20. Audition de M. Jean-Charles Faraudo, président du syndicat national des téléphériques de France (SNTF) accompagné de M. Jean-Charles Simiand, délégué général (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Monsieur le Président, Monsieur le
Délégué général, je vous souhaite la
bienvenue au Sénat et vous remercie d'avoir fait le trajet
jusqu'à nous pour nous éclairer de votre vision des
problèmes de la montagne dans la spécialité qui est la
vôtre.
Vous venez de nous remettre un dossier très précis, qui
répond sans doute très clairement aux quatre questions que nous
nous sommes permis de vous adresser par écrit sur les points
suivants : l'état actuel et l'évolution prévisible du
parc français de remontées mécaniques ; le bilan que
vous faites de l'application de la loi montagne ; les problèmes
institutionnels et juridiques que vous rencontrez ; l'avenir des petites
stations en rapport aux questions d'aléas d'enneigement et de caprices
de fréquentation. Vous avez la parole pour un exposé liminaire,
qui doit autoriser, par la suite, quelques échanges.
M. Jean-Charles Faraudo -
Je vous remercie.
Qui sommes-nous ? Nous représentons le Syndicat national des
téléphériques de France (SNTF), c'est-à-dire la
Chambre syndicale patronale des exploitants de remontées
mécaniques et de domaines skiables. Affiliés au MEDEF, nous
sommes quelques 250 exploitants environ de remontées
mécaniques, répartis dans l'ensemble des stations de sports
d'hiver et d'été des massifs français. J'en suis le
président élu ainsi que celui du Directoire de la SATA,
société d'aménagement de l'Alpe d'Huez, M.
Jean-Charles Simiand, est le Délégué
général du SNTF.
J'en viens, à présent, à votre première question.
Le parc français de remontées mécaniques est le premier
parc mondial. Ceci signifie, de toute évidence, que nos massifs comptent
une multitude de remontées mécaniques. Plus
précisément, le détail est le suivant : environ
3 000 téléskis ;
850 télésièges -- qu'ils soient à pince
fixe (pince soudée au câble) ou débrayable (pince se
désolidarisant du câble à l'entrée en gare) ;
140 télécabines ;
60 téléphériques ; 19 funiculaires ;
4 crémaillères ; enfin, 10 ascenseurs.
Conséquemment, la particularité de ce parc extrêmement
vaste tient dans son caractère vieillissant : nombreuses sont les
remontées mécaniques de plus de vingt, voire trente ans
d'âge. Ceci n'est pas nécessairement grave, dans la mesure
où la vétusté réelle, dans ce domaine (de
même qu'en aéronautique), ne dépend directement que du
nombre d'heures de fonctionnement et de l'utilisation qui en est faite. C'est
pourquoi les matériels subissent un certain nombre de
vérifications régulières. Toutefois, les choses
s'aggravent lorsque les exploitants publics ou privés qui composent
notre chambre patronale ne disposent pas des moyens d'assurer la maintenance de
ces installations, ce qui arrive parfois.
La Direction des transports terrestres -- service de l'Etat ayant en
charge le contrôle des remontées mécaniques et
dépendant du ministère des transports -- comme
nous-mêmes nous préoccupons beaucoup du vieillissement de ce parc
de remontées mécaniques et des difficultés que rencontrent
un certain nombre d'exploitants à renouveler ces installations. Pourquoi
de telles difficultés surviennent-elles ? Tout simplement parce
qu'au fil des années, toutes les aides instaurées au profit de la
construction et du renouvellement de ces remontées mécaniques ont
disparu. Au final, cette responsabilité, aujourd'hui, relève de
la seule compétence des exploitants, que ceux-ci soient privés ou
publics (voire les collectivités territoriales elles-mêmes).
Nous avons bien tenté, à travers les contrats de plan
Etat-région, de faire prendre en compte ce vieillissement des
remontées mécaniques par d'autres organismes mais cela n'a pas
été possible. A ce sujet et bien que je sois porté
à revenir sur ce point tout à l'heure, je précise
dès à présent que nous ne sommes pas parvenus non plus
à intégrer à ces contrats de plan le financement de la
neige de culture et des « enneigeurs » -- terme que je
préfère à celui de canon-neige. Quoi qu'il en soit, les
difficultés financières liées à l'entretien du parc
de remontées mécaniques dérivent de l'importance des
coûts induits. Pour que vous en soyez convaincus, je me permets de vous
en donner quelques références : un téléski
moyen coûte entre 305.000 et 460.000 euros ; un
télésiège à pince fixe entre 2,3 et 3,05 millions
d'euros ; un télésiège à pince
débrayable entre 3,05 et 4,6 millions d'euros ; une
télécabine ordinaire entre 4,6 et 6,1 millions d'euros... Vous
voyez donc que les chiffres sont loin d'être négligeables et qu'il
est compréhensible qu'une petite régie communale du fin fond de
l'Ariège, par exemple, peine à trouver les moyens
nécessaires au renouvellement de son propre parc de remontées
mécaniques.
