléaire, j'apporterai quelques précisions qui me
semblent, justement, relever de la contrainte financière. Il faut tout
d'abord distinguer entre l'ancien nucléaire, qu'il faut conserver et
dont il faut augmenter la durée de vie, et la construction des
nouvelles centrales, qui pose un problème de financement. L'exemple
finlandais est intéressant en ce sens. Un groupe privé de
papetiers envisage de construire une centrale nucléaire. Ils ont obtenu
l'accord du gouvernement et du Parlement et lancent l'appel d'offres. Nous
allons voir comment se fera la négociation, avec le
problème-clé du financement, et la façon dont les risques
sont répartis entre les différents partenaires.
Enfin, un gigantesque effort de formation, d'information et de dialogue doit
être fait sur l'énergie, les externalités et coûts
sociaux qui lui sont associés, l'environnement et le changement
climatique. Les médias réduisent souvent à l'anecdotique
des problèmes très importants. Les messages scientifiques forts
doivent passer au niveau des consommateurs et citoyens que nous sommes. Nous
sommes dans une économie mondialisée, pleine de dangers. Il faut
penser à notre dépendance énergétique, mais aussi
rappeler que derrière celle-ci existent des interdépendances
économiques et financières. Ces interdépendances sont des
vecteurs de co-développement.