L'avenir de la montagne : un développement équilibré dans un environnement préservé
AMOUDRY (Jean-Paul)
RAPPORT D'INFORMATION 15 (2002-2003) - MISSION COMMUNE D'INFORMATION
Rapport au format Acrobat ( 1800 Ko )Table des matières
- 1. Audition de M. François Philizot, directeur, adjoint au délégué à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), accompagné de Mme Hélène Jacquet-Monsarrat, chargée de mission (3 avril 2002)
- 2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan (3 avril 2002)
- 3. Audition de M. Yves Cassayre, délégué national aux actions de restauration des terrains en montagne (RTM) (3 avril 2002)
- 4. Audition de M. François Sivardière, directeur de l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) (3 avril 2002)
- 5. Audition de M. Patrice Vermeulen, directeur des entreprises commerciales, artisanales et de services auprès du ministre délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (23 avril 2002)
- 6. Audition de M. Pierre Radanne, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (23 avril 2002)
- 7. Audition de M. Bernard Baudin, président de l'Association nationale des chasseurs de montagne, membre du Conseil national de la montagne (23 avril 2002)
- 8. Audition de M. Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagné de M. Jean-Claude Tarty, chef de bureau de la montagne et du pastoralisme (15 mai 2002)
- 9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la Fédération française d'économie montagnarde (15 mai 2002)
- 10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002)
- 11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002)
- 12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002)
- 13. Audition de MM. Claude Falip, responsable du dossier de la montagne des « Jeunes Agriculteurs », Michel Lacoste et Yannick Fialip (22 mai 2002)
- 14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne, accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de mission (22 mai 2002)
- 15. Audition de M. François Servoin, professeur de droit à l'Université de Grenoble (22 mai 2002)
- 16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation (29 mai 2002)
- 17. Audition de M. José Rey, chef du Service central des enquêtes et études statistiques au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (29 mai 2002)
- 18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'écologie et du développement durable (29 mai 2002)
- 19. Audition de M. Jean Faure, questeur du Sénat, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), vice-président de l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (29 mai 2002)
- 20. Audition de M. Jean-Charles Faraudo, président du syndicat national des téléphériques de France (SNTF) accompagné de M. Jean-Charles Simiand, délégué général (29 mai 2002)
- 21. Audition de M. Jean-Paul Chirouze, directeur de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (18 juin 2002)
- 22. Audition de M. Dominique Cairol, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des territoires » (18 juin 2002)
- 23. Audition de MM. Bernard Rousseau, inspecteur général du tourisme, Alain Wauters, inspecteur général de la construction, représentant du conseil général des Ponts et Chaussées et Louis Blaise, inspecteur général de l'environnement, chargés d'une mission interministérielle sur la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (18 juin 2002)
- 24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du génie rural des eaux et forêts de l'inspection générale de l'Environnement (19 juin 2002)
- 25. Audition de Mme Marie Guittard, adjointe au directeur des politiques économiques et internationales, chef de la production et des marchés au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (19 juin 2002)
- 26. Audition de M. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), accompagné de M. Sylvain Confida, conseiller (19 juin 2002)
- 27. Audition de M. Michel Badré, directeur général adjoint de l'Office national des forêts (25 juin 2002)
- 28. Audition de MM. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM), Jacques Grassi, président de la Chambre des métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et Jean Vaquié, président de la Chambre des métiers de l'Aude (25 juin 2002)
- 29. Audition de M. Bernard Debarbieux, directeur du laboratoire « territoire, environnement montagnard et organisations sociales » à l'Institut de géographie alpine de Grenoble (26 juin 2002)
- 30. Audition de Mme Anne-Marie Comparini, présidente du Conseil régional de Rhône-Alpes, membre de l'association des Régions de France (26 juin 2002)
- 31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de Chambéry (26 juin 2002)
- 32. Audition de M. Pierre Rémy, délégué général de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) (26 juin 2002)
- 33. Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (26 juin 2002)
- 34. Audition de MM. Marc Maillet, membre du conseil d'administration de France Nature Environnement et membre du Conseil national de la montagne, Eric Feraille, représentant du réseau Montagne de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) et Gilles Privat, secrétaire général de Mountain Wilderness (26 juin 2002)
- 35. Audition de M. Didier Borotra, sénateur, maire de Biarritz, président de l'Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques (ANMSCCT), accompagné de Mme Géraldine Leduc, directrice générale et M. Renaud Colin, chargé de mission (2 juillet 2002)
- 36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002)
- 37. Audition de M. Michel Teyssedou, ancien président de la chambre d'agriculture du Cantal (2 juillet 2002)
- 38. Audition de M. René Peltier, président de France Ski de Fond, accompagné de M. Louis Ours, directeur (3 juillet 2002)
- 39. Audition de M. Jean-Paul Fuchs, président de la fédération nationale des parcs naturels régionaux (3 juillet 2002)
- 40. Audition de M. Robert de Caumont, président de l'Association pour le développement économique de la Haute Durance (ADECOHD), accompagné de Mme Jacqueline Fabre (3 juillet 2002)
- 41. Audition de Madame Claude Nahon, directeur, déléguée au domaine hydraulique à Electricité de France, accompagnée de M. Alain Véry, directeur de l'unité de production Sud Ouest (3 juillet 2002)
- 42. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (16 juillet 2002)
- 43. Audition de Mmes Josette Brosselin, directeur régional de Dexia Crédit Local, Françoise Bérard, responsable du marché intercommunalité et Béatrice Bernaud-Pau, directeur des relations institutionnelles (17 juillet 2002)
- 44. Audition de Mme Martine Laquieze, adjoint au sous-directeur des finances locales et de l'action économique au ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des libertés locales accompagnée de M. Guillaume Chabert, chef du bureau des concours financiers de l'Etat (17 juillet 2002)
- 45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (24 juillet 2002)
- 46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse, accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Corse, président de la Chambre départementale d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002)
- 47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet, sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet 2002)
- 48. Audition de M. Pierre Hérisson, sénateur, président du groupe d'études Postes et Télécommunications du Sénat (24 juillet 2002)
- 49. Audition de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (25 septembre 2002)
- 50. Audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (25 septembre 2002)
- 51. Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable (8 octobre 2002)
-
L'AVENIR DE LA MONTAGNE :
UN DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ
DANS UN ENVIRONNEMENT PRÉSERVÉ
N° 15
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 octobre 2002
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la mission commune d'information (1) chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne et en particulier de l 'application de la loi du 9 janvier 1985 , de son avenir , et de ses nécessaires adaptations ,
Par M.
Jean-Paul AMOUDRY,
Sénateur.
TOME II : AUDITIONS
(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Jacques Blanc, président ; M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur ; MM. Auguste Cazalet, Jean-Pierre Vial, Michel Moreigne, Mme Josette Durrieu, M. Pierre Hérisson, vice-présidents ; MM. Gérard Bailly, Jean-Paul Émin, François Fortassin, Mme Josiane Mathon, M. André Rouvière, secrétaires ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Jean-Pierre Bel, Roger Besse, Jean Boyer, André Ferrand, Charles Ginésy, Georges Gruillot, Pierre Jarlier, Philippe Leroy, Paul Loridant, Jean-Pierre Masseret, Paul Natali, Roger Rinchet, Bernard Saugey, Daniel Soulage.
Aménagement du territoire. |
SOMMAIRE
Pages
1.
Audition de M. François Philizot, directeur, adjoint au
délégué à la Délégation à
l'aménagement du territoire et à l'action régionale
(DATAR), accompagné de Mme Hélène Jacquet-Monsarrat,
chargée de mission (3 avril 2002)
7
2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à
l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de
l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat
général du Plan (3 avril 2002)
20
3. Audition de M. Yves Cassayre, délégué national aux
actions de restauration des terrains en montagne (RTM) (3 avril 2002)
30
4. Audition de M. François Sivardière, directeur de
l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches
(ANENA) (3 avril 2002)
40
5. Audition de M. Patrice Vermeulen, directeur des entreprises commerciales,
artisanales et de services auprès du ministre
délégué à l'industrie, aux petites et moyennes
entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (23
avril 2002)
51
6. Audition de M. Pierre Radanne, président de l'Agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
(23 avril 2002)
63
7. Audition de M. Bernard Baudin, président de l'Association
nationale des chasseurs de montagne, membre du Conseil national de la montagne
(23 avril 2002)
73
8. Audition de M. Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la
politique sociale et de l'emploi au ministère de l'agriculture et de la
pêche, accompagné de M. Jean-Claude Tarty, chef de bureau de la
montagne et du pastoralisme (15 mai 2002)
79
9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la
Fédération française d'économie montagnarde (15 mai
2002)
97
10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission
internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002)
108
11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et
d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002)
117
12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des
chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la
Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier
vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de
commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur
général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002)
129
13. Audition de MM. Claude Falip, responsable du dossier de la montagne des
« Jeunes Agriculteurs », Michel Lacoste et Yannick Fialip
(22 mai 2002)
142
14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire
général adjoint de la Fédération nationale des
Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne,
accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de
mission (22 mai 2002)
154
15. Audition de M. François Servoin, professeur de droit à
l'Université de Grenoble (22 mai 2002)
166
16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de
l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la
construction au ministère de l'équipement, des transports, du
logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe
Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation
(29 mai 2002)
178
17. Audition de M. José Rey, chef du Service central des
enquêtes et études statistiques au ministère de
l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (29
mai 2002)
190
18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la
Direction des études économiques et de l'évaluation
environnementale du ministère de l'écologie et du
développement durable (29 mai 2002)
201
19. Audition de M. Jean Faure, questeur du Sénat, ancien
président de l'Association nationale des élus de la montagne
(ANEM), vice-président de l'Association des maires des stations
françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE)
(29 mai 2002)
211
20. Audition de M. Jean-Charles Faraudo, président du syndicat
national des téléphériques de France (SNTF)
accompagné de M. Jean-Charles Simiand, délégué
général (29 mai 2002)
221
21. Audition de M. Jean-Paul Chirouze, directeur de l'Agence de l'eau
Rhône-Méditerranée-Corse (18 juin 2002)
233
22. Audition de M. Dominique Cairol, ingénieur général
du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du
département « gestion des territoires » (18 juin
2002)
245
23. Audition de MM. Bernard Rousseau, inspecteur général du
tourisme, Alain Wauters, inspecteur général de la construction,
représentant du conseil général des Ponts et
Chaussées et Louis Blaise, inspecteur général de
l'environnement, chargés d'une mission interministérielle sur la
loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et
à la protection de la montagne (18 juin 2002)
250
24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du
génie rural des eaux et forêts de l'inspection
générale de l'Environnement (19 juin 2002)
261
25. Audition de Mme Marie Guittard, adjointe au directeur des politiques
économiques et internationales, chef de la production et des
marchés au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la
pêche et des affaires rurales (19 juin 2002)
273
26. Audition de M. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de
l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA),
accompagné de M. Sylvain Confida, conseiller (19 juin 2002)
284
27. Audition de M. Michel Badré, directeur général
adjoint de l'Office national des forêts (25 juin 2002)
291
28. Audition de MM. Alain Griset, président de l'Assemblée
permanente des chambres de métiers (APCM), Jacques Grassi,
président de la Chambre des métiers des
Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM au sein de
l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et Jean
Vaquié, président de la Chambre des métiers de l'Aude (25
juin 2002)
304
29. Audition de M. Bernard Debarbieux, directeur du laboratoire
« territoire, environnement montagnard et organisations
sociales » à l'Institut de géographie alpine de
Grenoble (26 juin 2002)
316
30. Audition de Mme Anne-Marie Comparini, présidente du Conseil
régional de Rhône-Alpes, membre de l'association des
Régions de France (26 juin 2002)
326
31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de
l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de
Chambéry (26 juin 2002)
336
32. Audition de M. Pierre Rémy, délégué
général de l'Association nationale des élus de la montagne
(ANEM) (26 juin 2002)
349
33. Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association
des maires des stations françaises de sports d'hiver et
d'été (AMSFSHE) (26 juin 2002)
360
34. Audition de MM. Marc Maillet, membre du conseil d'administration de
France Nature Environnement et membre du Conseil national de la montagne, Eric
Feraille, représentant du réseau Montagne de la
Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA)
et Gilles Privat, secrétaire général de Mountain
Wilderness (26 juin 2002)
371
35. Audition de M. Didier Borotra, sénateur, maire de Biarritz,
président de l'Association nationale des maires des stations
classées et des communes touristiques (ANMSCCT), accompagné de
Mme Géraldine Leduc, directrice générale et M. Renaud
Colin, chargé de mission (2 juillet 2002)
392
36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des
géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil
supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean
Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de
l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002)
404
37. Audition de M. Michel Teyssedou, ancien président de la chambre
d'agriculture du Cantal (2 juillet 2002)
413
38. Audition de M. René Peltier, président de France Ski de
Fond, accompagné de M. Louis Ours, directeur (3 juillet 2002)
425
39. Audition de M. Jean-Paul Fuchs, président de la
fédération nationale des parcs naturels régionaux (3
juillet 2002)
436
40. Audition de M. Robert de Caumont, président de l'Association pour
le développement économique de la Haute Durance (ADECOHD),
accompagné de Mme
Jacqueline Fabre (3 juillet 2002)
447
41. Audition de Madame Claude Nahon, directeur,
déléguée au domaine hydraulique à
Electricité de France, accompagnée de M. Alain Véry,
directeur de l'unité de production Sud Ouest (3 juillet 2002)
464
42. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de
l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (16 juillet 2002)
475
43. Audition de Mmes Josette Brosselin, directeur régional de Dexia
Crédit Local, Françoise Bérard, responsable du
marché intercommunalité et Béatrice Bernaud-Pau, directeur
des relations institutionnelles (17 juillet 2002)
491
44. Audition de Mme Martine Laquieze, adjoint au sous-directeur des finances
locales et de l'action économique au ministère de
l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des
libertés locales accompagnée de M. Guillaume Chabert, chef du
bureau des concours financiers de l'Etat (17 juillet 2002)
504
45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez,
président de l'Institut d'études juridiques du Conseil
supérieur du notariat (24 juillet 2002)
515
46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse,
accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de
développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne
Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la
région Corse, président de la Chambre départementale
d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint
Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002)
527
47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du
Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet,
sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale
Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel
Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur
départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet
2002)
548
48. Audition de M. Pierre Hérisson, sénateur, président
du groupe d'études Postes et Télécommunications du
Sénat (24 juillet 2002)
567
49. Audition de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des
transports, du logement, du tourisme et de la mer (25 septembre 2002)
573
50. Audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de
la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire
(25 septembre 2002)
592
51. Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du
développement durable (8 octobre 2002)
614
1. Audition de M. François Philizot, directeur, adjoint au délégué à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), accompagné de Mme Hélène Jacquet-Monsarrat, chargée de mission (3 avril 2002)
M.
Michel Moreigne, Président -
Je me permets de vous souhaiter la
bienvenue et vous prie d'excuser le Président BLANC retenu dans sa
circonscription électorale. Je donne tout de suite la parole, pour
l'introduction à nos travaux, à notre Rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur -
Merci Monsieur le Président.
Je veux à mon tour accueillir et remercier de leur présence
M. Philizot et Mme Jacquet-Montsarrat, et saluer la présence
de mes collègues sénateurs, en les remerciant de leur
participation à nos travaux. Je veux rappeler à nos
invités de la Délégation à l'aménagement du
territoire et à l'action régionale (DATAR) que le Sénat a
décidé, il y a quelques semaines, la création d'une
mission d'information sur la montagne. Cette mission est commune aux quatre
commissions du Sénat que sont la commission des Affaires
économiques et du Plan, la commission des Affaires
étrangères, la commission des Finances et la commission des Lois.
Cette mission réunit les membres de tous les groupes politiques et je
souhaite en rappeler la composition : le Président, Monsieur
Jacques BLANC ; sénateur de Lozère, votre serviteur,
sénateur de Haute-Savoie ; les vice-présidents, M. Auguste
Cazalet des Pyrénées-Atlantiques, M. Jean-Pierre Vial de la
Savoie, M. Michel Moreigne de la Creuse, Mme Josette Durrieu des
Hautes-Pyrénées, M. Pierre Hérisson de Haute-Savoie, M.
Gérard Bailly du Jura, M. Jean-Paul Émin de l'Ain, M.
François Fortassin des Hautes-Pyrénées, Mme Josiane Mathon
de la Loire et M. André Rouvière du Gard.
Les objectifs assignés à cette mission sont de deux ordres :
évaluer l'application de la politique montagne en
référence notamment à la loi du 9 janvier 1985, dresser le
bilan de cette politique
L'approche que nous avons définie consiste à aborder trois grands
thèmes : l'aménagement des territoires de montagne ;
l'économie, la protection du patrimoine montagnard.
proposer, le cas échéant, de nouvelles orientations, sur la
base des trois thématiques que je viens d'évoquer ; adresser
ces orientations à l'automne à l'adresse du nouveau gouvernement
et du nouveau Parlement, au lendemain du renouvellement prévu en
juin.
Nous voulons donc mettre à profit cette année où les
travaux du Parlement sont suspendus pour travailler, à la fois sur le
terrain et par la voie de missions. Notre chantier est ouvert dès
aujourd'hui et pour ce faire, nous avons décidé d'inviter les
dirigeants de la DATAR, de façon à bénéficier de
votre expérience comme initiateurs et animateurs des politiques
d'aménagement. Je vous laisse la parole, sur la base des questions que
nous avons adressées à titre indicatif et sans préjudice
d'autres sujets de discussion.
M. Michel Moreigne remercie M. le Rapporteur et invite M. François
Philizot à débuter son audition.
M. François Philizot -
Merci Monsieur le Président. Dans
un souci de simplicité et de dialogue direct, je n'ai pas
préparé de long exposé introductif ; je propose
plutôt de partir effectivement des questions que vous m'aviez
adressées. Bien évidemment, la DATAR est à la disposition
de la mission pour lui apporter tous les éléments d'information
qui lui seraient nécessaires. La montagne représente en effet un
enjeu important auquel la DATAR est attachée, de longue date.
La DATAR s'est intéressée à la politique de la montagne
avant même qu'une politique de la montagne soit instituée,
c'est-à-dire depuis le début des années soixante-dix.
Ainsi, les commissaires à l'aménagement des massifs ont
été créés à partir du début de la
décennie soixante-dix sur la base des textes relatifs à la
rénovation rurale, notamment les dispositions du Code rural. Cet
engagement de longue date s'est trouvé renforcé à travers
la mise en oeuvre des dispositions de la loi "montagne" de 1985, notamment
celles relatives au Comité National de la Montagne (CNM) et aux
comités de massifs (CM). En effet, le décret relatif au CNM
prévoit expressément que la DATAR assure le secrétariat de
ce comité.
Mutatis mutandis
, cette implication est la même
au niveau de chaque massif, chaque commissaire de massif assurant le
secrétariat de chaque comité de massif.
L'ensemble du réseau DATAR est donc impliqué et joue un
rôle d'animation, tant vis-à-vis des acteurs de la politique de la
montagne que dans l'organisation interministérielle de ce dispositif. Je
souhaite d'ailleurs souligner une spécificité : les espaces
de montagne sont les seuls à bénéficier aujourd'hui d'un
système institutionnel qui leur soit propre. Il n'existe en effet pas de
Comité National du Littoral ou de Comité National des Zones de
Reconversion Industrielle, pour reprendre quelques autres domaines
d'intervention traditionnels de la DATAR.
A côté du Comité interministériel pour
l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) qui est,
depuis 1995, l'outil de cohérence de la politique du territoire, nous
avons un Comité spécialisé qui joue à peu
près le même rôle, puisque la préparation de chaque
Comité national de la montagne est l'occasion de faire avancer un
certain nombre de dossiers. Les élus du littoral revendiquent d'ailleurs
un traitement analogue, ce qui a conduit à créer au sein du
Conseil national d'aménagement et de développement du territoire
(CNADT) une commission spécialisée sur le littoral.
Cette politique de la montagne est donc un engagement fort de la DATAR : sur un
effectif de cent-cinquante personnes, les commissariats de massif
représentent trente agents, ce qui est beaucoup à
l `échelle de la DATAR. Il ne m'appartient pas de juger si la
DATAR, dans son rôle administratif et interministériel est
efficace ; en revanche je dois souligner que les outils institutionnels,
notamment la mécanique du CNM, mais également les outils
déconcentrés que sont les commissariats de massif et les
Comités de massif (CM) sont reconnus comme des lieux d'échange et
d'arbitrage relativement actifs et opérationnels. Je constate, à
la faveur du dernier CNM que les ministères conçoivent bien le
CNM comme un lieu de préparation et de mise en oeuvre des politiques
gouvernementales.
En 1994 a été mise en place une mission d'évaluation de la
loi « montagne », dont les conclusions sont riches
d'enseignements. Cette mission intervenait près d'une décennie
après le vote de la loi de 1985, à la fois dans une perspective
immédiate de l'application de la loi, mais aussi plus
générale, d'aménagement du territoire. Le diagnostic
opéré par la mission d'évaluation était
relativement optimiste quant à l'évolution globale des montagnes
françaises. La situation des montagnes n'est certes pas uniforme :
le Cantal et la Tarentaise ont par exemple connu des évolutions
très divergentes. L'évolution est néanmoins plutôt
globalement positive, plusieurs régions étant passées
d'une logique de déclin très largement répandue à
la fin des années soixante à une logique de renouveau.
Au-delà de ce constat positif qui laissait penser que l'action conduite
par l'ensemble des acteurs de la montagne allait dans le bon sens, la mission
d'évaluation avait insisté sur deux nécessités
premières, à savoir :
- Insuffler un nouvel élan aux institutions de la montagne.
Il s'agit, sur ce point, de les doter de plus de permanence et d'en faire des
lieux de proposition plus que des lieux de débats périodiques. Il
était important que les institutions réformées par toute
une série de décrets en 1995 deviennent des creusets de la
conception de la politique de la montagne. Ceci a conduit, au sein du CNM,
à un travail plus approfondi, autour de groupes de travail qui ont
été particulièrement productifs. Les documents produits
inspirèrent les décisions annoncées par le Premier
Ministre au CNM du 5 février 2001, tendant notamment à la
définition plus précise des fonctions de Préfet
coordonateur de massif, à la redéfinition des fonctions de
commissaires de massif ou à l'institution de la co-présidence de
comités de massif entre le Préfet et le président de la
Commission permanente.
Nous comptons transmettre au Conseil d'Etat dans les semaines à venir le
projet de décret relatif au Préfet coordonnateur de massif et le
projet de décret relatif aux commissaires de massif. En
résumé, le projet est de disposer d'institutions plus vivantes,
mieux intégrées dans le paysage administratif, avec des fonctions
plus fortes pour ce qui concerne l'Etat. Il s'agit également d'aller
vers une évolution du partage des responsabilités entre l'Etat et
ses différents partenaires au premier rang desquels les
collectivités locales.
- La nécessité d'avoir une approche globale et positive des
zones de montagne
La mission d'évaluation a considéré que les zones de
montagne ne devaient pas être entendues comme des zones accumulant les
difficultés, mais comme des zones dotées d'atouts importants et
constituant un élément-clé de l'équilibre du
territoire national. C'est une nouvelle vision de la montagne, une vision
appelant une approche d'ensemble qui associe les différentes
activités et les différentes formes d'occupation de l'espace.
Plus précisément, il ne s'agit pas d'avoir une politique agricole
de la montagne, une politique touristique de la montagne ou une politique
industrielle de la montagne. Bien au contraire, il s'agit d'avoir une approche
d'ensemble, de la Limagne au massif du Cantal, le Grésivaudan de la
même façon que le Trièves.
L'objectif est de ne pas séparer, tronçonner les espaces, les
activités. En conséquence, l'utilisation d'outils permettant la
mise en cohérence de ces politiques est accentuée, d'où la
relance des travaux par exemple sur la pluriactivité. D'où la
conclusion de conventions interrégionales de massifs pour la
première fois dans le cadre des contrats de Plan Etat-Régions.
Au-delà de cet effort, le gouvernement a proposé aux
différentes régions d'avoir des conventions
interrégionales de massif, dotées d'un budget de trois milliards
de francs (1,2 milliard consacré aux activités
socioéconomiques et 1,8 milliard pour les infrastructures, en
particulier pour les infrastructures de transport).
Au-delà de ces aspects figure une idée forte : nous sommes
dans une logique de valorisation de territoires spécifiques qui
mérite d'être appuyée non pas dans une politique de
réparation mais dans une politique de dynamisation de l'ensemble des
espaces, donc dans la vision d'un territoire national complètement
équilibré.
La politique de la montagne, comme celle ayant trait à
l'aménagement du territoire, a été initiée par
l'Etat dans une France non-décentralisée. L'Etat y avait plus de
pouvoir et les Préfets y assuraient la tutelle des collectivités
locales. Dans notre équilibre institutionnel, la politique
d'aménagement du territoire telle qu'elle ressort des lois du 4
février 1995 et 27 juin 1999, est une politique forte de l'Etat. Il
intervient en effet en tant que garant de l'équilibre économique
et social de la nation, comme la loi du 2 mars 1982 le dispose.
Ceci étant, cette politique est conduite aujourd'hui dans un cadre
différent, qui doit tenir compte de l'implication légitime des
collectivités locales. Je ne pense pas qu'il faille considérer
que la décentralisation soit une source de frein ou de complexité
particulière. On retrouve dans le domaine de la politique de la montagne
les difficultés traditionnelles de toute politique conjointe : les
financements croisés ont leurs avantages en même temps qu'ils sont
source de lourdeur et de complexité dans le montage des dossiers.
La loi montagne et l'évolution des outils institutionnels et
administratifs ont clairement posé la nécessité pour
l'Etat de travailler en étroit partenariat avec les collectivités
locales. Ainsi, les comités de massif sont constitués
majoritairement et légitimement de représentants des
collectivités territoriales. Le gouvernement entend d'ailleurs suivre
cette logique jusqu'à son terme : ainsi, la coprésidence des
comités de massif témoigne de cette volonté d'une
démarche partagée. De la même manière,
« l'invention » des fonctions interrégionales est un
signe de cette volonté de gérer et conduire la politique dans un
cadre partagé.
Les questions que l'on peut se poser tournent largement autour de
l'évolution de la décentralisation et des conséquences
qu'il faudra en tirer sur la répartition des compétences. Ainsi,
la période qui suivra les prochaines élections annonce
vraisemblablement une nouvelle étape de la décentralisation, mais
j'ignore quelles en seront les conséquences, notamment sur la politique
de la montagne. Je crois en tout cas que les territoires de montagne sont
encore plus concernés que d'autres par la nécessité de
s'appuyer sur les outils de structuration territoriale mis en place par la loi
Voynet et la loi Chevènement. Je pense particulièrement à
tout ce qui concerne la coopération intercommunale et structuration en
pays.
En effet, les territoires de montagne sont souvent fragiles d'un point de vue
patrimonial et écologique, où la dispersion des habitats et la
dilution des forces imposent d'autant plus de se regrouper. Ces territoires
sont également la source de conflits d'intérêts, à
l'image de l'opposition qu'il peut y avoir, notamment dans les Alpes entre des
villes assez fortes et des zones rurales qui vivent dans leur orbite, tout en
étant différentes. Il y a donc une nécessité
d'avoir des outils permettant à la fois de structurer l'espace et de
porter des projets de long terme, qui est encore plus forte que dans des zones
où les problématiques d'aménagement sont plus
aisées à définir. Ce territoire, doté de nombreux
atouts tant agricoles que touristiques et industriels, mérite en effet
d'être valorisé.
Le diagnostic que l'on peut établir aujourd'hui est qu'il n'y a pas de
retard particulier en matière de coopération intercommunale et de
pays, par rapport à d'autres zones. La structuration en pays est
très largement liée aujourd'hui aux anticipations des acteurs de
terrain, à l'image de la région Poitou-Charentes et de la
Bretagne, plutôt qu'à la déclinaison brute de la loi. Nous
sommes dans un contexte décentralisé et je ne crois pas que cela
ait gêné la mise en oeuvre de la politique d'aménagement de
la montagne.
Les schémas de service collectif représentent un outil sur lequel
on peut s'appuyer. Il convient néanmoins de souligner que ces
schémas dans leur génération actuelle, sont
inégalement déclinés au niveau géographique. Ainsi,
deux d'entre eux contiennent des approches géographiques
spécifiques aux zones de massifs, notamment le schéma de
transport (voyageurs et marchandises) concernant les traversées alpines
et pyrénéennes. On parle souvent des Alpes, mais il existe
également un vrai problème pour la traversée des
Pyrénées, avec notamment l'engorgement d'Hendaye.
Le deuxième schéma traitant spécifiquement de la montagne
est le schéma des espaces naturels et ruraux. Celui-ci identifie dix
espaces à enjeu spécifique. On peut citer comme exemple un
certain nombre de zones périurbaines.
Les autres approches déclinées géographiquement, comme le
schéma de l'enseignement supérieur et de la recherche, le
schéma de la culture, privilégient une approche
interrégionale, faite de regroupements de régions et non pas de
zonages transcendant les limites régionales, comme les zonages de
massifs. Ce dernier ne semble en effet pas pertinent sur un certain nombre
d'enjeux comme l'enseignement supérieur. Il en va ainsi pour les Alpes
du Sud, où il est impossible de conserver cette logique pour ce qui
concerne l'enseignement supérieur : les universités se
trouvent à Avignon, à Marseille, à Toulon et à
Nice. La même remarque vaut pour les Vosges qui dépendent de la
capacité d'offre universitaire de Nancy, Metz, Strasbourg, Mulhouse
voire Belfort-Montbéliard. Nous essayons donc de prendre en compte de
façon variée des perspectives globalement positives.
Il n'existe pas aujourd'hui d'approche statistique coordonnée,
cohérente sur les espaces de montagne. Il y a certes une
géographie des zones de montagne, mais notre appareil statistique ne
contient aujourd'hui aucun regroupement systématique sur la montagne.
L'INSEE ne sort notamment aucune statistique identifiée autour de
l'idée de montagne : ses statistiques respectent le
découpage traditionnel des départements, des régions, par
zones d'emploi. Néanmoins, on sait que l'évolution
démographique de la montagne est globalement positive, sauf dans le
Massif central. Les Pyrénées ont gagné 1 % de
population entre 1990 et 1999, les Alpes sont en croissance
régulière depuis le début des années soixante, les
Vosges et le Jura sont également en progression.
Cependant, cette évolution globale masque des disparités assez
grandes. Par exemple, sur le Massif central, la bordure sud-est se porte mieux
que le coeur de la région, le Cantal ayant notamment vu sa population
décroître à une vitesse accélérée, se
rapprochant ainsi de la Creuse qui connaît un déclin plus
modéré qu'avant. On distingue d'ailleurs des évolutions
assez curieuses, ce qui tendrait à prouver qu'il n'y a pas de
fatalité absolue en matière démographique sur le long
terme. Par exemple, dans la Creuse, le canton le moins peuplé, le plus
isolé a gagné quelques habitants. Il en va de même en
Ardèche avec le canton de Valgorge qui était en dessous de 1 000
habitants il y a une vingtaine d'années, mais regagne sensiblement et
régulièrement des habitants recensement après recensement.
Dans les Pyrénées, le canton de Castillon en Couseran dans
l'Ariège qui avait particulièrement vieilli (50 % de plus de
60 ans) a gagné des habitants au dernier recensement, pour la
première fois depuis 1840, avec pour conséquence un
rajeunissement relatif de la population. Ainsi, le fait que des cantons comme
ces derniers arrivent à repartir est significatif d'une capacité
de rebond.
Nous avons fait, à la demande de la Commission du Littoral, un important
travail de statistique sur la base de toutes les données exploitables
concernant le littoral. Nous envisageons de reproduire le même travail
sur les zones de massifs. Nous disposons cependant de moyens limités en
la matière, c'est-à-dire d'une seule statisticienne, en attendant
la création d'un autre poste en juillet prochain. Il s'agit sans doute
d'une faiblesse de notre dispositif. Je crains qu'il ne soit pas propre
à la montagne. Comme cela a été identifié par la
mission de Madame Geneviève Perrin-Gaillard, députée des
Deux-Sèvres et de M. Philippe Duron, député du Calvados,
sur la problématique des zonages, nous souffrons d'un déficit
d'exploitation des données statistiques permettant d'alimenter la
réflexion sur les politiques d'aménagement du territoire. Le
problème est identique sur les zones de revitalisation rurale.
Il y a un éclatement de l'appareil d'Etat qui nous dessert : chaque
ministère dispose de son service de statistiques, de son programme
d'études. Pour y remédier, nous nous dirigeons vers un
système inter-administration qui permettrait d'avoir des dispositifs de
suivi et d'analyses bien meilleurs, sachant que l'Etat dispose de toutes les
données, même dispersées, qui sont utiles.
En résumé, la DATAR établit une vision
générale de la montagne plutôt optimiste : le
recensement de 1999 a montré que la montagne allait globalement mieux
que pendant la période précédente, avec cependant de
fortes disparités d'un territoire à l'autre. Le seuil migratoire
des départements de montagne est partout positif, sauf pour l'Allier et
le Cantal. Il est important de poursuivre l'effort entrepris : la
montagne, zone en déclin et de départ massif de ses populations
il y a trente ans attire désormais des habitants.
En ce qui concerne le programme de travail de la DATAR pour les années
à venir, sous réserve de l'accord du prochain gouvernement, la
DATAR a établi quelques pistes de travail pour nourrir les
décisions et les réorientations dans les mois et années
à venir.
Dans le domaine institutionnel, de nombreux dossiers demeurent à
traiter. Ainsi la DATAR va avoir à réécrire les
décrets relatifs aux Comités de massif, pour tenir compte des
modifications apportées par la loi « démocratie de
proximité », mais également recomposer le Conseil
National de la Montagne.
D'autre part, nous envisageons de produire deux décrets
spécifiques.
un décret sur le Préfet coordonateur de massif
Il s'agit d'une véritable innovation administrative, dans la mesure
où le Préfet sera ordonnateur secondaire pour l'ensemble du
massif et assurera donc l'autorité réelle en la matière.
L'objectif est ainsi de faciliter la gestion et la conduite des politiques de
massifs.
un décret relatif aux Commissaires de massif
Nous poursuivons actuellement nos discussions avec le ministère de
l'Economie et des Finances pour obtenir la création d'une vingtaine de
postes au profit de ces Commissariats.
La DATAR va également poursuivre des travaux de réflexion sur
certaines dispositions d'urbanisme et sur les activités agricoles et
touristiques
Le dernier CNM a été l'occasion de relancer le dispositif des
prescriptions particulières de massif prévu par la loi montagne.
Il s'agit de poser le principe d'une modification de la procédure UTN
(Unités touristiques nouvelles), c'est-à-dire de l'assouplir tout
en conservant les garanties économiques, urbanistiques et
environnementales qu'elle apporte. Ce domaine est particulièrement
important dans la mesure où il suscite des prises de position
très tranchées.
La question du pastoralisme en zones de montagne mobilise un groupe de travail
sous l'égide du ministère de l'Agriculture, groupe qui devrait
rendre ses conclusions à l'été prochain. D'autre part, il
nous faudra tirer les premiers enseignements de la loi d'orientation
forestière en ce qui concerne l'apport des Chartes de territoires
forestiers, qui touchent tout particulièrement les zones de montagne. En
effet, il subsiste un enjeu de taille pour tout ce qui concerne la forêt
de montagne, qu'il s'agisse du devenir des forêts RTM des Alpes du sud ou
de la valorisation des forêts à replanter dans le Massif central.
L'économie touristique des stations de montagne va faire l'objet d'une
expérimentation menée en partenariat avec le ministère du
Tourisme et la Caisse des dépôts. En effet, une partie de
l'immobilier de loisir tel qu'il a été construit entre les
années soixante et quatre-vingts est largement inadaptée aux
demandes sociales en matière d'hébergement et d'environnement. Ce
phénomène est encore plus avéré dans certaines
stations de moyenne montagne, dont l'avenir est particulièrement
incertain. Notre calendrier comprend une phase d'études jusqu'à
2003, date à laquelle s'ouvriront les véritables chantiers,
évalués à plusieurs milliards d'euros.
D'autre part, le Comité interministériel pour
l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) vient
d'élaborer la circulaire relative aux programmes de
réhabilitation de l'immobilier des établissements de tourisme
social. Là encore, ce dossier concerne tout particulièrement la
moyenne montagne, qui concentre une bonne partie de l'immobilier de tourisme
social nécessitant une re-dynamisation.
Au-delà de ces enjeux spécifiques se pose la question de la
consolidation du développement touristique global, tant il est vrai que
des éléments de fragilité perdurent dans un certain nombre
de massifs.
En ce qui concerne les politiques de développement régional, la
Commission européenne va les réformer en vue des
conséquences de l'élargissement de l'Union européenne
(UE). Il appartiendra ainsi au futur gouvernement de présenter les
conclusions de la France à l'automne 2002.
Au-delà de cet aspect, un des grands sujets de discussion actuels est la
prise en compte par les politiques européennes des espaces dits
spécifiques ; les espaces de montagne pouvant constituer un de ces
espaces, bien que cela ne soit pas toujours accepté par certains de nos
partenaires européens. Ainsi, le dispositif "montagne", d'inspiration
française a eu bien du mal à être accepté. La Cour
de Justice des Communautés européennes avait ainsi
considéré que le premier dispositif de 1995 était
incompatible avec la libre-circulation des marchandises. Il a ensuite fallu
reformuler ce dispositif dans la loi d'orientation agricole.
Il va s'agir en effet d'ajuster aux enjeux de la politique de la montagne
certains aspects des contrats de Plan ou des documents uniques de programmation
dont les échéances respectives sont 2003 et 2004.
S'agissant de l'accès des zones de massifs au haut débit
,
le gouvernement a pris un certain nombre de dispositions relatives au GSM. A
présent, nous sommes sur le point de terminer la rédaction de la
circulaire relative aux conditions d'application de l'article L 1506 du Code
général des collectivités territoriales. Cet article
régit en effet l'intervention des collectivités locales en
matière de télécommunications. Ici, l'incertitude se porte
plutôt sur le comportement des opérateurs de
télécommunications, qui, suite aux déboires
rencontrés par leur secteur, rechignent désormais à
investir, sauf à coup sûr. Quelle que soit la technologie
employée (satellite, fibre optique), l'objectif est de couvrir les zones
de montagne par le haut-débit à l'horizon des années
2004-2005.
En ce qui concerne les aspects financiers, les volets "massifs" des contrats de
Plan représentent environ 120 millions d'euros. Le FIAM (Fonds
interministériel d'auto-développement de la montagne), outil
emblématique utilisé essentiellement par l'ingénierie, a
été maintenu à un peu plus de 4 millions d'euros
depuis trois ans. Enfin, les ICHN (indemnités compensatrices de handicap
naturel) ont été modifiées dans leur mode d'attribution,
leur montant global s'élevant désormais à 375 millions
d'euros en 2001 pour 115 000 bénéficiaires.
Pour l'aspect institutionnel,
à l'occasion du vote de la loi sur
la démocratie de proximité, le Sénat a mené un
certain nombre de débats pour savoir s'il fallait identifier le Morvan
comme un massif de montagne. Ce territoire dispose certes de nombreuses
caractéristiques d'un territoire de montagne, tant du point de vue de la
géographie physique, que d'un certain déclin démographique
ininterrompu depuis plus d'un siècle. D'ailleurs, une partie du Morvan
est aujourd'hui classée en communes de montagne au sens agricole du
terme.
Pour autant, la DATAR ne pense pas qu'il soit nécessaire de le doter
d'une institution de massif particulière, en raison notamment de sa
faible population (40 000 habitants seulement). Il nous paraîtrait plus
logique de voir dans quelle mesure nous pouvons étendre le
périmètre du Massif central vers le nord.
Par ailleurs, la fusion des massifs des Alpes a été
opérée par la loi sur la démocratie de proximité.
Elle nous semble répondre à la réalité des Alpes :
en effet, le découpage antérieur entre Rhône-Alpes d'un
côté et Provence-Alpes-Côte-d'Azur de l'autre ne semble pas
pertinent. Ainsi, certaines problématiques, comme la traversée
des Alpes, le pastoralisme, la question du loup, sont transversales et
nécessitent une approche commune.
Les dispositions de la loi sur la « démocratie de
proximité » auront un impact significatif sur le
fonctionnement des institutions propres à la politique de la montagne,
notamment sur le rôle des comités de massif, dans la mesure
où la co-présidence ouvrira plus largement le débat sur
les attentes et propositions des acteurs des massifs.
M. Michel Moreigne -
Madame Jacquet-Montsarrat, souhaitez-vous apporter
des compléments à l'intervention de M. François Philizot.
Mme Hélène Jacquet-Monsarrat -
Je tiens simplement
à préciser mon rôle au sein de la DATAR. Je suis
l'interlocutrice classique de l'ensemble des acteurs de la montagne au sein du
CNM ainsi que des acteurs économiques de l'ensemble des massifs.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je souhaite revenir sur l'importance que nous
attachons à disposer d'outils statistiques. Nous savons certes que la
logique de notre Etat "verticalise" les données et les présente
de manière séparée. Néanmoins, les données
que vous pourriez nous transmettre sur les questions de montagne nous seraient
bien utiles, notamment celles concernant l'évolution
démographique entre les recensements de 1990 et 1999. Dans le même
ordre d'idées, pouvez-vous nous communiquer les rapports du CNM pour les
dernières années ?
Par ailleurs, la DATAR mène-t-elle une réflexion sur l'avenir des
réseaux de distribution d'énergie, dans la perspective de la
transposition en droit français de la directive adoptée à
Barcelone ?
Enfin, je suis personnellement très inquiet sur l'avenir des petites
stations de ski, stations qui furent créées par les
collectivités locales sous l'impulsion de l'Etat. Quel est, selon vous,
l'avenir de ces stations ?
M. François Philizot -
S'appuyant sur le Conseil national
d'aménagement et de développement du territoire, la DATAR a
lancé une série de réflexions sur l'avenir des services
publics. Ceci concerne le secteur de l'énergie, mais également la
Poste, qui risque de fermer de 6 000 à 7 000 bureaux suite au
processus de libéralisation. La DATAR a ainsi alimenté la
déclaration approuvée par le Conseil lors du sommet de Nice.
Je partage tout à fait votre inquiétude sur l'avenir des petites
stations de montagne. Ceci impose de revisiter la manière dont elles ont
été construites (question des problématiques de friche
touristique et d'immobilier), mais également les produits et services
qu'elles fournissent. Dans ce domaine, je ne pense pas qu'il faille agir
station par station, mais plutôt à l'aide de projets globaux sur
des zones touristiques. Des structures de type "pays" pourraient ainsi
utilement se pencher sur la question.
M. Pierre Jarlier -
Je reviens à nouveau sur la question des
outils statistiques, et de la pertinence des analyses que l'on peut tirer des
données disponibles. Ceci me conduit à revenir sur le tableau
globalement positif des territoires de montagne que vous avez dressé.
Personnellement, je n'entrevois guère une logique de renouveau,
particulièrement pour le Massif central. Je pense à l'inverse que
nous sommes confrontés à une situation particulièrement
préoccupante, au regard des résultats des derniers recensements.
Vous avez ainsi mis en exergue le rétablissement de certains cantons qui
s'étaient repeuplés. Or, on constate souvent que de telles
micro-résistances se font généralement au détriment
des zones périphériques très rurales. Elu du Cantal,
j'observe que ce département a perdu plus de 7 000 habitants
entre deux recensements, certains cantons ayant vu leur population diminuer de
18 %. Il convient donc d'être très prudent sur l'analyse des
statistiques, et sans doute de changer les critères
d'appréciation pour permettre de disposer d'une vision plus
précise d'un bassin de vie.
D'autre part, je souhaite évoquer les futurs Fonds structurels
européens. En effet, les zones de montagne peuvent
bénéficier ou se voir priver de ces fonds en fonction de
l'appréciation qui est faite des critères régionaux
déterminant l'octroi de ces aides. Ainsi, la région Auvergne est
éligible à l'objectif 2 des fonds structurels. Or certains
secteurs défavorisés de cette même région auraient
pu bénéficier d'aides au titre de l'objectif 1. Ceci tend
à souligner la limite de l'appréciation régionale dans la
définition des fonds structurels européens.
A ce titre, le rendez-vous de 2003 est extrêmement important pour sortir
des critères strictement régionaux, dans le domaine
transfrontalier ou pour des territoires plus spécifiques comme le Massif
central. Il s'agit dès lors d'observer une approche beaucoup plus
pointue afin de trouver des réponses adaptées aux
difficultés de ces territoires de moyenne montagne.
En conséquence, je souhaiterais connaître votre avis sur
l'évolution de ces critères, qui devraient être, à
mon sens, plus territoriaux. Par ailleurs, je voudrais attirer l'attention sur
certains territoires en grande difficulté qui sont pourtant exclus de la
prime à l'aménagement du territoire (PAT) majorée,
à l'image de la Lozère.
Ensuite, je veux également poser le problème de l'accueil des
nouvelles populations. Il demeure en effet très difficile de fixer des
populations en montagne, même lorsque des bassins d'emplois existent.
Cette difficulté concerne aussi bien le public que le privé, et
touche tout particulièrement le domaine de la santé.
Enfin, les prescriptions particulières de massifs (PPM) sont très
attendues par les acteurs locaux. Pour autant, la loi Solidarité et
Renouvellement urbain n'a pas défini clairement la façon
d'envisager la mise en place de ces prescriptions de massifs. Il y a dans ce
domaine une nécessité de simplification et de clarification
absolument primordiale.
M. François Philizot -
Concernant les outils statistiques, notre
préoccupation est également de disposer d'outils plus clairs,
offrant une meilleure vision.
Je partage tout à fait votre analyse sur la complexité et la
diversité de l'évolution des moyennes montagnes
françaises, notamment le Massif central. Au sein des régions,
certaines zones sont particulièrement fragiles, dans le Cantal, la
Creuse, Le Puy de Dôme, la Loire et le nord de la Lozère. Il faut
certes se garder d'avoir une idée générale ; cependant il
n'existe pas de logique intangible du déclin.
Au sujet des Fonds structurels, il est légitime de se demander s'il y
aura encore une politique de développement régional en France
après 2006. Les Allemands ne semblent pas y être
particulièrement favorables. La question qui se pose est la suivante :
comment peut-on justifier le maintien d'une politique européenne de
développement régionale qui ne soit pas uniquement centrée
sur les parties les plus pauvres de l'UE nouvelle, c'est-à-dire, les
PECO (pays d'Europe centrale et orientale), le sud de l'Espagne et du Portugal,
le nord de la Grèce et les DOM pour la France ? La DATAR
considère qu'il est de l'intérêt de l'UE d'avoir une
politique de développement régional qui s'intéresse
également aux inégalités à l'intérieur des
pays. Mais ce sujet demeure plus que jamais un combat au niveau
européen. Je suis persuadé ainsi que nous tenons là un
débat majeur, tant politiquement que symboliquement, pour les
années à venir.
La question des zonages et des critères est relativement seconde pour la
DATAR actuellement. Nous hésitons à poser à nouveau un
débat statistique complexe sur les différences de niveau de
zonages. Les mêmes interrogations se portent sur la carte PAT. Ce
débat a également été initié par le rapport
Durand-Perrin-Gaillard précédemment évoqué. Il
faudra en outre se poser la question des zones de revitalisation rurale (ZRR).
Ensuite, la question de l'accueil de nouvelles populations dans les zones
rurales et de leur fixation est effectivement un véritable enjeu pour la
politique d'aménagement du territoire. Nous réfléchissons
ainsi sur des dispositifs financiers incitatifs, sommes en contact avec la
Caisse Nationale d'Assurance Maladie et la Direction des hôpitaux.
Enfin, je partage entièrement votre souci de simplicité au sujet
des PPM.
M. Jean-Paul Émin -
Connaissant pour ma part le massif jurassien,
je me rends compte qu'il est affecté par une forte déprise
économique. La DATAR peut-elle mesurer l'incidence des 35 heures sur
l'activité économique des zones de montagne ?
M. François Philizot -
Je ne dispose d'aucun
élément d'appréciation permettant de juger l'impact des 35
heures sur le tissu industriel jurassien. Il est vrai que celui-ci
connaît quelques évolutions préoccupantes, notamment
à Oyonnax, car il me paraît important de ne pas laisser penser que
la montagne est uniquement un espace d'agriculture et de tourisme. Il existe
ainsi des zones de montagne très industrialisées ; la
montagne jurassienne est une des zones les plus industrielles de France.
2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan (3 avril 2002)
M.
Gilles Bazin -
Mon propos n'est pas de faire une conférence, mais de
dégager quelques caractéristiques de l'évolution des zones
de montagne. Vous m'auditionnez aujourd'hui en ma qualité de Rapporteur
de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat
général du Plan. Cette politique se fonde sur quatre grands
objectifs :
- la dynamique démographique des zones de montagne ;
- la maîtrise et le développement des activités
économiques, par une mise en valeur équilibrée des
ressources disponibles, c'est-à-dire un développement
durable ;
- la parité des revenus et des conditions de vie entre les zones de
montagne et les autres régions ;
- la préservation de l'environnement et la gestion des sites et paysages
montagnards.
C'est donc au regard de ces quatre grands objectifs que nous avons
cherché à évaluer cette politique. Nous avons
analysé l'évolution socio-économique de la montagne et des
massifs et évalué le rôle des politiques agricoles,
touristiques et d'aménagement du territoire dans ses évolutions.
La politique de restauration des terrains de montagne, qui date de la fin du
XIXe siècle, a également été prise en compte.
Il en a été de même pour d'autres aspects comme la
pluriactivité, les politiques environnementales (cinq des six parcs
nationaux et la moitié des parcs régionaux se trouvent en
montagne). Agro-économiste de formation, spécialiste des
questions de développement agricole et de développement rural, je
traiterai principalement des questions agricoles.
Le constat général que l'on peut dresser est celui d'un renouveau
démographique de la montagne : entre 1968 et 1990, la population de
la montagne est passée de 4 178 000 à
4 338 000 habitants (+ 3,8 %) et elle a encore
crû de 110 000 personnes entre 1990 et 1999. Ce constat doit
cependant être immédiatement nuancé, dans la mesure
où 2 900 communes des 6 100 communes de montagne continuent de se
dépeupler, soit environ une commune sur deux. Les petites communes sont
naturellement les plus affectées par ce phénomène.
Cependant, il n'en demeure pas moins que les zones de montagne attirent les
hommes, notamment dans les Alpes et en haute montagne ; en outre, on
observe dans tous les massifs des zones de renouveau démographique,
à l'image de la bordure sud-est du Massif central, la bordure et les
extrémités pyrénéennes.
Les évolutions socio-économiques montrent de très fortes
disparités en matière socio-économique. Nous avons
tenté d'établir une typologie cantonale de ces évolutions
socio-économiques.
Il s'agit d'une analyse multi-critères qui combine des
éléments démographiques, socio-économiques
(l'évolution de l'agriculture, les taux de chômage, l'installation
des jeunes...). Cette analyse a été établie par la SEGESA
sur la période 1980-1990. Même si ces chiffres mériteraient
d'être réactualisés, ils montrent bien néanmoins la
diversité de ces zones , réparties en sept groupes :
- zones de tourisme confirmé (plutôt la haute montagne) ;
- zones de développement diversifié (plusieurs
activités) ;
- zones économiquement et démographiquement fragiles ;
- zones placées sous une forte influence urbaine ;
- zones de conversion touristique sur les piémonts , en particulier le
sud du Massif central et des Alpes ;
- zones industrielles en difficulté (ensemble des Vosges,
également dans le Jura et certaines zones de Savoie, pôles dans le
Massif central, voire Pyrénées : vallée de l'Aude,
zone des Hautes-Pyrénées) ;
- zones agricoles en crise (essentiellement dans le Massif central).
Une évolution très intéressante est à
souligner : les zones de haute montagne, autrefois
considérées comme les plus sinistrées et à
l'origine de la politique agricole de la montagne, s'en tirent aujourd'hui
plutôt bien. Les zones les plus fragiles sont celles des hauts plateaux
(Massif central et certaines zones de piémont) qui, si elles ne
souffrent pas de gros handicaps naturels, ne disposent pas non plus de beaucoup
d'atouts à valoriser. Ceci signifie, que face à une
diversité de situations, nous nous sommes demandés si le discours
classique, uniforme, de compensation des handicaps était toujours
valable. Les pouvoirs publics vont devoir développer des interventions
territoriales de plus en plus différenciées et de mieux en mieux
ciblées. La notion même de handicap a considérablement
évolué : la neige, qui était le handicap majeur dans
les années soixante pour l'agriculture de montagne est aujourd'hui
l'atout essentiel de ces zones.
Le taux d'activité en montagne est identique à la moyenne
nationale (43 %), le taux de chômage est inférieur de deux points.
Le nombre d'emplois se maintient entre 1982 et 1990, bien que cette
période corresponde par ailleurs à une période de fort
exode agricole (perte de 70 000 emplois agricoles, soit 30 %). On
constate également une baisse de 42 % des exploitations agricoles de
montagne en l'espace de 16 ans (1980-1995), ce qui paraît
considérable, mais demeure néanmoins dans la moyenne nationale.
J'insiste donc sur le constat d'une relative bonne résistance de
l'agriculture de montagne.
En ce qui concerne les exploitations agricoles de montagne, il est très
difficile d'évaluer l'impact spécifique de la politique de
compensation des handicaps naturels dans un cadre général
où la Politique agricole commune (PAC) est déterminante. Sur les
cinquante milliards de francs d'aides directes à l'agriculture fournis
par la PAC, environ deux milliards et demi vont à l'agriculture de
montagne. Il demeure donc délicat de bien évaluer cet impact
quand il est noyé dans une politique générale, la PAC, qui
n'est pas favorable à ces zones.
On dénombre en 2000 environ 95 000 exploitations agricoles en montagne,
soit 14 % des exploitations françaises. La surface agricole utile
(SAU) est estimée à 3,7 millions d'hectares (soit 13 % de la
SAU française), les pâturages collectifs représentant quant
à eux une surface d'un million d'hectares. Le cheptel de montagne est
relativement bien situé dans le palmarès français :
16 % des vaches laitières, 20 % des vaches allaitantes et 40 %
des brebis, produisant 117 000 tonnes de fromage AOC, soit 70 % de la
production nationale. De même, malgré la mise en place de quotas
laitiers au niveau national en 1984, la montagne a augmenté sa
production fromagère d'AOC. Il y a eu dans ce domaine une co-gestion
entre l'administration et la profession agricole, qui a plutôt
été favorable à la montagne : cette dernière a
augmenté son quota laitier de 10 % dans les années
quatre-vingt-dix, alors que la plaine diminuait de 8 %. Des directives
européennes ont ainsi rendu la montagne prioritaire en matière de
produits laitiers. Malgré cela les quotas par exploitation restent
inférieurs de un-tiers en montagne.
Sur ces 95.000 agriculteurs, 60.000 touchent l'indemnité compensatrice
de handicap naturel (ICHN), mise en place en 1971. Cette indemnité
correspondait à la fameuse prime à la vache tondeuse, suite
à la loi pastorale de la même année, prime qui a ensuite
été étendue en 1975 à l'ensemble des zones de
montagne et défavorisées communautaires. En conséquence,
le tiers des agriculteurs est exclu de cette politique de soutien, pour des
raisons de taille (si l'exploitation est inférieure à trois
hectares), des raisons d'âge (s'ils sont âgés de plus de 60
ans), des raisons de production (les productions animales sont soutenues
partout mais les productions végétales ne sont soutenues qu'en
zone de montagne sèche).
Sur les années 1979-1995, l'évolution du nombre d'exploitations
est la même en montagne que pour le reste de la France (- 42 %).
Pendant cette période, il n'y a pas eu de forte déprise agricole
en montagne. La prime à l'herbe, accompagnant la réforme de la
PAC en 1992 a eu un impact important, touchant tous les éleveurs
herbagers extensifs montagnards. Prime d'un faible montant (300
francs/hectare), elle a néanmoins permis de reconquérir un
certain nombre d'espaces jusque là en voie d'abandon. La montagne a
perdu 3 % de sa surface agricole utile (SAU) en seize ans, conquis par la
forêt ou la friche.
Toute la politique agricole de la montagne a porté sur le maintien de
l'élevage d'herbivores, qui contribue à entretenir la montagne.
L'évolution de l'élevage est donc un paramètre
d'évaluation de cette politique. Le nombre de vaches laitières en
montagne a diminué moins vite qu'au niveau français. En revanche,
le nombre de vaches allaitantes a augmenté plus rapidement que dans le
reste de la France, le nombre de brebis s'étant par ailleurs maintenu.
Il y a donc eu un remarquable maintien de l'élevage en montagne,
certainement lié au soutien apporté par animal.
L'avenir des exploitations reste très préoccupant. Dans les zones
de montagne, le pourcentage de chefs d'exploitation âgés de moins
de cinquante ans est supérieur à la moyenne nationale. Ce
rajeunissement est sans doute lié au renforcement de la dotation jeune
agriculteur (DJA) en montagne, qui atteint environ 175.000 francs contre 85.000
francs en plaine. En revanche, le taux de renouvellement est moins bon en
montagne puisque 28 % des agriculteurs de plus de cinquante ans
déclarent ne pas avoir de successeurs. A ce rythme, il ne devrait plus y
avoir qu'entre 75 000 et 80 000 exploitations en montagne en
2005, contre 95 000 actuellement.
En ce qui concerne la politique de soutiens publics, en 2000, la politique
agricole de la montagne a mobilisé environ 2,3 milliards de francs
dont 1,9 milliard pour l'indemnité spéciale montagne (ISM) et 300
millions pour l'aide à l'installation, le soutien à la
construction de bâtiments d'élevage et la mécanisation.
L'ICHN, qui a représenté 31 700 francs par exploitation qui la
touche en 2000, est variable d'un massif à l'autre.
Répartition de l'ISM selon les massifs en 2000
|
Vosges |
Jura |
Alpes du Nord |
Alpes du Sud |
Massif central |
Pyrénées |
Corse |
Nombre de bénéficiaires de l'ISM |
913 |
3.280 |
7.453 |
2.664 |
36.768 |
6.896 |
365 |
Montant (en millions de francs) |
13,3 |
123,6 |
189,8 |
122 |
1.153,7 |
131 |
37,7 |
Montant par bénéficiaire (en francs) |
14.580 |
37.680 |
25.470 |
45.800 |
31.880 |
19.000 |
27.580 |
Source : Ministère de l'agriculture
Les agriculteurs des Alpes du Sud (grands troupeaux ovins de haute montagne)
touchent, en moyenne, 45 800 francs au titre de l'ISM, alors que ceux des
Vosges, où dominent des petits troupeaux laitiers de moyenne montagne,
reçoivent 14 580 francs. Il y a donc malgré tout un
problème avec l'ISM : les petits troupeaux sont
défavorisés par rapport aux plus grands.
Le budget de l'ICHN a crû de manière spectaculaire ces trois
dernières années (+ 30 % entre 1999 et 2002), sans que cela
ne coûte à l'Etat, étant donné que ces mesures qui
étaient éligibles à 25 % le sont désormais à
50 %.
Du point de vue des revenus et de la parité des conditions de vie des
montagnards par rapport au reste de la nation, le bilan reste assez
négatif. La montagne, qui était la zone bénéficiant
le plus d'aides en 1990, est aujourd'hui celle qui est la plus dépourvue
en aides directes. Pour les zones défavorisées, notamment celles
périphériques à la montagne, l'ensemble du revenu des
exploitants est égal au soutien qu'ils perçoivent
réellement. En effet, la réforme de la PAC a
particulièrement favorisé ces zones. En revanche, la montagne est
la zone où les revenus sont les moins élevés et les
soutiens publics à l'agriculture les plus faibles. Contradictoirement,
la PAC aide donc davantage les régions les plus riches.
Revenu courant avant impôts et aides directes en 2000
|
Zones de montagne |
Zones défavorisées |
Zones normales |
Total |
Revenu (en francs) |
138 500 |
170 800 |
197 400 |
181 900 |
Aides directes (francs) |
98 600 |
165 000 |
122 700 |
128 700 |
Dont ICHN |
31 700 |
7 300 |
_ |
6 900 |
Aides/revenu |
71 % |
62 % |
_ |
71 % |
Aides/hectare (en francs) |
1 680 |
1 990 |
1 950 |
1 930 |
Source : Réseau d'information comptable
agricole
Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30 % à
la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers
des aides et environ 20 à 25 % du revenu. Un élément doit
être pris en compte pour l'avenir : la disparition de la prime
à l'herbe en 2003, remplacée par les contrats territoriaux
d'exploitation (CTE). Actuellement le ministère de l'Agriculture a
signé 25 000 CTE dont 20 % en montagne ; la montagne conserve
ici son rôle de « laboratoire » en matière de
politique agricole, comme cela avait été le cas pour la dotation
jeunes agriculteurs, inaugurée en montagne. Cependant, si la prime
à l'herbe est supprimée pour les 30 000 éleveurs
de montagne, il n'y aura pas le même nombre de CTE. Que sera-t-il fait
pour poursuivre le soutien à ces éleveurs extensifs qui
gèrent les espaces montagnards et notamment les plus
menacés ? Il faut absolument que le ministère de
l'Agriculture prenne un relais entre la prime à l'herbe qui va
disparaître et ces CTE qui se mettent en place lentement.
Le rapport d'évaluation de la politique montagne avait ainsi
formulé huit recommandations.
revaloriser le plafond européen de l'ISM
Cette revalorisation était une des premières recommandations de
notre rapport. De fait, les modalités d'attribution de l'ISM ont
été modifiées : lorsque le ministère de
l'Agriculture a demandé une reconduite de cette mesure dans le cadre du
nouveau plan rural national en 2000, la Commission européenne a
exigé de changer le dispositif. Ainsi, d'un dispositif de soutien par
UGB (unité de gros bétail), le soutien se fait désormais
par hectare (plafonné à 50 hectares), afin de se conformer
aux dispositions de l'OMC.
rechercher un dispositif de compensation des handicaps naturels plus proche
des handicaps réels de chaque exploitation en montagne
Aujourd'hui l'altitude est un des paramètres essentiels pour mesurer
effectivement ce handicap (zonages de haute montagne, montagne et
piémont). En outre, le fait de prendre en compte la pente, comme le font
les Suisses et les Autrichiens, aurait permis de compenser les handicaps
véritables rencontrés par chaque exploitant. Ainsi, il se serait
agi d'utiliser un indice synthétique permettant de tenir compte de la
spécificité de chaque exploitation, ce qui était
réalisable compte tenu des informations dont disposent les DDA. Cette
mesure n'a cependant pas été retenue par le ministère de
l'Agriculture, qui a estimé qu'elle aurait trop compliqué les
modalités de calcul.
soutenir la modernisation et la diversification des exploitations
En effet, l'ISM s'apparente aujourd'hui plus à un soutien aux revenus
qu'à une simple compensation : il est vrai que ce soutien
équivaut à un soutien de l'investissement puisque le revenu
correspond à un investissement futur. En conséquence, le fait
qu'il y ait un tel différentiel de revenus entre les zones de montagne
et les zones de plaine pose des questions de différentiel de
productivité à long terme : moins on investit, plus les
écarts vont s'accroître. Il y a donc une nécessité
de soutenir l'investissement en montagne, ce qui a été
jusqu'à présent négligé dans la politique de la
montagne : exceptés les soutiens à la mécanisation et
quelques soutiens renforcés à l'installation, on dénombre
très peu d'aides accordés aux bâtiments. Or, le
surcoût d'un bâtiment en montagne est patent : celui-ci
coûte deux fois plus cher par vache logée en Savoie, à 1
200 mètres d'altitude, qu'en Bretagne. Il conviendrait ainsi de
prolonger l'effort engagé à ce titre par le ministère de
l'Agriculture.
rééquilibrer les soutiens publics à l'agriculture dans
le cadre de la réforme de la PAC
Le cadre était celui de l'Agenda 2000 et de la loi d'orientation
agricole. Le renforcement des soutiens à l'élevage extensif est
certes intervenu, au même titre que le déplafonnement de l'ISM.
Néanmoins, cela concerne des sommes relativement faibles : le
deuxième pilier de la PAC représente aujourd'hui 15 % des
crédits à l'agriculture. Le soutien de la PAC reste ainsi
l'élément primordial qui influence le développement des
exploitations au niveau individuel ou régional.
renforcer les droits à produire et les droits à la prime
Cette politique doit en effet être poursuivie, dans la mesure où
les exploitations de montagne produisent 30 % moins de litres de lait que les
exploitations de plaine. Néanmoins, chaque région est aujourd'hui
crispée sur son droit à produire, ce qui rend des transferts de
quotas, d'une région à l'autre, improbables voire impossibles. En
revanche, si la prochaine réforme de la PAC organise l'attribution de
quotas supplémentaires, la montagne devrait être
considérée comme prioritaire.
mieux valoriser les atouts de l'agriculture de montagne
Ceci concernait notamment les CTE, qui ont bien progressé en montagne.
soutenir le développement des filières agroalimentaires de
qualité
réhabiliter l'appellation montagne
Cette réhabilitation est intervenue récemment.
Mme Josette Durrieu, Président -
Concernant la population, vous
avez souligné la diversité des situations selon les
régions. Pouvez-vous donner des informations plus précises pour
les Pyrénées, au sujet d'un éventuel transfert d'une
partie de la population rurale vers les villes ? Par ailleurs, vous n'avez
pas abordé le thème des politiques de massifs lors de votre
exposé. Enfin, la lecture de journaux et de documents semble indiquer
que les CTE ne se développent pas de manière harmonieuse. Quel
est votre avis sur la question ?
M. Gilles Bazin -
Les Pyrénées pris dans leur
totalité fournissent l'exemple d'un renversement démographique.
Ainsi, la population déclinait jusqu'en 1982, date à partir de
laquelle une légère augmentation est intervenue et se maintient.
Cette augmentation est essentiellement due au solde migratoire, car le solde
naturel demeure négatif.
D'une manière générale, le solde migratoire des Alpes, des
Pyrénées est désormais positif, grâce à
l'arrivée de jeunes actifs, mais également de retraités.
En revanche, la région la plus marquée par des soldes naturels et
migratoires négatifs est incontestablement le Massif central, qui
correspond à la moitié de la zone de montagne française en
termes de surface.
Concernant les politiques de massifs, le rapport a également
évalué les modalités de fonctionnement des institutions
spécifiques de massifs mises en place par la loi
« montagne ». Nous nous sommes ainsi aperçus que ces
institutions, notamment les comités de massifs, ne disposaient pas d'un
pouvoir réel. Certes, ces modalités de fonctionnement sont
variables d'un massif à l'autre. Je pense néanmoins que les
institutions mises en place par la politique de la montagne n'ont pas vraiment
fait leur preuve. Ainsi, le Conseil national de la montagne, ne s'est pas
réuni pendant trois années consécutives et certains
dossiers majeurs n'ont jamais été tranchés (notamment les
difficultés financières de certaines stations de sport d'hiver).
Enfin, la mise en place des CTE s'effectue à l'échelle
départementale. Si l'administration, mais surtout la profession
agricole, font du CTE un outil prioritaire dans le développement des
exploitations, ils se développeront. Ainsi, dans les
Pyrénées audoises, la moitié des techniciens agricoles ont
été affectés au développement des CTE : plus
de 100 CTE ont par exemple été créés dans la
région de Quillan. En revanche, certains départements ont
initialement rechigné à instaurer des CTE. Ils sont aujourd'hui
en train de combler ce retard, dans la mesure où l'essentiel des
soutiens passera désormais par les CTE.
M. Pierre Jarlier -
Votre exposé souligne bien le paradoxe entre
les montants alloués aux exploitations de montagne et ceux
accordés aux exploitations de plaine, alors même que les handicaps
y sont moins prégnants. Le fait que 66 % des revenus agricoles de
montagne soient constitués d'aides pose la question de la
pérennité de l'agriculture en montagne par la régulation
de la prime. Il s'agit là d'un danger imminent : si d'autres
critères ne sont pas mis en place lors de la modification du dispositif,
il y aura un impact direct sur le nombre d'agriculteurs montagnards. C'est sans
doute là que de nouveaux dispositifs, intégrés aux CTE,
pourraient prendre en compte le handicap spécifique et permettre des
réponses adaptées. En effet, les modes d'exploitation
créateurs de valeur ajoutée s'en trouveraient valorisés,
afin de sortir de cette spirale infernale du revenu lié à la
prime directe.
Ceci peut constituer une orientation intéressante pour le futur, car
l'on sait très bien qu'avec l'évolution des politiques
européennes, le montant de ces primes risque de baisser,
entraînant mécaniquement une baisse du nombre d'agriculteurs. Ne
pensez-vous pas qu'il serait pertinent d'établir un dispositif
spécifique montagne sur les CTE pour inciter fortement les agriculteurs
à vivre de leurs produits ?
Le second aspect que je souhaite aborder a trait à l'évolution
entre le soutien à l'ISM, à l'UGB et le soutien à
l'hectare. Ce dernier favorise certes un mode de production respectueux de
l'environnement, mais il provoque également une course à
l'agrandissement des exploitations. Or, dans des secteurs démographiques
déjà fragilisés et où le nombre des agriculteurs
est essentiel pour le maintien d'une vie locale, cette course à
l'agrandissement accroît le risque de désertification.
M. Gilles Bazin -
Concernant la question de la dépendance de
l'agriculture aux aides directes, il convient de souligner que les montagnards
ne sont pas les plus dépendants en matière d'aides. Ainsi, 100 %
des revenus des céréaliers sont aujourd'hui constitués
d'aides ; dès lors ce sont eux les plus exposés à la
prochaine réforme de la PAC. Il faut en effet s'attendre à un
transfert du premier au deuxième pilier de la PAC, à une
dégressivité des aides à l'hectare, et surtout à un
éco-conditionnalité de ces aides. Dans ce contexte, je ne pense
pas que les montagnards figurent parmi les plus menacés : en termes
d'éco-conditionnalité, ils remplissent généralement
les meilleures conditions de mise en valeur du point de vue
agro-environnemental.
Ensuite, il est certain qu'un des effets pervers des soutiens à
l'hectare est de favoriser l'agrandissement plutôt que l'installation, et
d'augmenter les fermages et le prix de la terre. Cependant, l'ISM demeure
plafonné à 50 hectares. Il est néanmoins exact que
dans des massifs de petites structures comme les Vosges, les
Pyrénées, les Alpes de Nord, cette pression foncière
s'exerce inévitablement. Cela me semble en revanche moins évident
pour le Massif central.
Faudrait-il créer des CTE de montagne ? Jusqu'à
présent, les CTE contiennent deux mesures nationales : la
conversion à l'agriculture biologique d'une part, et d'autre part la
conversion des terres arables en élevage. Pour ma part, je ne pense pas
qu'il y soit nécessaire de créer des CTE spécifiques
à la montagne. De plus, les professionnels agricoles veillent à
ce que les mesures de compensation de handicaps demeurent bien limités
à leur champ de compétence initial.
Dans les départements exclusivement montagnards, les éleveurs se
sont très bien adaptés à cette situation. Dans les
départements où la montagne ne constitue qu'une petite partie du
territoire, il est sans doute plus difficile d'établir un CTE
dévolu à une région de montagne. Néanmoins, les
Pyrénées audoises ont réussi cet effort, ce qui confirme
bien que la réussite des mesures dépend de la volonté
professionnelle et administrative locale. Dès lors, je réaffirme
qu'il n'y a pas vocation à avoir de CTE nationaux comprenant des mesures
spécifiques à la montagne.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez proposé des perspectives au
sujet du maintien des quotas laitiers, qui contribuent tant à la
vitalité relative de l'agriculture en montagne. Comment voyez-vous
l'avenir de ces quotas ?
D'autre part, les CTE semblent se heurter ici ou là à des
problèmes institutionnels, là où existent des sections de
communes. Que pensez-vous de cette situation ?
Enfin, malgré l'aide à l'installation, il est aisé de
constater que le nombre d'exploitations diminue de manière
conséquente. Une aide à l'installation organisée de
manière plus intégrale, plus horizontale a-t-elle
été envisagée ?
M. Gilles Bazin -
Dans le domaine des quotas laitiers, nous sommes
confrontés à une véritable interrogation. Les quotas
étaient menacés en 1999, dans le cadre de l'Agenda 2000 qui
envisageait leur suppression en 2007. Aujourd'hui, les pays qui prônaient
cette suppression (les Pays-Bas, le Danemark, la Grande-Bretagne) tendent
à revenir sur leur position. Ainsi, les Néerlandais, qui ont
acheté très cher leurs quotas laitiers (jusqu'à 3,05 euros
le litre de lait), perdraient beaucoup si les quotas disparaissaient.
Je pense effectivement que la mise en place des quotas laitiers a
constitué un atout indéniable pour conserver une production
laitière en montagne. Le dispositif risque d'être un peu
allégé à l'avenir, en laissant une part plus importante au
marché. Une des solutions consisterait selon moi à agir de la
même manière que pour la betterave : établir un quota
européen correspondant à la consommation de l'Europe, le surplus
étant valorisé par le marché au prix mondial, ce qui
éviterait de subventionner les exportations de beurre et de poudre.
Sur la question des problèmes institutionnels et des CTE, je ne me sens
pas compétent en la matière pour pouvoir répondre
Enfin, environ 1 000 DJA sont attribuées dans les zones de montagne
chaque année et environ 400 installations hors DJA intervenant
également sur la même période. Je pense qu'il faudrait
effectivement davantage différencier les politiques d'installation en
montagne. L'installation a en effet toujours été pensée
comme l'installation des fils ou des filles d'agriculteurs. Or, de plus en plus
de jeunes, dont les familles ne sont pas agricoles, souhaiteraient s'installer
en montagne. Cependant, ils éprouvent les plus grandes
difficultés à pouvoir le réaliser. Il pourrait être
pertinent de mettre en place des politiques différenciées : une
politique pour les enfants d'agriculteurs d'une part, et d'autre part une
politique permettant à des personnes qualifiées mais sans
patrimoine agricole, de s'installer.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous renouvelle tous nos remerciements, de la
part de la mission. Je souhaiterais que vous fassiez parvenir au
secrétariat de la mission les éléments écrits qui
permettront de nourrir notre travail.
3. Audition de M. Yves Cassayre, délégué national aux actions de restauration des terrains en montagne (RTM) (3 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Nous recevons à présent M. le
délégué national aux actions de Restauration des terrains
de montagne, M. Yves Cassayre. Nous vous remercions vivement d'avoir
répondu à l'invitation que vous a adressée le
Président Jacques Blanc, que je suis chargé ici d'excuser.
Je voulais simplement vous dire en préliminaire que vous êtes
devant un certain nombre de sénateurs, à ma gauche, monsieur
Jean-Paul Émin qui est sénateur de l'Ain et monsieur Pierre
Jarlier, qui est sénateur du Cantal et également le
secrétaire général de l'Association nationale des
élus de montagne. Cette mission d'information sur la montagne s'est
donnée pour but de dresser un bilan de la politique montagne depuis la
loi de 1985, d'approcher cette réalité et ce bilan à
travers trois grands thèmes : l'aménagement du territoire,
l'économie, et l'environnement. Nous avons pour objectif de
présenter les conclusions de cette mission au début de l'automne.
Ce travail est réparti entre des auditions, dont les premières se
déroulent aujourd'hui, et des visites de terrain sur les principaux
massifs métropolitains. Voilà donc le cadre
général. Je vais donc sans plus tarder vous inviter à nous
présenter l'exposé que vous jugez bon, sur la base du
questionnaire.
M. Yves Cassayre -
Mon exposé suivra le déroulement du
questionnaire. Je n'ai pas réussi à produire un document
écrit mais je vous remettrai différents écrits qui
répondent pour toute ou partie aux différentes questions, qui
n'ont peut-être pas toutes la même importance. Certaines demeurent,
de toute façon, sans réponse, en tout cas de ma part.
Les services de Restauration des terrains de montagne (RTM) sont une
institution qui existe depuis 1860. Au milieu du siècle dernier, il n'y
avait jamais eu autant de population en montagne dans l'histoire. Cette
population était essentiellement constituée
d'agriculteurs-éleveurs qui avaient entrepris pour leur subsistance
d'importants défrichements, ayant pour conséquences du
sur-pâturage et une accélération de l'érosion en
montagne. Des rapports d'ingénieurs l'avaient déjà
relevé dans les années 1840-1850.
La reprise de l'érosion en montagne a vraiment été
constatée dans la décennie 1850-1860. Cette décennie a en
effet été marquée par d'importantes crues de la Garonne,
du Rhône et de la Loire, tous ces fleuves prenant leur source dans les
départements de montagne. Les dégâts occasionnés par
ces inondations étaient intervenus non pas uniquement dans les
régions de montagne, mais aussi vers l'aval des fleuves. Le
phénomène physique était le suivant : la montagne
étant déboisée, les sols étaient mis à nu,
entraînant d'une part des crues plus fortes puisque les sols
épongeaient moins, et d'autre part un entraînement beaucoup plus
important de matériaux solides. Ces phénomènes
d'inondations au cours de cette décennie ont occasionné un grand
nombre de victimes et de dégâts.
L'intervention des pouvoirs publics date de 1860 et du vote de la
première loi, une loi sévère de l'Etat centralisateur qui
avait fait le raisonnement suivant : « les populations de
montagnes ont mal géré leur terrain, on les exproprie, et l'Etat
reboise ». Il est certain que cette mesure a engendré des
résistances dans bien des campagnes, puisque cette loi privait certains
agriculteurs de pâturages. Cette loi a ensuite été
modifiée en 1864, 1880 et 1882, amendée à plusieurs
reprises, passant d'un reboisement unique à un reboisement
associé à un ré-engazonnement (à vocation de
pâturage).
Ce reboisement a commencé à porter ses fruits, mais vers 1890,
les praticiens se sont aperçus qu'il fallait également effectuer
des travaux de génie civil. Ces missions de reboisement ont
naturellement été confiées à l'administration des
Eaux et forêts de l'époque. Cette politique volontariste de l'Etat
fut assortie de crédits réguliers et abondants. Les
expropriations se sont faites de plus en plus à l'amiable. La
réussite des grands reboisements a été patente, surtout
dans les Alpes du Nord et les Pyrénées. La politique de l'Etat
d'acquisitions et de grands travaux s'est ensuite ralentie à partir des
années 1930, pour se modifier à nouveau en 1950, date à
laquelle l'État a décidé de responsabiliser les communes
en les subventionnant.
L'application de cette politique a été confiée au service
RTM, qui a toujours été un service spécialisé de
l'administration des Eaux et forêts, et elle s'est poursuivie de la
même manière jusqu'en 1970. La technicité des agents des
services RTM a été employée non seulement dans les
forêts de l'Etat mais aussi comme maître d'oeuvre ou comme
assistant technique auprès des collectivités. Ce savoir-faire RTM
acquis dans les forêts de l'Etat a ainsi été utilisé
au titre de l'ingénierie publique, et plus largement de l'assistance aux
collectivités.
L'année 1970 marque un tournant. En effet, cette année a
été marquée par deux catastrophes en montagne : le
plateau d `Assy en Haute-Savoie, occasionnant 72 morts, et l'avalanche de
Val d'Isère en Savoie (36 morts), à trois semaines d'intervalle.
Cette époque voyait le « boom » du
développement touristique de la montagne, avec des milliers de lits en
plus tous les ans. Ces catastrophes ont entraîné une prise de
conscience au niveau national qu'on ne pouvait pas accroître l'accueil en
montagne sans prendre en compte la sécurité des personnes et des
biens. Ceci a fait l'objet du rapport du Préfet Saunier, suite à
la catastrophe de Val d'Isère.
Pour les services RTM, le complément d'activités a
consisté à concourir au zonage des risques naturels, zonage qui
n'avait jamais été effectué de manière rigoureuse
et systématique auparavant. Ce zonage a permis d'établir une
cartographie d'avalanches, confiée au CEMAGREF (Centre national du
machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts).
Cette cartographie s'est traduite également par les cartes de zones
d'exposition au risque du mouvement de sol et du sous-sol (cartes ZERMOS).
Ensuite, par l'ancêtre des plans de prévention des risques (PPR)
d'aujourd'hui : les plans des zones exposées aux avalanches (PZEA)
et les plans des zones exposées aux risques naturels (PZERN). C'est
ainsi que les services RTM, aidés du CEMAGREF ont fait leurs
premières armes en matière de zonage des risques naturels.
La loi de 1982 sur les catastrophes naturelles a repris ces dispositions
à travers deux volets : d'une part la cartographie, avec les plans
d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER) et d'autre part
l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. En 1995, la loi
montagne du 2 février 1995 a substitué aux PER les PPR, qui, en
pratique ne sont guère différents, selon moi. Depuis 1995, le
véritable changement a surtout concerné les moyens mis en oeuvre,
beaucoup plus importants. Peu à peu, la technique des zonages s'est
affinée. Il faut ainsi relever que les PPR se sont d'abord construits en
zone de montagne (PZEA, PZERN), avec la technicité des services RTM.
Nous sommes passés du système des PER, orienté sur la
protection des biens, à la protection des personnes à travers les
PPR.
Pour des raisons de continuité, les services RTM ont été
maintenus dans le giron de l'administrative forestière, l'Office
national des forêts (ONF), qui est un établissement public. Le
ministère de l'Agriculture subventionne chaque année l'ONF
à hauteur de 6,1 millions d'euros hors taxe, pour la mise en place
des services RTM dans onze départements de France métropolitaine.
Les effectifs s'élèvent à une centaine de personnes,
auxquels viennent s'ajouter vingt-cinq personnes dont la présence est
justifiée par les financements provenant du ministère de
l'Environnement.
Pour ce qui concerne le coût direct ou indirect des
phénomènes naturels, je ne dispose pas d'informations
précises me permettant de répondre. Je dispose néanmoins
de quelques éléments, issus du rapport d'activités de
l'année 2000, que je laisserai à votre disposition. Cependant, il
est certain que cette politique nécessite des investissements de grande
ampleur, comme en témoignent les sommes gigantesques consacrées
par les conseils généraux à la protection des routes
départementales.
Quant aux enjeux menacés, il est assez difficile de répondre de
manière définitive, tant les phénomènes naturels
demeurent en grande partie imprévisibles. Ainsi, je me suis rendu la
semaine dernière à Chamonix, sur le site de l'avalanche du
Brévent. Si nous savons à peu près jusqu'où cette
avalanche est descendue, on ne peut pas estimer précisément
jusqu'où elle pourrait continuer. Il n'y a pas aujourd'hui, à ma
connaissance, de méthodologie permettant d'apprécier
sérieusement les enjeux menacés en termes économiques.
Je me permets cependant de vous donner un chiffre, pour relativiser la
question : celui du nombre de morts par avalanche chaque année.
M. Sivardière développera certainement cette question cet
après-midi. Sur les dix dernières années, ce chiffre
s'élève à trente personnes par an. Ces victimes se
répartissent en deux catégories : d'une part, ceux qui
pratiquent des activités de haute-montagne ou qui sortent des pistes de
ski balisées (27 morts) et d'autre part, les trois victimes se trouvant
dans des zones où le citoyen peut s'estimer en sécurité,
c'est-à-dire les bâtiments, les routes ouvertes à la
circulation, les pistes de ski ouvertes, les remontées
mécaniques. Ce chiffre des trois victimes qui ne s'étaient pas
mises en danger volontairement est donc relativement faible, notamment si on le
compare à d'autres catastrophes naturelles.
Néanmoins, nous pouvons constater que chaque catastrophe est
perçue socialement comme inadmissible. Il nous faut donc essayer de
renforcer toujours plus la sécurité. En matière
d'avalanches, nous tentons constamment de nous améliorer, notamment
depuis 1999, mais il demeure toujours plus difficile de faire mieux quand on
atteint des nombres aussi faibles.
Les facteurs de risques sont essentiellement ceux que l'on appelle les risques
gravitaires rapides :
- les avalanches ;
- les mouvements de terrain lents ou rapides, comme des chutes de blocs, les
éboulements de falaise et les glissements ;
- les risques torrentiels.
Ce sont ces derniers qui occasionnent l'essentiel des dégâts
causés aux biens, mais affectent assez peu les personnes. La
dernière catastrophe due à des dégâts torrentiels
est celle du Grand-Bornand en 1987.
Dans le domaine de la responsabilité du risque je
bénéficie d'une assez grande expérience. En effet, avant
d'être nommé délégué national aux actions de
RTM, j'ai été chef du service départemental de
Haute-Savoie pendant sept ans où j'ai signé plusieurs milliers
d'avis concernant les risques naturels. Il s'agissait aussi bien d'avis sur les
procédures unités touristiques nouvelles (UTN) que d'avis sur des
permis de construire, des plans d'occupation des sols (POS). Malgré
cette longue expérience, je ne sais toujours pas quel est
réellement le rôle de l'Etat, celui du maire et encore moins leur
partage de responsabilité en matière de risques naturels.
Je prends comme exemples deux extrêmes : est-ce que la mission de
l'Etat ou du maire consiste simplement à faire connaître ce qu'il
a dans ses tiroirs, ses archives ? Ou cela doit-il aller jusqu'à
l'avis technique, qui implique des visites de terrain par un expert et des
préconisations graduées ? Je ne le sais toujours pas. Je ne
le sais pas ni pour un permis de construire ni pour une information sur des
POS, ni comment le Préfet doit exercer son contrôle de
légalité.
Il existe une exception concernant la logique des plans de prévention
des risques, qui est selon moi, une excellente procédure du point de vue
du contenu mais aussi du point de vue de la sécurité juridique
des élus et des services de l'Etat. Au lieu de donner des avis au coup
par coup, la commune est étudiée dans son ensemble, ce qui permet
de publier un document doté d'une vraie valeur juridique et qui a pu
faire l'objet d'une vraie discussion. Cependant, je me pose parfois la question
de savoir s'il est raisonnable, par rapport à l'esprit des lois de
décentralisation, d'avoir cette logique de PPR où tout s'est
re-centralisé sur la responsabilité de l'Etat.
En revanche, le document technique et la manière dont il est
élaboré, et les échanges qu'il nécessite avec les
collectivités, me semblent être une très bonne chose.
J'insiste sur ce point car lorsque l'on lit les textes, que cela soit la loi de
1995 ou son décret d'application, on ne trouve rien concernant la
procédure d'échange. Or s'il n'y a pas un réel
échange avec la collectivité locale, le PPR ne fonctionne pas,
comme nous avons pu le constater dans un certain nombre d'endroits. Il est
nécessaire qu'il y ait à la fois une responsabilisation de la
collectivité pour qu'elle formule des propositions constructives, et au
niveau des services de l'Etat, des cellules spécialisées pour
mener cette action tant sur le plan technique que sur le plan de la
concertation. Si ces deux conditions sont remplies, je suis persuadé que
nous tenons là une très bonne politique en matière
d'affichage des risques. Je laisse également à votre disposition
un document émanant du ministère de l'Environnement sur
l'état d'avancement des PPR.
Pour ce qui concerne la pratique de l'expropriation préventive, je suis
plus circonspect au sujet de la mise en oeuvre de la politique
d'expropriation : je pense que nous n'avons pas aujourd'hui suffisamment
de recul, ni suffisamment de cas traités pour établir un jugement
pertinent. En revanche, il est certain que l'expropriation concerne
essentiellement la montagne. On doit déplorer que la mise en oeuvre de
cette politique manque de précision et de transparence. En
conséquence, il est difficile de bien comprendre dans quelle logique les
dossiers doivent être présentés. Si le principe de
l'expropriation préventive me semble bon, il génère
cependant des effets pervers, notamment concernant les travaux de protection.
En effet, le coût de ces derniers doit être supérieur
à la valeur des biens pour que l'expropriation intervienne. Je prends un
exemple : pour une maison valant 152.500 €, si les travaux de
protection coûtent 167.700 €, l'expropriation est
décidée, le propriétaire de la maison étant
dédommagé à hauteur de 152.500 €. En revanche, si les
travaux coûtent 137.200 €, l'expropriation n'intervient pas et le
financement des travaux est difficile à assurer. Cet effet de seuil
n'est pas toujours facile à faire comprendre aux maires ou aux
intéressés. Ceci dit, les procédures d'expropriation sont
bien moins conflictuelles qu'auparavant.
Pour ce qui est du fonctionnement du fonds de prévention des risques, je
ne préfère pas répondre à cette question puisque je
ne l'ai abordée qu'à travers les reconnaissances de catastrophes
naturelles et par les expropriations. Je pense qu'un spécialiste du
ministère de l'Environnement ou du ministère de
l'Intérieur serait plus à même de vous éclairer sur
cette question. Je peux cependant suggérer une meilleure transparence en
ce qui concerne ce qui est éligible aux reconnaissances de catastrophes
naturelles.
En ce qui concerne la prise en compte des risques d'avalanches dans les
documents d'urbanisme, il y a deux systèmes : soit la
procédure PPR, déjà évoquée, soit une
gestion au coup par coup, en fonction des cartographies qui peuvent
préexister. Il me paraît souhaitable d'accélérer la
procédure PPR en montagne, ce qui nécessite sans doute
l'attribution de moyens complémentaires et qui permettrait
également de réviser quelques anciens PER.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une demande croissante de
sécurisation, de la part des maires, de l'Etat, de la justice, de la
presse et des particuliers. Les quelques PPR que nous sommes amenés
à réviser doit faire l'objet d'un toilettage presque
intégral. De plus, les discussions avec les communes, sans qu'elles
deviennent plus conflictuelles, sont de plus en plus longues et de plus en plus
pointues : les communes sont désormais de plus en plus en
exigeantes, ayant déjà l'expérience de plusieurs
années de PPR.. Je pense qu'il reste énormément à
faire dans ce domaine.
Les acteurs de la gestion du risque sont au nombre de trois, à mon
sens :
- l'Etat ;
- le maire ;
- le particulier.
Comme je l'ai évoqué précédemment, le partage des
compétences entre ces trois acteurs est difficile à cerner. Il y
a en la matière un manque de clarté juridique.
Vous m'avez demandé si selon moi, le risque zéro était
accessible, et si oui, à quel coût. Je ne peux répondre
à cette question autrement qu'en disant que ce risque est certes
atteignable, mais à un coût infini. A mon avis, le courage
d'afficher le risque accepté manque : quelle que soit
l'efficacité du zonage effectué, la qualité des travaux de
protection, il existera toujours un risque résiduel. Il faut avoir le
courage de dire aux citoyens qu'un tel risque existera, ce qui signifie que,
concrètement, un ouvrage paravalanche ne peut être totalement
étanche en cas de très fortes précipitations, par exemple.
Cela signifie également qu'une zone
a priori
sûre peut
être exposée à un danger extrême, bien que
statistiquement improbable. Les montagnards, comme les marins, sont conscients
qu'on ne peut prévoir l'imprévisible, qui, parfois, survient
malgré tout. Or, ceci n'est pas assez dit, selon moi. Les fonctionnaires
et les élus se retrouvent ainsi confrontés à une exigence
sociale, relayée par les médias et la justice, de
sécurité absolue, qu'ils ne peuvent jamais garantir
intégralement. Les catastrophes deviennent à la fois de plus en
plus rares, et corollairement, de plus en plus inacceptables.
Le déclenchement préventif des avalanches en montagne demeure
orphelin d'une solution juridique depuis 1980, date de la dernière
circulaire en la matière. Or, celle-ci ne concerne que les
déclenchements par explosifs, tandis que, suite aux nombreuses
évolutions techniques ayant vu le jour depuis cette époque, les
déclenchements sans explosifs se multiplient. Il y a dans ce cas un vide
juridique important, alors même qu'il s'agit d'un domaine où les
dangers sont nombreux, et qui engage une forte responsabilité des maires
et des intervenants (cette circulaire date d'avant les lois de
décentralisation). Nous avons eu la chance jusqu'à présent
que de gros accidents ne se soient pas produits, les victimes à
déplorer se limitant aux rangs des artificiers sans atteindre le grand
public.
Mon exposé touche à sa fin. J'ai essayé de traiter les
différents sujets que l'on m'avait demandé d'évoquer et
suis désormais prêt à répondre à
d'éventuelles questions. Pour finir, je tiens à dire
qu'après relecture de la loi montagne de 1985, il me semble que son
contenu en matière de risques naturels reste très anodin et
n'apporte pas de précisions particulières par rapport aux textes
antérieurs.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie, monsieur le
délégué national. Sur le dernier point
évoqué, nous avons effectué le même constat :
depuis 1985, la demande de sécurisation de la société,
comme vous l'avez justement souligné, est un des
phénomènes qui nous ont amenés à nous pencher sur
toutes ces questions. Avant de laisser la parole à mes collègues,
je souhaite vous poser deux séries de questions.
Tout d'abord, je voudrais savoir si, au-delà des onze
départements dont vous vous occupez -et pouvez-vous nous les rappeler-,
il y a peut-être des départements de montagne où les
risques, bien que moindres, existent. Y a-t-il de la part du ministère
de tutelle une volonté d'extension de vos services à ces
départements ? Faut-il le proposer ? Avez-vous un regard sur
ces départements, quand bien même ils ne sont pas ceux parmi les
plus exposés à des « risques montagne »
spécifiques ?
Ma seconde question est issue de mon expérience de terrain : je
souhaiterais savoir comment s'évalue le risque, dans la mesure
où, il semble bien que vous ne soyez pas le seul service
consulté. En effet, ce qui me semble curieux dans notre droit
français, c'est que la police des eaux, des rivières et des
torrents relève soit de la compétence de la Direction
départementale de l'équipement (DDE), soit de la Direction
départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Or ces
services, comparativement aux vôtres, sont moins habitués aux
procédures de concertation. Comme vous l'avez évoqué,
l'élaboration d'un PPR nécessite de votre part un débat
préalable, une évaluation des risques, une cartographie. Les
autres services apparaissent bien plus rigides. Par conséquent, comment
se fait-il qu'il y ait ainsi plusieurs services d'Etat, et non pas une seule
voix autorisée ?