Le deuxième axe de réponse à votre première
question dérive d'une question nécessaire à poser :
que veulent véritablement les skieurs ? Pendant de très
nombreuses années, les exploitants de remontées mécaniques
et les collectivités associées ont cru que les usagers voulaient
simplement monter ; aujourd'hui, nous nous sommes aperçus qu'ils
venaient davantage pour descendre ! La nuance est importante et nous avons
mis longtemps à la circonscrire mais elle constitue une grande
révolution intellectuelle dans le milieu de la montagne. En effet, si
les remontées mécaniques sont importantes, ce qui prime tient
dans l'adéquation entre le nombre de personnes à transporter et
la capacité des appareils. Ce n'est donc plus tant le type d'appareil
qui retient l'attention ; la course à la taille entre grandes
stations semble révolue. Les skieurs veulent monter rapidement au point
d'où entreprendre leur descente.
A mon avis -- je croise ici le propos de Jean Faure --, l'Etat a
laissé passer sa chance, dans la mesure où il ne s'est pas
suffisamment intéressé aux aléas de l'enneigement et a
manqué à financer la neige de culture quel que soit le type de
station. Il convient de comprendre, effectivement, que la neige de culture est
un élément vital pour l'ensemble des activités
économiques et de la fréquentation des stations
-- hôtels, restaurants, etc. -- et non uniquement pour les
exploitants de domaines skiables. L'erreur a donc été de ne pas
mettre en place rapidement une aide au développement de la neige de
culture dans les stations et ce quel que soit leur type. Sur le marché
international du ski, seules peuvent se développer, aujourd'hui, les
stations qui s'avèrent capables d'assurer une sécurité
d'enneigement.
Je voudrais maintenant tenter de répondre à votre seconde
question, qui concerne le bilan que nous tirons de l'application de la loi
montagne.
Quels sont, selon nous, les problèmes que pose l'application de la loi
en son état ? Suivant notre vision nécessairement patronale,
la délégation de service public doit servir d'instrument de base
aux collectivités territoriales dans la gestion de leur domaine skiable.
La gestion directe par les collectivités locales, en revanche, doit
rester une exception, à n'envisager que lorsque l'initiative
privée ou semi-privée ne parvient pas à se substituer
à la gestion publique. En d'autres termes, nous ne soutenons pas le
développement des régies, dont la présence nous
paraît fausser la concurrence puisque les exploitants en régie
directe bénéficient d'un certain nombre de dispositions fiscales
voire d'aides spécifiques.
Le principal problème tient dans ce que les règles
définissant la délégation de service public dans la
loi Sapin nous paraissent devoir être révisées pour
tenir compte de la spécificité des investissements en zones de
montagne. Aujourd'hui, effectivement, un grand nombre d'exploitants de
remontées mécaniques arrivent au terme de leur durée de
concession et rencontrent des difficultés avec l'administration
départementale de l'Etat, notamment, pour définir un juste
compromis entre les prorogations qui leur sont nécessaires pour
renouveler leur parc et l'interprétation extrêmement limitative
que fait l'Etat de la loi Sapin. A titre d'illustration, un exploitant de
remontées mécaniques à qui il resterait cinq années
de durée de vie dans une station et qui s'engagerait dans un important
programme de développement ou de renouvellement de son parc se verrait
obligatoirement mis en concurrence par l'application de la loi Sapin. Ne
sachant pas s'ils pourront étaler et donc amortir leurs investissements
éventuels sur une durée suffisamment longue -- entre
15 et 30 années --, de nombreux exploitants
concessionnaires se dispensent donc simplement de tout investissement sur leur
réseau de remontées mécaniques. Aussi avons-nous
demandé à la Direction des transports terrestres d'interroger le
Conseil d'Etat sur ce point. Néanmoins, il faudra peut-être
réviser la loi Sapin, afin que ces interprétations
très restrictives des services de l'Etat autorisent les prorogations.