M. Yves Cassayre -
Concernant votre première question, les
onze
départements couverts par les services RTM se
répartissent ainsi :
- trois départements des Alpes du nord : Savoie, Haute-Savoie,
Isère ;
- trois départements des Alpes du sud : Hautes-Alpes,
Alpes-de-Haute-Provence et Alpes-Maritimes ;
- cinq départements du massif pyrénéen :
Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées,
Haute-Garonne, Ariège et Pyrénées-Orientales.
Autrefois, jusqu'à 26 départements étaient couverts par
les services RTM, à l'époque où l'Etat avait acquis un
grand nombre de terrains pour les reboiser. Une fois reboisés, ces
terrains relèvent désormais de la forêt domaniale,
gérée classiquement par les services de l'ONF.
La question qui mériterait d'être posée est la
suivante : serait-il utile de disposer de services tels que les
nôtres dans ces départements dans les domaines de l'urbanisme et
de l'expertise au sens large ? Ceci ne semble pas être à
l'ordre du jour : actuellement, le financement des services RTM est tenu
à bout de bras par le ministère de l'Agriculture. Chaque
année, les discussions sont âpres pour que le financement ne soit
pas revu à la baisse.
Ainsi, je regrette fondamentalement que, depuis trente ans qu'existe le
ministère de l'Environnement -et alors même qu'il a logiquement
été doté d'un nombre croissant de compétences,
notamment en matière de risques naturels-, ce ministère n'ait pas
pris en charge, au moins partiellement, les services RTM qui travaillent sur ce
créneau.
Votre deuxième question avait trait à la répartition des
compétences entre différents services de l'Etat. Je ne l'ai pas
abordée tout à l'heure, et ce de manière volontaire. Je
pense en effet qu'avant de se poser cette question-là -qui mérite
cependant d'être posée-, il faut déjà savoir quelle
est la mission de l'Etat, comme je l'ai évoqué
précédemment. Il est bien évident que certaines domaines
font l'objet de compétences partagées, voire diluées, qui
nuisent en définitive au bon accomplissement de l'action administrative.
Je prends pour exemple la politique de l'eau, répartie entre de nombreux
intervenants : la DDASS, la DRIR, la DDA, la DDE, les services RTM. A mon
avis, il manque un service unique traitant de la gestion de l'eau sous tous ses
aspects, qui permettrait d'accroître l'efficacité de cette
politique.
M. Jean-Paul Émin -
Vous nous avez parlé des grandes crues
intervenues au milieu du XIXème siècle. Pensez-vous que les
risques de grandes crues de plaine sont désormais très
faibles ?
Ensuite, comme Jean-Paul Amoudry l'a signalé au début de votre
audition, un des angles retenus par la mission pour l'évaluation de la
politique montagne concerne l'économie. Quelle corrélation
peut-il y avoir entre la pérennité de l'activité rurale en
montagne et la gestion des risques naturels ? Dans quelle mesure cette
activité est-elle réductrice des risques ?
M. Yves Cassayre -
L'objectif initial de protection des zones aval a
été parfaitement rempli : les investissements consentis par
l'Etat ont porté leurs fruits. Il ne faut pas oublier que l'Etat assure
également l'entretien de ces ouvrages (ligne budgétaire 35-92 du
ministère de l'Agriculture) et que les moyens financiers
dégagés à cette fin sont globalement suffisants.
Aujourd'hui, la protection est assurée essentiellement à
l'intention des populations de montagne, ce qui n'était pas le cas
initialement.
Concernant la pérennité des activités rurales, je ne peux
véritablement l'affirmer. En effet, si cette activité cesse, un
reboisement naturel interviendra, qui n'augmentera pas les risques. Il reste
néanmoins deux cas de figure où l'activité du monde rural
est nécessaire pour la prévention des risques naturels :
- certains pâturages permettent de prévenir des départs
d'avalanches. Un sol brouté, tondu, constitue un terrain moins propice
à ces déclenchements qu'une herbe séchée, qui se
couche et qui se lisse. Mais ces cas demeurent relativement anecdotiques.
- les zones en mouvements de terrain, où le monde rural entretenait, et
entretient encore mais de moins en moins bien, les réseaux
d'assainissement et les fossés qui permettent d'évacuer l'eau des
terrains.
Néanmoins, je ne pense pas que globalement, on puisse affirmer que la
présence d'agriculteurs soit un gros plus en matière de
prévention des risques naturels.
M. Pierre Jarlier -
Je pense que l'exploitation de certaines terres en
milieu humide peut justement susciter des risques de crues en aval. On a
beaucoup de difficultés à résoudre ce problème avec
des documents d'urbanisme, puisqu'on ne se situe pas sur le même
territoire. Il y a donc une indépendance totale entre le choix politique
effectué en amont, et celui effectué en aval concernant la
gestion du risque.
M. Yves Cassayre -
Je suis entièrement d'accord avec vous.
Cependant, en zones de montagne, je n'ai pas connaissance de problèmes
de grande ampleur. En revanche, j'ai eu parfois l'occasion d'observer des
travaux agricoles réalisés en dépit du bon sens.
M. Pierre Jarlier -
Comme le drainage par exemple ?
M. Yves Cassayre -
Effectivement, un drainage extrêmement
performant, qui ne soucie pas de l'évacuation de l'eau en aval, est
potentiellement très dangereux. Cependant, en termes quantitatifs, je ne
suis pas sûr que cela représente quelque chose de
réellement significatif. Autant je disais à l'instant que le
monde agricole n'avait pas un gros impact pour la prévention des risques
naturels, autant je ne dirais pas non plus qu'il soit particulièrement
dangereux.
M. Pierre Jarlier -
Rassurez-vous, je n'accusais pas les agriculteurs.
Elu du Cantal, j'ai été confronté au
phénomène des planèzes basaltiques, sur lesquelles il y a
des milieux humides qui sont un régulateur très important.
Comment justement peut-ont pérenniser ces zones humides en les liant
à l'activité agricole ?
M. Yves Cassayre -
Je ne suis pas sûr que les PPR soient l'outil
le mieux adapté dans le cas présent, ils n'ont pas cette vocation
de préservation. Selon moi, il serait plus efficace de préserver
ces zones à l'aide de dispositions environnementales.
M. Pierre Jarlier -
Tout à fait. C'est d'ailleurs ce qui est
envisagé.
M. Yves Cassayre -
Cependant, si ces zones humides sont utiles à
la faune et à la flore, il ne faut pas perdre de vue qu'elles peuvent
également exercer un effet d'éponge sur les sols, ce qui peut
représenter un avantage ou un danger selon les circonstances locales.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie à nouveau, Monsieur le
délégué national, pour votre contribution et pour les
précisions que vous avez bien voulu nous fournir.
4. Audition de M. François Sivardière, directeur de l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) (3 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Monsieur Sivardière, bonjour. Je vous remercie
d'avoir regagné le Sénat pour cette audition que nous avons
souhaitée dans le cadre des travaux de la mission sur
l'évaluation de la politique montagne. Je voulais vous dire en
introduction que cette mission s'est donnée pour objectif
d'évaluer l'implication de la loi montagne de 1985. Nous désirons
remettre de l'ordre dans la vision que l'on porte sur la montagne, mettre
à jour des problématiques et établir des conclusions
destinées au législateur. Nous entendons ainsi déposer des
préconisations, qui prendront pour certaines la forme de
règlements, pour d'autres, la forme d'actes législatifs. Vous
êtes l'un des premiers que nous entendons sur ce sujet, plus particulier
au massif alpin et pyrénéen. Je vous remercie encore de votre
présence et je vous laisse la parole.
M. François Sivardière -
Je vous remercie de bien vouloir
m'auditionner. Mon propos va être essentiellement axé sur les
avalanches, dans la mesure où je suis le directeur de l'Association
nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA).
L'ANENA a été créée en octobre 1971, par
décision du Conseil des ministres d'octobre 1970, suite à
l'avalanche qui entraîna 39 morts à Val d'Isère le 10
février 1970. Cette création avait pour vocation de rassembler
l'ensemble des personnes qui travaillaient sur le risque d'avalanche, de
façon à ce que la dispersion des compétences ne soit pas
un frein à l'amélioration des connaissances en la matière.
Avec le temps, les missions et la composition de l'ANENA ont quelque peu
évolué. En 2002, les membres de l'ANENA sont multiples et
variés.
- les organismes de recherche
:
il s'agit des deux grands
laboratoires français travaillant dans le domaine de la neige et des
avalanches : le Centre d'Etude de la Neige de Météo France
et le CEMAGREF, qui dépend du ministère de la Recherche ;
- les professionnels des stations de ski
: les services de
remontées mécaniques, les services de sécurité des
pistes, les guides, les moniteurs, les accompagnateurs ;
- les représentants des collectivités locales
:
ainsi, trois représentants de l'Association des maires de stations de
sports d'hiver et trois représentants de l'ANEM sont membres du Conseil
d'administration de l'ANENA. Parmi ces maires, un grand nombre est titulaire
d'autres mandats, ce qui permet une bonne représentation des
collectivités locales au sein de l'ANENA ;
- des administrations concernées par la gestion du risque
d'avalanches
:
il s'agit des Eaux et Forêts avec le
service RTM, les directions de l'Equipement, les services publics de secours en
montagne (CRS et gendarmes de Haute Montagne). On retrouve également
l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme, dépendant du ministère
de la Jeunesse et des Sports. Enfin, un certain nombre de ministères
sont membres de droit de l'ANENA : les ministères de
l'Environnement, de la Défense, de l'Intérieur, de l'Agriculture,
des Transports, et le secrétariat d'Etat au Tourisme ;
- les pratiquants de sports d'hiver :
c'est une
particularité de l'ANENA par rapport à d'autres associations
similaires à l'étranger. Sont membres du conseil d'administration
de l'ANENA des représentants du Club alpin français, de la
Fédération Française de Montagne et d'Escalade, de la
Fédération Française de Ski.
L'ANENA dispose également d'autres partenaires, à l'instar de
fabricants de matériels de sécurité, individuelle ou
collective. Enfin, et de plus en plus, l'association est en contact
étroit avec les institutions judiciaires et les médias.
L'ANENA dispose de quatre grandes activités.
- L'information
constitue désormais la principale activité
de l'ANENA, bien qu'historiquement apparue plus tardivement. L'association a
pour mission de vulgariser l'information et les connaissances, de diffuser des
conseils pratiques aux professionnels mais également au grand public.
L'ANENA publie ainsi une revue trimestrielle qui a pour vocation de faire le
point sur l'état des connaissances, des études en cours, du
matériel. Des témoignages d'accidents, riches d'enseignements,
sont également publiés ; une chronique juridique est
également assurée. L'accent est mis sur la vulgarisation pour que
le lecteur n'ait pas besoin de pré-requis pour pouvoir comprendre le
contenu de la revue, tirée à 1700 exemplaires.
Ensuite, nous réalisons des documents, allant du dépliant -
fourni par exemple lors de l'achat d'une paire de raquettes - aux ouvrages
très complets qui traitent de l'ensemble des problèmes
liés aux avalanches, en passant par des brochures plus simples, des
documents destinés aux enfants, des produits audiovisuels (cassettes
vidéo, diapositives). L'objectif de ces documents est double : il
s'agit à la fois de sensibiliser le grand public, mais aussi de lui
permettre de se former lui-même. Cette documentation est essentiellement
vendue par correspondance, ou au siège de l'association, à
Grenoble.
Nous disposons également d'un centre de documentation pour des
requêtes plus précises et plus ciblées ; d'un site
Internet fournissant des données générales sur la neige,
les avalanches, des conseils pratiques mais aussi des articles de fond. L'ANENA
intervient également beaucoup auprès des médias, à
travers des entretiens, la relecture d'articles. L'association est
fréquemment sollicitée par les médias pour apporter des
éclairages sur des questions ayant trait aux avalanches.
- La formation professionnelle
L'ANENA assure deux formations spécifiques, dont elle a
l'exclusivité :
- la formation de spécialistes en déclenchement d'avalanches,
sous forme de stages d'une dizaine de jours (quatre stages du 15 novembre au 15
décembre). 120 personnes sont ainsi formées chaque année
au déclenchement des avalanches par explosif.
- la formation des maîtres-chiens d'avalanche. L'ANENA est
agréée par le ministère de l'Intérieur pour cette
formation, hors gendarmes et CRS, qui disposent de leurs propres structures
d'enseignement. L'ANENA forme ainsi une vingtaine d'équipes cynophiles
chaque année.
En outre, l'ANENA assure des formations à la demande, à
destination des guides, des moniteurs, des agents de l'ONF, des vendeurs de
matériel de ski désireux d'approfondir leurs connaissances sur la
neige et la formation des avalanches.
-
L'ANENA est un organisme de concertation
Regroupant la quasi-totalité des personnes physiques, morales ;
publiques ou privées, concernées par le risque d'avalanche,
l'association est un lieu d'échanges et de concertation. Ainsi, chaque
solution retenue et mise en place sur le terrain fait préalablement
l'objet d'une discussion et d'un accord de la totalité des parties qui
seront ensuite chargées de sa mise en oeuvre.
A titre d'exemple, cette plate-forme de discussion, de partage
d'expériences, a ainsi contribué à mettre en place
l'échelle européenne de risque d'avalanche à l'hiver
1993-1994. En effet, Météo France était en discussion avec
ses homologues dans les autres pays européens, mais rendait compte, via
l'ANENA, aux futurs utilisateurs français de l'état d'avancement
des travaux. Les différents utilisateurs potentiels comme les services
de sécurité des stations de ski, les guides et moniteurs, les
pratiquants, ont ainsi pu donner leur avis sur les différentes
orientations envisagées.
En outre, des groupes de travail ont également été
institués, traitant des problèmes liés à la
prévision du risque d'avalanche, aux secours, à l'information des
pratiquants, aux aspects juridiques. De manière plus
générale, l'association organise des colloques nationaux ;
le dernier en date s'est tenu en novembre 2001 sur le thème de la
gestion du risque d'avalanche en France depuis 1970.
- Les études
Initialement, l'ANENA était très axée sur la recherche et
la production d'études destinées à améliorer les
connaissances en matière d'avalanches. Néanmoins, il n'y a jamais
eu à l'association de chercheurs au sens classique du terme. En effet,
l'ANENA est surtout un organisme fédérateur, un gestionnaire
financier, porteur de projets. Elle fait réaliser les études
techniques par le Centre d'Etude de la Neige, le CEMAGREF ou d'autres
laboratoires comme le Centre d'Etudes nucléaires de Grenoble, qui a
notamment travaillé sur les techniques de déclenchement
d'avalanches.
Actuellement, la part études et recherches de l'ANENA est minime,
principalement circonscrite depuis trois ans aux sciences humaines, à
l'instar d'une thèse financée par la Fondation MAIF sur les
enjeux de l'information pour la prévention des accidents liés
à la pratique de sports d'hiver. L'ANENA effectue également un
travail sur les problématiques juridiques, à travers notamment le
rassemblement des textes réglementaires - de la loi à
l'arrêté municipal - ayant trait à un titre ou à un
autre à l'avalanche. Ici, il s'agit de rassembler l'ensemble des textes
existants sur une base de données disponible sur le site Internet de
l'association. L'idée est ainsi d'offrir une facilité
d'accès à ces textes, mais également, un certain nombre
d'analyses sur des questions juridiques posant régulièrement
problème. Enfin, l'association s'attache à traiter
l'accidentologie des avalanches, à travers l'établissement d'un
bilan des avalanches. Nous disposons ainsi de données complètes
depuis 1990 sur les accidents mortels afin d'optimiser l'information, en
ciblant mieux les messages.
En résumé, les activités principales de l'ANENA consistent
d'abord à rassembler l'information pour mieux la diffuser, puis à
permettre les rencontres, les échanges, les discussions pour faire
avancer la réflexion sur la sécurité en montagne, à
travers le filtre des avalanches. L'ensemble de ces actions semble d'ailleurs
bien répondre à un réel besoin, à en juger le
nombre croissant de demandes dont l'ANENA est saisie.
L'ANENA est composée de sept permanents et dispose d'un budget de 500
000 euros pour 2002, dont la moitié sert à couvrir les
dépenses de fonctionnement. Nous devons ainsi trouver chaque
année 265 000 euros pour payer les frais de structure et de
fonctionnement. Malheureusement, l'activité de l'association
dépend en grande partie, des moyens qu'elle parvient à
dégager. Ainsi, ces trois dernières années, nous
étions parvenus à disposer de suffisamment de ressources
financières pour éditer des dépliants ; ce n'est
malheureusement pas le cas pour l'exercice 2002. Nous sommes donc
limités par nos moyens. Ces derniers proviennent de différentes
sources :
- des aides de l'Etat : le ministère du Tourisme, la
réserve parlementaire ;
- des aides des conseils généraux ;
- des aides des mairies ;
Nous disposons d'un accord avec l'Association des maires des stations
françaises de sports d'hiver et d'été dont 80 mairies
cotisent à l'ANENA ;
- des cotisations de membres, qu'ils soient personnes physiques ou
morales ;
- des dons.
Cette partie, constituée des subventions, des cotisations et des dons,
représente environ 60 % des revenus nets de l'ANENA. Les 40 % restants
proviennent des prestations de l'association, c'est-à-dire
essentiellement la formation des artificiers et des maîtres-chiens, voire
la vente de la revue et de documentations. Nous arrivons donc à
équilibrer à peu près le budget pour l'exercice 2002, mais
nous demeurons limités dans nos actions par nos ressources
financières.
La prévision du risque d'avalanche à l'échelle d'un
massif, soit 500 kilomètres carrés, est aujourd'hui bien
maîtrisée. Météo France réussit ainsi
à effectuer une prévision du risque d'avalanche fiable sur cette
échelle. En effet, on connaît relativement bien l'influence de
grands paramètres météorologiques sur le risque
d'avalanche : les chutes de neige (le risque est aggravé à
partir de vingt à trente centimètres de neige
fraîche) ; le vent, qui provoque des accumulations de neige ;
le réchauffement, quand il provoque une fonte de neige importante, peut
également être à l'origine d'une fragilisation du manteau
neigeux. A partir de ces paramètres, il est possible d'évaluer le
risque sur plusieurs jours, en le quantifiant sur une échelle comportant
cinq niveaux.
Malheureusement, ce risque est également très influencé
par la topographie des lieux. La grosse difficulté consiste ainsi
à passer de l'échelle du massif à l'échelle de la
pente. Ce changement d'échelle pose de ce fait un problème
très difficile à résoudre, et même les pratiquants,
professionnels de la montagne les plus expérimentés ne sont pas
à l'abri d'un accident, quel que soit leur niveau de compétences.
Un autre facteur de risque, qui est en revanche modifiable, correspond au
« facteur humain ». En effet, outre les paramètres
météorologiques, le risque d'avalanche dépend
également de la façon dont un groupe de skieurs se comporte sur
une pente. Si les différents membres de ce groupe conservent des
distances respectables lors de la descente d'une pente, la surcharge sera bien
plus faible et le manteau neigeux résistera bien mieux. A l'inverse, si
les skieurs effectuent un passage groupé, les risques de voir ce manteau
céder seront accrues. En terme d'information, le pratiquant ne peut donc
pas être considéré comme un acteur passif puisqu'il se met
en danger de manière délibérée bien que souvent
inconsciente : personne ne l'a forcé à faire du ski ou du
surf en dehors des pistes balisées.
Ceci met à nouveau en exergue la nécessité d'informer le
public. En effet, des précautions peuvent permettre de ne pas
déclencher une avalanche, ou au pire, si elle a lieu, de limiter les
conséquences de l'accident. Le pratiquant, peut donc avoir par son
comportement une action réduisant les probabilités d'accident. Il
s'agit donc d'une particularité par rapport à d'autres risques
naturels : l'individu dispose d'une réelle influence sur le
déclenchement de l'avalanche.
En revanche, étant confronté à un phénomène
naturel d'une ampleur parfois insoupçonnée, je ne pense pas qu'il
soit possible de viser le risque zéro : aussi
expérimentés soient-ils, les pratiquants et professionnels les
mieux formés ne sont jamais à l'abri d'un accident. Les
connaissances actuelles demeurent trop lacunaires pour évaluer à
coup sûr la stabilité d'un manteau neigeux.
Pour ce qui concerne le coût économique de l'avalanche, il me
semble très difficile de répondre, dans la mesure où,
à ma connaissance, il n'existe pas de regroupements d'informations et de
données sur les dommages relatifs aux avalanches. Les assurances, les
RTM disposent peut-être de données éparses, mais celles-ci
ne sont pas réunies dans une base de données globale. La seule
donnée disponible à l'heure actuelle en la matière est le
bilan des accidents effectué par l'ANENA, depuis que l'association
existe, et ce grâce à la collaboration active des pelotons de
gendarmerie de haute montagne, de sections de CRS et de certaines stations de
ski. Ainsi, depuis une trentaine d'années, on estime à trente le
nombre de décès annuels dus à une avalanche, soit
près d'un millier de morts depuis les années soixante-dix.
Les inondations, les tempêtes peuvent occasionner ponctuellement un grand
nombre de victimes, mais sur une longue période, le risque d'avalanche
est considéré comme le risque naturel le plus meurtrier en
France. Il y a donc environ une trentaine de décès par an ;
sur environ cent-cinquante à deux cents personnes accidentées
lors d'un déclenchement d'avalanches. A peu près 90 % de ces
décès sont le fait des victimes elles-mêmes, qui sont
à l'origine des coulées de neige les ayant ensevelies. Les cas
où un pratiquant ou un groupe déclenchent une avalanche emportant
une personne située plus bas dans la pente sont ainsi très rares.
De même, les cas d'avalanches spontanées ensevelissant un skieur
situé en aval sont également très peu fréquents.
Par ailleurs, on estime que 80 % voire la totalité des accidents
concernent des personnes pratiquant une activité de loisir. Il s'agit
essentiellement aujourd'hui du ski hors-piste, alors que jusqu'au début
des années quatre-vingts dix, les randonneurs étaient les plus
exposés. Les cas d'avalanches touchant soit les maisons, soit les routes
ou les pistes de ski ouvertes sont très rares. Ainsi, l'accident de 1999
de Montroc, à côté de Chamonix a certes marqué les
esprits, mais il s'agit d'une exception au regard des statistiques
établies sur les douze dernières années. Il en va de
même pour les routes (une personne en 1990) et les pistes balisées
(quatre ou cinq sur les douze dernières années).
Encore une fois, concernant les données strictement économiques,
il n'existe pas aujourd'hui de procédures de retour d'expérience
mises en oeuvre qui permettraient d'établir un coût
économique des avalanches en France, à l'inverse de la Suisse qui
le pratique.
Enfin, au sujet de la cartographie des accidents d'avalanche, on observe que
ces derniers interviennent au deux tiers dans les trois départements des
Alpes du Nord : Savoie (qui représente à elle seule le tiers
de ces accidents), Haute-Savoie et Isère. Les Alpes du Sud
(essentiellement le département des Hautes-Alpes) et les
Pyrénées (Hautes-Pyrénées) représentent
respectivement 20 % et 10 % de ces accidents. Ceci ne signifie pas
pour autant que certains départements soient plus dangereux que
d'autres ; le taux est tout simplement lié à la
fréquentation des massifs. Les autres montagnes, Vosges, Jura, Massif
central sont également touchées, mais de manière beaucoup
plus ponctuelle.
La gestion du risque d'avalanche fait intervenir un grand nombre d'acteurs qui
sont quasiment tous représentés au sein de l'ANENA. Concernant le
traitement du risque, il est loisible de distinguer deux grandes
catégories : la gestion collective du risque, où l'objectif
consiste à protéger un grand nombre de personnes ; la
gestion ou sécurité individuelle.
La gestion collective du risque est la plupart du temps de la
responsabilité du maire sur sa commune. L'autre part de la
responsabilité est dévolue à l'Etat, notamment en ce qui
concerne les plans de prévention des risques. Pour gérer le
risque, le maire peut faire appel à un certain nombre d'acteurs. Pour
les risques liés à l'urbanisme et aux infrastructures de
transport (protection des routes, des bâtiments), il s'appuie
essentiellement sur les compétences des services RTM, qui interviennent
sur les chantiers de génie paravalanche, sur la cartographie
réglementaire et le plan de prévention des risques.
Le deuxième aspect auquel est confronté le maire dans sa gestion
du risque a trait au domaine skiable. Ici, il ne peut mettre en oeuvre une
protection permanente, comme des systèmes de digues, d'ouvrages retenant
la neige dans les zones de départ. L'élu s'appuie sur le travail
de Météo France, en termes de prévision du risque, les
mesures qu'il édicte dépendant de l'intensité du risque
déterminé par Météo France.
Les mesures les plus régulièrement prises concernent le
déclenchement volontaire des avalanches, mesures
réglementées par le Plan d'intervention et de
déclenchement des avalanches (PIDA), ce dernier faisant l'objet d'un
contrôle de légalité par le Préfet. Ces
déclenchements sont mis en oeuvre par le service des pistes de la
station.
Les autres principales mesures prises par le maire ont trait à la
réglementation. La plupart du temps, il va s'agir d'interdire
l'accès à des routes, des pistes de ski par voie
d'arrêtés. Le maire peut également soit évacuer des
bâtiments, soit demander le confinement.
Enfin, l'information constitue le dernier outil à la disposition du
premier magistrat de la commune. Une des grandes difficultés dans la
gestion du risque réside dans l'arrivée massive d'une population
touristique qui dispose rarement de connaissances pointues en matière de
nivologie. En matière d'information, la principale mesure, outre
différentes brochures distribuées, est le drapeau d'avalanche
(trois couleurs en fonction de l'acuité du risque), qui constitue un
premier niveau d'information, information qui peut être
complétée par les services de secours, trop rarement
sollicités par les pratiquants.
Le maire porte ainsi l'essentiel de la responsabilité en cas d'accident.
Il dispose, comme outils, de la cartographie réglementaire
réalisée par les services de l'Etat. Cette cartographie fait
souvent l'objet de négociations, parfois vives, avec la population
locale concernée. En effet, le souci de prévention, qui peut
conduire à déclarer des zones inconstructibles, est parfois
confronté aux pressions économiques, liées notamment au
développement de l'activité touristique sur la commune.
Certains problèmes peuvent voir le jour. Ainsi, au sujet du
déclenchement des avalanches par explosif, les répartitions de
responsabilité sont partagées entre le maire, responsable
juridiquement et le directeur du service des pistes, responsable de la mise en
oeuvre du déclenchement et bien souvent de la décision
elle-même, tant il est vrai que l'élu ne dispose pas souvent des
compétences en la matière. En outre, les arrêtés
pris pour évacuer ou interdire les pistes souffrent fréquemment
d'une trop grande généralisation (par exemple, l'interdiction
d'un secteur pour tout l'hiver, dès qu'il neige) et pourraient se voir
sanctionner par le contrôle de légalité.
Pour ce qui concerne la sécurité individuelle, comme je l'ai
évoqué précédemment, les pratiquants sont les
premiers concernés par le déclenchement des avalanches. Un
premier recours consiste à se faire encadrer par des
professionnels : guides, moniteurs, accompagnateurs mettant leur formation
et leur expérience sur le terrain à la disposition du grand
public. Il ne s'agit toutefois pas d'une garantie totale contre la survenue de
l'accident, mais plutôt d'un facteur de réduction des risques.
Le pratiquant doit également faire la démarche de s'informer, de
se former, par le biais de clubs de montagne tels que le Club alpin
français, la fédération française de montagne et
d'escalade qui jouent un rôle essentiel pour la responsabilisation des
pratiquants. Il demeure cependant très difficile de toucher le grand
public qui n'appartient pas à des structures associatives et se sent
rarement concerné bien qu'il représente l'essentiel des victimes.
Lorsque qu'un accident survient, deux grands types de services assurent les
secours. En premier lieu, les services publics qui interviennent
systématiquement en montagne, loin des domaines skiables :
gendarmes, CRS, médecins des SAMU spécialisés, voire
pompiers. Dans les autres cas de figure, lorsque les accidents ont lieu
à proximité des domaines skiables, les pisteurs secouristes
interviennent. Là encore, pour que le secours soit efficace, les
pratiquants doivent pouvoir être leurs premiers secouristes : les
chances de survie décroissent considérablement après
quinze minutes. Ceci pose un problème en terme d'équipement, dans
la mesure où un appareillage efficace existe certes (petites balises
émettrices, pelles, sondes) mais coûte relativement cher, environ
382 €.
Au sujet des avalanches et de l'urbanisme, une idée fausse serait de
considérer qu'en mettant le prix, on pourrait sécuriser toutes
les zones perçues comme dangereuses. En réalité, les
ouvrages paravalanches sont construits en référence à un
certain type d'événements ; mais ceci ne constitue pas une
garantie définitive, dans la mesure où des
phénomènes encore plus violents peuvent survenir. Dans certaines
vallées, il n'est plus possible de construire ailleurs que dans des
zones menacées par les avalanches. En conséquence, la
prévention des risques peut se trouver confrontée dans certains
cas avec une volonté de développement touristique.
Cependant, et même si des progrès doivent être faits en la
matière, on peut prévoir le risque dans une certaine mesure et
donc ne pas se voir obligés de supprimer des activités sur de
grands domaines suite à une chute massive de neige. D'une manière
générale, les professionnels peuvent maintenant affiner leurs
prévisions et un développement économique raisonné,
qui prend en compte les conditions météorologiques, ne se trouve
pas menacé par le risque d'avalanche. En résumé, le risque
d'avalanche demeure certes une contrainte à prendre en compte mais cela
ne m'apparaît pas comme étant un frein à une
activité économique et touristique.
Les réformes souhaitables concernent plusieurs aspects.
Les connaissances :
il demeure nécessaire d'approfondir les
connaissances dans certains domaines. Je pense en particulier aux effets des
explosifs, aux manteaux neigeux stables, fréquemment skiés. En
effet, si les manteaux neigeux instables sont plutôt bien
répertoriés, il n'en va pas de même pour ceux
considérés comme stables.
Un meilleur retour d'expérience :
Au niveau de l'ANENA, nous
essayons d'obtenir un maximum d'informations sur les accidents d'avalanche,
compte tenu de nos moyens limités. D'une manière
générale, beaucoup d'enseignements restent à tirer en la
matière et malheureusement nous ne disposons pas de suffisamment de
moyens tant humains que financiers pour pouvoir exploiter toutes les
informations disponibles.
La prévision des avalanches à l'échelle
locale :
la prévision au niveau d'une station de ski demeure
difficile à établir. En outre, les prévisions locales
effectuées par les professionnels des stations ne sont pas toujours
considérées à leur juste valeur, par les juges en
particulier. Ceci est dommageable, tant le savoir-faire local est pertinent
pour appréhender les phénomènes d'avalanche, compte tenu
de la diversité des topographies.
Une réactualisation des textes réglementaires :
cette
réactualisation s'impose tout particulièrement concernant le
déclenchement des avalanches. Dans ce domaine, les textes datent du
début des années quatre-vingts et ne prennent pas en compte
certaines techniques apparues entre-temps.
Enfin et surtout, un effort considérable reste à effectuer pour
l'information des pratiquants.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je souhaite vous poser deux questions
complémentaires. Ma première question porte sur un aspect
technique et la nivologie en règle générale :
êtes-vous amenés à vous intéresser au lien entre
l'évolution du manteau neigeux et certains phénomènes
climatiques tel que le réchauffement ? Au lien entre la nivologie
et la ressource en eau en montagne ? La deuxième est la
suivante : avez-vous le sentiment que les avis que vous émettez
sont suivis par les juridictions ou les assurances qui font appel à
vous ?
M. François Sivardière -
Concernant votre première
question, je dois préciser que l'ANENA en tant que structure ne s'est
pas intéressée aux conséquences des
phénomènes de réchauffement climatique. Le Centre
d'étude de la neige de Météo France a travaillé sur
cette question et a indiqué qu'un réchauffement de la
température de l'ordre de un à deux degrés se traduirait
par une remontée de la limite inférieure de la neige qui
risquerait de poser un problème aux stations de basse et moyenne
altitude. Ainsi, à 1 500 mètres, la période
d'enneigement ne durerait plus que deux mois ou deux mois et demi. A plus haute
altitude, il n'y aurait guère de différences, si ce n'est
quelques jours en début et fin de saison. En ce qui concerne le risque
d'avalanches, il n'y aurait pas non plus d'incidence particulière, tout
au plus une augmentation des avalanches de type humide, l'humidité
étant directement liée au réchauffement de la
température.
Au sujet des ressources en eau, je ne dispose pas d'informations. A ma
connaissance, je ne crois pas qu'il y ait de grosses variations, dans la mesure
où le réchauffement climatique s'accompagnerait également
de précipitations plus importantes. Il y aurait donc moins de neige
à basse altitude mais plus de neige à haute altitude. Les stocks
seraient donc
a priori
constants. Mais ce ne sont que quelques
hypothèses car je n'ai pas entendu parler d'études à ce
sujet.
En ce qui concerne l'ANENA en tant que personne experte, les assurances ne
m'ont jamais approché depuis ma prise de fonction en 1994. En revanche,
concernant les institutions judiciaires, l'ANENA n'est pas experte en tant que
personne morale auprès des Cours d'appel : les experts dans le domaine
de la neige et des avalanches sont nommés à titre personnel. Un
certain nombre d'experts appartiennent cependant à l'ANENA depuis un
certain temps, mais ils interviennent en leur nom propre auprès des
tribunaux. Pour ma part, j'ai déjà été
sollicité à plusieurs reprises. J'y vois une difficulté
qui est celle de devoir donner raison à une des parties d'un
procès. Or, l'ANENA et son directeur ayant plutôt la vocation
d'être un liant entre différents acteurs, un organisme de
conciliation, cela pourrait contribuer à dégrader des relations
entre l'association et une partie de ses membres.
Néanmoins, il nous est arrivé d'intervenir en tant que
« sachants », notamment lors du procès d'un guide,
suite à l'accident intervenu près de Gap au cours d'une
randonnée de raquettes et qui avait entraîné la mort de
neuf enfants et de deux adultes. A cette occasion, le Procureur de la
République a souhaité que j'effectue un exposé, en
introduction du procès, de façon que toutes les parties
bénéficient des mêmes informations. Pendant plus de deux
heures, j'ai ainsi effectué un exposé, comme je peux le faire
auprès des clubs de pratiquants, en expliquant comment la neige se
modifie, comment se forme une avalanche, quelles sont les conduites à
tenir en cas d'accidents... A deux autres occasions, les compétences de
l'ANENA ont été sollicitées à travers la voix de
son directeur : récemment pour un accident survenu dans le Jura,
où l'on m'a demandé des informations sur les chances de
survie ; une autre fois à la Cour d'appel de Chambéry au
sujet des appareils de recherche des victimes d'avalanches (ARVA).
Enfin, il nous arrive de plus en plus d'intervenir à la demande,
notamment pour la formation de magistrats, soit par le biais de l'Ecole
nationale de magistrature, soit à la demande expresse de juridictions,
comme le Tribunal administratif de Grenoble ou la Cour d'appel de
Chambéry.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie, monsieur le directeur, pour
votre contribution.
5. Audition de M. Patrice Vermeulen, directeur des entreprises commerciales, artisanales et de services auprès du ministre délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (23 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je suis heureux de vous accueillir au nom de la mission
d'information sur la montagne. J'excuse le président de cette mission,
qui a dû se rendre dans le Sud de la France. Je vous reçois en
présence de Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire et de
Pierre Jarlier, sénateur du Cantal.
Le président de cette mission, Jacques Blanc, Pierre Jarlier et
moi-même avons proposé au Sénat la constitution d'une
mission d'information sur la politique de la montagne. La loi de 1985
s'applique déjà depuis quelques années. Depuis, d'autres
textes, portant en particulier sur la ruralité et la montagne, ont
été élaborés. La loi de 1985 est ainsi
corrigée notamment par la loi sur la solidarité et le
renouvellement urbain (SRU), par des lois d'aménagement du territoire,
par nombre d'autres textes relatifs à la forêt ou à
l'agriculture, et par la loi Chevènement dédiée à
l'intercommunalité.
Outre ces textes, un certain nombre d'éléments extérieurs
sont intervenus depuis 1985, touchant aussi bien au droit européen
qu'à des événements climatiques.
Dans ce contexte, nous avons jugé intéressant de nous pencher sur
l'actualité de la loi Montagne, et sur la façon dont ce texte a
été appliqué. Nous avons voulu mettre à profit la
suspension des travaux législatifs du Parlement, qui concerne
directement le Sénat, ainsi que le fait que l'année 2002 soit
l'année internationale des montagnes, pour réfléchir
à ce sujet et tenter de parvenir à des conclusions porteuses,
à l'échéance de l'automne prochain.
Cette mission regroupe des sénateurs appartenant à
différentes familles politiques du Sénat et à quatre de
nos commissions.
Je souhaiterais que votre intervention respecte l'ordre chronologique des
questions que nous vous avons posées. La première d'entre elles
concernait l'article 58 de la loi Montagne du 9 janvier 1985. Cette
loi prévoit qu'un rapport
« rendant compte des mesures
prises par l'Etat en faveur des commerçants et des artisans
installés en zone de montagne »
soit déposé
chaque année. Pourriez-vous nous faire part des cinq derniers rapports
élaborés dans ce cadre ?
M. Auguste Cazalet, sénateur des Pyrénées-Atlantiques
et M. Marcel Lesbros, sénateur des Hautes-Alpes nous rejoignent
à l'instant.
M. Patrice Vermeulen -
Nous avons préparé des
réponses écrites à vos questions. Je vous remettrai donc
un document qui reprendra les éléments dont je vous ferai part
lors de ma présentation, en sachant que l'expression orale est plus
libre que l'expression écrite.
La loi Royer de 1973 a également prévu l'élaboration
annuelle d'un rapport sur le commerce. Ce rapport est élaboré au
nom du Premier ministre et déposé sur les bureaux de
l'Assemblée et du Sénat. Nous pourrons vous remettre un
exemplaire de ces rapports, suffisamment détaillés pour que la
situation des départements couverts par la loi Montagne puisse
être mise en exergue.
M. Jean-Paul Amoudry -
Quel est le bilan, en termes statistiques, du
commerce et de l'artisanat en zone de montagne ? Comment le nombre
d'entreprises a-t-il évolué depuis cinq ans ? Comment les
différentes filières se structurent-elles ?
M. Patrice Vermeulen -
Nous ne disposons pas, concernant le nombre de
commerces et leur évolution, de statistiques fines par zone.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il vous est donc impossible de déterminer
si le nombre d'entreprises a augmenté, diminué, ou s'il s'est
stabilisé.
M. Patrice Vermeulen -
La direction des entreprises commerciales,
artisanales et de services (DECAS) dispose de données nationales, ainsi
que de données portant sur les zones rurales, mais pas de données
spécifiques aux zones de montagne. Le document écrit que nous
vous transmettrons fait état d'une diminution générale des
commerces de détail, mais l'outil statistique utilisé par l'INSEE
n'est pas suffisamment précis pour fournir des indications très
détaillées à ce sujet.
La stratégie définie s'applique à l'ensemble du
territoire. Elle consiste, d'une part, à aider le commerce traditionnel,
grâce à un certain nombre d'outils, notamment, le fonds
d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce. Elle consiste,
d'autre part, à refuser de faire des zones rurales ou de montagne des
mouroirs. Il importe d'attirer dans ces zones des populations jeunes, en
répondant à leurs attentes. Ces populations souhaitent notamment
disposer de commerçants et d'artisans proposant les mêmes produits
que ceux qu'elles peuvent acheter dans les grandes villes.
Notre politique ne vise pas à maintenir des petites épiceries qui
ne vendraient que quelques boîtes de conserve périmées et
chères ou des commerces non-alimentaires du type quincailleries, mais
à favoriser la venue des jeunes, ainsi que l'implantation
d'activités économiques, notamment touristiques.
Il est important que des touristes venant passer un week-end ou une semaine
dans un village y trouvent un approvisionnement varié en produits de
qualité, et à des prix compétitifs. Ainsi, ils
n'éprouveraient pas le besoin de remplir leur coffre en quittant la
région parisienne ou de se rendre dans la vallée ou dans la
grande ville la plus proche pour faire leurs achats. Corollairement,
l'épicerie locale ne servirait pas uniquement à approvisionner
quelques personnes âgées. Il est préférable d'aider
l'approvisionnement de ces personnes grâce à des systèmes
de tournées, soutenus par le fonds d'intervention pour la sauvegarde de
l'artisanat et du commerce (FISAC), et permettant de répondre au
quotidien à leurs besoins. Il importe par ailleurs que les zones rurales
ou de montagne ne soient pas mises à l'écart du
développement économique. Cela suppose que ces zones mettent
à la disposition des jeunes et des touristes un approvisionnement
correspondant à leurs besoins, dans le domaine du commerce, de
l'artisanat, du bricolage et de la distribution alimentaire.
Nous intégrons donc la politique de la montagne à la politique
générale que nous avons définie pour le territoire autre
que les grandes villes. Cette politique consiste par exemple à inciter
la grande distribution à ce que les supermarchés d'entrée
de ville ou de petite ville s'implantent dans les zones rurales ou de montage,
afin que les populations jeunes ou en transit puissent consommer sur la base
d'un bon rapport qualité-prix.
Cette politique va à l'encontre d'un certain nombre d'idées,
selon lesquelles il importerait de conserver une épicerie et un
débit de tabac dans chaque petit village. Dans certaines configurations,
il est possible de mettre en place un système de multiservices, avec
l'aide du FISAC. Il me semble néanmoins préférable de
développer les systèmes de tournées, notamment en incitant
les supermarchés à organiser ce type de tournées, de telle
sorte que les produits distribués en zone rurale ou de montagne le
soient à des prix compétitifs et de qualité, et de telle
sorte que leur rotation soit suffisante pour qu'ils soient frais. Certains
produits sont portés par un important dynamisme commercial. Le nombre de
boulangeries s'élevait à quelque 50 000 après la
guerre, contre 40 000 aujourd'hui. Les commerces de proximité de ce
type ont réussi leur conversion, et se maintiennent.
La politique des massifs est pertinente pour les zones de montagne.
Néanmoins, la politique des pays mérite d'être
renforcée, dans la mesure où le pays forme une aire
géographique représentative du développement
économique et susceptible de permettre une analyse en termes de zones de
chalandise. Par ailleurs, l'intercommunalité présente nombre
d'avantages, tant dans les zones urbaines que dans les zones de montagne. Cette
organisation permet en effet de mieux répartir la taxe professionnelle.
Corollairement, l'implantation des surfaces alimentaires de plus de
300 mètres carrés, notamment, profite à
plusieurs petites communes. Leur implantation se fait en outre de
manière rationnelle. Il est par exemple possible qu'une supérette
de 300 à 500 mètres carrés, voire un
supermarché de 1 200 mètres carrés,
s'implante dans une zone de montagne, et assure un approvisionnement de
qualité. Toutes les communes de cette zone, si elles sont
organisées sur la base de l'intercommunalité, toucheront une
partie de la taxe professionnelle versée par la supérette ou le
supermarché en question. Par ailleurs, cette grande surface peut
organiser un système de multiservices ou un système de
tournées dans les zones les plus reculées. Le FISAC peut
intervenir pour mettre en place un système autonome de même nature.
Le domaine de la montagne s'insère parfaitement dans cette politique,
définie initialement pour le domaine rural, à tel point que
depuis 1997, aucune stratégie spécifique à la montagne n'a
été développée.
M. Jean-Paul Amoudry -
Avant de laisser la parole à mes
collègues, qui représentent des départements
concernés au plus haut point par cette problématique, je
souhaiterais vous demander de quantifier les effets de la politique que vous
avez décrite.
M. Patrice Vermeulen -
Entre 1992 et 2001, le FISAC a aidé
867 opérations portées par des petites entreprises de
moyenne montagne, et 72 opérations portées par des petites
entreprises de haute montagne, pour un total de 30 millions d'euros
environ. Cette contribution du FISAC a représenté environ
20 % des aides qu'il a distribuées au total, et 55 % des
décisions qu'il a prises, mais la tendance est à l'accroissement
de l'aide en faveur des zones de montagne.
M. Auguste Cazalet -
J'ai écouté avec attention
l'intervention de Monsieur Vermeulen.
La politique idéale consiste bien à attirer des jeunes et,
corollairement, des commerces, dans les zones de montagne, mais cette politique
est insuffisante. Il est nécessaire au préalable qu'une vie
économique se développe dans ces zones, afin notamment que les
jeunes qui s'installent puissent gagner leur vie.
Mon département a la chance d'avoir hérité de quelques
usines du Nord de la France, telles que Messier Fonderie, qui ont
été rapatriées dans notre région durant la seconde
guerre mondiale. Ces usines ont permis le développement d'une vie
économique dans notre région.
Un commerce rural ne se pérennise que s'il est viable. Dans ma commune,
un couple de jeunes a tenu un tel commerce, qui a dû être
fermé et qui a été repris par une femme qui vend de
l'épicerie et des produits régionaux. Ce commerce a alors
bénéficié de sa localisation sur un grand axe et de la
construction d'un vaste parking, sur lequel une buvette a été
installée. Cependant, le mari de la gérante de ce commerce occupe
un bon emploi, et cette femme a davantage choisi de reprendre ce commerce pour
avoir une activité que pour gagner sa vie. Autrement dit, ce commerce
n'aurait pu être repris par un couple de jeunes, ceux-ci ayant besoin,
dès lors qu'ils ont des enfants, de les faire vivre et d'assurer leur
avenir.
Il est nécessaire de repenser la politique à mettre en oeuvre
dans les zones qui se désertifient, tels que certains endroits de la
vallée d'Aspe, par exemple. Pour ces zones, l'intercommunalité
est insuffisante. Sans usine ou station de ski, une zone ne se développe
que difficilement.
M. Patrice Vermeulen -
J'utiliserai pour vous répondre la
parabole selon laquelle « on ne fait pas boire un âne qui n'a
pas soif ». Un commerce ne peut assurément pas fonctionner
sans clients. Il faut que l'offre réponde à l'attente de ces
derniers.
Les acteurs en charge du tourisme et de la politique industrielle se doivent de
créer les conditions pour qu'une population vienne dans une zone, y
trouve ce dont elle a besoin, et éprouve l'envie d'y revenir ou d'y
demeurer. Ils doivent notamment assurer des conditions d'approvisionnement
répondant aux besoins de cette population. Les préoccupations des
citadins ne sont pas celles que certains films véhiculent : loin de
la vision poétique de la France à la Marcel Pagnol, les
touristes, lorsqu'ils passent une semaine dans un lieu de location, souhaitent
pouvoir y acheter un paquet de lessive à des prix raisonnables. Si ce
n'est pas le cas, ils auront l'impression que les commerçants qui leur
vendent ce produit sont des voleurs, sans prendre conscience qu'une petite
épicerie ne bénéficie pas de conditions
d'approvisionnement intéressantes comme les grandes surfaces. Les
touristes parisiens risquent alors d'acheter leur paquet de lessive en
région parisienne, plutôt que sur leur lieu de vacances.
Une fois les conditions créées pour que des touristes viennent
dans une zone et pour que des personnes s'y installent, la DECAS intervient
pour assurer à ces personnes des conditions d'approvisionnement
intéressantes. Notre objectif est de sédentariser le plus
possible ces personnes, et de faire en sorte que la valeur ajoutée se
fasse sur place. Corollairement, notre politique consiste à faire en
sorte qu'elles trouvent sur place des produits correspondant à ce
qu'elles ont l'habitude de consommer,
via
l'implantation de
supérettes et de supermarchés bénéficiant des
conditions d'approvisionnement des groupes auxquels ils seront associés.
Parallèlement, il est parfaitement possible d'assurer la présence
d'un commerce plus traditionnel. Enfin, pour les personnes ne se
déplaçant que difficilement, les personnes âgées
notamment, il importe d'organiser des systèmes de tournées. Pour
cette dernière catégorie de personnes, le fait d'être
approvisionné prime sur le prix d'achat. Le principe sous-jacent
à cette politique consiste à satisfaire toute demande. Cependant,
en l'absence de demande, il est impossible et inutile de pérenniser un
commerce.
Cette politique, qui s'applique plus globalement à toutes les zones
rurales, est coordonnée par la DATAR. Le FISAC s'appuie en outre sur
certains fonds communautaires, ainsi que sur le fonds des collectivités
locales, afin de créer une synergie entre les partenaires et de
développer le commerce en zone rurale.
M. Pierre Jarlier -
Vous indiquez que sans demande, les commerces ne
peuvent se pérenniser. Il importe
a contrario
de souligner
que sans commerces, nombre de personnes refusent de s'installer dans une
commune rurale. Cette constatation pose le problème de
l'aménagement du territoire en matière d'artisanat et de
commerce, ainsi que celui de la qualité des services offerts, en
particulier dans le domaine de la médecine. Il est donc
nécessaire de permettre à des populations de s'installer en
milieu rural, notamment en lui offrant un niveau minimum de services,
vraisemblablement
via
le développement de
l'intercommunalité et de la notion de pays, et
via
la mise en
oeuvre de projets de territoire contractualisés.
L'article 55 de la loi Montagne stipule que
« l'existence en zone
de montagne d'un équipement commercial et d'un artisanat de service est
d'intérêt général »
. Il est ensuite
expliqué qu'il revient à l'Etat de veiller à cet
équilibre en assurant le maintien, sur l'ensemble du territoire
montagnard, d'un réseau commercial de proximité, ou en
améliorant les conditions d'exercice des activités commerciales.
Des actions spécifiques ont-elles été engagées en
ce sens ? Quels types de procédures s'appliquent
spécifiquement à la montagne ? Je précise que le
FISAC n'est pas un fonds spécifiquement dévolu aux zones de
montagne, même si ces zones ont beaucoup bénéficié
de son aide. Quelle a été l'évolution des crédits
du FISAC au cours des cinq dernières années ? Je
souhaiterais connaître votre sentiment sur le frein à
l'installation ou au maintien de l'artisanat que constituent les contraintes
administratives qui pèsent sur les porteurs de projets, ainsi que sur
les commerçants et artisans. En particulier, les gérants de
commerces alimentaires sont confrontés à des problèmes de
mise aux normes, amplifiés par les faibles chiffres d'affaires
fréquemment enregistrés en zone rurale. Les exigences sont les
mêmes pour les secteurs urbains ou ruraux, ce qui met en péril
nombre de commerces localisés en zone de montagne.
M. Patrice Vermeulen -
Concernant l'article 55, nous n'avons pas
conduit, au cours des cinq dernières années, une politique
spécifique aux zones de montagne. En revanche, nous menons une action
particulière pour les zones rurales, qui incluent les zones de montagne.
Cette action a été menée
via
le FISAC.
Les crédits alloués par le FISAC sont passés de
45 millions d'euros en 1997 à 65 millions cette année.
Les documents qui vous seront remis présentent des données
chiffrées détaillant l'évolution de l'action du FISAC au
cours des dernières années. L'évolution des crédits
alloués par le FISAC témoigne d'un réel effort pour
soutenir les zones rurales.
Dans le domaine alimentaire, les discussions que j'ai eues avec mes
collègues de la DGCCRF ont confirmé mon avis personnel selon
lequel la France va fréquemment au-delà des dispositions
prévues dans les règlements et directives communautaires. Cette
tendance tient vraisemblablement au fait que par le passé, la France a
très souvent pris des dispositions en avance par rapport aux
règles communautaires, à tel point qu'il arrivait que les
dispositions communautaires soient calquées sur les dispositions prises
au niveau national. Il serait à mon sens préférable de
s'en tenir aux dispositions prévues dans les directives et
règlements communautaires.
Sous l'impulsion de mon département ministériel et de ma
direction, la plupart des prêts bonifiés à l'artisanat, qui
représentaient chaque année quelque 21,4 millions d'euros,
ont été transformés en un système de cautionnement
et de garantie, placé sous l'égide de Sofaris. Nous avons
cependant maintenu les prêts bonifiés dédiés
à des mises aux normes. Les commerçants et les artisans devant
emprunter pour une mise aux normes peuvent donc toujours
bénéficier de prêts bonifiés. Le FISAC porte une
attention particulière à la mise aux normes des commerces
localisés dans des marchés couverts : dans ce domaine, il
mène une action spécifique. Nous pourrons d'ailleurs vous
communiquer les données chiffrées relatives à cette
activité.
M. Jean Boyer -
Nous avons conscience que vous n'êtes pas le
législateur, et que nous le sommes davantage que vous. Soyez donc
très à l'aise vis-à-vis d'observations que nous formulons
parce que nous vivons dans des départements de montagne
confrontés à d'inquiétants problèmes.
Le département de la Haute-Loire compte 35 cantons, dont dix-huit
sont classés « zones de revitalisation rurale ». Ces
dix-huit cantons sont caractérisés par un nombre d'habitants par
kilomètre carré inférieur à trente. Cinq de ces
cantons comptent moins de six habitants au kilomètre carré.
Ces observations ne montrent-elles pas que la politique de la montagne n'a pas
été corrélée à une application suffisamment
courageuse de la loi, notamment les lois Pasqua et Voynet ? La
présence de travail est génératrice de présence
humaine. Nous considérons donc que le commerce et l'artisanat devraient
être considérés, dans les zones rurales, comme des services
publics.
Il semblerait par ailleurs que le nombre d'artisans se maintienne au niveau de
chaque département. Néanmoins, les artisans sont de plus en plus
fréquemment localisés dans les villes ou dans les grands bourgs.
Nous constatons en la matière un manque de courage politique. Certains
cantons en zone de montagne présentent certaines similitudes avec le
Sahara et ses oasis. Ces cantons, localisés pour certains en
Haute-Loire, comportent en effet des villages où il ne reste qu'un ou
deux agriculteurs et des friches agricoles.
Ce débat de fond nous échappe, mais nous inquiète, car
nous nous sentons désarmés face à cette situation.
M. Patrice Vermeulen -
Les zones marquées par la disparition d'un
certain type d'agriculture, ont l'avenir devant elles, du fait de certains
phénomènes de société, notamment les 35 heures
et la manière dont les personnes aménageront leur temps de
travail, d'une part, les départs en retraite des salariés de ma
génération qui interviendront dans les cinq prochaines
années, d'autre part. Les populations concernées par ces deux
phénomènes sont susceptibles d'être attirées par ces
zones.
Notre subconscient à tous abrite le modèle de la France de
Marcel Pagnol, caractérisé par un monde agricole très
peuplé, structuré autour de villages comprenant cafés,
commerces traditionnels et artisans. Vouloir maintenir ou re-constituer ce
modèle pour ce type de zones me semble être une erreur. Il est
préférable de construire un modèle prenant en compte les
attentes des populations susceptibles d'être intéressées
par ces zones.
Ces zones évoquent les loisirs et l'inactivité. Or les
retraités peuvent avoir envie de passer une partie de l'année
dans de telles zones, et ce, d'autant plus si elles sont situées
à deux ou quatre heures de route d'un grand pôle urbain. Par
ailleurs, les 35 heures offriront aux salariés des temps de
vacances beaucoup plus importants. Ces personnes ne disposeront peut-être
pas de suffisamment de moyens pour partir à l'étranger, mais
seront probablement désireuses de se rendre dans des zones qui ne leur
coûteront pas trop cher, et où elles pourront séjourner
dans des maisons.
Dans les zones rurales, la démarche consiste à prendre en compte
les besoins de ce type de population, sans chercher à recréer un
modèle « à la Marcel Pagnol », car un
tel modèle ne fonctionnera pas. Il est préférable que ces
zones s'attachent, en accord avec les grands groupes de la distribution,
à assurer des conditions d'approvisionnement répondant aux
besoins des populations. Il conviendrait en outre qu'elles créent des
groupements d'artisans. Grâce à de tels groupements, les artisans
seront en mesure de garantir aux populations toute prestation en matière
de plomberie, de réparation des toits, etc. Ces groupements pourront
être localisés dans les villes, mais rayonneront sur tous les
villages avoisinants.
Ainsi, les zones rurales doivent adapter leur stratégie à des
comportements nouveaux. Elles ne peuvent plus se baser sur les seuls
agriculteurs producteurs. La loi d'orientation agricole et la loi d'orientation
sur l'artisanat montre que dans les zones rurales, la valeur ajoutée
émanera tant du monde du commerce et de l'artisanat que du monde
agricole. Le Ministère de l'Economie s'attache à
développer un certain nombre de domaines fondamentaux pour les zones
rurales, tels que Internet et le haut débit. Il est en effet essentiel
que dans les zones rurales, les artisans, les commerçants et les
retraités puissent se servir d'Internet et si possible, sur la base d'un
accès à haut débit, de la même manière qu'il
est apparu nécessaire, il y a cinquante ans, que ces zones disposent de
l'eau courante et de l'électricité. Les zones rurales doivent
pouvoir accéder rapidement à des images et échanger
via
Internet.
Une certaine souplesse n'en demeure pas moins nécessaire : par
exemple, la mise en place de multiservices en association avec la
collectivité locale est parfaitement envisageable. En revanche, la
vision du village avec son petit bistrot est sympathique mais
insuffisante : accéder à Internet sur la base d'un
réseau haut débit est davantage attrayant, notamment pour les
jeunes. Un tel réseau peut notamment permettre à un gérant
de PME de se connecter en haut débit depuis sa résidence
secondaire.
Le DECAS s'attache prioritairement à faire en sorte que
l'approvisionnement proposé soit en adéquation avec les besoins
des consommateurs et notamment pour les populations jeunes et les familles. Il
convient certes de prendre en compte l'imagerie du village telle qu'elle est
véhiculée par l'inconscient collectif mais également la
réalité des besoins du consommateur. C'est en associant commerce
traditionnel pour des produits typés et de qualité avec de bonnes
conditions d'approvisionnement pour les produits courants que ces zones
trouveront leur place sur le plan économique. L'objectif prioritaire
réside dans le développement des zones rurales. Or un tel
développement ne peut être basé sur un mythe tout à
fait dépassé.
M. Marcel Lesbros -
Le département que je représente est
entièrement classé en zone de montagne. Il apparaît
nécessaire de désenclaver ce département, grâce
à des autoroutes, des routes, et des aménagements à
destination du tourisme. Je m'incline devant le département de Savoie,
qui constitue déjà un fleuron du tourisme de montagne.
Le département des Hautes-Alpes s'étend depuis la
frontière italienne jusqu'au midi de la France. Sa position
frontalière avec l'Italie représente un avantage certain :
il bénéficie ainsi de la fréquentation d'une
clientèle italienne.
Ce département compte une ville de 15 000 habitants,
Briançon, ainsi qu'une grande ville, Gap, où vivent près
de 40 000 habitants.
Il ne suffit pas de faire de la montagne pour faire de la montagne : il
importe qu'un ensemble prenne corps, d'un point de vue financier, pour que les
personnes se rendant à la montagne y trouvent les aménagements
dont ils disposent dans les villes de moyenne importance.
La politique de la montagne a évolué au cours des vingt ou trente
dernières années. Actuellement le département des
Hautes-Alpes, à l'instar d'autres départements, vit uniquement du
tourisme, et notamment, du tourisme de montagne. Ce département offre
notamment aux touristes de passage un air pur. En outre, sa proximité
avec Marseille, métropole régionale, et Grenoble
représente un avantage certain. Il se situe ainsi entre deux
départements qui bénéficient de pôles de
développement, ce qui favorise son propre développement.
L'exploitation des richesses de la montagne est nécessaire. Elle s'est
faite jusqu'à présent
via
l'implantation de stations de
sports d'hiver. J'ai présidé le
Conseil général pendant dix-huit ans et j'ai durant
cette période endetté le département au maximum, afin de
favoriser l'implantation de stations de sports d'hiver, puis je me suis
attaché à renflouer leurs dettes financières. Le
département compte désormais plusieurs grandes stations, telles
que Serre-Chevalier et Orcières Merlette, ainsi que des stations de
moyenne importance. Ces stations représentent un potentiel
économique tout à fait conséquent, mais ont
contribué à endetter le département.
Par ailleurs, les personnes vivant dans les zones de montagne n'exercent pas
toutes un travail saisonnier. En outre, une fois la pleine saison
passée, la question de l'emploi des saisonniers se pose. La question de
l'emploi s'avère primordiale. Pendant longtemps, la bivalence a
été développée, avec comme modèle un couple
dont le mari est moniteur de ski et dont la femme tient un café, un
tabac ou un hôtel.
Les gouvernements qui se sont succédés ont mené des
actions en faveur de la montagne, mais ces actions s'avèrent
insuffisantes. Les zones de montagne sont en effet confrontées à
plusieurs difficultés. D'une part, les investissements qui y
réalisés sont deux fois plus lourds financièrement que les
investissements réalisés dans d'autres zones. En outre, la
clientèle est difficile à gérer, car saisonnière.
Malgré cela, ses exigences sont les mêmes que celles des
populations autochtones.
Gap et Briançon représentent des pôles de
développement qui permettent d'irradier les villages avoisinants.
Les autres départements de montagne sont confrontés à des
problèmes similaires, même si la Savoie bénéficie
d'une certaine avance, ayant engagé une politique touristique une
vingtaine ou une trentaine d'année avant les autres départements.
Nous souhaiterions essayer de mener une politique de tourisme durable, qui
complèterait les différents pôles attractifs dont les zones
de montagne disposent.
Le département des Hautes-Alpes ne compte que
120 000 habitants. Or il est conduit à accueillir quelque
500 000 habitants pendant la période
d'été : le lac de Serre-Ponçon, notamment,
représente un pôle attractif très important. Les touristes,
bien que seulement de passage, exigent des routes en parfait état, ce
qui oblige le département à engager d'importantes dépenses.
En tant que directeur des entreprises commerciales, votre rôle ne se
situe pas seulement sur le plan de l'aide aux investissements : vous
endossez également un rôle éducatif. Dans une logique
similaire, il m'arrive de conseiller à certains maires de ne pas trop
investir, en leur rappelant que les dépenses qu'ils engagent devront
être remboursées. Orcières Merlette, très belle
station du département, n'avait pas de dette au moment où j'ai
quitté le Conseil général. Tout maire souhaite
réaliser des investissements, mais une certaine prudence est
nécessaire en la matière, et il ne m'a pas paru raisonnable de
mettre en place 3 000 lits supplémentaires à
Orcières Merlette, ce que j'ai fait savoir. Inviter les élus
à une certaine prudence relève également de votre
rôle.
Les personnes qui habitent dans les zones de montagne doivent exercer un double
métier : elles ne peuvent se contenter de travailler pendant la
saison. Il importe donc de développer un tourisme durable.
M. Jean-Paul Amoudry -
Quelles actions ont-elles été
menées en matière de saisonnalité ?
M. Marcel Lesbros -
Les aides accordées aux zones de montagne me
semblent insuffisantes. La priorité est d'orienter ces aides vers la
promotion d'un tourisme durable, et vers des zones porteuses. Par exemple, le
maire de Gap a engagé un projet de développement touristique de
la ville, et il convient en effet de ne pas porter uniquement le
développement des stations de sports d'hiver.
Promouvoir un commerce durable implique de créer des commerces
pérennes et d'assurer la présence d'artisans. L'artisanat semble
d'ailleurs faire l'objet d'un certain engouement, et des artisans s'installent
dans les zones de montagne. En effet, leur activité répond
à un réel besoin.
L'aménagement de la montagne doit être en ligne avec le
développement touristique. Le département des Hautes-Alpes a
connu, à l'instar d'autres départements de montagne, certains
déboires. A une certaine période, le climatisme a
constitué un facteur important de développement, mais ce n'est
plus le cas désormais.
Je suggère que les aides que votre ministère apporte aux
entreprises qui se créent dans le domaine commercial, industriel ou
artisanal soient détaillées. Ces entreprises doivent recevoir le
plus d'aides possible. Le développement durable doit en effet être
solidaire, ainsi que l'indiquait Dominique Voynet, c'est-à-dire
notamment qu'il doit être porté par un certain nombre d'aides. Il
doit également être orienté par les conseils que vous
êtes en mesure de donner aux élus. Aujourd'hui, il est
nécessaire, pour sauver la montagne, de promouvoir un tel
développement. Par-delà les efforts que chacun d'entre nous porte
dans son département, il importe de repenser l'aménagement de la
montagne et son articulation avec le tourisme.
M. Pierre Jarlier -
Le commerce itinérant pourrait constituer une
réponse adaptée à la problématique des zones de
montagne. Comment la mise en place de cette forme de commerce est-elle
soutenue ?
M. Patrice Vermeulen -
Le FISAC finance les camions utilisés dans
les tournées, à hauteur de la moitié de leur prix. Le
système de tournée constitue une réponse parfaitement
adaptée à la situation des zones isolées.
Le dossier que nous vous avons remis comprend une fiche qui s'intitule
« les petites entreprises maillent le territoire ». Nous
avons en effet conduit une étude avec l'INSEE. Cette étude ne
concerne pas spécifiquement les zones de montagne mais, plus
globalement, les zones rurales. Elle a permis de tracer une courbe
décrivant la concentration de la population et des équipements en
1998. Grâce à cette courbe, il est possible de déterminer,
dans les villes de cent, cinq cents ou mille habitants, les types de
commerce implantés, ainsi que le pourcentage de population se trouvant
à telle ou telle distance d'un médecin ou d'un boulanger par
exemple. Cette courbe répond parfaitement à certaines de vos
interrogations. Nous avons déterminé la zone formant ce que nous
avons appelé « une gamme de
proximité » : cette zone comprend entre cinq cents
et mille habitants, et est caractérisée par la
présence de commerces et de services tels qu'un boulanger, un
plâtrier, un coiffeur, un électricien, un infirmier et un
pharmacien. Cette courbe, très éclairante, figure dans le dossier
statistique : elle permet de juger la proximité des commerces et
services par rapport à une population déterminée. Nous
nous sommes aperçus que le point d'attractivité se situait entre
cinq cents et mille habitants. En deçà du seuil de
cinq cents habitants, il apparaît nécessaire de mettre en
oeuvre des systèmes tels que le commerce itinérant.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je ne prolongerai pas cette audition,
Pierre Radanne, notre prochain invité, étant arrivé.
Je vous remercie pour votre présentation. Nous n'avons pas eu le temps
d'aborder les questions relatives à la saisonnalité, aux
groupements d'employeurs, au statut des femmes, au conjoint collaborateur. Je
suppose que ces éléments sont intégrés à la
note que vous nous avez remise et, à nouveau, je vous remercie.
6. Audition de M. Pierre Radanne, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (23 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Nous vous remercions tout d'abord de votre
coopération à nos travaux. Le Président de la Commission,
Jacques Blanc, vous prie de l'excuser pour son absence. Il m'a chargé de
le remplacer, aussi bien pour présider la séance que rapporter
les travaux. Je suis accompagné de mes collègues Jean Boyer,
Sénateur de la Haute-Loire, de Marcel Lesbros, Sénateur des
Hautes-Alpes, Auguste Cazalet, Sénateur des Pyrénées
Atlantiques et Pierre Jarlier, Sénateur du Cantal et Secrétaire
général des élus de la montagne. Nous sommes ici pour vous
entendre sur les sujets qui intéressent la montagne dans le cadre de la
mission impliquant plusieurs commissions du Sénat et dont le
dépôt de conclusions aura lieu au mois d'octobre prochain.
L'objectif de cette mission est d'établir des propositions à
l'adresse du Parlement qui sortira des urnes dans quelques semaines. Dans cette
optique, nous souhaitons faire le bilan de l'application de la loi de 1985 et
des nombreux textes qui l'ont enrichie ou modifiée. Nous souhaiterions
donc connaître vos positions sur les sujets dont la liste vous a
été transmise.
Je vous propose de nous faire une brève présentation de l'ADEME,
avant d'aborder les questions plus techniques concernant en particulier les
énergies renouvelables et le bois énergie.
M. Pierre Radanne -
Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, mon intervention se structurera essentiellement autour de
trois sujets. Un sujet général sera consacré à
l'exposé des modes d'intervention de l'ADEME, afin que nous
précisions les difficultés d'intervention que la montagne nous
pose ; un autre sujet sera consacré à la politique
déchets et aux énergies renouvelables ; enfin, je vous
communiquerai quelques éléments sur le développement
durable.
L'ADEME est forte de 830 personnes et de 30 implantations
territoriales, si l'on inclut les DOM et les TOM. Nos trois sites centraux
d'implantation sont Paris, Angers, qui deviendra à partir de la semaine
prochaine notre siège national, et Sophia Antipolis, à
proximité de Nice. Placée sous la triple tutelle des ministres
chargés de l'environnement, de l'industrie et de la recherche, l'Agence
est un EPIC qui est notamment chargé de coordonner, de faciliter ou de
réaliser les opérations suivantes :
- la prévention et la lutte contre la pollution de l'air ;
- la limitation de la production de déchets, leur élimination,
leur récupération et leur valorisation, la protection des sols et
la remise en état des sites pollués ;
- la réalisation d'économies d'énergie et de
matières premières et le développement des énergies
renouvelables ;
- le développement des technologies propres et économes ;
- la lutte contre les nuisances sonores.
Ces différents secteurs correspondent à l'essentiel des
métiers techniques dans le domaine de l'environnement, en dehors des
métiers de l'eau qui sont traités par d'autres agences.
Dans ces domaines, l'agence exerce des actions d'orientation et d'animation de
la recherche, de formation, de diffusion technique, de soutien aux
études de préparation de projets, d'information et de
sensibilisation.
L'ADEME conduit 20 000 projets par an, pour un budget de
3 milliards de francs par an, soit un peu moins de 500 millions
d'euros. Notre impact en investissements induits atteint 20 milliards
de francs par an, soit 3 milliards d'euros.
Un Conseil d'administration définit la politique de l'ADEME, mais nos
commissions d'attribution des aides sont très ouvertes sur la
société. Des commissions régionales traitent les budgets
de taille modeste, alors que les très gros projets sont
gérés par des commissions nationales. Ces commissions associent
les services de l'Etat, des représentants des élus, dont
notamment l'Association des maires de France, ainsi que l'ensemble des secteurs
de la vie économique et sociale (fédérations
professionnelles ou associations). Au total, environ 500 personnes, en
majorité extérieures aux services de l'Etat sont associées
aux processus de décision de l'ADEME. Le Sénateur Gaudin est
d'ailleurs le représentant du Sénat à notre Conseil
d'Administration.
Pour diriger l'établissement, nous avons conclu avec l'Etat un contrat
de plan sur une période de sept ans (2000-2006). Il ne s'agit pas
seulement d'un contrat d'objectif, puisque des engagements de résultat
quantifiés y figurent.
L'ADEME n'a pas pour vocation de fonctionner seule. Notre mode d'intervention
privilégié est le partenariat, notamment avec les
collectivités territoriales. Ainsi, nous sommes associés dans le
cadre de contractualisations annuelles avec un grand nombre de
départements, ainsi qu'avec l'ensemble des 26 régions, dans
le cadre du contrat de plan Etat-région (CPER). Ce type de partenariat
représente le tiers de notre budget et entraîne une contribution
des collectivités territoriales équivalente, soit
140 millions d'euros.
La montagne constitue un espace d'application des politiques nationales. Un
certain nombre de nos actions ont en effet pour cadre le territoire national
dans son ensemble. Il se trouve d'ailleurs que la loi de 1992 sur les
déchets ne comporte pas d'éléments prenant en compte la
nature et les spécificités des territoires, alors que des
difficultés se posent au niveau de la collecte sélective et le
traitement des déchets en montagne. La montagne est évidemment
pour nous un espace à protéger et à valoriser.
J'évoquerai cet aspect au travers du problème spécifique
de la réhabilitation des décharges d'ordures
ménagères et de celui des constructions touristiques. Nous avons
ainsi une collaboration avec le Club Alpin en matière de tourisme
durable, pour réguler l'équipement et la gestion des sites de
montagnes. A ce propos, je vous rappelle que les parcs naturels
régionaux apparaissaient, au moment de leur constitution, comme des
zones protégées. Pourtant, ces zones apparaissent aujourd'hui, du
fait de l'action des syndicats de communes, comme plus dynamiques que des zones
situées en dehors. Il y a là une capacité d'organisation
et de travail que le temps a largement récompensé.
La montagne est également pour nous un espace de solidarité,
notamment à travers des activités créatrices d'emplois. A
cet égard, la filière bois nous apparaît être
l'activité qui reste quand « tout est parti ». A
partir de l'exploitation du bois et du développement de
l'économie locale qui en résulte, il est possible de mettre en
place des capacités de prise en charge collective.
Dans la même logique, nous avons à tenir compte des
difficultés financières des petites communes. Nous avons aussi
à conduire dans les zones de montagne une action particulière en
matière d'information. Ainsi soutenons-nous des associations locales
pour faire de l'information directe auprès des particuliers.
La montagne est aussi à nos yeux un espace de développement dans
lequel nous devons soutenir des stratégies pertinentes, par exemple en
promouvant le Contrat ATEnEE (actions territoriales pour l'environnement et
l'efficacité énergétique) mis en place sous l'égide
du MATE
1(
*
)
, en association avec la DATAR, afin
de proposer à l'ensemble des pays, agglomérations ou parcs
naturels régionaux un contrat d'intervention avec l'ADEME et ses
partenaires.
Après cette présentation générale, je vais exposer
la politique que nous conduisons en montagne en matière de
déchets. Comme vous le savez, le ramassage des ordures en montagne est
particulièrement coûteux. Par ailleurs, l'incinération ne
semble pas adaptée aux communes à la population peu nombreuse. A
cela s'ajoute une difficulté particulière liée à la
présence d'activités saisonnières à forte
variation, avec la nécessité de mettre en place une logistique
supplémentaire. Pour faire face à ce problème de
capacités, nous expérimentons des solutions transitoires de
stockage, afin de pouvoir étaler le traitement des déchets. Nous
vous fournissons sur ce point un dossier consacré aux déchets en
montagne. Il récapitule toutes les préconisations que nous
faisons dans ce domaine aux collectivités locales.
Notre démarche en matière de déchets en montagne se
décline selon deux types. Nous conduisons d'une part des actions de
regroupement de déchets en vue d'amortir certains équipements.
Cela dit, un regroupement trop poussé génère des
camionnages importants, notamment lorsqu'il s'agit de zone difficile
d'accès. Il faut donc développer aussi des solutions locales,
avec des circuits courts.
Comme je l'ai dit précédemment, la loi de 1992 ne prenait pas en
compte les spécificités territoriales. La constitution d'un
ministère de l'environnement et de l'aménagement du territoire a
permis, grâce à une circulaire signée par Dominique Voynet
en avril 1998, de reconnaître des spécificités
territoriales. Sur la base de cette circulaire, nous avons mis en place un
système de discrimination positive en faveur notamment des zones de
montagne, avec l'application d'un taux d'aide de 10 %
supplémentaire. Dès qu'une zone présente des
difficultés de prise en charge structurelles, nous faisons jouer la
solidarité nationale. D'après des études menées en
commun avec l'AMF (Association des maires de France) portant sur les
écarts de coûts entre traitement des déchets en zones
urbaines denses, périurbaines, le rural profond et les zones
d'accès difficile, il est fait souvent état d'un surcoût
allant jusqu'à 20 %, et cela malgré une fréquence
très basse de ramassage. Au travers de la contractualisation avec les
26 régions et les 99 départements, nous avons pu mettre
en place un système de programmation pluriannuel de la politique des
déchets permettant de planifier des capacités d'intervention.
Cela nous permet également de mobiliser sur la politique déchets
des crédits du FEDER.
Si l'on analyse l'état d'avancement de la politique déchets, il
s'avère que la mise en place des déchetteries sur l'ensemble du
territoire national est pratiquement achevée. Celles-ci sont
désormais au nombre de 3 000, soit pratiquement l'objectif
fixé. La collecte sélective des emballages est
réalisée à 72 %. Les zones de montagne ne sont pas
d'ailleurs pas forcément celles où il y a le plus de retards en
la matière, puisqu'une région comme Rhône-Alpes a toujours
été en avance dans ce domaine. On constate cependant un retard
dans le renouvellement des parcs d'incinérateurs. Cela est dû au
fait que certains départements, à l'image de la Savoie, ont
été contraints de fermer une bonne partie de leurs
incinérateurs en raison de leur vétusté.
Nous avons encore beaucoup à faire dans le domaine de la valorisation
des fermentescibles, c'est-à-dire de la partie biologique des
déchets. Ce dossier est crucial car nous constatons dans notre pays un
appauvrissement régulier des sols. L'agriculture puise dans le sol sans
que l'on réinjecte assez de matière organique. L'ADEME
mène dans ce domaine une politique de la qualité axée sur
la valorisation des déchets agricoles, des déchets verts des
collectivités locales, voire de certains déchets organiques
produits par les ménages. Avec le compost ainsi produit nous parvenons
à un amendement de qualité, adapté au terroir, et qui
vient en complément d'engrais classiques n'apportant rien en termes de
liants structurels sur le sol. Il faut savoir, et cette réalité
est également valable pour la montagne, que 74 % des sols du
pourtour méditerranée sont classés dans des zones ayant
atteint un stade d'appauvrissement, celui qui précède la
désertification. On constate en outre dans les zones de montagne, en
particulier sur le flanc Sud du Massif Central, des problèmes de
ravinement qui conduisent à une dégradation de la qualité
des sols. Nous devons donc nous associer à une politique de
reconstruction des sols.
Les volumes actuels d'investissement de la politique des déchets, en
application de la loi de 1992, avoisinent les 10 milliards de francs, soit
1,5 milliard d'euros par an. La masse de déchets dont on modifie
l'écoulement à travers ces actions est de l'ordre de
2 millions de tonnes de déchets.
En matière d'énergies renouvelables, le bois joue un rôle
central dans les zones de montagne. Le bois reste un secteur de consommation
d'énergie important pour la France, puisque 5 % de l'énergie
qui y est consommée provient du bois. Le bois est la deuxième
énergie de chauffage des ménages. Il est surtout utilisé
dans les maisons individuelles du secteur rural. Ainsi, la consommation du
secteur rural est-elle de 8,5 millions de tonnes équivalent
pétrole. On assiste toutefois aujourd'hui à une certaine tendance
au recul, dans la mesure où le bois est un mode de chauffage qui reste
souvent l'apanage de personnes âgées ou de maison
présentant des standards de confort assez faibles.
Pour le chauffage domestique au bois, l'ADEME a engagé trois actions
majeures. Tout d'abord, nous encourageons le développement de
systèmes de chauffage plus performants, afin que les personnes utilisant
le bois bénéficient d'un standard de confort comparable à
celui des autres modes de chauffage. Dans cet esprit, nous avons lancé,
avec l'ensemble des producteurs de matériel de chauffage existants en
France, le label Flamme Verte. Son objectif est d'améliorer de
10 % le rendement des systèmes de chauffage, ce qui revient
à réduire « la corvée de
bûches ». Le label Flamme Verte progresse bien.
Les modes de chauffages classiques tels que le fioul ou le gaz atteignent des
rendements (taux de conversion en chaleur) allant de 80 % à
95 %, alors que les meilleurs poêles à bois atteignent
70 %. Pour mémoire, les poêles de notre enfance avaient un
rendement de 35 % ; une cheminée ouverte a quant à elle
un rendement limité à environ 10 %.
Notre second axe d'action porte sur la caractérisation du bois pour
mieux informer le consommateur. Dans ce cadre, une marque NF doit être
mise en place en partenariat avec des producteurs de bois de chauffage.
Enfin, en vue de soutenir l'utilisation du bois comme énergie d'appoint,
notre action consiste à associer le bois à d'autres
énergies, comme par exemple l'électricité. Ce type de
solution se développe très rapidement, notamment dans les zones
périurbaines et chez des ménages jeunes. Compte tenu de ces
efforts de relance, nous envisageons d'accroître d'ici à 2010 la
consommation de bois dans le chauffage domestique des ménages de plus de
deux millions de tonnes équivalents pétrole, au détriment
de combustibles importés comme le gaz ou le pétrole.
A côté des actions menées dans le domaine de l'habitat
individuel, nous encourageons le développement de petits réseaux
de chaleur, c'est-à-dire adaptés au chauffage de petits
hôpitaux ou de bâtiments communaux (écoles, HLM, etc.). Nous
avons dans notre contrat de plan un objectif de 1 000 chaufferies
collectives et industrielles d'ici à 2006. Le rythme actuel, qui atteint
150 installations par an, devra donc être accru. Les systèmes
mis en place équivalent d'ores et déjà à un
transfert vers le bois d'une consommation annuelle de 50 000 tonnes
d'équivalent pétrole ; ils présentent
l'intérêt de permettre une substitution des importations
d'énergie par du travail dans les zones qui ont le plus besoin
d'emplois. Ces actions portent sur des programmes qui concernent
essentiellement la moyenne montagne : ils connaissent plus de
succès dans les Vosges, le Jura et le Massif central que dans les Alpes
et les Pyrénées. Actuellement, le montage de projets collectifs
bois représente un investissement total de 50 millions d'euros.
Outre le bois, nous intervenons dans le domaine des énergies
renouvelables permettant de produire de l'électricité. Certaines
actions visent à apporter l'électricité dans des zones
reculées hors réseau, grâce notamment à
l'utilisation de cellules photovoltaïques qui captent l'énergie
solaire pour la convertir en électricité. Ces techniques nous
permettent de procéder à l'électrification de refuges et
de bâtiments très isolés.
L'essentiel de l'activité en matière d'énergies
renouvelables est bien évidemment raccordé sur le réseau
EDF. Une directive européenne indiquant des objectifs précis dans
ce domaine a été transcrite dans le droit français
à travers la loi électrique de février 2000, puis dans le
cadre d'une programmation pluriannuelle des investissements. L'objectif
fixé à la France est l'accroissement de 15 % à
21 % de la part des énergies renouvelables. Ce volontarisme
s'explique tout d'abord par le fait que la Commission européenne
voudrait réduire le taux de dépendance énergétique
prévisible de 70 % pour l'ensemble de l'Union à l'horizon
2030. En outre, il s'agit pour la Commission de contribuer à atteindre
la réduction des émissions de gaz à effet de serre,
conformément au protocole de Kyoto dont la ratification conjointe par
les pays de l'Union Européenne devrait intervenir cet
été, avant le sommet de Johannesburg sur le développement
durable. Je tiens à préciser à cet égard que la
consommation de bois n'est pas émettrice de gaz à effet de serre.
En effet, si toute combustion émet du CO2, la combustion du bois dans un
pays qui ne connaît pas de déforestation est absorbée dans
l'atmosphère par les nouvelles générations d'arbres.
Nous devons produire d'ici à 2010 une quantité d'énergie
supplémentaire à partir des énergies renouvelables se
situant, selon les estimations, entre 40 et 46 térawattheures
(TWh), ce qui est considérable. Pour y parvenir, il faut citer avant
tout, en ce qui concerne les zones de montagne, l'énergie hydraulique.
Pour atteindre les objectifs que j'ai cités, il faudra mettre en service
une capacité supplémentaire de 1 000 mégawatts.
Les nouvelles installations devront bien entendu respecter les contraintes
environnementales des zones concernées. Une part importante de notre
effort sera par ailleurs consacrée à l'éolien. Des tarifs
de rachat incitatifs ont été décidés par le
ministère de l'Industrie, de sorte que nous avons la possibilité
de développer l'énergie éolienne sur le littoral, dans le
couloir de la vallée du Rhône ou en offshore.
Le dernier domaine de recherche concernant les énergies renouvelables
est le solaire thermique. L'accent avait été mis dans les
années 80 sur l'utilisation du solaire pour produire de l'eau
chaude domestique. Nous avons prolongé cette action par le lancement
d'un programme très actif, à la fois dans les DOM et sur le
territoire métropolitain, notamment dans le Sud du pays. Le Plan Soleil
permet actuellement une très forte augmentation des parts de
marché des capteurs solaires, grâce à des subventions
conjointes de l'ADEME et des conseils généraux. Ces programmes
impliquent bien entendu l'ensemble des régions alpines, la Corse, les
régions pyrénéennes et le Massif central.
Je vous propose à présent d'analyser spécifiquement les
investissements que l'ADEME réalise dans le domaine des énergies
renouvelables en montagne (Alpes du Nord, Alpes du Sud, Vosges, Jura,
Pyrénées, Massif Central). En 2001, nous avons
déclenché à ce titre 17,4 millions d'euros, soit
114 millions de francs, à travers 651 interventions, dont un
peu plus de la moitié concernent le bois combustible (9,7 millions
d'euros).
L'ADEME intervient dans le domaine des transports à un double titre.
Afin de réduire la pollution atmosphérique et l'émission
de gaz à effet de serre, nous soutenons en premier lieu les transports
collectifs en secteur diffus. C'est le cas notamment dans le Massif Central,
avec des opérations d'affrètement de taxis en relais du
réseau ferroviaire pour assurer l'acheminement des populations vers leur
domicile. Nous avons d'autre part soutenu le transfert des déchets par
rail dans la vallée de la Maurienne pour dégager les voies de
communication routière. Le point capital qu'est le passage du transport
routier de marchandises à travers les grands massifs fait l'objet d'une
collaboration avec les autres services de l'Etat en vue de promouvoir les
transports combinés. Nous avons finalisé d'importants projets de
réutilisation du Rhône comme voie de transport fluvial, notamment
dans le cadre des échanges entre l'Italie et la France. La mise en place
d'une liaison de transport combiné fluviale régulière
entre Fos et Châlon-sur-Saône a été
décidé la semaine dernière ; il se substituera
à la circulation de 10 000 camions par an. Nous travaillons
également avec les Italiens et les Espagnols à la mise en place
des liaisons de transports fluviaux-maritimes Barcelone/Marseille/Dijon et
Livourne/Marseille/Dijon, à travers du cabotage et des bateaux
spéciaux permettant de remonter le Rhône. Ces initiatives, dont je
précise qu'elles sont rentables, peuvent paraître marginales, mais
elles démontrent que le transport fluvial permet de réduire des
trafics de biens non périssables. Elles permettent de désengorger
le trafic routier, notamment pour le franchissement des Alpes et des
Pyrénées.
Avec le Contrat ATEnEE, il ne s'agit pas de soutenir une action
particulière. Nous voulons en effet proposer aux collectivités
territoriales des modes de contractualisation avec l'ADEME qui soient communs
à tous nos secteurs d'intervention (déchets, énergie...)
et qui permettent d'apporter une solution dans trois cas de figure.
Tout d'abord, une collectivité territoriale peut vouloir participer
à l'une des politiques de l'Agence, mais ne dispose pas des
capacités suffisantes en personnel ou pour le faire. De fait, les zones
rencontrant le plus de difficultés dans notre pays sont aussi celles qui
disposent du moins de ressources humaines pour monter des projets. Le Contrat
ATEnEE permet dans ce cas d'aider à hauteur de 30 % la mise en
place de chargés de mission dans les structures de gestion des
territoires retenus, afin de mettre en place des politiques de
développement durable.
Il existe d'autre part des collectivités qui, si elles disposent du
personnel adéquat, ont un problème d'accès aux
méthodes. Nous leur proposons alors un soutien de 50 % lors du
recours à des cabinets d'études extérieurs chargés
d'assurer l'animation de la démarche et la mise en place des dispositifs.
Enfin, nous apportons un soutien aux collectivités disposant de
personnel et d'une expérience en matière de méthodes, mais
désireuses de s'engager dans une activité pluriannuelle, sous la
forme d'un cadre de contractualisation de trois ans grâce auquel les
collectivités identifient leur programme d'intervention. Cet aspect est
pour nous quelque chose de nouveau ayant nécessité un long temps
d'élaboration. Il s'agit d'une structure de contrat territorial, qui
favorise les intercommunalités autour des projets de territoires. Elle
est destinée non seulement aux pays constitués au sens de la loi
sur l'aménagement du territoire, mais aussi aux pays en cours de
constitution. Elle s'adresse également dans le même esprit aux
agglomérations et aux parcs naturels régionaux. Notre
fierté est d'être à la disposition de nos partenaires et de
leur donner la visibilité nécessaire au montage de leurs projets.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour cette présentation
très complète. Vous avez su mettre l'accent sur les
particularités de votre activité qui sont liées à
la spécificité montagne.
M. Pierre Jarlier -
Vous nous avez en effet exposé une vision
très détaillée de ce que fait l'ADEME. La politique de
contractualisation a créé beaucoup d'espoirs au moment où
a été mise en place la collecte sélective des
déchets ménagers. Elles ont créé une dynamique au
sein des territoires intercommunaux. Cependant, force est de constater que les
contractualisations ont connu certaines difficultés, dans la mesure
où certains engagements n'ont pas été tenus. Une fois la
contractualisation lancée, des collectivités ont amorcé
des politiques d'investissement très lourds, au point qu'il ait fallu
faire appel à la DGE pour pallier le fait que l'ADEME n'a pas
été, pour des raisons budgétaires indépendantes de
sa volonté, en mesure d'honorer ses engagements. La contractualisation
n'a donc pas pu servir l'ensemble des investissements envisagés au
départ. Aussi faudrait-il examiner aujourd'hui s'il existe d'autres
modes de contractualisation que le contrat territorial. Vous nous avez
parlé de la valorisation des déchets organiques. Or si des
solutions de valorisation sont trouvées dans le domaine des
fermentescibles, nous nous trouvons confrontés à de grandes
difficultés, en zone de montagne, dans le domaine des boues de stations
d'épuration, en liaison avec l'épandage. Quelles propositions
faites-vous face à ce problème ? Avez-vous établi des
comparatifs de coûts au sujet de l'évolution des modes de
transport de marchandises, notamment sur le réseau fluvial ?
Comment l'ADEME appuie-t-elle l'alternative rail ?
M. Pierre Radanne -
Je vais m'exprimer devant vous très durement
et très franchement. A mon arrivée à l'ADEME, la politique
développée nécessitait un budget de mise en place de plus
de 15 milliards d'euros. La gestion des moyens disponibles nous a
très vite mis dans le mur. Ce problème a été
masqué après 1992 par la phase de constitution des
intercommunalités. A partir des collectivités de 1995, les
collectivités municipales ont commencé à nous faire part
de leurs projets. Or à l'époque, l'ADEME s'était
inquiétée d'une insuffisance de projets, de sorte qu'elle avait,
bien imprudemment, augmenté ses taux d'aides. Je me suis donc
aperçu dans le courant de l'année 1998 que l'ensemble des projets
des années 1999/2001 représentaient un montant de
1,15 milliards d'euros, alors que les recettes que nous pouvions y
affecter ne dépassaient pas 366 millions d'euros. Une rallonge a
donc été demandée à Bercy. Les Finances n'ont
malheureusement apporté que 76 millions d'euros. Par ailleurs les
alliances passées avec les départements et les
régions nous ont permis de bénéficier de concours
d'environ 91,5 millions d'euros par an, ce qui représente un tiers
du soutien public à la politique déchets. Ces concours ont
été absolument décisifs pour nous permettre de passer ce
difficile cap budgétaire. J'ai néanmoins été
contraint d'opérer un arbitrage : nous pouvions soit prévoir
des délais d'attente de plusieurs années, au risque de susciter
une impatience de la part des élus et de leurs électeurs, soit
nous pouvions réduire, comme nous le faisons actuellement, les taux
d'intervention. Cette seconde option a le mérite de nous permettre de
servir tous les projets et de réduire les marges souvent excessives que
s'adjugeaient les professionnels intervenant dans le cadre de la politique
déchets. Une politique de subventions publiques systématique mais
faible a été retenue, j'incite donc les collectivités
à une très grande vigilance en matière d'appels d'offres.
Cette façon de procéder est d'ailleurs la seule qui pourra
permettre d'inscrire la politique déchets dans l'économie de
marché. Si la politique déchets est chère, elle ne sera
pas durable. Les taux de subvention doivent donc été
diminués, même si cette attitude est considérée
comme sévère. Il est toutefois prévu une bonification de
10 % dans les zones difficiles de montagne, grâce notamment au
FEDER. Aujourd'hui, le flux d'investissement de la politique déchets
s'élève à 1,5 milliard d'euros d'investissements par
an, mais nous essayons d'en diminuer l'impact budgétaire. Il s'agit d'un
sujet sur lequel le prochain gouvernement devra trancher dès son
arrivée. Il y a en effet concomitance, à une semaine près,
entre l'échéance de la loi de 1992 et le deuxième tour des
législatives.
M. Pierre Jarlier -
Le problème des interventions
nécessaires en zone de montagne tient au fait que le coût de la
collecte des déchets y est beaucoup plus élevé. Les
collectivités ont par ailleurs un pouvoir d'investissement beaucoup plus
faible, dans la mesure où elles se sont organisées la plupart du
temps en régie directe. On débouche sur une situation où
les collectivités n'ont pas le moyen de procéder à une
mise aux normes rendue pourtant obligatoire, et cela malgré une
réelle volonté politique. On comprend donc aisément que la
baisse des interventions ait, dans ce type de situation, un impact très
lourd en montagne.
M. Pierre Radanne -
Je reconnais ces difficultés, mais il se
trouve que j'ai triplé les investissements déchets en trois ans,
afin d'endiguer le flux de dossiers qui nous a été soumis.
J'entends cependant la totalité de vos critiques.