Comme je vous l'ai dit, notre chambre patronale est constituée
d'entreprises publiques ou privées ; mais elle comprend
également des entreprises à la fois publiques et privées,
c'est-à-dire des sociétés d'économie mixte (SEM).
La SEM semble un outil intéressant pour concilier
délégation de service public et gestion à caractère
industriel et commercial. En revanche, la participation majoritaire des
collectivités locales constitue, à notre avis, un frein au
financement des investissements. Les SEM doivent pouvoir s'alimenter en fonds
propres sans imposer aux collectivités territoriales actionnaires
majoritaires de financer leurs investissements par des augmentations de
capital. En d'autres termes, il nous semble que la loi sur les SEM
récemment révisée, qui a maintenu cette disposition en
faisant en sorte que les collectivités soient nécessairement
majoritaires, constitue un frein au financement des investissements.
Voilà ce que je souhaitais dire sur l'application de la loi montagne. A
notre sens, les incitations voire les aides de l'Etat au renouvellement du parc
des remontées mécaniques et au financement de la neige de culture
nous paraissent des éléments déterminants quant à
la politique d'investissement des exploitants de remontées
mécaniques et de domaines skiables.
J'en viens, à présent, à votre troisième
question :
les freins institutionnels ou juridiques, au
fonctionnement de la loi montagne. J'en évoquerai quelques-uns, qui
seront l'occasion de revenir sur un point d'intervention de Jean Faure.
Il est, tout d'abord, des difficultés fiscales et une injustice patente.
Comme vous le savez, la loi de 1985 a créé deux taxes sur
les recettes de remontées mécaniques : l'une communale
(3 %) ; l'autre départementale (2 %). Or avec le temps,
nous constatons que le produit de ces taxes s'est transmué en recette
ordinaire pour les collectivités et que l'utilisation qui en est faite
s'avère souvent sans rapport avec les affectations prévues dans
l'article 89 de la loi montagne. Peut-être n'avez-vous pas
conscience du fait que ces taxes représentent tout de même
37 millions d'euros par an ! Nous exigeons donc que les
collectivités retournent à l'affectation d'origine de ces taxes.
Cette remarque vaut d'autant plus que l'administration fiscale n'a pas
cessé, depuis leur création, de tenter de grever nos ressources.
Pour expliquer ce qu'il en est, je reviendrai quelque peu sur un propos de
Jean Faure.
Depuis la création de ces taxes en 1985, la nomenclature des
impôts n'a pas été modifiée pour préciser
qu'il s'agit de taxes assises sur le chiffre d'affaires. Il s'ensuit que par
une note interne de la Direction générale des impôts,
l'administration fiscale a récemment considéré qu'il
fallait la sortir de l'assiette d'écrêtement sur la taxe
professionnelle. Il en résulte que les entreprises soumises à
l'écrêtement se trouvent, aujourd'hui, redressées de la
part de cette taxe. Logiquement, les actions intentées devant les
tribunaux administratifs pour contrer ce fait tournent à notre
désavantage, dans la mesure où ces deux taxes de la loi montagne
ne se trouvent mentionnées, effectivement, ni dans le Code
général des impôts, ni dans la nomenclature des taxes sur
le chiffre d'affaires.
Jean-Charles Simiand vous parlera, dans un instant, de Nivalliance.
Toutefois, je souhaite également vous en dire un mot puisque je traite
ici du volet fiscal. Au moment ou nous avons mis en place cette assurance
mutualisée au sein de notre branche professionnelle (pour remplacer le
fonds neige), nous nous sommes aperçus que nous allions être
soumis à une taxe sur les assurances de 9 % au profit de
l'Etat. Or cela nous est apparu illogique, dans la mesure où nous
prenions précisément l'initiative d'organiser, dans notre
profession, la mutualisation du risque de manque de neige, réalisant
ainsi quelque chose que l'Etat n'avait jamais pu résoudre. Si les
agriculteurs se voient exonérés du paiement de cette taxe sur les
assurances au titre des calamités agricoles, il n'est pas de raison
qu'il n'en soit pas de même pour nous puisque nous réagissions par
rapport à une calamité.
Enfin, je voudrais tout de même insister sur un point. Mieux que les
assurances ou que toute autre chose, les entreprises ont l'habitude de faire
des provisions contre les risques. Vous m'opposerez que nous pouvons toujours
réaliser des provisions contre le manque de neige. Le problème
est que l'intérêt réside dans le caractère
défiscalisé de ces provisions. Depuis de nombreuses
années, nous tentons de convaincre le ministère de
l'économie et des finances de nous laisser faire des provisions
défiscalisées pour le manque de neige. Cela permettrait sans
doute d'éviter bien des désagréments et nous disposerions,
alors, de deux armes face à la difficulté d'enneigement :
l'assurance mutualisée, d'une part ; les provisions
défiscalisées, d'autre part. Nous n'y sommes pourtant jamais
parvenus, même si notre discours a été relativement bien
reçu. En effet, Bercy semble craindre par-là de créer un
précédent qui pourrait être utilisé dans d'autres
professions -- c'est la réponse qui m'est
régulièrement faite.
Bien que vous ne m'ayez pas posé la question, je ne peux pas ne pas
évoquer le pan social puisque notre branche professionnelle
représente à peu près 19 000 emplois
-- même si une grande part d'entre eux est saisonnière, notre
activité l'étant aussi.
A ce sujet, les lois Aubry sur la réduction du temps de travail ont
constitué, dans notre branche professionnelle, un véritable
casse-tête chinois. Vous comprenez bien que les personnes venant
travailler à rythme saisonnier en montagne espèrent
réaliser un maximum d'heures en une période réduite ;
c'est pourquoi ils n'ont pas accepté de ne pas pouvoir le faire !
Ceci explique que la mise en place de cette réduction du temps de
travail dans le domaine des remontées mécaniques a
été extrêmement complexe -- d'autant que les
entreprises que nous représentons s'avèrent diverses, depuis la
régie dénombrant trois salariés jusqu'à la
société cotée en Bourse. Il nous semble que la
libération du contingent des heures supplémentaires serait la
moindre des mesures envisageables.
Je ne reviendrai pas sur le problème du logement, si ce n'est pour
confirmer qu'en tant qu'employeurs, nous avons d'énormes
difficultés à loger nos personnels saisonniers mais aussi
permanents. Les différents textes parus sur les collecteurs
de 1 % s'avèrent pour nous catastrophiques puisque les sommes
que nous versons au titre du 1 % logement vont aujourd'hui vers
les banlieues des grandes villes. Nous ne parvenons pas, actuellement, à
récupérer l'argent investi au niveau de la branche pour
créer des logements sociaux dans les stations, en liaison avec les
collectivités.
Du point de vue institutionnel, toujours, nous rencontrons certains soucis
à propos des unités touristiques nouvelles (UTN). Certes, c'est
avec satisfaction que nous avons constaté qu'à la suite du
Conseil national de la montagne tenu à Clermont-Ferrand, l'Etat a
modifié les seuils de déclenchement des UTN. Néanmoins,
quelle n'a pas été notre surprise, lors de la parution du texte
le 2 mai, de voir que le montant de 4 millions d'euros
s'entendait TTC ! C'est bien la première fois qu'un secteur
économique se voit imposer un seuil TTC. En effet, la TVA est par
définition quelque chose de neutre et qui, surtout, peut fluctuer. A mon
sens, il y a là une erreur manifeste, qu'il faudrait corriger rapidement.
Je voudrais également signaler que nous avons appelé l'attention
des parlementaires, à plusieurs reprises, sur l'aspect d'urgence de la
loi montagne concernant la construction des remontées mécaniques.
Il nous semble qu'une remontée mécanique subissant une avarie
pendant l'hiver ne peut pas se permettre d'attendre plus de six mois
d'instruction avant de passer devant une UTN pour réaliser les travaux
nécessaires. C'est en ce sens qu'il faudrait revoir la procédure
d'urgence.
Enfin, je voudrais vous dire que nous partageons totalement le point de vue de
Jean-Paul Amoudry concernant les servitudes pour travaux
nécessaires à l'aménagement des pistes de skis. Je vous ai
dit, tout à l'heure, que réaliser des installations de neige de
culture me semblait déterminant pour les stations ; encore
faudrait-il pouvoir réaliser des travaux dans de bonnes
conditions ! Lorsque la loi montagne a été
créée, il était peu question de neige de culture et les
servitudes inscrites n'y ont donc pas fait référence. Pourtant,
autant il peut paraître relativement aisé de créer une
piste ou de construire une remontée mécanique, autant faire
passer des tuyaux dans un terrain privé en vue d'une installation de
neige de culture paraît mission impossible.
J'en ai fini de mon propos. A présent, Jean-Charles Simiand va
répondre à la dernière de vos questions, qui concerne
Nivalliance. Au préalable, je rappellerai simplement que Nivalliance est
une réponse au risque conjoncturel mais non structurel.