S'agissant des boues, plusieurs hypothèses sont possibles : si les
boues sont polluées, notamment par des métaux lourds, il est
impossible de les mettre sur des champs et elles doivent être
traitées en incinérateur ou stockées dans une
décharge de bassin. Si les boues ne sont pas polluées, nous
essayons de faire des « cocktails » avec les déchets
des collectivités locales et de l'agroalimentaire en formulant un
amendement en fonction des besoins du terroir. Cette politique pose toutefois
une difficulté sanitaire, dans le cadre du débat sur l'ESB. Pour
y répondre, nous avons constitué, avec plusieurs organismes
homologues, sous la houlette du ministère de la Recherche, un groupement
d'intérêt scientifique (GIS) pour tenter de mettre en place une
qualification des procédés de traitement de la matière
organique en fonction de critères de sécurité sanitaire.
Ce GIS sera composé de l'INRA, de l'INSERM, de l'Institut de veille
sanitaire et de l'Ecole nationale de Vétérinaires. Nous allons
tenter ensemble de faire en sorte que les germes contenus dans les
matières fécales que l'on retrouve dans les boues de stations
d'épuration soient neutralisés avant d'être à
nouveau utilisées pour la production alimentaire. Cette
hygiénisation des matières organiques doit en particulier
être menée dans le domaine des lisiers porcins. Nous sommes
engagés dans un processus de fiabilisation de l'ensemble des
procédés organiques, afin de satisfaire nos obligations en
matière de traçabilité et de fiabilité.
En ce qui concerne le coût du transport fluvial, je me propose de vous
apporter une réponse précise par écrit, étant
entendu que les services offerts par les différents modes de transport
ne sont pas équivalents : on met 4 ou 5 heures à aller
de Châlon-sur-Saône à Fos par la route, alors que cela
nécessite 29 heures par voie d'eau. Cela dit, toutes les marchandises
n'ont pas besoin d'aller à grande vitesse. Le transport de granulat que
nous avons organisé ne s'intègre pas dans une logique du
« juste à temps ». Dans le domaine du rail, nous
soutenons, avec le ministère des Transports, l'acquisition de caisses
mobiles par les entreprises, afin de développer le transport
combiné. Notre souci, dans la perspective du percement alpin est de
faire le départ entre les marchandises qui doivent impérativement
passer par le Mont-Blanc et celles qui peuvent transiter ailleurs. A cet
égard, la voie d'eau, le contournement ferroviaire et le canotage
offrent des opportunités de desserrement de contraintes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous vous remercions, Monsieur le
Président, pour cet exposé très complet.
7. Audition de M. Bernard Baudin, président de l'Association nationale des chasseurs de montagne, membre du Conseil national de la montagne (23 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie Monsieur Baudin d'avoir
accepté, à l'invitation du Sénat, le principe de cette
audition en présence de mes collègues Messieurs Jean Boyer,
Sénateur de la Haute-Loire, Marcel Lesbros, Sénateur des
Hautes-Alpes, Auguste Cazalet, Sénateur des Pyrénées
Atlantiques et Pierre Jarlier, Sénateur du Cantal. Nous avons
décidé de conduire une mission d'information sur la politique de
la montagne comportant des auditions et des visites sur le terrain. Nous avons
souhaité vous rencontrer dans le cadre de cette mission, et plus
particulièrement dans celui du volet environnement de la loi montagne.
La chasse en haute montagne et en moyenne montagne est intimement liée
à la vie rurale traditionnelle et à la problématique de la
protection de la nature et de l'environnement.
M. Bernard Baudin -
Il est important qu'une mission parlementaire
s'intéresse à une activité aussi spécifique que
celle de la chasse, puisqu'elle varie autant en fonction des territoires que
des espèces. La chasse en montagne est encore une chasse authentique, ce
qui n'est pas toujours le cas dans d'autres départements français
où l'on assiste à une artificialisation de la chasse visant
à pallier le manque de gibier sauvage. Nous constatons en revanche dans
les zones de montagne une désertification des villages, à
l'exception des sites consacrés aux sports d'hiver. Le tissu social des
communes de montagne a été bouleversé. Alors que la chasse
était auparavant considérée comme une activité
totalement naturelle dans les familles, la disparition des agriculteurs a
laissé le terrain aux vacanciers issus des villes.
Les espèces étaient en diminution du fait des importants
prélèvements effectués après la guerre à des
fins alimentaires et de l'absence de gestion du patrimoine
cynégétique. Une fois la prise de conscience de la
raréfaction des espèces, de grands parcs nationaux ont
été créés : celui des Pyrénées,
le Mercantour, les Ecrins, la Vanoise, les Cévennes.
26 départements de l'hexagone sont concernés par ces parcs
nationaux qui permettent de mettre en réserve des superficies
très importantes. Cela a engendré, en une décennie, une
recolonisation d'espèces telles que le chamois, le chevreuil, le
sanglier, le mouflon ou le cerf. Cette colonisation a bien évidemment
débordé la zone centrale des parcs pour atteindre les zones
périphériques. Une gestion très pointue permet de
prélever chaque espèce en fonction d'un plan de chasse. Celui des
cervidés date de plus de vingt ans, alors que celui du chamois a
été instauré en 1989. Ces plans de chasse permettent de
fixer des objectifs de prélèvement en fonction des effectifs
comptabilisés et de maîtriser ainsi de manière
précise la croissance des populations. Le résultat de tels
dispositifs ne s'est pas fait attendre, puisque l'on constate que les effectifs
des zones concernées sont beaucoup plus importants qu'au début du
siècle. Aujourd'hui, il se prélève dans les
7 départements des Alpes 10 000 chamois,
24 000 chevreuils, 3 000 cerfs, 2 000 mouflons.
Dans les Pyrénées, on prélève
3 000 isards, 15 000 chevreuils, 4 000 cerfs et
300 mouflons. Le sanglier a colonisé tous les départements,
si bien que 5 000 sangliers sont prélevés tous les ans
dans chaque département, soit un prélèvement national de
80 000 à 100 000 sangliers. Je passe sur les
dégâts que les populations de sangliers sont susceptibles de
causer en montagne, et dont l'indemnisation incombe aux chasseurs.
Le petit gibier a moins subi de prédation dans la période
d'après-guerre, de sorte qu'il était en parfaite santé.
Les cultures ont certainement beaucoup contribué au développement
des populations de perdrix et de lièvres. Le phénomène de
désertification des zones rurales a eu une incidence notable puisqu'il a
entraîné une baisse des populations de petits gibiers comme celle
du grand Tétras, du petit Tétras, de la perdrix grise, de la
bartavelle, de la gélinotte, du lièvre variable et de la
marmotte. La chasse est loin d'être la cause principale de la diminution
des populations de galliformes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Le grand Tétras est-il
protégé ?
M. Bernard Baudin -
L'adoption des plans de chasse concourt même
à ramener à zéro les attributions de cette espèce
qui reste encore chassable. Par ailleurs, 1 200 petits Tétras
sont prélevés dans les Alpes, ainsi que 1 600 perdrix
grises dans les Pyrénées, 600 lièvres variables et
150 bartavelles. Ces populations sont suivies de très près
par des comptages au printemps et à l'été. Le grand gibier
est beaucoup plus facilement suivi que le petit gibier qui évolue
souvent sur des territoires qui ne sont pas spécifiquement
aménagés par les associations de chasse. Le petit gibier, et
notamment les galliformes de montagne, est constitué d'espèces
très sensibles à la fréquentation, et notamment à
la fréquentation touristique. Le ski de randonnée comme la
pratique des raquettes posent des problèmes croissants de partage de
l'espace. Il y a seulement une dizaine d'années, une station avait
procédé à une extension de site sans exiger une
étude d'impact, ce qui a entraîné la disparition d'une
population de 65 tétras tués dans les collisions avec les
câbles.
Nous observons actuellement une nouvelle incidence liée à
l'impact des populations de sangliers sur la nidification, puisque ces animaux
dévorent les oeufs des oiseaux qui nichent à terre. Ce
phénomène a même amené le Parc national des
Cévennes à donner une autorisation de prélèvement
portant sur 3 500 sangliers dans sa zone centrale.
Vous le constatez, il ne faut pas s'attacher seulement, en matière de
chasse, à la relation chasseurs/gibier. La sensibilité des
écosystèmes nous porte à réfléchir de
manière beaucoup plus large.
M. Jean-Paul Amoudry -
Pouvez-vous nous préciser ce qu'est un
tétras ?
M. Bernard Baudin -
Le tétras lyre appartient au genre
tétras qui comprend trois autres espèces : le grand
tétras (tétras urogalle), le tétras lyre du Caucase et le
grand tétras à bec noir. Le tétras lyre ou petit coq de
bruyère peuple le massif alpin et le nord des Ardennes. Dans les Alpes,
son aire de répartition s'étend sur près de
12 000 km². Le grand tétras habite les montagnes de l'est
de la France, Vosges, Jura, et dans les Pyrénées. Il a
pratiquement disparu dans les Alpes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous nous intéressons
particulièrement, dans le cadre de notre mission, à
l'articulation entre l'activité de la montagne, avec d'une part les
activités sportives et de loisirs, et d'autre part les
préoccupations environnementales. Pouvez-vous nous parler à
présent de la présence de l'ours dans les Pyrénées
ou du loup dans les Alpes. Quel est l'impact de ces espèces de grands
prédateurs ?
M. Bernard Baudin -
On compte en France trois grands
prédateurs : le lynx, l'ours et le loup. L'introduction de l'ours a
été précédée par une phase de
réflexion dans laquelle se sont impliqués tous les partenaires
(chasseurs, agriculteurs, éleveurs, élus). Il n'en a pas
été de même pour le loup à propos duquel
l'Assemblée Nationale a créé une mission qui s'est
traduite par un rapport concluant que le loup est incompatible avec le
pastoralisme. Le loup est arrivé de manière incidente,
c'est-à-dire sans introduction officielle, dans les Alpes-Maritimes, de
sorte qu'il a toujours été contesté, notamment par les
élus, les agriculteurs et les chasseurs. J'affirme qu'il n'y a jamais eu
au ministère de l'Environnement, de projet spécifique concernant
l'introduction du loup. En 1986, le parc national du Mercantour s'est plaint de
prédations importantes dont il s'est avéré par la suite
qu'elles étaient le fait d'un loup d'élevage ; en effet,
rien n'interdisait à quiconque de posséder un loup. Lors de cette
découverte, le ministère de l'Environnement nous a assuré
qu'il faudrait au moins une décennie au loup pour se développer.
Résultat : quatre à cinq ans plus tard, nous comptions une
trentaine de loups dans le département des Alpes maritimes, avec une
colonisation systématique de toutes les vallées.
Une telle propagation n'a pas manqué de nous intriguer, d'autant que les
prédations n'ont pas été observées sur le versant
italien des Alpes. Sont concernées les Alpes de Haute Provence, les
Hautes Alpes, les deux Savoies, l'Isère et même la Drôme,
avec une incursion dans le Var. Pour mémoire, je vous rappelle que le
programme Life pour le loup atteignait 3,66 millions d'euros en
4 ans, soit une somme considérable par individu. On compte cette
année dans les six départements concernés, plus de 450
constats officiels, dont 277 pour les seules Alpes-Maritimes. S'y ajoute
l'ensemble des sommes dévolues à la protection en vue de la
construction de cabanes pastorales, du recrutement d'aides aux bergers et de
l'acquisition de chiens spécialisés dits « chiens
Patou ». Ces derniers, dont l'achat est onéreux, ont permis de
limiter les prédations, mais ils présentent l'inconvénient
de poser quelques problèmes ce qui occasionne de nombreuses plaintes
auprès des mairies. D'autre part, il est difficile de trouver des chiens
Patou en nombre suffisant, dans la mesure où il en faut un pour cent ou
cent cinquante bêtes, alors que certains troupeaux comptent
2 000 bêtes. Enfin, ces chiens agressifs ont un impact sur la
petite faune. Le fait que la réglementation concernant les zones
centrales de parcs stipule clairement qu'il est interdit d'y
pénétrer avec un chien, achève de cristalliser le
mécontentement de la population.
Le loup peut être un facteur de développement économique
pour les parcs. Des milliers de personnes se rendent chaque année dans
le Centre du loup de Lozère. Si l'on met à part ces
expériences marginales, le loup ne suscite aucun attrait touristique
puisqu'il est pour ainsi dire impossible d'en voir, compte tenu de sa
discrétion.
Les agriculteurs et les éleveurs demandent une éradication totale
du loup. Ils considèrent qu'il leur est impossible d'exercer leur
activité professionnelle. Il est clair qu'ils sont placés dans
une situation difficile, puisque la transhumance suppose de faire monter depuis
la plaine des troupeaux de plusieurs centaines de bêtes et de les faire
stationner plusieurs mois malgré les agressions constantes. Au
début, le système d'indemnisation a engendré certaines
dérives, mais cela n'a pas duré longtemps. Désormais, les
éleveurs sont excédés, ne serait-ce que parce qu'il est
déprimant de voir des bêtes être dévorées.
Le problème de la chasse tient au fait qu'il ne s'agit pas d'une
activité professionnelle, mais d'un loisir. Lorsque nous critiquons la
présence du loup, on nous objecte, sans doute avec raison, que le plus
gros prédateur d'un département de montagne, c'est le chasseur.
Il reste que le chasseur ne voit aucun intérêt à
l'arrivée du loup. Ce qui nous gêne, c'est que cet animal
s'attaque à toutes les espèces. Tous les ongulés sont
touchés, à commencer par les mouflons, dont la population est
passée de 1 500 individus à 250 dans les Alpes
maritimes, notamment sous l'effet de deux hivers très enneigés.
Le chamois, du fait de sa méfiance, de son agilité et du fait
qu'il va dans des endroits escarpés et découverts, résiste
mieux. Le cerf paie en revanche un lourd tribut.
Les élus ne sont pas favorables au loup, puisqu'ils craignent un abandon
de la location des terrains communaux de transhumance. A ce problème
économique, s'ajoute le fait que les troupeaux de moutons jouent un
rôle environnemental, puisqu'ils assurent lors de leur stabulation en
altitude, un nettoyage des pâturages.
M. Auguste Cazalet -
Le recul de la transhumance crée
également des problèmes d'avalanches.
M. Bernard Baudin -
En effet, l'herbe qui n'est pas mangée
constitue un facteur d'avalanches favorable à leur déclenchement
naturel.
M. Jean-Paul Amoudry-
Pouvez-vous nous donner l'analyse de votre
fédération au sujet du lynx ?
M. Bernard Baudin -
La présence du lynx dans les Alpes
françaises est due à une extension de l'espèce depuis la
Suisse. En effet, entre 1971 et 1976 ce pays a procédé à
des lâchers de réintroduction qui sont à l'origine de la
colonisation des départements de l'Ain, du Doubs, du Jura, de la Savoie
et de la Haute Savoie. Depuis, le lynx a étendu son aire de
répartition vers le sud en gagnant progressivement les
départements de l'Isère, des Hautes Alpes, des Alpes de Haute
Provence et des Alpes Maritimes. A la limite de ces deux départements,
des indices de présence ainsi que des observations de l'espèce se
sont révélés depuis quelques années.
Sur initiative du ministère de l'environnement et du WWF,
l'espèce a fait l'objet de lâchers de réintroduction dans
les Vosges à partir de 1983. Le lynx occupe depuis une partie de l'est
de la France.
Dans les Pyrénées, l'espèce est également
mentionnée et semble ne jamais avoir disparu du massif.
S'agissant de l'ours, le problème est moindre dans la mesure où
les moyens mis en amont permettent de le suivre, de sorte que des
prélèvements peuvent être pratiqués sans
difficulté en cas d'incident.
M. Auguste Cazalet -
Quand j'étais enfant, on ne voyait pas de
sangliers, alors qu'aujourd'hui des battues aux sangliers sont
nécessaires. Dans ma région, la prolifération des
chevreuils devient un phénomène nuisible. Et je ne parle pas des
renards... J'ai l'impression que le braconnage permettait auparavant une forme
de régulation.
M. Bernard Baudin -
Ces phénomènes sont tout d'abord la
conséquence de la population des animaux. Je vous rappelle que les
chevreuils ont des fréquences de reproduction rapide, puisqu'une
chevrette donne chaque année naissance à deux, voire trois
petits. Une population de chevreuils quintuple en cinq ans. Face à la
surpopulation, certaines associations de chasseurs n'ont pas souhaité
beaucoup prélever. Dans le cas du sanglier, des
fédérations ont interdit, outre l'abattage de meneuses de hardes,
le fait de tirer sur des individus de plus de 50 kilos. Lorsque l'on sait
que le taux de reproduction du sanglier est de 300 %, on imagine la
croissance de sa population. Face à ces problèmes, nous avons
assisté à une politique d'aménagement du territoire
axée sur des implantations de cultures et de l'agrainage. Il en
découle aujourd'hui que la population de sangliers culmine aujourd'hui
à 350 000 têtes.
Le renard figure depuis toujours dans la liste des 18 espèces
« susceptibles d'être nuisibles ». Cette
classification le rend susceptible d'être piégé. Alors que
cette pratique était développée dans le passé, la
disparition de bon nombre d'agriculteurs l'a raréfiée. La
suppression des décharges sauvages en montagne a permis toutefois d'y
limiter la prolifération des renards. On assiste donc à une
colonisation par ces animaux des zones périurbaines, où il reste
encore des décharges.
M. Auguste Cazalet -
Combien compte-t-on de petits dans une
nichée de renard ?
M. Bernard Baudin -
On en compte rarement plus de deux ou trois.
J'ajoute que les poisons comme la strychnine ont été interdits.
Le renard bénéficie donc d'un contexte très favorable
à sa prolifération.
M. Pierre Jarlier -
Natura 2000 a suscité de nombreuses
interrogations. Pensez-vous que Natura 2000 soit compatible avec la pratique de
la chasse traditionnelle ?
M. Bernard Baudin -
Natura 2000 a été
créé en application de la directive Habitat, Faune, Flore.
L'aménagement des habitats est un point essentiel à nos yeux. Il
se trouve que l'information n'a pas été très bonne. Des
zones de protections spéciales appelées ZPS ont été
mises en place sans que l'on ait connaissance des interdictions de chasse qui
en découlent, si bien que le traumatisme suscité lors du
lancement des parcs nationaux revient dans la mémoire des chasseurs et
des agriculteurs. Alors que la relation conflictuelle existant entre les parcs
et le monde agricole commençait, si l'on omet le problème du
loup, à s'estomper, Natura 2000 risque de raviver les tensions. Cela
dit, on ne peut être que partisan de Natura 2000 si ce programme se
borne à l'aménagement de l'espace.
M. Pierre Jarlier -
Connaissez-vous des cas où l'on ait interdit
la chasse ?
M. Bernard Baudin -
Pour le moment, je n'en connais pas, mais j'ignore
quelles mesures seront prises à l'avenir. Nous avons
apprécié que le préfet de mon département nous
demande de procéder à l'inventaire de la faune, car cela nous a
amenés à formuler des propositions pour les différentes
espèces.
M. Jean-Paul Amoudry -
L'essentiel a été retracé
dans votre intervention. Nous avons maintenant une bonne idée de
l'impact des grands prédateurs que sont le loup, le lynx ou l'ours sur
l'évolution des peuplements de grand et de petit gibier.
8. Audition de M. Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagné de M. Jean-Claude Tarty, chef de bureau de la montagne et du pastoralisme (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Bonjour, et merci d'être présent pour
cette mission commune d'information sur la montagne. Je suis le rapporteur de
cette mission, à laquelle travaille activement Monsieur Jean Boyer, qui
est à mes côtés, ainsi que Monsieur Pierre Jarlier,
Secrétaire Général de l'ANEM. Nous avons parfois
constaté, en cette période printanière, l'absence de
certains de nos représentants, liée à une période
de vacances, mais également au contexte de travaux en tout genre, tels
que ceux de la commission des affaires économiques, qui se tiendront
dans quelques instants. Mais je laisse la parole à notre
Président, qui vient d'arriver.
M. Jacques Blanc -
Je souhaite simplement la bienvenue aux
représentants de la mission commune sur la montagne, et je vous demande,
Monsieur le Rapporteur, de poursuivre ce que vous avez si bien commencé,
en saluant les personnes qui nous font l'honneur de répondre à
notre invitation.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur le Président. Monsieur
Dubreuil, si vous le voulez bien, après nous avoir rappelé vos
qualités, nous allons vous entendre sur la base de la grille de
questions que nous vous avons communiquée. Nos collègues pourront
demander des précisions et des éclaircissements au cours de votre
présentation. Je vous remercie encore pour votre contribution.
M. Christian Dubreuil -
Monsieur le Rapporteur de la mission
d'information, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de bien vouloir
m'auditionner dans le cadre de vos travaux. Je suis Christian Dubreuil,
Directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi depuis
janvier 1998 au ministère désormais dénommé de
l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, et
en charge de la politique agricole de la montagne. Je suis accompagné de
Monsieur Jean-Claude Tarty, qui est chef du bureau de la montagne et du
pastoralisme dans ma direction. Je vous propose, à partir de vos douze
questions, qui m'ont été communiquées fin avril, de
survoler les réponses afin d'éviter un exposé trop long,
tout en vous indiquant que je vous remettrai une réponse écrite
permettant de vous aider dans la rédaction de votre rapport, qui sera
remis à l'automne. Par ailleurs, je tiens à votre disposition
tout document que vous souhaiteriez vous voir communiquer, permettant
d'évaluer la politique agricole de la montagne.
Je vous propose de partir de votre première question, qui est
certainement la plus pertinente et la plus accrocheuse :
« est-ce que l'agriculture de montagne de demain est une agriculture
économique, s'appuyant sur la production d'un certain nombre de produits
agricoles, ou une agriculture que nos concitoyens, la puissance publique,
décident d'aider, en contrepartie de son rôle
environnemental ? » Il s'agit donc de la question de
l'économique versus l'environnemental. Le sentiment du Ministère
de l'Agriculture est que cette approche binaire doit être
dépassée, dans le sens où l'agriculture est une
activité économique qui doit trouver sa
rémunération sur le marché, à travers la
valorisation de ses produits. Pour ce qui est de la montagne, comme d'ailleurs
pour l'agriculture en général, nous constatons que l'avenir est
désormais à la production de produits de qualité,
identifiés, à la traçabilité assurée, et
issus de territoires dont l'image peut être valorisée. En effet,
les consommateurs souhaitent bénéficier de produits de
qualité, dont la sécurité est parfaitement assurée,
mais qui ont des qualités gustatives et d'apparence, et qui
s'identifient bien à une origine géographique. Or, pour proposer
ces produits de qualité, la montagne dispose d'atouts incontestables,
à travers ses modes de production, ses modes de commercialisation, ses
signes de qualité, mais également l'aspect environnemental et la
qualité du territoire où ils sont produits, ces deux aspects
étant tout à fait liés. Pour utiliser une formule que j'ai
connue lorsque j'étais directeur de cabinet du préfet de l'Ain,
je citerais M. Blanc, restaurateur à Vonnas, ville dans laquelle une
polémique avait éclaté concernant la présence d'un
site d'enfouissement des déchets nucléaires en Bresse. En effet,
ce dernier disait : « on n'attire pas les touristes avec une
poubelle dans sa vitrine ». Ainsi, la qualité environnementale
de la production agricole fait partie de cette qualité globale. Je pense
que nos concitoyens sont prêts à soutenir leur agriculture de
montagne à la fois parce qu'elle produit des produits de qualité
et parce qu'elle joue un rôle fondamental dans le maintien de paysages,
dans une action sur l'environnement, qu'elle respecte, et qui, finalement, fait
partie intrinsèque de la qualité du produit. Lorsque nous
parlerons du contrat territorial d'exploitation, prévu par la loi
d'orientation agricole, nous verrons qu'une telle loi nous permet
d'établir un lien entre l'économique et l'environnemental dans un
soutien global à l'agriculture. Cela permet de prouver qu'il existe bien
un lien entre l'économique et l'environnemental et que nous n'avons pas
intérêt à les séparer, car il s'agit d'une voie de
légitimation des aides de soutien à l'agriculture, et notamment
à l'agriculture de montagne.
Dans la seconde question que vous avez formulée, le seul terme que je
récuserais est celui de « modèle d'une agriculture
autonome ». M'adressant à vous, sénateurs de montagne,
je peux dire qu'
a fortiori
en montagne, l'agriculture ne peut pas se
penser comme autonome, c'est-à-dire comme une activité unique ne
prenant pas en compte les autres activités de ses espaces ruraux. En
effet, vous connaissez mieux que moi les liens qui existent entre
l'activité agricole, qui est fondamentale dans le maintien de ces
espaces, l'activité touristique, qui s'appuie sur cette activité
agricole, et les différents services rendus à la
société. Il s'agit bien d'une agriculture dans son espace rural
d'une part et dans le lien avec les villes importantes qui se trouvent dans les
zones de montagne d'autre part. Dans ce sens, je pense que le nouveau ministre,
qui est un montagnard, a souhaité ajouter le terme
d' « affaires rurales » au nom du ministère de
l'Agriculture et de la Pêche pour bien rappeler non seulement que les
agriculteurs sont des acteurs essentiels du monde rural mais également
que le monde rural doit être pris en compte dans sa globalité.
Pour résumer ce premier point, je ferai un lien entre, d'une part,
produit de qualité, qui est l'avenir de l'agriculture de montagne, et
respect de l'environnement, ces deux aspects suscitant des soutiens
légitimes de la part de la puissance publique, et, d'autre part, une
agriculture qui se pense bien comme élément essentiel de la
montagne, mais qui se vit aussi en lien avec les autres acteurs du monde rural.
Cela permet de faire le lien avec la question posée concernant les aides
aux agriculteurs de montagne : « les agriculteurs sont-ils
suffisamment aidés, les rapports d'évaluation ayant montré
dans le passé que les revenus des agriculteurs de montagne
étaient plus faibles que ceux de la moyenne nationale ? »
Il est certain que les aides à l'agriculture, notamment les aides dites
du premier pilier de la PAC, à savoir les aides directes, qui ont
appuyé l'agriculture moderne et exportatrice en France, ont soutenu et
continuent à soutenir toute une série de filières de
production qui, pour certaines, sont peu représentées dans
l'agriculture de montagne. Il est exact que ces très volumineux soutiens
accordés aux céréales et aux
oléoprotéagineux concernent très marginalement
l'agriculture de montagne. En revanche, l'agriculture de montagne est
aidée par les aides animales, avec des majorations, notamment sur la
prime au maintien du troupeau des vaches allaitantes, mais peu sur les aides
surfaces aux grandes cultures, au titre du premier pilier sur les aides aux
productions animales, notamment pour la production de viande bovine. Par
ailleurs, pour les aides du deuxième pilier de la PAC, qui sont en voie
d'augmentation depuis les accords de Berlin de 1999, certaines de ces aides
sont ciblées sur des soutiens à la montagne, notamment pour les
soutiens à la compensation du handicap. D'autre part, ces aides
sont certainement beaucoup plus mobilisables par l'agriculture de montagne.
Les différences de revenus perdurent. Je vous donnerai, dans les
documents en annexe de ma présentation, des éléments
chiffrés qui montrent que, d'après les études
réalisées en 2000, ce différentiel demeure,
même s'il s'est probablement réduit par rapport aux indications du
rapport d'évaluation de 1998. Il semblerait que les écarts de
revenus disponibles soient de 16 % pour la montagne et la haute montagne
par rapport à la moyenne nationale, et de 19 % par rapport aux
agriculteurs de plaine. Je poursuivrai en évoquant l'évolution de
la PAC, qui n'est pas encore totalement décidée puisque des
discussions vont prochainement avoir lieu, notamment le 10 juillet, date
à laquelle le Commissaire Fischler envisage de dévoiler les
propositions de la commission pour l'évolution de la PAC au titre de la
révision à mi-parcours. Ces propositions seront discutées
lors du conseil européen de fin juillet. Or, dans les évolutions
en cours nous observons une tendance à favoriser le deuxième
pilier de la PAC, mais également à envisager des transferts entre
le premier et le deuxième pilier. Ce transfert peut se faire à
travers la modulation des aides directes. Il s'agit, dans ce cas, non pas de la
modulation facultative actuelle à la française mais de la
modulation générale et probablement obligatoire à laquelle
pense la Commission Européenne. Il peut se faire à travers la
dégressivité des aides directes. Je pense que l'agriculture de
montagne a beaucoup à gagner d'une augmentation des soutiens du
deuxième pilier de la PAC mais également d'un transfert de
soutiens du premier au deuxième pilier de la PAC, notamment à
travers un instrument, qui est l'un des outils privilégiés de la
politique agricole de la montagne : la politique de compensation des
handicaps naturels. Je souhaite vous en dire quelques mots car il s'agit
d'un soutien financier important. Cette aide a été
inventée par la France dans les années 70 comme ceci est
souvent le cas en matière européenne. Il est important de le
rappeler, car le rôle de la France doit rester important dans l'avenir,
en tant que première puissance agricole européenne. En effet, la
France doit être pionnière dans le domaine des idées et des
propositions, et votre commission va y contribuer, pour entraîner nos
amis européens, d'autant plus que nous sommes l'un des principaux pays
montagnards, même si, par bonheur, d'autres pays de l'Union
Européenne sont également concernés par ces
problèmes comme l'Espagne, l'Italie ou l'Autriche. En revanche, nos
partenaires de l'Europe du Nord sont beaucoup moins concernés par les
problèmes de la montagne. Ainsi, l'idée de compensation des
handicaps naturels est une idée française, qui a
été reprise au plan européen, et qui figure de nouveau
dans le règlement développement rural de 1999, et qui a
été aménagée durant ces dernières
années.
Je souhaiterais faire le point avec vous sur la réforme des ICHN, comme
je l'ai fait auprès du groupe politique agricole de la montagne, qui se
réunit mensuellement depuis janvier 1999, que je préside, et qui
regroupe l'ANEM, l'Administration centrale et déconcentrée de
l'Etat, les commissariats de massifs et les organisations professionnelles
agricoles. L'indemnité compensatoire des handicaps naturels a
été maintenue en 1999. Cette indemnité a été
modifiée et nous sommes ainsi passés d'un soutien à la
tête de bétail à un soutien à l'hectare. Je pense
qu'il s'agit d'une bonne idée dans le sens où le soutien à
la tête de bétail pouvait laisser penser que ce soutien
était corrélé au volume de production. Or, je pense qu'un
soutien à la surface garantit mieux que ce type de soutien sera
durablement compris dans la boite « verte » des
négociations internationales. Ainsi, ce choix réaffirme mieux le
fait qu'il s'agit d'un soutien découplé de la production et donc
totalement protégé dans le cadre des négociations de
l'Organisation Mondiale du Commerce. D'autre part, l'affirmation selon laquelle
ces soutiens devaient être accordés si les agriculteurs
respectaient les bonnes pratiques agricoles habituelles est importante. La
France a obtenu qu'en montagne on parte, par principe, du postulat
suivant : les bonnes pratiques agricoles habituelles sont
respectées. Il ne s'agit pas d'une novation majeure mais de
l'affirmation d'un principe assez utile. Par ailleurs, il s'agit d'un soutien
exprimé à travers un moyen simple puisque sont
présumés respecter ces règles les agriculteurs qui ont un
chargement, à savoir des animaux sur des hectares, qui évite
à la fois le sous-pâturage et le sur-pâturage. Ces mesures
ont suscité des débats et des inquiétudes, mais ont
finalement été mises en oeuvre, et le bilan qui en a
été tiré, dans le cadre d'une analyse objective,
réalisée par l'Institut d'Agriculture
Méditerranéenne, et que je suis prêt à vous
communiquer, a montré qu'avec cette réforme, les grands
équilibres avaient été maintenus. En effet, 80 % des
soutiens vont à la montagne contre 20 % pour les zones
défavorisées et de piémont. Le nombre d'exclus est
très minime : 1,4 %. Enfin, 70 % des éleveurs ont
un soutien financier en augmentation. Les quelques difficultés
concernant les éleveurs en piémont laitier devraient être
réglées durant l'année 2002, et l'on cherchera à
mieux soutenir les élevages ovins. D'autre part, la puissance publique a
décidé d'augmenter les soutiens financiers à l'agriculture
de montagne de 18 millions d'euros en 2000, de
47 millions d'euros en 2001 et il est prévu, pour cette
année, une augmentation de 30 millions d'euros. Je
précise qu'il s'agit d'un engagement pris par le précédent
gouvernement en octobre dernier et il est très souhaitable que l'actuel
gouvernement confirme cet engagement pour la campagne ICHN, puisque les
agriculteurs déposent actuellement leurs dossiers et doivent être
payés de leurs indemnités en septembre et octobre prochain.
Ainsi, si cette réforme des ICHN a suscité des
difficultés, elle permet, selon moi, de conforter la politique de
compensation du handicap et de centrer les soutiens sur la montagne. Il s'agit
en outre d'un moyen privilégié de soutenir l'agriculture de
montagne. Ces aides sont cofinancées par l'Union Européenne.
Ainsi, si je souhaitais résumer à l'extrême ma
pensée sur ce point, je dirais que l'un des moyens très simples
pour aider l'agriculture de montagne consisterait à augmenter les
ICHN.
Je poursuivrai en parlant plus brièvement d'un autre mode de soutien par
lequel l'agriculture de montagne peut être confortée : la
mise en oeuvre, par la loi d'orientation agricole de juillet 1999, du contrat
territorial d'exploitation.
M. Jean-Paul Amoudry -
Excusez-moi de vous interrompre, mais je
souhaiterais avoir une précision. Vous avez parlé de l'engagement
du gouvernement d'augmenter de 30 millions d'euros pour 2002
l'enveloppe des ICHN. S'agit-il simplement de la part de l'Etat
français, et avez-vous en tête le montant affecté par
Bruxelles en parallèle ? En effet, il existe un lien entre l'effort
de l'Etat et l'engagement de l'Union Européenne.
M. Christian Dubreuil -
Il existe en effet un lien automatique entre les
deux puisque l'ICHN est co-financé à 50 % par l'Union
Européenne. Ainsi, compte tenu du cofinancement global que nous apporte
l'Union Européenne, puisque nous sommes autorisés à
mobiliser plus de 760 millions d'euros en moyenne, par an, de
cofinancement européen, lorsque la France augmente les ICHN, le
cofinancement européen est automatique. Or l'engagement pris à
l'automne dernier était d'augmenter les ICHN de 200 millions de
francs, soit 30 millions d'euros, cette somme comprenant la part
européenne pour 15 millions d'euros.
M. Jean-Claude Tarty -
En effet, il s'agit de
100 millions de francs pour l'Etat français et de
100 millions de francs pour l'Union Européenne. Ce
cofinancement à 50/50 est automatique.
M. Jacques Blanc -
Les classements en zone de montagne sont très
importants pour les personnes et pour les collectivités. Or, nous
assistons, dans certains lieux, à des situations paradoxales, car les
zones amont peuvent ne pas être classées en zone de montagne alors
que l'aval bénéficie d'un tel classement. Nous avons tous en
tête des exemples précis dans ce sens. Or, existe-t-il des
perspectives de révision de ces classements, non pas à la baisse,
bien évidemment, mais à la hausse. En effet, ce que nous avons
appris sur les coefficients de pente et d'altitude est souvent contredit par de
tels exemples. En effet, certaines communes de montagne, plus basses que
d'autres en altitude, sont classées en zone de montagne alors que
d'autres communes plus élevées en altitude ne le sont pas, ce qui
heurte le bon sens. Nous avons beau arguer du fait que les coefficients
d'altitude doivent être recoupés avec les coefficients de pente,
nous ne sommes pas entendus sur le terrain. Or avons-nous une chance à
saisir dans ce cadre et la commission serait-elle bien inspirée en
proposant quelque chose pour faire avancer ce problème, tout en ayant le
souci des collectivités, qui sont sans doute mieux traitées
lorsqu'elles sont en zone de montagne que lorsqu'elles n'y sont pas. Cette
question concerne, bien entendu, la basse et la moyenne montagne, et non pas la
haute montagne.
M. Christian Dubreuil -
Je vais vous présenter une carte, que je
vous remettrai, reprenant l'état actuel du classement des zones
défavorisées en France, qui comporte les zones de haute montagne,
les zones de montagne, les zones de piémont, et les zones
défavorisées. Il s'agit d'une construction progressive puisque la
France a inventé la compensation du handicap dans les
années 70 et a donc délimité ses propres zonages. Or,
lorsque cette aide a été reprise au niveau européen, la
France a demandé que ces zonages des années 70 soient repris
tels quels. Ensuite, ils ont été consolidés à
travers des critères objectifs d'altitude et de pente. Si nous observons
cette carte, certaines incohérences apparaissent. Néanmoins,
comme pour toutes les belles oeuvres anciennes, nous nous posons toujours la
question de savoir s'il existe plus ou moins d'inconvénients
à les retoucher. Ainsi, nous constatons que le classement en zone
défavorisée de tout le Sud Ouest a consisté à
considérer, dans les années 70, que l'agriculture du Gers ou
celle de la Dordogne, deux départements se trouvant intégralement
en zone défavorisée, étaient défavorisés en
termes de revenus. Trente ans plus tard, il serait beaucoup plus difficile de
démontrer que l'agriculture du Gers souffre d'un déficit
économique. Or, les élus et les agriculteurs sont très
attachés à ce type de soutien. Tout le zonage a fait l'objet
d'une construction par étapes, d'où un certain nombre
d'incohérences. Mais ce zonage est évolutif. Ainsi,
l'année dernière, nous avons pu faire élargir la zone
montagne au Morvan, après 25 ans d'étude de ce dossier. En
effet, les élus de ce secteur souhaitaient voir reconnaître et
élargir cette zone, qu'ils estimaient être un massif
spécifique qui n'était pas le Massif Central. Les changements de
zone sont donc possibles. Mais le problème avec l'Union
Européenne est le suivant : lorsqu'il lui est demandé de
rajouter de nouvelles zones de montagne, elle souhaite que d'autres zones
soient retirées de ce classement, dans un souci d'équilibre.
Auquel cas, nous répondons toujours que nous ne pouvons rien retirer.
Cette révision du zonage est donc possible, mais elle doit être
réalisée prudemment. Néanmoins, certains dossiers peuvent
être présentés. Ainsi, l'année dernière, nous
avons reclassé une partie du Morvan et quelques communes en
Isère, en Corse, dans l'Aude et les Pyrénées orientales.
Dans le projet de cette année, nous avons prévu quelques
reclassements de l'Isère, dans le Rhône et pour quelques communes
des Pyrénées, mais cela renvoie à des questions
financières. En effet, si nous étendons le zonage, il faut que la
puissance publique affecte les crédits nécessaires.
M. Auguste Cazalet -
Vous ne parviendrez jamais à satisfaire tout
le monde. Je suis moi-même Sénateur des
Pyrénées-Atlantiques. Or, je constate que la question de
l'altitude ne veut rien dire, exceptée dans la haute montagne. En effet,
dans certaines régions, des exploitations agricoles très belles
sont situées en altitude et ne sont pas confrontées à des
handicaps trop importants, et, en basse altitude, certaines exploitations
agricoles requièrent beaucoup de courage pour y travailler avec des
tracteurs. Or cette inégalité entraîne la colère des
agriculteurs, qui ne comprennent pas que certaines communes soient
classées en zone de montagne alors que la leur ne l'est pas, mais qu'ils
sont encore contraints de travailler avec des traîneaux et des boeufs.
Vous aurez donc toujours affaire à des contestations, d'un
côté ou de l'autre, et les élus en savent quelque chose.
Ainsi, dans ma commune, les élus se font interpeller à ce sujet.
En outre, durant chaque période électorale, et ce pour tous les
bords, chacun promet qu'il fera classer les communes concernées en zone
de montagne, mais ceci n'est jamais fait. Nous ne parviendrons donc jamais
à satisfaire tout le monde.
Par ailleurs, je souhaiterais connaître la position des organisations
agricoles au sujet de l'ICHN. En effet, les aides sont octroyées
à la surface agricole. Néanmoins, en zone de montagne, il n'est
pas toujours facile d'avoir de grosses exploitations. Ainsi, si les
éleveurs se débrouillent bien, ils parviennent à vivre en
montagne en se faisant livrer des fourrages sur place pour pouvoir y demeurer.
Or, dans les zones où se trouvent les belles exploitations, les gens
quittent l'agriculture alors qu'en montagne, certains agriculteurs luttent pour
rester sur place, malgré les difficultés. A cela s'ajoute le
problème des esquives, qui leur permettent de conserver sur place les
vaches ou les moutons durant l'été. Ainsi, en termes de
chargement par hectare, certaines petites exploitations ont un chargement
très important car les agriculteurs laissent les bêtes
enfermées tout l'hiver et font arriver sur place du maïs doux et
des fourrages, ce qui permet de maintenir la vie en montagne. Dans ce cadre, je
souhaitais vous poser une question : les bergers sans terre
bénéficient-ils des aides en montagne ? En effet, autrefois,
ils ne les touchaient pas.
M. Jean Boyer -
Je souhaite vous poser, Monsieur Dubreuil, une question
d'ordre général. Nous entendons parler d'une part des primes
compensatrices et d'autre part des primes compensatoires. Pour être
logique, doit-on dire « primes compensatrices des
handicaps » ou « primes compensatoires des
handicaps » ? Par ailleurs, ma question porte sur les primes
à la montagne haute, puisque l'on dit, depuis deux ou trois ans, prime
à la montagne haute et non plus prime à la haute montagne. Je
suis l'un des élus de Haute-Loire. Or, la référence, pour
le classement en haute montagne, est la mairie de la commune. Toutefois, les
mairies se trouvent dans les vallées et les agriculteurs sont
très contrariés de voir que la référence est la
mairie, puisque les terres de culture sont sur le plateau. Or le fait que la
mairie se trouve en dessous de l'altitude définie pour les zones de
montagne haute, qui est de 1 050 mètres, les pénalise.
Ainsi, dans mon département, une pétition a été
signée par les habitants de 11 communes, dont la mairie se trouve
dans la vallée, et dont les trois quarts des zones cultivées se
trouvent au-dessus de la référence prescrite. Dans ce cadre,
comment pouvons-nous envisager une adaptation de cette référence
à la réalité ?
M. Christian Dubreuil -
En reprenant la perspective du classement de
zone de votre rapport, je pense qu'avec les organisations professionnelles
agricoles, un certain consensus a été trouvé pour dire
qu'il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore. En effet, ce classement
est important pour la France et il y a peut-être plus de risque à
le réexaminer qu'à le maintenir. Le débat consistant
à comparer les situations entre elles est sans fin. Néanmoins, le
rapport peut rappeler qu'année après année, il est
possible de reclasser quelques petites zones qui ont le sentiment d'avoir
été maltraitées. Je vous propose cette solution car je
pense qu'il serait dangereux, pour l'agriculture de montagne française,
de revoir le zonage général, mais que nous pouvons
néanmoins procéder à des adaptations chaque année.
Pour ce qui est des aides octroyées à la surface, votre question
est de savoir si ces aides sont plus bénéfiques à
l'agriculture de montagne. Je parlerai en ce sens sous le contrôle du
sénateur Amoudry, qui connaît très bien ces questions. Je
pense que, potentiellement, il s'agit d'un excellent moyen de soutien
supplémentaire à l'agriculture de montagne. En effet, il fait
état de la déprise qu'il faut combattre et de la
nécessité d'entretenir, voire de reconquérir des terres.
Ce soutien à la surface peut permettre aux agriculteurs, d'une part
d'engager des surfaces supplémentaires et d'avoir potentiellement des
soutiens plus élevés, et, d'autre part, de mieux
rémunérer tous les espaces pastoraux, les estives, les alpages,
utilisés tant dans les Pyrénées que dans les Alpes. Ainsi,
cette reforme des ICHN est positive, bien qu'elle n'ait pas produit
immédiatement les effets escomptés, puisque, lorsqu'elle s'est
mise en place, les animaux et les hectares des agriculteurs ont
été basculés d'un système à l'autre.
Toutefois, vous connaissez tous la capacité d'adaptation des
agriculteurs, ce fameux bon sens paysan. Ainsi, aujourd'hui, le soutien
étant à la surface, des surfaces complémentaires vont
pouvoir être engagées, notamment les terres des groupements
pastoraux, qui pourraient être mieux soutenues. Je pense donc que ce
changement de critère pourrait être plus favorable, tant dans le
domaine des ICHN, qui, d'après les textes, sont des
« indemnités compensatoires » et non pas
compensatrices des handicaps naturels, que dans le second domaine, que sont les
soutiens agro-environnementaux, qu'ils soient inscrits dans ou hors des
contrats territoriaux d'exploitation.
Concernant les bergers sans terre, je pense qu'ils bénéficient
désormais du soutien. Je vous propose que Monsieur Tarty complète
cette réponse et qu'il réponde par ailleurs à la question
de l'appréciation du zonage et de la remise en cause éventuelle
du référentiel représenté par les mairies.
M. Jean-Claude Tarty -
Les bergers sans terre bénéficient
effectivement des ICHN depuis une dizaine d'années. Auparavant, cette
aide était calculée à la tête de bétail et
elle est désormais calculée à l'hectare. Il suffit que le
berger sans terre fasse, comme tout agriculteur de France, une
déclaration de surface et que la Direction départementale
reconnaisse qu'il est l'utilisateur de ces territoires pour qu'il puisse
bénéficier des différentes aides sur les terres qu'il
exploite.
Concernant le classement en zone de montagne haute, la règle
communautaire, qui est reprise dans le règlement développement
rural indique qu'il existe en termes communautaires des zones de montagne et
des zones défavorisées. En France, nous avions établi une
différenciation entre haute montagne et montagne, et entre
piémont et zone défavorisée. Cette différenciation
continue à exister. Néanmoins, lorsque nous avons
négocié le passage de l'unité de gros bétail (UGB)
à l'hectare, nous nous sommes rendus compte que le chargement, qui est
aujourd'hui le critère essentiel de la totalité de la prime ou
d'un certain pourcentage de cette prime, n'était pas forcément le
même, même à l'intérieur de la zone montagne d'un
département. Par ailleurs, depuis un certain nombre d'années, les
organisations départementales agricoles et les directions
départementales de l'agriculture avaient déjà
établi des sous-zonages, notamment dans le Cantal. Mais cette
distinction avait été établie dans la notion de montagne
et non pas selon la notion nationale de haute montagne, qui est située
au-delà de 1 200 mètres d'altitude. Ces sous-zonages
ont été reconduits dans le système actuel. Nous avions
ainsi, dans notre système de paiement comportant quatre marches, zone
défavorisée, piémont, montagne et haute montagne,
créé un escalier avec des marches supplémentaires, de
façon à mieux lisser les écarts de paiement entre ce qui
est donné à la montagne et ce qui est donné à la
haute montagne. Or, il se trouve que certains agriculteurs étaient
proches des caractéristiques de handicap de la haute montagne et il
était anormal que le pallier soit trop important. Le système
d'étagement a donc été reconduit.
Concernant la référence à la mairie, si nous lancions le
vaste sujet de la révision du classement des zones, nous devrions
utiliser un logiciel de calcul qui nous permettrait de travailler à
partir de sites géo-référencés tous les
100 mètres. Ainsi, actuellement, le CEMAGREF calcule l'altitude et
la pente de chaque point géodésique tous les
100 mètres de la commune en question. Ensuite, on calcule un
coefficient, qui doit être supérieur à 2. Ainsi, si le
coefficient est supérieur à 2, la zone est classée en
montagne, et s'il est inférieur, elle n'est classée qu'en
piémont. Or, il est vrai qu'à une certaine époque, nous ne
disposions pas d'outils de calcul précis. La référence
était donc la mairie. Mais si nous réalisions de nouveaux
calculs, avec le risque que certaines zones soient exclues et d'autres
incluses, nous pourrions nous abstraire de cette notion. Par ailleurs, dans le
cadre de la réflexion menée avec le groupe Montagne, sur le
passage de l'UGB à l'hectare, nous avons réfléchi à
cette problématique. Longtemps, les organisations professionnelles
agricoles nous ont dit que, lorsqu'un agriculteur avait son siège
d'exploitation en zone défavorisée et ses animaux en haute
montagne, il était payé au taux de la zone
défavorisée. Ils considéraient que cette situation
était anormale puisque le handicap que subissaient les animaux
était un handicap de haute montagne, bien que l'agriculteur habite dans
la vallée. Nous avons donc profité du passage de l'UGB à
l'hectare pour modifier la règle de calcul. Ainsi, un agriculteur, qui a
son siège d'exploitation dans une zone défavorisée,
même si cette zone est située en piémont, sera payé
au taux montagne si ses surfaces sont situées en montagne. Cette
modification, qui a commencé à se mettre en place l'année
dernière, doit permettre à un certain nombre d'agriculteurs de
bénéficier de primes plus importantes. Monsieur Dubreuil a
cité le nombre d'agriculteurs concernés par les ICHN. Or, sur les
115 000 agriculteurs qui ont bénéficié des ICHN
en 2001, 70 % ont bénéficié d'une augmentation de ces
aides par rapport à 2000. Le système de basculement de l'UGB vers
l'hectare a donc été globalement favorable pour une
majorité d'agriculteurs en montagne.
M. Christian Dubreuil -
Je vous propose de poursuivre sur les questions
qui nous ont été posées. Parmi elles, un point fait
débat et concerne au premier rang les parlementaires, puisque vous
faites la loi et que vous veillez à son application. En effet, je pense
que le débat relatif au contrat territorial d'exploitation va de nouveau
s'ouvrir. Nous devons nous demander si cet outil de politique agricole est
utile ou non, et surtout, s'il est utile à la montagne. Le contrat
territorial d'exploitation, prévu par la loi d'orientation agricole de
juillet 1999, vise à considérer l'agriculture dans ses
différentes fonctions : l'économie, le social, l'emploi,
l'environnement, l'aménagement du territoire, et à concevoir un
soutien à l'ensemble de ces fonctions, qui agglomère les soutiens
traditionnellement accordés aux investissements ou à
l'environnement. Les soutiens sont reconnus et cofinancés par l'Union
Européenne, tel que le préconisait le règlement
développement rural. Par ailleurs, l'idée spécifiquement
française d'un contrat global passé avec les exploitants
agricoles a été rajoutée. Ce contrat a commencé
à se mettre en place durant l'automne 1999. Dans les zones de montagne,
à la différence des ICHN, ce contrat n'était pas un
soutien spécifique à la montagne. Les agriculteurs de montagne se
sont donc demandés si ce soutien pouvait leur être
bénéfique. Ainsi, l'inquiétude liée à
l'approche globale, ou globalisante des CTE, ayant vocation à rassembler
les soutiens, était liée à la question suivante : que
vont devenir les soutiens spécifiques aux ICHN ? Dans ce contexte,
la sénatrice Jeanine Bardou avait défendu le fait que les ICHN ne
soient pas fondues dans les CTE, mais soient préservées, ce qui a
été fait. Or elle a eu raison de soutenir cette option
malgré les débats de l'époque, consistant à se
demander si un outil non spécifique à la montagne pouvait
être utile à la montagne, et s'il n'allait pas susciter en
échange la perte d'outils anciens auxquels les agriculteurs
étaient attachés. Ce débat est aujourd'hui
dépassé. Les CTE se sont mis en place plus lentement que
prévu car un certain nombre de difficultés se sont
présentées. En mai 2002, nous pouvons reposer cette question de
manière sereine et pragmatique, au vu de ce qui a été mis
en place. A travers ce type de soutien, nous sommes parvenus aux
résultats suivants : 25 000 contrats territoriaux ont
été signés, 32 000 ont été
approuvés dans les commissions départementales d'orientation de
l'agriculture, 6 500 dossiers sont en cours d'instruction. Ainsi,
40 000 agriculteurs ont déjà demandé un contrat,
un peu plus de 30 000 l'ont vu approuver et un peu plus de
25 000 l'ont vu signer. La part des exploitants agricoles de montagne est
de 20 %, ce pourcentage se maintenant depuis la mise en place de cette
aide. Ainsi, la part des agriculteurs de montagne et de haute montagne dans les
CTE est un peu supérieure au pourcentage que représentent ces
exploitants agricoles dans l'ensemble de l'agriculture de notre pays.
Je constate également que ces aides ont permis d'engager 2 millions
d'hectares. En effet, les surfaces des 25 000 exploitants ayant
signé un CTE représentent 2 millions d'hectares, dont
1,3 million d'hectares qui font l'objet d'engagements. Ainsi, en deux ans
de CTE, les surfaces engagées sont supérieures à celles
qui l'ont été durant plus de huit ans d'opérations
locales agro-environnementales et d'opérations groupées
d'aménagement foncier entre 1992 et 1999. Le montant global des contrats
signés pour cinq ans représente d'ores et déjà
1 milliard d'euros, et la moyenne des contrats est de 40 000 euros
par contrat et de 27 000 euros par exploitant ou associé.
Ainsi, après des débuts difficiles, des questions sur le
positionnement de ce contrat par rapport à d'autres types de soutiens
à l'agriculture, je pense que les agriculteurs et les responsables des
organisations professionnelles agricoles considèrent désormais
que ce type de soutien est positif. Je pense par ailleurs que ce soutien
pourrait être mieux utilisé par l'agriculture de montagne. En
effet, on pouvait craindre au départ que les exploitants de plaine s'en
saisissent bien avant. Ainsi, en mai 1999 le Président du Conseil
Régional du Limousin, proche du gouvernement de l'époque, me
demandait si cette aide n'allait pas consister à aider les agriculteurs
bretons, qui ont pollué l'environnement, alors que les agriculteurs du
Limousin, ayant des pratiques environnementales correctes, n'allaient pas
être aidés. Or, si nous regardons la carte des contrats
territoriaux d'exploitation, que je vous communiquerai, nous constatons que
ceci n'a pas été le cas. En effet, étant donné les
problèmes de respect de la réglementation, dont je respecte par
ailleurs l'agriculture très performante, le nombre de CTE signés
en Bretagne est assez faible. Dans les grandes zones
céréalières, pour des raisons liées à la
modulation des aides directes, nous avons assisté au même
schéma. Ainsi, les régions qui se sont principalement
appropriées les contrats territoriaux d'exploitation sont plutôt
les régions Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Auvergne,
Pays de Loire ou Languedoc-Roussillon, tandis que les régions du Nord de
la France ou de la Provence Alpes Côte d'Azur en ont moins
profité. Ce type de soutien convient donc bien aux filières qui
sont moins soutenues par les organisations communes de marché, notamment
l'agriculture de montagne.
Le gouvernement précédent avait beaucoup soutenu le CTE en soi.
Mais, plus récemment, un décret permettant de contracter des
mesures agro-environnementales en dehors du CTE a été
publié. Le nouveau gouvernement dispose donc aujourd'hui de deux outils
à sa disposition et pourra choisir en fonction de ses priorités
et de ses moyens financiers. Ainsi, nous sortons peut-être de ce
débat manichéen consistant à limiter les soutiens aux
contrats territoriaux d'exploitation. Désormais, le gouvernement dispose
de ces deux outils différents, dont il peut co-régler
l'application. Il pourrait ainsi mettre en place des mesures
agro-environnementales hors CTE pour les agriculteurs non-éligibles aux
CTE, comme les agriculteurs âgés, ou encore pour les estives
gérées par des commissions syndicales, comme ceci est le cas dans
les Pyrénées atlantiques. Ainsi, cette nouvelle situation doit
être intégrée dans l'appréciation de l'avenir des
contrats territoriaux d'exploitation. En effet, un soutien bien adapté
à l'agriculture de montagne a été trouvé, qui
mobilise des moyens financiers importants, et je pense que la fin des CTE
ferait plaisir à une seule personne en France : le
secrétaire d'Etat au Budget. Pour nous, dans le cadre du
ministère de l'Agriculture, pour vous, parlementaires du monde rural, il
sera important de répondre aux attentes des organisations
professionnelles agricoles, qui souhaitent que le CTE soit simplifié,
centré sur ses objectifs, et qu'il ne soit pas l'outil unique de
soutien. Toutefois, ils ne souhaitent pas la fin de cette politique. Je pense
que la sagesse conduirait à adapter le dispositif sans le briser.
Concernant les questions que vous m'avez posées à propos de la
situation des différentes productions qui intéressent la
montagne, la viande ou le lait, il me semble que vous allez auditionner, le
17 juin, l'adjointe de mon collègue directeur des politiques
économique et internationale, Marie Guittard. Je ne m'attarderai donc
pas sur ce sujet, mon propos étant déjà très
complet. En revanche, je vous ai fourni des réponses écrites pour
vous aider à préparer vos travaux.
J'aborderai ensuite la question suivante : que faire auprès de
l'Union Européenne pour aider la montagne ? Cette question est pour
moi d'actualité puisque je m'envole dans quelques heures vers Inverness,
pour assister aux troisièmes assises de l'agriculture de montagne, en
Ecosse, où je vais plaider, avec mes collègues européens,
sur le thème « Défense de la montagne au sein de
l'Europe ». L'Europe soutient l'agriculture de montagne, mais il
n'existe pas une politique européenne de la montagne totalement
constituée. Une sorte de plaidoyer permanent est donc nécessaire
pour que toutes les actions européennes bénéficient
à la montagne. Ainsi, les pays de l'Europe du Sud ou de l'arc alpin sont
dans une situation de lobbying par rapport aux pays de l'Europe du Nord, qui
sont peu sensibles à cette problématique. Nous devons prouver que
les montagnes sont un patrimoine pour l'Europe, et qu'il faut en
défendre l'agriculture et la valeur patrimoniale. Par ailleurs, nous
devons nous préparer à poursuivre ce combat avec
l'élargissement de l'Europe à l'Est. En effet, nous allons nous
trouver confrontés au même type de contraste avec l'entrée
de grands pays agricoles qui ne sont pas du tout montagnards comme la Pologne
ou la Hongrie, et de quelques pays montagnards, qui iront dans le même
sens que nous, comme la Slovaquie ou la Slovénie. La même
opposition sera donc présente entre ceux que cette politique
n'intéresse pas et ceux que cette politique intéresse.
Vous me posez la question : dans quel sens agir ? Je vois plusieurs
solutions : le renforcement du deuxième pilier de la PAC, le
développement rural, proposé par le commissaire Fischler et la
majorité des Etats membres, est une évolution favorable. Il
s'agit tout d'abord du soutien aux élevages herbagers avec la fameuse
question de l'herbe. En effet, pour aider la montagne dans la politique
agricole, il faut défendre des soutiens à base d'herbe, y compris
pour nos élevages de viande ou de lait. Nous sommes la principale
puissance agricole, avec 28 millions d'hectares de surface agricole
utile et de nombreux espaces herbagés. Dans ce contexte, tous les
soutiens pouvant être augmentés vis-à-vis de l'herbe seront
bons pour l'agriculture de montagne, qui détient ces espaces herbagers.
Ainsi, tant la prime dite « à l'herbe », qui va
s'achever en 2003, et qui trouvera sa suite dans les actions
agro-environnementales, que des réflexions sur l'évolution des
soutiens à la viande sont favorables. Ainsi, dans le cadre de la
réflexion sur l'évolution de la PAC, qui va avoir lieu au second
semestre notamment au sommet de Copenhague de décembre 2002, nous
pouvons très bien, en France, aider notre viande bovine à travers
des soutiens à la tête de bétail ou à l'herbe. Dans
la situation actuelle, la PAC aide davantage les productions
céréalières ou le maïs que l'herbe. En effet, la
prime à l'herbe s'élève à 46 euros à
l'hectare contre 533,6 euros pour les soutiens au maïs. A travers les
aides environnementales, nous avons mis en place un soutien
supplémentaire. Ainsi, la prime à l'herbe va passer de 68,6 euros
à 91,5 euros à l'hectare. Mais tout ce qui conduira à
aller plus loin dans ce sens est bon pour l'agriculture de montagne.
Vis-à-vis de l'Union Européenne, sensible à la
problématique de passage de soutiens à la tête de
bétail, qui sont critiqués à l'OMC, à des soutiens
à la surface et à l'herbe, qui sont moins menacés à
l'OMC, nous devons montrer que cette transition est bénéfique
pour notre agriculture de montagne.
Par ailleurs, nous pouvons évoquer un autre
dossier important : le soutien au pastoralisme. Il s'agit d'un mode,
spécifique à la montagne, de gestion de nos élevages,
conforme à des traditions rurales que nous devons maintenir. Or ces
soutiens au pastoralisme peuvent être amplifiés car le
pastoralisme constitue une bonne pratique agricole, respectueuse des hommes et
des territoires, conforme à nos traditions européennes. Ainsi,
tout ce qui peut aller vers sa reconnaissance et son soutien est bon pour
l'agriculture de montagne. Il faudrait également que nous amenions la
Commission Européenne à donner des suites concrètes au
travail réalisé par le Parlement Européen en
septembre 2001 sur 25 ans d'application de la législation
communautaire en faveur de l'agriculture de montagne. En effet, le Parlement a
fait des propositions et il serait très utile que nous encouragions la
Commission Européenne à passer de l'analyse du Parlement à
des propositions concrètes. Enfin, l'action de lobbying des montagnards
d'Europe doit être commune et résolue au sein de l'Europe des 15
actuelle et de la future Europe des 25, pour convaincre tout le monde de
l'intérêt de l'agriculture de montagne. Dans ce domaine, nous
pourrions valoriser des expériences réussies d'agriculture de
montagne, notamment le travail réalisé par l'agriculture
valaisanne en Suisse, et qui a été étudié par le
Groupe Politique Agricole de la Montagne. En effet, à travers des
approches scientifiques, ce travail tend à démontrer la
multi-fonctionnalité de l'agriculture de montagne dans le Valais en
décrivant les services rendus par l'agriculture aux concitoyens de ce
territoire. Ce travail permet aussi de savoir ce que les concitoyens attendent
de leur agriculture et donc de s'orienter vers une agriculture conforme
à ces attentes. Ainsi, il est possible de décider des soutiens
publics nécessaires dans ce sens et permet de légitimer des
soutiens accrus. Ce travail, qui fait l'objet de travaux poursuivis avec le
groupement d'intérêt scientifique Alpes du Nord et le Commissariat
du Massif des Alpes, constitue une très bonne perspective
d'évolution et de recherche pour l'avenir, car ce type d'approche permet
de donner un contenu plus concret à la notion de
multi-fonctionnalité de l'agriculture, d'apport de l'agriculture de
montagne. Ainsi, en reconnaissant cet apport, il est possible de
légitimer les aides en les expliquant mieux à nos concitoyens
urbains, qui ont perdu leur culture rurale.
Concernant le pastoralisme, je serai assez bref, puisque vous connaissez bien
le sujet. Le Conseil National de la Montagne a confié, en
février 2001, à Clermont-Ferrand, au ministère de
l'Agriculture, un travail sur le pastoralisme. Ce groupe de travail
interministériel s'est réuni durant toute cette année sous
ma présidence, et il a associé des professionnels agricoles, des
élus de la montagne, et des parlementaires, au premier rang desquels le
sénateur Amoudry. Je vais vous remettre les résultats de ce
travail, sous la forme d'un rapport provisoire, qui a été
rédigé en mars. En effet, à cette époque, nous
approchions des échéances démocratiques que notre pays est
en train de connaître, et le précédent gouvernement,
étant dans la période dite de réserve, a estimé
qu'il n'était pas pertinent que ce rapport lui soit remis à un
mois des élections. J'ai demandé à Hervé Gaymard,
nouveau Ministre de l'Agriculture, s'il souhaitait que ce rapport lui soit
remis. Il sera remis au ministre au plus tard au mois de juillet. Il
s'agit d'un travail très consensuel, qui offre de nombreuses pistes
législatives, notamment pour les associations pastorales. En effet, nous
souhaitons nous appuyer sur le Parlement, au premier rang desquels le
Sénat. Il appartiendra à la douzième législature,
qui s'ouvrira à partir du mois de juillet, d'en traiter. Je pense que le
Sénat pourrait porter cette évolution législative,
organisationnelle et financière afin de soutenir le pastoralisme.
Je terminerai sur un sujet qui constitue un problème, et sur lequel je
pense qu'il serait utile que votre rapport se prononce : l'adaptation des
bâtiments d'élevage, notamment en montagne, aux nouvelles
règles du bien-être animal, de la sécurité
sanitaire, de la traçabilité des produits. En effet, il existait
dans ce sens un programme global, qui a peu bénéficié
à l'agriculture de montagne : le Programme de maîtrise des
pollutions d'origine agricole (PMPOA), mis en place en 1993. Or la Commission
Européenne a découvert ce programme. Il s'agit là d'un
défaut important dans la gestion des politiques agricoles en France, car
certaines politiques sont lancées sans être notifiées au
niveau européen. Il s'agit, en l'occurrence, d'une politique
élaborée dans le cadre d'un accord entre le ministère de
l'Agriculture et les organisations professionnelles agricoles, en 1993, par un
protocole d'accord signé entre le ministère et la FNSEA, puis
repris dans un texte qui n'était qu'une circulaire de ma Direction, et
qui a pourtant suscité 915 millions d'euros de dépense.
Toutefois, ce programme n'avait pas été notifié à
l'Union Européenne. Or, le jour où elle s'en est aperçue,
elle a entamé une procédure d'infraction à l'encontre de
la France et nous avons dû modifier et justifier ce programme. Ceci a
suscité un an de négociations. L'essentiel du programme, à
savoir les concours publics qui pouvaient attendre 60 % des coûts, a
été admis. Néanmoins, ce programme, qui va s'achever en
2006, est désormais centré sur les zones vulnérables et
sur les zones prioritaires en matière environnementale. Ce programme
concernait déjà de nombreuses régions, telles que la
Bretagne ou les Pays de Loire. Or,
a fortiori
, ce recentrage sur ces
zones prioritaires cible encore plus que par le passé ces zones dans
lesquelles se pose un problème de qualité de la ressource en eau.
Il est donc important, dans votre rapport, d'examiner l'adaptation des
élevages en montagne. Dans ce cadre, nous disposons d'outils
spécifiques tels que l'aide au bâtiment des élevages en
montagne, l'aide à la mécanisation en montagne, qui sont des
outils anciens, mais également les aides aux investissements, notamment
le contrat territorial d'exploitation. Toutefois, nous devons concevoir un
dispositif de soutien aux investissements d'adaptation des élevages en
zone de montagne, hors PMPOA, et dotés de moyens financiers à une
hauteur supérieure à celle que nous connaissons. En effet, nos
aides aux bâtiments d'élevage ou à la mécanisation
ont été augmentées, représentant actuellement
13,720 millions d'euros à 15,25 millions d'euros par an.
En outre, le freinage du dispositif PMPOA a favorisé ces
investissements. En effet, les moyens financiers étant sur une
même ligne budgétaire, j'ai utilisé le fait que des
crédits étaient non-dépensés sur le PMPOA pour les
bâtiments d'élevage en montagne. Nous avons ainsi
résorbé une bonne partie des files d'attente, mais ce
problème va se reposer à partir de cette année. La
question de l'adaptation des élevages, étant donnée la
progression des normes sanitaires, ne sera pas donc réglée avec
un soutien du ministère de l'Agriculture à
12,200 millions d'euros par an. Ainsi, votre rapport peut montrer
que, puisque le PMPOA est centré sur les zones sensibles du point de vue
de l'environnement et de la ressource en eau, et qu'il concerne donc peu la
montagne, il existe encore des problèmes d'adaptation de nos
élevages. Or ces problèmes peuvent entraîner le
départ des agriculteurs de ces zones difficiles, le métier y
étant trop contraignant et les normes devenant de plus en plus
draconiennes. Une réflexion doit donc être conduite pour
déterminer un mode de soutien aux investissements et aux adaptations de
l'élevage en zone de montagne. En outre, même si nos partenaires
du Budget ont tendance à considérer les aides aux bâtiments
d'élevage comme des aides anciennes, datant des années 70,
et devant être supprimées, je suis intimement persuadé que
ces aides doivent non seulement être maintenues, mais qu'elles doivent
aussi être amplifiées, dans le cadre d'un vrai programme
d'adaptation des élevages de nos montagnes.
M. Jacques Blanc -
Je vous remercie de cet exposé très
intéressant et très brillant. Je laisse à présent
la parole à mes collègues pour vous poser des questions.
M. Jean Boyer -
Monsieur le Directeur, vous avez remarquablement
brossé le tableau de la situation de l'agriculture de montagne, y
compris pour le PMPOA, dans le cadre duquel nous constatons certaines
anomalies. Je souhaiterais très modestement attirer l'attention sur un
problème que vous connaissez. Vous avez évoqué la prime
à l'herbe de 46 euros. Je voudrais ajouter que certains
critères sont, en outre, posés pour accéder à cette
prime, avec un pourcentage minimum de 75 % de la surface. Or, dans ce
cadre, il semble que les lectures de l'administration manquent
d'objectivité. Je peux vous citer deux exemples concrets. Tout d'abord,
dans le département de la Haute-Loire, une parcelle a été
détruite par des sangliers. L'agriculteur a eu l'honnêteté
de dire que cette parcelle n'aurait pas, pour cette année, une vocation
de prairie, ce qui a entraîné la suppression de la prime à
l'herbe. Un autre agriculteur a vu ses terres faire l'objet d'un boisement
progressif. Il a donc considéré que ce qui était en
pâture trois ans auparavant ne l'était plus et il a eu
l'honnêteté de faire une déclaration dans ce sens. Or,
l'interprétation administrative de cette situation a
entraîné une remise en cause de sa prime à l'herbe de
46 euros. Ainsi, je pense qu'il faudrait appliquer des règles de
bon sens, tout d'abord en augmentant les primes, la somme de 46 euros
à l'hectare étant ridicule, mais également en
révisant les critères appliqués.
M. Pierre Jarlier -
Monsieur le Directeur, je souhaite vous poser une
question quant à la fiabilité du label montagne. En effet, nous
savons que l'avenir de l'agriculture de montagne passera par une production de
qualité. Or se posent aujourd'hui certaines questions quant à ce
label. Tout d'abord, n'existe-t-il pas un risque de dérogation sur ce
label et quelles sont les garanties que nous pouvons avoir sur ce
dispositif ? Par ailleurs, pour que ces produits soient identifiés
comme des produits de qualité, comment pouvons-nous augmenter la
possibilité de réaliser ces démarches de
labélisation dans la mesure où les acteurs de la filière
reculent souvent devant une labélisation considérée comme
inaccessible en termes de coûts ? Des dispositifs peuvent-ils
être envisagés afin de faciliter ces démarches ?
M. Christian Dubreuil -
Je souhaite tout d'abord revenir à la
remarque de M. Amoudry concernant l'agriculture valaisane. En France, nous
disposons d'une agriculture moderne, économiquement impliquée
dans les courants d'échanges mondiaux, puisque nous avons beaucoup
investi sur les progrès de la génétique. Néanmoins,
l'approche valaisane pourrait représenter un apport
supplémentaire dans nos travaux puisqu'il s'agit d'une agriculture plus
archaïque, que les moyens financiers considérables de la
région permettent de sauvegarder.
En effet, la Suisse peut se payer une agriculture qu'elle
rémunère à un haut niveau, notamment à travers le
prix du lait. Pour notre part, nous sommes la première agriculture
européenne et la deuxième mondiale et nous partons de notre
qualité pour nous inscrire dans les courants d'échanges mondiaux.
Toutefois, l'apport Valaisan peut s'inscrire dans un travail assez fin
d'identification des multiples apports de l'agriculture à la
société, afin d'ouvrir le dialogue avec nos concitoyens urbains,
et ainsi d'améliorer l'image de l'agriculture, pour permettre de
légitimer les soutiens apportés à l'agriculture et de
demander leur augmentation. J'ai, pour ma part, travaillé dans le cadre
de l'Outre-Mer et je fais partie de ceux qui pensent que l'Outre-Mer constitue
une chance pour la république. J'ai donc passé mon temps à
expliquer l'importance de l'Outre-Mer à des personnes qui me disaient
que ces territoires ne servaient à rien et coûtaient très
cher. Or il en est de même pour l'agriculture, plusieurs années
plus tard, bien qu'il s'agisse d'une activité économique
très importante, car nos concitoyens ont le sentiment que l'agriculture
coûte très cher, notamment sur le plan européen. L'exemple
de l'agriculture valaisanne pourrait donc être intéressant
à étudier dans ce contexte.
Concernant la question de l'appellation montagne, je pense qu'il s'agit d'un
objectif nécessaire, même si ces labels peuvent apparaître
comme des contraintes supplémentaires en termes de financement. Je pense
que, dans le cadre d'une politique de qualité, nous devons avant tout
expliquer les différents signes utilisés dans ce cadre (AOC,
certificats de conformité, labels...), ainsi que leur contenu et la
façon dont ils s'articulent. Pour cela, il serait important de donner un
véritable contenu à un texte, qui est très bon dans son
contenu juridique : l'Appellation montagne, en termes de qualité
des produits transformés en zone de montagne. Or nous n'en sommes qu'aux
prémisses de l'utilisation de ce texte. Je citerais en cela
l'exemple du Cantal. Dans ce département, nous nous trouvons
confrontés à un paradoxe total en ce qui concerne la viande
porcine. En effet, du fait des problèmes de pollutions de
l'élevage porcin intensif de Bretagne, nous ne pouvons plus construire
de porcherie, y compris dans le Champsaur, alors que les problèmes
d'épandage ne se posent pas du tout de la même façon et
que, dans ces régions, il est possible de faire une agriculture locale
de qualité. Ainsi, l'appellation « porc montagne »,
sur laquelle travaillent M. Champeix, et le Groupe de Cahors,
réunissant des producteurs d'élevages porcins du Sud, constitue
une voie pour dépasser ce balancier par lequel nous sommes passés
de l'adage « dans le cochon, tout est bon » à la
situation « plus aucune porcherie nulle part ». Ainsi, je
pense que le décret Montagne est un bon décret qu'il faut
appliquer strictement, même s'il n'a pas encore produit tout ce qu'il
avait à produire. Il s'agit d'un véritable appui pour
l'agriculture de montagne. Nous devons donc d'une part mieux expliciter les
différentes entre les labels.
D'autre part, en termes de soutien, nous avons clarifié dans des textes
récents ce que nous entendions par « agriculture
raisonnée » ou « qualification des exploitations
agricoles ». Ainsi, il existe des outils que nous pouvons mobiliser,
notamment le CTE. En effet, la règle européenne est la
suivante : au-dessus du niveau réglementaire et des bonnes
pratiques agricoles, toutes les démarches peuvent être soutenues
par la puissance publique et cofinancées par l'Union Européenne.
Je peux citer le cas de l'opération « qualiterre »,
à savoir la qualification des exploitations agricoles en Picardie, qui
est pionnière dans ce domaine. Or, dans le cadre de cette
opération, le cahier des charges correspond aux mesures du CTE. Ainsi,
l'agriculteur signe un CTE et une partie du coût des investissements en
termes de certification de ses exploitations est finançable. Il faudrait
donc, sur un certain nombre d'aspects, mieux articuler ce que l'Etat et
l'Europe peuvent financer à travers des investissements
éligibles, et ce que l'Etat peut continuer à financer à
travers son budget 2003, notamment dans le cadre de la politique des CTE qui
mobilisent des investissements importants en faveur de l'agriculture ou de
l'agro-environnement. D'autre part, les questions sur lesquelles l'Etat peut
plus difficilement intervenir pourraient incomber aux collectivités
territoriales.
Quoi qu'il en soit, je pense que l'appellation montagne constitue un atout mais
qu'il faudrait mieux qualifier les critères de qualité et mieux
expliquer ce que sont les contraintes des uns et des autres. Ainsi, le
débat entre l'agriculture durable et l'agriculture raisonnée a pu
obscurcir les choses. Nous disposons désormais d'un
référentiel récent concernant l'agriculture
raisonnée. Par ailleurs, le terme « développement
durable » doit être clarifié car nous avons
intérêt à montrer que notre agriculture va dans le sens de
la durabilité. Néanmoins, nos agriculteurs ont du mal à
s'y retrouver parmi ces termes. Vous pourrez donc chercher à approfondir
cette question avec mes collègues de la Direction des politiques
économique et internationale et vous référer aux travaux
récents du Conseil supérieur d'orientation de l'économie
agricole et agroalimentaire ainsi qu'aux décrets récents sur
l'agriculture raisonnée, qui contribuent à montrer quels sont les
référentiels. Je pense que votre rapport pourrait contribuer
à clarifier cette situation. Les agriculteurs vous en seraient
reconnaissants.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie, Monsieur le Directeur, pour
votre intervention.
9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la Fédération française d'économie montagnarde (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Monsieur le Président Savornin, merci de vous
être déplacé des Alpes-de-Haute-Provence pour les besoins
de cette mission d'information sur la montagne. Vous connaissez le sens de
cette mission et il n'est pas utile que je vous en expose les grandes lignes.
Nous mettrons à profit, dans le cadre de nos travaux, la contribution
que vous voudrez bien nous apporter. Je vous laisse la parole, puis nous
laisserons place à la discussion.
M. Henri Savornin -
Mon cher Président, Messieurs les
Sénateurs, en préambule, je souhaite dire que j'apporte
simplement ici ma vérité, qui n'est pas la vérité,
tant il est vrai que les montagnards sont aussi différents les uns des
autres que le sont les massifs et les montagnes qui les environnent. Vous
aurez, bien entendu, le droit de me contredire. Je précise que je suis
non pas un théoricien, comme le sont les représentants du
ministère avec qui nous avons travaillé très
régulièrement, mais plutôt un praticien. En effet, je suis
à l'affût des textes relevant des différents
ministères, depuis le 24 octobre 1967, date de la
création de la rénovation rurale en montagne, qui m'avait
donné l'idée de mettre en pratique une certaine philosophie et de
profiter des quelques avantages annoncés par ces dispositions. Ainsi,
j'ai trouvé, à l'époque, une commune disposant d'un budget
de 2.287 euros et qui dispose aujourd'hui d'un budget de
2,287 millions de francs. A cette époque, 9 enfants
fréquentaient l'école de la commune contre 59 aujourd'hui.
Nous n'avions aucun service puisque la dernière épicerie avait
fermé ses portes en 1967. Or la commune compte aujourd'hui
22 commerces et services et, parallèlement, une association que je
préside gère 850 lits de tourisme social, qui font un
chiffre d'affaires de 4,878 millions d'euros et qui permettent d'employer
130 personnes. Ainsi, la preuve est apportée que dans notre
montagne réputée pauvre et désertique des Alpes du Sud,
nous pouvons créer de l'activité et maintenir une population,
à condition de rencontrer un partenariat public compréhensif.
Néanmoins, il se peut que je sois marqué par ma propre
expérience et que je ne puisse donc pas forcément répondre
aux interrogations des uns et des autres.
Tout d'abord, la politique de la montagne a connu un certain nombre de
chicanes. Ainsi, depuis 1967, puis les discours de Clermont-Ferrand de 1972-73,
nous avons commencé à mener des actions très efficaces
dans le domaine de la prise en compte des handicaps. Par la suite, nous avons
connu une évolution notable avec la décentralisation. En effet,
la politique montagne qui avait été conduite par les divers
responsables de l'agriculture, en particulier, durant de nombreuses
années, avec la FNSEA et le CNJA, est remise en cause au moment de la
décentralisation, les accords passés préalablement ayant
alors été remis en cause. Ainsi, nous avions obtenu une
majoration portant les subventions à 60 % pour les adductions d'eau
ou les assainissements contre 40 % pour la plaine. Avec la
décentralisation, conduite par un homme certainement très
intelligent mais maire d'une commune d'un million d'habitants, ce qui est
très loin de la réalité de la plupart des communes de
montagne qui comptent environ 200 habitants, du jour au lendemain, ces
accords ont été remis en cause par les assemblées
régionales qui ont pensé leur politique d'aménagement du
territoire de manière forcément plus urbaine que celle que
nous avions instaurée. Ensuite, durant cinq ans, nous avons
préparé ensemble la loi Montagne, qui aboutira le
9 janvier 1985. Cette loi, que nous avions considérée
comme étant une étape dynamique, est rapidement, dans les faits,
apparue, au contraire, comme un acquis. En effet, il a été
considéré que, du moment que nous avions obtenu la loi Montagne,
nous n'avions plus besoin de faire vivre autant les organismes d'animation
rurale. Cette loi Montagne, qui est l'objet de notre rencontre aujourd'hui, a
donc marqué un arrêt du dynamisme de la part des défenseurs
de la montagne. Par la suite, nous avons tenté, année
après année, de nous inscrire dans la Politique Agricole Commune
et de faire en sorte que la montagne continue à trouver sa place.
Aujourd'hui, nous abordons un virage important, qui nous oblige sans doute
à remettre en cause la politique d'aménagement du territoire et
peut-être également une certaine politique d'aménagement
rural. Votre première question porte sur les forces et faiblesses de
l'économie montagnarde. La France dispose d'une surface montagneuse
exceptionnelle comparée à d' autres pays d'Europe. Elle dispose
d'une montagne qui est convoitée, car elle représente la
liberté des grands espaces, elle bénéficie, le plus
souvent, d'un climat exceptionnel, même si nous sommes parfois
confrontés à la neige ou à la sécheresse. En outre,
cette montagne est encore habitée, cultivée, elle dispose d'un
environnement agréable de par son climat, ses sites
préservés, sa faune et sa flore. Néanmoins, si cette
montagne est convoitée, elle bute sur une culture, une philosophie, une
politique, qui se veulent extrêmement protectionnistes, comme si cette
belle montagne, que nous avons aménagée, était tout d'un
coup menacée par des personnes qui voudraient la mettre à mal. Ce
protectionnisme, tout à fait excessif selon moi, a conduit à un
arrêt des volontés de développement. Or la montagne ne peut
conserver cette force et cette attractivité que si les hommes continuent
à y vivre avec un niveau de vie acceptable. Cela ne peut se penser
seulement dans le cadre de la protection, qui conduit
généralement à la désertification des zones de
montagne, avec des cantons qui ne comptent que de cinq à sept habitants
au km
2
.
Ainsi, l'économie montagnarde dispose d'atouts incontestables puisque
l'agriculture y conserve un dynamisme qui lui assure un avenir
économique, à condition que les hommes et les femmes qui y vivent
puissent avoir une vie sociale et des services en rapport avec la
modernité actuelle. Pour cela, nous devons, dans le cadre d'autres
activités, multiplier les emplois dans ce secteur montagnard. J'irais
jusqu'à dire qu'il vaut mieux souffrir d'un manque de services
plutôt que d'entretenir ces services artificiellement si l'argent qui est
prévu pour cela n'est pas utilisé dans le développement
économique. J'ai moi-même agi dans ce sens puisque nous n'avions
aucun service et que nous comptons aujourd'hui 240 emplois permanents sur
la commune, en partie du fait de la présence de 4 000 lits
touristiques basés sur une station touristique été-hiver.
Ainsi, la force de l'économie montagnarde passe avant tout par le
maintien de l'agriculture, une agriculture qui assure l'entretien de
l'environnement, en même temps qu'elle apporte des produits de
qualité dans une nation qui en est restée assez gourmande.
Concernant les faiblesses de l'économie montagnarde, je dirais que nous
en souffrons d'un certain nombre au niveau du moral et de la philosophie parce
que, au cours de ces dernières années, alors que la politique de
développement du territoire urbain a été dynamique et a
reçu les aides de diverses collectivités publiques, le monde
agricole a été oublié. Pour ne prendre qu'un exemple, il
nous a été dit à Marseille que la multiplication par sept
du budget du chemin de fer était une décision merveilleuse. Or,
nous n'avons, dans notre vallée, - comme c'est le cas de nombreuses
vallées des Alpes de Haute Provence et des Hautes Alpes - aucun chemin
de fer et aucune gare. Pour nous, la solution ne se trouve donc pas là.
Dans le même temps, notre ministre de l'Aménagement du Territoire
a arrêté l'autoroute, faisant ainsi de notre massif le seul massif
enclavé. En effet, nous attendons toujours que 80 kilomètres
d'autoroute soient aménagés pour lier le nord et le sud de
l'Europe, en passant par Grenoble. Ces décisions constituent aujourd'hui
des faiblesses pour l'économie de montagne car lorsque la masse urbaine
se déplace en vacances, elle préfère, en arrivant à
Grenoble, aller vers la Savoie plutôt que de faire trois heures de bus
pour arriver chez nous. Et lorsque les touristes arrivent chez nous, la
première chose qu'ils nous demandent est : « faut-il
vraiment repasser par là pour repartir ? » L'enclavement est
donc catastrophique pour certains massifs, dont celui des Alpes du Sud. Je peux
citer, en comparaison, le cas de Saint Chély d'Apcher, et de son
développement depuis que l'autoroute a été construite dans
le Massif Central. Dans le même sens, je pense que le fait de
bénéficier d'une autoroute constituerait pour nous une chance. A
cela s'ajoutent les problèmes de relations internes, car les routes sont
longues et étroites et qu' il est difficile de développer le
tourisme en l'absence de moyens de circulation.
En outre, de nombreux hommes politiques et de nombreuses administrations, qui
ont souvent encore plus de pouvoir, ne croient pas en l'avenir et au
développement économique et social de la montagne. C'est pourquoi
il est toujours proposé de rechercher les moyens d'attendre. Ainsi, les
études s'ajoutent aux études avant que l'on décide
qu'elles coûtent trop cher et que l'on n'a plus d'argent à
investir. Actuellement, contrairement à l'esprit initial de 1967, on
favorise plus facilement la grande station que la petite station alors que
cette dernière maintient la présence des hommes et des femmes. Il
y a donc un virage important à prendre et le Sénat, qui a un
certain pouvoir en la matière, doit montrer la nécessité
d'aménager le territoire en tenant compte des chances que
représente toute la montagne française.
Je rappelle, dans ce cadre, que nous avions connu une certaine période
d'aménagement du territoire efficace. Le Languedoc-Roussillon a
notamment bénéficié de cet aménagement, la zone
montagne également. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, ce qui
empêche le développement de certaines potentialités. En
effet, nous ne rencontrons pas, aujourd'hui, de problème en termes de
développement du tourisme, puisque ce développement est
évident et que les experts nous annoncent même une
évolution de 600 millions à 1,2 milliard de touristes
en quinze ans. Il est donc possible d'ouvrir, dans nos montagnes, un
marché touristique qui viendrait consolider les économies.
Toutefois, pour développer le tourisme en montagne, avec le retard que
nous avons pris, nous devons obligatoirement bénéficier d'une
aide substantielle des pouvoirs publics, que ce soit l'Europe, l'Etat, ou
encore les régions ou les départements, afin de créer une
nouvelle capacité d'accueil confortable et de réhabiliter
l'habitat de loisir. Cet habitat de loisir a vieilli et n'est ni attractif
ni rentable. Dans ce cadre, il n'y a pas d'autre solution que l'intervention
des caisses publiques dans le cadre de formules de développement
touristique, productrices de services et de vie sociale.
Néanmoins, ceci met en cause le problème fondamental des
responsabilités. Nous avons, depuis la décentralisation, et la
loi du 29 juillet 1982, confié cette responsabilité aux
régions. Mais quel est le rôle de l'Etat qui laisse à la
région le soin de décider des interventions dans le cadre des
contrats de plan, mais également des taux d'intervention ou des choix
essentiels ? Je pense que l'Etat devrait, aujourd'hui, se repositionner
dans ce domaine, pour assurer une certaine cohésion nationale au sein de
la région par rapport à l'Europe. Pour cela, l'Etat doit
conserver un certain nombre de moyens financiers permettant d'établir
des partenariats respectant les volontés et émanant de Paris. Or
ces partenariats n'existent pas. C'est la raison pour laquelle nous assistons
à certaines distorsions dans l'application de cette politique.
Le tourisme constitue donc une chance pour la montagne, à condition que
certains cadres d'action soient établis. Dans ce sens, je souhaite
évoquer le cas de la Vallée de l'Ubaye. En effet, dans un lieu
désertique, j'ai créé un établissement avec mon
association. Nous avons mis en place 300 lits de tourisme social qui ont
représenté cette année 70 000 journées,
en pension complète, et 2,44 millions d'euros de chiffre
d'affaires. La confiance peut donc être accordée à des
régions et à des structures pourvu qu'il existe une
volonté de l'exploiter correctement. Nous avons donc cette chance mais
encore faut-il établir des choix. En effet, le développement du
tourisme rural, des gîtes, est une chose facile. J'en ai moi-même
créé trente dans ma commune. Mais le développement des
gîtes ne représente pas le meilleur emploi de l'argent. La
présence d'une hôtellerie ou de villages de vacances constitue un
meilleur entraînement social ou économique, parce qu'il permet la
création d'emplois, que le tourisme rural, même si ce dernier est
indispensable pour valoriser un secteur. Je pense que l'Etat, l'Europe et les
régions doivent favoriser l'accueil des touristes dans des villages
vacances au sein de nos zones de montagne, grâce à des
financements spécifiques. En effet, pour reprendre l'expérience
de mon village de vacances, il compte 52 employés et permet de ce
fait d'assurer une animation pour les enfants ou pour les personnes du
troisième âge, animation désormais nécessaire pour
attirer le touriste. Cette présence est très précieuse
dans le village où seuls trois ou quatre agriculteurs subsistaient. Mais
cette idée est souvent évacuée par les pouvoirs publics
qui pensent que le tourisme doit vivre par lui-même. Or ce n'est pas mon
avis. Je plaide donc en faveur du développement du tourisme, mais d'un
tourisme maîtrisé et qui s'adapte aux conditions d'existence en
montagne.
En ce qui concerne la pluri-activité, les propositions de la FFEM sont
les suivantes : lorsque nous disposons d'une agriculture moderne, avec la
possibilité de réaliser rapidement des travaux, nos agriculteurs
ont du temps. Toutefois, il faut pouvoir valoriser ce temps, grâce
à la pluri-activité. Pour continuer l'expérience de
Montclar, 44 emplois ont été créés aux
remontées mécaniques et ces personnes ont toutes du travail
durant l'été. Inversement, les personnes qui travaillent durant
la saison d'été bénéficient d'une activité
durant l'hiver, du fait d'une pluri-activité organisée. Cette
solution s'inscrit dans le cadre du groupement d'employeurs, qui permet une
entente entre les divers employeurs. Nous avions envisagé de constituer
un groupement assurant du travail toute l'année, avec un seul et
même contrat ; malheureusement, nous avons buté dans la
dernière phase de ce projet car il n'était pas admis que nous
puissions intégrer, et ce pour des questions de TVA, les employés
des remontées mécaniques à une régie directe. Or,
nous disposions déjà de 25 employés et nous devions
en regrouper une quarantaine pour que la gestion ne coûte rien à
celui qui en profiterait. Peut-être faudrait-il reprendre les textes
concernant la pluri-activité afin que les régies puissent y
participer.
Par ailleurs, aucune avancée n'a été observée sur
cette question de pluri-activité. Ainsi, il y a cinq ans, suite aux
rapports de la Fédération française de l'économie
montagnarde, Hervé Gaymard alors secrétaire d'Etat aux Affaires
sociales, avait réalisé un rapport. Or, nous attendons toujours
la caisse unique, la caisse pivot, qui devait permettre de réduire
à une seule déclaration et à une seule cotisation le
travail des employeurs, mais qui devait également assurer la
pérennité de la situation de la pluri-activité. Il est
temps qu'un texte de loi permette aux pluri-actifs de ne pas être
confrontés à ces problèmes.
Quant à l'importance des services de proximité, ma philosophie
est la suivante : chaque fois que nous pouvons investir pour créer
des emplois et maintenir des hommes et des femmes à la montagne, nous
justifions la présence des services et nous donnons, par ailleurs, les
moyens de les utiliser. C'est ce que nous avons fait au sein de notre commune.
En effet, notre école devait fermer ses portes, mais, du fait du
développement économique, nous accueillons aujourd'hui
59 enfants et nous avons créé trois classes. Le
problème du ramassage scolaire se posant, nous avons mis en place un
bus, qui fonctionne très bien aujourd'hui. Les relations avec la gare
la plus proche --45 kms - pour l'acheminement des touristes venus en
train, posaient également de sérieux problèmes. Notre
budget, qui est passé de 2 287 euros à
2,287 millions d'euros, nous permet désormais de
développer un service de taxi à la carte, qui depuis la gare,
nous amène la clientèle. Ces services de proximité peuvent
donc se développer dès lors qu'il y a une activité
économique et une population suffisante. Ceci n'empêche pas que,
dans notre France dépeuplée, il existe de nombreux lieux dans
lesquels nous devons maintenir les services publics minimums afin de satisfaire
la population.
Par ailleurs, de nombreuses initiatives peuvent être
développées pour permettre de faire vivre les communes de
montagne. Nous avons, par exemple, dans notre département, mis en place
les « bistrots de pays ». Ainsi, alors que, durant une
centaine d'années, nous avons lutté contre les licences pour
diminuer le nombre de bars (car on trouvait que les Français buvaient
trop), aujourd'hui, nous subventionnons la création des bistrots de pays
comme lieu d'animation de la vie locale.
Dans le texte de présentation de votre rapport, il serait
intéressant de mettre en évidence, afin que tous les
Français le sachent, l'idée selon laquelle la montagne constitue
une chance pour la nation toute entière. Nous plaidons, certes, pour la
chance des montagnards dans le cadre de notre activité, mais, par
ailleurs, pour les 10 millions de parisiens, nous devons faire
apparaître l'intérêt de la montagne. Il ne s'agit pas de la
montagne protégée, dans laquelle on trouve, depuis quelques
années le loup et la vipère ! En effet, si nous
écoutons les discours actuels, de type « Natura
2000 », nous constatons que si, auparavant, la vipère
était chez nous, nous sommes aujourd'hui chez la vipère ! De
plus, nous nous étions passé du loup pendant
97 années, et nous avons aujourd'hui « la
chance », nous dit-on, que le loup revienne et qu'il mange non plus
les chiens mais les agneaux, présents sur l'ensemble de nos
pâturages. En effet, si, autrefois, nos pâturages étaient
peuplés de troupeaux de 100 têtes,
2 000 têtes sont désormais nécessaires pour payer
un berger, et nous voilà obligés d'accepter que de nombreuses
têtes soient dévorées régulièrement par le
loup. Autrement dit, autrefois, on protégeait l'agneau, aujourd'hui, on
protège le loup..... !
La montagne doit donc apparaître comme une chance pour tous, permettant,
certes, de se détendre, mais également de retrouver ses racines,
à condition que nous l'entretenions.
Par ailleurs, la loi Montagne nous laisse espérer le
développement d'un droit à la différence. Pour cela il
faudrait que, si l'Etat a son mot à dire lors de l'établissement
d'un contrat de plan, les priorités données dans un coin des
Alpes ou du Massif Central soient respectées, et non pas purement et
simplement abandonnées à la décision de ceux qui ont le
pouvoir local.
Ainsi, au moment du vote de la loi, nous avions espéré que la
création des comités de massifs supprimerait le besoin de toute
autre structure, notamment d'une fédération française
d'économie montagnarde, et permettrait de développer notre
pensée et de la défendre auprès des puissances qui
investissent en notre faveur , ceci n'a pas été le cas. Nous
avons donc pensé que la présidence de ces comités par un
préfet de région, qui vit dans une ville
d'un million d'habitants, que ce soit à Lyon ou à
Marseille, n'était pas la solution, puisque ces comités de
massifs n'ont été d'aucun effet. En outre, se sont
créées entre temps les commissions permanentes du conseil
national de la montagne et les commissions permanentes des comités de
massifs. Néanmoins, à partir du moment où la commission
permanente propose des thèmes de débat et des orientations qui,
de toute façon, ne parviennent jamais à ceux qui décident,
ces conseils ne servent à rien. D'où la
nécessité de mettre en place soit une double présidence,
qui serait la solution idéale, soit une présidence d'élu,
qui serait plus dynamique et plus respectueuse de l'esprit et des actions que
nous engageons. Or, le comité de massif est aujourd'hui une simple
chambre d'enregistrement dans laquelle il nous est demandé chaque
année ce que nous avons fait de l'argent qui nous a été
octroyé. Nous souhaitons que le changement de ministre permette de faire
évoluer les choses dans ce sens. Cela dit, le comité de massif a
tout de même mené une bonne action, en décidant de la
décentralisation des unités touristiques nouvelles (UTN). En
effet, jusqu'en 1981, pour l'UTN qui concernait ma commune, c'est à
Paris que les décisions se prenaient. Or je pense qu'il est plus facile
de discuter du développement d'une vallée d'un coin de notre
Provence à Marseille que d'en discuter à Paris, même si ce
n'est pas systématique. Quoi qu'il en soit, la formule de type UTN me
paraît être une bonne formule car elle permet d'évacuer des
affaires bloquées par la loi et les directeurs départementaux de
l'urbanisme. Je pense que nous devons maintenir ce principe, une certaine
souplesse étant souhaitable. En outre, les critères
d'intervention doivent pouvoir évoluer.
Certaines actions nous ont été soumises dans les communes
classées en secteur de montagne. Je pense qu'il est nécessaire,
dans ces affaires, d'introduire une possibilité
« d'exception ». Je citerai le cas de Paille et de Paillon,
deux communes situées près de Nice. En effet, lorsque les
délimitations du domaine montagneux, qui remontent, pour une partie,
à 1961, ont été mises en place, Paille et Paillon
comportaient encore quelques agriculteurs. Il était donc normal que la
règle soit appliquée dans cette zone comme ailleurs. Aujourd'hui,
ces villes sont soumises à un autre problème, comme un bon nombre
de villes françaises. En effet, Nice s'agrandit, mais il est impossible
de construire car il s'agit d'une zone de montagne, que cette zone a
été vidée de ses agriculteurs, et que la ville ne peut pas
profiter de ces territoires, qui sont superbement bien situés, face
à la mer. Une exception devrait donc pouvoir être apportée
dans les textes régissant les UTN.
Ainsi, la loi Montagne a constitué une chance. Elle doit passer
aujourd'hui par un certain nombre de modifications, car elle existe depuis
17 ans, même si tous les décrets d'application ne sont pas
encore parus. Reste aujourd'hui, avec les perspectives d'évolutions de
l'Europe, à se poser des questions, car, étant donné le
nombre de pays pauvres qui vont entrer dans l'Union Européenne, la
montagne française pourrait paraître riche à
côté de celle des pays entrant et si le peu d'aides dont elle
bénéficie disparaissait, nous aurions sûrement à
craindre la fin des exploitations agricoles. Il est important que soit
donnée, dans les nouveaux textes à paraître, la certitude
aux jeunes agriculteurs que, demain, la rémunération de
l'agriculteur pour l'entretien de la végétation, du paysage, qui
constitue un véritable patrimoine, sera assurée. Dans le cas
contraire, plus personne ne voudra s'engager dans ces zones de montagne.
Pour conclure, je rappellerai un discours qui avait lieu à
l'époque du Président François Mitterrand, consistant
à dire que l'agriculture de montagne nécessitait des sommes
d'argent si importantes qu'il reviendrait moins cher de confier les
exploitations à des fonctionnaires. On voit, aujourd'hui, qu'une telle
solution est à rejeter : elle nous coûterait trop cher, en
particulier dans le cadre des 35 heures : il est infiniment
préférable de laisser aux agriculteurs le soin de faire ce qu'il
savent faire, ce qu'ils aiment faire, la seule solution consiste donc à
les aider à se maintenir.
Je vous laisse à présent le soin de me poser des questions, voire
de me contredire, si je suis passé à côté de vos
pensées intimes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur le Président, je ne pense
pas que vous soyez passé très loin de nos pensées intimes.
En revanche, vous n'avez pas évoqué la question des nouvelles
technologies de l'information et de la communication. Puis-je vous demander si,
que ce soit à l'échelon local de votre département, ou
à l'échelon de la Fédération française
d'économie montagnarde, ces pratiques sont encadrées ?
M. Henri Savornin -
Je me suis un peu désintéressé,
à tort, de ces nouvelles technologies, car d'autres sujets me semblaient
plus urgents, en termes d'investissements routiers ou économiques, pour
créer de l'activité. Mais effectivement, nous avons cette
épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Ainsi,
alors que chacun a accès au téléphone portable, nous
constatons encore, dans nos montagnes, que certaines zones en sont
privées. Or, du point de vue de l'égalité des chances,
nous devrions pouvoir utiliser le téléphone mobile dans nos
montagnes, d'autant plus qu'il s'agit d'un élément
sécurisant pour les promeneurs, qui leur permettrait de se situer en cas
de problème. En tant que parlementaires, vous pourriez plaider en faveur
d'une égalité de service et donc d'une intervention dans ce sens.
En effet, il existe, en montagne, un risque de remise en cause du service pour
tous, y compris en ce qui concerne l'électricité. Heureusement,
nous disposons d'énergies non polluantes, notamment avec les
éoliennes. Il semble difficile, cependant, d'utiliser des
éoliennes de manière discrète dans notre paysage, comme
nous le demandent les partisans des solutions alternatives, tout au moins
s'agissant de grandes quantités d'énergie.
M. Auguste Cazalet -
Je constate, Monsieur Savornin, que vous gardez
toujours un talent et une verdeur extraordinaires. Je suis d'accord avec vous
quant aux forces et aux faiblesses de la montagne. Vous venez d'évoquer
le problème des portables et vous avez évoqué au
préalable le problème des communications en montagne. Or, un pays
qui n'a pas de communication est fichu. Dans les
Pyrénées-Atlantiques, nous disons toujours que « le
malheur des uns fait le bonheur des autres ». Or, durant la seconde
guerre mondiale, nous avons eu la chance de voir des usines comme Messier,
Dassault ou Turbomeca s'implanter dans notre zone, pour fuir le nord de la
France et échapper ainsi aux bombardements. Or ces usines veulent
aujourd'hui quitter la région car elles sont confrontées à
des problèmes de communication. Nous pouvons citer le cas avec la
Vallée d'Aspe, où l'usine japonaise Alcantoyo, qui fonctionne
très bien, avec une main d'oeuvre qualifiée, mais
également Messier Fonderie à Arudy, ou Messier Bidos à
Oloron. Dans le même temps, on évoque la réouverture de la
ligne Pau-Canfranc, sur une voie ferrée locale, alors qu'un bon coureur
cycliste parviendra, en vélo, bien avant le train à Canfranc. Les
usines ne s'intéressent pas à ce type de décision, mais
ont besoin de moyens de communication rapides. Le problème de
l'implantation des réseaux de téléphones mobiles s'inscrit
dans ces difficultés de communication. Or ce sont les écologistes
qui bloquent cette évolution. Lorsqu'un projet de construction de route
est annoncé, ils s'y opposent parce qu'ils trouvent une libellule ou un
ver à protéger. Ainsi, nous gaspillons des millions d'euros sans
pour autant faire évoluer les choses. Dans mon propre secteur, lorsque
je quitte ma commune pour me rendre au chef-lieu de canton, à deux
kilomètres de distance de mon logement, je ne peux plus
téléphoner chez moi car la communication ne passe pas. En effet,
nous ne pouvons pas implanter des relais de téléphonie mobile
parce que les écologistes s'y opposent. Ainsi, faute de communications,
de routes, le pays se vide. Nous avons créé de la vie dans notre
petite commune, mais les habitants ont besoin de services, en plus de la
beauté de la ville, pour demeurer sur place. Or, ils sont souvent
confrontés à des problèmes de transport pour se rendre sur
leur lieu de travail, car les routes ne sont pas aménagées et
qu'aucun moyen de communication n'est mis à leur disposition.
M. Henri Savornin -
Je suis tout à fait d'accord avec vous. En
effet, nos massifs drainent depuis quelques années des RMIstes et des
chômeurs. Ce n'est pas la solution, pour assurer la vie en montagne, et
nous avons besoin d'installer des actifs qui eux-mêmes ont besoin de
moyens de communication. Par ailleurs, je souhaitais aborder la question des
pays. En France, et ceci est assez caractéristique de l'esprit
français, pour pallier tout dysfonctionnement, on crée une
structure. Après avoir constaté que le comité de massif ne
fonctionnait pas, on parle de créer des pays. On déplace donc le
problème et on nous demande de réunir dans des pays 10 000
ou même 60 000 habitants, plutôt que de conserver une
zone qui, dans nos montagnes, est naturellement délimitée , on
nous oblige à passer d'une montagne à l'autre et à
englober dans cette zone une ville. Une fois de plus, le secteur rural n'est
pas écouté. Je me suis moi-même rendu dans l'une des
réunions organisées dans ce cadre. Sur 43 maires
réunis, nous trouvons toujours les agitateurs et les animateurs qui
apportent certains éléments de discussion, mais nous avons
seulement été deux à prendre la parole pour
élucider les problèmes. Cela représente une sacrée
évolution de la démocratie dans nos pays !
Je pense que le fait de créer des hameaux ou des quartiers à
l'intérieur des villes peut permettre d'améliorer la
démocratie locale mais je ne pense pas que ce soit utile dans nos
montagnes. Je voudrais profiter du fait que nous changeons actuellement de
ministres et prochainement de députés pour poser la question de
savoir s'il est préférable de poursuivre cette politique jusqu'en
2003, date à laquelle les contrats de plan seront accrochés
à des pays, ou, pour simplifier la vie des montagnards, s'il ne vaut pas
mieux en rester aux structures intercommunales qui ont été mises
en place et qui ont bâti et exécuté des contrats de plan.
Néanmoins, il s'agit d'une opinion très personnelle.
M. Jean Boyer -
Vous nous avez cité l'exemple d'un
développement personnel réussi. Or ceci n'est pas le cas dans
toutes les zones de montagne car il n'est pas toujours facile de maintenir le
commerce dans ces zones et donc d'y créer de l'emploi. Ne pensez-vous
pas, en termes de maintien du commerce ou de l'artisanat, qu'il faudrait mettre
en place une politique de la montagne plus offensive ? Ne pensez-vous pas
qu'une aide différenciée serait nécessaire pour
l'installation des artisans en zone de montagne ? En effet, l'artisanat
est devenue la plus grande entreprise de France et le nombre d'artisans, dans
mon département, a dépassé celui des agriculteurs.
Toutefois, l'artisanat est localisé dans les villes et non dans les
campagnes. Or une politique d'installation de l'artisanat en zone rurale
permettrait d'y remédier.
M. Henri Savornin -
Nous devons tenir compte du coût de
l'installation. En effet, le prix du sac de ciment est doublé entre le
point le plus bas du département et ma commune. Ainsi, le coût de
revient de l'installation est d'environ 30 % plus cher à partir de
1 000 mètres d'altitude. C'est la raison pour laquelle les
départements et les régions ont créé des fonds
d'intervention qui octroient 30 % d'aide pour ces installations. Il
s'agit du seul moyen de diminuer la charge fixe liée à cette
installation. Je peux évoquer par ailleurs la question de
l'investissement hôtelier ou celle de la réhabilitation des
logements. En effet, si, pour cette réhabilitation, nous ne consentons
pas 30 à 40 % de fonds publics, nous ne pourrons pas faire
évoluer notre parc immobilier, car les avantages fiscaux ne suffisent
pas à déclencher l'investissement. Si nous voulons mobiliser
l'épargne locale, un apport de l'Etat, de l'Europe ou de la
région est nécessaire pour démarrer. Ainsi, dans ma
commune, environ 400 logements mériteraient une
réhabilitation, mais aucun propriétaire ne prendra le risque
d'investir s'il n'est pas substantiellement aidé au départ. Or
l'argent placé de cette façon est rentable à court terme
car il permet de créer des emplois. Je peux citer l'exemple de
l'évolution des aides dans cette commune. En effet, il y a 25 ans, nous
lui apportions 2 286 euros chaque année au budget du
département ; nous apportons aujourd'hui 228.600 euros, mais le
département n'a apporté que 457.200 euros en 25 ans. Ainsi,
l'argent placé par le département et l'Etat constitue un
investissement productif non seulement en terme de rentabilité mais
également en terme d'emploi et d'activité.
M. Jean-Paul Amoudry -
Si vous n'avez pas d'autre question, je
suggère un échange concernant la dernière question
posée à M. Savornin à propos du colloque, organisé
en 1997, sur la place et le rôle des femmes dans les communes
montagnardes. Ce point mérite-t-il des commentaires ?
M. Henri Savornin -
Je vous adresserai le rapport réalisé
suite à ce colloque. Ce débat a éveillé le
sentiment d'une recherche nécessaire dans ce cadre. Néanmoins,
nous avons constaté un certain progrès car les jeunes filles
trouvent plus facilement du travail dans nos stations qu'auparavant. Il existe
donc une volonté de les faire entrer dans le cadre de la
pluri-activité. Ainsi, là où nous avions, en station, une
ou deux femmes travaillant aux remontées mécaniques ou à
l'accueil, nous en employons aujourd'hui une dizaine, du fait de cette
évolution de l'état d'esprit. Nous avons réalisé
cette étude sur un certain nombre de cantons et je vous en communiquerai
les résultats.
M. Jean-Paul Amoudry-
Je vous remercie, M. Savornin, au nom de la
mission et en mon nom personnel et nous ne manquerons pas de vous tenir
informé de l'état d'avancement de notre mission et, le cas
échéant, de lui demander certains éclaircissements.
M. Henri Savornin -
Je vous demande de pardonner mes insuffisances et
mes vérités personnelles. Nous tenterons de vous montrer, dans
notre commune, les applications de la loi Montagne au sein de nos massifs.
10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Bonjour Monsieur Sournia. Nous vous avons
contacté dans le cadre de notre mission d'évaluation de la
politique de la montagne, que le Sénat a décidé de
constituer en février dernier, à la fois pour mettre à
profit la période de cette année internationale de la montagne,
au cours de laquelle des échéances électorales
démocratiques nous ont obligés à suspendre les travaux
législatifs du Sénat, donnant aux sénateurs ici
présents l'occasion de s'arrêter sur la politique de la montagne,
et en particulier sur l'application de la loi de 1985. Sont présents
aujourd'hui les sénateurs de l'Isère, de l'Ain, de la
Haute-Loire, du Cantal, de la Haute-Savoie, qui sont tous membres de cette
mission, dont le Président est Monsieur Jacques Blanc, Sénateur
de Lozère, aujourd'hui excusé, et dont je suis le rapporteur.
Notre projet est de déposer les conclusions de notre mission au
début du mois d'octobre prochain, de rédiger notre rapport dans
le courant du mois de septembre, et donc de travailler par auditions et visites
sur le terrain d'ici à la fin du mois de juillet. Notre mission comporte
trois angles d'investigation : l'aspect aménagement, l'aspect
protection de l'environnement et l'aspect économie et emploi.
Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre du thème de la protection
des Alpes. Vous allez vous présenter à nous et nous vous
proposons d'échanger par la suite avec nous. Vous nous avez
également déposé des contributions écrites et je
pense que votre apport sera très utile à nos travaux.
M. René Sournia -
Je vous remercie de m'avoir invité. Je
suis Président de la Commission internationale pour la protection des
Alpes pour la France. La CIPRA est une ONG très ancienne, puisqu'elle
fête ses 50 ans cette année. Pierre Bontemps est le
Vice-Président de la CIPRA et il a également des
responsabilités au sein du Club Alpin Français. La CIPRA est
à l'origine de la convention alpine, signée par les États
de l'arc alpin, de l'Union Européenne ainsi que par Monaco, qui a
rejoint cette convention plus tard. Mais la CIPRA ne se situe pas uniquement en
tant qu'organisation de défense de l'environnement. Elle prend
également en compte les dimensions économique ou sociale des
dossiers. Dans ce cadre, des conflits peuvent être possibles avec les uns
et les autres, mais ceci permet également des échanges
d'idées, dans le cadre d'un débat démocratique. Notre but
est de parvenir à ce que la convention alpine se concrétise. Nous
avons donc lancé pour la CIPRA un réseau de communes, dans lequel
nous voulons mettre en pratique, avec les élus, le développement
durable en montagne, plutôt que de nous en tenir à de simples
discours.
Souhaitez-vous que nous abordions des sujets particuliers dans le cadre de
cette présentation ?
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous propose de balayer les questions que nous
souhaitions vous poser, concernant notamment le dernier rapport sur
l'état des Alpes.
M. René Sournia -
Nous vous avons fait parvenir un exemplaire de
ce rapport, avec les réponses écrites à vos questions.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous pourriez nous présenter les
principales positions de la CIPRA sur les propositions de protocoles
« transports » et « population et
culture », mais également sur la question des risques et
nuisances dans le secteur du transport interalpin et alpin, ainsi que sur les
enjeux de la politique énergétique pour les Alpes, qui
constituent les trois points essentiels pour une bonne information de la
mission. Vous pourriez, pour commencer, rappeler les principaux axes de la
convention alpine.
M. René Sournia -
Les principaux axes de la convention alpine,
qui a été signée par l'ensemble des états de l'arc
alpin et de l'Union Européenne, sont les suivants : protection de
la nature et entretien des paysages, agriculture de montagne,
aménagement du territoire et développement durable,
forêts de montagne, tourisme, énergie, protection des sols et
transports.
Concernant les problèmes de transport, notre démarche s'inscrit
parfaitement dans l'actualité. En effet, une manifestation a eu lieu
avant-hier à Chamonix pour refuser l'entrée des camions dans le
tunnel du Mont-Blanc. Je précise que ce ne sont pas les riches
Haut-Savoyards de Chamonix qui refusent le passage des camions chez eux pour
éviter la pollution, acceptant ainsi qu'ils soient présents dans
la Vallée de la Maurienne. En effet, il s'agit d'un combat plus global,
pour dire non aux camions dans toute la région. Il est important de
remettre les choses à leur place car certains élus de la
Maurienne avaient tendance à stigmatiser les Chamoniards. Pour notre
part, nous sommes très défavorables à la politique du
« tout routier » actuellement en place et nous souhaitons
que le rail soit préféré à la route.
Malheureusement, les gouvernements n'ont pas pris la mesure du drame du tunnel
du Mont-Blanc survenu il y a trois ans. En effet, ils n'ont pas
exploité, durant ces trois années, les propositions qui ont
été faites pour transférer une partie des marchandises sur
le rail. Or ce transfert aurait pu avoir lieu en une ou deux années pour
40 % des marchandises, ce qui aurait permis de soulager le trafic de la
Maurienne. Ainsi, pour le transport international, nous prônons
l'utilisation du rail en ce qui concerne le transport de marchandises.
Le problème du transport local, qui représente 85 % des
marchandises, se pose également, de même que celui du transport
journalier des individuels, du fait d'un déficit d'offres au point de
vue cadencement et confort pour le rail voyageurs. Nous pensons qu'il serait
nécessaire de transférer des pouvoirs aux régions,
à condition de leur transférer aussi les moyens financiers, afin
que, localement, les élus, les usagers, ainsi que les partenaires comme
la SNCF ou les compagnies de cars, puissent développer une offre plus
importante. Je citerais l'exemple du sillon alpin, où, depuis Chamonix
ou Genève jusqu'à Grenoble, nous assistons à un flot
continu de voitures du matin au soir, dans le cadre d'une urbanisation
outrancière qui rend de plus en plus difficile la relance du rail,
d'autant plus qu'il n'existe pas de volonté politique assez forte dans
ce sens. Ainsi, les transports TER ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Par ailleurs, nous sommes confrontés au problème du transport des
touristes vers les stations. Nous devons faire un effort important dans ce
sens. Pour cela, nous pourrions prendre exemple sur le Valais, en Suisse,
où l'on peut arriver en train de tous les pays d'Europe, sauf de France,
si ce n'est avec le TGV hiver Paris-Lausanne. Or il est anormal que nous ne
puissions pas avoir une offre dans ce sens, alors qu'à l'arrivée
des trains, dans chaque gare suisse, des cars amènent les touristes vers
les stations. Neuf stations du Valais proposent même des remontées
mécaniques pour aller directement de la vallée vers la station.
Ceci permet d'empêcher la circulation de voitures dans la station. Or il
s'agit d'un enjeu économique à venir car les touristes souhaitent
de plus en plus sortir de l'urbanisation, qu'ils connaissent durant
11 mois de l'année, pour se rendre dans une zone où ils ne
sont pas confrontés aux contraintes des voitures.
Concernant la politique énergétique en montagne, il est
évident que nous ne pouvons pas supprimer le nucléaire d'un
revers de la main. Nous pouvons envisager de sortir du nucléaire sur
trente ans, comme l'ont prévu les Allemands. Néanmoins, nous
pouvons travailler sur des économies d'énergie, ce thème
étant lié à celui des transports, qui dépensent
beaucoup d'énergie. Nous devons travailler sur les énergies
renouvelables. En effet, en montagne, nous disposons du soleil, mais
également du vent, dans certaines zones, et surtout de surfaces
importantes de forêt, que nous pouvons utiliser aussi bien pour le
chauffage que pour l'eau chaude. Nous pouvons en cela nous inspirer de
l'exemple de l'usine qui développe du chauffage collectif avec du bois,
à Faverges ou aux Gets. Nous pouvons également utiliser
l'énergie solaire en montagne à partir d'une certaine altitude
pour obtenir de l'électricité comme cela se fait dans les
refuges. Ainsi, des recherches sont possibles pour développer des
énergies renouvelables, afin d'être plus indépendant des
énergies fossiles extérieures sur le plan national et
européen, et de réduire les pollutions et l'effet de serre.
Vous m'avez également interrogé sur les conditions d'un
développement de l'activité touristique en montagne et sur la
compatibilité avec la protection de l'environnement. Nous pouvons citer,
par exemple, la solution choisie par les Allemands, dans certaines zones,
où l'on interdit l'escalade. Toutefois, côté
français, nous sommes défavorables à une telle
démarche. Même s'il est vrai que l'escalade peut présenter
certains risques pour l'environnement montagnard, néanmoins, nous
pouvons en discuter avec les grimpeurs afin d'établir des
périodes précises d'autorisation de l'escalade, et limiter cette
pratique durant les périodes critiques de nidification. En effet, nous
pensons que la politique d'interdiction développée en Allemagne
repousse simplement le problème, puisque les Allemands viennent
désormais pratiquer l'escalade en France, d'où une surpopulation
dans certaines zones, et la destruction de certaines falaises. Par ailleurs, la
venue de ces personnes en voiture suscite une pollution plus importante. Ainsi,
une décision qui semble, à la base, écologique peut
susciter des dégâts supplémentaires en termes
d'environnement.
En revanche, nous avons réfléchi aux conséquences des
activités touristiques en montagne. Nous pensons que nous devons
travailler avec les professionnels du tourisme, depuis le guide de montagne
jusqu'au tour operator, afin de les sensibiliser à l'éducation du
touriste. En effet, le touriste vient en montagne pour se détendre et se
faire plaisir et non pour détruire. Il n'imagine donc pas que, lorsqu'il
pratique le rafting, il détruit les frayères à poisson, ce
qui entraîne des conflits avec les pêcheurs. En effet, ces derniers
se plaignent de la multiplication des lâchers d'eau organisés par
EDF dans le cadre de la pratique de rafting et de canyoning, ce qui
entraîne la destruction des fonds où se trouve la faune
microscopique qui sert de nourriture aux poissons. Néanmoins, il ne
semble pas judicieux d'interdire l'accès à une rivière. Un
travail de sensibilisation est donc nécessaire auprès des
professionnels pour leur expliquer que ces activités peuvent être
acceptées pour certaines périodes de l'année, mais pas
pour d'autres.
Il en est de même pour les utilisateurs de VTT que nous parvenons, petit
à petit, à canaliser, afin qu'ils n'utilisent que des chemins
bien précis. Pour cela, tous les professionnels doivent travailler
ensemble afin d'être formés sur ces problèmes
d'environnement et de transmettre cette information aux touristes. Ainsi,
dans les conclusions d'un travail effectué par le Groupe Montagne de
l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 1998, nous
avons préconisé la présence, dans chaque
département, de conseils lorsque la création d'activités
nouvelles est prévue. Entre temps, la loi de juillet 2000 sur le
sport a créé ces structures. Aujourd'hui, les associations
d'environnement, ou les associations d'activités sportives de plein air,
entrent dans ces structures qui sont sous la coupe du président du
conseil général. Nous sommes très satisfaits de la
présence d'une telle structure qui peut permettre de faire
évoluer ces activités vers un plus grand respect de
l'environnement. En effet, un certain aménagement du territoire est
nécessaire, mais il faut également tenter de maintenir les
populations en montagne pour éviter que la montagne ne devienne une
simple zone permettant aux urbains en mal d'oxygénation de se
défouler.
La CIPRA souhaite qu'il y ait un arrêt des créations de
remontées mécaniques et pistes de ski dans les zones encore non
dénaturées. Nous demandons également un arrêt des
créations de production de neige artificielle. Il nous semble utile et
urgent d'avoir un débat de fond sur ce genre de développement au
vue des nouvelles tendances des souhaits de la clientèle touristique
mais aussi, et surtout, du fait des changements climatiques à venir et
leurs conséquences environnementales, économiques, sociales et en
termes de risques naturels accrus.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur Sournia. Mes chers
collègues, avez-vous des questions à poser à notre
invité ?
M. Jean Boyer -
Je souhaite faire une observation concernant les
énergies renouvelables. Pensez-vous que, sur le plan pratique, nous
pouvons revenir à l'utilisation du bois, dans une société
où nous aspirons tous à plus de facilité, sachant que le
travail en forêt suscite des problèmes importants de main
d'oeuvre ? En effet, nous constatons que les personnes qui ont longtemps
travaillé en forêt, et qui atteignent un certain âge,
partent travailler dans le gaz ou l'électricité.
D'autre part, concernant la maîtrise des transports routiers, il est vrai
que les régions ont la compétence ferroviaire depuis le
1
er
janvier en termes d'acquisition des véhicules.
Toutefois, sur nos routes régionales, circulent les véhicules de
la région, mais également des véhicules étrangers
dans le cadre d'un trafic national et international. Ainsi, il me semble qu'il
serait judicieux de proposer, ceci permettant sans doute d'entrer dans un
débat plus constructif, de mettre sur rail les camions effectuant une
très longue distance. En effet, les régions n'ayant pas la
maîtrise des circuits courts, une telle décision est très
difficile à mettre en pratique dans ce cadre.
M. René Sournia -
Effectivement, sur le plan régional, je
ne vois pas comment nous pourrions développer le transport ferroviaire.
Or ce transport régional représente 85 % du transport. En
revanche, pour le transport sur longue distance, nous pouvons faire
évoluer les choses, mais, pour cela, une volonté politique est
nécessaire. Or, aujourd'hui, nous constatons qu'entre 30 et 40 %
des camions roulent à vide, ce qui pose le problème des flux
tendus en termes de circulation des marchandises. Nous devons donc parvenir
à établir une vérité des coûts afin de faire
évoluer cette politique de transports. Par ailleurs, l'externalisation
des coûts doit être réalisée au niveau
européen, en bloquant l'arrivée des chauffeurs routiers venant de
l'Europe de l'Est, qui sont souvent payés à l'heure
roulée. Ainsi, lorsque ces chauffeurs se voient infliger des amendes par
les gendarmes pour avoir dépassé le quota d'heures
autorisées, ils les paient de leur poche et ils en arrivent ainsi
à devoir de l'argent au patron. C'est la raison pour laquelle le
patronat routier est d'accord pour généraliser le rail et pour
externaliser les coûts, à condition que ceci soit
régulé au niveau européen afin d'éviter la
concurrence sauvage des chauffeurs routiers d'Europe de l'Est. En effet,
lorsque ces chauffeurs sont payés 305 euros, ils sont satisfaits,
en comparaison de ce qu'ils gagnent chez eux. Tout ce système doit donc
être revu, ce qui suppose un travail de fond qui dépasse le simple
cadre de la montagne.
Concernant la question du bois en termes d'énergie de chauffage, nous
sommes confrontés au problème du prix du bois. En effet, nous
manquons de main d'oeuvre dans ce domaine. Or nous pouvons nous demander
pourquoi l'Education Nationale, au lieu d'amener 80 % d'une classe
d'âge au bac, n'oriente pas certains élèves vers le travail
manuel, qui n'est pas dévalorisant. En effet, un département
comme la Haute-Savoie manque cruellement d'apprentis menuisiers et
charpentiers, et les rares jeunes qui se lancent dans ce domaine sont attendus
par des patrons dès la fin de leurs études. Par ailleurs se pose
le problème du transport du bois, puisque nous constatons que le bois
qui vient de Scandinavie est moins cher que le bois qui est exploité en
France. Il s'agit donc d'un problème de régulation, lié au
problème du coût des transports, qui n'est pas totalement
internalisé. Enfin, un autre problème se pose : celui de
l'habitat proprement dit. Or, dans la construction, le bois est beaucoup moins
cher en consommation d'énergie que le béton. Nous pouvons donc
utiliser ce bois pour faire de la construction, et nous devons tenter de
travailler dans ce sens. En effet, il est anormal que de nombreuses communes
qui disposaient de ressources très importantes grâce au bois,
aient vu ces ressources diminuer de 80 % parce que le bois ne leur
rapportait plus, alors que des forêts envahissent ces communes, en
l'absence de pâturages. Une réflexion de fond semble donc devoir
être menée dans ce sens.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je souhaitais vous poser deux questions. La
première est la suivante : avez-vous un point de vue ou un avis
comparé sur les deux formules de protection que sont d'une part la
formule centralisée du parc naturel, et d'autre part la formule
décentralisée de type espace Mont-Blanc ? Pourriez-vous nous
présenter les avantages et les inconvénients de ces ceux
formules ?
Ma deuxième question est la suivante : nous avons été
un certain nombre au Sénat à émettre l'idée d'une
action préventive et de responsabilisation de tous les praticiens de la
montagne, qui courent des risques de façon irréfléchie et
qui font multiplier les opérations de secours de toutes sortes. En
effet, certaines personnes vont se défouler au sommet d'une montagne et,
lorsqu'elles sont trop fatiguées pour redescendre, elles appellent les
secours depuis leur téléphone portable. Or ceci coûte
très cher à la nation. Il est vrai que cette pratique concerne
essentiellement une certaine partie de la montagne, notamment les Alpes ou les
Pyrénées et qu'elle se rencontre peut-être moins dans le
Massif Central ou les Vosges, mais il s'agit d'une tendance forte. Seriez-vous,
en tant que protecteur, favorable à l'avancée d'une telle
pratique, encadrée et gérée sous l'autorité des
communes, vue sous un angle préventif, afin de responsabiliser les
gens ?
M. René Sournia -
Je pense qu'au-delà de l'activité
en montagne, nous retrouvons de telles pratiques à risque en mer. Or il
s'agit d'un problème de fond de refus des responsabilités des
individus. J'ai, pour ma part, réalisé des ascensions en
solo, mais j'ai toujours dit à ma famille qu'elle ne devrait en aucun
cas attaquer une quelconque autorité en cas d'accident. J'ai
moi-même perdu ma seconde épouse en montagne mais je ne m'en
prends qu'à moi-même en me disant que j'ai dû commettre une
erreur au cours de notre ascension.
M. Jean-Paul Amoudry -
Malheureusement, tout le monde ne réagit
pas comme cela et, même si vous signez une décharge, les secours
sont tenus d'intervenir en cas d'accident. Dans notre société, la
mécanique de secours est obligatoire et suscite un coût important.
Or nous devons trouver un moyen de sensibiliser les personnes en leur indiquant
que des frais importants seront occasionnés si elles encourent des
risques inconsidérés. Cette démarche n'est pas un frein au
secours, que nous ne remettons pas en cause, puisque le secours est inscrit
dans la Constitution. Il s'agit simplement d'un moyen préventif.
M. René Sournia -
Dans le cadre du club alpin français
(CAF), nous sommes confrontés à ce problème. En effet,
certains représentants du CAF ont été traînés
devant les tribunaux car ils étaient soupçonnés d'avoir
pris des risques suite à certains accidents. Nous avons pu
récemment lire dans la presse le cas de Polonais qui, alors que le
mauvais temps était annoncé, ont décidé de
réaliser quand même l'ascension du Mont-Blanc. Or ils ont fait
prendre des risques inconsidérés aux secouristes. Nous pouvons
également citer l'affaire de la Vanoise, qui a eu lieu il y a quatre ou
cinq ans. Pour ma part, j'étais partisan de ne pas intervenir car ces
personnes avaient décidé, contre vents et marées, de
partir en montagne, alors qu'on leur avait dit que la situation était
dangereuse. J'estime que, dans ce cas, les gens doivent prendre leurs
responsabilités pour rentrer. Tel est mon point de vue. Par ailleurs, le
problème du paiement des secours est très complexe. En effet,
nous sommes assurés en cas d'accident en voiture. De la même
manière, dans le cadre du CAF, nous proposons une assurance obligatoire
qui inclut l'adhésion, mais nous ne nous laissons pas pour autant aller
à faire n'importe quoi, même si certaines personnes nous le
demandent. Nous tentons d'informer les personnes en demandant des informations
à la météo, aux guides... Mais je pense qu'il faut
responsabiliser les gens et que ceci ne peut se faire que financièrement.
Concernant la question de la protection de l'environnement, je pense que, dans
la mesure où des protections fortes sont instaurées, dans le
cadre de parcs nationaux, ou de réserves naturelles, cela signifie que
l'homme a échoué. En effet, l'homme n'a pas été
capable de gérer suffisamment les ressources naturelles pour ne pas trop
en dépenser ou en détruire. Ainsi, je considère que la
création d'un parc national ou d'une réserve naturelle constitue
la preuve que l'homme a fait des erreurs et qu'il a pris des décisions
qui ne sont pas logiques par rapport à l'environnement. Dans ce cadre,
je reviendrai sur le cas de l'espace Mont-Blanc. J'ai vu la naissance de cet
« Espace Nature Mont-Blanc » avec beaucoup d'espoir en 1992
ou en 1993, mais nous nous sommes vite aperçu qu'il s'agissait
simplement d'une « pompe à fric ». En effet, je
pense que certains élus n'y ont vu que cela. Par ailleurs, l'Etat n'a
pas eu le courage de dire aux élus qu'ils devaient agir dans certaines
directions, en donnant une certaine impulsion. Ainsi, l'Etat a trop
laissé faire. Au final, cet espace Mont-Blanc n'a accouché
d'aucune décision, ce que je regrette profondément. En effet, les
différentes associations comme le Club Alpin Français, la CIPRA,
ou encore un regroupement d'associations italiennes, suisses et
françaises sur le développement durable souhaitaient faire de cet
Espace Mont-Blanc transfrontalier un symbole en Europe de ce qu'aurait pu
être le développement durable. Or nous avons échoué.
Selon moi, aujourd'hui, il n'y a plus rien à faire pour sauver le massif
du Mont-Blanc car de nombreuses zones ont été saccagées.
Ainsi, le fait de ne plus toucher à cet espace contribue
déjà à le protéger.
En revanche, le concept de sites décentralisés, comme le sont les
parcs régionaux, me semble être une bonne idée, qui a fait
ses preuves, notamment dans le Parc des Bauges ou dans le Parc du Queyras. En
effet, l'homme a été mis au coeur du projet, et l'on prend le
temps de discuter avec tous les acteurs concernés, afin qu'une
confrontation ait lieu. Dans ce cadre, de telles structures peuvent
déboucher sur un projet intéressant, comme ceci a
été le cas pour la Chartreuse ou les Bauges. A l'inverse,
l'exemple du parc du Mercantour, qui, dans les années 70, a
été imposé à la population, est un très
mauvais exemple. Ainsi, 25 ans après, il suscite toujours un rejet de la
part de la population locale. Or, au-delà du combat concernant la
réintroduction des loups, il s'agit d'un refus de cette intervention
étatique autoritaire.
M. Jean-Paul Amoudry -
Pour conclure, pouvez-vous nous présenter
le réseau de communes « Alliance dans les
Alpes » ?
M. René Sournia -
Le but de ce réseau est de faire
appliquer la convention alpine sur le terrain. Nous ne souhaitons pas expliquer
aux élus ce qu'ils doivent faire, mais simplement leur proposer de
visiter certains villages pour observer les réalisations qui y sont
développées. Nous avons réalisé certaines visites
en France durant le mois de mai l'année dernière, puis durant le
mois d'octobre. Ainsi, nous avons organisé, pour les élus, la
visite d'un village du Valais, Saint-Martin. Les élus de ce village
songeaient à mettre en place des remontées mécaniques,
puis, après discussion avec la population, et notamment les milieux
économiques de la vallée, ils ont décidé de
repartir sur d'autres bases en développant l'agriculture et en aidant
les agriculteurs à se maintenir en place. Par ailleurs, ils ont
transformé des alpages en gîtes d'étape. Cette
décision a permis de faire travailler les artisans locaux. Ainsi, la
dynamisation du village a été permise simplement à partir
du local. Or il s'agit d'un exemple de développement durable très
intéressant. Notre but est donc de mettre en réseau ces
différentes communes, qui sont au nombre de 130 pour tout l'arc
alpin, afin qu'elles voient ce qui se fait ailleurs. En outre, ce réseau
permet d'apporter une aide technique à ces communes en termes de
secrétariat, d'ouverture de comptes pour des financements, de
réalisation d'audits dans le cadre de cabinets conseil, mais il ne
s'agit surtout pas de leur donner des directives. Il s'agit simplement d'une
aide à la confrontation et à la concertation avec d'autres
communes mais ce sont les élus locaux qui doivent développer leur
projet concrètement.
Par ailleurs, l'agriculture me semble constituer l'un des maillons importants
de la montagne. Or, au sein de la CIPRA, nous pensons que la Politique Agricole
Commune doit être revue, pour aller vers des aides à la
qualité et pour se tourner vers les jeunes agriculteurs, afin de les
maintenir, mais également de les former pour qu'ils viennent à
l'agriculture de montagne. En effet, nous nous apercevons que les agriculteurs
qui vieillissent quittent la profession sans être remplacés, et
que, dans quelques années, nous n'aurons presque plus d'agriculteurs
dans nos montagnes, si ce n'est pour faire du folklore dans le paysage. Or ce
n'est pas le folklore qui fait vivre la montagne.
Pour conclure, je dirais que, si nous regardons la composition du nouveau
gouvernement, nous constatons que Monsieur Gaymard, élu de la Savoie,
est, entre autres, Ministre de la Pêche. Or, si je ne pense pas qu'il
soit incompétent dans ce domaine, je trouve quelque peu ennuyeux de voir
qu'il n'existe jamais un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors
que 43 départements en France sont directement touchés par
la montagne contre seulement un peu plus de 30 départements
touchés par la mer. Il n'est donc pas normal que, dans ce gouvernement,
comme dans tous les autres gouvernements précédents, il n'existe
pas au moins un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors
même que nous avons une loi Montagne.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur Sournia pour votre contribution,
qui a enrichi très utilement nos travaux.
11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie de votre présence et d'avoir
fait le déplacement depuis Challes-les-Eaux pour vous rendre à
Paris et rejoindre le Sénat. La mission sénatoriale d'information
sur la montagne a été constituée au mois février
dernier et permet aux sénateurs de profiter de la période
électorale, qui les prive en quelque sorte du travail législatif
habituel, pour se consacrer à ces sujets. Nous profitons
également de l'année internationale des montagnes pour faire le
point sur l'application de la loi du 9 janvier 1985 et sur les textes
ultérieurs, qui ont pu venir corriger cette loi fondamentale. Une fois
le bilan dressé, notre second objectif consiste à moderniser
cette loi et à déterminer les adaptations à proposer au
législateur qui entrera en fonction dans quelques semaines, ainsi
qu'à l'actuel et au futur Gouvernement. Je suis heureux que vous
puissiez nous faire part de votre expérience et de votre avis sur une
partie importante de la loi, à savoir les volets du tourisme et de
l'équipement, qui font partie des socles de ce texte. D'avance, je vous
remercie de nous faire part de vos avis, à partir de la grille de
questions que nous vous avons préalablement adressée.
M. Philippe Martin
- Je tiens à signaler que je ne
représente pas, dans cette instance, le secrétariat d'état
au Tourisme. En effet, mes propos n'ont pu être validés
étant donné que je n'ai pas pu les soumettre à une
quelconque autorité. Par contre, je veillerai à ce que les
réponses écrites au questionnaire, soient validées.
Le service d'études et d'aménagement touristique de la montagne
(SEATM) a été créé pour concevoir et mener les
procédures visant à la création,
ex-nihilo
, de
stations de sport d'hiver. Au cours des dernières années, la
mission première du SEATM a beaucoup évolué. Sans perdre
la compétence en matière de domaines skiables, de nombreuses
évolutions sont intervenues dans le domaine des activités de
pleine nature et nous avons fait de gros progrès sur la connaissance des
clientèles et de leurs attentes. Depuis deux ou trois ans, nous nous
penchons aussi sur un gros dossier qui est celui de la moyenne montagne, mais
ce dossier nous laisse assez perplexes.
Mon exposé s'articulera en quatre points et reprendra les principales
questions posées dans le questionnaire. Nous étudierons
premièrement la question des indicateurs en regardant la
fiabilité des mesures qui sont réalisées dans ce domaine.
Nous verrons quelle est la représentation de l'activité de
tourisme en montagne. Deuxièmement, nous traiterons des extensions de
domaines skiables en nous penchant plus particulièrement sur l'avenir
des petites stations. Troisièmement, nous aborderons une question
fondamentale, qui est celle de l'évolution des attentes de la
clientèle et de la nature de ces évolutions. Enfin, nous
aborderons les questions de freins ou de blocages et des perspectives de
progrès. Selon moi, ces perspectives concernent davantage les textes
d'application que la loi Montagne elle-même.
Pour l'instant, nous ne disposons que d'un seul indicateur véritablement
fiable. Il porte sur l'activité des remontées mécaniques.
Cet indicateur est très fiable et très réactif. Chaque
saison hivernale est découpée en cinq périodes (trois
périodes de vacances scolaires et deux périodes inter-vacances).
Nous connaissons les résultats précis de la situation
rencontrée sur chacun des massifs de montagne dans les deux à
trois semaines suivant la fin de chaque période. Ce système
fonctionne bien dans la mesure où la profession est remarquablement bien
organisée, à travers le syndicat national des
téléphériques de France (SNTF). Qu'il s'agisse de la
conception du système ou du travail de collecte, nous avons à
faire à des interlocuteurs fiables et bien organisés.
Aujourd'hui, le travail de collecte est informatisé, à travers le
serveur du SNTF, dans lequel nous allons directement chercher les informations
dont nous avons besoin, et qui sont traitées et re-diffusées.
Même si les circulaires prises de 1994 à 1997, qui traitaient des
aides aux stations en difficulté, notamment par manque de neige, ont
indiqué que l'activité des remontées mécaniques
était représentative du tourisme hivernal en montagne, cela est
de moins en moins vrai, et pas seulement en Haute-Savoie. Aujourd'hui, nous
manquons cruellement d'indicateurs fiables et représentatifs pour les
autres acteurs du tourisme et notamment en ce qui concerne les
hébergements (surtout les meublés). Un certain nombre d'acteurs
s'est mobilisé pour trouver des palliatifs. C'est notamment le cas de
l'Observatoire National du Tourisme (ONT) qui, en partenariat avec
l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et
d'été, a monté un système d'observation. C'est
aussi le cas de l'ANEM qui a créé le bureau d'études
Comète. Mais dans le cas de l'ONT, nous sommes confrontés
à une fiabilité inégale des sources. Le recul est
également insuffisant et la pondération absente. Dans le cas de
l'ANEM, la représentativité des territoires est inexistante
puisque le nombre de stations suivies très précisément par
le bureau d'étude Comète est extrêmement limité. Une
piste de progrès pourrait consister à exercer une certaine
pression sur la profession, et notamment sur la FNAIM et sur les
différents syndicats hôteliers, pour qu'ils acceptent
l'instauration d'un dialogue permettant de constituer un panel
représentatif, basé sur une approche scientifique, et la mise en
place d'un système de collecte. Evidemment, le SEATM pourrait prendre en
charge le traitement ultérieur des données recueillies. Pour le
moment, nous disposons des méthodes mais nous manquons d'interlocuteurs
pour organiser le système.
Par ailleurs, le secrétariat d'Etat au Tourisme ne dispose d'aucun
indicateur fiable pour appréhender la situation en montagne
rencontrée en été. Je rappelle que le chiffre d'affaires
touristique global de l'été est supérieur au chiffre
d'affaires hivernal, même s'il ne porte pas sur le même territoire.
En montagne, l'économique touristique estivale est encore plus
importante qu'en hiver (+ 10 %).
Dans le domaine du ski, nous avons la connaissance des chiffres d'affaires
réalisés et nous connaissons assez bien la fréquentation
de chaque domaine skiable (nombre de journées skieurs), son utilisation
par les skieurs (les passages), mais nous ne connaissons pas vraiment le nombre
de skieurs. En effet, les exploitants des remontées mécaniques
commencent depuis peu à s'intéresser à l'identification de
leurs clients. A partir du seul nombre de clients fréquentant le domaine
skiable, nous ne pouvons pas déduire précisément le nombre
de skieurs. De ce point de vue, nous avons de grandes difficultés
à connaître le marché, en termes de nombre de pratiquants
des activités de glisse.
A côté des indicateurs concernant les activités
économiques, nous disposons d'autres indicateurs, géographiques
ou d'équipement, qui sont beaucoup plus précis. Là encore,
les remontées mécaniques sont remarquablement
instrumentalisées et nous sommes capables de déterminer, à
l'unité près et en partenariat avec le STRMTG (service technique
des remontées mécaniques et des transports guidés), le
nombre de remontées mécaniques, leur nature, leur puissance, et
l'ensemble de leurs caractéristiques. Nous avons une connaissance
précise de toutes ces données sur la France entière. Ces
données sont totalement fiables, mais les remontées non
autorisées ne figurent pas dans ce fichier.
Nous connaissons un peu moins bien les pistes. Le travail de recensement des
pistes est effectué par le SEATM. Toutes les stations ne sont pas
équipées de systèmes d'information géographiques -
loin s'en faut - et certaines n'ont même pas de plans des pistes. En
France, nous pouvons dire qu'il existe environ 25 000 hectares de
pistes, dont environ 3 000 faisant l'objet d'une production de neige de
culture. Concernant la description physique de l'offre, la situation se
complique lorsque nous parlons de domaines skiables. En effet, personne ne
partage la même définition de cette notion, et surtout pas les
professionnels, dont les points de vue divergent d'une station à
l'autre, et en fonction des enjeux commerciaux spécifiques. Même
les maires ne partagent pas la même vision, qui peut varier en fonction
des enjeux pénaux (pour les questions relatives à la
sécurité). Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire qu'il existe
environ 120 000 hectares de domaine skiable, ce qui représente
environ 1 % de l'espace de montagne français
(11 400 000 hectares). Au regard de ces chiffres, nous voyons
que l'activité de tourisme de montagne hivernal est très
concentrée. Si l'on inclut les installations induites par
l'activité humaine (urbanisme, infrastructures routières, etc.)
qui représentent aussi environ 1 % de l'espace de montagne, nous
pouvons dire que le ski représente, en France, 2 % de l'espace de
montagne. Le chiffre d'affaires réalisé en hiver sur 2 % du
territoire est équivalent au chiffre d'affaires réalisé
l'été sur 100 % du territoire de montagne. En effet, le
tourisme estival est beaucoup plus diffus.
La source première des autres indicateurs d'offre touristique est
l'INSEE. Il y a quelques années encore, le SEATM tentait de tenir
à jour un recensement de tout ce qui pouvait contribuer à l'offre
touristique (les hébergements, les hôtels, les piscines, les
équipements de loisirs, etc.). En raison de l'absence d'un
système centralisé de collecte d'informations autre que celui de
l'INSEE, le SEATM a renoncé puisqu'il ne possède pas les moyens
financiers lui permettant d'acheter des fichiers à l'INSEE. Le prix des
fichiers pose donc un problème d'accès à l'information.
Le récent transfert de compétence
(27 février 2002) aux régions des secteurs relevant de
la collecte et du traitement des statistiques peut représenter une
avancée intéressante et permettre une bonne approche de ces
problèmes. Cependant, il sera difficile, dans un grand nombre de
régions, de convaincre les partenaires d'identifier ce qui concerne la
montagne, qui risque d'être diluée dans une approche globale du
tourisme.
En l'état actuel des choses, une extension pure du domaine skiable n'est
pas envisageable. Actuellement, l'offre de ski est de plus en plus
supérieure à la demande. En effet, l'offre croît fortement,
en termes de capacité des équipements. Si le nombre de
remontées mécaniques décroît
régulièrement, leur puissance et le nombre de skieurs pouvant
être transportés augmentent régulièrement. Dans ce
contexte, la demande ne justifie pas une extension du domaine skiable.
Cependant, deux cas de figures justifient, outre le renouvellement et la
modernisation du matériel, l'installation de nouveaux équipements
de montagne. Il s'agit premièrement de l'interconnexion des domaines
skiables existants. La loi Montagne considère la commune comme
étant l'unité de base du développement touristique. Ainsi,
de nombreux domaines skiables ont été définis en fonction
des limites communales. Si l'on croise cette situation avec les
évolutions de la clientèle, nous nous apercevons que certaines
stations ayant un domaine skiable réduit à la commune, à
l'exception des stations du Massif central où les problèmes
d'interconnexion sont extrêmement limités, ont une offre qui n'est
pas assez diversifiée, soit trop facile, soit trop difficile. Dans ce
contexte, l'interconnexion peut apparaître comme une solution attirante,
permettant de faire face aux évolutions des attentes de la
clientèle. Tout comme l'extension, l'interconnexion ne doit pas
être une fin en soi, et l'attente du client doit toujours
prédominer. En effet, une interconnexion qui ferait intervenir un ou
deux kilomètres de plat et qui forcerait les skieurs à avancer en
poussant sur les bâtons n'est pas utile dans la mesure où elle ne
remporterait pas l'adhésion des clients. Les transferts de skieurs sur
des télésièges longs de deux ou trois kilomètres ne
sont pas non plus satisfaisants. Si l'interconnexion n'est pas une fin en soi,
c'est un bon moyen de diversifier l'offre de ski, de mélanger des
espaces de ski présentant différents niveaux de
difficulté, et de faire en sorte que chaque espace d'urbanisation ait
accès à un domaine skiable aussi varié que possible.
Le deuxième cas de figure d'implantation de nouvelles remontées
mécaniques peut être lié à la densification des
pistes à l'intérieur du domaine skiable existant. Là
aussi, il faut être vigilant et tenir compte de l'offre
d'hébergement. Il s'agit en effet de savoir s'il convient de laisser se
développer davantage l'offre d'hébergement. La question de la
fréquentation des domaines skiables se pose aussi. En effet, il convient
de veiller à ne pas réduire l'attractivité du produit ski
en permettant une densité de pratiquants excessive. Si la question de la
densité peut varier de façon importante d'une station à
l'autre en fonction du type de clientèle, il convient toutefois de
respecter certaines limites.
Si nous densifions le domaine skiable existant, nous n'allons pas
améliorer la situation des petites stations de ski, qui risquent de se
trouver confrontées à une concurrence accrue. Je pense que deux
cas de figure peuvent justifier le désarmement :
- La disparition pure et simple des remontées, qui ont été
installées par erreur ou qui ne correspondent plus à un besoin,
peut se concevoir si l'offre devient hors marché (téléskis
trop raides, situés dans des bois, etc.). En effet, il peut arriver que
les installations remettent en cause la sécurité des pratiquants
ou que la difficulté de ski proposée soit inadaptée
(difficulté trop importante pour des débutants, des classes
scolaires, etc.). La situation est appréciée au cas par cas, en
fonction de la clientèle visée.
- Le deuxième cas de figure pouvant justifier le désarmement est
la situation où l'impact négatif de l'été est
supérieur à l'impact positif de l'hiver. En effet, l'existence de
remontées mécaniques mal conçues, et présentes dans
un paysage agréable en été, peut être repoussante et
dissuader certains clients de fréquenter la station pendant les mois
d'été. Nous avons déjà fait plusieurs propositions
de désarmement, basées sur cette seconde considération.
Peu de dossiers aboutissent ; toutefois un dossier concernant la
Lozère est en bonne voie. C'est aussi le cas de certains dossiers
concernant les Vosges.
Pour les petites stations, le cas de figure le plus fréquent n'est pas
celui du désarmement mais d'un repositionnement commercial et
touristique. Dans cette optique, le ski peut devenir une des composantes de
l'offre touristique et non la composante majeure, si une demande existe
notamment pour la promenade ou pour d'autres activités. Il arrive aussi
très fréquemment que ce qui a été baptisé
« station » ne soit qu'un stade de neige,
fréquenté par les habitants d'une grande ville, située
à proximité. De mon point de vue, il conviendrait, dans ces cas,
de nouer des partenariats originaux entre les villes concernées et les
collectivités qui supportent la station « stade de
neige ». En effet, il n'est pas choquant qu'une grande ville ayant
besoin d'espaces de loisirs noue un tel partenariat avec la collectivité
compétente.
S'agissant des évolutions climatiques, nous pouvons dire, après
avoir comparé les points de vue des scientifiques français,
suisses, et autrichiens, que leur effet est moins prégnant et rapide que
l'évolution de la demande, en particulier pour les petites stations. Par
ailleurs, l'évolution du climat est négligeable, comparée
aux aléas climatiques pouvant intervenir d'une année à
l'autre. De la même façon que les agriculteurs supportent de moins
en moins les aléas climatiques, ces variations posent aussi des
difficultés au niveau des personnels des stations de sports d'hiver qui
demandent des emplois stables, avec des dates de prise de poste et de fin
d'activité très régulières. D'une année sur
l'autre, ces aléas deviennent de plus en plus insupportables pour les
employés et les acteurs intervenants dans ce type d'activité. En
résumé, je considère que l'évolution des
données climatiques doit être prise en compte dans toute
décision d'investissement, qu'il s'agisse des remontées
mécaniques ou de la neige de culture. En effet, pour produire de la
neige dans de bonnes conditions, il ne suffit pas d'avoir de l'eau, mais il
faut également avoir du froid.
Avant d'aborder les questions relatives aux attentes de la clientèle, je
vais souligner certains éléments majeurs survenus au cours des
dernières années, et qui ont marqué l'évolution du
tourisme en montagne.
Nous avons assisté, tout d'abord, à la création de PAM
(Professionnels Associés de la Montagne) qui s'est traduite par la mise
en place d'un lieu de discussion et de débat traitant de la façon
de positionner l'image de la montagne. Je regrette seulement qu'aucun
hébergeur ne fasse partie des membres composant cette cellule. A une
époque, la FNAIM participait aux débats. Aujourd'hui, elle n'est
plus présente et personne n'a réellement cherché à
la retenir. Il est regrettable que l'hébergement, qui est un aspect
fondamental du tourisme, ne participe pas à ces travaux, alors que tous
les autres secteurs sont représentés (remontées
mécaniques, ski de fond, fabricants de matériels et de
vêtements, etc.).
Comme je ne l'ai pas dit en introduction, je précise que le SEATM est
un service technique central, à compétence nationale, et
rattaché à la direction du Tourisme. De fait, l'essentiel de
notre activité (60 %) rentre dans le cadre des missions de l'AFIT
(Agence Française d'Ingénierie Touristique). Si le SEATM
n'existait pas, c'est l'AFIT qui fournirait cette prestation. A partir
d'expériences menées antérieurement, l'AFIT a
provoqué la création d'un panel national ski. Il s'agit d'un
ensemble de 2 000 à 2 200 foyers qui présentent la
caractéristique de comporter au moins une personne pratiquant un sport
de glisse. Cet ensemble est représentatif à la fois des lieux de
résidence et des destinations choisies, dans les différentes
stations de sports d'hiver des massifs. L'échantillonnage a
été assez coûteux et compliqué à
élaborer. Le panel peut renseigner sur n'importe quelle question
concernant la clientèle des stations de sports d'hiver. Nous avons
déjà compilé un certain nombre d'idées
intéressantes et nouvelles. Ces informations sont à la
disposition des professionnels qui ont toutefois de la peine à se les
approprier, bien que ce système soit très économique. En
effet, la question coûte 760 euros, ce qui n'est pas cher
comparé au coût d'un ré-échantillonnage d'un panel
représentatif.
Troisièmement, NIVALLIANCE a été mis en place par le
syndicat national des téléphériques de France (SNTF). Vous
savez que la question du « fonds neige » n'est plus
d'actualité et qu'elle a été réglée par une
démarche purement professionnelle des exploitants de remontées
mécaniques, qui repose sur un système d'assurance
mutualisé. Le coût de cotisation est à peu près
équivalent à l'ancienne taxe qui portait sur le contrôle
des remontées mécaniques. Ce système d'assurance offre un
niveau de compensation de perte de chiffre d'affaires qui est tout à
fait convenable. Nous pouvons féliciter le SNTF d'avoir mis en place ce
système, dans un contexte particulièrement difficile, et dans
lequel les assureurs étaient encore échaudés par les
drames de septembre 2001. Ce système contribue à protéger
un élément de la profession qui est ainsi à l'abri d'un
certain nombre de risques économiques qui ne peuvent être
imputés aux exploitants de remontées mécaniques (manque de
neige, grève des trains, etc.). Nous ne pouvons que souhaiter que
d'autres professions adoptent la même démarche, plutôt que
d'attendre des compensations financières de la part des pouvoirs
publics. Ce système d'assurance présente le mérite
d'être en grande partie mutualisé. Ainsi, les cotisations sont
davantage fonction de la capacité contributive que du niveau de risque
réel encouru par le cotisant. Ce système est remarquable.
Le carnet de route de la montagne a aussi été mis en place. Il
s'agit d'un outil méthodologique, à disposition des
professionnels ou des territoires, qui leur permettra de
réfléchir de manière très objective à leur
positionnement touristique.
Le dernier élément concerne les outils qui mettent en place au
niveau de l'immobilier de loisir. Nous y reviendrons.
Une des caractéristiques de la montagne est d'avoir pris en compte, sans
doute en premier par rapport à d'autres destinations touristiques, les
attentes de la clientèle. Une approche sociologique, initiée en
1992, a été mise en place. Cependant, le résultat de cette
étude n'a pas été utilisé. En effet, la diffusion
de données sociologiques auprès des professionnels du tourisme
n'a donné aucun résultat, les professionnels étant
habitués à entendre un autre langage. Pour cette raison,
l'actualisation intervenue en 1999 n'a pas été diffusée
avant la création concrète d'un guide méthodologique. Ce
guide a pris la forme du « carnet de route de la montagne »
que j'évoquais précédemment, et que vous connaissez
déjà.
J'ai été extrêmement étonné par la vitesse de
diffusion de ce document, qui témoigne de l'attente qui existait, et de
son appropriation. En quelques mois, nous avons assisté à un
changement fondamental du contenu des discours, qui révèle une
très bonne appropriation de cet outil. Cependant, l'appropriation n'est
pas la même à tous les niveaux. Le secteur de l'hôtellerie
et de la restauration est encore un peu en retrait de cette démarche,
qui, de toute façon, a apporté beaucoup d'éléments
positifs.
J'évoquerai rapidement l'avenir du ski de fond. En 2000, France Ski de
Fond (FSF) s'est engagée, dans le cadre de la mise en place et de
l'élaboration du carnet de route de la montagne, dans une ambitieuse
démarche de réflexion stratégique. Actuellement, beaucoup
de fédérations contestent l'opportunité d'une telle
démarche et ne sont pas convaincues que la demande a changé et
que des pratiquants désirent faire autre chose que du sport, qu'ils
peuvent considérer comme un sport dur et ingrat. Certaines
fédérations, notamment dans le Cantal, ont du mal à
accepter des avis qui recommandent de réduire la longueur totale des
pistes, trop importante par rapport à la demande. En effet, beaucoup de
pratiquants pensent qu'il vaut mieux avoir moins de kilomètres de
pistes, mais mieux entretenues. Pour ces fédérations, qui se sont
dévouées au nom d'une éthique sportive, ce type de
raisonnement n'est pas toujours facile à admettre. Je pense que nous
devons beaucoup soutenir le travail entrepris par FSF.
Je vous donnerai un autre exemple, volontairement provocant. D'autres pays
n'ont pas connu l'érosion qui a frappé le ski de fond
français, puisqu'ils n'ont pas hésité, quand la demande le
justifiait, à placer des fils neige dans les montées (notamment
dans les endroits très pratiqués). En France, cette pratique
reste encore très choquante pour beaucoup de gestionnaires de ski de
fond, qui pensent que la pratique du ski de fond doit se conjuguer avec un
effort physique important. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas
choqués par une demande consistant à mettre en place du fil
neige.
Aujourd'hui, grâce au « carnet de route de la
montagne », chaque territoire a les moyens de choisir un
équilibre. Néanmoins, il ne faut pas considérer que seules
les attentes du client doivent commander aux choix effectués, ce qui
aurait des effets très pervers, comme une banalisation de l'offre qui
conduirait à trouver les mêmes choses sur la totalité du
territoire, qu'il s'agisse de la montagne ou du bord de mer. Inversement, celui
qui participe à l'offre touristique d'un territoire (un hôtelier,
un exploitant de remontée, etc.) ne doit pas considérer qu'il est
le seul à connaître les attentes des touristes. Il appartient donc
à chaque territoire de définir, avec les outils mis à sa
disposition, le bon équilibre, entre les attentes de la
clientèle, qui doivent évidemment être prises en compte, et
une offre qui doit rester personnalisée et qui correspond à un
savoir-faire et à une rentabilité d'investissement. Sur ce point,
il n'y a pas de recette miracle et l'équilibre doit être
trouvé, territoire par territoire. Je tiens à votre disposition
certains exemples des pratiques à suivre, ou à ne pas suivre,
dans la prise en compte des clients (hébergement, restauration,
apprentissage du ski).
En matière d'immobilier, vous savez mieux que moi combien les mesures
intervenues l'année passée se sont fait attendre. Le
décalage entre les promesses et les réalisations a posé
des difficultés à de nombreux acteurs. Nous manquons encore
aujourd'hui d'un guide technico-administratif. En effet, les différents
textes (décrets et arrêtés) sont insuffisants et sont de
nature à conduire à des interprétations extrêmement
différentes d'un territoire à un autre, en fonction du
préfet ou du service de contrôle de légalité qui
intervient. Grâce à l'ANEM notamment, le guide
technico-administratif devrait sortir à la fin du mois de mai.
La grande difficulté consiste à convaincre les
propriétaires à consentir des baux de longue durée. Une
autre difficulté consiste à faire comprendre aux
propriétaires qu'ils n'ont pas forcément le meilleur goût
pour choisir la façon dont les logements doivent être
aménagés. A trop respecter les exigences des
propriétaires, nous pouvons arriver à des situations se
traduisant par une désertion rapide des clients. En matière
d'hébergements collectifs, l'intégration des attentes des clients
est vraiment fondamentale. Cependant, nous ne disposons pas encore de
véritables outils, de véritables méthodes, ni de
maîtres d'oeuvre véritablement formés à cette
question, d'autant plus que la chaîne entre le concepteur et le client
est relativement longue.
Le dernier point porte sur les besoins de subventions. Un département
des Pyrénées s'est notamment lancé dans cette
démarche, en finançant des travaux à hauteur de 60 %.
Si les conventions interrégionales de massifs prévoient des
dispositions aidant à la réalisation des études
d'ingénierie, je suis un peu inquiet quant à l'efficacité
de ces mesures, en l'absence d'une aide lourde prévue pour les travaux.
Dans le même temps, la réhabilitation des espaces collectifs me
paraît aussi fondamentale.
En ce qui concerne les freins et les perspectives de progrès, la
principale difficulté de la loi Montagne est qu'elle considère la
commune comme l'autorité organisatrice du développement
touristique, alors que le périmètre communal tend à ne
plus être le périmètre le plus pertinent, de nature
à permettre un développement touristique optimal. Les textes
fondateurs de la République étant fortement attachés
à la liberté d'association des communes, personne ne peut, pour
le moment, contraindre à l'intercommunalité, sauf à
commettre un chantage ou un abus de droit. La question de
l'intercommunalité est pourtant fondamentale. En effet, le fait que la
compétence de l'autorité organisatrice du développement
touristique reste basée au niveau de la commune me semble être un
frein très important.
Les autres points sont moins gênants et suscitent peut-être
davantage de débat. Je ne m'attarderai pas sur la question des
servitudes que vous connaissez bien. Sur ce point, je pense que la loi Montagne
doit être remise à jour. En effet, en vingt ans, les technologies
ont évolué et la loi n'est plus exhaustive. Même si la loi
est complétée aujourd'hui, le problème de son
exhaustivité se reposera forcément dans dix ou vingt ans. Nous ne
devons pas rajouter un article de loi, mais, au contraire, supprimer certains
passages de la loi afin de nous en tenir au principe suivant : peut faire
l'objet de servitudes tout ce qui concourt à l'exploitation d'un domaine
skiable.
La question de l'utilisation estivale des domaines skiables est
problématique. Si les agriculteurs ne sont pas opposés à
l'industrie touristique hivernale, dans laquelle ils trouvent souvent une
source de revenus complémentaires, la situation est différente en
été. En effet, les conflits d'usage risquent de croître
fortement si nous imposons, par des servitudes, des activités
touristiques sur des territoires qui ont d'autres vocations agricoles pendant
la saison estivale. Un équilibre reste donc à trouver territoire
par territoire.
La dernière question concernant la loi Montagne porte sur les
redevances. Si la question suscite un peu moins de polémiques, les
débats pourraient rapidement reprendre, de façon assez dure. Il
existe une population d'« urbains montagnards » (les
Grenoblois, par exemple) qui ont l'habitude de fréquenter les espaces de
montagne situés à proximité, sans avoir à
débourser la moindre somme d'argent. Cette situation est
problématique dans la mesure où l'aménagement et la
sécurisation des espaces de montagne a un coût, qu'il est tentant
de couvrir par l'instauration d'une redevance. Actuellement, la redevance n'est
possible que pour le ski alpin ou le ski de fond. Cependant, la question d'une
extension de la redevance, même si elle est conflictuelle, devra
être posée. Il existe des espaces, comme le plateau de Beille,
dans les Pyrénées, où la mise en place d'une redevance a
été assez aisée. En effet, cet espace de nature n'offre
quasiment qu'un seul accès, où on peut matérialiser une
porte. Une fois la redevance payée, les visiteurs sont libres de
pratiquer l'activité de leur choix. Cependant, tous les espaces ne
permettent pas ce type d'organisation. A côté de la loi, d'autres
outils, comme la délégation de service public par exemple,
permettraient de résoudre le problème. Cependant, je pense que le
législateur va continuer à être interpellé sur la
question de la redevance, pour les activités de pleine nature.
Nous pouvons donner deux exemples de difficultés d'application de la loi
Montagne.
La première difficulté tient à la définition du
domaine skiable, qui, comme nous l'avons déjà dit, est
extrêmement floue. En effet, le domaine skiable doit-il être
considéré comme un espace sur lequel existent des pistes ou comme
un espace sur lequel la configuration des remontées mécaniques
permet la présence de skieurs, même en l'absence de pistes ?
Lors de la démarche de normalisation de la signalisation des pistes,
initiée il y a deux ans, nous espérions arriver à une
définition du domaine skiable, mais tel n'a pas été le
cas. Les professionnels ont refusé de sortir des pistes
stricto
sensu
. Actuellement, le domaine skiable reste défini par une
circulaire de janvier 1978. Cette circulaire énonçait
expressément que sa validité n'allait que jusqu'à
l'ouverture de la prochaine saison. Elle est donc caduque depuis très
longtemps. Le ministère de l'intérieur s'est enfin aperçu
de ce décalage et a envisagé d'abroger cette circulaire qui ne
parlait que des problèmes de sécurité et d'organisation
des secours sur les domaines skiables. Ces questions de sécurité,
qui sont très contraignantes pour les élus locaux, influent aussi
sur les enjeux environnementaux. Si la normalisation est la bonne solution, un
décret (ou une autre mesure) devra être pris afin de sortir de
cette situation de flou et de mieux définir la notion de domaine
skiable.
Un deuxième exemple d'application déviante de la loi Montagne
concerne les procédures unités touristiques nouvelles (UTN), pour
lesquelles les exigences se multiplient, qu'il s'agisse de l'extension d'un
hôtel, de l'installation d'une pissotière sur un circuit
automobile existant depuis vingt ans dans le Beaujolais, etc. Si nous
surveillons la situation, les procédures UTN sont encore trop souvent
utilisées pour contraindre à la révision d'un POS. En
effet, lorsqu'un dossier reçoit un agrément au titre des UTN, il
convient en effet de réviser le POS afin de permettre à la
procédure de s'appliquer.
J'aimerais aborder d'autres points qui ne relèvent pas de l'application
de loi Montagne mais qui peuvent être des freins au développement
du tourisme.
Un des principaux handicaps de la montagne est qu'elle est perçue comme
étant une destination onéreuse, où chaque prestation est
chèrement monnayée. Il est donc très important d'afficher
du « non marchand ». Aujourd'hui, la carte d'hôte
amène une très bonne réponse à cette
préoccupation. Il me paraît important de sécuriser, sur le
plan juridique, la carte d'hôte, qui permet aux touristes de recevoir des
avantages en contrepartie du paiement d'une taxe de séjour. Cependant,
des habitants de stations contestent les avantages offerts aux touristes, au
moyen de la carte d'hôte. Les habitants de Chamonix, par exemple, ne
comprennent pas que les touristes ne paient pas le bus alors que les
résidents permanents, qui ne s'acquittent pas de la taxe, doivent payer
leur titre de transport. Ces réactions sont des freins importants au
développement de la carte d'hôte. Ce problème se pose aussi
sur le littoral. Il faudrait donc remédier à la grande
insécurité juridique qui existe pour améliorer la
situation en ce domaine
Je terminerai par la question relative à la communication sur la
sécurité en montagne. Je partirai d'un exemple. En Suisse, chaque
année 800 personnes perdent la vie sur les routes (soit
l'équivalent d'environ 6 000 morts en France, en proportion de
notre population) et cette question attire le plus vif intérêt des
pouvoirs publics, qui souhaitent que le nombre de morts diminue. Alors que
400 personnes par an perdent aussi la vie dans les montagnes suisses,
aucune mesure n'est prise car les accidents sont considérés comme
étant la conséquence d'un risque voulu. En France, environ
120 personnes par an trouvent la mort en montagne, en été ou
en hiver, la moitié trouvant la mort au cours de randonnées, par
crise cardiaque le plus souvent. Le nombre de morts sur le domaine skiable se
limite à quelques unités par an. Cependant, ce type
d'activité sportive est le mieux instrumenté, en matière
de sécurité. Je pense que cette situation est de nature à
produire quelques effets négatifs, notamment en matière
d'attractivité.
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci pour cet excellent exposé, aussi
complet que précis. Vous avez balayé l'ensemble des questions
concernant le SEATM, ainsi que les différentes problématiques
touristiques, qu'elles soient hivernales ou estivales, et portant sur
l'ensemble des massifs. J'aimerais revenir sur la question des
délégations de service public et voir notamment quelle suite est
réservée à la loi Montagne de 1985, par la loi
« Sapin » de 1993. La première loi conduit en effet
à donner à la collectivité locale qu'est la commune, la
maîtrise de son développement, la seconde obligeant à
ouvrir à la concurrence le service de la prestation. Au moment où
certains contrats arrivent à échéance, certaines
collectivités s'interrogent et craignent que la maîtrise, inscrite
dans la loi et voulue localement, échappe aux responsables locaux.
M. Philippe Martin
- Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet,
que je n'ai volontairement pas abordé puisque, dans le cadre de
l'organisation précédente des services de l'Etat, une note
rédigée par le directeur de cabinet de monsieur Gayssot
mentionnait que ce sujet ressortait de la compétence exclusive de la
direction des transports terrestres. Appartenant à la direction du
Tourisme, je ne me suis pas permis d'aborder ce sujet, qui pourtant me
passionne. Je pense qu'un des freins principaux à certains
investissements en matière de remontées mécaniques n'est
pas le manque d'argent mais la complexité qui existe actuellement au
niveau des pratiques. Aujourd'hui, chaque préfet (ou sous-préfet)
interprète en effet les lois Montagne et Sapin à sa propre
façon. La loi Sapin étant bien ancrée dans le paysage
français, je ne pense pas qu'un consensus visant à la remettre en
cause se dégage. De mon point de vue, il n'est pas question, lors de
l'arrivée à terme d'une délégation de service
public, de remettre en cause le principe de la mise en compétition qui
précède le renouvellement de la délégation.
Certaines situations sont cependant problématiques et notamment
lorsqu'un investissement important, qui n'a aucune chance d'être amorti
avant la fin de la délégation de service public, doit être
réalisé sur un domaine skiable. Je me sens très en phase
avec le délégué général du SNTF, mais je
pense que le SNTF devrait moins souvent recourir aux termes de
« prolongation de délégation de service
public », alors que d'autres solutions pourraient être
utilisées dans les avenants. Si le contenu de la
délégation de service public et les obligations des
délégataires sont modifiés, il est logique qu'une
contrepartie soit prévue à l'intérieur du contrat.
Le cas de figure le plus grave est celui des investissements intervenant en
cours de délégation et rendus nécessaires notamment pour
des raisons d'évolution des attentes de la clientèle, et pour
lesquels la rédaction des avenants pose des problèmes
redoutables. En 2000, un travail a été réalisé avec
l'AMSFSHE et le SNTF. Quoi qu'il en soit, ce sujet ne passionne pas les foules
au niveau de la direction des transports terrestres. Ce sujet est
assimilé à un problème de transport et est
considéré à travers la lunette des transports urbains ou
régionaux, alors que la problématique est assez
différente. Il ne faut pas perdre de vue que l'industrie du ski doit,
chaque année, réinvestir 25 % du chiffre d'affaires
réalisé pour renouveler les équipements, et que les
conventions en application de la loi Montagne ne concernent pas que les
remontées mécaniques. En matière d'hébergement, la
préoccupation des services de l'Etat quant la cohabitation des lois
Montagne et Sapin risque de générer des dérives, à
défaut d'une unité au niveau des services centraux de l'Etat.
Aussi, je souhaite que les associations d'élus reprennent l'initiative
dans ce domaine, afin que nous puissions faire valider, par la direction
générale des collectivités locales (DGCL), une sorte de
guide technique, contenant quelques exemples d'avenants, pour les principaux
cas de figure. Nous ne devons pas nous laisser polluer par des cas
d'école, comme celui de Corrençon par exemple, qui passionnent
les juristes mais qui ne présentent pas d'enjeux autres que locaux. Les
enjeux les plus importants portent sur les très grandes stations pour
lesquelles nous devons trouver des solutions juridiques qui soient acceptables
par les investisseurs. Nous sommes dans un cas de figure qui est totalement
différent de celui des autres délégations de service
public, car il n'existe pas de conflit chronique entre les autorités
organisatrices et délégataires, qui sont engagées dans le
même combat.
M. le Rapporteur
- Merci monsieur le Directeur. Nous recevrons avec
beaucoup d'intérêt les notes écrites que vous pourrez nous
communiquer. D'ores et déjà, vos commentaires nous sont
très précieux.
12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Bienvenue au Sénat et merci de votre
présence. Vous allez pouvoir apporter des réponses aux attentes
exprimées par la mission d'information sur la montagne. Je vous
présente les excuses du Président de notre mission, Jacques
Blanc, sénateur de Lozère, qui est retenu à
l'étranger. Les sénateurs présents, et ceux du Massif
central notamment, sont heureux d'accueillir le Président de l'Union des
chambres de commerce et d'industrie du Massif central, qui est un massif
important.
Notre mission, créée en février dernier, doit rendre ses
travaux en octobre. Vous voyez que nous nous sommes accordé un laps de
temps assez court, pour mener à bien notre étude comprenant
à la fois le bilan d'application de la loi Montagne et celui des
dispositions intervenues, sur le plan européen, depuis son adoption.
Nous souhaitons aussi esquisser des correctifs, des améliorations, et
des simplifications que nous pourrions proposer au nouveau Gouvernement et au
futur législateur que sera l'Assemblée Nationale, prochainement
élue.
Nous envisageons de travailler sur trois thèmes :
- l'économie ;
- l'environnement et la protection de la nature ;
- l'aménagement.
M. André Marcon -
Je suis Président de l'Union des
chambres de commerce et d'industrie du Massif central qui regroupe
26 chambres sur 17 départements et 5 régions de
programme. Je suis aussi vice-président de l'Association Interconsulaire
du Massif central. Je m'exprimerai donc au titre des socioprofessionnels et
à celui des CCI, au regard des leurs travaux en matière
d'aménagement du territoire. Je suis un « rural des
hauteurs », qui vit à 1 130 mètres d'altitude
et maire d'une commune de 200 habitants, appelée Saint Bonnet le
Froid. Je vous présente Marc Gastambide, qui est directeur
général adjoint à l'ACFCI, à Paris, et qui a la
charge des réseaux et de l'appui aux entreprises. Il a également
été commissaire à l'aménagement du Massif central.
Il possède à ce titre, une bonne expérience de la question
qui nous intéresse.
J'essayerai d'être rapide et assez synthétique puisque je sais que
les contributions que vous avez sur le sujet sont nombreuses. Je reprendrai les
questions que vous avez posées, en m'attardant plus sur certaines
d'entre elles et en les réorganisant différemment. Nous
pourrions parler du bilan de la politique française de la montagne, des
forces et des faiblesses de l'économie montagnarde, et du haut
débit, sujet sur lequel j'ai rédigé un rapport dans le
cadre du Conseil économique et social (CES). Je vous ferai aussi des
propositions qui doivent être considérées sous un angle
global, ainsi que des propositions qui prendront la forme de petits
éclairages sur les mesures qui devraient pouvoir être
proposées
Premièrement, je regrette que la loi Montagne apparaisse comme un
catalogue de bonnes intentions et qu'elle ne dépasse pas ce stade. Nous
pouvons nous en rendre compte en regardant, par exemple, la faiblesse des
moyens dédiés. En effet, les outils financiers ne sont pas assez
pertinents pour permettre la mise en oeuvre de ces bonnes intentions. Nous
constatons, par ailleurs, que la loi Montagne avait la volonté de
réussir une péréquation entre les territoires de notre
pays, au profit des territoires et des populations de montagne. Cependant,
cette péréquation n'a pas eu le succès escompté.
Malgré tout, la loi Montagne a eu certains effets positifs. Elle a
permis de redonner de la fierté aux personnes résidant en
montagne, ce qui est une avancée remarquable. Elle a aussi permis
d'instaurer un dialogue entre les socioprofessionnels. Le plan Massif central,
qui était un plan pour gommer les handicaps, n'avait pas eu cette
vocation. De ce fait, nous avons, au niveau du Massif central, un excellent
dialogue entre l'ensemble des structures consulaires et assistons à
l'établissement de projets communs.
Cette loi a aussi permis la mise en place d'inter-régionalités,
exercice difficile survenant après une dizaine d'années de
décentralisation. La loi a permis d'afficher les richesses et les
initiatives, non plus considérées sur le plan individuel, mais en
les rassemblant et en leur donnant un effet de masse. La culture et la pratique
du partenariat ont permis l'accès aux politiques européennes. Au
regard des propositions de partenariat qu'il a formulées dans le cadre
d' « interreg », le Massif central est très en
avance. Elles ouvriront, en 2006, des perspectives intéressantes,
lorsque les fonds traditionnels européens vont s'épuiser.
Le dernier point positif est la création de l'outil
« comité de massif » qui a réellement
dynamisé la politique conduite au niveau du commissariat à
l'aménagement du Massif central. Dans cet ensemble de faiblesses et
d'atouts, les CCI et les corps consulaires se sont plutôt bien
retrouvés et les élus ont eu à coeur de faire des
propositions. Nous avons acquis, depuis une quinzaine d'années
maintenant, une culture de la proposition du projet. A cet égard, la loi
Montagne a été tout à fait positive.
Je passerai rapidement sur les forces et les faiblesse de l'économie
montagnarde et ne rappellerai pas un certain nombre de poncifs que vous
connaissez déjà très bien. Je citerai une phrase de Gandhi
qui disait que « de la pauvreté naît le
génie ». En effet, la pauvreté des territoires ruraux
leur a permis de développer leur imagination. La force de
l'économie montagnarde est d'abord liée à la
solidarité des populations, qui travaillent beaucoup plus ensemble
qu'ailleurs. La qualité des hommes, des espaces, et du patrimoine est un
autre aspect.
Je suis assez sensible à la communauté d'appréhension des
problèmes. Les territoires, et notamment les régions, ne
raisonnent pas toujours en ces termes. Nous avons réussi à
créer, du côté des socioprofessionnels, une
communauté d'appréhension des problèmes, chez les
habitants du Massif central. Cette communauté d'esprit ne concerne pas
la résolution de problèmes localisés. Cependant,
l'appréhension des problèmes peut être globalisée.
En effet, elle est la même dans l'Aveyron, dans l'Allier, en Haute-Loire,
ou en Corrèze. Il faut donc apprendre à appréhender les
problèmes liés à la faible démographie, aux grands
espaces, et à la dispersion des équipements.
Les territoires de montagne sont marqués par la qualité de
l'environnement et la grandeur de l'espace. Concernant ce dernier point, nous
nous situons en effet dans des échelles très
particulières, beaucoup plus vastes que celles pouvant être
rencontrées à Paris, où posséder quelques
mètres carrés est synonyme d'espace.
La première faiblesse de l'économie montagnarde est
l'accessibilité. Nous devons aussi souligner la faiblesse des services,
aux personnes ou aux entreprises. Une autre faiblesse tient à la
démographie qui est encore dans une phase stagnante. Nous voyons enfin
que les espaces de montagne créent deux sensations. La première
est une sensation de désert, qui se traduit par un sentiment de solitude
et un manque de communauté. Il existe, en effet, dans l'esprit de
l'homme, une certaine réticence à vivre dans le désert.
Deuxièmement, il existe aussi une perte de confiance des populations
dans le devenir de leur pays. Le plus gros frein au développement de
l'économie montagnarde est ce manque de confiance, ressenti par ceux qui
n'ont pas quitté la montagne, au moment où les villes ont
attiré de nombreux habitants des montagnes. Nous devons donc redonner de
la fierté à ces populations, afin de revaloriser les territoires.
Je m'attarderai davantage sur les technologies de l'information et de la
communication, qui sont un enjeu capital, pour nos montagnes comme pour le
reste du territoire. L'année dernière, j'ai remis un rapport
relatif à la desserte des territoires en téléphonie mobile
et en haut débit. Il a eu l'avantage de guider les décisions qui
ont été prises au niveau du Comité interministériel
d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de
Limoges, en juillet 2001. Je vous annonce que je fais un avis de suite de
ce rapport, pour le compte du CES.
En reprenant les idées fortes du rapport, nous devons admettre que le
marché ne règlera jamais l'équipement du territoire au
regard des technologies. En effet, le marché n'est pas fait
peut-être pour cela. En conséquence, nous ne pouvons pas lui
demander de le faire. En outre, je considère que, concernant ces
technologies qui sont relativement compliquées, l'Etat n'a pas
suffisamment joué son rôle de chef d'orchestre, d'anticipateur, et
de gardien, en charge de l'unicité de nos territoires. Je
considère enfin que nous avons laissé partir beaucoup trop de
coûts dispersés en nous basant sur l'économie de
marché, dont je suis, par ailleurs, un fervent défenseur. Pour
moi, l'économie de marché ne fonctionne jamais aussi bien que
lorsque les règles du jeu sont clairement établies. Je ne pense
pas que la Suède, le Canada, les Etats-Unis, ou l'Angleterre soient des
pays où l'économie soit spécialement dirigiste. Or dans ce
domaine, ces pays ont été plus dirigistes que nous ne le sommes
et les opérateurs s'en portent très bien.
La deuxième constatation de fond est la suivante. Nous avons
demandé au marché de résoudre ce problème en
confondant les infrastructures et les usages. S'agissant des infrastructures,
la priorité est que tout le monde soit correctement
équipé, afin de pouvoir communiquer. Je vous rappelle
l'installation du téléphone en 1974. Dans mon village, nous
n'avions pas l'automatique et il fallait attendre deux à trois mois
avant d'avoir une installation téléphonique. En quelques
années, le plan Téléphone a entraîné le
développement de l'usage du téléphone. Cet usage s'est
considérablement développé, pour devenir une source de
profit très important pour l'Etat. Au regard des nouvelles technologies,
la situation est à peu près similaire. Cependant, nous aussi
avons demandé au marché de régler la question des
infrastructures. Aujourd'hui, nous avons, dans les grandes villes, des
infrastructures pléthoriques. Dans le réseau secondaire, les
infrastructures sont présentes mais moins nombreuses. Sur ce plan,
France Télécom est relativement bien présent. Mais lorsque
nous nous situons en dehors de ces réseaux (en matière de
chevelu), la situation est plus chaotique et chaque opérateur a tendance
à équiper les zones où il existe un fort usage.
Le CIADT a décidé de mesures courageuses. Il a notamment
opté pour la mutualisation des pylônes, pour le GSM. Cette mesure
semble tout à fait normale. Dans ce cadre, la participation est
tripartite, à parts égales entre l'Etat, les opérateurs,
et les collectivités. Le problème est que le CIADT s'est tenu le
9 juillet 2001 et que tous les décrets d'application ne sont
pas encore sortis. Pour le moment, nous nous trouvons donc en présence
d'une simple déclaration de bonnes intentions qui n'a pas encore produit
d'effets. Cette situation se traduit par des conséquences pernicieuses.
Toute couverture, en termes de GSM est, par exemple, stoppée sur le
pays, dans la mesure où les opérateurs attendent que des
études soient effectuées par les départements, avant de
poser de nouveaux pylônes. Seul Bouygues Télécom pose de
nouveaux pylônes, étant donné qu'il avait un retard
à combler.
Dans le prochain rapport, nous allons souligner le fait que nous continuons
à prendre du retard, alors que ce domaine nécessite d'agir
très rapidement. En outre, nous allons souligner la
nécessité pour l'Etat de mettre en place des moyens
dédiés. Ces moyens ne sont pas colossaux. D'après nos
estimations, l'équipement en fibres optiques de toutes les communes de
France, qui permettrait de faire le chevelu, représente
10,67 milliards d'euros. Nous pouvons considérer que
3,81 milliards sont déjà investis. Dans ce cas, il me semble
que la somme restante (environ 7,62 milliards) n'est pas une somme si
importante, pour un pays comme la France. Je vous rappelle, en effet, que, pour
la vente des licences UMTS, 3,96 milliards ont été
réclamés à chaque opérateur. Si nous comparons les
sommes à investir aux recettes dégagées, la somme finale
apparaît raisonnable.
Dans le domaine des nouvelles technologies, nous considérons que les
territoires ruraux, et notamment les territoires de montagne, doivent exiger la
couverture. S'ils ont souvent manqué, en termes d'accessibilité,
les grands enjeux des infrastructures autoroutières, de train, ou
d'avion, ils ne peuvent plus se permettre de manquer l'ouverture
représentée par les hautes technologies de l'information et de la
communication.
Au risque d'être un peu iconoclaste, je pense qu'il ne faut pas
écouter le discours de France Télécom, qui obéit
à une logique d'entreprise, qui est respectable mais dont nous devons
nous méfier. Cette entreprise est en train d'équiper le
territoire de fibres optiques, son intérêt étant de louer
la fibre optique le plus cher possible aux utilisateurs potentiels. Du point de
vue de l'entreprise, ce raisonnement est très logique. Par ailleurs,
pour que la concurrence n'arrive pas trop vite, France Télécom
laisse un peu « traîner » ses affaires, de
façon à prendre le temps d'équiper le territoire. De toute
façon, France Télécom n'est pas dans une situation
financière exceptionnelle, lui permettant d'aller beaucoup plus vite. Le
fait que France Télécom soit la seule entreprise qui pourra
équiper le territoire en fibres optiques pose le problème de la
mise en place du réseau intermédiaire. Je suis un peu circonspect
quant à l'installation de la fibre noire par les collectivités
locales. En effet, outre l'installation, la fibre noire nécessite
d'être activée et entretenue. Dans certains cas, l'usage ne permet
pas d'envisager l'installation de la fibre noire sous l'angle de la
rentabilité.
Nous insistons aussi beaucoup pour que les territoires utilisent les nouvelles
technologies qui vont permettre de résoudre le problème le plus
important qui est celui du chevelu. Ces technologies doivent être
utilisées jusque dans les plus petits villages ruraux. Grâce
à ces technologies, qui ne coûtent rien du tout, nous allons
pouvoir « décomplexer » le débat et nous
attacher à la sécurité du transport sur le réseau
intermédiaire, afin d'arriver dans toutes les communes de France. C'est
à cette seule condition que les gens pourront rester dans les
territoires de montagne et que d'autres pourront venir s'y installer.
Je pense que l'impact des nouvelles technologies est considérable et
produira, dans les années à venir, un impact sur nos
comportements, qui sera bien supérieur à celui provoqué
par l'arrivée de l'automobile. Dans le rapport, nous avions
mentionné qu'il fallait, d'ici à 2005, arriver à
2 mégabits. Si nous pensions avoir placé la barre un peu
haut, force est de constater que la Suède est aujourd'hui
équipée d'un gigabit dans tous ses foyers. En termes d'usage,
nous voyons que les Suédois utilisent complètement ces nouveaux
outils, et ce suite à de nombreuses mesures incitatives. Sur le Massif
central, nous lançons une opération « Cyber
massif » qui va permettre la « culturation » de
toutes les entreprises.
Je ferai deux types de proposition. Je tiens d'abord à souligner que
l'accessibilité des territoires de montagne et des territoires ruraux
reste la question primordiale. Sur ce point, nous ne devons pas écouter
les discours parisiens qui estiment que le nombre d'autoroutes est suffisant.
Cela n'est pas vrai et du travail reste à accomplir sur le territoire,
en routes, en trains, et en avions. Deuxièmement, je pense que pour
être efficace, la politique de la montagne doit être une politique
de valeur ajoutée. A l'heure où les nouveaux systèmes et
les nouvelles organisations territoriales se mettent en place, les actions
engagées au niveau de la montagne doivent amener de la valeur
ajoutée aux mesures prises par les départements et les
régions.
Pour moi, la mise en place des comités de massif, par la loi Montagne,
est une excellente idée. Certains comités fonctionnant mieux que
d'autres, je prendrai l'exemple d'un comité qui fonctionne bien,
à savoir celui du Massif central. Le comité de massif a
été prévu comme une instance devant permettre à
tous de débattre des problèmes de développement du massif.
Petit à petit, il est devenu un outil davantage opérationnel. En
effet, les socioprofessionnels ont pris une place importante au sein de ces
comités et font de nombreuses propositions systématiques de
développement. Grâce à la contractualisation, l'Etat, qui
prend en compte les orientations dégagées au sein des
comités de massif, a amené un certain nombre de remèdes
aux maux dénoncés et a permis la mise en place de certaines
procédures. Pour moi, le mouvement devrait être
accéléré du côté des comités de
massif. Je considère que les collectivités territoriales locales
doivent réinvestir les comités, dans lesquels elles ne sont pas
assez présentes. Seul l'investissement des collectivités locales
permettra de dégager la valeur ajoutée mentionnée. En
effet, les opérations proposées par les seuls socioprofessionnels
ne permettraient pas d'atteindre une qualité de travail optimale. Nous
devrions également simplifier le système, afin qu'il soit encore
davantage opérationnel. Nous l'avons bien vu avec les conventions de
Massif qui ont été mises en place parce que le Massif central
avait exigé une convention spécifique, qui, par la suite, a
été étendue à tous les massifs. Maintenant, nous
devons faire des comités de massif, à condition que les
régions et les départements remplissent bien leurs rôles,
une véritable instance prospective de développement des
territoires montagnards. Ces territoires doivent être envisagés
comme des territoires d'avenir. En effet, il convient de ne plus penser en
termes de handicaps, mais en termes de territoires du futur, qui sont des
territoires sécurisés qui donnent envie à la population
d'y venir ou d'y revenir.