M. Jean-Charles Simiand -
Merci Monsieur le Président. Avant
toute chose, je préciserai que les cinq volets évoqués par
le Président Faraudo -- volets économique, touristique,
fiscal, social et développement -- se trouvent intégralement
déclinés dans les cinq notes que nous avons
rédigées par écrit et incluses au dossier que nous vous
avons remis. En outre, ce dernier comprend une note concise de
présentation du SNTF ainsi qu'un développement des données
principales, un bilan des investissements 2001 et une présentation
complète de Nivalliance, que je vais vous résumer sans tarder.
L'ANEM, l'Etat et le SNTF ont longtemps discuté pour essayer de mettre
collectivement sur pied un fonds neige. Face au non-aboutissement de cette
démarche, la profession a lancé une étude de
faisabilité sur une assurance mutualisée n'existant nulle part au
monde, laquelle s'est révélée, après deux
années d'étude, positive. Nous avons donc pris notre bâton
de pèlerin pour convaincre les grandes exploitations d'y participer et
c'est ainsi qu'en dépit d'un contexte extrêmement
défavorable -- suite aux catastrophes de New York et de
Toulouse --, nous avons voté à l'unanimité de notre
profession, en novembre 2001, une assurance mutualisée des
aléas d'exploitation. Cette assurance mutualisée est
entrée en application
au 1
er
décembre 2001 et sa première
saison échoit ces jours-ci puisqu'elle porte sur les recettes
d'exploitation du 1
er
décembre au 31 mai. Bien
que cette assurance soit volontaire, 196 exploitants de notre profession y ont
d'emblée adhéré, parmi lesquels les 21 plus grandes
entreprises. Les quelques retardataires, eux, nous rejoindront sans doute l'an
prochain.
Si les assureurs avaient concédé à nous couvrir et si
cette assurance mutualisée ne s'était adressée qu'à
des entreprises petites à fort risque individuel, il y a fort à
parier que la prime d'assurance aurait avoisiné un taux de 7 %
à 10 % du chiffre d'affaires. Dans le cas présent,
la prime ou cotisation -- qui s'opère par tranches -- atteint
un ordre de grandeur courant de 0,35 %
à 0,75 % du chiffre d'affaires. En d'autres termes, un
petit exploitant à fort risque individuel ne cotise que
0,75 % de son chiffre d'affaires ! Si ce pourcentage est faible,
c'est que c'est la masse de la profession qui fait bloc vis-à-vis des
assureurs et que les 21 grands exploitants d'altitude que
j'évoquais à l'instant, dont le risque s'avère très
faible, représentent à eux seuls plus de la moitié de
l'apport de prime à l'assureur.
D'une manière générale, l'assurance couvre les
aléas d'exploitation externes. Au premier rang de ceux-ci figurent le
manque de neige, bien entendu, mais aussi son excès, qui induit des
routes coupées suite à des avalanches ou à des chutes de
pierres, par exemple. L'assurance couvre également les grèves
externes (camionneurs bloquant l'accès aux vallées et aux
stations en période de pointe, grèves de la SNCF...) et les
fermetures administratives d'appareils lourds desservant l'ensemble d'un
domaine pour des raisons externes à l'exploitant (c'est-à-dire
liées à un défaut d'origine et non d'entretien). Enfin,
diverses autres choses se trouvent couvertes, telles une éventuelle
modification du calendrier des vacances scolaires, dont les conséquences
en termes de fréquentation seraient importantes pour les stations.
Sur ce dernier point et comme vous le verrez dans le volet économique,
l'harmonisation des zones de vacances scolaires françaises entre elles
et avec les pays européens voisins est capitale, en ce que les petites
stations réalisent plus de 50 % de leur chiffre
d'affaires sur le seul mois de février. Cette harmonisation participe
donc d'une fréquentation optimisée et de résultats
satisfaisants pour l'ensemble des stations. A titre d'exemple du risque
encouru, je rappellerai simplement qu'il y a peu, la modification des vacances
d'hiver induisant un début de période en milieu de semaine a
induit un repli considérable du chiffre d'affaires dans certaines
stations (de 20 % à 25 %).
Pour ce qui est du déclenchement de l'assurance, nous avons
déterminé comme chiffre d'affaires de référence
celui des cinq saisons précédentes, déduction faite de la
plus mauvaise comme de la meilleure. Nous éliminons ainsi les
extrêmes pour ne prendre en compte que les trois saisons moyennes parmi
les cinq dernières. Dès lors, l'assurance se charge d'indemniser
les cotisants dont la baisse du chiffre d'affaires par rapport au chiffre
d'affaires de référence tel qu'explicité ci-avant atteint
au moins 20 %. Ceci s'est produit, à la fin de la
saison 2001-2002, dans certaines zones des Alpes du sud, du sud du Massif
central et de la bordure des Alpes du nord.