Le système doit parallèlement être simplifié. Le
commissariat, qui appartient à la DATAR, doit devenir totalement
l'animateur du Massif central. Il doit être le centre de
compétences du Massif central. Nous devons aussi gérer les
problèmes financiers qui sont insolubles dans ce type de massif. Dans
cette hypothèse, je préconise la mise en place de SGAIR
(secrétariat général aux affaires interrégionales),
qui devrait permettre de simplifier la gestion des affaires, qui porte sur des
enveloppes très petites et très étroites.
Je terminerai par des propositions moins générales et plus
ponctuelles. Premièrement, il est important que le
phénomène Montagne, qui a été pris en compte en
France, ait une reconnaissance au niveau européen. Deuxièmement,
nous devons aussi travailler sur la simplification des procédures mises
en place dans le cadre des massifs. La loi Montagne n'étant intervenue
qu'au début de la décentralisation, les habitudes
n'étaient pas encore prises, à cette époque. Cette
situation s'est traduite par le développement de jurisprudences
totalement différentes d'une région à l'autre. Nous devons
aussi travailler sur des aides spécifiques à la localisation, les
massifs ne pouvant survivre que dans un contexte engendrant de
l'activité économique. Il faut donc inciter les gens à
développer l'économie dans ces régions. Les massifs
devraient aussi se préoccuper de contribuer à l'harmonie des
grands équipements d'accessibilité. Si les régions et les
départements sont soucieux de ces sujets, il est regrettable que ces
préoccupations ne se recoupent pas davantage. Une plus grande harmonie
devrait donc permettre de dégager de la valeur ajoutée. La
convention Massif central l'a bien montré, avec ses
114,337 millions d'euros, dont 8,385 millions sont spécifiques
au domaine routier.
Nous souhaitons aussi mettre en place un véritable SMIC, pour les petits
commerçants. Si nous voulons attirer des habitants dans les
régions montagneuses, celles-ci doivent compter un certain nombre de
petits commerçants. S'il est normal d'aider les agriculteurs pour qu'ils
restent au pays, dans la mesure où ils participent à l'entretien
du paysage, il devrait en être de même pour les commerçants.
Les revenus de ces professions indépendantes devraient être
complétés, avec un contrôle des centres de gestion, pour
que ces personnes puissent continuer à exercer leurs métiers sur
nos territoires. Cela éviterait la fermeture de nombreuses
échoppes et d'augmenter le nombre de chômeurs. Dans ces
régions vastes et faiblement peuplées, la diffusion de la presse
est une autre difficulté.
Nous devons aussi mettre en place une politique très volontariste, dans
le cadre de l'accueil des jeunes actifs. En effet, les régions de
montagne ne pourront se développer que si nous offrons la
possibilité aux jeunes arrivants d'y rester.
Le dernier point concerne l'aspect touristique. Pour répondre à
la question de l'avenir du tourisme dans le Massif central, je citerai la
grande étude IPK, dont le Président fondateur est un des acteurs
incontournables du tourisme mondial. Selon lui, l'avenir est aux territoires
ruraux de moyenne montagne. En effet, ces territoires présentent des
valeurs de qualité, d'authenticité, de terroir, qui sont les
valeurs qui seront les plus demandées par les populations, dans les
vingt prochaines années. Au regard de cet accueil, notre territoire
donne l'impression d'un désert et n'est pas organisé. Nous avons
privilégié l'hébergement locatif de type social. De ce
point de vue, nos populations les plus pauvres ont permis que des populations
encore plus pauvres viennent en vacances. Mais dans la pratique, cette
démarche doit relever de la solidarité nationale et ne doit pas
être supportée par le Massif central. En outre, nous avons aussi
perdu notre tourisme marchand de qualité, qui est créateur de
richesse. Comme l'a fait l'Ecosse, par exemple, nous devons affirmer
l'importance d'investir dans ce type de tourisme, qui est
générateur d'emplois et d'activités.
Nous devons aussi travailler sur l'aide à la pierre, tellement les
investissements sont lourds. Pour avoir créé trois hôtels
et en avoir repris deux autres, je peux vous affirmer que les aides sont
nécessaires, d'autant plus qu'elles permettent souvent d'obtenir de bons
résultats.
Le problème du logement des saisonniers doit aussi être pris en
compte. Il convient aussi de conférer au personnel saisonnier de
réels statuts, afin de donner de la souplesse au système, et de
permettre à ces personnes de passer d'un métier à l'autre,
en conservant une couverture effective. Enfin, nous devons travailler sur
l'aide à la production, pour la mise en marché. En effet, nous
devons passer d'une économie de cueillette à une économie
de production (
package
, forfaitisation). Dans ce dessein, nous devons
favoriser la professionnalisation et l'émergence de nouveaux
marchés. Au niveau du Massif central, nous travaillons dans cette
direction depuis 1992, grâce au comité de massif. Tous les deux
ans, nous favorisons l'arrivée de 100 opérateurs du monde
entier sur le Massif central et ses produits spécifiques.
Actuellement, nous avons trop d'opérateurs et nous manquons d'offreurs
et de propositions.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci pour cet exposé, riche et complet.
Il a retenu toute notre attention, qu'il s'agisse des questions relatives au
Massif central ou des questions plus générales portant sur la
montagne et les régions rurales. Je vous propose que mes
collègues vous posent à présent leurs questions.
M. Jean Boyer -
Dans votre discours, vous avez souligné la
nécessaire évolution d'un état d'esprit. Comme vous l'avez
dit, il est important de ne pas se résigner et d'avoir envie
d'entreprendre. Cet état d'esprit est d'autant plus important dans les
zones de montagne et dans la politique des massifs. Aujourd'hui, les massifs
ont encore peut-être une politique trop passive. Concernant la politique
de la montagne, nous pouvons considérer que cette politique n'est pas
assez offensive et manque d'esprit d'initiative.
J'ajouterai à votre présentation que nous devons aussi prendre en
compte des réalités économiques et réglementaires.
Dans le monde rural, l'implantation des abattoirs, par exemple, se faisait dans
les lieux de production et d'élevage. Aujourd'hui, un audit national a
été fait dans ce domaine. Ses principales conclusions montrent
que, pour des raisons économiques et de pratique, il serait
préférable d'implanter les abattoirs dans les lieux de
consommation. A proximité de Lyon, par exemple, le projet d'implantation
d'un abattoir (en Haute-Loire) suscite beaucoup de réflexions.
En outre, les zones de montagne doivent prendre en compte les dispositions de
la réglementation européenne. En matière d'agroalimentaire
et d'élevage de volailles notamment, il faut savoir que certains
élevages sont remis en cause, au regard des délais de transports
arrêtés. En effet, la stricte application de la législation
européenne et le respect des délais de transport entre les lieux
de production et d'abattage conduisent à remettre en cause l'existence
de certains élevages de volailles, qui sont implantés à
plus de deux heures des abattoirs. Nous voyons que ce contexte
réglementaire et économique est pénalisant. Même si
nous avons la volonté d'entreprendre et de ne pas nous résigner,
nous nous interrogeons sur l'attitude à adopter.
M. André Marcon -
Je suis d'accord avec vous. Cependant, le
discours consistant à mettre en avant notre pauvreté et le fait
que personne ne prenne en compte notre situation n'est plus porteur.
Aujourd'hui, le problème doit être pris dans l'autre sens et les
agriculteurs et les transformateurs doivent se prendre en main et
réfléchir à la manière de mettre en place une
agriculture différente, basée sur la qualité. Nous devons
effectivement être capables d'empêcher l'entrée, dans nos
abattoirs, de marchandises qui ne correspondent pas à la qualité
existant au niveau du Massif central. Ainsi, nos abattoirs seront en mesure
d'offrir les meilleurs produits et la situation sera réglée par
le marché. En effet, si l'abattoir de Saint Paulien est celui qui
propose les meilleurs bêtes, il ne sera plus utile de se rendre à
l'abattoir de Lyon. Au niveau du Massif central, les agriculteurs sont en train
de se battre pour arriver à imposer une agriculture de qualité.
Ainsi, le problème des abattoirs et de la volaille sera
réglé. Comme en matière de tourisme, je pense que nous
devons jouer la politique des niches, de la valeur ajoutée, et de la
grande qualité, si nous voulons mettre en place des équipements
et apparaître sur le marché avec une proposition différente.
Mme Michèle André -
La situation de la filière
viande et celle des ses acteurs conduisent actuellement à se poser un
certain nombre de questions. Si l'on regarde la situation curieuse de
l'abattoir de Clermont-Ferrand, nous nous apercevons que malgré la
volonté du Conseil général de trouver une solution, nous
sommes encore tiraillés entre deux options ; abattre à
l'endroit où se trouvent les bêtes, ou à l'endroit
où sont les clients. L'attentisme de ceux qui mènent actuellement
cette réflexion et qui devraient être les premiers financeurs, est
tel qu'il compromet le maintien d'un abattoir de qualité dans la
région de Clermont-Ferrand. Je tenais à attirer votre attention
sur ce point.
Dans votre présentation, vous avez souligné la
nécessité d'une meilleure présence des
collectivités locales au sein des comités de massif. Pouvez-vous
nous préciser quels types de collectivités vous manquent. Toutes
les collectivités ne connaîtraient-elles pas un niveau
d'engagement équivalent ?
Je terminerai par une remarque. Je suis une infatigable défenderesse du
travail des femmes, qui est porteur de richesses, et d'avenir. N'ayant pas
été pris en compte depuis un certain nombre d'années, le
travail féminin a connu un déclin qui s'est traduit par la
disparition d'une population qui serait volontiers restée au pays si le
travail féminin était rémunéré par un vrai
salaire, et non par un salaire d'appoint ou secondaire. J'apporte une attention
particulière à cette question, afin que la présence des
femmes puisse permette la réouverture de services, qui pourraient
être de nature à attirer les jeunes sur les territoires de
montagne.
M. André Marcon -
S'agissant de la place des collectivités
territoriales dans le comité de massif, vous avez compris que les
socioprofessionnels sont très présents et très actifs. Je
vais passer la parole à Marc Gastambide, qui a été
commissaire à l'aménagement du Massif central. Il vous expliquera
comment il a ressenti les choses et combien, à son sens, le
comité a souffert de la non-présence des hommes politiques,
qu'ils soient des élus départementaux ou régionaux. En
matière d'emploi, il pourra vous présenter les dispositions mises
en place dans le cadre de l'accueil des jeunes actifs.
M. Marc Gastambide -
Lorsque les comités de massif ont
été mis en place, il a été proposé que ces
comités bénéficient de moyens financiers identiques
à ceux de l'Agence de l'eau. Gaston Deferre, qui a été
l'un de leurs derniers concepteurs, a refusé cette mesure. Pour moi,
cette décision a un sens politique très fort et exprime bien la
position de nos hommes politiques, en ce qui concerne les territoires
fragiles, comme le sont les territoires de montagne.
Les comités de massif ont, pendant longtemps, pris la forme de
réunions conviviales, où les participants avaient plaisir
à se retrouver. Les actions engagées dans le Massif central sont
tout à fait originales. Premièrement, les consulaires se sont
engagés très tôt, avec la création de l'UCCIMAC, du
COPAMAC SIDAM, pour les chambres d'agriculture, et de l'APAMAC, pour les
chambres de métiers. D'autres structures en MAC (comme Massif central)
ont suivi ce mouvement, comme l'ADIMAC, qui est structure d'Etat, la SOFIMAC,
qui est une structure de financement et de capital-risque, la SOMIVAl, et plus
récemment l'IPAMAC, qui réunit les parcs naturels du Massif
central, le GIP sur les centres de recherche du Massif central, et les pays.
Dans un premier temps, ce mouvement a été l'expression des
socioprofessionnels.
Par la suite, ce mouvement a été déterminant pour les
élus locaux, pour qui l'engagement des socioprofessionnels a fait office
de déclic. Le premier élu à s'engager après le
président de la Commission permanente, le député Jean
Brianne, a été le Président du Conseil
général du Puy de Dôme, qui a pris un réel
engagement politique interdépartemental. Le consensus qui s'est mis en
place s'est aussi traduit par la convention Massif central, qui a
été demandée par le Ministère de
l'Aménagement du Territoire de l'époque, sur l'initiative du
Massif central. Cette initiative a pu être prise grâce au
comité de massif qui avait préalablement pris conscience de la
nécessité de mettre en oeuvre une politique interrégionale
plus forte.
Aujourd'hui, les collectivités locales s'engagent dans une
démarche très nouvelle, qui repose sur un consensus d'une
nouvelle nature et qui est, progressivement, en train de faire son chemin. Je
pense que ce consensus s'inscrit dans une voie d'avenir. En effet, la rencontre
qui est organisée, au niveau du Massif central, entre les
socioprofessionnels, d'une part, et les collectivités territoriales,
d'autre part, est de nature à faire naître des idées et des
concepts de développement totalement inédits. Cette rencontre
entre de nouveaux acteurs permet d'envisager le développement futur des
massifs.
Le Massif central est un territoire de moyenne montagne qui, par rapport
à la haute montagne, ressemble davantage à un territoire de
piémont ou de zone rurale qu'à un territoire alpin ou
pyrénéen. Ce point devait être précisé
puisque l'utilisation du terme de massif renvoie la plupart du temps à
l'idée de territoire alpin ou pyrénéen.
Je pense que la problématique des politiques de montagne doit
s'impliquer davantage sur les aspects de développement économique
au sens large, notamment à travers les TIC et l'emploi.
M. André Marcon -
Pour revenir aux comités de massif, je
tiens à souligner que les régions et les départements ont
eu tendance à envoyer, au sein de ces instances,
des « seconds couteaux ». Lorsque les interlocuteurs
étaient, au contraire, des personnes de qualité, les choses se
sont naturellement mieux déroulées. Il existe donc, en ce
domaine, une réelle responsabilité des collectivités
territoriales. J'estime qu'il appartient aux présidents des Conseils
généraux et aux premiers vice-présidents des Conseils
régionaux de siéger dans les comités de massif.
M. Pierre Jarlier -
La situation de nos territoires ne doit pas
être vécue comme une fatalité. En effet, le discours tenu
par monsieur Marcon est de nature à redonner confiance aux
différents acteurs implantés dans les territoires. Il est
également important d'avoir des ambassadeurs de qualité, pour
travailler sur la question des politiques de développement.
Vous avez parlé d'accessibilité. Sur ce sujet, je pense que
l'accessibilité routière est effectivement une priorité. A
côté de cela, nous savons que l'accessibilité
numérique aura également un rôle majeur dans le
développement des territoires de montagne. Malheureusement, le
territoire du Massif central, tout comme les autres territoires de montagne,
est en train de prendre un sérieux retard, que l'on peut comparer au
retard qu'il a pris au sein du dispositif routier ou autoroutier. Suite au
CIADT, des espoirs sont apparus, laissant supposer un fort engagement de l'Etat
et des collectivités. Mais outre les investissements
dégagés pour les infrastructures, une autre difficulté se
pose. En effet, l'absence d'interconnexions entre les différents
opérateurs laisse présager un échec assuré,
puisqu'il faudrait, dans ce cas, installer autant de pylônes qu'il y a
d'opérateurs. Cette situation serait aberrante. Nous savons très
bien que la couverture optimale du territoire ne se fera qu'au moyen d'une
interconnexion entre les opérateurs. J'aimerais connaître votre
point de vue sur cette question, tout en rappelant que la couverture des
territoires en installations et lignes haut-débit sera, demain, le
facteur essentiel de développement des territoires reculés.
J'insiste beaucoup sur ce sujet qui, pour le moment, est loin d'être
réglé.
Ma deuxième question porte sur le comité de massif. L'idée
de faire intervenir le SGAIR à la place ou en complément du SGAR
me semble très intéressante. Nous nous rendons compte que les
politiques interrégionales existent et qu'elles présentent des
axes de développement transversaux (le long des axes autoroutiers, d'un
bassin versant, etc.). Cependant, la réalisation de ces mesures reste
extrêmement complexe. Si les acteurs locaux sont favorables à ces
projets, l'absence de coordination rend la gestion de ces dossiers impossible.
Même en la présence d'un préfet coordonnateur, ils sont
systématiquement renvoyés aux préfets des
différentes régions concernés. Ensuite, une fois que les
programmes sont contractualisés, chaque dossier de demande de subvention
est traité selon le même schéma, qui nécessite
d'attendre la réponse au projet et l'avis du préfet pendant
plusieurs mois, alors que les projets devraient être traités
rapidement, puisqu'ils sont basés sur des considérations
d'opportunité.
Dans ce contexte, le comité de massif ne pourrait-il pas avoir un
rôle de coordinateur, assimilable à celui d'un SGER, de
façon à simplifier les procédures et impulser les
programmes régionaux qui sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, je
me demande si les comités ne devraient pas bénéficier
d'une animation plus forte, et d'une relation encore plus proche avec les
commissaires de massif, en renforçant les commissariats de massif. De
cette façon, des acteurs plus proches du terrain pourraient impulser,
plus efficacement, les politiques de massif.
M. André Marcon -
J'abonde complètement dans votre sens.
Nous devons simplifier le système et mettre en exergue le rôle
d'animation devant être tenu par le commissariat ou par le comité
de massif. Nous devons à tout prix dissocier l'outil financer, qui doit
être propre, de l'animation. Je suis d'accord avec votre analyse et
notamment sur le renforcement du rôle du commissariat.
Je reviendrai rapidement sur la question du haut débit. En
matière de téléphonie mobile, la priorité porte sur
le GSM, qui est un outil de sécurité et dont toutes les
populations ont l'usage. En ce domaine, les trois opérateurs doivent
être d'accord pour s'installer sur le même pylône. Je
regrette que nous ayons abandonné le
roaming
, qui permettait,
là où il n'existait pas assez de pylônes partagés,
de passer d'un opérateur à l'autre, sans que la communication
soit coupée. Dans ce domaine, je pense les opérateurs n'ont pas
souhaité envisager cette possibilité, qui sur le plan technique
était réalisable. Il faut savoir que les opérateurs ne
sont pas intéressés pour faire passer de la voix et
préfèrent faire passer des services. Il est à regretter
que l'Etat, qui avait la possibilité d'imposer le
roaming
, n'ait
pas usé de cette prérogative.
S'agissant du filaire, il est important que les territoires de montagne soient
correctement raccordés, étant donné que l'UMTS n'est pas
près d'arriver sur ces territoires. Dans ce domaine, la mutualisation
est nécessaire et les différents protocoles doivent être
coordonnés. En effet, il est inutile que France Télécom
pose de la fibre optique avec ses propres protocoles, pendant que d'autres
opérateurs posent de la fibre en fonction d'autres protocoles. Nous
avons vu les difficultés engendrées par la présence des
différents protocoles en matière d'ADSL. Les autocommutateurs de
France Télécom ne pouvaient pas être équipés
en fonction des besoins des autres opérateurs. Il a donc fallu
construire de petites cabanes, pour les autres opérateurs, à
côte des premiers autocommutateurs. L'Etat doit donc véritablement
jouer son rôle de chef d'orchestre. Il a, en effet, le devoir d'organiser
le système pour que tout se passe bien.
M. Marc Gastambide -
Je pense que le commissaire de massif devrait
être désigné à la fois par le Président de la
commission permanente du comité de massif et par le préfet
coordinateur du massif.
M. Pierre Jarlier -
Nous devons effectivement aller dans le sens d'une
plus grande coordination.
Nous vous remercions tous deux de votre contribution. Elle se
révèle être un témoignage très
précieux.
13. Audition de MM. Claude Falip, responsable du dossier de la montagne des « Jeunes Agriculteurs », Michel Lacoste et Yannick Fialip (22 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au
Sénat, et je vous remercie d'avoir fait le déplacement pour un
échange de vues et d'informations qui nous seront précieuses dans
le cadre de la mission sénatoriale d'information sur la politique de la
montagne. Je vous prie d'excuser le Président Jacques Blanc, qui nous
rejoindra dans quelques minutes. Je souhaite vous présenter deux membres
de notre Mission, Monsieur Cazalet, sénateur des Pyrénées
Atlantiques, et Monsieur EMIN, sénateur de l'Ain.
M. Claude Falip
- Je vous remercie de nous accueillir au Sénat,
pour étudier cette problématique de la montagne. Je suis
responsable du dossier Montagne pour le CNJA. Je vis dans l'Aveyron, j'ai
35 ans, et je travaille sur une exploitation de 50 hectares, en
collaboration avec deux associés. J'appartiens au CNJA, devenu
« Jeunes Agriculteurs » depuis 1996. Depuis quatre ans, je
suis responsable du dossier Montagne ; j'ai connu plusieurs crises, en
particulier sur la problématique des Indemnités compensatoires de
handicaps naturels (ICHN).
M. Michel Lacoste
- Je m'appelle Michel Lacoste, et je suis agriculteur
dans le Cantal.
M. Yannick Fialip
- Je m'appelle Yannick Fialip, je suis agriculteur en
Haute-Loire. Je suis administrateur au CNJA depuis deux ans. J'ai une
exploitation agricole, en Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC)
avec mon père, dans les domaines des productions laitière et
ovine.
M. Claude Falip
- Vous nous avez transmis une grille de questions.
Concernant la première question qui nous a été
posée, relative au profil de l'agriculture de montagne de demain, je
pense que nous devons parler des volumes de production en montagne. Je pense
que l'agriculture de montagne, au travers de la gestion du territoire, doit
avoir cet acte de production. Les agriculteurs de montagne sont des acteurs
économiques, et doivent conserver cet acte de production, pour avoir une
dimension économique tant au niveau des exploitations que des outils de
transformation.
Je crois que nous devons travailler sur la valorisation de la production. Nous
devons en effet trouver des solutions pour adapter les exploitations et les
industries agroalimentaires par rapport au relief et à la distance.
M. Michel Lacoste
- Nous remarquons que l'installation en zone de
montagne résiste mieux qu'ailleurs face à la baisse
générale du nombre d'installations. La situation n'est pas
parfaite, dans la mesure où le nombre d'exploitations diminue en
montagne. Cependant, nous observons un meilleur taux de réussite du
renouvellement des générations dans les zones de montagne.
Concernant le système actuel, il est vrai que de nombreuses personnes le
contestent. Quant à nous, nous sommes attachés au maintien des
niveaux de formation et de fiabilité, nous permettant de vérifier
le niveau de compétences des jeunes qui s'installent, ainsi que leurs
dossiers. De tels choix portent en effet sur de nombreuses années et
supposent des investissements lourds. Par conséquent, les jeunes doivent
s'installer dans des conditions viables, avec un niveau de formation suffisant.
Nous estimons en revanche que des améliorations pourraient être
apportées sur les dispositifs d'accompagnement, en particulier pour les
prêts bonifiés. En outre, nous pensons que ces
améliorations doivent concerner les mesures de transmission.
Plus que l'accompagnement du jeune, nous croyons qu'il faut orienter les moyens
de production qui sont libérés par des agriculteurs n'ayant pas
de successeurs vers les jeunes. Peut-être faudrait-il mettre en place une
agriculture spécifique pour la zone de montagne. En effet, le
métier de l'agriculture en zone de montagne est plus dangereux
qu'ailleurs, et plus exigeant d'un point de vue physique. Par rapport à
cela, nous pourrions justifier des mesures spécifiques pour accompagner
les agriculteurs des zones de montagne partant en retraite, et lier ces mesures
au fait que ces agriculteurs cèdent leur exploitation à un jeune.
Concernant les démarches de filière, nous remarquons que
l'agriculture se libéralise de manière de plus en plus forte. Les
organisations communes de marché sont de plus en plus affaiblies. Nous
souhaiterions donc que l'agriculture puisse vivre par son adaptation au
marché. A ce titre, nous pensons que l'agriculture de montagne peut
faire valoir de nombreux atouts, par les démarches qualité
qu'elle peut mettre en avant. L'air, le territoire de la montagne,
l'environnement et les races et les produits spécifiques en font bien
évidemment partie. Certaines productions ont déjà
été développées sous le signe de la qualité,
les AOC et les labels rouges notamment. La démarche biologique se
développe également, tout comme l'appellation Montagne. Celle-ci
a été actée le 15 décembre 2000, et se met en place
petit à petit. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas en donner les premiers
résultats, mais cette démarche est très avancée
concernant le porc de montagne. Celui-ci apporte une réelle plus-value,
mais les volumes demeurent faibles. Une réflexion est par ailleurs en
cours sur le lait et la viande bovine. Par contre, si nous voulons aller plus
loin, il est évident que l'agriculture de montagne a besoin
d'accompagnement, notamment sur le volet de la modernisation des exploitations.
En effet, il existe certes les ICHN, qui ont connu un relèvement cette
année. Par contre, nous connaissons des problèmes au niveau de la
modernisation des exploitations et, d'une manière
générale, sur l'accompagnement des filières. Nous
connaissons des problèmes de coût de collecte en montagne,
notamment dans la filière laitière. Il existe des surcoûts,
par rapport à d'autres zones, qui ne sont pas pris en compte notamment
au niveau des investissements économiques de la filière. Par
ailleurs, la confection de produits de qualité suppose des ateliers de
moindre capacité. Logiquement, nous ne pourrons donc pas réaliser
des économies d'échelle, et nous avons enfin tout
intérêt à accompagner l'investissement de petites PME dans
les zones de montagne ; cela permettra de développer de la valeur
ajoutée au niveau des petites exploitations, maintenir celles-ci et, de
manière générale, maintenir de l'emploi dans les zones de
montagne. Tel est notre objectif principal.
On parle beaucoup du deuxième pilier de la PAC ; je pense que
celui-ci pourrait prendre en compte des mesures d'accompagnement de la
démarche qualité, ou encore des mesures d'investissement.
Aujourd'hui, nous ne savons pas quels sont nos interlocuteurs au niveau
communautaire. Nous aimerions connaître ces personnes pour savoir comment
nous pouvons construire des mesures d'aide à l'investissement, pour les
exploitations agricoles et pour la filière dans les zones de montagne.
L'année 2002 est l'année internationale de la montagne. Nous
avons prévu plusieurs actions pour mettre en avant notre agriculture. En
outre, nous estimons que cet événement peut constituer une bonne
occasion pour réfléchir, au niveau européen, à la
manière dont nous pouvons trouver des mesures d'aide à
l'investissement pour accompagner toutes les démarches de
qualité. Aujourd'hui, l'une de nos principales problématiques
réside dans notre volonté de bien cerner nos interlocuteurs au
niveau européen. Nous estimons que la zone de montagne pourrait
éventuellement être le laboratoire de la France pour
l'émargement sur le deuxième pilier de la PAC. Nous attendons
beaucoup de vous à ce titre.
M. Claude Falip
- Ce laboratoire, que vient d'évoquer Monsieur
Lacoste, revient à la conception qui prévalait dans les
années 70 pour la politique de montagne. Jusqu'à présent,
nous n'avons pas su faire preuve d'anticipation. Aujourd'hui, si nous voulons
que des jeunes restent sur les exploitations, si nous comptons conserver les
PME, nous devrons passer par le niveau européen. Nous devons donc savoir
quels sont nos interlocuteurs au niveau communautaire. Nous sommes aujourd'hui
tournés vers l'Europe ; ceci dit, nous devons conserver nos
territoires.
Comment voyons-nous le dispositif global d'aide à l'agriculture
aujourd'hui ? Dans les zones de montagne, les exploitations sont
dotées de faibles surfaces. Lorsque nous parlons de primes à
l'hectare, nous ne sommes que très rarement gagnants. Par ailleurs, le
système de valorisation de l'herbe est insignifiant par rapport aux
primes versées pour les céréales. L'herbe est quand
même une partie importante de l'économie des zones de montagne.
Ainsi, la montagne ne doit pas se passer de l'élevage, celui-ci
permettant l'entretien de la nature et la valorisation des produits. Il faut
donc trouver les outils pour répondre à cette
problématique, rendue difficile en raison du relief des zones de
montagne.
M. Yannick Fialip
- Je souhaite tout d'abord saluer Monsieur Boyer,
sénateur de la Haute-Loire, avec qui nous avons souvent l'occasion
d'aborder la question des problèmes agricoles des zones de montagne.
A mes yeux, les ICHN représentent une question fondamentale. Elles sont
à la base de la politique de montagne, et existent depuis 1972. Cette
aide a permis à bon nombre d'exploitations de rester dans des zones de
montagne, et est basée sur le triptyque hommes - produits - territoires.
Ces mesures demeurent une excellente chose, essentiellement en termes
d'implantation. Si nous devons réformer la PAC dans les années
à venir, je pense que nous devrons nous attacher à revenir sur
l'exemple de l'ICHN.
Cette ICHN a été réformée l'année
dernière, ce qui n'a pas été sans poser quelques
problèmes d'adaptation. Nous sommes passés de l'unité de
gestion de programme (UGP) à l'hectare, avec des conditions de
chargement, ce qui était nouveau. Certains agriculteurs ont
été exclus de ce dispositif, et nous avons besoin de votre aide
pour essayer de récupérer ces agriculteurs ; ils sont dans
une zone de montagne, et ne doivent pas être exclus au motif que leur
chargement est trop élevé.
En raison de la réforme que nous avons connue en 1999, avec les accords
de Berlin, nous avons bénéficié d'un financement
supplémentaire de la part de la Commission européenne. Nous
sommes passés de 381 millions à 457 millions d'euros.
Malheureusement, l'Etat français n'a pas voulu utiliser toute cette
somme, ce qui est très dommageable. Avec ces réserves de
trésorerie, nous aurions pu régler le cas de bon nombre
d'exploitations qui ont été exclues de l'ICHN. Je crois que nous
devrons nous attacher à changer cette situation et, peut-être,
revaloriser cette ICHN, notamment sur les petites exploitations.
Nous avions été habitués à percevoir la
totalité de l'ICHN à la fin du printemps. Aujourd'hui, en raison
d'un règlement européen, le versement est reporté au 16
octobre, ce qui ne va pas sans poser des problèmes de trésorerie
pour nombre d'exploitations. Il existe un co-financement français, et je
crois que la France pourrait avancer une partie de l'acompte.
M. Michel Lacoste
- Les exploitations étaient habituées
à recevoir les ICHN à la fin du printemps. Les remboursements
étaient prévus à la même période.
Aujourd'hui, il existe une forte attente sur le terrain, car les agriculteurs
sont très préoccupés par cette situation. Les acomptes
sont remis en cause, alors que, dans le même temps, des efforts ont
été faits pour les producteurs de céréales. Une
mesure équivalente serait la bienvenue aujourd'hui pour les agriculteurs
de montagne. Je pense que cela représente un point sur lequel les
agriculteurs sont véritablement dans l'attente, même s'il ne
représente pas une question structurante pour l'avenir.
M. Yannick Fialip
- Nous sommes attachés aux ICHN, mais les
volumes de production représentent une question plus importante. Nous
nous sommes longtemps battus pour disposer de volumes de production suffisants.
Même s'il est satisfaisant, nous estimons que le système des
quotas laitiers devrait être revu afin que nous disposions de volumes de
production plus importants. Il ne serait pas aberrant que nous demandions des
volumes de production supplémentaires dans les zones de montagne. En
effet, si le volume de production augmente, cela génère de
l'emploi. Cela va donc au-delà de l'agriculture, et concerne
l'aménagement du territoire en général. Nous pourrions
ainsi conserver des populations sur nos territoires. C'est à partir du
territoire que nous parviendrons à développer de la valeur
ajoutée et des revenus pour les agriculteurs.
M. Claude Falip
- Dans certaines zones, nous assistons à une
restructuration des outils, ce qui est difficilement
compréhensible : nous oublions en effet une partie des produits
affiliés à un territoire. Certes, nous avons les AOC, mais les
grands industriels arrivent sans avoir la volonté de valoriser les
produits ou les territoires. En outre, je crois que nous devons
réfléchir à la mise en place d'un circuit de production
organisé en fonction des attentes des consommateurs. Je suis pour le
moins effaré de constater que nous oublions les produits basiques que le
consommateur cherche tous les jours, le lait pasteurisé par exemple.
Nous avons aujourd'hui les outils adéquats, les coopératives par
exemple. Par conséquent, il serait bon de pouvoir drainer ces
initiatives afin de rapprocher le producteur du consommateur. Aujourd'hui, je
crois que nous devons avoir une réflexion pour fidéliser nos
clients et, pourquoi pas, développer des initiatives de distribution sur
des zones comme Montpellier ou Clermont-Ferrand. Il existe un potentiel d'achat
qui pourrait permettre à nombre d'exploitations de vivre et à des
PME de se développer. Nous n'avons rien contre les initiatives de vente
à la ferme ; seulement, nous croyons qu'il serait dommage de ne pas
trouver d'autres idées.
Concernant les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est
évident que de nombreux agriculteurs de montagne verraient d'un mauvais
oeil leur suppression. Je pourrais suggérer, afin de les valoriser, de
déplafonner l'axe économique dans le cadre de la montagne. Cela
peut permettre la mise en place de l'aménagement des exploitations, ou
même des cours de ferme. En effet, je crois qu'en montagne, plus
qu'ailleurs, nous devons faire des efforts au niveau de l'élevage. En
montagne, nous préservons le territoire et l'espace, et nous ne pouvons
pas considérer que nous sommes une force de nuisance ou de pollution
pour l'environnement. Notre agriculture est donc bien différente de
celle de l'Ouest, et nous ne pouvons pas appliquer les mêmes
critères relatifs à la pollution. Malheureusement, les
dérogations sont les mêmes pour tout le territoire. Nous ne sommes
pas contre ces mesures ; simplement, nous devons savoir comment nous
faisons pour adapter les exploitations qui, je le rappelle sont des structures
plus petites que la moyenne nationale. Autrement dit, comment faire pour
adapter ces exploitations, qui doivent pouvoir continuer à vendre leurs
produits ?
En zones de montagne, la question des subventions se pose avec une
réelle acuité. Nous sommes souvent au plafond des subventions
européennes, et une partie des enveloppes budgétaires
prévues ne sont pas utilisées. Cela représente un
réel souci, dans la mesure où les jeunes agriculteurs ne
parviennent pas à utiliser les fonds auxquels ils ont droit, car ils
sont trop rapidement au plafond.
Concernant la problématique foncière, il est évident que
celle-ci varie d'une zone à l'autre. Nous devrions
réfléchir sur ce point : en effet, l'activité
agricole est plus ou moins en concurrence avec l'urbanisation. En zones de
montagne, les éleveurs essaient d'avoir une autonomie fourragère.
Pour cela, il faut une surface suffisante, et nous entrons de manière
indirecte en concurrence avec l'urbanisation. Nous ne sommes pas contre
l'urbanisation, mais nous sommes directement liés au problème de
la distance avec les bâtiments d'élevage. De manière
générale, nous devons pouvoir trouver des cohérences, en
définissant des priorités selon les zones.
Nous avons parlé tout à l'heure de l'acte de production. A ce
titre, je pense que nous devons conserver tous les types de production dans les
zones de montagne. En outre, je crois que nous devons avoir des productions
« hors sol » en montagne, le porc et les volailles par
exemple. La montagne ne doit pas être seulement synonyme de sports
d'hiver ; je rappelle que les meilleures charcuteries se trouvent en
montagne. Malheureusement, dès que nous voyons une porcherie se
constituer, les producteurs de porc sont mis à l'écart... Nous
devons être vigilants car, face à une telle situation, les
agriculteurs arrêtent la production porcine. Pour autant, nous
transformons toujours autant de cochons, sous l'étiquette
« charcuterie de montagne », alors que les porcs viennent
de l'Ouest. Je demande donc que nous soyons dans une situation d'autosuffisance
de production. En fait, on s'aperçoit que nous sommes
déficitaires en termes de production, alors que les agriculteurs ne
demandent qu'à remplir cette mission.
M. Yannick Fialip
- 2002 est l'année internationale de la
montagne, et les jeunes n'ont pas voulu demeurer absents d'une telle
manifestation. Nous organiserons donc une manifestation, à
Clermont-Ferrand, rassemblant l'ensemble des massifs français. Cette
manifestation aura lieu les 6, 7 et 8 décembre 2002.
Nous aurons un double objectif : tout d'abord, nous voulons communiquer
politiquement sur la montagne, et nous vous invitons à participer
à nos travaux. En outre, nous voulons communiquer par rapport à
la Commission européenne, afin qu'elle reconnaisse la zone de montagne
au sein du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) de
l'Union européenne. Demain, avec l'élargissement de l'Europe,
nous aurons tout intérêt à avoir une zone de montagne
reconnue. Par ailleurs, nous essaierons, avec l'ensemble des massifs
français, de communiquer sur tous les produits de montagne. Tous les
jeunes agriculteurs des régions de montagne françaises essaieront
d'être présents. Par conséquent, nous vous donnons
rendez-vous les 6, 7 et 8 décembre pour cette manifestation. Nous
pourrons également mener une réflexion quant aux points que nous
venons de vous présenter.
M. Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous remercie pour cet
exposé. Vous avez balayé l'ensemble des points que nous vous
avions soumis, à l'exception de quelques sujets à la marge. Je
souhaite vous poser quelques questions, mais je vais avant tout laisser la
parole à mes collègues.
M. Jean Boyer
- Vous avez deviné que je résidais dans le
même département que Monsieur Fialip. Je siège par ailleurs
à la Chambre d'Agriculture avec son père. Vous avez
évoqué quelque chose qui va devenir un phénomène de
société : les agriculteurs, en zone de montagne, vont se
trouver dans deux contextes. Certains se trouveront isolés, dans des
villages où il n'y aura plus personne. Vous avez parfaitement dit
à ce titre que vous aspiriez à avoir davantage d'hectares, mais
aussi à avoir des voisins. En outre, nous ne devons pas oublier que,
dans la périphérie des agglomérations, les agriculteurs
deviennent des « corps étrangers ». Nous devons donc
communiquer, dans la mesure où l'agriculture est encore trop
perçue comme composée d'hommes capables de barrer les routes,
épandre du fumier ou encore générer des pollutions. Nous
devons expliquer à la population qu'un ouvrier bloque une usine
lorsqu'il manifeste. Les agriculteurs, quant à eux, ne peuvent pas
conserver leur lait pendant des semaines, et doivent trouver leur moyen
d'expression. Je crois que les citadins doivent savoir cela. Malheureusement,
ils ne sont pas convaincus que les agriculteurs ne peuvent pas manifester
autrement.
Nous devons également rappeler ce que les agriculteurs ont fait hier,
font aujourd'hui et feront demain, leurs missions, ainsi que l'évolution
de celles-ci. Autrement dit, nous devons rappeler le rôle joué par
l'agriculture, et apporter un message plus positif.
Deux points de votre exposé ont attiré mon attention, dans la
mesure où je n'y ai pas trouvé beaucoup de détermination.
Tout d'abord, la prime à l'herbe s'élève à 46
euros, alors que la prime aux céréales est à 350 euros en
zone de montagne. Cela n'incite pas du tout les agriculteurs à
travailler dans le sens de la qualité. Quant à la simplification
des règles administratives, elle ne semble pas non plus faire partie de
vos priorités. Pourtant, nous sommes souvent sollicités, en tant
qu'élus, à répondre à des questions techniques. A
ce titre, ne pensez-vous pas que les directions départementales de
l'agriculture (DDA) doivent appliquer ces règles avec un peu de bon
sens ?
J'ai entendu votre message. La prime à l'herbe va être reprise
dans le cadre des CTE, et j'aimerais avoir votre avis sur cette question.
M. Pierre Jarlier
- Nous sommes parfaitement en phase avec ce que nous
venons d'entendre. Concernant le problème des ICHN, le soutien est
important, et doit être affirmé comme étant indispensable
à la spécificité de la montagne. Cependant, je souhaite
avoir votre sentiment sur un petit effet pervers, à savoir le
problème de l'agrandissement. En effet, nous sommes liés à
des taux de chargement et à l'hectare, et on incite fortement à
l'agrandissement. Dans ces conditions, nous devons nous poser la question des
voisins, qui disparaîtront si certaines exploitations s'étendent
trop. Cela revient au problème du juste équilibre de la
ruralité, celle-ci devant être fondée sur la qualité
mais aussi sur l'homogénéité du territoire.
Par ailleurs, j'ai été très satisfait d'entendre votre
position sur le CTE, d'autant que les points de vues sont pour le moins
divergents sur cette question. A ce titre, je dois dire que j'ai
été inquiet face à certains propos tenus lors de la
campagne électorale. Dans mon département, j'entends en effet des
élus nationaux qui font campagne en disant que le CTE doit être
supprimé. Je crois que cette position est très dangereuse. A mon
avis, nous devons aller vers la simplification évoquée tout
à l'heure par Monsieur Boyer. Je crois par ailleurs qu'un réel
manque de volonté s'est manifesté au départ pour se lancer
dans cette démarche, pourtant particulièrement porteuse pour les
territoires sensibles qui sont les nôtres.
J'ai retenu vos propos relatifs au déplafonnement du volet
économique en montagne. Il y a là un créneau important,
passant par la mise en place d'un CTE spécifique à la montagne.
Il est logique de déplafonner le volet économique, dans la mesure
où des investissements en montagne sont plus lourds que des
investissements en plaine. Je pense que nous pouvons nous rejoindre facilement
sur ce point, et aller dans votre sens dans nos préconisations.
Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole
(PMPOA), je trouve que votre position est à la fois responsable et
volontaire. En effet, je trouve qu'il est dommage de pénaliser des zones
où l'exploitation est de qualité en nous concentrant sur des
zones qui sont, par définition, des zones polluantes. Il est totalement
aberrant de vouloir priver les exploitations étant dans les normes des
aides. Nous devons insister fortement sur ce point. En outre, nous devons
affirmer fortement que les agriculteurs ne sont pas contre la mise aux normes.
Au contraire, ils sont volontaires, et nous devons le faire savoir.
Aujourd'hui, les SAFER sont-elles opérationnelles pour permettre au
monde agricole de pouvoir se maintenir dans une ruralité habitée.
L'expérience nous montre que cela n'est pas le cas. Par
conséquent, pouvons-nous estimer que ces outils sont parfaitement
adaptés ? J'aimerais avoir votre avis sur cette question, car les
avis sont pour le moins partagés. Devons-nous les faire
évoluer ? Faut-il davantage de concertation à la base ?
Devons-nous changer le dispositif pour que nous ayons une véritable
régulation du foncier ? En effet, avec les courses aux primes, les
SAFER sont au coeur du débat.
Vous avez fait état de l'initiative que vous prendrez au mois de
décembre, dans le cadre de l'année internationale de la montagne.
Je voudrais vous dire que je souhaite que l'ADEME participe à vos
côtés à cette opération. Concernant la
reconnaissance des zones de montagne au niveau européen, je suis
persuadé que cela doit représenter notre principal axe d'action.
Nous allons évidemment aborder ce problème avec les instances
européennes dès demain matin.
Enfin, je tiens à vous dire que je suis particulièrement heureux
d'entendre des jeunes agriculteurs tenant des propos très responsables,
et éloignés de toute démagogie.
M. Auguste Cazalet
- En tant qu'ancien jeune agriculteur, je suis
très heureux de vous rencontrer et de vous entendre parler avec beaucoup
de foi et de passion. Je n'oublierai jamais que je suis fils de paysan et je me
suis installé sur 13 hectares de superficie agricole utile, en zone de
montagne. De nombreuses personnes pensaient que je ne pourrais pas vivre sur
une exploitation d'aussi petite taille, ce qui me faisait de la peine.
Lorsque j'étais secrétaire général du
département des Pyrénées atlantiques, il a fallu que je me
plonge dans le syndicalisme agricole pour me rendre compte de ce qui se passait
dans mon département. Certaines personnes abandonnaient en effet
l'agriculture, alors qu'ils disposaient de belles exploitations ; les
agriculteurs de montagne étaient ceux qui s'accrochaient le plus.
Monsieur Lacoste a rappelé que les zones de montagne étaient
celles qui contenaient le plus d'AOC. A mon avis, cette situation est dûe
au fait que les agriculteurs des zones de montagne se battent, car ils sont
souvent pris à la gorge et doivent s'en sortir.
Monsieur Falip a dit qu'il n'était pas venu avec des dossiers, et je
m'en félicite. Si vous étiez venus avec des notes de
synthèse toutes préparées, j'aurais estimé que vous
étiez des paysans embourgeoisés ; au contraire, vous avez
parlé avec votre coeur, ce qui représente, à mes yeux, la
vérité.
Personnellement, je m'interroge sur la prime à l'hectare, et je souhaite
que vous me donniez votre position sur ce point. Je suis par ailleurs d'accord
avec vos propos sur les ICHN, qu'il faut revaloriser pour les petites
exploitations. Là aussi, nous sommes encore des
déshérités. Quant aux volumes de production, nous pouvons
faire le même constat : pourquoi empêche-t-on les
exploitations de montagne de produire davantage ?
Vous avez évoqué le sort des petites exploitations qui ne
parviennent pas à utiliser toutes les subventions disponibles. Sur ce
point encore, cela représente un drame dans les zones de montagne.
Vous dites qu'il faudrait parvenir à l'autonomie fourragère.
Personnellement, je n'y crois pas beaucoup, dans la mesure où seules les
exploitations de grande taille peuvent atteindre une telle situation. En effet,
il est souvent difficile de parvenir à l'autonomie fourragère, en
particulier pour les petites exploitations. En outre, tout dépend des
zones de montagne dans lesquelles nous nous situons. Personnellement, j'habite
à l'entrée de la vallée d'Ossau : les exploitations
de ma commune sont classées en zone de montagne, mais d'autres sont dans
des situations bien plus difficiles.
L'urbanisation, quant à elle, représente un véritable
problème. Pour autant, allons-nous empêcher un village de
s'étendre ? En effet, cela représente un important travail
de diplomatie et d'acrobatie pour les élus municipaux :
étendre les zones habitables revient parfois à supprimer une
partie des terres agricoles.
Monsieur Falip a rappelé que nous avions oublié les produits
basiques. Je suis d'accord avec ce point de vue, et je dois dire que je nourris
à ce titre de réelles inquiétudes. En outre, je suis,
comme vous, tout à fait favorable au maintien de la vente de produits
directement dans les exploitations. Il serait dommage de voir certaines
exploitations fermer au motif qu'elles ne répondent pas aux normes
d'hygiène européenne. Ces paysans se battent, en transformant
leurs produits dans leurs propres fermes, et nous devons leur laisser leur
chance.
M. Jacques Blanc
- Je tiens à m'excuser pour mon retard. Je
remarque que le Massif Central est particulièrement présent
aujourd'hui. Ceci dit, nous n'oublions pas les autres montagnes.
M. Michel Lacoste
- Certaines de vos questions n'appellent pas
réellement de réponses. Nous rejoignons votre analyse, mais vos
questions ne concernent pas seulement l'agriculture de montagne. C'est le cas,
par exemple, pour vos observations relatives à la simplification
administrative ou au PMPOA.
Concernant le CTE, nous ne devons pas oublier que certains agriculteurs l'ont
signé ; d'autres sont candidats à ce dispositif. Si, demain,
le CTE venait à disparaître, il est évident que la
déception serait grande parmi les agriculteurs. Vous devez être
conscients de ce phénomène.
L'herbe représente de toute évidence un point essentiel, mais
cette problématique ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne.
Celle-ci doit se rallier aux zones herbagères, et nombre de
régions sont concernés par cette problématique. Il existe
aujourd'hui des mesures dans le cadre du CTE ; il suffit de les ouvrir
en-dehors du cadre du CTE, ce qui représentera un premier pas pour le
moins important. Les moyens administratifs existent ; il ne manque plus
que la volonté.
La question du volet de l'acompte est bien présente dans l'esprit des
Jeunes Agriculteurs. De manière plus globale, nous demandons que les
travaux sur l'ICHN se poursuivent, même si nous reconnaissons qu'un
important effort a été réalisé sur ce point au
cours des dernières années. Aujourd'hui, nous estimons qu'il faut
surtout travailler sur la reconnaissance des zones de montagne au niveau
européen. A ce titre, nous souhaitons inviter, à
Clermont-Ferrand, les zones de montagne des PECO pour adopter une position
commune. Par rapport à ces zones de montagne, nous souhaitons aborder la
problématique des volumes de production. Nous sommes favorables aux
quotas laitiers ; on parle d'une évolution possible des quotas en
2005, et il avait été dit, en 1999, que cela ne concernerait que
les zones de montagne. Aujourd'hui, nous parlons toujours d'une augmentation
des quotas, mais ils ne seraient pas spécifiques à la montagne.
Concernant la problématique des vaches allaitantes, les droits ont
été gelés. Dans le cadre de l'année internationale
de la montagne, nous estimons que les droits pris en zones de montagne
pourraient être dégelés. En effet, l'élevage est
vital dans les zones de montagne. Si nous ne consacrons pas les hectares des
zones de montagne à l'élevage, ces surfaces repartiront à
la friche.
Quant à l'installation, nous avons dit que des mesures
spécifiques devaient exister, ou l'aide à l'installation devrait
être revalorisée. En effet, nous pensons que des mesures de
transmission spécifiques doivent être mises en place pour les
éleveurs de montagne, car le métier est plus risqué et
plus fatigant qu'ailleurs. Il faut donc des mesures favorables pour accompagner
les agriculteurs de montagne à la retraite, et en liant ces mesures
à la libération de l'exploitation vers l'installation.
Le meilleur lien de communication entre l'agriculteur et le consommateur est le
produit. Si nous pouvons travailler au travers du produit de qualité, je
suis persuadé que l'agriculteur retrouvera une bonne image. Je crois que
l'agriculture de montagne a beaucoup à faire en la matière, mais
nous avons besoin d'un accompagnement en termes financiers ; nous avons
également besoin de personnes compétentes sur ces questions.
Il existe aujourd'hui des aides nationales, mais certaines d'entre elles sont
remises en cause par l'Europe. Dans le cadre du deuxième pilier de la
PAC, nous pensons qu'il est peut-être possible d'utiliser notre
financement national. Malheureusement, nous éprouvons des
difficultés pour trouver l'interlocuteur adéquat au niveau
européen pour bâtir de telles mesures. Ce point est essentiel pour
l'avenir.
M. Jacques Blanc
- Nous allons demain à Bruxelles dans cette
perspective. Au niveau du Comité des régions d'Europe, nous avons
réussi à faire passer le principe d'un rapport européen
sur la montagne. Il est vrai que nous devons utiliser les crédits du
FEOGA et, surtout, ne pas les renvoyer car nous ne les utilisons pas. Je suis
persuadé que nous pouvons trouver un accord avec Bruxelles, d'autant que
nous voulons répondre aux besoins de vie et d'identification des
produits. Nous sommes donc en phase, à condition que nous ayons des
droits à produire. Par ailleurs, nous devons pouvoir offrir des actions
de formation pour les jeunes dans ces zones de montagne.
M. Michel Lacoste
- Vous avez raison, nous sommes vraiment en phase.
Logiquement, nous souhaiterions, avec vous, travailler plus en avant.
M. Claude Falip
- Le pastoralisme est important dans les zones de
montagne. Nous y sommes très attachés, et le principal
problème que connaît ce type d'agriculture est lié à
la question des grands prédateurs. Nous privilégions
l'activité agricole avant les grands prédateurs.
Il existe une réelle unité dans les zones de montagne, et je
crois que nous devons la conserver. En effet, nous devons toujours pouvoir
échanger nos savoir-faire, malgré les différences
existantes. Nous devons parvenir à conserver cette unité au
niveau des massifs montagneux de la France.
Quant à la formation, nous estimons que cette dimension est
particulièrement importante pour les jeunes. En effet, nous avons besoin
de personnes capables de gérer les entreprises que sont les
exploitations. Les agriculteurs doivent pouvoir vivre au même rythme que
l'ensemble de la société. Autrement dit, nous ne devons pas
oublier la dimension sociale de l'agriculture.
M. Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour
vos contributions. Les sénateurs de vos départements respectifs
ne manqueront pas de vous tenir informés de l'avancée de nos
travaux. Je rappelle que nous rendrons nos conclusions au mois d'octobre.
M. Michel Lacoste
- Nous vous remercions de nous avoir accueillis.
14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne, accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de mission (22 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Je suis heureux d'accueillir la
délégation de la FNSEA, dans le cadre de notre mission
sénatoriale d'évaluation de la politique montagne. Certains
d'entre nous ont souhaité travailler sur l'ensemble de cette politique.
Cela représente un vaste chantier, que nous comptons mener à bien
pour le mois d'octobre.
Nous avons trois portes d'entrée sur ce sujet : l'environnement,
l'économie et l'aménagement. Nous souhaitons avoir votre
éclairage sur l'ensemble de ces chapitres, l'agriculture étant
à la fois un élément de l'aménagement du
territoire, un élément économique et un
élément environnemental. Nous sommes donc très heureux de
vous accueillir.
M. Dominique Barrau
- Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous
exprimer sur cette politique de la montagne, qui nous est
particulièrement chère. En effet, cette politique a permis aux
zones de montagne d'avoir accès au développement, en devenant des
espaces attrayants. Nous voulons maintenir ces espaces, certes attrayants,
comme des espaces économiques sur lesquels peuvent s'épanouir des
populations.
Nous avons reçu vos documents, et nous allons essayer de balayer dans un
premier temps les questions que vous nous avez posées. Concernant votre
première question, je crois avoir répondu dans mon
introduction : l'acte essentiel de l'agriculture de montagne doit
s'appuyer sur l'acte de production. Malheureusement, nous avons toujours autant
de mal pour trouver des bases nous permettant de rémunérer le
travail de l'agriculteur effectué en direction de l'espace. Par
conséquent, il nous semble important de rappeler que l'acte de
production de biens alimentaires constitue toujours une base. Nous restons bien
sur une agriculture de production, que nous considérons toujours comme
une source de richesse.
Les agriculteurs de montagne sont-ils les agriculteurs les moins aidés
de France ? Je crois que nous ne devons pas situer le débat sur la
question du montant des aides. En effet, la politique de montagne a
institué, en 1973, la notion de correction de handicap. L'idée
était simple : il fallait donner les moyens aux agriculteurs de ces
zones de montagne de produire dans les mêmes conditions
économiques que les autres zones. Nous restons sur cette idée,
mais nous sommes obligés de constater que la réforme de 1992 a
affaibli la notion de correction de handicap. Si les différentes
compensations ont évolué en valeur absolue, leur valeur
réelle s'est bel et bien érodée. Le différentiel
entre les zones de montagne et les zones de plaine n'existe plus aujourd'hui.
En effet, les politiques verticales sont venues se greffer sur cette politique
agricole.
En outre, les agriculteurs des zones de montagne ont eu le souci de plafonner
les aides, et de les lier à l'acte de production. Par exemple,
l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN) limitée
à un hectare entraînait un maintien des productions liées
au sol. Le plafond, apporté en complément, a permis de conserver
davantage d'agriculteurs. Au-delà des aides, cela représentait
une politique volontariste ayant réellement porté ses fruits.
Sur certaines productions, notamment en zones de montagne, de nombreuses
initiatives ne sont pas épaulées. Je pense, par exemple, à
des démarches qualité ou à des initiatives
particulières. Celles-ci s'appuient sur des productions
différenciées, et sont aujourd'hui en phase avec le
marché. Par conséquent, les agriculteurs de montagne sont-ils les
moins aidés ? En fait, nous sommes face à trois cas de
figure. Ils sont moins aidés en effet en raison de la réforme de
1992, à laquelle je viens de faire référence. Dans le
même temps, ils ont su accepter la politique de plafonnement. Enfin, ils
ont réussi à dégager des initiatives en n'ayant pas
recours à l'aide aux produits.
Concernant votre troisième question, relative à la réforme
de l'ICHN, je souhaite tout d'abord dire que nous n'étions pas
favorables à cette réforme. Nous nous sommes battus pour que son
impact soit le moins négatif possible au niveau des exploitations.
L'augmentation de l'enveloppe a permis de corriger la majorité des
effets négatifs. Il reste néanmoins, sur la production ovine et
dans les zones les plus difficiles - les zones sèches notamment -, des
perdants. En outre, dans l'ancien système, une partie de l'enveloppe
pouvait être utilisée avec une certaine souplesse à
l'échelon du département. Cette partie de l'enveloppe,
représentant 10 % du montant total, permettait de corriger les
imperfections. Malheureusement, nous n'avons plus cette possibilité
aujourd'hui.
Concernant les petites exploitations, l'ICHN, au-delà d'être
plafonnée, mettait en place deux paliers : les
25 premiers hectares sont mieux compensés que les suivants.
Aujourd'hui, nous considérons qu'il serait opportun d'augmenter
significativement l'ICHN. Notre demande est claire : il faut doubler les
25 premiers hectares. Cela réglerait les problèmes des petites
exploitations. Surtout, cela permettrait de mettre un terme à la course
au foncier, celle-ci étant bel et bien présente par rapport aux
effets de seuil. Cette course est d'autant plus aiguë que nous sommes sur
des terres favorables. Nous rencontrons plus ou moins globalement ce
problème sur tous les massifs.
Quant au contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est évidemment
trop tôt pour faire un bilan quantitatif et qualitatif. Aujourd'hui, nous
estimons que le principe du CTE doit en être conservé, dans la
mesure où il correspond tout à fait à notre logique. Par
contre, nous sommes conscients que le CTE ne permettra pas de régler
tous les problèmes. Ainsi, nous devons rester sur une logique de projet
et de diagnostic ; pour les problématiques liées aux aides,
nous devons passer sur d'autres systèmes, plus pragmatiques. Le CTE
demeurera ainsi un outil d'analyse et de diagnostic. Nous pensons donc qu'il ne
faut pas supprimer les CTE, d'autant que l'agriculture de montagne se retrouve
dans cette logique environnementale. En effet, les impacts de ce type
d'agriculture sur l'environnement sont particulièrement faibles. Un
problème demeure néanmoins sur la partie économique. En
effet, nous sommes au même niveau que l'ensemble du pays, et nous
souhaiterions que le CTE en zone de montagne soit déplafonné. Je
vous rappelle que tout investissement économique sur un bâtiment
en montagne génère automatiquement un surcoût dans la mise
en oeuvre. Par ailleurs, je vous rappelle que les bâtiments de zones de
montagne sont souvent plus grands qu'en zones de plaine. Par conséquent,
nous estimons qu'il serait bon que le CTE en zones de montagne soit
déplafonné à un seuil permettant à l'agriculteur
d'investir dans des conditions normales.
Pour la production, je crois que nous devons distinguer la production de la
viande de la production de lait et de fromages. Pour la viande, il est
évident que les consommateurs ont retrouvé un certain goût
pour les achats de proximité suite aux crises successives que nous avons
connues. Par conséquent, il y a lieu de remettre en activité les
abattoirs de proximité, et favoriser la mise en place d'ateliers de
découpe. Ces ateliers présentent deux
intérêts : ils permettent de dégager de la valeur
ajoutée en direct pour l'éleveur, et de valoriser les races
spécialisées pour la viande. Il y a là un véritable
chantier, qui correspond à une demande des consommateurs et à une
problématique sur la spécificité des races à
viande. Concernant le lait et les fromages, nous sommes attachés au
maintien des quotas laitiers. En effet, en cas de libéralisation, nous
savons pertinemment que nous ne serions pas compétitifs. Les zones ayant
gardé le plus de trayeurs se verraient éliminées par la
concurrence économique. Nous sommes donc favorables au maintien des
quotas laitiers. Certainement, il serait opportun d'envisager une gestion
différente de ces quotas. Nous rencontrons en effet un réel
problème avec la départementalisation. Certains
départements remplissent leurs quotas de manière
régulière, et certaines AOC sont limitées par les quotas
d'exploitation alors qu'elles pourraient vendre davantage. Autrement dit, le
marché existe, mais nous sommes limités par cette question des
volumes de production. Parallèlement, des départements
n'atteignent pas leurs quotas. Nous sommes donc limités par cette
gestion départementale ; cela constitue un problème, qui
mériterait d'être étudié.
Concernant l'utilisation du décret montagne, nous souhaiterions faire
une proposition concrète. Nous voulons mettre en place, autour de ce
décret, une différenciation de la production qui serait
reconnaissable par une signalétique particulière et
vérifiable par un cahier des charges. Il faut tout d'abord mettre en
place une signalétique commune, puisque le décret Montagne ne
prévoit pas l'utilisation du logo Montagne existant. Par
conséquent, l'ensemble des productions sont d'accord pour se ranger
derrière une signalétique commune. Il est tout à fait
possible, ensuite, de décliner cette signalétique par produits.
Nous allons proposer cette initiative au Ministère de l'Agriculture,
afin qu'il nous autorise à mettre en place cette signalétique,
qu'il en fixe les conditions et détermine la structure qui doit la
porter. Cette structure pourrait établir un cahier des charges
d'utilisation du logo Montagne, et le mettrait à disposition des
différentes interprofessions.
Cela représente, à nos yeux, l'axe fédérateur de la
reprise en main de l'acte de production par les agriculteurs de montagne.
Depuis de trop nombreuses années, nous sommes trop axés sur la
question de l'aide financière ; nous souhaitons donc
désormais mettre à nouveau l'accent sur le produit. Nous avons
maintenant l'aval de toutes les productions. J'ai eu l'occasion
d'évoquer ce sujet lors des Assises du regroupement, la semaine
dernière : d'autres pays de l'Union européenne sont
séduits par cette idée, même s'ils ne disposent pas des
mêmes conditions de faisabilité que nous. Quoi qu'il en soit, je
crois que cela représente un axe profond de recherche, comprenant
plusieurs étapes. Tout d'abord, nous devons mettre en place une
signalétique commune, avant de constituer un cahier des charges
correspondant à la réalité de la montagne.
Ces questions ont été discutées, pour le lait, dans le
cadre des organisations interprofessionnelles laitières. Certaines
productions, disposant déjà d'un label qualité, se
demandaient si de telles initiatives n'allaient pas perturber les
démarches existantes. Cela dit, nous nous sommes entendus pour que de
telles situations ne se produisent pas.
Concernant le statut de l'agriculteur dans les zones de montagne, nous devons
dire que nous rencontrons quelques problèmes. Quant au pastoralisme,
nous n'avons pas beaucoup travaillé sur cette question. Cependant, nous
n'avons aucun
a priori
sur ce point.
M. Jean-Luc Birnal
- Concernant les expériences des agricultures
de montagne, je réalise, en particulier par rapport à d'autres
pays européens comme l'Autriche, combien l'étroitesse du statut
de l'agriculteur est un frein à une politique de montagne dynamique en
termes de création de richesse et de captation de fonds. Si nous
regardons les blocages que nous connaissons sur le tourisme rural, les
difficultés d'avancement de la question des produits fermiers, nous
prenons conscience du travail qu'il reste à faire sur cette question du
statut. Certes, cela ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne, mais
nous sommes confrontés au premier chef à cette question.
A mon sens, tout cela entraîne un réel manque de
développement. Souvent, nous sommes bloqués vis-à-vis de
l'extension des surfaces ; les gains de productivité doivent donc
être effectués à travers la recherche de
débouchés nouveaux et de services novateurs. Malheureusement,
nous éprouvons des difficultés pour faire cela, compte tenu du
statut actuel.
Concernant le plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA),
nous sommes également en première ligne. A la FNSEA, nous avons
la perception suivante : on nous demande de ne pas polluer. Hormis
quelques rares exceptions, très limitées territorialement,
l'agriculture de montagne n'altère pas le milieu par ses pratiques.
Logiquement, il nous semble stupide d'appliquer le même programme pour
l'agriculture de montagne que pour l'agriculture de plaine, celle-ci devant de
toute évidence faire un effort curatif. Nous voulons travailler
très rapidement sur ce dossier, pour que le programme de mise aux normes
des exploitations concernées permette certes d'éviter des
accidents écologiques graves, mais non pas de mettre en place un
système visant à avoir un effet curatif sur la pollution ;
celle-ci n'existe pas en zone de montagne. Par conséquent, une telle
logique serait complètement fausse, car non adaptée à
l'agriculture de montagne. Si nous parvenions à avancer sur ce point,
nous retrouverions une certaine équité avec l'agriculture de
plaine. Pour le moment, l'agriculture de montagne est très
défavorisée sur ce point. Cependant, si nous reprenons le PMPOA,
en le modifiant, je pense que nous pourrons retrouver un certain
équilibre financier.
Concernant l'attribution des aides ICHN, je crois que nous devrions rectifier
rapidement quelques distorsions, notamment sur les fruits. Les producteurs de
pommes, de poires et de pêches qui sont en zones dites sèches
peuvent en bénéficier, alors que les producteurs en zones humides
n'en profitent pas du tout. J'insiste sur ce point, dans la mesure où
cela ne représenterait pas un effort budgétaire colossal ;
pourtant il permettrait de rétablir une certaine équité
entre les agriculteurs des zones sèches et ceux des zones humides.
Quant au surcoût dans les zones de montagne, je voudrais
développer la question des zones de montagne dites touristiques. Cela
concerne tout ou partie des massifs et, lorsque nous imposons des contraintes
d'intégration paysagère ou de concept de bâtiment, le
coût des bâtiments construits est sensiblement augmenté.
Certes, les bâtiments construits sont jolis, mais de telles mesures
créent une discrimination totale par rapport aux zones de plaine. Ces
surcoûts n'ont rien à voir avec l'agriculture ; par
conséquent, ils ne doivent pas être pris en charge par des fonds
destinés à l'agriculture. Si l'on estime que de tels
investissements sont réalisés dans une optique touristique, il
faut se tourner vers le tourisme ; si l'on estime qu'il est bon d'avoir
des bâtiments d'élevage conformes aux traditions de construction,
il faut se tourner vers la culture. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas
continuer à faire peser de tels surcoûts sur l'agriculture.
Quant au piémont, nous remarquons un comportement discriminatoire
vis-à-vis des producteurs de lait. En fait, une différenciation a
été créée entre un piémont dit laitier et un
piémont « normal », où l'agriculture est
beaucoup plus partagée. Au total, tous les agriculteurs installés
sur une zone de piémont laitier - toutes les montagnes au nord des deux
Savoie - ont droit à des compensations de handicap, selon certains
critères. Malheureusement, un producteur de lait, ayant le même
cheptel mais étant en dehors de cette zone, ne bénéficie
d'aucune aide de ce type. Evidemment, nous estimons que cette situation n'est
pas normale.
Par conséquent, nous avons identifié de nombreuses petites
améliorations pouvant être apportées relativement
rapidement. Elles sont par ailleurs peu conséquentes d'un point de vue
budgétaire.
Nous avons répondu à la question relative au foncier ; en
revanche, nous n'avons pas parlé des problèmes relatifs à
l'aménagement. Cette question est pour le moins complexe dans les zones
de montagne : certains territoires se trouvent dans des situations de
désertification avancée ; d'autres en revanche, courent le
risque d'être asphyxiés par excès de
« bétonnage ». Prenons l'exemple des Causses et des
Alpes du Nord, qui constituent deux cas extrêmes : les Causses se
vident, et l'économie disparaît peu à peu. Je sais qu'une
telle situation ravit nombre d'écologistes, qui y voient la
recréation d'une zone naturelle. Nous pensons quant à nous que
l'écologie sans hommes est inutile. Quant aux Alpes du Nord, nous
remarquons une forte pression urbaine, notamment sur les surfaces
mécanisables. Au total, nous ne parvenons pas à entretenir les
terrains pentus qui se boisent peu à peu. Cette région court
ainsi le risque de perdre son identité touristique, et, finalement,
d'être dotée de handicaps économiques
particulièrement préoccupants pour l'avenir.
Nous en reparlerons peut-être plus longuement au cours de la discussion,
mais je tiens à évoquer rapidement la question des commissaires
de massif. A mon avis, ils ne servent pas à grand-chose actuellement.
Pourtant, ils pourraient être très utiles s'ils faisaient un
travail constructif. Notamment, ils doivent nous permettre de mieux
préparer les projets, en relation avec le deuxième pilier de la
PAC.
M. Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour
cet exposé. Je vous propose maintenant de passer à un
échange de questions et de réponses.
Vous avez évoqué une ligne passant au nord des deux Savoie. Je
n'ai pas compris quels agriculteurs bénéficiaient d'aides. Quant
à la pluri-activité, vous avez évoqué les freins
résultant du statut de l'agriculteur. A ce titre, vous avez rapidement
parlé de l'exemple autrichien. Selon vous, la réponse
passe-t-elle par le statut de la poly-activité. Au contraire, avez-vous
une autre vision du métier de l'agriculteur ?
Monsieur Barrau, vous avez parlé de l'accompagnement du décret
Montagne, avec une signalétique d'une part, et un cahier des charges
d'autre part. Selon vous, quelle est la compatibilité entre ce cahier
des charges, qui reste à construire, et celui en vigueur pour les AOC et
les IGP (Indications Géographiques Protégées)? Comment ces
dispositifs peuvent-ils cohabiter ?
M. Jacques Blanc
- Concernant la valeur ajoutée en montagne, le
décret fait état d'une exigence d'abattage et de transformation
sur place. Nous nous demandions si les dérogations permettant de
contourner cette obligation étaient nombreuses. Si nous voulons à
la fois éviter les phénomènes de triche et répondre
au besoin d'apporter cette valeur ajoutée afin de maintenir la vie en
montagne, il est évident que le problème des abattoirs et des
ateliers de découpe est fondamental. Par ailleurs, nous pouvons
désormais apporter des sécurités supplémentaires
pour tout ce qui concerne l'alimentation des animaux. Nous avons tous
été frappés par le problème de la vache folle.
Demain, à tort ou à raison, la question des OGM se posera de
toute évidence, et des phénomènes d'angoisse collective
pourraient se développer par rapport à des animaux en ayant
consommé. Cela dit, il est possible d'apporter ces
sécurités pour les animaux de montagne. Ceux-ci sont en effet
nourris pour l'essentiel sur des pâturages, mais l'alimentation doit
néanmoins être complétée. Je me demande s'il est
possible d'avoir une approche spécifique à la montagne, par
rapport à l'alimentation du bétail, qui serait garantie comme non
génétiquement modifiée. Cela commence à être
un problème pour la viande, et ce le sera demain par rapport au lait et
aux fromages.
Soyons très clairs : je ne suis pas du tout un partisan de
José Bové, et je soutiens les recherches
génétiques. Dans ma région, nous soutenons la recherche
génétique, tant dans les domaines médical que
végétal. Par contre, nous avons lancé une action pour
apporter une sécurité au niveau des produits venant de la
région Languedoc-Roussillon.
Concernant les droits à produire, vous avez dit que vous étiez
favorable au maintien des quotas, sous réserve qu'il y ait autorisation
de droits à produire dans les zones de montagne. Quand la taxe de
coresponsabilité est apparue, j'avais fait en sorte pour qu'elle ne
s'applique pas en montagne. Lorsque nous sommes passés de la taxe de
coresponsabilité aux quotas, aucune différenciation n'a
été faite. Or les quantités de lait produites par animal
ou pour hectare dans les zones de montagne sont sans aucune mesure avec celles
produites en zones de plaine. Ainsi, comment pouvons-nous trouver des
solutions ?
M. Jean Boyer
- Plusieurs questions me viennent à l'esprit. Dans
le cadre de la détermination de l'entité montagne, quelles
références utiliseriez-vous ? Prendriez-vous les territoires
aujourd'hui concernés par l'ICHN ?
Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole,
nous savons tous que trois financeurs entrent en jeu : les
collectivités, l'Agence de l'eau et l'agriculture elle-même. Ne
pensez-vous pas que nous devrions laisser une liberté
d'initiative ? En effet, nous avons cloisonné les hommes, ce qui
est dommageable.
Vous avez évoqué la filière viande. L'ESB n'a-t-elle pas
attiré notre attention sur la nécessité de
réorganiser et de maîtriser cette filière ? Par
ailleurs, avons-nous des moyens de contre-attaque sur la
« démagogie médiatique » ? En effet,
vous savez comme moi que la filière viande a été
cassée en quelques jours. Malheureusement, nous restons silencieux, et
nous n'apportons pas de réponses.
Concernant l'éventuelle libéralisation du prix du lait, il est
évident que les zones de montagne seraient encore plus
pénalisées, dans la mesure où les volumes de production
sont réduits. Cette situation pourrait être évitée
si une identité montagne existait.
Plus que personne, vous savez que l'agriculture a évolué
considérablement en quelques décennies. Je suis persuadé
que nous avons besoin de professeurs adaptés à l'évolution
de l'agriculture de demain.
Dans le cadre de la PAC, l'Allemagne traîne les pieds. Avez-vous des
inquiétudes fondées sur ce sujet ? Que pensez-vous des
menaces de George Bush Jr vis-à-vis du soutien à l'agriculture
américaine dans le cadre de la comparaison avec l'agriculture
européenne.
M. Auguste Cazalet
- J'ai cru comprendre que vous voyiez quelques
injustices à propos de l'ICHN. Comment pouvons-nous régler ce
problème ? Je crois qu'il aurait fallu faire un inventaire de
toutes les exploitations, mais on nous a rétorqué que cela
n'était pas possible. Je pose cette question depuis des années,
et je souhaiterais savoir si vous avez une réponse sur ce point.
M. Pierre Jarlier
- Vous avez parlé de la mise en place de
signalétiques communes, de cahiers des charges... Aujourd'hui, nous
savons qu'il existe une forte attente de la part des acteurs du secteur
économique de montagne, qui souhaitent retrouver la valeur
ajoutée de leurs produits, avec leurs acteurs locaux. Je pense que vous
comprenez parfaitement de quoi je parle : par exemple, la notion de jambon
d'Auvergne ne veut rien dire ; souvent ce jambon est fabriqué dans
d'autres régions, à partir d'animaux qui ne sont pas
élevés en Auvergne. Ma question est donc très
simple : comment pouvons-nous maîtriser la production, la
transformation et la commercialisation sur un secteur de montagne ?
Comment éviter les dérogations qui ne manqueront pas d'être
demandées ? En effet, nous savons tous que nous sommes dans le
cadre d'une réelle mutation, qui ne manquera pas de poser un certain
nombre de problèmes. Je crois que nous aurons besoin d'un énorme
courage politique pour traiter cette question, et je souhaite savoir comment ce
courage se déploiera sur le terrain. En outre, que pouvons-nous faire
pour nous assurer que la production en montagne pourra susciter sa valeur
ajoutée dans le pays de production, avec ce fameux label ?
Je souhaite aborder également la question de l'évolution de la
problématique laitière. Nous avons des inquiétudes sur
cette politique laitière : nous savons tous que les quotas ont
sauvé la filière laitière en montagne. Grâce
à la mise en place de ces quotas, nous avons vu une réelle
valorisation survenir, dans le Jura par exemple. Quoi qu'il en soit,
l'inquiétude est forte. Si, demain, nous connaissions une
libéralisation du lait, il est évident que nous assisterions
à une disparition rapide des agriculteurs de montagne, qui ne pourraient
pas lutter. Comment, dans les nouveaux dispositifs envisagés, est-il
possible de réorganiser la politique de prix dans la filière
laitière ?
M. Dominique Barrau
- Notre position demeure inchangée :
nous voulons garder la maîtrise de la production et des produits dans les
zones de montagne. Nous restons sur cette position, et nous ne nous
lançons pas dans des recherches de solutions à horizon 2005 ou
2006. En 1999, nous étions face aux mêmes questions : comment
faut-il envisager l'évolution du système des quotas
laitiers ? Notre obstination et notre persévérance ont
permis que nous restions sur un schéma de maîtrise de ces quotas.
De toute façon, je ne vois pas comment nous pouvons envisager une
libéralisation de la production laitière, notamment dans un cadre
européen.
Il reste une piste, d'ordre réglementaire, à travers les accords
de Berlin. Il existe en effet la possibilité d'accompagner les zones de
montagne, selon le schéma d'accompagnement appliqué aux pays de
l'Est entrant dans la Communauté. En outre, il est possible de passer
d'une gestion des quotas départementale à une gestion
régionale. Je pense qu'une telle logique peut donner des bouffées
d'oxygène à certaines zones de montagne qui, régionalement
parlant, contiennent des zones de plaine. Je crois que les pouvoirs publics
doivent entrer dans un tel schéma. En effet, si l'administration ne le
fait pas, il est évident que les entreprises prendront le relais.
Rapidement, celles-ci préféreront aller s'installer en plaine.
Pour conserver la production en montagne, il est également possible de
mettre en place un différentiel de produits. Je suis persuadé que
cette logique peut fonctionner, en particulier dans un cadre
interprofessionnel. Nous le voyons parfaitement avec l'exemple du Roquefort.
Concernant le décret montagne, nous avons lancé un chantier le
15 septembre 2001. Ce chantier n'est évidemment pas achevé,
et nous ne maîtrisons pas encore tous les éléments
d'information. Nous voulons créer une signalétique, celle-ci
étant portée par une structure large, et disposant d'un cahier
des charges. Autrement dit, nous voulons adopter une démarche
volontariste, mais qui ne soit pas verrouillée. En outre, pour que le
consommateur ne soit pas trompé, nous devons construire un cahier des
charges susceptible d'évoluer dans le temps. En effet, il est
évident que les niveaux d'exigence des consommateurs peuvent
également évoluer.
Quant aux dérogations, je pense que nous devons nous appuyer sur les
zones de montagne actuelles. Je ne pense pas qu'il soit opportun de rouvrir ce
dossier. Cependant, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour
que toute la production de montagne soit bel et bien valorisée en
montagne.
Notre position est donc claire : nous ne sommes pas favorables aux
dérogations aujourd'hui. Par contre, un problème
économique se pose : je ne vois pas l'intérêt
d'utiliser le décret montagne pour valoriser 3 % de la production.
Cela n'a strictement aucun sens. Au contraire, nous devons utiliser le
décret montagne pour valoriser la majorité de la production de
zone montagne. Notre approche sur ce point est on ne peut plus simple :
nous préconisons donc de constituer un inventaire avant de donner des
dérogations. Lorsque l'inventaire sera fait, nous pourrons en reparler,
mais nous ne devons pas entrer dans un schéma dérogatoire
a
priori.
Les Pyrénées par exemple rencontrent un réel
problème : aucun des producteurs des Pyrénées
atlantiques, classé en zone montagne, ne voit son produit
transformé en zone montagne. Cette transformation a lieu dans la
vallée... Nous devrons donc nous poser de telles questions.
M. Jacques Blanc
- Peut-être la notion de distance
vis-à-vis de la limite de la zone montagne entre-t-elle en compte.
M. Pierre Jarlier
- Il est vrai qu'il existe de réelles
interrogations quant à la localisation de certaines entreprises.
Cependant, nous ne devons pas oublier qu'il est pour le moins difficile de
générer de la valeur ajoutée sur des territoires en grande
difficulté. Peut-être ne devrons-nous pas céder
complètement au lobbying des entreprises si nous voulons laisser une
chance aux territoires que je viens d'évoquer. Sinon, ces derniers
produiront toujours, mais la valeur ajoutée sera
générée ailleurs. Autrement dit, nous devons savoir ce que
nous voulons. Je reconnais que le choix est difficile, mais nous devons pouvoir
laisser une nouvelle chance à ces territoires.
M. Dominique Barrau
- Quoi qu'il en soit, nous devons être
très rigoureux. Nous faisons le choix d'une signalétique
portée par les producteurs, dans la mesure où nous voulons
redonner aux producteurs quelque chose à négocier. Aujourd'hui,
les entreprises disposent du marché, sur lequel les producteurs n'ont
aucune influence et aucune marge de manoeuvre.
M. Jean-Luc Birnal
- Lorsque nous examinons les produits de montagne qui
ont réussi, nous remarquons, et ce de manière
systématique, que la grande majorité des outils
économiques se situent en zone de montagne. Dès qu'une
délocalisation survient, nous nous rendons compte que la valorisation
est réduite à néant. Seule une belle appellation demeure,
ce qui est dommageable.
M. Dominique Barrau
- L'objectif est clair : il faut garder de
l'économie et de la valeur ajoutée dans les zones de montagne.
Dans le même temps, nous devons demeurer très réalistes et
très rigoureux, en particulier au niveau de la signalétique. .
M. Jacques Blanc
- Dans votre signalétique, comptez-vous parler
d'IGP, d'AOC ?...
M. Dominique Barrau
- Nous nous arrêterons, dans un premier temps,
à la certification complémentaire de protection (CCP), qui
représente un des quatre signes officiels de qualité. En outre,
il est l'un des moins exigeants. La CCP nous permettra de mettre en avant deux
éléments différenciateurs des produits concernés.
En montagne, il nous semble que les notions d'herbe, d'environnement et de
bien-être animal représentent des atouts devant être mis en
avant. Parallèlement le département de la Haute-Loire travaille
en relation avec l'Institut national de la recherche agronomique (l'INRA) sur
des recherches consacrées à la caractérisation technique
des produits de montagne.
M. Auguste Cazalet
- Cet audit apportera des preuves que le lait de
montagne contient des éléments différenciateurs.
M. Jacques Blanc -
Pour les animaux finis, une alimentation
complémentaire est nécessaire. Cette alimentation ne vient pas
obligatoirement des zones de montagne. En effet, les protéines
végétales ont différentes provenances. Est-il
envisageable, dans le cadre de cette signalétique, de faire mention des
exigences existant pour l'alimentation des animaux ? Autrement dit,
pouvons-nous mentionner que les aliments donnés aux animaux de montagne
sont garantis non-génétiquement modifiés ?
M. Dominique Barrau
- Tout d'abord, il faut rappeler que la production
d'animaux jeunes représente une excellente voie. Je pense, en
particulier, aux génisses. Quant à la finition des animaux de
réforme valorisés sur une filière spécifique,
l'intérêt est clair : une telle logique peut permettre de
valoriser le troupeau à l'hectare, quel que soit le massif.
Où en sont les travaux par rapport à ce cahier des charges ?
Nous voulons que la législation sur les OGM soit respectée, mais
nous ne voulons pas aller plus loin pour le moment. En effet, nous devons
être très réalistes sur le sujet : dans certaines
zones de montagne, nous éprouvons des difficultés à faire
finir les animaux, car il existe des quotas. Notre discours est clair :
nous avons réussi à obtenir qu'il existe 15 % d'animaux
finis dans les quotas existants, il est possible de valoriser 15 % des
génisses. Comme nous sommes dans le cadre d'une incitation à
l'alourdissement des animaux, nous essayons de ne pas placer trop de
contraintes. Pour les zones laitières, la production à l'hectare
est très organisée. Ce n'est pas le cas partout.
M. Jean-Luc Birnal
- Pour votre question relative au piémont, je
précise que ce sont les agriculteurs de la zone Sud qui sont
laissés pour compte.
Concernant la pluri-activité, la France a adopté une approche
exclusivement fiscale, et non une approche par fonctions. L'exemple autrichien,
quant à lui, repose avant tout sur une approche fonctionnelle, ce qui
donne une plus grande liberté aux agriculteurs de ce pays.
Malheureusement, les agriculteurs français décidant de se tourner
vers de nouvelles activités, le tourisme ou le service par exemple, se
trouvent face à de réelles contraintes ; ils
dépassent le chiffre d'affaires « légal », et
doivent donc changer de statut. Cela engendre des frais colossaux. Ensuite, les
agriculteurs reprenant les exploitations choisissent parfois de ne travailler
que dans le tourisme. En outre, un récent texte relatif aux taux
d'actifs va entraîner la disparition de 100 à 200
exploitations de haute montagne, au mépris de toute règle
d'aménagement du territoire. Seuls les aspects fiscaux sont pris en
compte, ce qui représente un mal bien français. Au lieu de nous
attacher à la dimension fiscale, nous devrions nous attacher à la
fonction.
Quant à la question de la formation des agriculteurs, je pense que ce
sujet dépasse largement la problématique de l'agriculture de
montagne. Si vous me le permettez, je vais prendre un exemple propre à
mon département : il était de coutume de nous inviter, en
fin d'année, pour faire une présentation devant les
élèves ayant achevé leur cycle d'études
secondaires. Nous nous sommes aperçu que les enseignants nous invitant
ignoraient tout des projets agricoles départementaux. Un important
travail doit donc être effectué, afin que les enseignants se
replongent dans le monde agricole. Ils doivent arrêter de ne s'appuyer
que sur des données techniques, qu'ils ont acquises par ailleurs il y a
bien longtemps. Les enseignants doivent connaître le monde agricole.
Concernant la contre-attaque médiatique, nous sommes face à un
problème particulièrement lourd. Vous aviez voté le
principe de la création d'un fonds de communication agricole, dans la
loi d'orientation agricole. Celui-ci nous a été refusé,
dans la mesure où l'on n'a jamais voulu sortir les décrets
permettant l'application de ce texte. Nous essayons de relancer cela
actuellement, et je pense que nous pourrons en parler dans un autre cadre.
M. Dominique Barrau
- Concernant les ICHN, nous demandons de ne pas
revenir en arrière. Par contre, la notion de subsidiarité
permettrait de régler nombre de problèmes. En outre, je tiens
à rappeler que nous percevions les ICHN au printemps et en octobre. Je
crois qu'il y a là matière à accompagner les agriculteurs.
Quant à la position actuelle de George Bush Jr vis-à-vis de la
PAC, nous demandons qu'il existe, de notre côté, une
véritable ambition pour l'agriculture européenne. Surtout, le
budget de celle-ci ne doit pas servir pour l'environnement, le social ou encore
la sécurité alimentaire. L'agriculture doit conserver son propre
budget. Si l'Europe a des ambitions, elle doit définir un projet, des
axes, un budget et les contributions des Etats.
M. Jacques Blanc
- Je tiens à vous remercier pour votre
contribution. Nous avons besoin, sur tous les sujets fondamentaux que nous
avons évoqués, de votre éclairage. Je tiens à dire,
en particulier sur la question des OGM que nous ne devons pas nous laisser
dépasser, ni laisser certains s'accaparer ces sujets.
Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessaire
réflexion vis-à-vis de l'élargissement de l'Union
européenne. La semaine dernière, j'étais en Hongrie, pour
la réunion des régions viticoles d'Europe. Si nous
n'intégrons pas les phénomènes qui se développeront
au moment de l'admission des PECO, ainsi que les phénomènes
euro-méditerranéens, je suis persuadé que nous verrons
condamnée la réussite de l'élargissement de l'Union.
Pourtant, je pense que nous devons intégrer cet élément
dans notre propre réflexion et faire preuve d'anticipation.
15. Audition de M. François Servoin, professeur de droit à l'Université de Grenoble (22 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Monsieur Servoin, je vous remercie d'avoir
répondu à notre invitation. Nous connaissons la place
éminente que vous occupez, au vu de vos connaissances juridiques, sur
les questions liées à la montagne. Nous vous remercions de vous
être déplacé à Paris pour nous apporter votre
contribution.
Notre mission a pour objectif de dresser un bilan de la loi de 1985, de tenir
compte dans l'application de ce dispositif juridique des lois
ultérieures ; je pense à la loi de solidarité et de
renouvellement urbain (SRU), à la loi d'aménagement, ou encore
aux lois consacrées à la forêt et à l'agriculture,
qui ont corrigé la loi fondatrice de 1985. Dans le cadre de cette
mission, nous souhaitons apporter les correctifs et les propositions et, si la
matière est suffisamment vaste, proposer de nouveaux dispositifs au
gouvernement.
Tel est le sens de notre démarche. Nous vous avons adressé une
grille de questions portant sur deux centres d'intérêt : le
comité de massif et les unités touristiques nouvelles.
Evidemment, vous avez toute liberté de nous apporter les
éclaircissements complémentaires que vous jugerez utiles. Nous
souhaiterions ensuite vous poser quelques questions, en particulier sur le
problème de la constructibilité limitée, et la place de la
jurisprudence dans le droit sur la montagne.
M. Jacques Blanc
- Je m'associe à ce message de bienvenue.
M. François Servoin
- Je vous remercie de m'avoir convié
à cette réunion. Je suis maître de conférences
à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble. Je
m'intéresse à la montagne depuis près de 30 ans. A
Grenoble, j'ai créé dès 1987 un DESS intitulé
« Développement des collectivités territoriales
montagnardes et droit de la montagne ». Ce DESS est très
apprécié par les collectivités locales et territoriales de
montagne. Je suis membre du Comité de massif des Alpes du Nord depuis
une dizaine d'années, et j'ai été membre titulaire de la
Commission spéciale des Unités touristiques nouvelles. Je suis
encore membre de cette Commission à titre suppléant. Par
ailleurs, j'ai écrit un ouvrage,
La commune de montagne
,
publié chez Economica en 1996.
Vous m'avez adressé une grille de questions, celles-ci tournant autour
de deux thèmes : les comités de massif d'une part, et les
unités touristiques nouvelles.
Vous m'avez posé une question sur le fonctionnement des comités
de massif depuis le vote de la loi Montagne. En fait, il s'agit d'une
institution qui ne fonctionne pas de manière satisfaisante.
L'institution trouve son origine dans le rapport Besson de 1983. A
l'époque M. Louis Besson proposait, pour représenter les
massifs montagneux, la création d'organes institutionnels. Trois organes
étaient prévus :
- un comité de massif, organe politique et décisionnel ;
- une agence de massif, organe de réflexion, de montages
d'opérations et de préparation des dossiers ;
- un fonds financier spécialisé pour accompagner l'ensemble.
Ce schéma n'a pas pu voir le jour du fait de l'hostilité
conjuguée du ministre de l'intérieur et celle du ministre des
finances. M. Defferre, le premier, soucieux de mettre sur pied sa
décentralisation n'entendait pas voir l'apparition d'institutions
parallèles qui nuiraient à la lisibilité de l'ensemble,
articulé autour du triptyque : commune, département,
région. Le second, voyait d'un mauvais oeil l'apparition d'un fonds
financier mal contrôlé.
La question a été encore rendue plus complexe par la
nécessité de réformer le Comité national des
unités touristiques nouvelles. Le fonctionnement de ce comité
avait fait l'objet de vives critiques de la part des maires en particulier et
des élus locaux en général qui lui reprochaient son
caractère d'instance parisienne, dictant ses oukases aux élus
locaux en méconnaissance, parfois, de la réalité locale.
La création des comités de massif comprenant une commission
spécialisée des unités touristiques nouvelles (UTN)
paraissait l'occasion de décentraliser les décisions en
matière d'UTN.
Le résultat de l'ensemble est cependant ambigu. La constitution
d'organes locaux ne constitue pas pour autant une décentralisation. Les
comités de massif nés de la loi de 1985 ne sont en fait rien
d'autre qu'un « service déconcentré de
l'Etat », structure consultative liée au préfet
coordonnateur de massif, qui est l'un des préfets de région du
massif. Il y a bien déconcentration, mais pas de
décentralisation. Les comités de massif sont une institution de
l'Etat, en aucun cas une institution locale.
A partir de là, toute une série de malentendus sont apparus.
Notamment, un certain nombre de préfets se sont trouvés
embarrassés face à cette institution et ont éprouvé
des difficultés pour l'animer et lui trouver une identité. Je me
souviens de certaines séances du comité de massif des Alpes du
nord dont l'ordre du jour était assez léger, où les
fonctionnaires régionaux intervenaient pour faire le point sur certaines
questions, sans que s'instaure un véritable débat ou une
véritable discussion. En revanche, la commission
spécialisée des unités touristiques nouvelles était
le lieu d'une véritable activité dans la mesure où le
champ de compétences et les enjeux apparaissaient de manière
précise. Mais le fonctionnement de cette commission lui-même n'est
pas sans soulever quelques questions. Créée par la loi au sein du
massif, cette commission dispose de pouvoirs propres et fonctionne en dehors de
celui-ci devant lequel elle ne rapporte pas. Les membres du comité qui
ne sont pas membres de la commission n'ont aucune vocation à être
au courant de ce qui se dit dans cette dernière. C'est une
ambiguïté supplémentaire, d'autant plus importante que le
travail essentiel s'effectue dans la commission spécialisée des
UTN.
L'institution n'a pas véritablement trouvé sa voie. Ceci ne
constitue pas un jugement négatif, mais simplement nuancé. Les
ambiguïtés originelles n'ont pas été levées et
n'ont pas permis le développement normal de cette instance. D'un autre
côté, les élus locaux ne se sont pas pleinement servis de
l'instrument que pouvaient constituer ces comités. En
conséquence, il est arrivé, notamment dans les Alpes du nord, que
le préfet annule une réunion par défaut d'ordre du jour.
Enfin, on peut souligner le fait que la cohabitation d'élus du suffrage
universel et de personnalités représentatives
d'intérêts particuliers n'est pas toujours aisée. On sait
d'ailleurs que le législateur en 1985 a accepté la
création de ces comités à la condition que les
« élus »y aient la majorité.
Mais surtout, la construction du fait régional depuis 1986 a pesé
d'un poids important sur le développement des comités de massif.
Soucieuses de s'intéresser prioritairement à l'ensemble de leur
territoire, les régions ne se sont pas embarrassées de ces
institutions parallèles qui ne couvrent pas le même territoire et
dont la vocation est même clairement interrégionale. Ainsi, par
exemple, on a l'habitude d'identifier le massif des Alpes du nord à la
région Rhône-Alpes. C'est oublier que celle-ci s'étend aux
franges du Jura ou du Massif central.
Ces difficultés sont apparues notamment dans la préparation des
contrats de plan Etat-région. Malgré la préservation d'un
« volet montagne », la collaboration a été
réduite au minimum et les comités de massif n'ont pas
été impliqués, au-delà d'une simple information,
dans la discussion des contrats. Se trouve posée ainsi, de
manière claire, la question de la place des comités de massif
dans la décentralisation. On voit mal, dans la situation actuelle, de
solution à cette question sans modifications structurelles importantes
telles, par exemple, que l'érection des massifs en établissements
publics personnalisés, ce qui lèverait l'ambiguïté du
rôle de l'administration préfectorale. Ceci permettrait en outre
aux élus locaux de disposer, comme ils le souhaitent, d'une instance
réellement décentralisée.
C'est dans ce contexte que s'inscrivent les modifications apportées par
la loi du 4 février 1994 instituant les commissions permanentes.
Elles sont incontestablement positives. La mise en place de ces commissions
permanentes a permis de faciliter le travail, de prendre l'initiative et de
proposer des ordres du jour plus élaborés et plus satisfaisants.
Mais elles ne règlent pas la question de la légitimité de
l'institution. Ceci dit, le comité représente le massif et la
question essentielle est plutôt celle de la place du massif dans les
structures territoriales nationales. C'est cette question qui doit recevoir une
réponse et dès lors, celle de la légitimité de
l'organe qui le représente sera réglée en même temps.
Ceci dit, les commissions permanentes, présidées par un
élu local, ont donné un regain d'intérêt et une
identité continue aux comités de massif qui ne disposaient pas,
par exemple, de secrétariat permanent. Les services du
Secrétariat général aux affaires régionales (SGAR),
qui faisaient leur travail, n'étaient pas là pour faire
fonctionner et animer une instance qui ne relevait pas de leur
responsabilité. La mise en place de ces commissions permanentes est donc
particulièrement positive.
A cette question de la création des commissions permanentes s'ajoute
celle de la co-présidence du comité de massif depuis la loi
« solidarité et renouvellement urbain » (SRU). Il
est encore trop tôt pour établir un bilan et je n'ai
personnellement pas de grande idée sur la question. Ceci dit, on peut
explorer les pistes que cette innovation ouvre. L'hypothèse la plus
probable est celle d'un désengagement de l'Etat et du préfet qui
se reposerait désormais sur la commission permanente et son
président. Mais alors, qui détient véritablement le
pouvoir au sein du comité et quelle est la nature de celui-ci ? Il
est encore trop tôt pour répondre.
En conclusion on peut dire que les comités de massif ne fonctionnent pas
de manière totalement satisfaisante.
M. Auguste Cazalet
- Devons-nous estimer que la faute revient à
l'Etat ?
M. Jacques Blanc
- De toute façon, nous sommes face à une
contradiction fondamentale. Les régions se sont vu confier des
responsabilités fortes en matière d'aménagement du
territoire ; dans le même temps, on leur a imposé un carcan
administratif pour le moins rigide. Soit nous ferons une coopération
interrégionale, soit nous tournerons en rond...
Je préside la région Languedoc-Roussillon ; nous devons nous
occuper des Pyrénées et du Massif Central. Nous avons conduit une
politique forte en faveur de la montagne, à travers, entre autres, une
politique d'investissement forte. Pour autant, je n'assiste jamais aux
réunions des comités de massif.
M. François Servoin
- A plusieurs reprises, je dois vous avouer
que je me suis demandé si je devais y assister également.
M. Jacques Blanc
- J'envoie simplement une personne pour me
représenter. De toute façon, si nous voulons que de telles
opérations réussissent, il est évident que l'Etat doit
apporter des investissements importants. En effet, il est nécessaire
d'entrer dans une telle logique si l'on veut que les élus
exécutifs y trouvent un intérêt. S'il n'y a qu'un pouvoir
consultatif, il est évident que la plupart des élus ne s'y
intéressent pas. Ils ont l'impression de perdre leur temps, sauf s'il
existe de vrais pôles d'intérêt.
M. François Servoin
- Les centres d'intérêt ne
manquent pas, mais ce sont parfois les conditions matérielles qui font
défaut. Je me souviens de la tentative de constitution de groupes de
travail au sein du comité de massif Rhône-Alpes, à
l'instigation du préfet. Les groupes de travail ont été
constitués et chacun s'y est inscrit. Ils n'ont jamais fonctionné
pour des raisons matérielles. Chacun est reparti aux quatre coins de la
région et les problèmes de communication ont fait le reste.
Par ailleurs, il faut souligner que les comités de massif n'ont jamais
souhaité s'impliquer dans des fonctions de nature réglementaire
ou tout simplement normative. J'ai pu constater ceci à plusieurs
reprises. La loi avait donné aux comités des compétences
de proposition afin de définir et préciser les actions qu'ils
jugent souhaitables pour le développement, l'aménagement et la
protection du massif. Ils devaient également avoir un rôle dans
l'élaboration de prescriptions particulières de massif. A ma
connaissance aucun comité de massif ne s'est jamais pleinement saisi de
ces compétences. L'absence de propositions dans ce domaine s'est
traduite par une reprise en mains par l'Etat sous la forme des directives
territoriales d'aménagement (DTA).
Le comité de massif aurait pu jouer un rôle dans ce domaine.
L'exemple des UTN est sur ce point intéressant. Lorsque j'ai
été désigné à la commission spéciale
des UTN des Alpes du nord, je pensais, sans parler d'un pouvoir
réglementaire qui excèderait les compétences du
comité, que l'attribution des autorisations serait l'occasion
d'établir quelques règles du jeu et que se dégagerait une
sorte de jurisprudence. Ça n'a pas été le cas. Chaque
autorisation était attribuée au cas par cas et jamais une
réflexion transposable à d'autres situations n'a
été poursuivie. Dans un récent ouvrage intitulé
« Tourisme et aménagement touristique »,
publié à la documentation française par Pierre Merlin,
l'auteur termine le chapitre qu'il consacre à la montagne en regrettant
le rôle insuffisant des élus « qui n'ont pas
accepté la logique de la décentralisation
responsabilisante ». Je confirme ce point de vue que j'ai
constaté sur le terrain.
Cette logique se retrouve à propos de l'article 42 de la loi
montagne. Cet article donne compétence aux communes pour encadrer
l'aménagement touristique. A ma connaissance, il a peu été
utilisé par les communes pour inciter les aménageurs
d'équipements touristiques à se conformer à la politique
locale de développement touristique. Le conventionnement est plus
ressenti par les communes comme une contrainte qui leur est imposée que
comme un instrument à leur disposition.
M. Jacques Blanc
- Estimez-vous que nous devons supprimer les
comités de massif ?
M. François Servoin
- Il ne faut surtout pas les supprimer, ils
représentent l'un des rares lieux où l'on parle de la montagne.
S'ils disparaissent, le principal lieu de discussion sur la montagne aura
disparu.
M. Jacques Blanc
- Comment pouvons-nous les transformer ?
M. Jean-Paul Amoudry
- Je pense que nous pouvons prévoir une
évolution à travers une logique de coopération
interrégionale. Nous pouvons imaginer un établissement public
recevant délégation des régions concernées pour
gérer un certain nombre de compétences propres à la
montagne.
M. François Servoin
- Vous avez raison, ceci règle la
question du massif dont le comité n'est que l'émanation.
M. Jean-Paul Amoudry
- Le comité de massif sera une
émanation de collectivités décentralisées ; il
sera donc indépendant de l'Etat, et aura les moyens que les
régions lui donneront. Il aura vocation à parler de la montagne.
M. Jacques Blanc
- Cette idée est d'autant plus pertinente que
nous connaissons des logiques de coopération interrégionale qui
fonctionnent. Dans le massif pyrénéen, nous parvenons à
conduire des actions, dont certaines sont réalisées en
coopération avec les régions espagnoles limitrophes. Par
conséquent, nous pouvons peut-être créer une dynamique
nouvelle de coopération interrégionale centrée sur le
territoire de la montagne. Cela permettrait par ailleurs de supprimer les
délégués de l'Etat. En effet, certains commissaires de
massif font un excellent travail, mais d'autres constituent essentiellement des
freins à notre action.
M. François Servoin
- Je ne peux pas me prononcer sur cette
question. Les commissaires de massif représentent une réponse de
l'Etat au mauvais fonctionnement des comités de massif. Les commissaires
existent depuis 1976, ce sont les anciens commissaires à la
rénovation rurale. Au moment de la loi montagne, aucune liaison
n'était faite entre les différentes instances oeuvrant dans le
domaine de la montagne. Pour suivre et coordonner l'ensemble, l'Etat a
utilisé, dans le cadre de la DATAR, une structure qui avait fait ses
preuves dans d'autres domaines. C'est l'origine des commissaires de massif dont
l'origine ne se trouve pas dans la loi montagne.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je pense que nous avons fait le tour du sujet
relatif aux comités de massif. Nous souhaiterions donc vous poser
quelques questions.
M. Jean Boyer
- Les comités de massifs sont le résultat de
ce que les élus ont voulu en faire. Dans le cadre des régions,
hormis pour la région Languedoc-Roussillon, les zones de montagne ne
bénéficient pas d'un traitement particulier. Je suis
personnellement en Auvergne : une commune située à
900 mètres d'altitude ne bénéficie pas d'une
meilleure participation de la région lorsqu'elle réalise un
aménagement, par rapport à une commune située à 500
mètres d'altitude. Autrement dit, les handicaps ne sont pas
compensés.
M. François Servoin
- Vous avez raison. Cette situation est le
résultat des politiques régionales, mais provient
également des ambiguïtés de la loi. En fait, au sens de la
loi il y a deux montagnes : le massif d'une part, et la zone de montagne
d'autre part. Par exemple, Grenoble qui est dans le massif Alpes du Nord, n'est
pas en zone de montagne. Il y a donc deux réalités qui se
chevauchent. Elles sont souvent confondues dans le vocabulaire qui devient
ainsi confus. Derrière la sémantique il y a une
réalité importante : doit-on englober les villes et les
piémonts dans la montagne. La montagne doit-elle se définir sans
référence aux principaux pôles de développement
économique.
M. Jacques Blanc
- Il peut exister de petites villes en montagne.
M. François Servoin
- Certes, mais les perspectives ne sont pas
forcément les mêmes. Si on prend l'exemple des Alpes du nord, il
existe des bourgs marchés de fond de vallée en zone de montagne,
mais le sillon alpin, poumon économique qui va de Genève à
Grenoble, n'est pas en zone de montagne.
M. Jacques Blanc
- Cela représente en effet une question
fondamentale. Si nous ne la posons pas, nous éprouvons de logiques
difficultés pour définir le label montagne et pour traiter la
question des unités de transformation de lait, qui sont souvent en
plaine.
M. François Servoin
- Grenoble est située à
200 mètres d'altitude. A même hauteur que les monts du
Perche.
M. Jacques Blanc
- Certains estiment que Grenoble n'a pas une politique
de montagne, mais une politique urbaine.
M. François Servoin
- Y'a-t-il une antinomie entre les
deux ? Il peut tout à fait y avoir coïncidence entre les deux
ou cumul. Quoi qu'il en soit, la question mérite d'être
posée. En quoi consiste la différence entre une politique de
montagne et une politique urbaine ?
M. Jacques Blanc
- Quelle est la zone de compétence du
comité de massif ?
M. François Servoin
- Le comité de massif est bien relatif
au massif.
M. Jacques Blanc
- Nous pouvons alors comprendre pourquoi le
comité de massif n'a pas trouvé son identité : il
n'est pas un comité de montagne.
M. François Servoin
- Dans ce cas, qu'est-ce que la
montagne ?
M. Jean-Paul Amoudry
- Quoi qu'il en soit, nous devons
réfléchir à cette question. Si nous reprenons l'exemple du
sillon alpin, il est vrai que le réseau de villes a parfaitement
fonctionné, mais au détriment de la zone d'altitude. Pourtant, il
représente le maillon étant le support de la montagne, et fait
vivre celle-ci.
M. François Servoin
- C'est bien pour cela que les Alpes du nord
sont une montagne riche. On y connaît un développement
économique et démographique positif, contrairement à
d'autres régions de montagne qui n'ont pas ce réseau de villes.
Notamment le Massif Central, où l'isolement est difficile à
rompre du fait de l'absence de ce réseau de villes.
Concernant la réunification des Alpes au sein d'un seul massif, je pense
que cette initiative est tout à fait opportune. En effet, la
région Provence-Alpes-Côte d'Azur tourne le dos à sa
montagne. Son activité économique, touristique comme sa
démographie sont tournées vers la mer, la montagne apparaît
un peu comme un désert. Le comité des Alpes du nord a
établi des contacts très fructueux avec son homologue des Alpes
du sud dont les membres étaient très demandeurs.
S'agissant des DTA, elles constituent un outil très intéressant
mais elles sont actuellement une coquille vide. Dans un souci de perfection,
peut-être, elles ne parviennent pas à naître. En outre
quelques questions juridiques qui se posent ici méritent attention.
Normes directives et impératives n'ont pas toujours le même
régime juridique et ne remplissent pas les mêmes fonctions.
Enfin, si on examine la question des unités touristiques nouvelles, les
UTN, il faut rappeler qu'il s'agit d'une procédure d'encadrement des
projets touristiques d'une certaine importance apparue avec la directive
nationale d'aménagement et d'urbanisme en montagne de 1977. Celle-ci
faisait une distinction entre la moyenne et la haute montagne dont la
fragilité nécessitait qu'elle ne fasse pas l'objet
d'aménagements inconsidérés et dispersés. Pour ce
faire, le législateur avait mis en place un comité national des
unités touristiques nouvelles chargé d'autoriser les projets.
Cette tentative a été très mal perçue par les
élus locaux qui lui reprochaient son caractère centralisé
et parisien. Ceci étant dit, le comité a fait un travail
satisfaisant et a souvent permis la maturation et l'amélioration des
projets avant autorisation et au total le nombre de mètres carrés
autorisés a été, de 1977 à 1985,
considérable.
Il faut cependant souligner que la loi montagne a mis au point deux
procédures de création d'UTN. La première, qui doit
être considérée comme le droit commun, est celle des
schémas directeurs qui doivent prévoir les UTN, lesquelles se
réalisent ensuite au fur et à mesure. C'est en l'absence de
schéma directeur que l'article L. 145-9 du code de l'urbanisme
prévoit, par exception, une procédure d'autorisation par le
préfet coordonnateur de massif.
En fait, le droit commun et l'exception se sont trouvés, par la force
des choses, inversés. L'absence de schémas directeurs et la
difficulté à modifier ceux qui existaient ont rendu
exceptionnelle la procédure normale de création des UTN. En
d'autres termes, on peut dire que à défaut d'entente
intercommunale négociée en la forme d'un schéma directeur,
on s'en remet souvent à l'autorisation unilatérale du
préfet. Je prends ici quelques précautions oratoires pour
souligner que la loi SRU ne change pas grand chose à la matière.
Elle institue avec les schémas de cohérence territoriale une
nouvelle procédure de droit commun permettant de prévoir les UTN.
A défaut, la procédure d'autorisation reste inchangée.
Mais on retombe dans le même dilemme. Ou il y a, à travers le
Schéma de cohérence territoriale (SCOT), une entente
intercommunale en matière d'aménagement touristique et la
procédure est décentralisée. Ou le projet reste communal
et c'est le préfet qui l'autorise. Soulignons simplement que dans le
cadre de la procédure SCOT, le comité de massif n'intervient que
pour un simple avis, qui peut être tacite, dans le cadre
général de l'élaboration du schéma.
Ainsi, la procédure UTN est incorporée dans la procédure
SCOT.
Il existe cependant quelques aspects particuliers. Je pense notamment à
la composition du dossier qui n'est pas le même dans le cas UTN et dans
le cas SCOT. Certes, même si le dossier ne peut être aussi
précis pour un projet qui ne constitue qu'un aspect particulier du SCOT,
quatre des éléments du dossier sont communs, qu'il s'agisse de
l'état antérieur du site, des caractéristiques du projet,
de l'analyse des risques naturels ou de l'effet prévisible du projet sur
l'environnement. En revanche, l'étude des conditions
générales de l'équilibre économique et financier du
projet disparaît totalement dans la procédure SCOT. On sait que
cette exigence avait été ajoutée à la suite des
opérations aventureuses mises en évidence, en 1991, par le
rapport d'inspection générale de M. Lorit. Il y a donc
là quelques problèmes d'ajustement.
Au-delà de cela, je pense sincèrement que la nouvelle
procédure entraîne une réelle décentralisation.
L'initiative est locale et les avis donnés par une instance locale. Si
les communes s'investissent dans les schémas de cohérence, la
procédure d'autorisation deviendra marginale et le préfet sera en
dehors du circuit.
Ceci étant dit, plusieurs problèmes n'ont pas été
résolus par la procédure UTN. L'article L. 145-9 du
code de l'urbanisme qui donne la définition des UTN n'a pas
été modifié. Par conséquent plusieurs
équipements n'entrent pas dans le champ d'application de cette
définition, notamment les installations d'enneigement artificiel dont
les impacts économiques, environnementaux et en termes
d'aménagement touristique devraient être mieux analysés. De
manière moins flagrante, certains équipements de pleine nature
échappent à la procédure UTN alors qu'ils sont parfois
importants. Je pense aux aires de parapente ou aux falaises d'escalade. A
l'inverse, je me souviens de certaines décisions UTN relatives à
l'implantation de campings ou de bungalows pour lesquelles une simplification
de la procédure serait souhaitable, sans toutefois aller jusqu'à
la supprimer dans la mesure où elle joue le rôle de filtre et
présente un caractère pédagogique évident.
Quant à votre question relative aux caractéristiques du
patrimoine culturel, naturel et montagnard, je pense que M. Calderaro vous
donnera l'état de la jurisprudence actuelle. Je tiens seulement à
signaler un fait, presque anecdotique : le mot montagne ne figure pas dans
le code de l'environnement et aucun développement n'y est
consacré. Je crois pourtant que la définition des
caractéristiques du patrimoine naturel et culturel de la montagne y
aurait sa place. Cette absence de précisions donne carte blanche aux
juges pour donner un contenu à ces notions.
M. Jacques Blanc
- Vous avez ouvert de nombreuses interrogations, en
particulier sur la question de la différenciation entre massifs et
montagnes et sur les Comités de massif. Sur ce dernier point, je pense
que nous déboucherons sur des coopérations
interrégionales. Souvent, les zones de montagne ne sont pas dominantes
dans les régions, et il est vrai que nous pouvons rencontrer une
certaine sensibilité au niveau des conseils régionaux. En outre,
nous ne devons pas oublier que nous sommes toujours dans une période
d'installation des conseils régionaux.
M. François Servoin
- Les régions commencent à
monter en puissance, effectivement.
M. Jacques Blanc
- En montant en puissance, elles s'intéresseront
encore plus aux problèmes d'aménagement du territoire. Si elles
ont la possibilité d'entrer dans une logique de coopération,
via
les Comités de massif, elles le feront.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je souhaiterais faire un bref commentaire sur la
DTA. J'ai apporté ma contribution à l'élaboration de la
DTA des Alpes du Nord, et à la définition de la notion de hameau.
Lorsque la DTA est sortie dans la loi Pasqua, nous nous réjouissions de
disposer d'un échelon normatif nous permettant de décliner la loi
dans un contexte particulier de massif. Sur les deux points que j'ai
évoqués, je n'ai constaté aucune action. Aujourd'hui, nous
en sommes toujours, pour la DTA Alpes du Nord, dans une situation où les
principaux chantiers sont constitués par la fluidification de la
circulation dans les vallées et les couloirs, la protection de la nature
et le renouvellement de l'offre touristique. Autrement dit, le foncier et la
préservation des espaces agricoles ne sont pas pris en compte, dans la
mesure où nous restons sur une vision tournée autour de
l'environnement, des transports et de la rénovation de l'offre
touristique. Par conséquent, la DTA ne prend pas en compte les objectifs
initiaux que nous lui avions assignés initialement. Nous pouvons donc
comprendre que les élus ne se soient pas suffisamment saisis de cet
outil, qui est aujourd'hui le fruit de réflexion de fonctionnaires. La
DTA est vécue comme le moyen, pour l'Etat, de reprendre la main sur
l'aménagement du territoire.
M. François Servoin
- Vous avez raison : pour l'Etat, c'est
clairement un moyen lui permettant de reprendre la main. Cela dit, nous devons
attendre un peu ; lorsque les DTA seront appliquées, nous verrons
si elles sont malléables, amendables et aménageables.
Personnellement, je pense que cela peut représenter un guide
intéressant. Tant qu'elles ne sont pas appliquées, nous ne
pouvons pas réellement nous prononcer. En outre, je vous rappelle que
les schémas de cohérence doivent être compatibles avec les
DTA, mais ils ne doivent pas forcément être conformes.
Telle est la logique des choses ; le calendrier en a une autre. Les DTA
sont en chantier depuis 1995, et nous aurions pu penser que certaines seraient
déjà sorties.
M. Jean-Paul Amoudry
- Seule la jurisprudence définit ce qu'est
un hameau : il faut six habitations pour constituer un hameau. Nous sommes
clairement dans une espèce de déni de création du droit de
la part des pouvoirs publics, puisque la définition du hameau appartient
aux juges. Estimez-vous que cela représente une situation normale ?
M. François Servoin
- Personnellement, j'ai toujours
considéré que l'article L. 145-3-3 du code de
l'urbanisme était très mal rédigé.
L'article L. 111-1-2, quant à lui évoque les
« parties actuellement agglomérées de la
commune » et définit la constructibilité
limitée. Faire référence aux parties actuellement
urbanisées de la commune m'a toujours semblé beaucoup plus
précis que ces notions de villages, bourgs et hameaux de l'article
L. 145-3-3. ces notions ont été sources de conflit et ont
simplement pour origine une mauvaise interprétation de la loi. Je ne
cherche donc pas à définir ce qu'est un hameau, je pense au
contraire qu'il serait nécessaire d'abandonner cette notion.
M. Jean-Paul Amoudry
- En montagne, quelle est d'après vous la
formule de protection étant à la fois efficace et suffisamment
souple pour que tout aménagement soit proscrit, donc impossible ?
Il existe en effet les notions de biotope, de réserve, les prescriptions
de Natura 2000. Que doit faire l'élu lorsqu'il se trouve, par exemple,
devant une zone humide ou un site dont les vertus naturelles sont
reconnues ? que doit-il faire pour éviter que ce site soit interdit
à l'Homme à jamais ? En effet, les élus ont beaucoup
de mal à accepter de telles situations.
M. François Servoin
- Il existe de nombreuses
possibilités. Je pense que la solution contractuelle, faisant intervenir
les propriétaires et les promoteurs, est la meilleure. Sans revenir sur
mon cheval de bataille habituel, je tiens à rappeler que cet instrument
est donné par l'article 42 de la loi montagne. En effet, il
prévoit la possibilité de conventionner avec les
aménageurs. Rien n'empêche les collectivités de
prévoir conventionnellement le contexte environnemental du
développement touristique. Je me souviens à cet effet que lors
des Jeux olympiques d'Albertville, le conseil général de la
Savoie avait pleinement utilisé la politique contractuelle pour mettre
en place un certain nombre d'outils de protection de l'environnement. Ce ne
sont pas des outils lourds, bien au contraire.
M. Jean-Paul Amoudry
- A vos yeux, l'article 42 est donc un bon article.
M. François Servoin
- C'est cela. Il est peu connu, mais il fonde
une compétence pour les collectivités, qui peuvent demander
légitimement nombre de choses aux contractants. Pour les grosses
actions, nous pouvons recourir aux réserves, aux biotopes... Par contre,
pour les petites actions environnementales, la voie contractuelle me semble
être la plus pertinente.
Tant que nous sommes dans un cadre strictement communal, je crois que
l'affrontement est inéluctable. En revanche, à partir du moment
où les négociations entrent dans un ensemble plus grand, il
devient beaucoup plus facile d'intégrer des éléments
environnementaux.
M. Jean-Paul Amoudry
- Monsieur le Professeur, nous vous remercions
infiniment pour votre contribution.
16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation (29 mai 2002)
M.
Michel Moreigne -
Je suis heureux d'accueillir Brigitte Phémolant,
sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction
générale de l'habitat et de la construction du ministère
de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer,
ainsi que Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la
réglementation. Nous vous avons adressé une grille de questions.
C'est avec plaisir que je salue votre présence, vous en remercie et vous
donne la parole pour entrer sans tarder dans le vif du sujet.
Mme Brigitte Phemolant -
Merci Monsieur le Président. La
première question que vous nous avez posée nous invite à
rappeler les principales dispositions relatives à l'urbanisme dans la
loi montagne puis les modifications apportées depuis 1985.
La loi montagne se veut une loi d'équilibre et de développement
prenant en compte les spécificités du milieu montagnard selon un
objectif triple : assurer la pérennité des exploitations
agricoles -- d'où des obligations de préservation des
terres -- ; préserver le patrimoine naturel et culturel de la
montagne ; assurer le développement des activités
économiques nouvelles dans ce cadre. Ces objectifs se trouvent
directement traduits dans des contraintes en matière d'urbanisme.
La première de ces contraintes consiste dans l'obligation de
préservation des terres nécessaires au maintien de
l'activité agricole ainsi que des espaces et milieux
caractéristiques du patrimoine montagnard. Ceci porte des
conséquences en termes d'urbanisation puisque cette préservation
est assurée par l'obligation de réaliser les éventuelles
extensions de l'urbanisation en continuité avec les zones urbaines
existantes. Néanmoins, certaines exceptions modèrent ce principe.
Ainsi, la loi initiale autorise la création de hameaux nouveaux, tandis
que la loi relative à la solidarité et au renouvellement
urbain (SRU) admet celle de zones urbaines nouvelles en discontinuité,
à condition que cette discontinuité soit nécessaire
à une meilleure préservation des terres agricoles et des espaces
naturels. En effet, la construction en continuité immédiate des
urbanisations existantes conduit souvent à consommer des terres de haute
qualité ou à porter atteinte à des paysages ou espaces
intéressants -- qu'ils soient urbains ou naturels --, ce qui
revient à aller à l'encontre des objectifs affichés. Il
est donc un principe fort d'urbanisation en continuité, sous
réserve d'exceptions autorisant les hameaux nouveaux et, depuis la
loi SRU, les zones d'urbanisation nouvelles.
Le développement touristique s'opère sous forme d'unités
touristiques nouvelles, qui font l'objet de procédures d'autorisation
particulières dans les secteurs qui ne sont pas couverts par un
schéma directeur ou un schéma de cohérence territoriale.
Elles doivent être prévues par ces documents s'ils existent. Bien
entendu, ces unités touristiques nouvelles sont également
dispensées de l'obligation de respecter le principe d'urbanisation en
continuité.
Dans ce contexte, qu'est-il possible de faire dans les secteurs non encore
urbanisés situés en discontinuité ? Il est possible
de procéder à la réfection ou à l'extension
limitée des constructions existantes. La loi SRU a également
introduit la possibilité d'un changement de destination des
bâtiments existants, en autorisant leur adaptation. En outre, des
dispositions spécifiques aux chalets d'alpage permettent leur
restauration mais aussi la reconstruction de leurs ruines et leur extension
lorsqu'elle est liée à des activités saisonnières.
Il convient de noter que ces mesures spécifiques relatives aux chalets
d'alpage, qui ont été introduites par la loi
du 9 février 1994 afin d'assurer une meilleure protection
de l'un des éléments patrimoniaux majeurs des zones de montagne,
font l'objet d'une procédure d'autorisation particulière par le
préfet en sus des autorisations d'urbanisme habituellement requises.
Du point de vue administratif, les communes des zones de montagne disposent des
mêmes documents d'urbanisme que toute autre commune de France :
- la carte communale ou le plan local d'urbanisme (PLU), qui détermine
la constructibilité au niveau communal ;
- le schéma directeur devenu schéma de cohérence
territoriale (SCOT), qui fixe les principes d'aménagement à une
échelle supérieure et détermine les unités
touristiques nouvelles pouvant être créées.
Il est également des documents spécifiques à la montagne
d'échelle plus vaste :
- les directives territoriales d'aménagement (DTA) approuvées par
décret en Conseil d'Etat, qui peuvent préciser les
modalités d'application de la loi ;
- les prescriptions de massifs, dont la possibilité a été
renouvelée par la loi SRU.
Toutefois, ces différents documents à une échelle plus
vaste n'ont encore jamais vu le jour : si la possibilité
législative de les mettre en oeuvre existe, aucun n'a encore
été approuvé.
Tel est de façon très résumée l'état de
droit en ce qui concerne les dispositions d'urbanisme dans le secteur de la
montagne.
M. Michel Moreigne -
Merci. Nous poserons des questions sur l'ensemble
de vos propos...
M. Philippe Baffert -
Je vais poursuivre en essayant de répondre
aux questions que vous nous avez posées par écrit.
Pour ce qui est de l'analyse que propose le rapport d'évaluation de la
politique de la montagne, je dirai que la loi montagne comme la loi littoral
ont posé des problèmes d'application -- celle-ci plus que
celle-là, comme le concède habituellement le président de
la section du contentieux du Conseil d'Etat. Si la loi montagne apparaît
plus facile à interpréter et plus claire dans son contenu que la
loi littoral, il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre de
difficultés doivent être prises en compte.
Certes, l'analyse du rapport d'évaluation est exacte et tous les
élus le constatent : lorsque l'implantation ou le
développement touristique est important, le mécanisme de la loi
montagne et le système de conventionnement prévu par son
article 42 fonctionnent relativement correctement, malgré quelques
difficultés afférentes au manque de précision quant
à l'objet de ce conventionnement. Il en résulte un cadre qui
permet aux communes de maîtriser le développement de leur
urbanisation. La difficulté apparaît supérieure lorsque la
pression ou la présence touristique est moindre.
Le gouvernement précédent a désigné une mission
d'inspection et de réflexion sur la question des petites unités
touristiques nouvelles (UTN) à la suite de la tenue, à
Clermont-Ferrand, du Conseil national de la montagne. L'un des problèmes
évoqués tient dans ce que, en zones de montagne, la
coïncidence des problèmes posés par l'urbanisme et
l'agriculture n'est pas systématique.
Les zones de montagne ont été initialement
délimitées en fonction des besoins de protection de l'agriculture
et de l'octroi des primes à l'élevage et à l'agriculture
de montagne. Ainsi, tout le département du Cantal est-il situé en
zone de montage, y compris l'agglomération d'Aurillac. Je ne suis pas
certain que nous en avons tiré toutes les conséquences quant
à l'interdiction d'éventuelles possibilités d'extension
hors les zones de continuité urbaine pour les diverses surfaces
commerciales ou hôtelières intéressées.
Certains proposent de réfléchir à la
nécessité de faire coïncider les secteurs et
périmètres aux sens de l'agriculture et de l'urbanisme. Une
distinction envisageable sur ce point constitue, quoi qu'il en soit, l'une des
pistes de réflexions que les trois inspecteurs -- de l'agriculture,
de l'environnement et de l'équipement -- sont en train de jauger.
De nombreuses autres questions ont également été
posées.
En ce qui concerne les unités touristiques nouvelles, il serait possible
d'envisager des procédures simplifiées pour les petites
unités, notamment pour les projets situés en secteur vierge tels
les refuges de haute montagne. Toutes les opérations nouvelles sont
soumises à la même procédure UTN. Cela pose un premier
problème de coordination avec les schémas directeurs et les
schémas de cohérence territoriale. Le Conseil d'Etat a
estimé que, lorsqu'une commune est dotée d'un schéma
directeur ou d'un SCOT, elle ne peut engager de procédure UTN. Les UTN
doivent être toutes prévues par le SCOT. Les mécanismes mis
en place par un certain nombre de schémas directeurs par le passé
et déterminant une enveloppe globale pour de petites UTN ne sont donc
pas conformes à la loi.
Il semble nécessaire, dès lors, de revoir la relation entre SCOT
et UTN pour imposer l'alternative suivante : soit le SCOT règle
exclusivement le principe des UTN principales et laisse les plus petites
soumises à des autorisations ponctuelles ; soit le SCOT fixe le
principe général pour l'ensemble des UTN mais les dispense
toutes, alors, d'autorisations autres. Quoi qu'il en soit, il est un choix
à opérer, le mécanisme actuel ne s'avérant pas
satisfaisant.
Le gouvernement avait proposé un mécanisme différent dans
le décret d'application de la loi SRU, mais le Conseil d'Etat a
disjoint sa proposition, la considérant comme contraire à la
lettre de la loi montagne -- bien qu'elle eût été
certainement plus conforme à ce qui semble souhaitable du point de vue
de la gestion de l'urbanisme. En conclusion, nous sommes ici confrontés
à un réel problème, sur lequel le gouvernement ne se
prononcera pas tant que la mission des inspecteurs n'aura pas abouti.
Un autre problème a trait au développement des toutes petites
communes ne délivrant de permis de construire qu'occasionnellement. La
loi était plutôt imprécise quant à la notion de
changement de destination et a donné lieu à diverses
interprétations. En principe, cette loi interdisait les changements de
destination dans le cadre de transformations de remises agricoles ou de
bergeries mais cela s'est avéré catastrophique en termes de
patrimoine agricole. Lorsqu'une exploitation agricole cesse son
activité, il n'est pas souhaitable que les bâtiments soient
menacés de ruine du fait de l'interdiction des changements de
destination. C'est pourquoi la loi SRU, par un amendement du Sénat,
a autorisé les changements de destination dans les zones agricoles.
En revanche -- et je sais que cela pose problème --, cette
loi SRU n'a pas modifié le fait que dans les zones de montagne
comme dans les zones littorales, on ne peut pas autoriser de construction
isolée nouvelle qui ne soit pas en continuité avec l'urbanisation
existante, sauf en cas de création des hameaux nouveaux ou de petites
zones d'urbanisation telles que prévues par les documents d'urbanisme.
En d'autres termes, l'exception votée par la loi SRU relative aux
communes de taille et de population restreintes rarement confrontées
à des demandes de permis de construire et peu enclines,
conséquemment, à rédiger quelque document d'urbanisme que
ce soit, si elle fonctionne parfaitement en plaine, ne joue ni en montagne ni
en zone littorale puisqu'elle ne fait pas exception au principe de
continuité.
Le gouvernement a été saisi d'une question écrite sur ce
point de la part d'un sénateur ici présent. Mais j'insiste sur le
fait que depuis que ces lois montagne et littoral existent, les gouvernements
qui se sont succédés ont toujours montré un très
grand attachement au principe de continuité. En outre, je ne suis pas
certain qu'il soit souhaitable de faire exception au principe de
constructibilité limitée dans les communes qui n'ont pas pu se
donner les moyens de rédiger un document d'urbanisme aussi simple qu'une
carte communale... Il faut y réfléchir et en débattre plus
avant..
Vous avez également soulevé la question de la définition
des vocables de chalet d'alpage et de hameau.
Il apparaît que les amendements que le Parlement a votés au sujet
des chalets d'alpage dénotent une sensibilité géographique
apparentée aux Alpes du nord. Or ce vocable de chalet d'alpage
revêt un sens différent selon qu'il est employé dans les
Alpes du nord, la Corse, les Vosges, les Pyrénées ou le Massif
central. Il s'ensuit que la mesure concernée perd en clarté. Il
n'est pas certain qu'une modification législative soit nécessaire
dans le sens d'une clarification : peut-être le Parlement a-t-il
entendu couvrir, sous ce vocable large, toute une catégorie de
constructions utilisées par les bergers, etc. Cependant, les DTA voire
les SCOT ou les prescriptions de massifs devraient affiner cette
définition de chalet d'alpage selon la localisation régionale,
afin d'éviter toute une série de discussions dans l'application
de la loi.
Quant à la notion de hameau, elle requiert elle aussi ce type de
précision. Si la loi montagne s'avère plus aisée à
appliquer que la loi littoral, la raison en incombe sans doute pour partie au
fait qu'elle résulte d'une élaboration profondément
parlementaire, dans la mesure où c'est un groupe de travail
présidé par un parlementaire qui a été à
l'origine de son élaboration. Il semble indubitable que dans ce cadre,
les élus, qui ont prévu la possibilité de créer des
hameaux nouveaux comme celle de développer des hameaux existants,
avaient à l'esprit l'acception montagnarde du terme de hameau. Or
l'acception du terme change ici aussi d'un massif à l'autre.
En outre, la jurisprudence qui applique cette notion de hameau le fait sous un
angle quelque peu citadin à mon sens, décidant, par ses
arrêts, que « constitue un hameau une organisation de
l'urbanisation où il n'existe pas plus de trente mètres entre
deux bâtiments ». Quiconque a traversé les Alpes du nord
sait qu'il est des hameaux ne répondant pas à ce
critère ! Il y a donc là une réelle difficulté
de vocable. Toutefois, des tentatives de mieux définir la notion de
hameau dans la loi, risquent d'aggraver le problème, en liaison avec la
jurisprudence. Ici aussi, la solution pour déterminer cette notion dans
le sens où elle est vécue par la population passe sans doute par
les SCOT et les prescriptions de massifs -- lesquelles possèdent
l'avantage, étant approuvées par décret en Conseil d'Etat,
de limiter le contentieux ultérieur. Les contentieux ou débats
jurisprudentiels ont dévoyé la notion de hameau de sa
signification originelle dans l'esprit des élus parlementaires.
Fondamentalement, la difficulté d'application de la loi montagne ne
dérive pas de la loi elle-même mais du fait que l'on ne s'est pas
donné les moyens de son application : non seulement l'Etat n'a pas
opéré les prescriptions de massifs attendues, mais les communes
n'ont pas fait suffisamment de schéma directeur ou de SCOT, qui auraient
pourtant permis de préciser l'application de la loi localement et en
fonction des circonstances particulières, fournissant, en cas de
contentieux, une définition claire des notions concernées.
En l'absence de tels moyens prenant les mesures d'application de la loi, chaque
tribunal, en fonction des circonstances locales, tente de dégager sa
propre appréciation des diverses notions à une opération
particulière. Or cette appréciation, qui ne porte pas sur une vue
générale de l'aménagement de l'espace mais sur des cas
particuliers, se révèle systématiquement plus
sévère que nécessaire dans l'application de la loi, afin
d'éviter tout dérapage. Le fait que la loi SRU relance les
documents de planification intercommunaux par le biais des SCOT en des lieux
qui n'en disposent pas m'apparaît donc comme une chance réelle
pour l'application de la loi montagne comme de la loi littoral.
Le problème tient dans ce que nous ne surmonterons pas
complètement les conséquences des erreurs antérieurement
commises - l'absence de documents d'urbanisme, notamment -- et
que nous pâtirons de la sévérité de la
jurisprudence, qu'une meilleure planification peinera à surmonter. Cette
remarque semble particulièrement vraie dans le cadre de la loi littoral.
En effet, les notions d'extension urbaine limitée ou d'espace
remarquable posent un véritable problème, aujourd'hui, dans la
mesure où l'absence de leur définition à une
échelle significative -- sur une vue d'ensemble -- conduit les
juges à prendre en compte les risques éventuels d'urbanisation
excessive et, en conséquence, à qualifier remarquables des
espaces qui ne le sont pas véritablement. Le problème est le
même pour les extensions de constructions...
Les communes montagnardes doivent comprendre qu'à moins de ne presque
jamais délivrer de permis de construire, elles ont tout
intérêt à établir ne serait-ce qu'une carte
communale. Alors, la question des hameaux ou celle des extensions
limitées poseront moins de problèmes. Plus avant,
l'établissement de SCOT -- fussent-ils ruraux -- peut leur
permettre de mieux appliquer la loi, en leur conférant les moyens
financiers et matériels pour réaliser les études
nécessaires à leurs documents. Certains départements l'ont
bien compris, qui sont en train de voir leur territoire se couvrir d'un
maillage de SCOT, y compris sur de petits secteurs ruraux dont la ville
principale ne dépasse pas trois mille habitants. Une fois que les
communes rurales s'entendent entre elles pour établir ces SCOT, elles
peuvent mutualiser leurs efforts -- notamment financiers -- pour
mener ensemble les études de diagnostic ou d'environnement
exigées par la loi, tout en demeurant chacune compétente dans le
cadre de sa propre carte communale.
Aller dans ce sens ne peut qu'améliorer l'application de la loi. Les
revendications fréquentes consistant à prôner une
diminution des protections ne semblent pas devoir être votées.
Vous avez vu à quel point la très légère
atténuation de la loi montagne a induit une campagne de presse
faramineuse sur le thème « le gouvernement
bétonne ! »), alors que rien de ce que le Parlement a
voté dans la loi SRU n'était choquant. En
réalité, autoriser l'établissement de zones d'urbanisation
en dehors de la continuité urbaine -- puisque c'est cela qui
était en cause -- peut s'avérer nécessaire à
la préservation des espaces agricoles et des paysages. Dès lors
que l'accord de la Chambre d'agriculture et de la Commission des sites
était donné, les précautions que la loi prévoyait
pour cette adaptation étaient suffisamment grandes pour penser que cela
n'aboutirait pas à des catastrophes.
Il est peu vraisemblable et d'ailleurs peu souhaitable que les protections qui
sont prévues dans les lois montagne ou littoral soient sensiblement
atténuées. La solution consiste à se motiver pour aller de
l'avant et réaliser les planifications en termes de documents
d'urbanisme, qui permettront de définir ce qui doit être
protégé et développé tout en respectant les
principes d'équilibre dont parlait, à l'instant,
Brigitte Phémolant -- à savoir des équilibres
locaux entre le développement, d'une part, la protection, d'autre part.
Ne pas établir de tels documents nous condamnerait d'avance devant les
tribunaux.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je remercie Philippe Baffert pour son
exposé. Je me demande simplement si les définitions des SCOT et
des prescriptions de massifs sont soumises au contrôle du juge. Le cas
échéant, ne risquons-nous pas, à partir de là,
d'aboutir à une nouvelle jurisprudence, à la fois très
abondante et tout aussi complexe ?
Mme Brigitte Phémolant -
Comme tout document d'urbanisme et tout
acte administratif, les SCOT, effectivement, sont soumis au contrôle du
juge. Toutefois, l'échelle d'appréciation s'avère
différente. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a développé
Philippe Baffert mais le fait qu'il s'agit d'une planification à une
échelle intercommunale conduit à une appréciation
nécessairement globale sur les notions de continuité et de
préservation des activités. Qui plus est, cette
appréciation s'appuie sur un diagnostic poussé. Il ne s'agit donc
pas d'un alibi mais d'une étude réelle.
Quant aux prescriptions de massifs, le débat contentieux joue d'une
manière différente. Les prescriptions de massifs sont des
documents approuvés par décret en Conseil d'Etat, après
passage au travers du filtre que constituent les sections administratives. Cela
apporte une véritable sécurité juridique. Si les tribunaux
administratifs, lorsqu'ils jugeront de la légalité d'un PLU,
pourront éventuellement être saisis par les requérants
d'une contestation de la légalité de la prescription de massif,
il sera rarissime qu'ils la déclarent illégale. Les exemples dont
nous disposons, aujourd'hui, ne touchent pas à des prescriptions de
massifs mais à des schémas d'aménagements régionaux
également approuvés par décrets en Conseil d'Etat, pour
lesquels pratiquement aucun tribunal administratif n'est allé
jusqu'à formuler une exception d'illégalité. Si le
débat contentieux existe, il n'est absolument pas analogue au
débat qui peut se nouer sur un projet ponctuel, en dehors de toute
réflexion de planification.
M. Pierre Jarlier -
Chacun s'accorde à dire qu'avec la
loi SRU, nous disposons d'outils nouveaux permettant de répondre
à un certain nombre de préoccupations (y compris en montagne)
dès lors que des documents de planification existent. C'est là un
acquis fort. Pour autant, la difficulté tient dans ce que ces outils de
planification -- jusqu'à la carte communale, qui peut
répondre elle aussi à cette préoccupation -- ne sont pas
toujours envisageables au regard de la taille des communes s'engageant dans ces
procédures. C'est pourtant précisément sur des territoires
restreints, isolés et soumis à de faibles pressions
foncières que se pose parfois le problème de l'opportunité
d'une construction, quand bien même les élus sont conscients du
capital premier que constituent l'environnement, le paysage et le patrimoine.
Nous trouvons là une interprétation extrêmement restrictive
de l'administration quant à la notion de continuité urbaine.
Dès lors, je voudrais savoir quelle est la définition
précise de la continuité. Nous raisonnons souvent en termes de
distance alors qu'il serait préférable de raisonner en termes
d'intégration. N'y aurait-il pas là matière à
clarification pour pouvoir apprécier l'opportunité d'une
construction ?
Par ailleurs et plus largement, nous savons que la loi SRU ouvrira sans
doute des possibilités d'adaptation locale meilleures en rapport aux
prescriptions de massifs -- ce qui a son importance, comme vous l'avez
dit. En outre, la prescription de massif peut constituer une réponse en
complément de la mise en oeuvre d'un SCOT, par exemple, qui permet, par
la suite, de définir aisément des cartes communales et donc de
régler le problème de l'urbanisation. Ceci rappelé, ma
question est simple. Quelles sont les méthodes actuelles de mise en
place de prescriptions de massifs ? En d'autres termes, qui en est le
maître d'ouvrage et comment les choses se décident-elles ?
Plus avant, n'y a-t-il pas une incompatibilité entre l'idée d'une
prescription de massif décentralisatrice, destinée à
prendre en compte les spécificités locales des territoires, et
les DTA, quelque peu jacobines à mon sens ?
M. Philippe Baffert -
Votre première question a trait au
problème de la continuité. Il me paraît clair et
indubitable que l'esprit des lois montagne et littoral telles qu'elles ont
été votées sous-tendent une continuité en termes de
distance métrée. La prise en compte de la notion d'insertion dans
les paysages et l'environnement passe par une meilleure étude des
documents d'urbanisme. On peut estimer que la notion de continuité
retenue par le Parlement dans ces deux lois constitue souvent une fausse
garantie en matière d'urbanisme. En effet, dans bien des cas, la
qualité urbaine profite davantage d'une discontinuité que d'une
continuité. Néanmoins, la loi a pris en compte l'idée
selon laquelle construire en un lieu vierge revient à gâcher
l'espace et à menacer l'environnement naturel.
Cela renvoie à mes propos afférents à la campagne qu'a
provoquée l'autorisation accordée aux documents d'urbanisme
-- et seulement à eux -- de délimiter des zones
d'urbanisation en dehors de la continuité urbaine (malgré toute
une série de garanties). Quand bien même une telle réaction
serait erronée en termes d'urbanisme, nous ne pouvons pas ne pas tenir
compte de cette conception sociale qui veut que la continuité passe
actuellement pour garante d'une certaine qualité. La loi est donc claire
sur ce point. Si le Parlement souhaitait revenir sur cette conception dans la
loi montagne ou littoral par la suite et s'inspirer de ce qui a cours en
plaine, sur des cas isolés, il faudrait très clairement
préciser que cela ne s'appliquerait qu'en des lieux en perte de
population, ne voyant que peu de demande de permis de construire.
Comme je l'ai dit, il me semble qu'élaborer une carte communale se
justifie dès lors que la commune attend quelques permis de construire
par an. Dans ce cas il semble légitime que chacun puisse construire mais
aussi que chacun se discipline à le faire raisonnablement en certains
lieux, afin d'éviter de perturber le développement de la commune
concernée en termes d'investissement, de paysage ou d'agriculture. Il
importe de discuter convenablement de ces choses au préalable, en
particulier avec l'ensemble des propriétaires concernés. Je suis
persuadé, d'ailleurs, qu'une carte communale établie en
concertation entre la commune et la population sera beaucoup plus
respectée. Un agriculteur désireux de vendre l'une de ses
parcelles choisira naturellement, à cette fin, l'un de ses terrains
reconnus comme constructibles.
Votre deuxième question a trait aux prescriptions de massifs et à
la DTA. La DTA se justifie là où les enjeux d'Etat se
révèlent importants.
Je ne suis pas persuadé que tous les secteurs de montagne
nécessitent la mise en place d'une DTA. En revanche, une prescription de
massif paraît tout à fait adaptée partout, pour
préciser les conditions d'application de la loi. Il y a des
résistances, sans doute, mais elles peuvent toujours être
surmontées lorsque la volonté politique des élus est forte
et je pense qu'il faut que ceux-ci mesurent clairement, aujourd'hui, la
nécessité de ces prescriptions de massifs.
M. Philippe Leroy -
J'ai noté avec grand intérêt
l'axe fort de présentation des SCOT comme fondements, notamment au
regard des difficultés que l'on peut rencontrer dans l'application des
lois montagne et littoral. Malgré tout, je voudrais poser deux questions.
Premièrement, je m'interroge, tout comme mon collègue
Pierre Jarlier, quant à la hiérarchisation de la DTA par
rapport aux SCOT. En tant qu'élu de la Savoie, je suis comblé de
voir des réflexions engagées pour la couverture de l'ensemble de
mon département par des SCOT. Néanmoins, certaines
inquiétudes se font jour au sein des trois départements de
Haute-Savoie, de Savoie et d'Isère face à l'arrivée de la
DTA, les orientations qui nous sont communiquées par le préfet de
région faisant apparaître qu'il s'agit de dispositions à
caractère réglementaire au niveau cadastral. Lorsque nous
mettrons en place les SCOT, les élus bénéficieront-ils
d'une marge d'appréciation ou devront-ils transférer au niveau du
SCOT ce que le préfet de région est en train d'arrimer au niveau
de la DTA ? Peut-être les préfets devraient-ils être
rappelés à l'ordre en rapport à cette
hiérarchisation. Pour ce qui concerne mon exemple, les trois
présidents des conseils généraux concernés
-- Haute-Savoie, Savoie et Isère -- ainsi que les maires des
réseaux de villes impliquées vont adresser au préfet de
région un courrier conjoint pour lui rappeler que la DTA doit
s'articuler aux SCOT comme aux PLU. Sans quoi, les élus se verraient
soustraits du pouvoir qu'ils ont de mettre en place une doctrine
d'aménagement au niveau des SCOT...
Deuxièmement, je m'interroge quant à l'application des SCOT dans
le cadre de la loi littoral. J'apprécie beaucoup, effectivement, la
solution qu'ils apportent pour ce qui est des opérations limitées
ou isolées. En revanche, nous n'avons pas parlé des
aménagements. Je connais le cas d'une commune qui s'est vu
déférer un permis de construire pour raison de
discontinuité. Dans ce cas, la mise en place d'un SCOT aurait
réglé les choses. En revanche, je connais également le cas
d'un contournement routier actuellement bloqué parce qu'au regard de la
loi littoral, il s'avère illégal de construire l'ouvrage
nécessaire. Or l'inspecteur général de l'équipement
missionné sur ce cas invoque la règle des deux kilomètres
de périmètre de protection autour d'un lac assujetti à la
loi littoral, alors que dans ce périmètre, une colline fait
rupture géographique ! Nous voyons là une situation
complètement ingérable, qui bloque la construction d'une
infrastructure nécessaire aux deux premières villes du
département au regard de la loi littoral. Y aurait-il, dans ce cas, une
solution en rapport à ce que permettrait le SCOT au regard des
constructions ?
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vais vous livrer mes questions, en vous priant
de m'en transmettre également les réponses écrites.
Mon intervention porte sur des éléments d'expérience
locale.
Tout d'abord, nous sommes confrontés, en Haute-Savoie, au constat
suivant : un certain nombre de certificats d'urbanisme accordés et
renouvelés dans le cadre de plans d'occupation des sols (POS)
approuvés par le préfet après avoir satisfait à
l'intégralité de la procédure requise se trouvent
subitement rejetés. Nous sommes donc face à des situations
où des citoyens ayant par exemple réglé des partages
familiaux et fait acter par leur notaire que tel terrain était
classé constructible mais n'ayant pas immédiatement fait
construire s'en voient refuser l'autorisation à la veille de le faire.
Il s'ensuit plusieurs choses : la ruine d'un équilibre
familial ; une sorte de spoliation, dès lors que ces personnes ont
payé des droits sur des terrains réputés à
construire ; enfin, un sérieux problème quant au pouvoir que
le préfet s'arroge pour déclarer unilatéralement tel
aspect du POS non conforme à la loi montagne. Ainsi, il est une commune,
en Haute-Savoie, où plus d'une centaine de propriétaires se
voient privés de droits ! A titre tout à fait instructif,
j'ai ici la situation dramatique d'un jeune couple de fonctionnaires qui se
trouve complètement ruiné, ayant mis toutes ses économies
dans l'achat d'un terrain puis engagé des frais de
géomètre, d'architecte, etc. (après avoir comme de droit
renouvelé son certificat d'urbanisme dans le cadre du POS) pour se voir
refuser, aujourd'hui, l'autorisation de construire. Voici la lettre
pathétique qui leur a été envoyée et je me propose,
si vous le voulez bien, de vous la soumettre.
Mon deuxième cas de figure concerne le problème de la
règle des quinze kilomètres dans le cadre des SCOT. J'ai à
l'esprit le cas d'une barrière rocheuse, les Aravis, qui culmine
à près de trois mille mètres d'altitude. De part et
d'autre figurent deux communes -- le Grand-Bornand et Sallanches, -
distantes de moins de quinze de kilomètres à vol d'oiseau mais
séparées par cette barrière naturelle. Pourtant, le SCOT
stipule que le Grand-Bornand dépend légalement de la zone urbaine
de Sallanches !
Mon troisième cas de figure touche à ce que j'appellerai,
à titre personnel, des erreurs d'appréciation de fait, qui n'en
sont pas moins graves de conséquences. Le contexte est celui d'une zone
assez fortement urbanisée, à l'extrémité de
laquelle sont installés trois chalets. Néanmoins, le
propriétaire qui rêve d'y construire deux autres s'en voit refuser
l'autorisation ! Il existe pourtant un POS réglementaire et la zone
en question y figure bien...
Les cas comme ceux-ci se multiplient par dizaines, malgré l'existence de
documents dûment validés par les services de l'Etat, actés
autant que de besoin chez les notaires et renouvelés à plusieurs
reprises. Tout cela s'apparente, à nos yeux, à une forme d'abus
de droit. Je vous laisserai donc les documents afférents, vous
remerciant par avance de l'attention que vous voudrez bien porter à des
situations non uniquement localisées en Haute-Savoie.
M. Michel Moreigne -
Pouvez-vous nous apporter quelques réponses
synthétiques ?
M. Philippe Baffert -
Très synthétiquement, je dirai que
pour ce qui concerne le cas de la Savoie, il convient d'élaborer des
SCOT et des PLU, y compris en rapport à une future DTA. L'existence de
SCOT constitue pour le moins un terrain pour les discussions à venir. Le
SCOT devra respecter la DTA dans des relations de compatibilité et non
de conformité, comme l'ont confirmé le Conseil d'Etat et le
Conseil Constitutionnel lors d'un arrêt célèbre rendu
à Toulouse.
En ce qui concerne le problème des quinze kilomètres, la loi est
claire : il appartient aux communes et non à l'Etat de proposer un
périmètre intelligent et cohérent...
M. Jean-Paul Amoudry -
Sauf accident de relief !
M. Philippe Baffert -
La question des quinze kilomètres et celle
du périmètre sont deux choses distinctes. Néanmoins, il
est certain qu'il faut tenir compte des accidents de relief dans l'une comme
dans l'autre, pour moduler la réalité et tenir compte,
éventuellement, de logiques économiques différentes,
caractérisant des zones recouvrant plusieurs SCOT. En outre, hormis
cette notion d'accident de relief, deux agglomérations ou deux secteurs
situés à moins de quinze kilomètres l'un de l'autre
peuvent recouvrir des logiques différentes induisant des
périmètres de SCOT différents. Pour ce qui est du cas des
Aravis, il me semble effectivement que l'accident de relief existe.
En ce qui concerne les certificats d'urbanisme et les autorisations de
construire, à la suite d'un certain nombre de décisions des
tribunaux administratifs, le contrôle de légalité a
estimé que les POS qu'il a autrefois acceptés sont
illégaux eu égard à la loi montagne, qui est directement
opposable aux permis de construire. Les élus peuvent avoir
légitimement une interprétation différente. Il appartient
aux tribunaux de trancher ce genre de conflits juridiques.
M. Michel Moreigne -
Merci infiniment. Nous ne prétendons pas
avoir épuisé le sujet et sans doute la mission commune
d'information réfléchira-t-elle à l'opportunité de
vous entendre à nouveau, pour aller plus loin encore dans l'exploration
de nos questions.
17. Audition de M. José Rey, chef du Service central des enquêtes et études statistiques au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je remplirai auprès de vous à la fois les
fonctions de Président et de Rapporteur de cette mission, dont le
Président Jacques Blanc, qui fut votre Ministre, vous prie de bien
vouloir l'excuser de ne pouvoir nous rejoindre ce matin. Sénateur de la
Haute-Savoie, j'ai la chance d'avoir à mes côtés un
éminent collègue en la personne d'Auguste Cazalet,
sénateur des Pyrénées-Atlantiques.
Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, Monsieur Rey, et vous
remercie d'avoir pris du temps sur votre journée pour répondre
aux questions que nous vous avons adressées.
M. José Rey -
Merci. Je me propose d'aborder de manière
non formelle une série de points qui me semblent pertinents. Je vous
prie, en outre, de m'excuser pour n'avoir pas rédigé de texte
écrit. Toutefois, ayant lancé des travaux d'actualisation du
commentaire afférent au secteur de la montagne que nous avons
rédigé suite aux résultats du recensement de l'agriculture
- travaux toujours en cours dont je me propose, ci-après, de vous
livrer la « substantifique moelle » --, je m'engage
à faire parvenir au secrétariat de votre commission le texte
final dès qu'il sera disponible.
Permettez-moi, au préalable, de me présenter rapidement. Je
remplis la fonction de Chef du service statistique du Ministère en tant
que fonctionnaire de l'agriculture, ce qui peut apparaître quelque peu
original -mes prédécesseurs étaient des fonctionnaires de
l'INSEE. Auparavant, j'ai été directeur départemental dans
l'Oise et directeur régional en Champagne-Ardenne. Vous constatez donc
que ma connaissance du terrain de la montagne peut passer pour
légère ! Pour autant, je suis tout de même d'origine
dauphinoise...
Quant au service de statistique que je dirige, j'en dirai quelques mots. Comme
vous le savez, les statistiques publiques se partagent entre l'INSEE, la
direction générale du Ministère des Finances, et les
services statistiques des divers ministères. Dans ce cadre, le service
statistique du Ministère de l'Agriculture apparaît de très
loin comme le plus important et le seul, en outre, à disposer
d'échelons départementaux -- l'INSEE lui-même n'en
disposant pas. A ce sujet, j'espère que vous connaissez, au sein de vos
directions départementales de l'agriculture et de la forêt, sinon
le statisticien lui-même tout au moins le directeur qui est à
même de vous fournir ces statistiques. En effet, tout ce dont je vais
vous parler mérite, en réalité, d'être
analysé très finement du point de vue géographique :
les moyennes nationales, quand bien même elles s'appliquent à un
zonage par massifs, n'en demeurent pas moins extrêmement
réductrices.
Je me propose donc de revenir sur les résultats du recensement de
l'agriculture 2000 (qui est sans doute l'objet de cette invitation), en
évitant toutefois un surplus de données chiffrées.
Le recensement montre que la montagne couvre 28 % du territoire et
représente 19 % de la surface agricole utile (SAU) -- taux
logique puisqu'une grande part des terrains sont constitués de
forêts ou de sites minéraux -- et 20 % des
exploitations. D'une manière générale, ces données
sont fondées sur le chiffre de 135 000 exploitations agricoles
comptées, sur un territoire incluant traditionnellement la région
du Piémont mais non les départements d'outre-mer -- dont les
statistiques s'avèrent toutefois disponibles par ailleurs.
Le point remarquable, pour la montagne, consiste dans le fait que le taux
de 20 % des exploitations qu'elle représente se
révèle globalement stable depuis trente années que les
recensements modernes ont cours (suivant les échéances 1970,
1979, 1988 et 2000). Ceci signifie que le nombre d'exploitations est en baisse,
dans la mesure où le nombre absolu d'exploitations sur l'ensemble du
territoire apparaît lui-même en baisse.
Plus précisément, des enquêtes intermédiaires nous
permettent de distinguer deux phases dans cette évolution touchant
l'ensemble du territoire et des secteurs.
Au cours de la période 1988-1995, cette baisse a été
forte, en lien avec l'abaissement de l'âge de la retraite de 65 ans
à 60 ans, aux mesures de préretraite engagées et
à la figure d'ensemble de la pyramide des âges. Les agriculteurs
nés avant 1939, très nombreux, se sont massivement
retirés de la vie active à ce moment-là.
Depuis 1995, en revanche, cette baisse semble ralentie, en rapport à une
figure améliorée de la pyramide des âges. Nous n'en sommes
pas encore à une représentation égale et
régulièrement renouvelée de toutes les classes d'âge
mais nous nous en approchons -- j'y reviendrai à propos des
perspectives d'évolution.
Par ailleurs, la carte des systèmes d'exploitation révèle
franchement que les zones de montagne constituent des systèmes
herbagers, ce qui conditionne fortement les autres données. Certes,
quelques exploitations exceptionnelles persistent, comme les vignes dans les
Pyrénées orientales ou les céréales dans les Alpes
du sud mais l'essentiel des zones de montagne y compris dans les Vosges,
le Jura ou la Corse s'avère des systèmes herbagers.
Ces systèmes herbagers se répartissent à peu près
à égalité entre production laitière -- avec
des laits valorisés et des fromages AOC dans les Alpes du nord, le Jura
voire les Vosges -- et viandes bovine et ovine. S'y ajoutent quelques
productions maraîchères ou horticoles. En définitive,
seules les productions céréalières, de grandes cultures et
les vignobles de qualité semblent sous-représentées, ce
qui explique qu'un certain nombre d'évolutions caractérisant
précisément ces exploitations au niveau national -- formes
sociétaires, part croissante de la main d'oeuvre salariée... --
ne touche pas les zones de montagne.
Il s'ensuit que la taille moyenne des exploitations de montagne
(38 hectares) s'avère moindre que celle du niveau national
(42 hectares), même si ce genre de moyennes paraît fort
réducteur et peu significatif. Surtout, la dimension économique
des exploitations de montagne -- obtenue par pondération des
tailles et cheptels selon des coefficients indicatifs de valeur
ajoutée -- apparaît moitié moindre que la moyenne
nationale, dans la mesure où une fois encore, les très grandes
exploitations travaillant les céréales, les betteraves et les
pommes de terre dans le Bassin parisien ainsi que les vins de qualité en
Champagne ou dans le Bordelais ne sont donc pas présentes en montagne.
Cette absence de grande dimension économique en montagne constitue un
point remarquable, qui induit une faible modulation des primes dans les zones
concernées. Les zones de montagne comptent pour autant peu
d'exploitations de petite dimension économique, laquelle semble
davantage caractériser les vignobles de consommation courante
-- les statistiques agricoles allant jusqu'à recenser des
exploitations viticoles de 5 ares en Champagne.
Il en résulte une description représentative des systèmes
herbagers, qu'ils soient montagnards ou non : des exploitations de taille
moyenne ; une part importante de main d'oeuvre familiale (le chef
d'exploitation, sa conjointe, ses parents voire ses enfants), notamment dans
les systèmes d'élevage ; enfin, peu de salariés
permanents.
Le recensement confirme, sur ce sujet, la constance du nombre de
salariés permanents dans le domaine agricole au niveau national. Le
nombre d'exploitations diminuant, nous en déduisons que la part relative
des employés permanents dans les effectifs des exploitations a
crû. Précisément, la main d'oeuvre salariée
-- permanente et saisonnière -- représente
dorénavant un quart de la main d'oeuvre totale des exploitations, contre
un sixième précédemment. Néanmoins, cette tendance
n'est pas patente en montagne.
De même, le constat de pluriactivité au sein du couple exploitant,
s'il s'affirme de manière croissante au niveau national, ne se
vérifie pas en zone de montagne. Quant à la pluriactivité
individuelle, elle ne touche que 22 % des chefs d'exploitation en
zones montagnardes. Peut-être la raison en incombe-t-elle, dans ce cadre,
à la faiblesse de l'offre extérieure, particulièrement
dans le Massif Central.
Le célibat, lui, demeure plus élevé dans ces territoires
qu'au niveau national mais non spectaculaire. Outre la question de l'isolement
géographique, il convient de rappeler, ici, que le célibat
constitue une caractéristique générale des systèmes
d'élevage, de par la difficulté des conditions de travail
induites. Ceci s'avère particulièrement vrai dans le secteur de
la viande bovine ou ovine. Or ce secteur d'élevage particulier est
également celui dont les revenus sont les plus faibles. Personnellement
-- et je sors ici de mon langage de statisticien, au vu des relations que
je peux avoir avec des sociologues de l'INRA, par exemple --, je pense que
nous pouvons invoquer l'ensemble de ces raisons, particulièrement les
revenus et les conditions de vie et de travail.
Pour ce qui est du niveau de formation, les zones de montagnes suivent
l'évolution nationale à système de production
équivalent. Tout d'abord, le niveau de formation continue de
croître spectaculairement de recensement en recensement, au point que
l'agriculture ne me paraît presque plus en retard sur ce point.
Toutefois, en interne, ce niveau se révèle plus faible dans les
systèmes d'élevage que dans l'ensemble des systèmes
-- productions céréalières et hors-sol notamment.
Les jeunes agriculteurs, eux, s'avèrent proportionnellement mieux
représentés en zones de montagne qu'au niveau national dans son
ensemble : l'on y dénombre 10 % d'agriculteurs de moins de
trente ans (contre 8 % au niveau national), avec une pointe
à 13 % dans le Jura et un palier à 7 % en
Corse. Néanmoins, je suis dans l'incapacité de préciser
s'il existe une relation, sur ce point, avec les montants attribués aux
jeunes agriculteurs au titre de primes... Pourtant, je me permets de vous
transmettre mon optimisme sur cette tendance.
Vous me demandez, en outre, d'éventuelles projections. Nous n'avons pas
pu en faire, faute de moyens humains. En effet, je dispose d'une seule
démographe dans mon équipe mais je noue des conventions avec
l'INRA pour que ses chercheurs collaborent avec mon service. Quoi qu'il en
soit, le message général indique un ralentissement de la
diminution des exploitations agricoles au niveau national mais surtout en zones
de montagne (la proportion de jeunes agriculteurs y apparaissant plus forte).
Je prévois, pour les dix années à venir, des taux de
décroissance annuels de l'ordre de 2,0-2,5 % (contre 4,5 % au
début des années 90).
Vous me posez également une question difficile sur le rapport entre
l'évolution de la surface moyenne des exploitations et celle des prix du
foncier.
A titre de curiosité et hors recensement, j'ai réfléchi
à ce qui peut conditionner les prix du foncier et je peux simplement
dire qu'à mon sens, la taille des exploitations ne joue pas sur ce
point. A titre d'illustration, je vous citerai trois exemples.
Premièrement, lorsque l'on franchit la frontière
-- imperceptible -- entre l'Oise et le Val-d'Oise, le coût du
foncier à l'hectare augmente de 1 525 euros.
Pourquoi ? Tout simplement parce que dans l'Oise, les agriculteurs sont
présents et luttent pour une baisse du prix de la terre, tandis que dans
le Val-d'Oise, la spéculation immobilière prime et l'on cultive
le COS plutôt que le blé ou les betteraves !
Deuxièmement, lorsque le groupe Eurodisney s'est installé en
Seine-et-Marne, il a concédé un coût moyen à
l'hectare de 15 250 euros, alors que le marché ne
requérait que 6.860 euros. Les agriculteurs de Seine-et-Marne se
sont installés dans l'Oise et ont concédé, à leur
tour, un coût moyen à l'hectare de 10 670 euros,
alors que 6 100 euros auraient suffi tout autant !
Troisièmement, lorsque la SNCF a mis en route un chantier TGV dans
l'Ain, elle a spontanément consenti à indemniser à la fois
les propriétaires et les exploitants expropriés comme elle
l'avait fait en Picardie alors que ce n'était pas habituel dans cette
région. D'où une spéculation à la hausse.
La PAC de 1992, qui incitait à l'agrandissement des exploitations,
a induit une hausse sensible du coût du foncier. Pour autant, je n'ai pas
d'idée précise sur cette relation entre le coût et la
taille des exploitations. Au regard des chiffres disponibles en zones de
prairies naturelles, je propose le constat suivant : les variations du
prix de la terre en zones de montagne s'avèrent nettement
atténuées par rapport au niveau national. Vous savez que dans une
phase 1950-1978, le coût moyen du foncier a crû fortement au niveau
national mais moins rapidement en zones de montagne ; à l'inverse,
dans une phase 1978-1995, ce coût a chu mais là-aussi moins
rapidement en zones de montagne ; enfin, depuis 1995, ce coût
remonte mais là-encore moins rapidement en zones de montagne. Il n'en
demeure pas moins que le prix de la terre est élevé et
supérieur à celui de la moyenne nationale dans les Alpes du nord
et les Vosges -- régions où la pluriactivité et le
tourisme sont importants.
Une autre de vos questions a trait à l'évolution relative de la
part des vaches laitières par rapport à celle des vaches
allaitantes. Il est certain qu'en termes de cheptel laitier, la part que
représentent les zones de montagne au niveau national croît
nettement (de 15 % en 1970 à 20 %
en 2000). Autrement dit, le cheptel laitier de montagne baisse moins
rapidement que l'ensemble. Parallèlement, l'évolution se trouve
inversée en termes de cheptel allaitant. Certes, les vaches allaitantes
se substituent aux vaches laitières comme partout en France ; mais
comme le cheptel laitier de montagne baisse moins rapidement qu'au niveau
national, le cheptel allaitant de montagne, logiquement, croît moins
rapidement ! Il s'ensuit que la part des zones de montagne dans la
production nationale de viande baisse légèrement.
Vos sensibilités agricoles vous permettent naturellement de comprendre
ce phénomène global de substitution : du jour où ont
été imposés des quotas laitiers (1984), le nombre de
têtes s'est restreint -- le rendement moyen des vaches continuant de
croître. Cependant, dans la mesure où ces quotas laitiers ont
moins diminué voire ont augmenté en zones de montagne, la part du
lait de montagne dans la production laitière totale a crû.
J'ajouterai à cela un constat personnel: les races à très
hautes performances laitières -- la Holstein, notamment --
sont peu présentes en montagne, où l'on a
sélectionné, en revanche, des races à fort taux de
matières grasses et azotées en vue de produire du fromage
-- la Montbéliarde, etc. Pour produire une quantité de lait
constante, il faut donc plus de vaches en montagne qu'ailleurs ! En
d'autres termes, il n'est pas d'usine à lait en montagne et la
substitution du lait vers la viande y apparaît moins forte qu'au niveau
national.
Enfin, vous m'interrogez sur la question des revenus, qui sort du cadre du
recensement -- tout comme celle du foncier. Néanmoins, nous menons
une opération par sondage auprès de 8 000 exploitations
professionnelles -- le Réseau d'information comptable
agricole --, qui nous permet de suivre et d'interpréter dans le
détail des comptabilités complètes. Il en ressort certains
points sur la question des revenus, qui paraissent une fois encore liés
aux systèmes de production.
Ainsi, il est connu que les éleveurs de viande ovine ou bovine
révèlent les revenus les plus faibles, qu'ils soient
installés en montagne ou non. Mais une observation plus fine
s'avère intéressante.
Les exploitations laitières de montagne apparaissent plus restreintes
que leurs consoeurs nationales en taille comme en cheptels mais emploient
davantage de main d'oeuvre. Ceci explique leur productivité moindre.
Malgré des aides allant dans le sens d'une compensation de ces
handicaps, leurs revenus se révèlent inférieurs
de 30 % à ceux de l'ensemble des exploitations
laitières ! Plus avant, les aides représentent 50 % de ces
revenus, alors qu'en plaine, les aides directes aux vaches laitières
sont rares.
En matière de viande, le constat est le même : taille et
cheptels plus petits ; main d'oeuvre plus élevée ; mais
revenus inférieurs de 30 % également à ceux de
l'ensemble des exploitations, alors que les aides représentent ici
150 % des revenus (et conditionnent, de fait, l'existence même de
ces exploitations) !
Les ovins, eux, constituent un cas particulier dans la production. En effet,
les cheptels ovins de montagne sont plus grands que ceux de plaine, d'une
part ; le lait de brebis est essentiellement produit en montagne, d'autre
part. En dépit de cela, le système ovin -- lait et viande
considérés ensemble -- procure un revenu qui égale
l'ordre de grandeur des aides.
Globalement, les chiffres 2000 correspondant aux exploitations
professionnelles de montagne indiquent un revenu moyen disponible avant
impôts de 21 000 euros par exploitation, dont
15 000 euros d'aides (parmi lesquels 10 000 euros d'aides
européennes). Le tout compte pour 1,4 unité de main d'oeuvre
équivalente temps complet, ce qui induit un revenu
de 15 000 euros par UTA non salarié -- ce qui est
tout de même supérieur au SMIC. Par comparaison, les
chiffres 2000 correspondant aux exploitations professionnelles France
entière indiquent un revenu moyen disponible avant impôts
de 28 000 euros, dont 20 000 euros d'aides.
Depuis la PAC de 1992, les aides en zones de plaine sont plus importantes
qu'en zones de montagne, notamment en direction des céréales,
oléagineux et protéagineux. A ce sujet, la part des aides dans
les revenus atteint 60 % dans les départements
céréaliers de l'Oise et de la Seine-et-Marne (contre 1-2 %
avant 1992), 100 % en Lozère mais uniquement 16 % dans
les départements de Savoie et de Haute-Savoie (contre 10 %
avant 1992). En définitive, l'agriculture de montagne n'est donc
pas fortement aidée, surtout dans les zones laitières.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour ces propos, qui se sont
avérés fort enrichissants. Avant de réagir, je vais passer
la parole à Auguste Cazalet, qui a quelques questions à vous
poser.
M. Auguste Cazalet
- Je n'ai pas été surpris du taux
de 28 % du territoire couvert par les zones de montagne -- bien
que pour notre part, nous disposions d'un taux de 30 %...
M. José Rey
- Il s'agit d'un chiffre issu des surfaces
cadastrées.
M. Auguste Cazalet
- Soit ! Cependant, il est des secteurs de ce
territoire montagnard vierges de toute exploitation, ce qui fausse l'ensemble
des statistiques. Quant au taux de 20 % des exploitations nationales
sises en zones de montagne, il m'étonne davantage mais je le
conçois, sachant moi-même à quel point les agriculteurs
montagnards s'avèrent irréversiblement attachés à
leurs terres et peu enclins à l'exil en plaine.
En revanche, je suis très surpris par la taille moyenne annoncée
de 38 hectares par exploitation. Je serais curieux de connaître vos
méthodes statistiques sur ce point ! Certes, je ne suis pas un
intellectuel. Néanmoins, dans mon secteur de la vallée d'Ossau,
38 hectares constituent d'emblée une exploitation fort importante.
Il est vrai qu'à une vingtaine de kilomètres de là, vers
Pau, les cantons de Morlaàs ou de Lescar renferment des exploitations
pouvant dépasser la centaine d'hectares mais je m'interroge tout de
même...
Par ailleurs, vous relevez un taux de pluriactivité des chefs
d'exploitation de 22 % en zones de montagne, qui m'interpelle lui
aussi. Dans le canton de la Rance, que je connais bien -- vous avez sans
doute entendu parler du col d'Aubisque lors du Tour de France --...
M. José Rey
- J'ai entendu parler de ce secteur en rapport
à l'écobuage !
M. Auguste Cazalet
- L'écobuage concerne surtout le Pays Basque.
Bref, la pluriactivité touche plutôt 80 % des ménages
dans ces régions, qui profitent, il est vrai, de la
délocalisation de certaines unités de production telles les
usines Messier, Turboméca ou Dassault. A quelques dizaines de
kilomètres de là, pourtant, les situations économiques
peuvent être totalement différentes.
Vous abordez également la question du rajeunissement relatif des
exploitants en zones de montagne. Peut-être s'agit-il d'un revers du fait
que les jeunes se forcent à devenir paysans pour ne pas avoir à
chercher d'emploi ailleurs.
Quant à l'accroissement du cheptel laitier aux dépens du cheptel
allaitant, la raison en incombe, en effet, à la difficulté des
conditions de travail. La traite est ce que je connais de plus
contraignant ! Non seulement elle nécessite un personnel important
mais elle ne souffre aucune défaillance quotidienne : que l'on soit
fatigué ou malade ou qu'il y ait baptême ou mariage ne compte pas
! Aujourd'hui, le développement de l'entraide en améliore quelque
peu les conditions mais cette contrainte demeure. Pourtant, le lait constitue
pour le moins un revenu quotidien, dont les petites exploitations de montagne
ne peuvent se dispenser. Il me plaît, à ce sujet, d'imaginer la
maladresse des vaches Holstein -- trop hautes -- en montagne.
Enfin, la question des revenus me paraît elle aussi pouvoir être
nuancée.
M. José Rey
- Permettez-moi de corriger quelques points
d'information.
Premièrement, les zones de plaine ne se vident pas. Depuis la PAC
de 1992, chaque mètre carré est l'objet de toutes les
convoitises, compte tenu des primes qui y sont attachées. En outre, les
ressortissants des pays voisins n'investissent que peu dans nos terres et
principalement aux alentours de leur résidence secondaire. C'est une
surprise, étant donné que le prix de la terre peut
apparaître trois à quatre fois plus élevé en
Allemagne et dix fois plus haut aux Pays-Bas. Enfin, je rappelle que les
chiffres que je vous livre ne sont que des moyennes statistiques, dans
lesquelles, en l'occurrence, le Massif central pèse lourd. Or celui-ci
correspond à une région à faible pluriactivité,
où les exploitations sont de taille très importante.
M. Auguste Cazalet
- Est-ce que ces statistiques incluent les
pâturages collectifs ?
M. José Rey
- Ces statistiques comportent l'artéfact
suivant : nous ne comptons dans les surfaces que les exploitations
correspondant à un utilisateur unique. Ceci mis à part, nous
pouvons estimer qu'il y a 200 000 hectares collectifs en France
entière. Hormis la Corse, qui se livre à des opérations de
débroussaillage spectaculaires en vue d'obtenir le coefficient
d'extensification et donc certaines primes majorées, cette surface
totale tend à diminuer au profit des infrastructures et des
développements urbains en zones de plaine mais aussi des forêts en
zones de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je voudrais vous livrer quelques questions
complémentaires, en vous priant de les noter afin de nous instruire de
leurs réponses par une note écrite complémentaire.
Ma première question peut paraître technique mais elle servira
à affiner la précision de notre rapport. Elle a trait à la
vache Holstein, qui semble peu présente en zones de montagne. En
complément de ce que vous nous en avez dit tout à l'heure,
quelles sont les raisons qui font que son lait ne donne pas satisfaction en
termes de production fromagère ?
M. José Rey
- Je ne suis pas zootechnicien mais je crois savoir
que la vache Holstein a été sélectionnée, de toute
éternité, en raison de sa production laitière et non pour
ses coefficients de matière grasse ou azotée. Ces deux
critères s'avérant généralement contradictoires,
les coefficients se sont dégradés. Les choses sont en
amélioration depuis une dizaine d'années mais il n'en demeure pas
moins qu'en comparaison d'une vache Montbéliarde, par exemple, le choix
se fait clairement.
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous comprenons que ce sont d'autres races de
vaches -- l'Abondance, la Tarine, la Montbéliarde... -- qui
favorisent, dans les Alpes, les meilleures productions fromagères. Pour
en revenir à l'Aubrac et à bien d'autres races de pays, est-ce
que vous disposez de courbes d'évolution de ces cheptels, qui parfois
semblent menacés ? La motivation de cette question tient dans ce
que confrontés à l'éventualité d'une nouvelle crise
de la vache folle, certains éleveurs prétendent que maintes races
de pays pourraient tout simplement disparaître si elles se trouvaient
à leur tour frappées. Nous savons que la race Tarine compte
environ 15 000 têtes et l'Abondance environ
60 000 têtes, me semble-t-il. Est-il possible de
connaître précisément les cheptels et,
éventuellement, la tendance actuelle ? Nous saurons alors si ces
races attachées à des productions de qualité et à
des filières bien identifiées -- qui sont, pour l'essentiel,
la survie de notre agriculture de montagne -- reposent sur des cheptels
conséquents et en bonne santé.
M. José Rey
- Nous disposons tout au moins de séries
depuis le recensement de 1970, qui nous permettent de répondre
à cette question avec finesse. De mémoire, il me semble que nous
sommes portés, actuellement, à suivre avec attention
l'évolution de certaines races classiques et à implémenter
des mesures environnementales pour soutenir des cheptels rustiques locaux.
Néanmoins, une race comme la Vosgienne, par exemple, apparaît
localisée à une zone très étroite.
M. Jean-Paul Amoudry
- Si nous n'y prenons garde à travers un
travail de sélection et de pérennisation, certaines races de
montagne pourraient donc disparaître...
M. José Rey
- Il ne me paraît pas moins clair que nous
assistons, depuis une vingtaine d'années, à une prise de
conscience des chercheurs et des éleveurs eux-mêmes sur ce danger.
Je tenterai de mesurer ce fait dans les chiffres.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous en remercie par avance.
Ma deuxième question a trait à la pluriactivité. Comment
évolue-t-elle entre agriculture et tourisme ? Les statistiques
montrent-elles une diversification de l'agriculture vers le tourisme en tant
que revenu d'accompagnement ?
M. José Rey
- Les activités touristiques liées
à l'exploitation agricole apparaissent stables en valeur absolue, ce qui
dénote une légère croissance en termes de taux, bien que
celui-ci demeure très modeste -- 1,5 % environ, un peu plus
dans le sud de la France et les zones de montagne. Nous sommes quelque peu
surpris par cette stabilité relative, qui ne reflète pas la
très forte augmentation du nombre de gîtes ruraux, par exemple. En
conséquence, il semblerait que les agriculteurs se spécialisent
sur leur métier ou distinguent nettement ces deux activités en
termes juridiques ; à moins que ceux qui ont rencontré un
certain succès dans le domaine touristique n'aient d'ores et
déjà abandonné le domaine agricole. Nos enquêtes
devront approfondir ce point. Il n'en demeure pas moins que d'une
manière générale, nous constatons que les agriculteurs
commencent systématiquement par spécialiser leur système
et leur travail avant de les élargir, éventuellement, vers des
activités extra-agricoles (un élevage d'agrément, une
table d'hôte, etc.).
M. Jean-Paul Amoudry
- Il s'agit là d'un sujet important, qui
porte des problématiques nombreuses (les caisses pivots, etc.).
M. José Rey
-Je le comprends. Pourtant, en
réfléchissant aux sources d'information possibles, il
m'apparaît que le recensement de la population n'interroge que
l'activité principale. A mon avis, la question des statuts juridiques
distincts masque un peu les choses.
M. Jean-Paul Amoudry -
Si un ménage conjugue un chef de famille
exploitant agricole et une conjointe active dans un autre domaine, cela
apparaît-il dans vos chiffres ?
M. José Rey
- Cela apparaît, dans la mesure où nous
posons directement la question. A ce sujet, les agriculteurs commencent
à nous faire savoir que nous sommes parfois très
indiscrets ! Quoi qu'il en soit, ils nous répondent
à 99,9 %...
M. Jean-Paul Amoudry
- Sans doute remplissent-ils des formulaires depuis
longtemps !
M. José Rey
- Oui. En outre, nos enquêteurs les y assistent.
Nous posons des questions sur l'activité des autres membres de la
famille depuis 1963, ce qui nous permet de disposer de séries
longues sur ce sujet. Il apparaît ainsi que la pluriactivité au
sens du ménage et non de l'individu s'est fortement étendue mais
moins en zones de montagne qu'ailleurs. En zones
céréalières, par exemple, il est clair que le chef
d'exploitation comme sa femme sont parfois de niveau bac+2 ou bac+4 et que
celle-ci, la plupart du temps, occupe une activité hors l'exploitation.
M. Jean-Paul Amoudry
- Ma dernière question concerne
l'enfrichement, dont l'évolution me préoccupe en ce que nous
assistons à la fermeture progressive des paysages, surtout en montagne.
Avez-vous des données sur ce problème, qui illustreraient
l'évolution de la pratique agricole et simultanément, à
l'inverse, l'accroissement des terres agricoles laissées à la
friche ?
M. José Rey
- Au niveau de la France entière, globalement,
la surface agricole a diminué de 3 %, alors que le nombre
d'exploitations, lui, a chuté de 35 % en dix ans. Cette baisse
de la surface agricole, si elle n'est pas négligeable, demeure donc
relativement marginale. En zones de haute montagne, par ailleurs, elle
apparaît même en croissance.
Pour autant, nous disposons d'une autre enquête sur l'utilisation du sol
-- l'enquête annuelle TERUTI --, qui s'attache à
l'observation par sondage de 550 000 points
régulièrement répartis sur le territoire. Cette
enquête révèle que des 85 000 hectares que
la SAU perd annuellement, la première moitié concerne des terres
de plaine de bonne qualité qui passent aux infrastructures et au
développement urbain tandis que l'autre moitié concerne des
terres de montagne de qualité médiocre qui basculent en landes ou
en friches. Néanmoins, les flux jouent dans les deux sens puisque comme
je l'ai évoqué, les Corses s'attèlent à une remise
en valeur de certaines friches (dont le statut de propriété,
d'ailleurs, n'est pas toujours très clair). En définitive, il
semble que 40 000 hectares environ basculent chaque année en
forêt à travers un processus progressif -- les
définitions internationales qualifiant de forêt tout terrain
comportant plus de 10 % de couvert ligneux.
M. Jean-Paul Amoudry
- Il est vrai que cette fermeture du paysage se
constate partout et de manière très symptomatique. Nous
apprécierions donc quelques données chiffrées sur ce
thème.
Je vous propose de nous en tenir là et vous remercie de votre
contribution.
18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'écologie et du développement durable (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
C'est avec plaisir, Madame Zysberg, que je vous
accueille au Sénat. Je vous remercie d'avoir répondu à
notre invitation pour participer à cette audition, que nous avons
organisée dans le cadre des travaux de la mission sénatoriale
d'information sur la politique montagne. Vous avez sans doute
déjà pris connaissance des objectifs et du déroulement de
ces travaux, qui doivent se conclure par le dépôt d'un rapport au
mois d'octobre prochain. Nous avons encore quelques semaines pour auditionner
et visiter les massifs montagneux français avant d'établir une
synthèse.
Les travaux de cette mission s'orientent vers trois thèmes
majeurs : le thème de l'aménagement, d'abord, qui comprend
toutes les questions afférentes à la forêt, aux
infrastructures de transport, aux techniques de l'information ou encore aux
services publics en zones de montagne ; le thème de
l'économie, ensuite, qui touche à l'agriculture, à
l'artisanat, au commerce et au tourisme ; enfin -- et sans
hiérarchie dans cet ordre --, le thème de la protection de
l'environnement. C'est plus particulièrement au titre de ce
troisième thème que nous vous accueillons, pour vous entendre
puis échanger avec vous à partir de la grille de questions que
nous vous avons adressée.
Je suis moi-même sénateur de Haute-Savoie et Rapporteur de cette
mission. Malheureusement, son Président Jacques Blanc,
sénateur de Lozère, vous prie de l'excuser pour son absence. A
mes côtés, j'ai le plaisir de vous présenter
Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire. Je compte que quelques
collègues nous rejoindront d'ici quelques instants, sachant que le
nombre restreint de sénateurs ici présents s'explique par le
calendrier électoral, qui tend à les retenir dans leurs
départements. Quoi qu'il en soit, votre déposition se trouvera
naturellement inscrite au rapport et portée, le moment venu, à la
connaissance de la mission réunie en séance
plénière. C'est à partir des éléments que
vous allez nous communiquer qu'en tant que Rapporteur, je présenterai
les conclusions à ce groupe de travail. Aussi, sans plus attendre, je
vous laisse la parole.
Mme Claudine Zysberg -
Merci Monsieur le Président. La politique
que mène le ministère de l'Ecologie et du Développement
durable en matière de protection de la montagne se situe de toute
évidence dans le cadre législatif actuel :
la loi montagne, d'une part, modifiée par la loi d'orientation
d'aménagement durable du territoire en 1999 ;
les diverses législations de protection qui ont mis en place le
dispositif de protection des milieux naturels et des paysages, d'autre part
-- la loi sur les parcs nationaux de 1960 ; la loi de protection
de la nature de 1976 ; la loi sur les paysages de 1973.
Nous considérons comme un devoir devant la nation, l'Europe et la
planète entière de mettre en place un certain nombre de
protections. Pour autant, nos axes ne se limitent pas à une acception
contraignante de cette notion de protection : nous visons
véritablement à maintenir la biodiversité d'espaces peu
artificialisés, à assurer une gestion efficace des paysages et
des ressources naturelles -- notamment de l'eau -- et à
prendre en compte l'environnement dans les politiques sectorielles. Dans cette
optique, les zones de montagne attirent toute notre attention en termes
d'ouverture et de possibilités dans les différentes
activités humaines qui s'y développent (qu'il s'agisse de
l'agriculture, du commerce, des activités de transport ou encore du
tourisme).
En ce qui concerne le développement durable en zones de montagne, comme
l'indique l'intitulé actuel du Ministère, notre objectif consiste
donc bien à la fois à assurer ces protections
réglementaires, à considérer l'ensemble des politiques
sectorielles à la mesure de l'enjeu environnemental et à porter
une attention particulière à la montagne (la loi ayant
donné le moyen d'encadrer pour vingt ans les différentes
activités spatialisées sur le territoire français par le
biais du schéma de service des espaces naturels et ruraux). Sur ce
dernier point, effectivement, les secteurs montagnards passent pour des
territoires dits « signal ». C'est en ce sens que leur
gestion nécessite la mise en place d'un nouveau contrat sociétal
-- nous avons parlé, au moment de la publication de la loi
montagne, d'une solidarité nationale à l'égard des
montagnards --, qui reconnaîtrait les handicaps induits par la vie
en zones de montagne en valorisant les services rendus par celles-ci aux
collectivités nationale et européenne en termes d'espace, de
diversité biologique et paysagère et de récréation
touristique.
Le territoire montagnard apparaît protégé
à 30 %, alors que le taux de protection nationale moyen ne
s'élève qu'à 6 %. Aussi avons-nous
considéré préférable de développer une
approche de cogestion entre les collectivités publiques et les
habitants, tout en tenant compte des conditions socio-économiques de vie
et de développement des populations résidentes mais aussi des
conditions d'accueil des populations extérieures et de l'entretien des
milieux naturels comme du maintien de leur fonction écologique.
A notre sens, le concept de développement durable doit pouvoir prendre
tout son sens dans les zones de montagne. Dans cette optique, il paraît
nécessaire d'obtenir la reconnaissance de la spécificité
montagnarde au niveau européen, à travers la mise en place de
politiques adaptées propres à ces zones. Cette revendication a
constitué l'un des axes forts des Assises du développement
durable de Toulouse, tenues récemment, lesquelles ont
prôné, à cette fin, le renforcement de l'identité
des communautés montagnardes mais aussi la diversification des
activités en une articulation cohérente (sans monotourisme ni
rejet de principe de toute activité industrielle) et l'affirmation du
partenariat entre les différents acteurs en jeu.
Peuvent également être évoquées, à ce sujet,
les thématiques suivantes : le besoin d'information, de formation
et de participation des habitants ; l'aide à la gestion et à
l'animation de projets de territoire (et la nécessité, notamment,
de mettre en place des structures de gestion à bonne
échelle) ; les conditions de garantie d'un tourisme durable ;
le développement des démarches qualité pour les
productions montagnardes ; le maintien des services publics et la garantie
de productions énergétiques renouvelables et
décentralisées ; enfin, le règlement de la question
parfois cruciale des transports trans-massifs, qui touche à des aspects
économiques et environnementaux.
Le capital économique des zones de montagne dépend directement de
leur environnement exceptionnel. Négliger cet environnement conduirait
à menacer le développement de ces régions et à
accentuer la fragilité de ses populations et communautés
montagnardes. Le concept de développement durable et son application
prennent ici tout leur sens !
Telle est ma déclaration de principe, Monsieur le Président. Je
peux, à présent, répondre plus spécifiquement aux
questions que vous m'avez posées.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour cet exposé
introductif et vous propose de nous envoyer dès que possible vos
réponses écrites à la grille de questions que nous vous
avons transmise. Quant à l'immédiat, nous pouvons sans doute
aborder ensemble un certain nombre de thèmes tels les outils de
protection, les mesures décentralisées ou encore Natura 2000.
Pour ce qui concerne les outils de protection et les mesures
décentralisées, tout d'abord, comment voyez-vous les choses sur
le terrain ? Nous connaissons les parcs naturels, les réserves, les
arrêtés de biotope ou autres expériences de
caractère plus ou moins décentralisé telles l'Espace
Mont-Blanc, par exemple... Nous pourrions discuter de ces outils, pour
qu'à la fois vous nous disiez comment ils répondent, selon vous,
aux objectifs de protection qui leur sont opposés mais aussi lesquels
d'entre eux, précisément, vous semblent devoir prospérer
ou subir diverses améliorations. En d'autres termes, pensez-vous que les
structures de parc des Cévennes ou de la Vanoise ou encore la
réserve des Aiguilles Rouges, près de Chamonix, sont des
systèmes satisfaisants ?
Mme Claudine Zysberg -
Je ne suis pas certaine d'être la mieux
à même d'évaluer ces outils de protection, en tant qu'agent
travaillant au Ministère de l'Environnement, et affectée à
une autre direction que la direction en charge de la protection, la direction
de la nature et des paysages.
Les outils de protection mis en place, communs à l'ensemble du
territoire français, sont le fruit d'une lutte de quarante années
pour la protection de l'environnement au sens large. La première mesure
a consisté à mettre en place des parcs nationaux dits à la
française.
Pour la plupart d'entre eux, les parcs nationaux ont été
installés en zones de montagne, du fait de la prégnance des
espaces naturels dans ce cadre -- bien que la zone centrale, le parc des
Cévennes, soit habitée. Chacun dispose d'un décret propre,
qui aborde ses spécificités territoire par territoire.