Ainsi, une perte de chiffre d'affaires correspondant à un taux
inférieur à 20 % constitue une franchise, en quelque
sorte, qui correspond à une exploitation normale. A partir de 20 %
de perte, en revanche, nous considérons qu'il y a sinistre et en prenons
60 % en compte -- sous plafond (sans quoi nous n'aurions pas
disposé de taux accessibles). Ceci fait qu'un exploitant subissant cette
année une perte de 40 %, par exemple, sera indemnisé
à hauteur de 12 % de son chiffre d'affaires de
référence. Cette somme non négligeable ne règlera
pas tous ses problèmes mais lui permettra, notamment dans ses
discussions avec les banquiers, d'apporter sa part d'effort personnelle.
A titre d'illustration, je peux vous dire que les primes, cette année,
ont représenté 3,350 millions d'euros, dont près
de 2,135 millions d'euros en provenance des 21 grands exploitants
d'altitude évoqués. J'insiste sur le point fort de ce
système, qui tient dans ce que ces exploitants d'altitude participent
pleinement du système alors que leur risque s'avère infime. Cette
mutualisation fait toute la force de cette initiative, qui représente,
je le répète, une première au niveau mondial -- que
nos collègues étrangers sont en train de considérer avec
intérêt.
J'en ai fini et vous aurez peut-être quelques questions à nous
poser. Je rappellerai simplement -- vous avez un rôle majeur
à jouer sur ce point -- que compte tenu des délais
très courts d'application, tous nos exploitants ont accepté,
cette année, de supporter la taxe sus-évoquée
de 9 % sur les assurances en plus des primes payables. Toutefois et
en vertu d'un accord conclu avec les assureurs, nous avons pris l'engagement
que si nous ne pouvions pas obtenir l'effacement de cette taxe sur les
assurances à compter de la deuxième saison (en dépit du
collectif budgétaire et de la loi de finances à venir), nous
baisserions les primes de 9 %, afin de faire comme si la taxe
n'existait pas. Conséquemment, toutes les indemnisations subiraient
elles aussi une baisse de 9 %, de même que le montant des
plafonds. Nous pensons qu'il y a là un élément à
faire jouer auprès de Bercy et nous comptons sur l'ANEM et sur votre
mission pour établir un dialogue direct en ce sens
M. Jean-Charles Faraudo -
Si vous le permettez, je voudrais encore
évoquer quelques éléments en marge de notre profession
mais dont nous dépendons directement.
La promotion de la montagne en France comme à l'étranger me
semble devoir être relancée. Nous avons la chance de disposer d'un
outil unique en Europe -- l'outil des Professionnels associés de la
montagne (PAM) --, qui rassemble les collectivités territoriales et
l'ensemble des entreprises concernées quel que soit leur secteur
(vêtements, remontées mécaniques, hôtels...) pour
favoriser et promouvoir,
via
les cotisations, l'image des zones de
montagne. Dans ce cadre, la part de l'Etat ne représente plus que peau
de chagrin, aujourd'hui, alors qu'elle comptait encore pour 50 % des
ressources il y a peu. Il nous faut pourtant relancer des campagnes. En effet,
la montagne peut jouer comme facteur de cohésion sociale. Comment ne pas
déplorer que de moins en moins d'enfants scolarisés visitent nos
stations dans le cadre de classes de neige ? Par ailleurs, nous avons bien
du mal à intéresser le service public de la
télévision aux épreuves sportives de montagne en dehors de
la période des jeux olympiques...
D'autre part, je ne reviendrai pas sur les questions de la qualification des
lits touristiques et de la rénovation des parcs immobiliers.
Néanmoins, les propos de Jean Faure afférents à la
disposition opérations de réhabilitation de l'immobilier de
loisir (ORIL) doivent nous interpeller : les outils à notre
disposition se révèlent insuffisants, sur le terrain, pour
remplir notre mission de rénovation immobilière.