L'avantage de cette structure publique tient dans le fait que le conseil
d'administration qui l'assiste comporte en majorité des élus
locaux, lesquels peuvent directement suivre les programmes d'aménagement
et de protection envisagés. L'outil apparaît également
intéressant du fait que la dénomination de
« parc » s'entend sur les zones centrale et
périphérique concernées, ce qui ajoute en
notoriété au niveau régional. Pour autant, il convient de
s'interroger sur la part que prennent véritablement les habitants dans
la gestion de cette structure et la protection des espaces naturels. Cette part
varie selon les territoires considérés, leur histoire et les
équipes municipales ou locales en place -- lesquelles ne sont pas
toujours à l'écoute.
Quoi qu'il en soit et même s'ils demeurent un outil d'exception de par
l'effort important qu'ils requièrent de la collectivité
nationale, les parcs nationaux constituent le fleuron du Ministère,
lequel évalue régulièrement leur bilan.
Un second outil de protection tient dans les 150 réserves
naturelles instaurées, dont un tiers apparaît sis en montagne.
Cette structure résulte de deux législations : la loi sur le
classement des sites, d'une part, qui a permis dès 1957 la
création de réserves ; la loi de protection de la nature,
d'autre part, qui leur a donné en 1976 leur mesure propre
(codifiée depuis au Code de l'environnement du L. 332-1 au L. 332-19).
En général, les réserves naturelles couvrent des
territoires moins importants que l'outil précédent. Leur
intérêt réside dans le fait qu'elles se focalisent sur des
milieux particuliers et que l'organisme généralement associatif
qui les gère se trouve étayé d'un comité
consultatif présidé par le préfet et composé
d'acteurs locaux. Il en résulte un lieu de débat qui me
paraît tout à fait intéressant. Enfin, chaque
réserve s'appuie sur un décret propre pour autoriser ou non des
activités humaines selon leur compatibilité avec les milieux
préservés.
De tous les outils dits de protection -- auxquels se rattache un outil propre
aux collectivités territoriales, que vous avez omis de citer (voir
infra) --, le parc naturel régional me paraît l'outil de
gestion ou d'appréhension d'un territoire le plus intéressant,
notamment en milieu montagnard. C'est un outil de décentralisation
complet puisque comme vous le savez, le territoire du parc est proposé
par la région avant de conduire au rassemblement volontaire des
collectivités concernées autour d'une charte pour se donner les
moyens à la fois de préserver les paysages et de mener des
activités et des politiques compatibles avec l'environnement.
Il convient de noter, à ce sujet, que les parcs naturels
régionaux sont nombreux en zones de montagne et s'y
révèlent parmi les plus actifs, notamment en matière de
tourisme. Au total, 16 parcs naturels régionaux ont
été créés, qui depuis le Vercors jusqu'aux Vosges
en passant par les Grands Causses couvrent pratiquement tous les massifs
français à l'exception des Pyrénées. Même
s'il ne s'agit pas réellement d'un outil de protection, il me semble
qu'il y a là une réponse à vos questions.
Enfin, je voudrais également citer les espaces naturels dits sensibles,
acquis par le département au titre d'une taxe départementale du
même nom. Ils constituent un outil fréquemment utilisé au
niveau départemental pour protéger des espaces remarquables et
les ouvrir aux habitants ou aux touristes étrangers, d'une part, pour
appuyer la gestion des chemins de promenade et de randonnée, d'autre
part.
Aujourd'hui, les outils majeurs de protection relèvent de l'Etat.
Néanmoins, celui-ci agit presque toujours en concertation avec les
collectivités territoriales et les habitants. Ceci vaut même pour
les sites classés -- illustrations d'une législation
régalienne --, dont aucun n'est issu, dorénavant, sans
consultation de la population et accord avec les élus locaux. Plus
avant, une gestion d'accueil de la fréquentation des grands sites
classés est organisée, en vue d'en préserver la
notoriété internationale.
J'ai tenté, ici, d'ébaucher des pistes. Le cas
échéant, le législateur a toute latitude pour modifier ces
outils. Néanmoins, il convient d'évaluer un outil au regard de
son objectif attendu comme de sa réponse aux attentes formulées
par les citoyens. Les parcs nationaux et les réserves naturelles
attirent chaque année, en France, respectivement sept et huit millions
de visiteurs ! Là est la réponse quant à la
satisfaction populaire, dès lors que l'on considère que la
préservation ne vise pas à établir des sanctuaires mais
à protéger des milieux visitables. Pour autant, le
problème de l'association des collectivités locales à la
mise en place de ces outils demeure posé, en vue d'une meilleure
responsabilisation des élus en matière d'environnement.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour cette réponse. J'ai
encore deux questions à vous poser.
La première des procédures particulières a trait au
principe de l'arrêté de biotope : quelle en est la
procédure et en quoi celle-ci se différencie-t-elle des autres
modalités ou classements ? La seconde évoque
Natura 2000 : comment, dans ce domaine, sortir la France de sa
situation d'exception et faire en sorte que les collectivités et les
élus locaux s'approprient mieux et davantage Natura 2000 ?
Mme Claudine Zysberg -
Pour ce qui est de l'arrêté de
biotope, je dirai la chose suivante.
Les arrêtés de biotope sont un outil qui doit être
manié avec précaution et utilisé à bon escient (sur
un territoire relativement restreint) pour protéger une espèce,
qu'elle soit animale ou végétale. Dans la mesure où il
peut déboucher sur d'autres types de protection, il constitue, à
notre sens, un outil en attente. Ceci fait précisément sa
singularité en même temps que sa faiblesse, dans la mesure
où il paraît possible d'envisager d'emblée d'autres types
de protection plus pérennes et en quelque sorte mieux
gérés -- tels le classement en site Natura 2000 --
voire de simples mesures plus appropriées. Quoi qu'il en soit, les
arrêtés de biotope semblent aisés à mettre en
oeuvre...
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez parlé de territoire
« restreint » : est-ce un terme
générique ou un qualificatif ?
Mme Claudine Zysberg -
Le territoire des arrêtés de biotope
apparaît généralement relativement restreint, l'outil
jouant davantage par sa rapidité que par tout autre aspect. Cela ne
dispense pas de réfléchir à sa gestion.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous apprécierions que votre
réponse écrite apporte des éléments typologiques de
classement pour ces notions. Il me semble que les réserves naturelles
couvrent habituellement 100 ou 200 hectares, tandis que
l'arrêté de biotope peut se circonscrire à 1 hectare...
Mme Claudine Zysberg -
Il ne s'agit pas prioritairement d'une question
de superficie. L'essentiel est de savoir ce que l'on souhaite protéger.
Un arrêté de biotope vise à la protection d'une
espèce particulière, tandis qu'une réserve naturelle
s'attelle à protéger un milieu donné (grâce à
des fonds croisés Etat-région) ; un parc national, lui,
regarde plus globalement un ensemble de milieux et de paysages et c'est en ce
sens que son budget se trouve souvent directement soutenu par l'Etat. Il est
donc tout autant question, en réalité, de protection visée
que de moyens disponibles.
J'en profite pour préciser que les sites classés, eux, sont
essentiellement des paysages et qu'ils autorisent le développement ou la
construction. En ce sens, ils constituent une protection qui vise simplement
à gérer l'évolution lente d'un paysage par le biais de
l'instruction de la demande de permis. Là encore, c'est une conception
différente de la protection.
Quant à Natura 2000, il me semble que la puissance publique
-- Etat et collectivités -- doit intégrer sa
responsabilité particulière en matière d'habitat. Il est
un fait que des 222 types d'habitat définis dans la directive
de 1992, le territoire français en offre 70 %. La question de
la biodiversité constitue donc un passage obligé. L'enjeu
consiste à comprendre que c'est un réseau écologique
majeur qui va être mis en place au niveau européen et qu'à
ce titre, nous avons tout intérêt à le soutenir.
Suite aux consultations que les préfets ont menées en ce
début d'année, nous serons aptes à proposer une liste
complémentaire de sites à protéger, qui
bénéficieront de financements très importants :
financements des contrats Natura 2000 ; financements du fonds de
gestion des milieux naturels mis en place par la loi d'orientation
d'aménagement durable du territoire ; financements européens
par le biais de LIFE et de LIFE-nature, notamment ; enfin, financements en
provenance du FEOGA-Garantie. Il nous faut intégrer le fait que
l'Europe, qui nous a condamnés une première fois en 2001
pour manquement de désignation à la directive, impose
dorénavant comme condition aux versements des fonds structurels la
transmission d'une liste complète. Nous n'avons donc pas le choix.
En revanche, une fois que les propositions seront complétées et
envoyées, le rôle des élus consistera à faire
comprendre à tous les habitants -- propriétaires,
agriculteurs, sylviculteurs, chasseurs, etc. -- ainsi qu'à
l'ensemble des acteurs économiques, sociaux ou associatifs qu'ils sont
associés. Ce ne sera pas facile mais telle est la
nécessité. Si l'Europe peut nous contraindre, nous devons porter
le débat plus avant et accompagner le mouvement général
pour affirmer notre responsabilité. Nous n'en gérerons que mieux
ces sites, qui de toute façon seront préservés d'une
manière ou d'une autre (leur statut juridique n'étant pas une
condition de leur préservation).
En d'autres termes, nous disposons de tous les outils possibles pour
protéger les milieux naturels, ruraux et forestiers ainsi que des moyens
de gestion nécessaires. L'enjeu, à présent, consiste
à choisir notre voie. Dans certains cas, tourner le dos aux protections
n'est pas nécessairement la meilleure solution pour préserver les
paysages, améliorer les productions et favoriser le développement
touristique. En effet, pratiquement toutes les régions françaises
et plus précisément l'ensemble des régions montagnardes
renferment des types d'habitat et des milieux intéressants de même
qu'un fort potentiel touristique. A l'ensemble des acteurs de se concerter pour
optimiser cet axe double et rendre les choses compatibles ! (Pour autant,
le développement des zones de montagne ne doit pas reposer uniquement
sur le tourisme.)
Natura 2000 est sans aucun doute le réseau écologique majeur qui
structurera durablement le territoire européen. Ce sera aussi un outil
d'aménagement du territoire et de promotion d'une utilisation
raisonnée de l'espace.
M. Jean Boyer -
Nous avons bien conscience d'évoquer un
débat de fond voire de société. Si le législateur
ne s'est que récemment penché sur la question de l'environnement,
celle-ci s'insuffle pourtant progressivement dans les états d'esprit.
Ceci constitue, d'ailleurs, le meilleur avocat possible pour sa mise en avant.
Je souhaite engager quelques points complémentaires.
Tout d'abord, je voudrais savoir comment vous appréhendez le rapport
écologie-économie en lien à l'environnement. Sur ce point,
j'évoquerai l'exemple précis du subventionnement éventuel
à l'assainissement des mouillères évoqué par
certaines collectivités locales. Certes, ces zones marécageuses
mériteraient une protection du point de vue environnemental ;
néanmoins, elles constituent une gêne sur le plan
économique, en ce qu'elles perturbent la mécanisation des travaux
engagés sur les parcelles qu'elles occupent en partie. D'autre part, je
souhaite évoquer le cas spécifique des conservatoires botaniques.
Comme vous le savez, ceux-ci remplissent une mission d'inventaire de la flore
à la fois
in situ
et
ex situ
. Le Ministère de
l'Environnement a-t-il la volonté d'encourager leur action ? Enfin,
ne pensez-vous pas que les concepts de développement durable et
d'agriculture raisonnée vont dans le même sens ?
Mme Claudine Zysberg -
Votre premier point a trait au rapport
écologie-économie. Il est clair que ces deux termes
revêtent étymologiquement la même racine grecque,
oikos
(maison), et s'intéressent donc tous deux au même
domaine. Pour revenir à votre exemple des mouillères, je pense
qu'il convient de retourner la question. En effet, cette zone
particulière peut tout à fait se trouver prise en compte par le
fonds de gestion des milieux naturels ou par d'autres financements, à
condition de figurer dans le réseau écologique ou dans les
inventaires de milieux intéressants. Ainsi, les agriculteurs ou
propriétaires désireux de gérer un terrain comprenant une
zone humide de ce type peuvent trouver leur intérêt dans la
protection de cette zone contre compensation financière ou dans son
exploitation paysagère, notamment. L'inventaire que nous avons
dressé des zones humides montre que celles-ci diminuent.
L'équilibre des écosystèmes en termes de faune comme de
flore nous incite donc à les protéger. Toutefois, les cas
méritent d'être considérés un à un, au vu des
contraintes qu'ils induisent pour le propriétaire ou l'exploitant mais
aussi en regard de l'ensemble d'un territoire et d'une région.
Votre second point porte sur les conservatoires botaniques. Effectivement, le
ministère a encouragé leur création et les soutient autant
en rapport avec leur mission d'inventaire qu'en lien avec leur rôle dans
la conservation et le développement des espèces
végétales rares. La gestion s'en montre relativement lourde mais
l'enjeu réside dans le fait que contrairement à la faune, qui
jouit d'une image d'affectivité aux yeux de nos concitoyens, la flore
s'avère relativement difficile d'accès et donc fragilisée.
Il est donc tout à l'honneur du ministère d'avoir
créé puis de soutenir ces structures. Encore faut-il les faire
évoluer dans le bon sens...
Enfin, votre dernier point traite du développement durable et de
l'agriculture raisonnée. Il me semble indubitable que ces deux concepts
vont de pair. Dès lors qu'un agriculteur se pose la question de sa
production en rapport à l'environnement naturel et au devenir du
paysage, il s'inscrit dans une démarche de développement durable.
L'important est que toutes ces démarches se fondent en un ensemble au
niveau du territoire, afin que tous les acteurs adoptent une seule et
même démarche, garante de cohérence à une
échelle plus globale.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous allons bientôt prendre congé et
je vous remercie pour votre contribution. Pour les besoins de notre rapport, je
vous invite à répondre par écrit aussi
précisément que possible aux questions que nous vous avons
adressées. En particulier, il m'intéresse de pouvoir consigner
les voies et moyens d'une sortie la meilleure possible de l'impasse dans
laquelle la procédure Natura 2000 semble actuellement
installée.
Vos propos ont été fort instructifs. Pour ma part, je constate
que sur de nombreuses problématiques liées à
l'environnement, nous souffrons, actuellement, de l'établissement d'un
rapport de force entre deux parties : les associations
représentatives de l'environnement et les fonctionnaires des services de
l'agriculture ou de l'équipement, d'une part ; les élus,
d'autre part, qui manquent parfois de pédagogie quant au contenu des
mesures proposées. L'aide scientifique que peuvent nous apporter un
certain nombre de chercheurs ou de personnages faisant autorité en la
matière serait sans doute bienvenue pour rétablir et nourrir un
dialogue sain entre tous. Bien entendu, je ne mets pas en cause les
connaissances des fonctionnaires ou responsables d'associations ;
simplement, l'arbitrage scientifique peut nous aider à accepter de
transiger dans un sens ou dans l'autre et asseoir, de fait, l'autorité.
C'est là une piste sur laquelle nous souhaiterions nous engager et
j'aimerais connaître la réaction de votre Ministère quant
à cette suggestion.
Un tout dernier point me vient à l'esprit à propos de la
présence, dans les zones de montagne, des grands prédateurs
réintroduits que sont le loup et l'ours. Pouvez-vous éclairer
notre lanterne à ce sujet ?
Mme Claudine Zysberg -
Cette question sera traitée dans le
rapport écrit qui vous sera envoyé après mon audition. Une
précision cependant, les ours des Pyrénées ont bien
été réintroduits par l'homme. Les loups, en revanche, sont
réapparus d'eux-mêmes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Au-delà de tout aspect polémique,
ce sujet me paraît légitimement porté à figurer dans
notre rapport. Il est important que nous puissions en maîtriser
clairement les tenants et les aboutissants, afin d'envisager une réponse
cohérente en termes écologiques mais également
économiques. Comme vous le savez, l'activité pastorale est
particulièrement vulnérable sur ce point. Je vous invite donc
à nous communiquer tout élément complémentaire.
Mme Claudine Zysberg -
Pour ce qui concerne l'aide pédagogique
évoquée, je précise que les
Cahiers Habitats
viennent de paraître : ils fourniront une aide précieuse dans
l'établissement des documents d'objectifs en lien aux différents
sites Natura 2000.
M. Jean-Paul Amoudry -
Pardonnez-moi cet esprit d'escalier mais vous
avez préalablement évoqué une liste complète des
sites... Nous en déduisons qu'il existe une liste
a minima
des
divers sites institués, que complète une liste
complémentaire. Par ailleurs, nous comprenons qu'il est des
minima
exigibles département par département. Qu'en est-il
de ces pourcentages ? Ont-ils une valeur réglementaire ou
indicative ? Comment cela s'articule-t-il à la définition
des zones à couvrir et des habitats ? Y a-t-il un objectif national
prolongé au fil de l'eau ?
Mme Claudine Zysberg -
Non. L'inventaire concerne les types d'habitat
définis dans la directive et la liste établie par chaque
préfet correspond aux sites d'intérêt communautaire. En
d'autres termes, tous les sites qui correspondent à ces habitats ne sont
pas nécessairement des sites d'intérêt communautaire. Il
n'y a pas de pourcentage : l'intérêt national est
dépassé au profit d'un intérêt communautaire
à la protection et donc à la désignation et les choses se
décident territoire par territoire. Ce qui est jaugé est la
qualité du site par rapport à la liste complète des
habitats d'intérêt communautaire. Cette liste d'accès
public est disponible -- avec la description de chaque site -- sur le
site Internet du Ministère de l'Environnement.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie infiniment pour votre
contribution et les éléments écrits que vous voudrez bien
nous apporter.
19. Audition de M. Jean Faure, questeur du Sénat, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), vice-président de l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je suis heureux de vous accueillir pour cette
séance de travail consacrée à la montagne. En l'absence de
son Président Jacques Blanc, qui se trouve retenu cet
après-midi dans le sud de la France et vous prie de l'en excuser,
j'aurai la charge et le privilège de remplir les fonctions de
Président et de Rapporteur de cette mission. Nous vous entendrons sur ce
que vous jugerez bon de nous communiquer, sachant que nous sommes à peu
près à mi-parcours de nos travaux, ayant d'ores et
déjà visité le Massif Central et les Alpes.
Je vous remercie vivement de prendre du temps pour nous aider à avancer
et à explorer ce sujet vaste et complexe. Nous nous sommes permis, au
préalable, de vous faire passer une grille de questions. Je vous laisse
à présent la parole.
M. Jean Faure -
Merci Monsieur le Président et cher ami.
La loi montagne, que j'ai eu l'honneur de rapporter au Sénat
en 1984, avait pour objectif d'assurer un développement harmonieux
des zones montagnardes tout en essayant de concilier croissance et protection.
Invité, ce jour, à en dresser un bilan, je commencerai par en
évoquer les aspects positifs.
Les aspects positifs de la loi montagne sont d'abord apparus clairement, dans
la mesure où il s'est agi de la première loi spécifique
aux zones de montagne.
Un certain nombre de
lobbies
, notamment, ont trouvé à
s'affirmer. Ainsi, l'ANEM a vu le jour à cette occasion et a
effectué, depuis, un travail considérable en direction des
communes de montagne, qui a été très positivement
perçu par les élus montagnards et s'est consolidé au fil
des ans. D'autres organisations territoriales ont été
créées sur la base de la taxe sur le ski de fond, comme en
témoignent France ski de fond ainsi que de nombreuses structures
départementales qui se sont agencées pour mettre sur pied divers
systèmes de réciprocité et politiques de promotion ou
d'encadrement en direction de cette activité.
A mon sens, cet aspect a induit, au niveau du milieu montagnard, la conscience
que la montagne constituait un enjeu pour la nation. Nous avons d'ailleurs fait
école dans d'autres pays puisqu'en qualité de rapporteur, j'ai
été appelé à différentes reprises à
témoigner au Maroc ou dans certains pays européens pour
expliciter le contenu de cette loi et sa visée.
Pour ce qui est de la protection agricole et environnementale, sur les aspects
purement franco-français et en ce qui nous concerne, je noterai à
l'actif du bilan positif pour le domaine agricole deux points majeurs :
d'une part, le maintien voire le développement d'aides
spécifiques en direction de la montagne, notamment en matière
d'élevage ; d'autre part, la confortation des AOC et leur
utilisation dans la valorisation de certains produits. S'ajoute à ces
points un troisième avantage, qui a trait à l'amélioration
du système de protection des terres agricoles pour les agriculteurs
professionnels -- mais non nécessairement pour les
propriétaires fonciers.
Plus précisément, la notion de protection a constitué le
volet majeur de la loi. Celle-ci s'est vue nourrie des travaux de la directive
de 1978 suite à un discours sur la protection de la nature et de la
montagne. Toute une série de procédures ont pu être mises
sur pied, au titre desquelles figurent les unités touristiques nouvelles
(UTN), qui ont permis, en dépit de leur lourdeur apparente, une forme
d'encadrement et de contrôle du développement touristique selon
certaines règles, tout en éduquant le regard au paysage et en
favorisant une prise de conscience de l'intérêt patrimonial dans
un esprit de concertation et de prudence. Les associations de protection de la
nature ont amplement utilisé la procédure UTN pour
revendiquer la nécessité de se voir systématiquement
consultées pour tout projet.
En ce qui concerne les communes, plusieurs aspects bénéfiques ont
émergé de la loi. L'un d'entre eux concerne l'aspect financier.
Au regard des communes, en effet, les taxes sur les remontées
mécaniques et sur le ski de fond ont été des moyens
supplémentaires pour faire face à des frais inhérents
à la pratique du ski. La possibilité de création de
servitudes de passage pour le tracé des pistes de ski de fond, en outre,
a permis de régler nombre de contentieux avec les agriculteurs ou les
propriétaires fonciers dont les parcelles se voyaient inopinément
traversées. Par ailleurs, les communes ont été
confortées dans leur rôle d'autorités organisatrices, les
conseils municipaux se sentant investis d'une mission définie par la
loi. Je rappelle, à ce sujet, que la commune constitue l'autorité
organisatrice à deux ou trois exceptions près en France, telles
la station de Courchevel, par exemple, dont l'autorité organisatrice
demeure le département (à l'origine de la création de la
station). Enfin, le
lobbying
actif des élus a induit une
augmentation substantielle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des
communes de montagne par la prise en compte doublée de la longueur des
chemins communaux en zone de montagne.
Au regard de ma pratique sur le terrain, tels sont donc les principaux aspects
positifs qui me sont apparus à l'évocation de cette loi. Quant
aux aspects négatifs, ils s'avèrent, malheureusement, bien plus
nombreux.
En ce qui concerne les aspects négatifs, j'aborderai, en premier lieu,
le domaine de l'urbanisme.
En matière d'urbanisme, les procédures que la loi montagne a
induites en rapport à la reconnaissance du caractère
spécifique des zones montagnardes se sont ajoutées au droit
commun. Conséquemment, les démarches visant à
établir des documents d'urbanisme -- édification d'un POS,
délivrance d'un permis de construire... -- se sont sensiblement
complexifiées pour les communes de montagne. A titre d'exemple, la loi
montagne a généré la nécessité de
construction en continuité des hameaux tandis que le droit commun
imposait à toute construction le respect d'une distance minimum par
rapport aux exploitations agricoles existantes (que celles-ci soient
classées ou non) ! Il convient de rappeler que l'urbanisme ne se
décide pas à partir de plans mais sur le terrain, en fonction
d'une lecture paysagère ; or les règles inscrites se
révèlent souvent inadaptées dans la réalité,
comme l'illustre la règle des 300 mètres en bordure des
lacs, qui conduit parfois à une impossibilité pure et simple de
construction nouvelle dans certains villages montagnards.
Parallèlement, la complexité des procédures semble avoir
renforcé le pouvoir des administrations. En effet, les lois de
décentralisation conféraient des pouvoirs réels aux maires
et aux élus locaux. Mais pour des communes peu importantes ne disposant
pas de services techniques en interne, édifier, lire et appliquer un POS
peut s'avérer si complexe qu'il est devenu nécessaire de faire
instruire les dossiers afférents par des services étatiques tels
la direction départementale de l'équipement (DDE). Or la lecture
de la DDE apparaît souvent très restrictive en termes de droits
à construire, ce qui revient à concéder à cet
organisme l'exercice d'un droit réel. La tâche des élus ne
s'en est pas trouvée facilitée.
Par ailleurs, l'empilement des procédures ou outils de protection de la
nature paraît excessif. Les parcs naturels régionaux,
réserves naturelles, sites classés, zones humides, sites
Natura 2000 ou arrêtés de biotope se conjuguent les uns aux
autres -- éventuellement dans une même commune -- pour
finalement brouiller les cartes (au point qu'il devient difficile, parfois, de
savoir où poser des toilettes publiques !). Certes, chaque porteur
de projet se targue de justifier le maintien de ses propres
classifications ; néanmoins, les choses deviennent rapidement
illisibles et insupportables. Sans compter que s'ajoutent à ces
procédures de protection de la nature d'autres procédures,
nées des diverses lois ayant éclos au fur et à mesure que
la société se complexifiait. Je pense, en particulier, à
la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU)
et à son avatar : le schéma de cohérence territoriale
(SCOT). Appliquée dans une zone de montagne à forte population,
la règle des 15 kilomètres peut induire
de facto
le rattachement d'un secteur à un SCOT établi par une commune
obéissant à une toute autre logique économique. Ainsi, les
massifs du Vercors, de la Chartreuse ou de Belledonne apparaissent tous trois
distants de moins de 15 kilomètres d'une ville
de 50 000 habitants et rattachés au SCOT de celle-ci
malgré une falaise de 2 000 mètres de hauteur les
en séparant !
En outre, aucune aide spécifique n'a été consentie pour
pallier les surcoûts architecturaux dérivant de la
nécessité de conservation patrimoniale. Cependant, s'il est des
villages montagnards dignes de conservation, inscrire au POS l'obligation de
reconstruction à l'identique entraîne des surcoûts tels
qu'il en résulte un nivellement architectural par le bas, les
préconisations se voyant appliquées au minimum. D'où un
développement urbain sans caractère ni qualité, qui
constitue un échec patent au regard de la protection de la nature comme
de la valorisation du patrimoine. Ce constat trouve à s'appliquer de
manière générale : si la loi montagne se targuait de
tenir compte de la spécificité de la montagne dans tous les
domaines, aucune aide financière n'est venue soutenir en ce sens les
services publics ou l'aménagement du territoire. En termes de travaux
à caractère de saisonnalité, c'est souvent presque une
année complète qui court, lorsque les normes budgétaires
autorisent ces travaux, entre la mise à disposition de l'avis de
financement et leur démarrage effectif -- en raison des
délais nécessaires à la consultation des entreprises et
à la constitution des équipes...
Pour ce qui concerne le domaine de l'agriculture, il me semble qu'il n'y a pas
réellement eu de politique agricole nouvelle. Il m'apparaît
même que l'instauration des quotas laitiers sur le territoire
français, notamment, a simplement reconduit les pratiques qui avaient
déjà cours ; si ce n'est que leur instauration dans des
zones de montagne n'a pu qu'encourager le développement
d'élevages extensifs contraires à une politique de qualité.
Imposer une production de 350 000 litres en zone de montagne
revient nécessairement à justifier la présence d'une seule
voire de deux exploitations par village, ce qui limite considérablement
les possibilités de mise en oeuvre de structures de transformation. A
l'exception de la région de Beaufort, qui est parvenue à
conserver de petites fermes actives dans la valorisation sur place de certains
produits, la plupart des zones de montagne ont ainsi assisté à la
disparition de leurs petites unités de transformation -- autrefois
appelées coopératives fruitières -- au
bénéfice de grands groupes, indifférents, comme de bien
entendu, aux politiques de valorisation sur place ou d'AOC. Il s'en est
ensuivi, en particulier, des transferts laitiers hors zones de montagne. Sans
doute eût-il été préférable d'encourager
significativement l'organisation de la profession agricole autour de la
qualité et de la valorisation des produits montagnards.
Par ailleurs, certaines normes européennes interdisant l'épandage
des lisiers ou des fumiers à proximité des cours de
rivières, interdisent de fait ce genre de travaux au pied des versants,
ce qui se révèle aller à contre-courant de l'utilisation
des matières premières dans la fertilisation des sols mais
encourage indirectement le recours aux engrais !
En matière d'aménagement du territoire et plus
précisément d'infrastructures, force est de constater les
insuffisances et le peu de vigilance qui ont caractérisé certains
aménagements routiers en montagne. A titre d'exemple, le massif du
Vercors compte deux routes parallèles qui ont été
récemment élargies : les gorges de la Bourne, d'une part
(Isère) ; les Grands-Goulets, d'autre part (Drôme). Les
gorges de la Bourne ont été refaites à l'identique, sans
toucher aux surplombs mais en élargissant la voie par des
encorbellements ou des massifs en pierrements partant du fond du torrent. La
route des Grands-Goulets, suivant les prescriptions de la DDE, a simplement
été décapée en sa partie amont sur une trentaine de
mètres de hauteur, la chaussée supportant les parapets est en
aval, ce qui a induit deux problèmes : premièrement, les
parapets apparaissent architecturalement inadaptés à ce site
classé comme exceptionnel ; deuxièmement, le décapage
est à l'origine de chutes de pierres fréquentes et oblige les
talus à se cicatriser sur des années. Pourtant, l'administration
aurait dû se voir sensibilisée plus finement à la
protection patrimoniale de cette zone de montagne.
Quant aux services publics, la classe montagnarde a été
séduite par la promesse de mesures spécifiques dans tous les
domaines mais peu d'entre elles ont été tenues. Au contraire,
EDF, la DDE, la Poste, l'Office national de la forêt (ONF), l'Education
nationale et le Ministère des Finances -- pour ne citer
qu'eux -- ont supprimé des services publics sans tenir compte des
intentions affichées. En effet, bien que la loi montagne ait
prévu de réunir des commissions départementales de
services publics coprésidées par les préfets et
présidents des conseils généraux, celles-ci se sont
avérées, dans la plupart des cas, des lieux non pas
d'échange mais de consultations de principe, prenant acte des
suppressions de postes sans plus de débat. Or dans le cas de la
gendarmerie, par exemple, le regroupement des appels vers un centre unique
à partir de 18 heures induit des délais d'intervention
extrêmement longs ainsi qu'une dépersonnalisation des services et
un manque d'efficacité conséquent.
Sur cette question des services publics, j'ajouterai qu'un autre point
négatif tient dans le manque d'évolution du statut de la
pluriactivité. J'irai même jusqu'à prétendre qu'il
s'agit d'une régression, compte tenu des difficultés
administratives que rencontre actuellement une personne qui voudrait
reconstituer sa retraite ou sa couverture sociale en continuité d'un
emploi précédent autre. L'on peut même parler de parcours
du combattant ! Nous savons tous par quoi cette question
pêche : le manque d'entente entre les diverses caisses sociales et
leur mauvaise volonté à faire quelque effort que ce soit en vue
d'une prise en charge unique des salariés, quitte à s'organiser
entre elles pour d'éventuels remboursements ultérieurs. Je
n'insiste pas, sachant que vous avez évoqué ces problèmes
par ailleurs.
J'en viens à la seconde question que vous m'avez adressée,
afférente aux frais de secours en montagne.
Nous avons longtemps peiné sur un article de la loi montagne
prévoyant qu'à partir de la publication de la loi, les communes
pourraient se faire rembourser les frais qu'elles engageraient dans le secours
de personnes en difficulté. Il a fallu attendre quatre années, en
effet, pour obtenir une application claire de cette loi puisque les
dernières circulaires ne sont parues qu'en 1988 ou 1989. Outre
ce délai important, le problème tient dans ce que seuls deux
problèmes se sont vus réglés : ceux du ski de piste
et du ski de fond.
Le résultat paraît pour le moins incroyable. En effet, le
système résultant montre le paradoxe suivant : sur un
versant damé et entretenu offrant des pistes à la pratique de
skieurs possesseurs de forfaits, tout frais d'évacuation
consécutif à un accident éventuel demeure
légalement à la charge de l'accidenté ; en revanche,
sur un versant non balisé et non entretenu, tout frais de secours
occasionné par un skieur hors piste se voit pris en charge au niveau
collectif ! Nous avons fait entendre notre voix à plusieurs
reprises pour dénoncer ces lacunes. En 1999, une proposition de loi
déposée par mes soins et présentée par Jean-Paul
Amoudry a été votée au Sénat à
l'unanimité mais ne s'est pas trouvée reprise par le
gouvernement. Je l'ai donc introduite sous forme d'amendement dans le cadre de
la loi sur la démocratie de proximité, dont elle constitue
dorénavant l'article 54.
Il en résulte qu'à mes yeux, aujourd'hui, les frais de secours
sont un problème réglé. En effet, toute commune peut
préalablement définir les conditions de participation d'un
accidenté aux frais de secours qu'il entraînerait -- par son
imprudence ou non -- sur la part résiduelle restant à la
charge de la commune sans qu'il soit besoin d'un décret d'application
à cette fin.
Quant à la troisième question que vous m'avez adressée,
elle m'invite à considérer plus spécifiquement les
problèmes que rencontrent les stations de haute et moyenne montagne.
Tout d'abord, je dirai que pour une grande partie de la montagne
française, les stations de ski représentent de véritables
poumons économiques, qu'il convient de considérer comme tels par
leurs retombées en termes de création d'emplois, de
développement économique et de maintien des populations sur
place. Malheureusement, la France n'a jamais reconnu le caractère
prioritaire du tourisme ni des industries premières, sources
d'équilibre des devises. Les stations de montagne n'ont pas
été mieux considérées.
Le parc d'hébergement des stations montagnardes a beau impressionner par
sa taille, il n'en souffre pas moins de vétusté et d'inadaptation
à la demande de la clientèle. La disposition opération de
réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL) inscrite dans la
loi SRU a pâti d'un manque de moyens pour atteindre son objectif de
participation à la réhabilitation du parc immobilier : les
aides dégagées par l'Etat dans ce cadre n'apparaissent pas
suffisamment encourageantes, à moins que les régions, les
départements ou les communes ne s'y associent sensiblement.
Parallèlement et comme partout en France, l'hôtellerie familiale
disparaît progressivement au profit de la résidence
hôtelière, laquelle ne profite pas d'une image conviviale (en
dépit de la relève qu'elle assure en termes de capacités
d'accueil). Pourtant, l'exemple de l'Autriche, de la Suisse ou de la
Haute-Savoie montre qu'il doit être possible de concilier les deux
aspects -- quantitatif et qualitatif -- du problème. En
revanche, la dépersonnalisation de l'accueil montagnard ne touche pas
les gîtes ruraux, qui affirment leur développement en moyenne
montagne, notamment, grâce à une offre reconnue de bonne
qualité et identifiable.
En ce qui concerne la fréquentation, nous ne disposons pas de
lisibilité quant à l'image estivale de la montagne.
Néanmoins, force est de constater que nous avons progressivement
déchu en quatrième position des destinations favorites des
Français en termes de fréquentation -- après la mer,
la campagne et la ville. Sur le terrain, nous observons que hormis quelques
rares sites particuliers, la fréquentation estivale des zones de
montagne se concentre sur cinq voire six semaines uniquement. Par
conséquent, il convient de conduire une politique de promotion de
l'image de la montagne d'été, de concert avec les professionnels
concernés et l'Etat. Préserver les activités estivales
paraît parfois nécessaire à la rentabilisation des
activités hivernales, en particulier dans les zones de moyenne montagne,
qui ne connaissent jamais de pics de fréquentation.
Pour ce qui est d'une politique nouvelle dans ce domaine, je plaiderai
franchement pour une politique canon-neige systématique partout
où la technique l'autorise -- à l'image de ce qui se fait en
Autriche et en Suisse. Opposer le réchauffement planétaire
à cette position ne me paraît pas pertinent, compte tenu de la
lenteur de l'évolution -- qui n'en demeure pas moins
préoccupante -- : une augmentation d'un demi-degré par
siècle nous permettra largement d'amortir les investissements consentis
en matériel ! Il en va du maintien d'une activité de la
moyenne montagne. Des efforts nombreux ont été portés sur
le terrain pour modifier les profils de piste et les engazonner ; les
températures s'avérant suffisamment basses, encore faut-il que
les précipitations soient suffisantes ! Le canon-neige me
paraît donc une réponse nécessaire à la
rentabilité des stations moyennes. Je rappelle, à ce sujet, que
nombre de stations d'altitude -- Flaine, les Deux-Alpes, Les
Menuires... -- adoptent cette pratique
jusque 2 600 mètres d'altitude, de façon à
assurer leur début de saison dès Noël.
Bien entendu, cette question de la fréquentation touche directement le
problème de la rentabilité des stations. A ce sujet, les chiffres
montrent que si les grandes stations continuent de pouvoir assurer la
rentabilité de leurs investissements, elles le doivent essentiellement
à l'apport des clientèles étrangères
-- certaines d'entre elles s'en montrant dépendantes
à 80-90 % ! Il en va de même pour une grande partie
des stations moyennes. La clientèle française, bien
répartie sur l'ensemble des sites, s'oriente prioritairement vers les
grandes stations en cas de mauvais enneigement de la moyenne montagne. En
définitive, il paraît primordial de conserver si ce n'est de
développer la clientèle française et
étrangère proche -- belge, anglaise, hollandaise,
etc. -- pour faire vivre nos stations moyennes.
J'en terminerai par un point concernant les remontées mécaniques.
Comme vous le savez, la loi montagne, par la définition du statut
d'autorité organisatrice, a conféré aux communes la
possibilité de récupérer les biens d'équipement en
fin de convention ou de concession, sans pour autant clairement
déterminer les conditions de l'éviction des gestionnaires. Il
convient de clarifier cette situation. En effet, nous connaissons quelques cas
inextricables, dans lesquels la commune, ne souhaitant pas renouveler la
concession à l'issue de la convention, n'est pas parvenue à
trouver un accord avec le propriétaire exploitant. Il s'ensuit un cycle
de procès qui laisse présager l'obligation, pour la commune, de
payer un montant d'indemnités considérable. En effet, si la
concession n'a jamais été identifiée à un fonds de
commerce ordinaire, les tribunaux n'omettent pas, toutefois, de prendre en
compte sa longévité, les efforts consentis par son exploitant et
le chiffre d'affaires pour déterminer le montant des indemnités.
Il en résulte que celles-ci ne se calculent pas uniquement sur la valeur
résiduelle comptable des investissements. Il paraît donc important
de clarifier la position que le législateur a voulu prendre dans ce
domaine à l'occasion de la loi montagne.
Enfin, il convient également de préciser le domaine
réglementaire des servitudes pour ce qui concerne les installations de
canons-neige ainsi que l'assiette de la taxe des remontées
mécaniques, qui pose problème, dans le calcul de la taxe
professionnelle, en lien à l'écrêtement.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci infiniment. Nous avons eu là un
exposé à la fois complet, clair et objectif des points positifs
et négatifs du bilan. Je dirai même que c'est probablement la
première fois que nous en obtenons une vision aussi vaste et
précise. J'ai quelques questions à vous poser mais
peut-être Pierre Hérisson, Auguste Cazalet et
François Fortassin souhaitent-ils intervenir...
M. Pierre Hérisson -
A la suite de cet explosé très
complet, j'aurais souhaité recueillir l'avis de Jean Faure sur les
questions des nouvelles technologies et de la couverture du
téléphone mobile. Peut-être est-il nécessaire,
aujourd'hui, de raccorder l'ensemble des stations estivales et hivernales
-- quelle que soit leur population -- au système de
haut-débit par téléphonie fixe ou tout au moins aux
réseaux de téléphonie fixe existants.
M. Jean Faure -
Les nouvelles technologies sont un sujet qui
préoccupe beaucoup les zones de montagne.
En ce qui concerne les réseaux de téléphonie mobile, j'ai
eu les pires difficultés à en faire équiper certains
secteurs montagnards -- ayant même dû recourir, à
l'époque, à l'aval direct du président de
France Telecom à cet effet. Par la suite, l'ouverture
concurrentielle a permis de faire jouer les opérateurs les uns contre
les autres et les trois entreprises en question -- SFR, Orange et
Bouygues -- ont peu à peu complété
l'équipement. Il n'en demeure pas moins qu'en dépit des
préconisations de la loi montagne, un service public aux mains d'un
opérateur lui-même public se refusait de desservir certaines zones
rurales de montagne !
Il en va de même de la télévision dans la mesure où
certains relais de montagne ne reçoivent que trois chaînes
nationales. Elargir l'offre nécessite des équipements d'un
coût tel qu'il demeure impossible, pour les petites communes, de les
financer. Cette injustice face au service public n'est pas acceptable.
Le problème me paraît encore aggravé pour ce qui est des
nouvelles technologies. En effet, celles-ci apportent théoriquement aux
zones montagnardes des chances de développement jusqu'alors inconnues.
Le télétravail, en particulier, ne s'entend pas uniquement au
sens d'emplois de sous-traitance (fiches de paye, comptabilité...) mais
aussi au sens d'emplois de service créés par de petites
entreprises s'installant en montagne. A titre d'exemple, j'ai
créé, dans le Vercors, une unité de quarante emplois dans
un bâtiment dit « intelligent », qui regroupait des
travailleurs individuels désireux de structurer leur activité
hors de leur cadre domestique autour de services partagés
-- accueil, secrétariat, permanence téléphonique,
etc. Au terme de trois années, une centaine d'emplois a
été créée, dans mon canton, à partir de
cette initiative. Aujourd'hui, cependant, nous nous heurtons au coût
exorbitant de l'équipement haut-débit (c'est-à-dire du
branchement DSL) pour ce bâtiment. Peut-être le nouveau
système hertzien règlera-t-il ce problème mais les choses
ne sont pas sûres...
Les nouvelles technologies constituent une opportunité fantastique pour
les zones de montagne. Grâce à elles, ceux qui désirent
vivre dans de petits villages isolés plutôt qu'en centres urbains
ne se voient pas nécessairement exclus des réseaux d'information
et trouvent donc à s'intégrer socialement au monde actif. En
cela, elles méritent toute notre attention.
M. Auguste Cazalet -
Quant à moi, votre exposé m'a
rafraîchi la mémoire. N'étant plus maire depuis deux
années (par ma volonté), j'avais oublié certaines
expériences et tu quelques observations. Ainsi, il est vrai qu'en termes
d'urbanisme, les interventions actuelles s'avèrent désastreuses
faute de ligne directrice. Pourtant, nous étions parvenus, auparavant,
à faire appliquer la loi pour assurer la beauté, la
spécificité et le cachet des régions de montagne. Quant
aux services publics, il est vrai que les coûts induits sont
élevés mais il s'agit de savoir ce que l'on veut : sans eux,
les villages courent à leur abandon !
Si vous le permettez, je relaterai rapidement un fait qui m'a fait bondir. A
l'occasion de l'ouverture prochaine du tunnel du Somport, la commune toute
proche d'Urdos, anciennement poste frontière de la vallée d'Aspe
et actuellement en crise du fait de l'ouverture des frontières, a
souhaité voir implanter dans des bâtiments neufs dont elle
disposait le peloton de gendarmerie. Cela n'a pas pu avoir lieu en raison du
refus catégorique des épouses des gendarmes de s'installer dans
cette commune. L'ensemble des effectifs a préférentiellement
choisi d'investir la ville d'Oloron-Sainte-Marie, quitte à devoir
effectuer quotidiennement plusieurs rotations en car sur des routes de montagne
pour rejoindre le tunnel, distant de cinquante kilomètres ! Par
moments, je ne comprends plus les choses...
M. François Fortassin -
J'ai moi aussi écouté avec
beaucoup d'attention votre exposé. A propos des quotas laitiers, je
voudrais simplement observer que les élus pêchent parfois par
défaut d'action. En effet, si l'Etat intervient pour des cessations
d'activité laitière dans tous les départements, il fait
appel, notamment, aux conseils généraux. Or dans mon
département, j'ai fait en sorte que les sommes dévolues par le
Conseil Général ne participent à l'augmentation des quotas
laitiers qu'à la condition que des activités de transformation
soient liées. Cela est donc possible. Bien entendu, l'ensemble de
l'industrie laitière et les grands exploitants n'approuvent pas cette
démarche. Pourtant, une augmentation de 50 000 litres du
quota d'un grand exploitant n'améliore en rien sa gestion alors que
cette même augmentation accordée à un petit agriculteur
pratiquant des activités de transformation peut faire toute la
différence et lui permettre de vivre sensiblement mieux..
Par ailleurs, l'intervention d'Auguste Cazalet m'amène à dire que
je trouve moi aussi que nos élus ont trop bon caractère !
Que signifie le fait de laisser les épouses des gendarmes décider
de nos actes ? Il ne s'agit pas de se laisser endormir par les discours
des énarques ou des polytechniciens. Je me souviens d'avoir vu, en
séance de conseil général, un élu se coucher sur
son manteau posé à terre et entamer une sieste dans l'attente que
le préfet se décide à abandonner le langage trouble qu'il
tenait ; le comportement du préfet s'en est trouvé
affecté dans le bon sens. Nous nous étonnons que personne ne
parvienne à appliquer les lois sur le terrain, compte tenu de
l'incompréhensibilité de leur langage procédurier ;
à nous de lutter collectivement contre ce fait.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci à tous. Nous nous attacherons, dans
notre rapport, à intégrer cet excellent témoignage.
20. Audition de M. Jean-Charles Faraudo, président du syndicat national des téléphériques de France (SNTF) accompagné de M. Jean-Charles Simiand, délégué général (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Monsieur le Président, Monsieur le
Délégué général, je vous souhaite la
bienvenue au Sénat et vous remercie d'avoir fait le trajet
jusqu'à nous pour nous éclairer de votre vision des
problèmes de la montagne dans la spécialité qui est la
vôtre.
Vous venez de nous remettre un dossier très précis, qui
répond sans doute très clairement aux quatre questions que nous
nous sommes permis de vous adresser par écrit sur les points
suivants : l'état actuel et l'évolution prévisible du
parc français de remontées mécaniques ; le bilan que
vous faites de l'application de la loi montagne ; les problèmes
institutionnels et juridiques que vous rencontrez ; l'avenir des petites
stations en rapport aux questions d'aléas d'enneigement et de caprices
de fréquentation. Vous avez la parole pour un exposé liminaire,
qui doit autoriser, par la suite, quelques échanges.
M. Jean-Charles Faraudo -
Je vous remercie.
Qui sommes-nous ? Nous représentons le Syndicat national des
téléphériques de France (SNTF), c'est-à-dire la
Chambre syndicale patronale des exploitants de remontées
mécaniques et de domaines skiables. Affiliés au MEDEF, nous
sommes quelques 250 exploitants environ de remontées
mécaniques, répartis dans l'ensemble des stations de sports
d'hiver et d'été des massifs français. J'en suis le
président élu ainsi que celui du Directoire de la SATA,
société d'aménagement de l'Alpe d'Huez, M.
Jean-Charles Simiand, est le Délégué
général du SNTF.
J'en viens, à présent, à votre première question.
Le parc français de remontées mécaniques est le premier
parc mondial. Ceci signifie, de toute évidence, que nos massifs comptent
une multitude de remontées mécaniques. Plus
précisément, le détail est le suivant : environ
3 000 téléskis ;
850 télésièges -- qu'ils soient à pince
fixe (pince soudée au câble) ou débrayable (pince se
désolidarisant du câble à l'entrée en gare) ;
140 télécabines ;
60 téléphériques ; 19 funiculaires ;
4 crémaillères ; enfin, 10 ascenseurs.
Conséquemment, la particularité de ce parc extrêmement
vaste tient dans son caractère vieillissant : nombreuses sont les
remontées mécaniques de plus de vingt, voire trente ans
d'âge. Ceci n'est pas nécessairement grave, dans la mesure
où la vétusté réelle, dans ce domaine (de
même qu'en aéronautique), ne dépend directement que du
nombre d'heures de fonctionnement et de l'utilisation qui en est faite. C'est
pourquoi les matériels subissent un certain nombre de
vérifications régulières. Toutefois, les choses
s'aggravent lorsque les exploitants publics ou privés qui composent
notre chambre patronale ne disposent pas des moyens d'assurer la maintenance de
ces installations, ce qui arrive parfois.
La Direction des transports terrestres -- service de l'Etat ayant en
charge le contrôle des remontées mécaniques et
dépendant du ministère des transports -- comme
nous-mêmes nous préoccupons beaucoup du vieillissement de ce parc
de remontées mécaniques et des difficultés que rencontrent
un certain nombre d'exploitants à renouveler ces installations. Pourquoi
de telles difficultés surviennent-elles ? Tout simplement parce
qu'au fil des années, toutes les aides instaurées au profit de la
construction et du renouvellement de ces remontées mécaniques ont
disparu. Au final, cette responsabilité, aujourd'hui, relève de
la seule compétence des exploitants, que ceux-ci soient privés ou
publics (voire les collectivités territoriales elles-mêmes).
Nous avons bien tenté, à travers les contrats de plan
Etat-région, de faire prendre en compte ce vieillissement des
remontées mécaniques par d'autres organismes mais cela n'a pas
été possible. A ce sujet et bien que je sois porté
à revenir sur ce point tout à l'heure, je précise
dès à présent que nous ne sommes pas parvenus non plus
à intégrer à ces contrats de plan le financement de la
neige de culture et des « enneigeurs » -- terme que je
préfère à celui de canon-neige. Quoi qu'il en soit, les
difficultés financières liées à l'entretien du parc
de remontées mécaniques dérivent de l'importance des
coûts induits. Pour que vous en soyez convaincus, je me permets de vous
en donner quelques références : un téléski
moyen coûte entre 305.000 et 460.000 euros ; un
télésiège à pince fixe entre 2,3 et 3,05 millions
d'euros ; un télésiège à pince
débrayable entre 3,05 et 4,6 millions d'euros ; une
télécabine ordinaire entre 4,6 et 6,1 millions d'euros... Vous
voyez donc que les chiffres sont loin d'être négligeables et qu'il
est compréhensible qu'une petite régie communale du fin fond de
l'Ariège, par exemple, peine à trouver les moyens
nécessaires au renouvellement de son propre parc de remontées
mécaniques.
Le deuxième axe de réponse à votre première
question dérive d'une question nécessaire à poser :
que veulent véritablement les skieurs ? Pendant de très
nombreuses années, les exploitants de remontées mécaniques
et les collectivités associées ont cru que les usagers voulaient
simplement monter ; aujourd'hui, nous nous sommes aperçus qu'ils
venaient davantage pour descendre ! La nuance est importante et nous avons
mis longtemps à la circonscrire mais elle constitue une grande
révolution intellectuelle dans le milieu de la montagne. En effet, si
les remontées mécaniques sont importantes, ce qui prime tient
dans l'adéquation entre le nombre de personnes à transporter et
la capacité des appareils. Ce n'est donc plus tant le type d'appareil
qui retient l'attention ; la course à la taille entre grandes
stations semble révolue. Les skieurs veulent monter rapidement au point
d'où entreprendre leur descente.
A mon avis -- je croise ici le propos de Jean Faure --, l'Etat a
laissé passer sa chance, dans la mesure où il ne s'est pas
suffisamment intéressé aux aléas de l'enneigement et a
manqué à financer la neige de culture quel que soit le type de
station. Il convient de comprendre, effectivement, que la neige de culture est
un élément vital pour l'ensemble des activités
économiques et de la fréquentation des stations
-- hôtels, restaurants, etc. -- et non uniquement pour les
exploitants de domaines skiables. L'erreur a donc été de ne pas
mettre en place rapidement une aide au développement de la neige de
culture dans les stations et ce quel que soit leur type. Sur le marché
international du ski, seules peuvent se développer, aujourd'hui, les
stations qui s'avèrent capables d'assurer une sécurité
d'enneigement.
Je voudrais maintenant tenter de répondre à votre seconde
question, qui concerne le bilan que nous tirons de l'application de la loi
montagne.
Quels sont, selon nous, les problèmes que pose l'application de la loi
en son état ? Suivant notre vision nécessairement patronale,
la délégation de service public doit servir d'instrument de base
aux collectivités territoriales dans la gestion de leur domaine skiable.
La gestion directe par les collectivités locales, en revanche, doit
rester une exception, à n'envisager que lorsque l'initiative
privée ou semi-privée ne parvient pas à se substituer
à la gestion publique. En d'autres termes, nous ne soutenons pas le
développement des régies, dont la présence nous
paraît fausser la concurrence puisque les exploitants en régie
directe bénéficient d'un certain nombre de dispositions fiscales
voire d'aides spécifiques.
Le principal problème tient dans ce que les règles
définissant la délégation de service public dans la
loi Sapin nous paraissent devoir être révisées pour
tenir compte de la spécificité des investissements en zones de
montagne. Aujourd'hui, effectivement, un grand nombre d'exploitants de
remontées mécaniques arrivent au terme de leur durée de
concession et rencontrent des difficultés avec l'administration
départementale de l'Etat, notamment, pour définir un juste
compromis entre les prorogations qui leur sont nécessaires pour
renouveler leur parc et l'interprétation extrêmement limitative
que fait l'Etat de la loi Sapin. A titre d'illustration, un exploitant de
remontées mécaniques à qui il resterait cinq années
de durée de vie dans une station et qui s'engagerait dans un important
programme de développement ou de renouvellement de son parc se verrait
obligatoirement mis en concurrence par l'application de la loi Sapin. Ne
sachant pas s'ils pourront étaler et donc amortir leurs investissements
éventuels sur une durée suffisamment longue -- entre
15 et 30 années --, de nombreux exploitants
concessionnaires se dispensent donc simplement de tout investissement sur leur
réseau de remontées mécaniques. Aussi avons-nous
demandé à la Direction des transports terrestres d'interroger le
Conseil d'Etat sur ce point. Néanmoins, il faudra peut-être
réviser la loi Sapin, afin que ces interprétations
très restrictives des services de l'Etat autorisent les prorogations.
Comme je vous l'ai dit, notre chambre patronale est constituée
d'entreprises publiques ou privées ; mais elle comprend
également des entreprises à la fois publiques et privées,
c'est-à-dire des sociétés d'économie mixte (SEM).
La SEM semble un outil intéressant pour concilier
délégation de service public et gestion à caractère
industriel et commercial. En revanche, la participation majoritaire des
collectivités locales constitue, à notre avis, un frein au
financement des investissements. Les SEM doivent pouvoir s'alimenter en fonds
propres sans imposer aux collectivités territoriales actionnaires
majoritaires de financer leurs investissements par des augmentations de
capital. En d'autres termes, il nous semble que la loi sur les SEM
récemment révisée, qui a maintenu cette disposition en
faisant en sorte que les collectivités soient nécessairement
majoritaires, constitue un frein au financement des investissements.
Voilà ce que je souhaitais dire sur l'application de la loi montagne. A
notre sens, les incitations voire les aides de l'Etat au renouvellement du parc
des remontées mécaniques et au financement de la neige de culture
nous paraissent des éléments déterminants quant à
la politique d'investissement des exploitants de remontées
mécaniques et de domaines skiables.
J'en viens, à présent, à votre troisième
question :
les freins institutionnels ou juridiques, au
fonctionnement de la loi montagne. J'en évoquerai quelques-uns, qui
seront l'occasion de revenir sur un point d'intervention de Jean Faure.
Il est, tout d'abord, des difficultés fiscales et une injustice patente.
Comme vous le savez, la loi de 1985 a créé deux taxes sur
les recettes de remontées mécaniques : l'une communale
(3 %) ; l'autre départementale (2 %). Or avec le temps,
nous constatons que le produit de ces taxes s'est transmué en recette
ordinaire pour les collectivités et que l'utilisation qui en est faite
s'avère souvent sans rapport avec les affectations prévues dans
l'article 89 de la loi montagne. Peut-être n'avez-vous pas
conscience du fait que ces taxes représentent tout de même
37 millions d'euros par an ! Nous exigeons donc que les
collectivités retournent à l'affectation d'origine de ces taxes.
Cette remarque vaut d'autant plus que l'administration fiscale n'a pas
cessé, depuis leur création, de tenter de grever nos ressources.
Pour expliquer ce qu'il en est, je reviendrai quelque peu sur un propos de
Jean Faure.
Depuis la création de ces taxes en 1985, la nomenclature des
impôts n'a pas été modifiée pour préciser
qu'il s'agit de taxes assises sur le chiffre d'affaires. Il s'ensuit que par
une note interne de la Direction générale des impôts,
l'administration fiscale a récemment considéré qu'il
fallait la sortir de l'assiette d'écrêtement sur la taxe
professionnelle. Il en résulte que les entreprises soumises à
l'écrêtement se trouvent, aujourd'hui, redressées de la
part de cette taxe. Logiquement, les actions intentées devant les
tribunaux administratifs pour contrer ce fait tournent à notre
désavantage, dans la mesure où ces deux taxes de la loi montagne
ne se trouvent mentionnées, effectivement, ni dans le Code
général des impôts, ni dans la nomenclature des taxes sur
le chiffre d'affaires.
Jean-Charles Simiand vous parlera, dans un instant, de Nivalliance.
Toutefois, je souhaite également vous en dire un mot puisque je traite
ici du volet fiscal. Au moment ou nous avons mis en place cette assurance
mutualisée au sein de notre branche professionnelle (pour remplacer le
fonds neige), nous nous sommes aperçus que nous allions être
soumis à une taxe sur les assurances de 9 % au profit de
l'Etat. Or cela nous est apparu illogique, dans la mesure où nous
prenions précisément l'initiative d'organiser, dans notre
profession, la mutualisation du risque de manque de neige, réalisant
ainsi quelque chose que l'Etat n'avait jamais pu résoudre. Si les
agriculteurs se voient exonérés du paiement de cette taxe sur les
assurances au titre des calamités agricoles, il n'est pas de raison
qu'il n'en soit pas de même pour nous puisque nous réagissions par
rapport à une calamité.
Enfin, je voudrais tout de même insister sur un point. Mieux que les
assurances ou que toute autre chose, les entreprises ont l'habitude de faire
des provisions contre les risques. Vous m'opposerez que nous pouvons toujours
réaliser des provisions contre le manque de neige. Le problème
est que l'intérêt réside dans le caractère
défiscalisé de ces provisions. Depuis de nombreuses
années, nous tentons de convaincre le ministère de
l'économie et des finances de nous laisser faire des provisions
défiscalisées pour le manque de neige. Cela permettrait sans
doute d'éviter bien des désagréments et nous disposerions,
alors, de deux armes face à la difficulté d'enneigement :
l'assurance mutualisée, d'une part ; les provisions
défiscalisées, d'autre part. Nous n'y sommes pourtant jamais
parvenus, même si notre discours a été relativement bien
reçu. En effet, Bercy semble craindre par-là de créer un
précédent qui pourrait être utilisé dans d'autres
professions -- c'est la réponse qui m'est
régulièrement faite.
Bien que vous ne m'ayez pas posé la question, je ne peux pas ne pas
évoquer le pan social puisque notre branche professionnelle
représente à peu près 19 000 emplois
-- même si une grande part d'entre eux est saisonnière, notre
activité l'étant aussi.
A ce sujet, les lois Aubry sur la réduction du temps de travail ont
constitué, dans notre branche professionnelle, un véritable
casse-tête chinois. Vous comprenez bien que les personnes venant
travailler à rythme saisonnier en montagne espèrent
réaliser un maximum d'heures en une période réduite ;
c'est pourquoi ils n'ont pas accepté de ne pas pouvoir le faire !
Ceci explique que la mise en place de cette réduction du temps de
travail dans le domaine des remontées mécaniques a
été extrêmement complexe -- d'autant que les
entreprises que nous représentons s'avèrent diverses, depuis la
régie dénombrant trois salariés jusqu'à la
société cotée en Bourse. Il nous semble que la
libération du contingent des heures supplémentaires serait la
moindre des mesures envisageables.
Je ne reviendrai pas sur le problème du logement, si ce n'est pour
confirmer qu'en tant qu'employeurs, nous avons d'énormes
difficultés à loger nos personnels saisonniers mais aussi
permanents. Les différents textes parus sur les collecteurs
de 1 % s'avèrent pour nous catastrophiques puisque les sommes
que nous versons au titre du 1 % logement vont aujourd'hui vers
les banlieues des grandes villes. Nous ne parvenons pas, actuellement, à
récupérer l'argent investi au niveau de la branche pour
créer des logements sociaux dans les stations, en liaison avec les
collectivités.
Du point de vue institutionnel, toujours, nous rencontrons certains soucis
à propos des unités touristiques nouvelles (UTN). Certes, c'est
avec satisfaction que nous avons constaté qu'à la suite du
Conseil national de la montagne tenu à Clermont-Ferrand, l'Etat a
modifié les seuils de déclenchement des UTN. Néanmoins,
quelle n'a pas été notre surprise, lors de la parution du texte
le 2 mai, de voir que le montant de 4 millions d'euros
s'entendait TTC ! C'est bien la première fois qu'un secteur
économique se voit imposer un seuil TTC. En effet, la TVA est par
définition quelque chose de neutre et qui, surtout, peut fluctuer. A mon
sens, il y a là une erreur manifeste, qu'il faudrait corriger rapidement.
Je voudrais également signaler que nous avons appelé l'attention
des parlementaires, à plusieurs reprises, sur l'aspect d'urgence de la
loi montagne concernant la construction des remontées mécaniques.
Il nous semble qu'une remontée mécanique subissant une avarie
pendant l'hiver ne peut pas se permettre d'attendre plus de six mois
d'instruction avant de passer devant une UTN pour réaliser les travaux
nécessaires. C'est en ce sens qu'il faudrait revoir la procédure
d'urgence.
Enfin, je voudrais vous dire que nous partageons totalement le point de vue de
Jean-Paul Amoudry concernant les servitudes pour travaux
nécessaires à l'aménagement des pistes de skis. Je vous ai
dit, tout à l'heure, que réaliser des installations de neige de
culture me semblait déterminant pour les stations ; encore
faudrait-il pouvoir réaliser des travaux dans de bonnes
conditions ! Lorsque la loi montagne a été
créée, il était peu question de neige de culture et les
servitudes inscrites n'y ont donc pas fait référence. Pourtant,
autant il peut paraître relativement aisé de créer une
piste ou de construire une remontée mécanique, autant faire
passer des tuyaux dans un terrain privé en vue d'une installation de
neige de culture paraît mission impossible.
J'en ai fini de mon propos. A présent, Jean-Charles Simiand va
répondre à la dernière de vos questions, qui concerne
Nivalliance. Au préalable, je rappellerai simplement que Nivalliance est
une réponse au risque conjoncturel mais non structurel.
M. Jean-Charles Simiand -
Merci Monsieur le Président. Avant
toute chose, je préciserai que les cinq volets évoqués par
le Président Faraudo -- volets économique, touristique,
fiscal, social et développement -- se trouvent intégralement
déclinés dans les cinq notes que nous avons
rédigées par écrit et incluses au dossier que nous vous
avons remis. En outre, ce dernier comprend une note concise de
présentation du SNTF ainsi qu'un développement des données
principales, un bilan des investissements 2001 et une présentation
complète de Nivalliance, que je vais vous résumer sans tarder.
L'ANEM, l'Etat et le SNTF ont longtemps discuté pour essayer de mettre
collectivement sur pied un fonds neige. Face au non-aboutissement de cette
démarche, la profession a lancé une étude de
faisabilité sur une assurance mutualisée n'existant nulle part au
monde, laquelle s'est révélée, après deux
années d'étude, positive. Nous avons donc pris notre bâton
de pèlerin pour convaincre les grandes exploitations d'y participer et
c'est ainsi qu'en dépit d'un contexte extrêmement
défavorable -- suite aux catastrophes de New York et de
Toulouse --, nous avons voté à l'unanimité de notre
profession, en novembre 2001, une assurance mutualisée des
aléas d'exploitation. Cette assurance mutualisée est
entrée en application
au 1
er
décembre 2001 et sa première
saison échoit ces jours-ci puisqu'elle porte sur les recettes
d'exploitation du 1
er
décembre au 31 mai. Bien
que cette assurance soit volontaire, 196 exploitants de notre profession y ont
d'emblée adhéré, parmi lesquels les 21 plus grandes
entreprises. Les quelques retardataires, eux, nous rejoindront sans doute l'an
prochain.
Si les assureurs avaient concédé à nous couvrir et si
cette assurance mutualisée ne s'était adressée qu'à
des entreprises petites à fort risque individuel, il y a fort à
parier que la prime d'assurance aurait avoisiné un taux de 7 %
à 10 % du chiffre d'affaires. Dans le cas présent,
la prime ou cotisation -- qui s'opère par tranches -- atteint
un ordre de grandeur courant de 0,35 %
à 0,75 % du chiffre d'affaires. En d'autres termes, un
petit exploitant à fort risque individuel ne cotise que
0,75 % de son chiffre d'affaires ! Si ce pourcentage est faible,
c'est que c'est la masse de la profession qui fait bloc vis-à-vis des
assureurs et que les 21 grands exploitants d'altitude que
j'évoquais à l'instant, dont le risque s'avère très
faible, représentent à eux seuls plus de la moitié de
l'apport de prime à l'assureur.
D'une manière générale, l'assurance couvre les
aléas d'exploitation externes. Au premier rang de ceux-ci figurent le
manque de neige, bien entendu, mais aussi son excès, qui induit des
routes coupées suite à des avalanches ou à des chutes de
pierres, par exemple. L'assurance couvre également les grèves
externes (camionneurs bloquant l'accès aux vallées et aux
stations en période de pointe, grèves de la SNCF...) et les
fermetures administratives d'appareils lourds desservant l'ensemble d'un
domaine pour des raisons externes à l'exploitant (c'est-à-dire
liées à un défaut d'origine et non d'entretien). Enfin,
diverses autres choses se trouvent couvertes, telles une éventuelle
modification du calendrier des vacances scolaires, dont les conséquences
en termes de fréquentation seraient importantes pour les stations.
Sur ce dernier point et comme vous le verrez dans le volet économique,
l'harmonisation des zones de vacances scolaires françaises entre elles
et avec les pays européens voisins est capitale, en ce que les petites
stations réalisent plus de 50 % de leur chiffre
d'affaires sur le seul mois de février. Cette harmonisation participe
donc d'une fréquentation optimisée et de résultats
satisfaisants pour l'ensemble des stations. A titre d'exemple du risque
encouru, je rappellerai simplement qu'il y a peu, la modification des vacances
d'hiver induisant un début de période en milieu de semaine a
induit un repli considérable du chiffre d'affaires dans certaines
stations (de 20 % à 25 %).
Pour ce qui est du déclenchement de l'assurance, nous avons
déterminé comme chiffre d'affaires de référence
celui des cinq saisons précédentes, déduction faite de la
plus mauvaise comme de la meilleure. Nous éliminons ainsi les
extrêmes pour ne prendre en compte que les trois saisons moyennes parmi
les cinq dernières. Dès lors, l'assurance se charge d'indemniser
les cotisants dont la baisse du chiffre d'affaires par rapport au chiffre
d'affaires de référence tel qu'explicité ci-avant atteint
au moins 20 %. Ceci s'est produit, à la fin de la
saison 2001-2002, dans certaines zones des Alpes du sud, du sud du Massif
central et de la bordure des Alpes du nord.
Ainsi, une perte de chiffre d'affaires correspondant à un taux
inférieur à 20 % constitue une franchise, en quelque
sorte, qui correspond à une exploitation normale. A partir de 20 %
de perte, en revanche, nous considérons qu'il y a sinistre et en prenons
60 % en compte -- sous plafond (sans quoi nous n'aurions pas
disposé de taux accessibles). Ceci fait qu'un exploitant subissant cette
année une perte de 40 %, par exemple, sera indemnisé
à hauteur de 12 % de son chiffre d'affaires de
référence. Cette somme non négligeable ne règlera
pas tous ses problèmes mais lui permettra, notamment dans ses
discussions avec les banquiers, d'apporter sa part d'effort personnelle.
A titre d'illustration, je peux vous dire que les primes, cette année,
ont représenté 3,350 millions d'euros, dont près
de 2,135 millions d'euros en provenance des 21 grands exploitants
d'altitude évoqués. J'insiste sur le point fort de ce
système, qui tient dans ce que ces exploitants d'altitude participent
pleinement du système alors que leur risque s'avère infime. Cette
mutualisation fait toute la force de cette initiative, qui représente,
je le répète, une première au niveau mondial -- que
nos collègues étrangers sont en train de considérer avec
intérêt.
J'en ai fini et vous aurez peut-être quelques questions à nous
poser. Je rappellerai simplement -- vous avez un rôle majeur
à jouer sur ce point -- que compte tenu des délais
très courts d'application, tous nos exploitants ont accepté,
cette année, de supporter la taxe sus-évoquée
de 9 % sur les assurances en plus des primes payables. Toutefois et
en vertu d'un accord conclu avec les assureurs, nous avons pris l'engagement
que si nous ne pouvions pas obtenir l'effacement de cette taxe sur les
assurances à compter de la deuxième saison (en dépit du
collectif budgétaire et de la loi de finances à venir), nous
baisserions les primes de 9 %, afin de faire comme si la taxe
n'existait pas. Conséquemment, toutes les indemnisations subiraient
elles aussi une baisse de 9 %, de même que le montant des
plafonds. Nous pensons qu'il y a là un élément à
faire jouer auprès de Bercy et nous comptons sur l'ANEM et sur votre
mission pour établir un dialogue direct en ce sens
M. Jean-Charles Faraudo -
Si vous le permettez, je voudrais encore
évoquer quelques éléments en marge de notre profession
mais dont nous dépendons directement.
La promotion de la montagne en France comme à l'étranger me
semble devoir être relancée. Nous avons la chance de disposer d'un
outil unique en Europe -- l'outil des Professionnels associés de la
montagne (PAM) --, qui rassemble les collectivités territoriales et
l'ensemble des entreprises concernées quel que soit leur secteur
(vêtements, remontées mécaniques, hôtels...) pour
favoriser et promouvoir,
via
les cotisations, l'image des zones de
montagne. Dans ce cadre, la part de l'Etat ne représente plus que peau
de chagrin, aujourd'hui, alors qu'elle comptait encore pour 50 % des
ressources il y a peu. Il nous faut pourtant relancer des campagnes. En effet,
la montagne peut jouer comme facteur de cohésion sociale. Comment ne pas
déplorer que de moins en moins d'enfants scolarisés visitent nos
stations dans le cadre de classes de neige ? Par ailleurs, nous avons bien
du mal à intéresser le service public de la
télévision aux épreuves sportives de montagne en dehors de
la période des jeux olympiques...
D'autre part, je ne reviendrai pas sur les questions de la qualification des
lits touristiques et de la rénovation des parcs immobiliers.
Néanmoins, les propos de Jean Faure afférents à la
disposition opérations de réhabilitation de l'immobilier de
loisir (ORIL) doivent nous interpeller : les outils à notre
disposition se révèlent insuffisants, sur le terrain, pour
remplir notre mission de rénovation immobilière.
Enfin, je me permettrai d'insister sur les infrastructures car l'accès
aux stations constitue une nécessité absolue. En ce sens, le
réseau autoroutier mais également les connexions intermodales
rail-route-air doivent se voir finalisées. Quand bien même elles
constituent une gêne sur le plan écologique, nous ne pouvons pas
nous en dispenser.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci à vous deux pour ces exposés
extrêmement précis et complets, qui nous ont permis de saisir
à la fois l'importance économique des enjeux présents et
les problèmes nécessitant solution. Vos propos dénotent
une telle qualité que je me bornerai, ici, à vous demander
quelques contributions ponctuelles complémentaires pour prolonger votre
apport.
Premièrement, il me paraît intéressant de revenir quelque
peu sur l'incompatibilité entre la loi montagne et son principe de
délégation de service public affirmée au
bénéfice des collectivités locales ainsi que sur les
principes qui préfigurent d'ores et déjà le droit
européen et la libéralisation inspirée par la loi Sapin.
De manière très concrète, comment analysez-vous ces
points ? Nous serions particulièrement intéressés si
sur un ou deux cas précis, vous pouviez nous transmettre les
données du problème à partir d'un cahier des charges
indiquant la date d'échéance, les annuités, les frais
d'exploitation, les enjeux en termes de renouvellement, les aléas de
l'ouverture à la concurrence et les pistes de solutions
envisagées. Nous pourrions alors plus justement illustrer vos propos
dans l'optique d'une adaptation du droit français mais également
européen de la montagne. Si vous disposez de tels exemples, vous seriez
aimable de nous les faire passer...
M. Jean-Charles Faraudo -
Nous avons ces exemples.
M. Jean-Paul Amoudry -
Deuxièmement, vous avez
évoqué la TVA et le problème de l'inclusion de deux taxes
dans son assiette. Sur ce point aussi, nous apprécierions tout
complément jurisprudentiel nous permettant d'affiner la précision
de notre rapport.
M. Jean-Charles Faraudo -
Cet élément est explicité
dans notre dossier mais nous vous communiquerons un exemple de contentieux
-- puisque le Tribunal administratif de Grenoble, malheureusement, a
débouté un exploitant...
M. Jean-Paul Amoudry -
Troisièmement, vous possédez sans
doute une lettre de Bercy en ce qui concerne les provisions pour manque de
neige et le refus de défiscaliser de la part de l'Etat. Cette lettre
serait elle aussi la bienvenue dans notre dossier. Toutefois, je me demande
s'il est possible de cumuler Nivalliance et des provisions pour manque de
neige. N'y a-t-il pas redondance ou double emploi sur ce point ?
M. Jean-Charles Faraudo -
Ces deux choses ne sont pas de même
nature ! Il s'agit d'un côté d'une disposition comptable et
de l'autre d'une assurance. Ce n'est donc pas du tout la même chose.
M. Jean-Paul Amoudry -
Ceci signifie qu'en cas de difficultés,
nous pourrions concevoir qu'une société puisse à la fois
bénéficier de Nivalliance et renforcer ses garanties au moyen des
provisions qu'elle aura pu constituer...
M. Jean-Charles Faraudo -
Absolument. D'un côté, elle
percevrait une prime (avec un plafond) ; de l'autre, elle opérerait
une reprise de provisions, c'est-à-dire qu'elle
réintégrerait des provisions constituées les années
précédentes, en cas d'absence de sinistre.
M. Jean-Charles Simiand -
Cette mesure semble devoir s'adresser
préférentiellement aux stations moyennes et petites, en vue d'un
lissage de leur chiffre d'affaires. Une grande station serait certainement
moins intéressée par la provision défiscalisée
qu'une station moyenne, laquelle connaît précisément des
oscillations très fortes en termes d'activité. Plus globalement,
l'enjeu de cette question tient dans la demande de ne plus nous voir
considérés comme des artisans du monde touristique mais comme des
industriels du tourisme. D'où la justification de la provision
défiscalisée et de l'alignement sur le régime de droit
commun.
M. Jean-Charles Faraudo -
En effet, nous ne revendiquons rien d'autre
que de nous voir considérés comme des entreprises touristiques
à part entière. Je ne sais pas si j'en retrouverai des traces
dans nos archives mais ce débat a déjà été
porté par plusieurs ministres et secrétaires d'Etat de diverses
tendances politiques ; or Bercy s'y est toujours opposé.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je me permets, ici, de vous rendre hommage pour
la création de Nivalliance. Je salue particulièrement, en outre,
la compréhension et l'esprit de solidarité qui
caractérisent les 21 grandes entreprises en question, sans
lesquelles rien n'aurait pu aboutir. C'est là une grande première
que le Sénat se doit de saluer, qui permet, dans un esprit solidaire, de
régler partiellement certains problèmes assombrissant le ciel de
maintes petites ou moyennes stations -- d'autant que l'avenir de la
moyenne montagne et des stations petites ou moyennes constitue l'une des
préoccupations majeures de notre mission. Nous prenons donc acte de
votre initiative comme de vos efforts et saluons l'ensemble de cette
démarche.
Par ailleurs, nous constatons, dorénavant, un relatif plafonnement de la
clientèle des skieurs. Comment envisager l'avenir dans ce
contexte ? Il me paraît que la question du coût des
séjours aux sports d'hiver trouve ici sa légitimité.
Comment prendre cette problématique à bras-le-corps ? Vous
avez souligné, à juste titre, le coût important des
investissements matériels. Il est indubitable qu'un certain nombre de
faits majeurs impondérables grèvent les budgets,
déterminant des coûts de séjour pratiquement
incompressibles. Il n'en demeure pas moins que cela pose problème au
regard du choix des destinations. Que faire ? Si vous disposiez
d'études ou de réflexions sur cet aspect de la cherté des
séjours, nous apprécierions que vous nous les communiquiez.
Alors, nous pourrions plaider un effort nouveau de la part de l'Etat.
M. Jean-Charles Simiand -
Nous avons évoqué l'enjeu des
calendriers scolaires et de l'étalement des périodes de
fréquentation. Il y a là une piste importante, dans la mesure
où la concentration des vacances et la nécessité induite
d'amortir les dépenses sur des périodes courtes pose
incontestablement problème. Plus les périodes de
fréquentation se distendent, plus le prix moyen des séjours est
porté à la baisse. Si vous comparez, dans certaines stations, le
coût d'un séjour d'une semaine au mois de janvier à celui
d'une semaine pendant la période des vacances d'hiver de la zone de
Paris, vous constaterez une différence exorbitante ! Celle-ci est
la conséquence directe de périodes courtes de rendement.
L'exemple de l'Autriche pourrait nous instruire sur cet aspect des
choses : si le coût des séjours y demeure supérieur au
nôtre, l'occupation s'y étale largement sur la
quasi-totalité de la saison d'hiver, y compris dans les stations
moyennes. Malgré un parc immobilier, un nombre de lits et un
réseau de remontées mécaniques moindres que les
nôtres, les Autrichiens accueillent davantage de clients que nous !
M. Jean-Charles Faraudo -
Depuis quelques années, effectivement,
nos voisins suisses et autrichiens opèrent des efforts très
importants en termes d'investissements. Ils sont aidés, en cela, par
leurs régions. Aujourd'hui, leur parc de remontées
mécaniques, qui était très vieillissant par rapport au
nôtre, devient tout à fait correct.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez parlé des ORIL et de
l'inadaptation de ce schéma de la loi au cas particulier des Alpes.
Pourriez-vous rédiger une note explicitant les raisons de cet
échec ?
M. Jean-Charles Faraudo -
Avec plaisir !
Brièvement, je dirai que cela ne marche pas parce que nous n'avons pas
les moyens de convaincre les propriétaires et les agences de location
existantes de s'intégrer au système. Voilà la grande
difficulté. Il y a quelque temps, la possibilité de
récupérer une TVA à 19,6 % pouvait constituer un
élément déclencheur fort dans ce sens ; aujourd'hui,
un taux à 5,5 % n'apparaît pas suffisamment motivant. A
l'Alpe d'Huez, malgré une aide au propriétaire égale
à 20 % du montant des travaux, nous n'avons
déclenché, en trois ans, que trois rénovations
d'appartements alors que nous disposons de 50 000 lits. Vous
voyez le ridicule de ce chiffre !
Les agences immobilières ne veulent tout simplement pas être les
gestionnaires d'un village résidentiel de tourisme (VRT) : d'une
part, cela nécessite une gestion particulière en termes
d'accueil, d'entretien, etc. ; d'autre part, cela stipule de s'engager sur
un revenu locatif garanti au propriétaire sur une période de neuf
ans. Aussi, nous sommes condamnés à ce que ce soit l'organisme
public qui s'investisse dans ces opérations. Les outils à notre
disposition ne paraissent pas suffisants. Je joindrai donc une note sur ce
point.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie infiniment. Bien entendu, nous
vous rendrons destinataires de ce rapport, le moment venu, en souhaitant qu'il
puisse trouver dans la loi, le règlement et les actions
législatives et gouvernementales les solutions souhaitées.
21. Audition de M. Jean-Paul Chirouze, directeur de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (18 juin 2002)
M.
Jacques Blanc -
Nous allons écouter notre premier intervenant
à qui des questions ont préalablement été
adressées pour mesurer précisément ce qui pourrait
être fait dans le domaine de l'eau par rapport à la montagne.
En préambule, je tiens à exprimer mon inquiétude quant
à l'emprise qu'ont les grandes villes sur ces grandes agences. De fait,
les crédits consacrés à l'espace rural en montagne sont en
chute libre alors que les communes rurales ont une incapacité totale
à faire face aux investissements dans le domaine de l'assainissement.
Pour ne pas se trouver dans la situation où les crédits ne
seraient attribués qu'en aval et non pas en amont, il est judicieux
d'entamer ensemble une réflexion.
Les montagnes sont le pays des sources. Pour ne pas y mettre de robinet comme
d'autres en mettent aux puits de pétrole pour faire monter les prix,
nous devons trouver des solutions.
M. Jean-Paul Chirouze
- Merci Monsieur le Président, Monsieur le
rapporteur.
Je vais peut-être aborder la question par le dernier point de votre
questionnaire qui faisait référence à la directive cadre
publiée définitivement à la fin de l'année 2000. En
effet, elle laisse augurer un renforcement de la politique de l'eau
fondée sur une approche des problèmes par bassins versants. C'est
sans doute une bonne façon de rentrer dans le sujet.
La directive-cadre dans le domaine de l'eau qui doit être
transposée prochainement en droit français risque d'avoir de
nombreuses conséquences pour l'Etat français à l'avenir
dans la mesure où non seulement elle prévoit que les
problèmes de l'eau soient abordés par bassins versants, ce qui
est légitime dans notre pays où il existe depuis trente ans des
agences de bassins versants, mais où elle conduit également les
Etats membres à s'engager à ce que les rivières et les
milieux aquatiques soient restaurés et considérés dans un
bon état écologique à l'horizon de 2015.
Cette date peut paraître éloignée mais par rapport au
problème de l'eau à traiter, c'est une échéance
assez proche. Quand on voit les efforts entrepris depuis trente ans et les
résultats obtenus, l'exercice consistant à obtenir le bon
état écologique dans quinze ans sera sans doute extrêmement
difficile.
Un certain nombre de dispositions dans cette directive laissent penser qu'il
sera possible, par dérogation, d'aller au-delà de 2015. Ces
dérogations sont toutefois très précises. Pour en
bénéficier, il faudra argumenter auprès de Bruxelles pour
expliquer les raisons pour lesquelles en 2015, nous ne serions pas
arrivés au bon état écologique.
L'un des critères permettant de déroger à cet objectif est
la profonde modification sur le plan de sa morphologie d'un milieu aquatique.
L'état de ce milieu n'oblige alors pas à atteindre l'objectif de
bon état écologique, mais seulement de meilleur état
possible. C'est important car cela peut concerner de nombreuses régions
de montagne, notamment celles atteintes par les ouvrages
hydroélectriques qui ont modifié les débits des cours
d'eau.
La première phase de la directive cadre sera d'établir pour 2004
un état des lieux. 2015 paraît éloigné, mais nous
sommes bien dans un processus par étapes qui va contribuer à
l'amélioration de nos milieux aquatiques.
En montagne, l'intérêt d'aborder les problèmes de l'eau par
bassins versants est réel car les problèmes ne sont pas
uniformes. Les problèmes de l'eau dans les Alpes ne sont pas le
mêmes que dans le Massif Central. C'est ainsi qu'il peut non seulement y
avoir des pollutions locales fortes comme dans les grandes villes telle
Grenoble, mais aussi des pollutions diffuses dans les domaines de l'industrie
et de l'agriculture, à prendre spécifiquement en compte.
A titre d'exemple, le bassin de l'Arve en Haute-Savoie connaît des
problèmes de pollution par les métaux liés à
l'activité de la mécanique ou du traitement de surface concernant
plus d'un millier de petits industriels. Autre exemple sur le bassin
Rhône-Méditerrannée-Corse : le Jura qui subit, lui, la
pollution organique d'activités laitières et fromagères.
Ces coopératives ont dû travailler ensemble pour améliorer
en six ans la situation des cours d'eau. On s'aperçoit donc que dans ces
régions, les problèmes de pollution ont des causes bien
différentes. Il est donc essentiel d'adopter une approche
spécifique de ces problèmes par bassins versants.
Je signale également le cas particulier des activités
d'élevage, avec le PMPOA : Programme de Maîtrise des Pollutions
d'Origine Agricole. Ce programme a été conçu il y a une
dizaine d'années et a donné lieu à des négociations
assez difficiles avec la Commission de Bruxelles au motif d'encadrements
communautaires portant sur les aides accordées aux éleveurs.
Elles ont amené le précédent gouvernement à
redéfinir, dans des conditions difficiles, ce programme qui reste
maintenant à conduire (le PMPOA n° 2).
Pour les rivières de montagne, ce programme est important, mais il est
un peu effacé par les problèmes de la Bretagne. Le PMPOA,
prioritairement par rapport aux enjeux bruxellois est un programme fait pour
réduire les pollutions par les nitrates, avec essentiellement un
objectif de qualité d'eau potable. La majeure partie des efforts
engagés a concerné la Bretagne, où il est de
notoriété publique que les problèmes de nitrate sont
importants. Or en zone de montagne, ce sont moins des problèmes de
nitrate dans l'eau potable que des problèmes de pollution
bactériologique qui prévalent.
Un certain nombre de programmes locaux avaient été initiés
dans le cadre du PMPOA, mais aujourd'hui les petits cours d'eau de montagne,
pour des raisons de financements nationaux, sont en concurrence avec la
Bretagne.
Pour ce qui concerne l'assainissement des collectivités, il est vrai
qu'actuellement, la priorité est donnée aux grandes villes et ce
pour respecter l'engagement communautaire. Une directive de 1991 avait
déterminé avec un calendrier des priorités pour traiter
les pollutions rejetées par les agglomérations. Les étapes
étaient de 1998, 2000 et 2005. La logique de cette directive
était de prendre en compte par ordre dégressif les projets des
villes les plus importantes. L'échéance de 2005 concernait les
villes de plus de 2.000 habitants. Si l'Etat français ne respecte
pas les échéances de cette directive européenne, il tombe
sous le coup des sanctions prévues.
Nous sommes donc face à une certaine contradiction entre les
priorités communautaires et certaines priorités au niveau local.
Sur certains bassins versants, de petites communes rurales peuvent en effet
représenter un enjeu de pollution d'un cours d'eau, qui peut être
considéré globalement comme aussi important que de respecter les
échéances de la directive européenne concernant une grande
ville sur un autre milieu aquatique.
Pour l'agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse, nous
réfléchissons à une sorte d'équilibre entre les
moyens à dégager pour traiter prioritairement les grandes
agglomérations encore en retard par rapport aux échéances
de la directive européenne et la possibilité de financer à
des conditions comparables l'assainissement dans les petites communes, mais en
ayant une certaine sélectivité au niveau des priorités
territoriales.
Dans ce dernier domaine, on constate qu'il peut y avoir des propositions
d'équipement pour l'assainissement des cours d'eaux inadéquats
par rapport aux besoins de ces petites communes. Nous travaillons avec les
conseils généraux, également impliqués dans le
financement des communes rurales, pour établir ces priorités.
Nous sommes en effet associés entre départements et agences pour
définir les programmations communes de financement.
M. Jacques Blanc -
Vous avez parlé du traitement des grandes
collectivités. Mais il existe parallèlement des besoins de
soutien financier dans les petites communes rurales de montagne. Ce soutien,
portant sur des crédits de développement rural ou dans le cadre
d'opérations spécifiques montagne, peut-il être
européen ?
M. Jean-Paul Chirouze -
Je ne suis pas qualifié pour
répondre en matière de financement européen. Si cela
était possible, il faudrait aborder la question en termes de zonage.
M. Jean-Paul Amoudry -
Ceci étant, de nombreux
départements sont inéligibles à l'aide européenne
en raison de l'incapacité de leurs petites communes à faire
financièrement face à ce que l'on attend d'elles en vertu de leur
carte des sols.
Nous ne pourrons pas maintenir cette équation entre ce que la loi et
certaines directives exigent des communes et ce qui leur est imposé en
matière de mise aux normes d'urbanisme.
M. Jean-Paul Chirouze -
Je ne cherche pas à donner des arguments
montrant qu'il n'est pas intéressant d'aller chercher des solutions de
financement européen, au contraire.
Mais sur un plan strictement financier, les choses sont plus nuancées.
Il existe une capacité d'augmentation du prix de l'eau dans les petites
communes qui devrait permettre de dégager un autofinancement pour
renforcer leurs investissements. Mais pour les réaliser, il faut
également prendre en compte la capacité de ces communes à
s'endetter.
Le rapprochement intercommunal peut faciliter ces investissements. De plus, il
permet aux communes d'être non seulement autonomes sur un plan
hydraulique mais aussi de se regrouper pour bénéficier d'un
système d'exploitation commun.
M. Jacques Blanc -
Les agences peuvent-elles les aider dans ce
cas-là ?
M. Jean-Paul Chirouze -
Nous pourrions les aider à s'installer et
à s'équiper. Nous finançons déjà des
services d'assistance technique au niveau départemental pour les aider
à faire un état de leur équipement.
Pour revenir au regroupement intercommunal, un autre point positif est
l'assainissement non-collectif. Du point de vue des constructeurs ou des
propriétaires individuels, cette solution peut être contraignante.
Ils peuvent préférer avoir le tout-à-l'égout que
d'avoir une fosse, un équipement autonome. Du point de vue collectif,
cette solution est économiquement plus acceptable pour les petites
communes, même si elle peut représenter un problème en
montagne pour des raisons de pentes et d'insuffisance de sols.
Cela pose la question de la contrainte réglementaire que vous
évoquiez précédemment. Si l'on se réfère au
texte d'application de l'assainissement et de la dépollution qui sont la
déclinaison en droit français de la directive de 1991, il n'y a
pas d'obligation, au titre de la loi sur l'eau, de raccordement à un
réseau collectif et de traitement des réseaux d'assainissement
dans les petites communes.
En termes d'urbanisme en revanche, lors d'une construction, il faut proposer
une alternative. Il s'agit alors soit d'un investissement autonome
agréé, soit d'un raccordement sur réseau collectif. Cette
contrainte réglementaire revient donc plus par le droit de l'urbanisme
que par une obligation de la loi sur l'eau.
Cela pose le problème d'une approche globale de l'urbanisation et d'une
prise en compte élargie des éventuels travaux de réseaux.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous sommes tous conscients de ce problème
financier. Au côté des collectivités, dans le cadre du
PMPOA, quels sont les moyens que les agences de l'eau peuvent apporter pour
répondre à ces problématiques financières ?
D'autre part, les élus de terrain imaginent que nous agissons tels des
apprentis sorciers, préconisant au gré des décennies
tantôt la mode du tout collectif, tantôt la mode du tout
individuel. Partagez-vous ces sentiments au regard des visites que vous
effectuez sur le terrain ?
On entend souvent dire que la pollution remonte les rivières et revient
à la source. Quelle est votre opinion ?
M. Jean-Paul Chirouze -
C'est la première fois que j'entends
parler de remontée de la pollution. Je ne vois pas dans quel contexte on
peut dire une telle chose, en particulier en zone de montagne qui me
paraît le dernier endroit où la pollution puisse remonter.
En revanche, nous avons beaucoup parlé de pollution, de l'assainissement
des communes, mais ce n'est qu'une composante du problème de la
qualité des eaux en montagne. Les autres composantes sont
peut-être la réponse à cette remontée dont vous
faites mention.
M. Jean-Paul Amoudry -
C'est tout le problème des extractions de
matériaux dans les zones de montagne avec des cours d'eau à fort
courant. Des abaissements de ces cours d'eau ont été
constatés, dans le Languedoc-Roussillon par exemple, atteignant parfois
quatre ou cinq mètres. Ils ont à la fois
déstabilisé les ouvrages de franchissement, ponts et autres, mais
aussi bouleversé la vie biologique de ces cours d'eau. A ce
niveau-là, l'érosion est régressive.
Je voudrais me faire comprendre. Cette érosion ne remonte pas les cours
d'eau comme un poisson. L'idée reçue selon laquelle le haut
bassin est pur et propre
a contrario
de l'aval, pollué, est
fausse. On retrouve la pollution à différents étages, et
parfois presque à la source.
Comment évaluez-vous ce phénomène et à quel
remède pensez-vous ?
M. Jacques Blanc -
Cela rejoint ce que nous disions : nous nous
concentrions sur la pollution des grandes cités en aval et nous
réalisons maintenant qu'il existe une pollution nouvelle en amont, de
plus en plus importante au demeurant.
M. Jean-Paul Chirouze -
J'avais effectivement mal compris la question.
Techniquement, on ne dispose pas d'outils de mesure suffisants pour
évaluer précisément le niveau de dégradation des
cours d'eau en amont par rapport à l'aval. Ceci étant, il suffit
de discuter avec les associations de pêcheurs ou de riverains, unanimes
quant à la dégradation des petits cours d'eau ces
dernières décennies.
Alors que les gros rejets sur les cours d'eau principaux sont directement
entachés par les relais des grandes villes, c'est la combinaison de
plusieurs facteurs qui fait que la situation des petits cours d'eau se
dégrade.
Ce qui a été fait dans le secteur de l'assainissement pour
certaines petites communes a pu être défavorable. En effet, dans
les habitats anciens de peu de population, de telles infrastructures ont pu
conduire à concentrer les rejets. C'est un premier facteur qui à
lui seul ne peut expliquer une certaine dégradation. Il faut lui en
rajouter d'autres
Si l'on combine une dégradation des milieux qui entourent les cours
d'eau, comme les boisements, et les aménagements de berge comme les
endiguements, on constate une diminution de la population de poissons.
L'eutrophisation des petits cours d'eau qui s'est développée en
Franche-Comté par exemple s'explique en grande partie par cela. En
supprimant les boisements alentours, l'eau s'est réchauffée
modifiant l'équilibre du milieu.
Plus que sur les grands cours d'eau, c'est sur les petits qu'il faut faire du
traitement multi-atteintes et être très attentif à la
combinaison de ces différents facteurs.