Enfin, je me permettrai d'insister sur les infrastructures car l'accès
aux stations constitue une nécessité absolue. En ce sens, le
réseau autoroutier mais également les connexions intermodales
rail-route-air doivent se voir finalisées. Quand bien même elles
constituent une gêne sur le plan écologique, nous ne pouvons pas
nous en dispenser.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci à vous deux pour ces exposés
extrêmement précis et complets, qui nous ont permis de saisir
à la fois l'importance économique des enjeux présents et
les problèmes nécessitant solution. Vos propos dénotent
une telle qualité que je me bornerai, ici, à vous demander
quelques contributions ponctuelles complémentaires pour prolonger votre
apport.
Premièrement, il me paraît intéressant de revenir quelque
peu sur l'incompatibilité entre la loi montagne et son principe de
délégation de service public affirmée au
bénéfice des collectivités locales ainsi que sur les
principes qui préfigurent d'ores et déjà le droit
européen et la libéralisation inspirée par la loi Sapin.
De manière très concrète, comment analysez-vous ces
points ? Nous serions particulièrement intéressés si
sur un ou deux cas précis, vous pouviez nous transmettre les
données du problème à partir d'un cahier des charges
indiquant la date d'échéance, les annuités, les frais
d'exploitation, les enjeux en termes de renouvellement, les aléas de
l'ouverture à la concurrence et les pistes de solutions
envisagées. Nous pourrions alors plus justement illustrer vos propos
dans l'optique d'une adaptation du droit français mais également
européen de la montagne. Si vous disposez de tels exemples, vous seriez
aimable de nous les faire passer...
M. Jean-Charles Faraudo -
Nous avons ces exemples.
M. Jean-Paul Amoudry -
Deuxièmement, vous avez
évoqué la TVA et le problème de l'inclusion de deux taxes
dans son assiette. Sur ce point aussi, nous apprécierions tout
complément jurisprudentiel nous permettant d'affiner la précision
de notre rapport.
M. Jean-Charles Faraudo -
Cet élément est explicité
dans notre dossier mais nous vous communiquerons un exemple de contentieux
-- puisque le Tribunal administratif de Grenoble, malheureusement, a
débouté un exploitant...
M. Jean-Paul Amoudry -
Troisièmement, vous possédez sans
doute une lettre de Bercy en ce qui concerne les provisions pour manque de
neige et le refus de défiscaliser de la part de l'Etat. Cette lettre
serait elle aussi la bienvenue dans notre dossier. Toutefois, je me demande
s'il est possible de cumuler Nivalliance et des provisions pour manque de
neige. N'y a-t-il pas redondance ou double emploi sur ce point ?
M. Jean-Charles Faraudo -
Ces deux choses ne sont pas de même
nature ! Il s'agit d'un côté d'une disposition comptable et
de l'autre d'une assurance. Ce n'est donc pas du tout la même chose.
M. Jean-Paul Amoudry -
Ceci signifie qu'en cas de difficultés,
nous pourrions concevoir qu'une société puisse à la fois
bénéficier de Nivalliance et renforcer ses garanties au moyen des
provisions qu'elle aura pu constituer...
M. Jean-Charles Faraudo -
Absolument. D'un côté, elle
percevrait une prime (avec un plafond) ; de l'autre, elle opérerait
une reprise de provisions, c'est-à-dire qu'elle
réintégrerait des provisions constituées les années
précédentes, en cas d'absence de sinistre.
M. Jean-Charles Simiand -
Cette mesure semble devoir s'adresser
préférentiellement aux stations moyennes et petites, en vue d'un
lissage de leur chiffre d'affaires. Une grande station serait certainement
moins intéressée par la provision défiscalisée
qu'une station moyenne, laquelle connaît précisément des
oscillations très fortes en termes d'activité. Plus globalement,
l'enjeu de cette question tient dans la demande de ne plus nous voir
considérés comme des artisans du monde touristique mais comme des
industriels du tourisme. D'où la justification de la provision
défiscalisée et de l'alignement sur le régime de droit
commun.
M. Jean-Charles Faraudo -
En effet, nous ne revendiquons rien d'autre
que de nous voir considérés comme des entreprises touristiques
à part entière. Je ne sais pas si j'en retrouverai des traces
dans nos archives mais ce débat a déjà été
porté par plusieurs ministres et secrétaires d'Etat de diverses
tendances politiques ; or Bercy s'y est toujours opposé.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je me permets, ici, de vous rendre hommage pour
la création de Nivalliance. Je salue particulièrement, en outre,
la compréhension et l'esprit de solidarité qui
caractérisent les 21 grandes entreprises en question, sans
lesquelles rien n'aurait pu aboutir. C'est là une grande première
que le Sénat se doit de saluer, qui permet, dans un esprit solidaire, de
régler partiellement certains problèmes assombrissant le ciel de
maintes petites ou moyennes stations -- d'autant que l'avenir de la
moyenne montagne et des stations petites ou moyennes constitue l'une des
préoccupations majeures de notre mission. Nous prenons donc acte de
votre initiative comme de vos efforts et saluons l'ensemble de cette
démarche.
Par ailleurs, nous constatons, dorénavant, un relatif plafonnement de la
clientèle des skieurs. Comment envisager l'avenir dans ce
contexte ? Il me paraît que la question du coût des
séjours aux sports d'hiver trouve ici sa légitimité.
Comment prendre cette problématique à bras-le-corps ? Vous
avez souligné, à juste titre, le coût important des
investissements matériels. Il est indubitable qu'un certain nombre de
faits majeurs impondérables grèvent les budgets,
déterminant des coûts de séjour pratiquement
incompressibles. Il n'en demeure pas moins que cela pose problème au
regard du choix des destinations. Que faire ? Si vous disposiez
d'études ou de réflexions sur cet aspect de la cherté des
séjours, nous apprécierions que vous nous les communiquiez.
Alors, nous pourrions plaider un effort nouveau de la part de l'Etat.
M. Jean-Charles Simiand -
Nous avons évoqué l'enjeu des
calendriers scolaires et de l'étalement des périodes de
fréquentation. Il y a là une piste importante, dans la mesure
où la concentration des vacances et la nécessité induite
d'amortir les dépenses sur des périodes courtes pose
incontestablement problème. Plus les périodes de
fréquentation se distendent, plus le prix moyen des séjours est
porté à la baisse. Si vous comparez, dans certaines stations, le
coût d'un séjour d'une semaine au mois de janvier à celui
d'une semaine pendant la période des vacances d'hiver de la zone de
Paris, vous constaterez une différence exorbitante ! Celle-ci est
la conséquence directe de périodes courtes de rendement.
L'exemple de l'Autriche pourrait nous instruire sur cet aspect des
choses : si le coût des séjours y demeure supérieur au
nôtre, l'occupation s'y étale largement sur la
quasi-totalité de la saison d'hiver, y compris dans les stations
moyennes. Malgré un parc immobilier, un nombre de lits et un
réseau de remontées mécaniques moindres que les
nôtres, les Autrichiens accueillent davantage de clients que nous !
M. Jean-Charles Faraudo -
Depuis quelques années, effectivement,
nos voisins suisses et autrichiens opèrent des efforts très
importants en termes d'investissements. Ils sont aidés, en cela, par
leurs régions. Aujourd'hui, leur parc de remontées
mécaniques, qui était très vieillissant par rapport au
nôtre, devient tout à fait correct.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez parlé des ORIL et de
l'inadaptation de ce schéma de la loi au cas particulier des Alpes.
Pourriez-vous rédiger une note explicitant les raisons de cet
échec ?
M. Jean-Charles Faraudo -
Avec plaisir !
Brièvement, je dirai que cela ne marche pas parce que nous n'avons pas
les moyens de convaincre les propriétaires et les agences de location
existantes de s'intégrer au système. Voilà la grande
difficulté. Il y a quelque temps, la possibilité de
récupérer une TVA à 19,6 % pouvait constituer un
élément déclencheur fort dans ce sens ; aujourd'hui,
un taux à 5,5 % n'apparaît pas suffisamment motivant. A
l'Alpe d'Huez, malgré une aide au propriétaire égale
à 20 % du montant des travaux, nous n'avons
déclenché, en trois ans, que trois rénovations
d'appartements alors que nous disposons de 50 000 lits. Vous
voyez le ridicule de ce chiffre !
Les agences immobilières ne veulent tout simplement pas être les
gestionnaires d'un village résidentiel de tourisme (VRT) : d'une
part, cela nécessite une gestion particulière en termes
d'accueil, d'entretien, etc. ; d'autre part, cela stipule de s'engager sur
un revenu locatif garanti au propriétaire sur une période de neuf
ans. Aussi, nous sommes condamnés à ce que ce soit l'organisme
public qui s'investisse dans ces opérations. Les outils à notre
disposition ne paraissent pas suffisants. Je joindrai donc une note sur ce
point.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie infiniment. Bien entendu, nous
vous rendrons destinataires de ce rapport, le moment venu, en souhaitant qu'il
puisse trouver dans la loi, le règlement et les actions
législatives et gouvernementales les solutions souhaitées.