Les programmes de maîtrise de pollution industrielle ou agricole sont
donc un volet nécessaire et complémentaire au volet de
l'assainissement des communes. Si l'on ne se concentre que sur ce dernier, le
résultat sur les cours d'eau risque de ne pas être à la
hauteur de nos espérances.
Nous évoquions le programme de maîtrise de pollution
d'élevage. La dimension des cheptels concernés peut
paraître faible, mais c'est un des facteurs qui peuvent concourir
à la dégradation des cours d'eau.
Concernant l'appui qui peut être fait pour l'assainissement collectif
auprès des petites communes, nous avons commencé à
développer avec les conseils généraux concernés des
mises en place de services d'assistance aux petites communes pour
l'assainissement autonome, en recourant massivement à l'emploi jeune.
Elles ne sont en effet pas nécessairement outillées sur le plan
technique et réglementaire pour aborder ces questions.
Mais le conseil général ne peut être le seul
impliqué. Il faut que des relais soient pris, ce qui soulève de
nouveau la question : quel regroupement intercommunal doit prendre en charge ce
type de prestations, maîtriser l'instruction des dossiers et l'assistance
technique à l'exploitation et à l'installation individuelle ?
M. Pierre Jarlier -
Je voudrais réaborder le problème du
PMPOA. Les agriculteurs se sont rendu compte de l'intérêt à
mener cette politique en parallèle aux filières de qualité
qu'ils mettent en place. Or on constate aujourd'hui que les zonages ont
été modifiés. A l'échéance du 31
décembre 2002, les zones de montagne ne seront plus concernées
prioritairement. Les exploitations agricoles qui souhaitent s'inscrire dans un
dispositif qualitatif vont ainsi être pénalisées. C'est un
paradoxe entre la qualité que l'on souhaite obtenir et l'environnement
auquel on ne peut consacrer suffisamment de moyens.
Comment sont préparés ces zonages ? est-ce au niveau
européen ou français ? de quelle façon peut-on les faire
évoluer pour réintégrer ces zones sensibles, où
l'on ne peut pas dissocier la qualité du produit de celle de
l'environnement, et inciter ces filières de qualité comme les
politiques de qualité de l'environnement à se mettre en place ?
Concernant les programmes d'amélioration de la qualité de l'eau
de nos rivières, bien que les inter coûts puissent être
concernés au premier chef, on essaie plus souvent de
réfléchir à l'échelle des bassins versants, car
c'est là que l'on peut être efficace. Aujourd'hui, les programmes
existants en termes d'amélioration sont les contrats de rivière.
Leur mise en place est lourde et l'Etat n'apporte pas suffisamment de soutien
au regard des enjeux sur ces secteurs où la pollution domestique est
moins forte que les pollutions agroalimentaires ou agricoles.
Le contrat de rivière est très contraignant. Les gens se lancent
peu dans ce type de démarche, car elles sont très longues.
Existe-t-il des solutions plus simples comme des contractualisations avec
l'Etat, les agences et les collectivités sur des procédures plus
à l'échelle d'un petit bassin versant pour améliorer la
qualité de l'eau dans ces zones sensibles sur le plan environnemental
mais aussi touristique ?
Estimez-vous réalisable la mise en place d'une politique territoriale
décentralisée ?
Concernant le contrôle de la qualité de l'eau, je confirme que
lorsque les départements mettent en place des outils de type mission
d'assistance à la gestion de l'eau, les résultats sont
extrêmement efficaces. La contractualisation avec les agences est
très intéressante. Nous avons été, dans le Cantal,
le premier département à adopter cette procédure et nous
avons désormais un service parfaitement concluant tant pour l'eau
potable que pour l'assainissement.
Au sein du département, cela me semble être une bonne solution.
M. Jean-Paul Alduy -
Dans toutes ces questions, c'est par la
matière grise que nous trouverons les remèdes à apporter.
Celle-ci ne se trouve pas au niveau des communautés de communes. Met-on
cette matière grise au niveau du conseil général ou au
niveau des associations départementales de maires ?
Ces associations peuvent avoir un rôle à jouer en tant qu'outil
d'assistance technique, d'autant que les problèmes politiques qui
peuvent parfois interférer sur la relation contractuelle ont moins
d'emprise sur elles.
M. Jean-Paul Chirouze -
La démarche du zonage du PMPOA est
actuellement le résultat d'une négociation entre l'Etat
français et la Commission, sachant que la France est condamnable sur le
non-respect de la directive dite "nitrate". A ce titre, le territoire
français est zoné et doit mettre en place un programme visant
à réduire les pollutions par les nitrates essentiellement dans
une optique d'eau potable. C'est le classement dit « zones
vulnérables ».
Le programme a conduit, vu les contraintes de la directive européenne,
à ce que les financements soient privilégiés sur ce
territoire. Evidemment, si dans ceux-ci vous retrouvez le cheptel breton, la
dimension budgétaire est considérable. C'est d'ailleurs un choix
budgétaire qui a conduit le gouvernement précédent
à limiter la prise en compte des programmes de ce domaine en dehors des
zones prioritaires.
Le choix qui se pose ensuite est de prendre en compte soit les grands
élevages puis les plus petits, soit une logique de territoire où
l'on essaie de voir si d'autres zones non prioritaires présentent un
intérêt important, pour des raisons bactériologiques par
exemple.
Le fait que les zones prioritaires soient sur les zones dites
« vulnérables » ou « nitrate »
relève de la Commission européenne. S'il reste des moyens
budgétaires, la priorité mise sur des zones au-delà des
zones « vulnérables » relève d'un choix
national. Ces derniers financements sont effectués par le
Ministère de l'Agriculture, les agences de l'eau et les
collectivités locales que sont les départements ou les
régions en fonction des zones.
Au-delà des zones vulnérables qui relèvent d'une
priorité communautaire, le choix des autres priorités
relève d'une décision nationale.
M. Pierre Jarlier -
Mais au 31 décembre 2002, ces zones ne seront
plus éligibles. Le zonage prioritaire, pour répondre à la
directive de résorption des nitrates, ira sur les zones prioritaires de
Bretagne.
M. Jean-Paul Chirouze -
S'il reste des moyens financiers, ils peuvent
aller sur d'autres zones, qualifiées de zones dites "prioritaires".
M. Jacques Blanc -
Les zones de montagne sont-elles qualifiées ?
M. Jean-Paul Chirouze -
Ce sont des zones diverses et variées.
Elles sont déterminées par la qualité des cours d'eau.
Dans le bassin Rhône-Méditerrannée-Corse, la tendance est
plutôt d'aller vers des zones de montagne. C'est également le cas
de la Franche-Comté et sans doute pour l'Adour-Garonne.
M. Jean-Paul Amoudry -
L'état est-il condamnable sur des zones
montagne au même titre qu'en Bretagne ?
M. Jean-Paul Chirouze -
Non. Il n'y a pas de critère montagne.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il n'y a pas non plus de raisons aussi
importantes que la pollution des nitrates en Bretagne pour justifier
l'éligibilité des zones de montagne de façon prioritaire.
M. Jean-Paul Chirouze -
Non, en effet. Il existe une carte nationale
dite des zones vulnérables approuvée par décret. Je vous
la ferai passer.
M. Pierre Jarlier -
Il serait intéressant pour nos travaux que
nous ayons un éclairage de votre part sur la hiérarchisation des
normes de la responsabilité de l'Etat au regard des différentes
catégories de pollution. Nous pourrons ainsi voir en montagne ce qui se
passe par rapport aux autres parties du territoire.
M. Jean-Paul Chirouze -
Par rapport au PMOPA, la hiérarchie
retenue par l'Etat était dans l'ordre :
1. les zones vulnérables au titre de la directive nitrate. Un
délai limité à 6 ans a été fixé avec
Bruxelles pour résorber les pollutions dans ces zones.
2. les élevages supérieurs à 90 unités de gros
bovins
3. les zones dites prioritaires qui relèvent d'un choix national qui
vont au-delà des zones dites « vulnérables ».
M. Jacques Blanc -
Les solutions autonomes pour des exploitations
agricoles dispersées peuvent-elles rentrer dans le cadre d'un apport de
financement agri-environnemental du plan national rural ?
M. Jean-Paul Chirouze -
Là aussi, s'agissant de financements que
l'agence ne maîtrise pas, je ne m'engagerai pas. Je peux toutefois vous
dire que les financements de l'Etat prévus pour ce programme sont, pour
la plus grande partie, inscrits dans les contrats inter-régions. Cela
fait partie des crédits contractualisés. Ont-ils eux-mêmes
une source pour partie budget national et pour partie européenne ? Je ne
puis vous l'assurer, il faudrait poser la question au Ministère de
l'Agriculture.
En ce qui concerne l'assistance technique, les contractualisations que nous
avons pu avoir avec les conseils généraux sur l'assistance
technique aux communes dans le domaine de l'eau potable, l'assainissement ou
l'assainissement autonome ont été efficaces. Cette assistance
technique, très utile, n'inclut pas la prise en charge technique de
l'exploitation, qui ne relève pas du conseil général mais
du maître d'ouvrage. Il appartient aux communes, une fois
regroupées, d'agir elles-mêmes en tant que maître d'ouvrage.
Par ailleurs, j'estime qu'il sera difficile aux associations de maires
d'assumer un rôle de conseil, car en tant qu'association loi 1901, ils
risquent d'être confrontés à des problèmes
d'autofinancement en raison de leur absence de fiscalité. Même
financées à 50 ou 60 % par les agences, ce problème
demeure. Le Conseil Général pourrait être l'apporteur de
cette aide, mais serait alors une structure porteuse, qui de fait remettrait le
procédé en question.
En revanche, le volet de la prise en charge par les communes elles-mêmes
de l'exploitation me paraît essentiel.
L'approche des problèmes par bassins versants mérite une
réflexion dans le cadre des évolutions futures. La
contractualisation de type contrat de rivière peut être lourde,
car il faut qu'il y ait un travail technique préalable pour identifier
la cause des problèmes et essayer de trouver des solutions. Les acteurs
ne sont pas toujours volontaires, il faut donc convaincre les maîtres
d'ouvrage publics et privés. Le volet industriel ou agricole est aussi
important que celui des collectivités. Convaincre et faire
adhérer ces communes est simple, mais faire adhérer des
agriculteurs ou des industriels peut être un travail énorme quand
ceux-ci sont en nombre. Or, une opération sur un bassin versant ne
fonctionne que si ces acteurs y adhèrent aussi.
Cette approche est lourde, mais efficace. Un audit a été
réalisé en région Rhône-Alpes sur les contrats de
rivière depuis 20 ans. Il fait apparaître échecs et
réussites notamment dans la perspective de la directive-cadre qui va
nous obliger en France à définir plus précisément
les objectifs à atteindre sur les cours d'eau.
Il est obligatoire d'essayer de définir ce que vont être les
structures porteuses de la politique de l'eau sur les bassins versants,
à l'échelle locale d'un cours d'eau.
M. Jean-Paul Amoudry -
Sur ce sujet, on compte deux écoles :
- La construction d'un château d'eau
Selon le bassin versant, ce système regroupe plusieurs
départements, collectivités, groupements de communes. On
constitue un château, une structure incroyable, trop lourde à mon
sens mais qui peut être la solution. Or il ne faut pas oublier que
l'administration conteste les structures syndicales de type syndicats à
vocation unique et incite à certains moments à les constituer.
- Une formule souple
Une collectivité est porteuse du projet, pourquoi pas une
collectivité de commune ? Elle est le noyau dur du projet et passe
des conventions avec toutes les entités en aval. J'aimerais que le
débat que nous avons en ce moment puisse déboucher sur des
préconisations et que les préfets puissent agréer des
formules.
M. Jacques Blanc -
Pour la vallée du Lot et pour tout le secteur
montagne entre l'Aveyron et la Lozère, nous avons monté un CIVU,
qui regroupe 90 communes. Nous avons fait le schéma d'aménagement
et de gestion des eaux (SAGE) en même temps et nous dépassons les
limites départementales.
Je pense que nous devrions suggérer une grande souplesse. Ainsi, nous
sommes prêts à recevoir les idées que vous pourriez nous
apporter par la suite.
M. Jean-Paul Chirouze -
C'est un sujet important et délicat.
Important car il faut que des initiatives soient prises d'ici 2004. Le
résultat doit être atteint en 2015, le plan de gestion
établi pour 2007, conclu en 2009. L'état des lieux doit
être fait pour 2004.
C'est un enchaînement qu'il faut préparer.
Il faut à la fois de la souplesse pour s'adapter aux structures et aussi
une logique existante de bassins versants. En matière d'outils
législatifs aujourd'hui, tout est possible et rien n'est prévu.
On parle maintenant d'établissements publics territoriaux de bassin,
terme générique pour qualifier les structures du type syndicats
communaux, interdépartementaux, mais ils ne sont pas du tout
définis.
M. Jacques Blanc -
Vos opérations de bassin fonctionneront si se
trouvent à la clé des solutions de financement. Pourquoi
l'Etablissement public d'aménagement de la loire et de ses affluents
(EPALA) fonctionne-il ? Parce qu'il y a des redistributions, des taxes
professionnelles versées par les centrales nucléaires. Mais on ne
trouve pas forcément de possibilités de retombées
financières dans tous les bassins.
Les collectivités locales en montagne ont un potentiel fiscal tel qu'en
l'absence d'un financement de 80 % de leurs opérations, celles-ci ne
peuvent avoir lieu.
Le problème fondamental est de savoir comment encourager les communes
à adopter des solutions autonomes et individuelles en termes de
traitement de l'eau et d'assainissement tout en limitant la part des
investissements financiers. Il vaut mieux en effet parfois garder les fosses
septiques et un bon système d'évacuation plutôt que de
faire une station d'épuration qui ne fonctionnera pas et qui accumulera
la pollution.
M. Jean-Paul Chirouze -
On peut distinguer ce qui relève de la
compétence dévolue aux communes et rechercher en revanche les
regroupements que nous avons évoqués, mais dans la
compétence eau et assainissement.
Pour ce qui concerne les programmes d'actions sur les bassins versants, le
problème est plus large. Non seulement il s'agit du problème de
pollution des communes, mais aussi le problème des privés, des
aménageurs des cours d'eau. Lorsqu'il faudra définir le plan
d'action, il faudra les prendre en compte également. Le choix sera alors
politique : l'état doit-il prescrire la marche à suivre ou une
représentation des acteurs locaux, privés et publics, se met-elle
en place pour définir le plan d'action ?
Se repose alors la question de la structure au sein de laquelle ce programme
d'actions peut être défini.
M. Jacques Blanc -
C'est là que les agences de bassin peuvent
avoir un rôle.
M. Jean-Paul Chirouze -
C'est par-là peut-être que l'on
peut avoir des incitations financières pour faire en sorte que
s'organise localement un lieu dans lequel la politique d'action globale se
construit.
M. Jacques Blanc -
Avec un apport technique qui ne soit pas
forcément celui de l'Etat, mais celui des agents de bassins ou de
structures qui peuvent se monter.
M. Pierre Jarlier -
Nous allons prendre congé de Monsieur
Chirouze en le remerciant chaleureusement.
22. Audition de M. Dominique Cairol, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des territoires » (18 juin 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Nous recevons M. Dominique Cairol, ingénieur
général du génie rural des eaux et forêts
(CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des
territoires » qui a bien voulu nous remettre une note en
réponse à nos questions.
M. Dominique Cairol -
Un de nos axes de recherche sur les espaces
à dominante rurale est basé sur la gestion de l'espace et les
fonctions non marchandes liées à l'agriculture et à la
forêt. Nous travaillons dessus dans une perspective de recherche et
d'appui à l'action publique compte tenu du fait de la structure
particulière du CEMAGREF. Il a en effet une double vocation de recherche
et d'expertise affirmée.
Lorsque j'ai reçu la commande, j'ai relu l'évaluation de la
politique montagne et ai vu que les conclusions de celle-ci se focalisent sur
la gestion de l'espace dans le domaine agricole. Pour nous, cette question est
au coeur de nos problématiques.
Dans la première question, vision et perspectives de l'agriculture de
montagne, les travaux que nous menons sont focalisés sur quelques points
précis et ne me donnent pas le recul nécessaire à une
appréciation globale affinée. Mais en raison de notre
participation à des projets de recherche et d'expertise
européens, nous avons un certain nombre d'idées dans ce domaine.
Dans le domaine de l'agriculture durable, nous sommes en partenariat avec la
plupart des institutions de recherche, d'expertise et de développement
de l'arc alpin en analysant une approche de l'agriculture durable
articulée avec le développement rural.
Pour ce qui concerne l'aspect environnement, et plus particulièrement
l'enfrichement, la prime à l'herbe a été favorable
à l'extensification, c'est-à-dire au maintien de l'élevage
dans les zones de montagne, où les aspects intensifs, eux, ont
reculé. Cela a permis d'assurer la gestion de l'espace.
Pour lutter contre l'enfrichement en Lozère, les cahiers des charges mis
au point ont conduit à supprimer des parcours, à faire des
rotations, des enclos, permettant ainsi de mieux maîtriser la
végétation. La connaissance que l'on a du fonctionnement des
exploitations permet de voir si ces mesures environnementales sont adaptables
à d'autres exploitations. Par exemple, un projet paysager pour lutter
contre l'enfrichement a eu lieu dans le Jura. Il ne tenait pas compte du
fonctionnement des exploitations, sa pérennisation fut mauvaise.
Nous avons également conduit des travaux sur l'enfrichement en
Tarentaise qui ont montré que celui-ci était
généralisé sur les zones de pente exploitées autant
par les grandes exploitations que par les petites.
M. Jacques Blanc -
L'enfrichement est le mouvement spontané par
lequel la friche apparaît et envahit. Notre préoccupation est de
savoir quelles sont les méthodes permettant de lutter contre ce
phénomène de dégradation des sols.
Avant, nous avions des reconnaissances territoriales, de montagne par exemple,
de type article 19. A ce moment-là, nous faisions des montages avec des
financements européens et régionaux ou départementaux.
Aujourd'hui, l'article 19 n'existe plus. Plus exactement, les crédits
qui finançaient l'article 19 financent le plan national durable et
passent par le ministère.
Jusqu'à quelques jours, ces crédits ne pouvaient être
véhiculés vers ces opérations que s'il y avait des
contrats territoriaux d'exploitation (CTE), ce qui revenait à ne pas
pouvoir consommer les crédits. Les opérations comme celles que
vous évoquez, qui étaient portées par des groupements
d'agriculteurs ou par des associations syndicales, ne peuvent plus être
portées de la même manière aujourd'hui.
Dans le cadre de la montagne, nous cherchons à faire des propositions
pour pouvoir reprendre les expérimentations de lutte contre
l'enfrichement, de restauration des terres incultes. Cela va permettre de
récupérer de la terre. En cas de capitalisation foncière,
cela soulèvera un problème de réorganisation.
Ne serait-il pas souhaitable qu'il y ait des propositions d'actions
territoriales en montagne pour lutter contre la friche avec des techniques
agricoles telles que la viticulture héroïque qui consiste à
récupérer les terrasses, à planter des vignes et ainsi
à lutter contre les incendies ?
Que ce soit dans ce domaine ou dans celui de l'élevage avec la
réorganisation des pâturages, on aborde le problème du
foncier et des sections, souvent abordées dans le Cantal. On aborde
également les mesures scientifiques que le CEMAGREF a
expérimentées dans le cadre de ses opérations et qui
pourraient servir de base aux orientations d'actions nouvelles en montagne.
M. Dominique Cairol -
Le politique est un aspect sur lequel je ne peux
me prononcer. Mais on a démontré que les mesures d'aide
agri-environnementale de l'article 19 et de l'article 20 étaient un
moyen de maîtriser l'enfrichement, bénéficiant aux
populations et ayant un réel impact sur le paysage.
Le gardiennage électronique : à l'aide d'un fil
émetteur posé par terre, le collier récepteur au cou du
bovin émet une courte décharge électrique qui indique
à son porteur la limite de terrain à ne pas franchir. Cette
solution est intéressante car elle permet d'éviter la
construction de parcs qui sont coûteux en réalisation.
L'organisation du travail permet de mieux maîtriser la gestion de
l'espace. Nous conduisons actuellement des travaux dans ce domaine en relation
avec la gestion territoriale. En effet, dans la mesure où les
exploitations agricoles ont de plus en plus de mal à avoir des actifs
dans leur exploitation, l'optimisation de la gestion du travail est
stratégique. En fonction de l'option que l'agriculteur prend,
l'utilisation de l'espace peut ne pas être la même.
L'agritourisme n'est pas une reconversion des agriculteurs vers le tourisme,
c'est relier l'exploitation agricole et le tourisme. On constate une baisse de
la fréquentation touristique en montagne, il faut donc trouver de
nouvelles solutions comme celle-ci.
Dans l'agritourisme, on est souvent dans une logique de réponse à
la demande. L'autre logique à aborder est celle de l'offre. Dans des
zones considérées jusqu'alors comme peu touristiques, l'adoption
de cette logique a permis de dynamiser la région par l'accent qu'elle a
mis sur l'authenticité.
Poser la question des aménités rurales, c'est proposer un contrat
entre l'espace rural et la ville, mais pas dans une logique d'affrontement. La
multifonctionalité peut générer cette
ambiguïté quand on est dans une logique d'offre pour obtenir en
contrepartie des subventions.
Les aménités rurales peuvent être au service de la ville,
car les citoyens ont des attentes vis-à-vis de l'espace rural. Elles
sont aussi en relation avec les territoires. Les aménités sont
des attributs matériels ou immatériels qui contribuent à
ce qu'un territoire fasse l'objet d'une appréciation positive par des
individus, des groupes sociaux indépendamment ou parallèlement
à des aspects utilitaires. Généralement, ces attributs
sont non-délocalisables.
Des travaux sont conduits dans ce domaine des exploitations agricoles et des
enjeux environnementaux. Ils déterminent dans quelles conditions
l'agriculture peut favoriser le développement d'aménités.
Mais faciliter la production de ces aménités nécessite la
mise au point de dispositifs d'organisation qui favorisent la coordination
entre les différents acteurs.
Plusieurs problèmes se posent toutefois.
- comment évaluer ces aménités ? c'est-à-dire,
comment évaluer la valeur de la modification d'un paysage ?
- comment faire émerger un paysage qui soit reconnu ?
Nous travaillons actuellement sur ces points et conduisons également
d'autres travaux, nous interrogeant en particulier sur les mesures dans
lesquelles les aménités permettent un développement
territorial.
Qu'est-ce qu'une agriculture réussie ? Ne faut-il pas
s'intéresser à l'analyse de processus qui conduisent à
résoudre un certain nombre de problèmes ?
Je cite le cas du Groupement d'Intérêt Scientifique (G.I.S.) Alpes
du Nord qui me semble être une réussite de l'ensemble des acteurs
pour que les paysages et des produits de qualité soient reconnus,
rendant ainsi cette zone attractive. Cela est plus difficile pour les zones
disposant de moins d'atouts naturels ou éloignées des zones
urbaines. Cette opération a toutefois fait des émules, puisqu'il
s'est constitué dans le Massif Central un GIS des territoires ruraux
sensibles qui regroupe l'Auvergne et le Limousin.
Le problème est la durée de cette mise en oeuvre compte tenu du
fait que le GIS Alpes du Nord a été créé voici une
vingtaine d'années. Cette dynamique nécessite d'être
persévérant.
A l'étranger, je pourrais citer la Suisse et l'Autriche comme
expériences réussies, mais l'analyse serait biaisée, dans
la mesure où au moins 60 % de leur territoire est constitué
de montagnes. Nous ne pouvons précisément en identifier les
causes.
Les processus qui mènent à des réussites sont plus
facilement identifiables. Ils mettent souvent en place la participation
conjointe de plusieurs organismes publics et privés dont les instituts
de recherche.
M. Jacques Blanc -
J'ai quelques interrogations dans le cadre de notre
démarche. Quels sont les financements possibles pour ces
opérations ?
Il existait auparavant la prime à l'herbe qui offrait certaines
latitudes, les crédits européens qui permettaient de financer
certaines démarches que nous avons évoquées. Aujourd'hui,
il s'agit d'une nouvelle mécanique.
Nous devrions proposer que dans le cadre des programmes nationaux ruraux que
j'espère décentralisés, soient prises en compte au titre
de mesures agri-environnementales, par des financements européens et
nationaux, ces opérations qui débouchent sur :
- la valorisation de leur potentiel ;
- la lutte contre la friche ;
- les techniques de production ou d'élevage qui soient respectueuses de
notre environnement et qui conviennent au droit public.
M. Jean-Pierre Amoudry -
Je voudrais tout d'abord faire appel à
une expérience qui m'est connue pour savoir si elle faisait partie de
vos travaux de recherche et si elle tendait à être
généralisée. Certaines régions de montagne
pratiquent la transhumance hivernale consistant à délocaliser de
jeunes bêtes de régions enneigées vers des régions
sèches, là où la friche avance. Des centaines d'animaux
ont ainsi été transférés des Alpes du Nord vers les
zones montagneuses de Méditerranée pour entretenir des pare-feux.
Cette expérience qui se heurte à de nombreuses difficultés
car demandant tout de même quelques crédits publics, est
intéressante aussi bien pour :
- les espèces animales, plus heureuses dans la nature que dans un
silo ;
- les agriculteurs, dégagés pour un temps du souci d'un troupeau ;
- les espaces qui accueillent ces bêtes, pour l'entretien, le point de
vue de la sécurité et de l'utilité naturelle.
Or il semble que l'outil administratif français ne parvienne pas
à prendre ces expériences en compte.
Vos études ont-elles déjà concerné ce type
d'expériences, soit pour estimer qu'elles ne sont pas capables de
gérer nos problèmes d'enfrichement, soit pour au contraire dire
qu'elles sont bonnes sur le plan technique et qu'il faudrait alors soutenir
financièrement leur développement ?
Pourriez-vous enrichir vos rapports à destination des administrateurs
d'incitations à ce type d'initiatives pour mieux lutter contre
l'enfrichement ?
M. Jacques Blanc -
Nous avons entendu dire que dans les Alpes, plus de
terre avait été perdue par le déboisement spontané
que par le développement des constructions. En Cévennes, la
situation était plus avancée et la restauration des sols fut
réussie grâce à la présence de chèvres et
à la viticulture héroïque.
Nous devrions affirmer que la nature livrée à elle-même se
dégrade plus que par l'action des agriculteurs.
M. Dominique Cairol -
Sur la question de transhumance, nous n'avons pas
de travaux en cours.
Vous pouvez nous solliciter via le Ministère de l'Agriculture. En effet,
nous avons des conventions avec la Direction de l'Espace Rural et avec la
Direction des Exploitations, de la Politique Sociale et de l'Emploi (DEPSE).
Comme nous avons un programme sur un certain nombre de thématiques, si
celle-ci est mise en priorité, le CEMAGREF réalisera certainement
ce type de travail.
M. Jacques Blanc -
Le CEMAGREF pourrait nous fournir certains
éléments, mais il faudrait payer ?! Le CEMAGREF n'est-il pas
pourtant un établissement public ?
M. Dominique Cairol -
Nous nous sommes mal compris. Rassurez-vous, nos
documents sont publics. J'expliquais juste que nous ne disposions pas
d'étude sur la question de la transhumance. Pour tous les
éléments déjà publiés et qui vous
intéressent, je serai ravi de vous les faire parvenir.
M. Jacques Blanc -
La politique en montagne a besoin en permanence de
personnes qui cherchent et trouvent des solutions aux problèmes de nos
agriculteurs, de nos montagnards. Si on laisse faire spontanément les
choses, la montagne s'autodétruira. On peut constater une convergence
des intérêts économiques et des intérêts
environnementaux.
Je crois qu'il est capital que notre rapport fasse mention de l'obligation
d'études et de mise en oeuvre des programmes. Ces programmes ne doivent
pas concerner exclusivement une exploitation. Ils ne doivent pas être
enfermés, quel que soit le jugement que l'on porte sur les CTE. L'heure
est venue de refinancer la mise en culture. Il est donc important de mobiliser
les crédits européens véhiculés aujourd'hui par le
plan national rural et qui n'arrivent pas sur le terrain pour des raisons de
contraintes administratives françaises comme les CTE.
Si nous avions une politique décentralisée à ce niveau, on
pourrait favoriser l'éclosion de tels projets. Les exemples des travaux
évoqués tout à l'heure prouvent que cela fonctionne.
En conclusion, nous travaillons sur la lutte contre l'enfrichement mais
également sur les dynamiques des accrus. Nous essayons de prévoir
en fonction d'une pression de l'utilisation de l'espace et de la pression de la
forêt, comment va se développer le front forestier.
23. Audition de MM. Bernard Rousseau, inspecteur général du tourisme, Alain Wauters, inspecteur général de la construction, représentant du conseil général des Ponts et Chaussées et Louis Blaise, inspecteur général de l'environnement, chargés d'une mission interministérielle sur la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (18 juin 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je voudrais remercier nos invités pour avoir
établi un contact avec nous. Nous avons décidé de
créer cette mission d'information au cours de l'année
internationale des montages et profitant de l'intermède des travaux
législatifs jusqu'à la remise des travaux parlementaires en
octobre. C'est dans cet espace de temps que nous auditionnons et allons sur le
terrain rencontrer les responsables locaux. Nous nous sommes donné comme
objectif de déposer en octobre prochain les conclusions de ce travail.
Nous sommes ce soir à un moment important, puisque nous avons conscience
d'avoir en face de nous des hommes qui connaissent particulièrement leur
sujet et qui sont donc investis de choses qu'il nous sera précieux
d'entendre.
M. Alain Wauters -
Nous souhaitions effectivement vous rencontrer parce
que nos préoccupations se recoupent beaucoup.
Nous avons une mission depuis la fin de l'année 2001 qui consiste
à apprécier la pertinence de la loi montagne sur deux grands
aspects : la procédure UTN (unités touristiques nouvelles);
l'aspect intercommunal de la gestion du territoire comme de l'offre touristique.
En pratique, nous avons commencé à établir un plan de
travail à partir de la fin 2001 début 2002. Nous avons à
ce jour pu rencontrer beaucoup de responsables publics et privés des
différents massifs. Nous récoltons de nombreuses informations et
d'ici peu, autour d'un plan de travail en train de se dessiner, nous allons
rédiger une appréciation de la situation et des propositions.
L'objectif est de produire ce document à la fin de l'été.
M. Jacques Blanc -
C'est un document demandé par le gouvernement
et qui doit déboucher dans l'été. Nous allons donc lui
demander de vous charger de nous fournir tous les éléments.
On s'aperçoit d'ores et déjà de l'intérêt de
cette mission. Des personnes ont travaillé, des documents ont
été créés. Nous avons eu la chance de pouvoir nous
auto-saisir. Si nous avons la possibilité de glaner les travaux
développés par des experts tels que vous, cela peut nous
permettre de ne pas nous disperser et de donner des suites intéressantes
aux propositions qui peuvent en émaner.
M. Alain Wauters -
Ces questions prennent leurs racines sur des travaux
antérieurs. Mais les travaux les plus marquants sont ceux du
commissariat au plan. Ils ont été présentés en
1999. Une partie de ces travaux s'est prolongée dans un autre dossier
appelé
la question de la moyenne montagne
, présenté
l'année dernière à Clermont-Ferrand. On trouve dans ces
dossiers des éléments de diagnostics et des
éléments de suggestion.
Nous exploitons, revisitons et complétons éventuellement ces
travaux avec d'autres points de vue.
M. Jean-Paul Amoudry -
J'aimerais que nous puissions bien nous entendre
sur le champ d'investigation. Vous nous avez parlé de deux
objectifs : UTN d'une part et gestion territoriale sous l'angle
touristique que ce territoire peut avoir.
Avez-vous copie de la lettre de mission qui est la vôtre ?
M. Alain Wauters -
C'est un premier élément que nous
pouvons vous fournir.
M. Jean-Paul Amoudry -
D'autre part, en ce qui concerne notre mission et
le court temps que nous nous sommes imparti, nous ne pourrons pas aller au fond
de toutes les choses. Mais nous n'avons a priori rien exclu. Notre champ
d'investigation, les rencontres que nous faisons et les enquêtes que nous
menons portent sur tous les sujets de la loi du 9 janvier 1985 et sur tous les
sujets modifiés depuis par des lois ultérieures . Notre
porte d'entrée d'analyse est aussi bien l'environnement,
l'aménagement ou l'économie. C'est ensuite, par un travail de
hiérarchisation des problèmes, que nous ferons des propositions.
Alors je crois qu'il serait utile que nous puissions coordonner le message qui
sera le vôtre sur les deux sujets que vous avez désignés et
ce que seront nos propres propositions.
M. Jacques Blanc -
Nous avons déjà beaucoup entendu parler
de l'UTN. C'est un sujet sensible. Quelle en est votre analyse rapide ?
M. Bernard Rousseau -
Quand nous avons commencé nos auditions
nous avons réalisé que la procédure UTN est un sujet sur
lequel nous allions rencontrer de fortes divergences. Mais contre toute
attente, nos interlocuteurs ont un avis plutôt favorable sur la
procédure UTN. Il y a plusieurs raisons.
Nous ne sommes plus dans la forte période des UTN. La question arrive
à un moment où la polémique est déjà
retombée.
La procédure UTN est surtout intéressante avant qu'on la mette en
oeuvre. Elle a souvent permis, par les confrontations qui ont eu lieu quand les
dossiers ont été bâtis, une discussion et parfois une
amélioration des projets, voire un abandon de projets inadaptés.
Cette procédure, bâtie à une époque où il
s'agissait d'aménager les grands domaines skiables, continue à
être appliquée sous la même forme, alors que les projets ont
changé.
La procédure a montré son efficacité et son
utilité. Dans certaines circonstances, elle doit cependant
évoluer.
Nous n'avons pour l'instant pas choisi de voie particulière à
explorer. La loi Corse a adopté une solution en aménageant la
commission des sites.
M. Louis Blaise -
Une des quelques critiques de cette procédure
concerne le coût et la durée des études qui ont
amélioré les projets. C'est assez mal accepté par les
petites communes, pourtant nombreuses dans ces massifs.
Nous avons envisagé plusieurs scénarios possibles, notamment que
la décision soit davantage rapprochée du terrain. Une voie
administrative pourrait consister à ce que la procédure UTN ne
soit plus décidée par le préfet de massif mais à
l'échelle du département.
Pour que la prise de décision soit plus proche, il faut qu'il y ait une
réflexion d'ensemble. Quand on regarde le décret de 1977, on
constate qu'il y avait une procédure intéressante appelée
PPDT (Programmes Pluriannuels de Développement Touristique) qui
étaient une façon de se projeter au-delà du projet
ponctuel, dans le temps, avec une programmation spatiale voire aussi
financière ; malheureusement ils n'ont pas été repris
par la loi de 1985, parce qu'ils relevaient d'une procédure
réglementaire, hors du champ de la loi.
On peut le regretter, car c'était une sorte de parapet pour rapprocher
encore plus les décisions des collectivités de base.
L'instance d'évaluation de la politique de la montagne, dans les
propositions qu'elle faisait, essayait de réhabiliter en quelque sorte
le PPDT.
Aujourd'hui, il faut le resituer dans le contexte de tous les outils qui ont
été mis en application par les lois récentes. Cela risque
de renforcer l'image d'une France qui sédimente.
M. Jacques Blanc -
Existe-t-il un rapport avec le SCOT (schéma de
cohérence territoriale) ?
M. Louis Blaise -
Le PPDT concerne le tourisme uniquement. Il est
difficile voire présomptueux d'imaginer qu'il y aura des SCOT partout.
Il peut également se poser le problème de l'échelle
d'appréhension des problèmes. Celle du PPDT est bonne. C'est par
exemple une partie de la haute-Tarentaise... Concernant le SCOT, nous n'avons
pas suffisamment de recul pour l'apprécier finement.
Les prescriptions particulières de massif ont été
abandonnées dans la loi montagne et réapparaissent avec la loi
SRU (solidarité et renouvellement urbain).
C'est tout de même une idée intéressante puisqu'il est
difficile d'imaginer une réglementation appliquée de
manière indifférenciée à tous les massifs
montagneux français.
Incontestablement, il nous semble que cette piste mérite d'être
approfondie, car elle semble prometteuse. Cela sera confirmé ou non par
les conditions d'élaboration des prescriptions particulières de
massif.
Si c'est une production purement technocratique et réglementaire, cela
échouera. Il faudrait une élaboration concertée de ces
prescriptions. Cela rejoint la question de la vocation du comité de
massif, instance qui doit jouer son rôle dans cette élaboration.
M. Alain Wauters -
Concernant la loi montagne, on peut regretter une
sorte de retrait par rapport à la directive, notamment sur le fait que
la directive nuançait les massifs entre eux, en termes d'altitude par
exemple. C'était une amorce intéressante pour développer
des pratiques différentes selon les massifs.
Les dispositions de la loi montagne sont les mêmes pour tous les massifs,
d'où sans doute une petite difficulté à surmonter.
D'autre part, les UTN n'intéressent que les opérations
touristiques. Or, aussi bien dans les gros pôles touristiques qui se sont
développés au cours des dernières décennies que
dans des secteurs plus diffus, on s'aperçoit que cela peut
intéresser des aménagements qui ne sont pas touristiques mais qui
permettent à la vie locale de fonctionner. On voit alors des
débordements paysagers, financiers et autres qui échappent
à la procédure.
Pour rejoindre les remarques sur le cadrage général de
développement, l'UTN qui cible le côté touristique, mais
fait l'impasse sur d'autres aspects qui peuvent être gênants,
devrait être encadrée par un dispositif à l'échelle
du territoire pertinent.
Une autre remarque concerne le périmètre de la montagne qui
rentre plutôt dans une logique agricole. Ce n'est pas un
périmètre qui répond à des considérations
urbanistiques. On cale donc des procédures qui ont leurs vertus et leurs
limites alors même que le périmètre de la montagne n'a pas
été conçu spécialement pour ça.
Mes collègues sont allés à Bruxelles où on
s'aperçoit bien qu'au niveau européen, il y a peut-être une
recherche d'harmonisation des critères qui permettrait de définir
ce qu'est véritablement la montagne.
M. Jacques Blanc -
Avez-vous pensé qu'ils cherchaient vraiment ?
M. Alain Wauters -
Je ne suis pas sûr qu'ils cherchent avec
vivacité.
M. Jacques Blanc -
Nous sommes allés aussi à Bruxelles.
Nous avons le sentiment qu'il n'y a pas pour l'instant de politique de la
montagne, mais que cela peut venir avec la notion de territoire à
handicap.
M. Alain Wauters -
Oui, c'est cela.
Cela soulève une autre remarque, qui intéresse nos
propositions : il nous faut les resituer par rapport aux grandes tendances
générales, qu'elles soient nationales ou internationales.
Une deuxième remarque de portée générale : nos
outils ont généralement été fabriqués pour
encadrer des grands développements de type urbain. Mais ils ne sont pas
forcément appropriés, au secteur rural, pour encourager des
choses modestes, mais qui localement ont leur importance et qui contribuent au
maintien de la vie, voire pour traiter le déclin par des reconversions,
la préservation du patrimoine.
De ce point de vue, il y a un sans doute un intérêt pour des
démarches de type contractuel et programmatique, comme les PPDT.
Peut-être irons-nous vers des dispositifs d'encouragement contractuels en
complément ou substitution de règles juridiques
d'application ? C'est un problème de philosophie de la pratique
administrative.
M. Gérard Bailly
- Avez-vous entendu dire qu'il fallait supprimer
la procédure UTN ?
M. Alain Wauters -
Non.
Il n'est pas impossible que pour la plupart des montagnards, le fait d'avoir
une loi à soi soit bien perçu, y compris avec ses contraintes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Un autre aspect de la procédure UTN
concerne les zones de littoral où s'entrecroisent loi montagne et loi
littoral. A partir des plans d'eau, artificiels ou naturels, les exigences pour
leur constitution sont telles que rien ne se fait.
Avez-vous ressenti des problèmes particuliers à ce niveau ?
M. Louis Blaise -
Là aussi, la nuance est nécessaire. A
définition administrative égale de l'eau correspondent des
réalités différentes selon la situation
géographique et la vie qui l'accompagne.
M. Jacques Blanc -
Sur le même espace, vous avez : des endroits
où il faut maîtriser la pression et où ont
été mises en place des procédures UTN d'envergure ; des
endroits vides d'habitation. Si l'on applique les mêmes règles,
cela ne peut pas fonctionner.
M. Gérard Bailly -
Je voudrais citer l'exemple du lac de Chanin,
cité lacustre et site archéologique à 480 mètres
d'altitude, rattaché à une commune à 650 mètres
d'altitude et donc sous le coup de la loi montagne. Nous voulions
aménager le bord de ce lac, mais nous avons été
bloqués du fait de la réglementation lac de montagne.
M. Alain Wauters -
Cela évoque encore la nécessité
du cadrage, PPDT, SCOT ou autre. S'il existait, il permettrait sans doute de
mieux traiter ces projets en satisfaisant aussi bien l'environnement que
l'économique. Les différents dossiers particuliers seraient ainsi
gérés plus facilement. Malheureusement, les projets arrivent
successivement et isolément.
Il existe des cas heureux où des schémas de cohérence
volontaires ont été réalisés. Mais pour
élaborer ces projets d'ensemble, on se heurte souvent à des
difficultés de toutes natures.
M. Jacques Blanc -
Il est plus facile de s'adapter lorsque les pressions
sont clairement visibles fortes et identifiées. Dans les cas plus
courants où elles le sont moins, il est important de s'adapter à
la réalité de leur propre pression dans leur domaine et
d'introduire de la souplesse.
M. Louis Blaise -
Je pense que ce qui manque, véritablement,
c'est la pédagogie à côté de tout l'arsenal
législatif et réglementaire. En effet, si effectivement on
prenait le temps de faire de la pédagogie, pour répondre à
des situations comme celles-ci, l'administratif ne prendrait pas autant le pas
sur l'intérêt public.
M. Jacques Blanc -
Il manque également des urbanistes-paysagistes
auxquels les communes puissent faire appel et que dans l'élaboration des
POS
M. Louis Blaise -
...des PLU (plans locaux d'urbanisme)...
M. Jacques Blanc -
... il y ait cette introduction de dimension.
M. Louis Blaise -
Les prescriptions particulières de massif
peuvent aider dans ce sens-là. Elles permettraient d'avoir une meilleure
compréhension des spécificités locales. Les textes le
permettent, il suffit de se saisir de l'outil et de le faire vivre.
M. Jacques Blanc -
Cela peut en effet faire évoluer les choses et
faire prendre en compte les différences qui séparent un plan
d'eau d'un autre, même si celui-ci est proche du premier. C'est là
que le comité de massif peut tempérer celui qui dans sa commune
souhaite entreprendre des travaux en dépit du bon sens.
Je crois que les élus et les populations sont sensibilisés
à la sauvegarde du paysage. En montagne, les erreurs pouvant être
désertifiantes, il est nécessaire que quelqu'un exerce un
rôle de conseil.
M. Bernard Rousseau -
Dans notre réflexion, nous voulions aussi
rechercher quelques analogies. Une de celles qui nous sont venues à
l'esprit est : massif / bassin. Il existe un comité de massif comme
un comité de bassin. Pourquoi les réflexions de gestion politique
des eaux ne pourraient pas fonctionner au niveau des massifs ?
M. Jacques Blanc -
Dans les comités de bassins, des taxes sont
prélevées et renvoyées par les agences de bassin. Dans les
comités de massif, il n'y a pas d'argent.
M. Bernard Rousseau -
Ce point-là nous est venu à l'esprit
évidemment, mais je crois que l'argent est utile pour mettre en oeuvre
une politique, sans être utile à une réflexion politique.
Le système qui se décline au niveau des bassins avec les SAJ et
autres pourrait se décliner dans l'idée des massifs, pour
transcender les limites communales.
M. Jacques Blanc -
Je crois que le besoin est d'avoir des approches
territoriales. Pendant trop longtemps, nous avons eu des règles
générales et avons oublié les réalités de
l'espace et du territoire. La politique de la montagne est d'amener la
capacité de maintien d'activité de vie et d'environnement.
M. Alain Wauters -
C'est vrai pour l'aspect environnemental et
territorial, mais si on se met du point de vue du touriste, cela va de soi
aussi. On sent que les esprits évoluent dans ce sens-là tout de
même.
M. Louis Blaise -
La procédure UTN, par définition
était faite sur des projets ponctuels. A l'époque, ils
étaient de grande dimension. Aujourd'hui, ce sont de petites
opérations. Souvent, c'est de la réhabilitation.
M. Jacques Blanc -
Faut-il une procédure UTN pour une
réhabilitation de station ?
M. Louis Blaise -
La réponse a été partiellement
apportée par l'augmentation du seuil dans ce cas particulier.
Partiellement car c'est un seuil financier.
M. Jacques Blanc -
Bien. Pouvez-vous nous dire un mot sur
l'intercommunalité ?
M. Alain Wauters -
Que dire de plus qui n'ait été dit
à propos des PPDT ou des prescriptions de massifs ? L'impression est que
l'on ne pourra pas appliquer toutes les dispositions sur tout le territoire
français. Selon les lieux, on peut imaginer qu'une charte sera
intéressante pour développer une dynamique locale, ou un SCOT qui
pourra être adapté à un domaine comme la Tarentaise. En
revanche, dans le Massif Central, on peut sans doute trouver d'autres
dispositifs plus légers.
L'essentiel est de pouvoir dépasser les périmètres
administratifs issus d'un passé plus ou moins lointain pour gérer
convenablement son territoire et répondre à
l'intérêt local et au touriste..
C'est une pétition de principe car nous n'avons pas encore assez de
recul.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous êtes vous penchés sur l'avenir
de la moyenne montagne et plus particulièrement quand elle est support
de stations de sports d'hiver, foyers de ski de fond...tout ce maillage de
petits sites de toutes sortes qui souffrent de différents facteurs comme
l'enneigement et la vétusté des installations.
Il y a une grande interrogation sur cette moyenne montagne, alors même
qu'elle avait pris le cap du développement touristique voici une
trentaine d'années, à l'époque de la rénovation
dite rurale où l'Etat incitait fortement à se lancer dans ces
affaires.
Aujourd'hui, les collectivités se sentent seules et appellent à
l'aide. C'est du moins notre ressenti. Le partagez-vous ?
M. Alain Wauters -
Nous avons constaté le déclin d'un
certain nombre de secteurs qui avaient pourtant eu du succès. Cela
renvoie à des éléments compliqués comme le tourisme
social, les classes de neige, le tout en relative désaffection. Cela
pose la question de la pluri-activité, car on ne peut faire vivre une
région sur une saison. Les investissements sont trop lourds. Ils n'ont
pas dû être perçus comme tels à l'époque
où ils ont été entrepris.
Cela pose également la question du conventionnement : le contrat
passé entre les opérateurs, s'ils existent, et la
collectivité.
M. Jean-Paul Amoudry -
Oui, c'est la loi montagne et la loi Sapin.
M. Alain Wauters -
La moyenne montagne est malheureusement le lieu
où se conjuguent énormément de difficultés
d'évolution de toutes natures que l'on maîtrise mal.
Que peut faire l'Etat dans ce cadre ? Le rapport que nous évoquions en
début de séance essayait de cerner au mieux les questions qui se
posaient pour voir dans quelle mesure on pouvait essayer d'y répondre.
Une des conclusions que nous avons pu avoir, il y a quelques années, est
que l'on ne pouvait plus, par exemple dans le domaine de l'hébergement,
se satisfaire d'un partage aussi net entre tourisme social et tourisme
commercial et qu'il fallait rechercher des formules qui combinaient les deux
pour faire vivre un système en toutes saisons. Etait aussi posée
la question du statut des actifs, de l'organisation des prestations sociales
pour les pluriactifs, des produits nouveaux, de l'évolution du temps de
loisir...
M. Jean-Paul Amoudry -
C'est un des gros problèmes de nos zones
à handicaps.
M. Alain Wauters -
C'est là où il faut investir en
matière grise et en projets pour constituer des bons dossiers à
présenter à l'Europe.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il faut que les solutions à venir puissent
s'appuyer sur une définition de l'attente de nos concitoyens
d'aujourd'hui et de demain et que ce soit assis sur une étude
économique forte. C'est là une expertise à apporter
à ces régions.
M. Bernard Rousseau -
Une des difficultés de la moyenne montagne
est qu'elle apparaît en creux ; c'est le territoire situé entre la
haute montagne et la plaine. Plus elle est proche de la haute montagne plus
elle proche de loisirs. Plus elle se rapproche de la plaine, plus elle est
orientée vers le tourisme de campagne. On ne peut pas là non plus
appliquer les mêmes recettes dans les deux cas. C'est une situation
délicate dans la mesure où la moyenne montagne n'est pas une
entité unique à qui on peut appliquer une recette unique.
Je ne suis pas sûr d'autre part qu'avoir qualifié ce domaine de
moyenne montagne n'ait pas été un handicap en soi.
M. Pierre Jarlier -
Il s'agit pourtant d'une zone qui dispose de
nombreux atouts uniques. La preuve est donnée de ce qu'il faut
décliner en fonction des massifs, du droit à
l'expérimentation et à une capacité de mise en oeuvre
décentralisée. C'est ce vers quoi nous allons aller.
M. Bernard Rousseau -
J'ai vu une étude qui essayait d'analyser
les cantons qui se situent dans cette moyenne montagne et d'en faire une
typologie. Celle-ci est très variée. Il y a des cantons proches
de zones urbaines et qui sont semi-industriels, d'autres typiquement ruraux et
d'autres semi-ruraux, semi-touristiques, constituant un ensemble tout à
fait hétérogène.
M. Gérard Bailly -
La politique des pays va-t-elle modifier cela
? Les pays aujourd'hui vont créer leur conseil de développement,
les comités de pilotage, les comités de développement, les
commissions se réunissent pour dynamiser un territoire, il va y avoir
une charte présentée au niveau local, ensuite aux structures,
ensuite aux conseils généraux, ensuite régionaux... Dans
ces pays, il va y avoir des projets de développement sur ces zones, et
c'est heureux.
N'allons-nous pas nous trouver en conflit lorsque nous voudrons faire adopter
ces projets qui émaneront d'un désir local fort et qui auront
connu pendant un temps l'aval des collectivités pour les financements
par rapport à des réglementations ?
M. Michel Moreigne
- Je cite un exemple de village dont une partie est
situé en zone de montagne, l'autre non. Quelles sont les
procédures qui pourront s'appliquer à la rénovation de cet
ensemble ?
M. Louis Blaise -
La procédure de pays va dans la bonne
direction. Cela aboutit, bien entendu, à une charte. Le jour où
il y aura un projet, il sera plus facile de le situer par rapport à un
cadrage général que cette charte apportera.
Cette charte renvoie ensuite à un système contractuel. En prenant
le cas de Natura 2000 qui correspond à une obligation communautaire. Le
territoire national fait l'objet actuellement de toute une série de
sites dits Natura 2000. Mais le choix qui a été fait par le
Gouvernement a privilégié une démarche contractuelle
plutôt que réglementaire.
M. Bernard Rousseau -
Sur le cas particulier que vous évoquiez
Monsieur le Sénateur concernant un aménagement pour partie en
zone de montagne, il est évident que nous ne nous sommes pas posé
la question en termes de critères de procédure UTN.
M. Michel Moreigne
- Quand vous allez sur le terrain, vous rencontrez
l'administration ou des élus ?
M. Bernard Rousseau -
C'est très variable selon les endroits. Les
gens choisissent le type de rencontre. Mais nous avons évité dans
un premier temps d'importuner les élus qui avaient sans doute d'autres
soucis à gérer.
M. Alain Wauters -
Concernant les politiques contractuelles et les
dispositions réglementaires, on observe parfois que des projets
abordés dans le cadre d'un pays ou d'un contrat de plan butent ensuite
sur la réglementation en vigueur. Au niveau des services de l'Etat, ces
connaissances devraient être développées en amont pour
éviter ces dysfonctionnements. C'est obligatoire dans le cadre des SCOT
ou des PLU. Cela implique aussi que tous les acteurs communiquent au plus
tôt leurs projets.
En outre, de plus en plus, tout cela se fait d'une manière transparente,
ce qui est positif, mais avec en contrepartie un développement du
recours au contentieux.
M. Louis Blaise -
Monsieur le Sénateur, avez-vous
été amené, dans le cadre de vos réflexions à
remettre en cause le périmètre montagne ?
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous avons évoqué cette question.
Mais il nous a été déconseillé de remettre en cause
les critères d'éligibilité. Mais la Commission se
réserve sa prise de position.
M. Bernard Rousseau -
Un dernier mot au sujet de Bruxelles. Il nous a
été dit que jusqu'en 2006, la Commission n'envisageait pas de
toucher à la politique qui est appliquée actuellement.
En revanche, ils sont en pleine phase de réflexion pour
l'après-2006. Il semble qu'il y ait à Bruxelles un courant
anti-zonage, préférant avoir recours à des critères
d'éligibilité, même imparfaits.
Pour ce qui concerne la France, le travail que vous faites peut être un
argument pour revendiquer votre exception.
L'arrivée de nouveaux espaces de montagne vient bouleverser leurs
repères.
M. Jean-Paul Amoudry -
Messieurs, je vous remercie et vous invite
à formaliser par écrit telle ou telle de vos positions si vous
souhaitez que notre rapport serve de résonance à vos propres
conclusions.
24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du génie rural des eaux et forêts de l'inspection générale de l'Environnement (19 juin 2002)
M.
Jacques Blanc, Président -
Je suis heureux de vous accueillir. Vous
savez quelle ambition nous a amenés, avec monsieur le Rapporteur, nos
collègues sénateurs et tous les élus de montagne, à
demander la mise en place d'une mission, dans le cadre de l'année
internationale des montagnes, pour faire le point et voir ce que nous pouvons
proposer pour faire avancer les choses. J'ai le sentiment que nous avons
peut-être une opportunité de ce côté puisque le
nouveau ministre de l'agriculture a quelques racines de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur -
Messieurs les ingénieurs
généraux, bienvenue au Sénat. Merci de votre
présence. J'ai besoin de vous dire, en quelques mots et pour
compléter les propos du président Blanc, que nous avons
commencé nos travaux d'information - selon le terme approprié ici
au Sénat - début avril et que nous les avons interrompus quelques
semaines, à la veille des élections présidentielles et
législatives, pour permettre aux uns et aux autres de faire leur devoir
sur le terrain. Nous allons à nouveau les interrompre en août.
Nous terminons nos auditions et nos visites de terrain fin juillet. Tout ceci
est mené assez diligemment car nous voulons synthétiser,
dès la fin août ou début septembre, ce rapport qui doit
être déposé début octobre. La raison en est que,
dans le cadre de cette année internationale des montagnes, nous voulons
boucler cette entreprise et surtout présenter des conclusions lors des
congrès et rencontres qui auront lieu en fin d'année. Vous savez
que nous avons plusieurs rendez-vous : celui de Bruxelles, de l'ANEM, etc.
Il est donc important que le Sénat manifeste de la diligence et de
l'efficacité dans ce domaine.
Partant de la loi de 1985, nous avons dessiné trois grandes
entrées à cette étude : une entrée
« aménagement », une entrée
« environnement » et une entrée
« économie », sans hiérarchie quelconque bien
entendu. Nous en sommes, à ce jour, à la moitié de nos
auditions. Nous avons visité les Alpes et le Massif central. Il nous
reste à visiter le Jura, les Vosges et les Pyrénées. Des
problèmes de calendrier nous empêcheront de nous rendre en Corse
et à la Réunion. Dans la mesure du possible, notre groupe
montagne complètera par des visites dans ces îles les travaux
qu'il a menés cette année.
Nous vous avons adressé un questionnaire extrêmement bref. Vous
êtes les représentants, au plus haut niveau, de l'environnement.
Nous vous avons donc interrogés sur les parcs naturels et la politique
des risques naturels en montagne. Cette liste n'est pas exhaustive. Nous
pourrons intégrer vos messages dans votre rapport.
M. Philippe Huet -
Merci monsieur le Président, merci monsieur le
Rapporteur. Je vous propose de parler des risques. Mon collègue Bernard
Glass parlera du patrimoine naturel. Ensuite nous pourrons répondre
à vos questions.
Au préalable, je voudrais dire que nous donnons le point de vue de
l'Inspection générale de l'Environnement où nous
travaillons tous les deux. En ce qui concerne les risques, je crois que vous
avez entendu Yves Cassayre, qui est le délégué national
restauration des terrains de montagne. Je ne pense pas que vous ayez entendu
Pascal Douard, qui est le délégué adjoint aux risques
naturels majeurs à la Direction de la Prévention et des Risques.
A vous de voir si cela peut être utile.
L'éclairage que je vais essayer de donner résulte des missions de
retour d'expérience que nous faisons depuis 1995 sur les catastrophes et
les accidents dans la montagne et ailleurs. Nous essayons d'en tirer des
enseignements à portée générale. Il nous
paraît particulièrement vrai, pour ce qui concerne le territoire
montagnard, de dire que l'aménagement et le développement durable
sont la rencontre et la prise en compte de plusieurs aspects : les risques
naturels, la gestion des ressources naturelles et les activités
socio-économiques.
Les événements de l'hiver 1998-1999 ont touché l'ensemble
de l'arc alpin. De même, nos voisins ont tous été
touchés par les catastrophes, malgré les systèmes de
prévention très différents dont ils disposent. Il y a eu
plusieurs dizaines de morts dans l'arc alpin. De notre côté, nous
avons vécu l'accident de Montroc à Chamonix, pour lequel nous
avons été missionnés, avec des collègues des Ponts.
Nous avons établi un rapport, qui pourra vous être fourni, avec
des recommandations. Je vous signale au passage que la Direction de la
Prévention des Risques nous a confirmé que les recommandations
qui y sont consignées constituent bien sa ligne de conduite sur la prise
en compte des risques en montagne. Les mouvements de terrain ont aussi
posé problème. Monsieur Blanc connaît bien l'affaire de
Barjac, et plus généralement le problème des chutes de
bloc dans les vallées de ces régions. En plaine, la saison
1994-1995 a été la plus dévastatrice, avec les grandes
inondations du Rhône et de la Meuse. Mais en 1999-2001 aussi, les
inondations de l'Aude, de la Somme et de la Bretagne ont causé des
catastrophes. L'Aude est concernée au premier chef par vos travaux
puisque les catastrophes ont touché des régions montagnardes.
Nous pourrions d'ailleurs comparer les enseignements des catastrophes en
montagne et sur le reste du territoire.
La caractéristique de la politique française de prévention
des risques naturels est sa centralisation. Nous sommes une exception en
Europe. Chez nos voisins, les autorités cantonales et régionales
sont responsables de la prise en compte des risques. La loi française
est une exception. A ce sujet, vous trouverez, dans le rapport de Montroc, un
tableau comparant les régimes institutionnels de prise en compte des
risques dans les pays de l'arc alpin. Pour nous c'est une vraie question. Ceci
étant dit, le dispositif législatif français paraît
assez complet. Ce sont les trois lois que vous connaissez : loi
d'indemnisation de 1982, loi d'information de 1987 et loi d'aménagement
du territoire, dite loi Barnier, de 1995, qui crée les plans de
prévention des risques. Des lois annexes, dont la loi montagne et son
article 78, prescrivent que les risques naturels doivent être pris en
compte dans les aménagements. Cette rédaction est très
générale et peut-être faudrait-il prévoir des
décrets d'application qui permettraient aux services de l'Etat et des
collectivités d'être mieux calés dans leurs expertises. Il
y a aussi la loi de démocratie de proximité, qui contient,
curieusement, un article sur les effondrements, et la loi
« solidarité et renouvellement urbain » (SRU), qui
recommande aussi la prise en compte des risques.
Nous pouvons retenir ceci de la période 1998-2002 : il y a eu une
forte activité en France sur la politique de prévention des
risques. Le Parlement, à travers votre collègue M. Dauge, a
conduit une mission sur les problèmes de gestion des inondations qui a
eu un certain retentissement dans l'administration. Votre collègue
M. Galley a présidé une commission d'enquête sur les
inondations. Il y a aussi eu une commission du Sénat sur la Somme. Des
recommandations ont vu le jour, traduites dans la petite loi sur l'eau
concernant la prévention des inondations, y compris donc dans les zones
de montagne. La loi risques technologiques et la loi modernisation de la
sécurité civile, qui concernent aussi les risques, n'ont pas
encore été débattues. Il existe donc une forte
activité législative et pré-législative dans ces
domaines.
Les administrations de l'Etat ont fait beaucoup de choses entre 1998 et 2002.
Plusieurs groupes de concertation et d'expertise, notamment, ont
été mis en place. La commission interministérielle pour la
prévention des risques naturels majeurs a été
créée par décret. Des élus y participent et elle
dispose d'un conseil d'orientation. C'est sans doute la plus importante. Il
faut s'assurer que les élus de montagne y participent effectivement.
Une instance de conseil et d'appui technique a aussi été
créée. Elle donne aux préfets qui le demandent des avis
sur les cas difficiles. Nous en avons déjà donné deux
concernant les avalanches de Saint-Hilaire-du-Touvet, en Isère, et les
chutes de blocs de Barjac. Plus d'une dizaine de rapports et de retours
d'expérience ont aussi été élaborés.
Parallèlement, les budgets ont été augmentés. Les
budgets d'étude des plans de prévention des risques (PPR) ont
été triplés au moins en quatre ans. Les budgets de travaux
ont été significativement augmentés suite à la
décision de vos assemblées. Un effort d'information a
également été consenti. Le nombre de documents communaux
simplifiés - les documents élaborés par les préfets
portés à la connaissance des maires - a été
multiplié par trois en quatre ans. Nous pourrions discuter de leur
impact. Quant à la politique d'indemnisation, 3 000 communes par an sont
déclarées CATNAT. Les indemnisations varient d'une année
à l'autre. Elles étaient de 250 millions d'euros il y a quatre
ans, elles sont de 400 millions en 2000. Plusieurs programmes de recherche
ont été initiés par l'Etat, en particulier sur les risques
naturels. Enfin, suite aux catastrophes, des programmes de travaux
significatifs ont été déclenchés, même s'ils
concernent la plaine bien plus que la montagne. L'Aude, la Somme et la Bretagne
ont reçu 228,700 millions d'euros mobilisés par l'Etat et les
collectivités. Après les événements de Montroc, un
programme important de remise à niveau et de restauration d'ouvrages de
protection et du bâti aurait pu être envisagé, mais l'accent
a été mis sur la rénovation des techniques de cartographie
du risque.
Les collectivités ont aussi déployé une forte
activité dans ce domaine à travers les contrats de plan. Nous
constatons aussi l'émergence du secteur associatif en faveur des
victimes et des sinistrés récemment organisé en
association nationale. Suite à la Décennie internationale de
prévention des catastrophes naturelles, l'Association française
de prévention des catastrophes naturelles a été
créée et elle est active. Elle est présidée par
votre collègue M. Dauge et compte plusieurs sénateurs dans ses
rangs. De façon similaire, le trentième anniversaire de
l'association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches
(ANENA) a été l'occasion d'un bilan de 30 ans de
prévention des risques en montagne.
Depuis peu, nous constatons aussi un réveil des assureurs et des
professionnels. Sur le modèle allemand, les assureurs mènent des
travaux intéressants sur les possibilités de rendre les travaux
de cartographie des risques directement utilisables par leur profession.
Je souhaiterais donner quelques axes de réflexion. Le premier concerne
l'équilibre des responsabilités entre l'Etat, les
collectivités et les citoyens. En France, suite à la loi Barnier
de 1995, l'Etat a la responsabilité première de dire le risque.
C'est une exception. Il faudrait peut-être réfléchir
à un équilibre mieux réparti entre l'Etat et les
collectivités. Votre collègue, M. Dauge, avait proposé
de mettre en place des commissions de concertation sur les PPR. L'idée
est que le risque concerne d'abord les personnes qui habitent sur place. Pour
ma part, je suis convaincu qu'elles sont les premières à devoir
être interrogées. L'Etat décide, certes, mais il faut
d'abord qu'ait lieu ce débat local sur le risque, qui fixe le niveau de
risque acceptable. A mon sens, ce n'est pas assez bien organisé dans
notre pays. Les préfets et l'Etat sont amenés à dire qu'il
faut retenir l'événement centennal, ou le plus grand
événement historique, alors qu'il n'y a pas de raison solide et
objective aujourd'hui pour étayer ce raisonnement. Tout dépend du
type de risque et d'enjeu auquel nous avons affaire. Tout dépend aussi
de la culture de risque des populations locales. L'appréciation du
risque dépend fortement d'une culture locale. De là doit
découler une forte responsabilité locale. Je crois que nous
n'avons pas mené une réflexion assez profonde dans ce domaine.
L'exemple de nos voisins de l'arc alpin pourrait, dans ce cadre, nous
être utile. Les citoyens pourraient aussi être mieux
informés. Le système réglementaire de la loi de 1987 est
efficace quantitativement mais son impact local ne l'est pas. La plupart du
temps, lorsque nous demandons un document communal simplifié au maire
pour un retour d'expérience, le maire avoue ne pas savoir ce que c'est
ou le confond avec le PPR. Toute une pédagogie est à faire et la
DPPR en est consciente.
Deuxièmement, la chaîne de prévention n'est pas
homogène. La chaîne de prévention est composée des
maillons suivants : connaissance du risque et de l'enjeu, gestion de
l'occupation des sols et des ouvrages de protection, technique constructive,
gestion des milieux, surveillance et alerte, mise en place d'un plan de
secours, y compris conditions d'évacuation. Certains maillons sont
très bien étudiés mais d'autres le sont moins. Des dangers
existent donc. Par exemple, il existe aujourd'hui en France un déficit
important en termes de connaissance de la vulnérabilité. Qui
aujourd'hui sait comment bien construire en zone inondable ou en zone
avalancheuse ? Il faudrait aussi mieux connaître l'état des
ouvrages de protection, dont la moitié n'appartiennent pas à
l'Etat. Ils demandent un entretien annuel. Qui en est responsable ? Quel
budget est prévu ?
Finalement, en termes de politique d'objectifs, je dirai ceci. La loi organique
que vous avez votée pour la présentation du budget de l'Etat
à partir de 2005 oblige à présenter les actions publiques
en termes d'objectifs. Tous les ministres ont voulu que la France soit couverte
par des plans de prévention des risques. L'objectif quantitatif
ambitieux qui avait été fixé - 5 000 PPR en 2005 - sera
respecté. En effet, nous en sommes déjà à 3 200
alors que nous en étions à moins de la moitié il y a
quatre ans.
Au-delà de ces objectifs quantitatifs, il nous paraît important de
revenir aux questions qualitatives, car les PPR ne règlent pas la
question de l'existant, de ces constructions et infrastructures mal
protégées ou mal conçues vis-à-vis du risque. Il
faudrait peut-être lancer une action de remise aux normes. Ca
coûtera très cher, mais cela peut être fait progressivement.
Troisièmement, il faut prendre en compte les spécificités
territoriales. En montagne par exemple, il faut prendre en compte les
surcoûts. Un PPR coûte en moyenne entre 15.250 et 23.000 euros. Or,
dans le Val d'Aoste, cela coûte environ 152.000 euros. Pourquoi ? La
raison est que nos voisins font beaucoup plus d'études que nous. Ils se
sont créé des obligations et ont passé des lois
régionales. Le budget de la Suisse pour la prévention des
risques, comme celui du Val d'Aoste, est bien supérieur au nôtre.
Nous n'avons pas encore tout à fait admis le surcoût de la
montagne.
Enfin, pour terminer, voici sans ordre, quelques remarques.
Nous devons aussi procéder à des simulations montrant ce que
pourrait causer un événement extrême en montagne, et
notamment en montagne enneigée. En France nous redoutons trois grands
types de problèmes : un séisme aux Antilles, une grande
inondation sur les bassins de la Loire, du Rhône ou de la Garonne, ou une
longue période de grand mauvais temps en montagne en période
touristique. Il faudrait au moins que les citoyens, les collectivités et
l'Etat mettent en place un exercice complet de sécurité civile.
La prévision météorologique devrait se développer
beaucoup plus en montagne. Des démarches ont commencé avec
Météo-France mais il reste du chemin à parcourir. Enfin,
il faut maintenir une expertise publique et privée spécifique aux
risques montagnards. Nous avons la chance d'avoir un service RTM reconnu. Le
problème du renouvellement et de l'extension des compétences
techniques se pose à la fois dans les collectivités et dans les
bureaux d'études privés. Ces compétences sont difficiles
à trouver.
M. Bernard Glass -
Mon propos se limitera au cas des parcs nationaux qui
constituent l'outil privilégié de l'Etat pour aborder en montagne
les problèmes liés au patrimoine naturel. L'Inspection
générale de l'Environnement, après une série
d'audits menés par le Conseil général du génie
rural des eaux et fôrets (GREF) et le Conseil général des
Ponts, se mobilise pour effectuer des inspections périodiques des parcs
nationaux, afin d'évaluer la mise en oeuvre, établissement par
établissement, des objectifs assignés aux parcs. Des outils de
préservation sont nécessaires pour conserver un patrimoine
naturel particulièrement riche, notamment en montagne, en termes
d'habitats, d'espèces végétales et animales. En ce qui
concerne la politique des parcs nationaux, il faut en rappeler d'abord les
fondements. Deuxièmement, je ferai un état des lieux, pour
montrer ce qui caractérise les parcs nationaux dans le patrimoine
montagnard français. Troisièmement, je donnerai une vision plus
critique du dispositif. Enfin, nous verrons quelles évolutions du
système sont envisageables.
Les parcs nationaux existent depuis une quarantaine d'années. Ils
répondent à l'impulsion donnée par le gouvernement De
Gaulle, qui est à l'origine de la loi de 1960 les instaurant. Celle-ci
est un monument législatif qui a le mérite de la souplesse et de
la simplicité. En effet, elle pose comme objectif prioritaire - suivant
le modèle états-unien dont le premier parc national, Yellowstone,
voit le jour en 1872 - de préserver le patrimoine naturel, et de le
soustraire, dans la mesure du possible, aux interventions qui peuvent le
dégrader, qu'elles soient naturelles ou anthropiques (sous l'effet de
l'action humaine). L'organisme de gestion du parc peut être un
établissement public. La loi pose aussi l'objectif du
développement en périphérie et envisage donc la
création de zones périphériques. Dans cette zone, un
ensemble de réalisations économiques, culturelles et sociales
peut conforter l'objectif de protection assigné à la zone
centrale.
Il faut se souvenir que le ministère de l'agriculture a
hérité de l'élaboration de la loi après des
arbitrages qui l'opposaient au ministère de la construction et au
ministère de la culture. C'est un élément important pour
comprendre l'état des lieux. Par la suite, deux ministères,
l'agriculture et la construction ont été chargés de mettre
oeuvre une politique concertée de développement des zones
périphériques. M. Pisani, en 1965, après sa réforme
du ministère de l'agriculture, a été le ministre de
l'équipement qui a intégré la construction à
l'équipement. C'est pourquoi la prise en compte des objectifs de
développement est aujourd'hui moindre dans la zone
périphérique.
La mise en oeuvre de cette loi a fait l'objet du décret de 1961 qui
porte règlement d'administration publique et précise que
l'établissement public gestionnaire d'un parc national est à
caractère national et administratif. Tous les parcs créés
à partir de ce RAP répondent à cette organisation
juridique. La mise en oeuvre a été progressive. Aucun parc
national ne s'est créé dans l'euphorie. Il y a toujours eu des
conflits révélés par les enquêtes publiques. En
toile de fond, la forte identité des sociétés montagnardes
- qui ont toujours vu d'un mauvais oeil l'intrusion de l'Etat dans la vie
locale - a été un facteur d'opposition. En effet, les montagnards
considéraient qu'ils avaient façonné le patrimoine naturel
dont ils sont légitimement les seuls dépositaires. Les
intérêts des chasseurs étaient aussi très puissants
dans tous les parcs nationaux de montagne.
Des ajustements juridiques sont intervenus. Il faut signaler la prise de
position du premier ministre M. Barre en 1979. Il a voulu montrer, à
travers une circulaire, l'attachement de l'Etat à deux outils portant le
nom de parc naturel : parcs nationaux et parcs régionaux. La
création de ces derniers avait été stimulée
dès 1967 pour montrer qu'il pouvait exister une alternative dans une
démarche de protection et de développement, en essayant
d'être au plus près des préoccupations locales. Leur
ambition était de rapprocher la ville de la campagne. Cette
volonté de développer des solutions alternatives a donc
existé dès 1967. Dans son prolongement, la loi de 1985 fait
explicitement allusion au rôle que les parcs naturels nationaux et
régionaux peuvent assurer au côté des collectivités
territoriales en vue du double objectif de préservation et de
développement.
L'état des lieux est celui-ci. Sur les sept parcs nationaux existants,
six intéressent le patrimoine montagnard, y compris celui de la
Guadeloupe, le dernier créé. Sur les 40 parcs régionaux,
16 intéressent le patrimoine montagnard français. Je rappelle que
les parcs nationaux sont un des 36 outils qui interviennent dans la protection
du patrimoine naturel en France. D'autres outils existent qui ont des
fondements juridiques plus ou moins solides, puisque la position du
Ministère aujourd'hui est de privilégier le contractuel par
rapport au réglementaire. Le démarche Natura 2000 avec son
réseau européen en est un exemple.
Les six parcs nationaux de montagne ont été créés
entre 1963 et 1989. La création d'un parc national s'inscrit dans la
durée puisqu'il prend entre quatre et dix ans. Il y a donc eu six
réussites mais il y aussi eu trois échecs : l'Ariège,
le Mont-Blanc et les Pyrénées Orientales. Sur les six parcs
existants, les zones centrales fortement préservées
représentent moins de 1 % du territoire national (zone
périphérique : moins de 2 %) ou moins de 4 % du
territoire montagnard français (zone périphérique :
moins de 8 %). C'est donc relativement modeste. La population
concernée est de moins de 200 000 habitants, soit 0,4 %
de la population totale. Sur les six parcs nationaux, trois sont
entièrement englobés dans le territoire français, tandis
que trois sont frontaliers. Pour ces derniers, la zone
périphérique a donc une signification moindre, puisque
tributaires de ce qui se passe de l'autre côté de la
frontière. Des démarches de jumelage et de préservation
concertée y remédient.
Les effectifs budgétaires en 2002 sont de 375 agents titularisés.
Ils viennent d'être regroupés avec d'autres personnels de la
garderie : Conseil supérieur de la Pêche et Office national
de la Chasse et de la Faune sauvage. Le budget global est de 30 millions
d'euros - soit environ 200 millions de francs - pour le fonctionnement, et de 9
millions d'euros - soit 60 millions de francs - pour l'investissement. Environ
40 millions d'euros sont donc attribués. Cela représente à
peine trois kilomètres d'autoroute en terrain difficile. C'est un ordre
de grandeur utile pour situer l'incidence budgétaire de la politique des
parcs nationaux de montagne. Cinq présidents de parcs de montagne sont
des élus locaux.
En toile de fond, après la circulaire Barre et la loi montagne, des
réflexions ont été conduites par certains hommes
politiques. M. Pisani a produit, en 1983, un rapport sur le réseau des
espaces naturels français. Il avait conclu à
l'intérêt de fédérer les politiques résultant
des nombreux outils de protection et de gestion existants. Sur les 36 outils
existants, une dizaine seulement ont un réel impact territorial. Il
avait donc préconisé, au moment de la décentralisation, la
mise en réseau de ces outils pour déterminer ce qui relève
du national et de l'international, dont les parcs nationaux, en respectant le
contexte de la décentralisation. Il a donc préconisé un
institut national du patrimoine national qui fédère tout ce qui
est institutionnalisé pour protéger et gérer l'espace au
nom de l'Etat. Une réflexion d'économie d'échelle devrait
être menée pour voir si nous ne pouvons pas mieux valoriser les
activités des établissements publics qui convergent sur le
patrimoine naturel. C'est d'autant plus nécessaire que certaines
organisations ou institutions risquent de connaître des problèmes
d'existence suite à une diminution des recettes : ceux de la
chasse, de la pêche, des forêts. Les parcs nationaux font donc
partie de cette famille d'établissements publics s'intéressant au
patrimoine naturel français.
Ma vision plus critique est fondée sur les cinq audits
réalisés par le Conseil général des Ponts et le
Conseil général des Eaux et Forêts. Le seul parc qui n'a
pas été audité est celui des Pyrénées. Celui
de la Guadeloupe est en cours d'audit.
Il y a trois objectifs, dont un est assigné par la loi et deux
relèvent de l'exposé des motifs : la préservation, le
développement et l'aménagement du territoire. L'objectif
prioritaire, assigné par la loi, est la préservation du
patrimoine naturel. L'esprit de la loi concerne l'ouverture au public,
accompagné d'une pédagogie appropriée, et le
développement durable en zone périphérique. Toutefois, les
textes de loi ne sont pas assez explicites pour que nous puissions parler d'une
politique concertée de préservation, de développement et
d'aménagement du territoire.
Sur ces trois objectifs, le bilan est le suivant. Les parcs nationaux sont
performants dans la protection. Les chasseurs partagent désormais ce
point de vue après avoir campé sur une position critique. Ils
considèrent par exemple que la protection de la faune chassable se
traduit, depuis la création des parcs nationaux, par des tableaux de
chasse plus intéressants en périphérie. L'exception
à ce bilan positif de l'effort de protection est la disparition de
l'ours des Pyrénées, dont la population est trop faible pour
qu'elle puisse être sauvée. Les parcs de montagne ont accueilli,
après leur ouverture au public, entre huit et dix millions de visiteurs.
C'est un chiffre important. Les sondages partiels montrent des degrés de
satisfaction variables selon les établissements. La contribution au
développement local, de même, est variable.
Globalement, les retombées économiques constituées au
niveau d'un parc national ne sont pas toujours évaluées. Le parc
national des Ecrins reste la référence. En tant qu'élu
local et président de la conférence des présidents de
parcs nationaux, Patrick Ollier a montré le rôle que pouvait avoir
cet établissement public. Parmi les points négatifs, il
apparaît que le portage politique des parcs nationaux n'est pas à
la hauteur de ce qu'il pourrait être. L'histoire spécifique et le
contexte local de chaque parc national ont abouti à des portages plus ou
moins marqués. Le système des zones périphériques
est encore faible car l'articulation de la politique zone centrale / zone
périphérique est souvent insuffisante. Par ailleurs, il reste des
difficultés dans l'évaluation des performances des
établissements publics dans ce domaine. Cela relève d'un
partenariat. Nous constatons une évolution dans la reconnaissance locale
que l'image nationale et internationale des parcs nationaux est payante. Les
parcs nationaux français entrent dans la famille des parcs nationaux de
la planète à travers une labellisation internationale dont
l'union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources
(UICN) est responsable. Ceci constitue un élément prioritaire
pour le futur des parcs nationaux français. Il apparaît aussi de
plus en plus nécessaire que les textes fondateurs soient
révisés, actualisés en partie, en particulier pour
garantir la mise en oeuvre d'une politique de développement en zone
périphérique. Monsieur Ollier avait demandé une
refondation de la politique des parcs nationaux. Cette démarche est
engagée mais elle suppose un pilotage politique élargi à
l'ensemble des outils de préservation des espaces naturels.
M. Jacques Blanc -
Je me permets de dire que lorsqu'un parc se permet de
poser un recours contre un permis de construire, alors que ce dernier a
été accordé par le préfet et soutenu par tous les
élus, au sujet d'un patrimoine qui a été abandonné
et ensuite racheté pour le faire vivre, nous en avons assez de le
défendre. Ces comportements font qu'au lieu de faire adhérer les
gens à une défense du patrimoine, cela devient insupportable.
M. Jean-Paul Amoudry
-
J'ai relevé un certain nombre de
points. J'aimerais que nous puissions échanger nos point de vues sur la
question de l'exception française et sur cette politique
centralisée des risques. Si d'aventure vous aviez des observations ou
disposiez d'une étude de droit comparé, nous pourrions
l'étudier et faire des observations afin de mieux connaître ce qui
se fait à l'extérieur. Nous avons compris que vous êtes
favorable à une évolution ou à un rapprochement de la
décision et de l'évaluation, et à un équilibre
mieux garanti entre l'Etat, les collectivités et la population locale.
M. Philippe Huet
-
La direction des risques est peut-être
plus jacobine que les fonctionnaires de l'inspection que nous sommes. Nous ne
ratons pas une occasion de dire ce que je vous ai dit. Nous l'avons
écrit dans le rapport de Montroc et dans d'autres rapports qui nous ont
été commandés.
Sur le point précis des risques naturels, il existe des problèmes
de responsabilité pénale. Le jeu avec les élus est
complexe. Dans la mesure où les élus assurent la
responsabilité des plans d'occupation des sols, n'est-il pas possible
que les responsabilités soient mieux partagées en termes de
servitude attachée à ces plans ? 77 préfets ont
été mis au « tourniquet » depuis 1982 sur ce
type de sujet entre autres. Cinq seulement ont été
condamnés. C'est quand même très désagréable
pour tout le monde. De même, des ingénieurs d'Etat ont eu des
comptes à rendre à la justice. Cela fait du bruit dans la
corporation. Je pense qu'un travail commun des élus et des
administrations doit être fait. Je suis convaincu qu'il faut un esprit
nouveau. Une douzaine de parlementaires, députés-maires ou
sénateurs-maires, ont participé à la commission de votre
collègue M. Dauge. Ils ont souvent dit qu'ils ne signeraient jamais tout
seuls. Or, actuellement, c'est nous qui signons tout seuls. Une cosignature
serait déjà un progrès. Dans tous les cas, il faudrait que
notre signature soit précédée d'un débat où
chacun est responsable de ce qu'il a dit, comme dans vos commissions, où
c'est enregistré. Il faudrait quelque chose de plus formalisé qui
responsabilise les participants.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez compris le contexte de notre mission.
Nous n'allons pas régler ce problème dans notre rapport. Nous
allons le signaler, quitte à reprendre le fil de nos discussions dans le
cadre de notre groupe montagne au Sénat. C'est un travail qui demande un
effort de longue haleine. Je le signale comme un des objectifs pour
l'après octobre prochain. Comme Jacques Blanc vient de le dire, c'est un
problème de culture administrative.
Dans ce même esprit, je voudrais pointer deux ou trois autres questions.
Vous avez parlé de la gestion de l'entretien des ouvrages de protection
en montagne et du fait qu'après Montroc, rien n'avait été
concrètement entrepris en matière de travaux. Est-ce qu'il est
possible de connaître l'état de ces ouvrages, qui
mériteraient que nous nous y intéresserions, afin que nous
puissions vérifier de façon plus rigoureuse la qualité de
la protection qu'ils sont censés assurer ?
Deuxièmement, vous avez abordé le sujet de l'information et de la
responsabilisation. Vous savez que la loi montagne a lancé l'idée
d'une responsabilisation par l'argent et que la loi démocratie de
proximité, sous l'impulsion de notre collègue Jean Faure, a
repris l'idée d'une responsabilisation par le remboursement en tout ou
partie des frais d'intervention, et d'une nécessaire information de
cette responsabilité. Est-ce que vous pensez qu'il serait opportun et
utile de joindre les deux ? Une meilleure information sur les risques ne
passe-t-elle pas par une meilleure information par l'argent ? C'est
peut-être un peu trivial et un peu bas mais c'est ce qui attire
l'attention de nos concitoyens.
Enfin, au sujet de l'existant soumis au risque, est-ce que vous pourriez nous
donner quelques exemples et nous dire si un travail de recherche
préalable serait nécessaire ? Cela nous permettrait d'y voir
plus clair et d'apporter des solutions. M. Glass, vous avez parlé de
36 outils de protection. J'aimerais que vous nous précisiez si ce
sont des outils juridiques ou si ce sont des organismes, des institutions ou
des associations qui participent à la protection. Est-ce qu'il ne serait
pas possible de simplifier l'ensemble de ces outils, d'aller vers quelque chose
de plus lisible et de plus explicable pour les acteurs du terrain que sont les
chasseurs, les agriculteurs, les artisans et les élus ?
M. Jean Boyer -
En ce qui concerne les inondations, la Haute-Loire est
un département qui connaît malheureusement ces problèmes.
Il y a eu neuf morts en 1981. Aujourd'hui, nous nous demandons si les
priorités environnementales ne priment pas sur la mise en place
d'ouvrages de sécurité. C'est tout un problème. Ce qui se
fait en amont bénéficie à l'aval. Je pense qu'il y a un
troisième décideur, à part l'Etat et l'élu. Ce
n'est pas le pouvoir de la rue, mais il y a un peu de ça. Qu'en
pensez-vous et comment pouvons-nous modifier cet état d'esprit ?
M. Philippe Huet -
Chacun connaît le drame de Brives-Charensac.
Certains souhaitent un barrage pour contrôler la rivière tandis
que les autres souhaitent laisser la rivière vivre sa vie en
évitant de se mettre sur son passage. Tout d'abord, je pense qu'il
n'existe aucun exemple montrant qu'il est possible de maîtriser
complètement les phénomènes par l'installation d'un
barrage. Regardez Serre-Ponçon. Nous travaillons sur la Durance avec EDF
notamment. Tout le monde pensait que nous allions assister à la fin de
la Durance dévastatrice. C'était en 1955. Pendant un
demi-siècle, nous pensions avoir gagné. Or en 1994, une crue a
fait des dégâts tout à fait considérables.
Le barrage n'est pas en mesure de contrôler des crues extrêmes. Il
domine les crues moyennes. L'effet pervers est que nous oublions le danger.
C'est vrai partout, y compris sur les barrages de la région parisienne.
Deuxièmement, cela relève du débat public. Si vous ne
voulez pas d'ouvrages de protection, ou si vous voulez vous installer en zone
inondable, il faut vous préparer, le jour où une catastrophe
arrive, à en payer le prix. Ça doit être un débat
public : nous prenons le risque collectivement et de façon
consciente. Auparavant, les ingénieurs parlaient de crue centennale
parce qu'on ne vivait pas longtemps et que l'on n'avait pas une grande chance
de la revoir. Mais aujourd'hui il est possible d'en voir deux ou trois en une
vie. Un débat public doit éclairer l'opinion.
Je voudrais faire une remarque sur un autre sujet : par le jeu des
concessions, EDF est devenue de fait quasi propriétaire de
rivières de montagne. Aujourd'hui où les enjeux de
société évoluent, il y a sans doute d'autres
impératifs que l'énergie à considérer.
Votre mission pourrait-elle aborder la question ?
M. Jacques Blanc -
Nous vous remercions.
25. Audition de Mme Marie Guittard , adjointe au directeur des politiques économiques et internationales, chef de la production et des marchés au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (19 juin 2002)
M.
Jacques Blanc -
Nous accueillons donc Madame Guittard, que nous sommes
heureux de retrouver. La montagne a besoin pour vivre de produits reconnus et
de qualité, et d'agriculteurs authentiques. Monsieur le Rapporteur, que
souhaitiez-vous préciser ?
M. Jean-Paul Amoudry -
Je voudrais simplement souhaiter la bienvenue
à nos invitées. Vous avez là effectivement une grille de
questions que nous vous avons adressée pour vous permettre de structurer
votre propos et les réponses que nous attendons de vous.
Mme Marie Guittard -
Merci monsieur le Président, merci monsieur
le Rapporteur, merci messieurs les sénateurs, de nous avoir
conviés à cette audition. Effectivement, nous avons reçu
une grille de questions.
Vous souhaitiez avoir un éclairage sur le droit applicable au terme
montagne et un bilan de l'application de la réglementation en vigueur.
Actuellement, le décret du 15 décembre 2000, pris en application
de la LOA (loi d'orientation agricole de juillet 1999) précise les
conditions d'utilisation du terme montagne. Ce décret est
l'aboutissement d'un long processus qui débute avec la loi montagne de
1985 et se poursuit avec le décret en application, qui a
été remis en cause par un arrêt de la Cour de Justice des
Communautés européennes en mai 1997. En effet, ce décret
prévoyait un dispositif d'autorisation pour les seuls produits
fabriqués sur le territoire national français et issus de
matières premières françaises. Au nom de la libre
circulation des produits, la Cour de Justice nous a demandé de modifier
les conditions d'utilisation du terme montagne en France. Nous avons donc
utilisé l'occasion de la LOA en 1999 pour que soit
précisées les conditions d'utilisation de la dénomination
montagne. Au terme d'une période où nous avons consulté
les professionnels et la commission du projet de décret, nous avons
abouti à un décret en décembre 2000 qui a reçu un
avis favorable de la commission, mais un avis mitigé de certaines
composantes professionnelles. En effet, par rapport à ce qu'ils auraient
souhaité, la vigilance de la commission sur notre projet était
telle que nous ne pouvions pas appliquer un dispositif d'autorisation pour des
produits de zones de montagne d'autres pays de l'Union européenne. Nous
avons été contraints de limiter notre dispositif aux produits
élaborés en France avec une matière première venant
de France ou d'ailleurs. Les professionnels, et notamment les producteurs de
porc de montagne, ont craint que soit galvaudé le terme montagne et
qu'arrivent des matières premières d'autres pays qui ne
correspondent pas à l'idée que se faisaient ces producteurs d'un
produit de montagne.
Cette difficulté n'est pas la seule. Le positionnement des produits de
montagne par rapport à notre dispositif de signes officiels de
qualité pose aussi problème. Nous avons des signes de
qualité qui traduisent des caractéristiques qualitatives des
produits. C'est le cas de l'AOC, qui est un produit qui répond à
un cahier des charges, à une localisation de la production, à un
savoir-faire des producteurs, qui garantit une typicité du produit et
surtout une impossibilité de le dupliquer. Ce produit est ce qu'il est
parce qu'il a été fabriqué dans un lieu donné et
par des personnes données, avec du matériel végétal
ou animal donné. Quant aux labels rouges, ce sont des produits qui
tirent leur qualité supérieure du respect d'un cahier des charges
qui garantit avant tout la qualité supérieure du produit par
rapport au produit de base. Il a fait l'objet d'un examen organoleptique. Il a
donc démontré que le cahier des charges lui conférait des
caractéristiques supérieures au produit de base. Enfin, les
certifications de conformité produit permettent à certains
produits de se distinguer des produits standard parce qu'ils disent ce qu'ils
sont et répondent à un cahier des charges avec des
caractéristiques identifiées. Ils ne sont pas d'une
qualité supérieure comme le label rouge, mais sont distincts des
autres. Enfin, le dispositif d'agriculture biologique ne dit rien sur la
qualité du produit mais dit que ce produit a été
élaboré dans des conditions respectueuses des équilibres
naturels.
La dénomination montagne, au sens de la LOA et au sens de ce que nous a
laissé faire la Commission européenne, est un signe de
provenance. Dans le paysage des signes officiels de qualité et des
indications de provenance, le produit montagne est soumis à
l'autorisation administrative parce qu'il répond à des
critères d'origine. Le cahier des charges qualitatif n'est pas
encadré. Ce n'est donc pas un produit de qualité
supérieure, ni un produit typique au sens de l'AOC, ni un produit
identifié par des caractéristiques quelconques. Il dit seulement
qu'il est intégralement de provenance montagne, mais sans dire laquelle.
M. Jean Boyer -
En Haute-Loire, nous avons voulu mettre en place une
filière de porcs de montagne. La traçabilité était
assurée puisque l'éleveur devait respecter un cahier des charges
et l'origine de l'alimentation était connue : avoine de
Haute-Loire, pommes de terre issues de zone de montagne. Le conseil
général avait mis en place une action favorisant la
transformation des aliments du bétail produits en Haute-Loire. Donc la
traçabilité n'était pas seulement liée à la
situation géographique. Nous sommes déçus aujourd'hui que
la seule référence géographique soit mentionnée
alors que le cahier des charges garantissait la traçabilité.
M. Jacques Blanc -
La signature montagne n'est donc pas assimilée
à une appellation d'origine ni même à une indication
géographique protégée (IGP). Dans une IGP, vous avez
à la fois la géographie et des méthodes de production. Il
faudrait donc essayer d'avoir une appellation d'origine. Est-ce que vous pensez
que nous pouvons sortir du décret ou l'améliorer ?
Mme Marie Guittard -
Le décret tel qu'il existe aujourd'hui est,
à mon sens, peu susceptible d'évoluer. En effet, il se heurtera
toujours à l'absence de volonté des pays de l'Union
européenne et notamment de ceux du nord de l'Europe. A cet égard,
l'élargissement va accentuer cette séparation entre deux types de
pays : nous allons sans doute avoir des intérêts communs avec
la Slovaquie, par exemple, comme avec d'autres pays du sud de l'Europe qui ont
des montagnes. Mais la Pologne et la Hongrie seront sans doute moins
tentées par des législations. Que nous soyons quinze ou
vingt-cinq, l'élargissement ne va donc rien changer au rapport de
forces. Le décret est donc peu susceptible de changer. Par contre il ne
me paraît pas incompatible avec la notion de signe officiel de
qualité : rien n'interdit,
a priori
, qu'un produit de
montagne soit également une AOC, une IGP, ou bio.
M. Jacques Blanc -
Mais il est banalisé après. Le
même qualificatif peut être utilisé en zone de plaine. Or
notre objectif est de montrer que la montagne dispose d'une richesse
supplémentaire.
Mme Marie Guittard -
Je reprendrai les termes du président
Valadier, qui est président du Comité national des Produits
laitiers, un des quatre comités nationaux de l'Institut national des
Appellations d'Origine. Lors de la dernière réunion du Conseil
permanent de l'INAO, il a dit qu'il craignait que la montagne ne fasse pas la
qualité des produits, que l'altitude ne faisait pas la qualité
des produits.
M. Jacques Blanc -
C'est parce qu'ils ont des difficultés pour
définir le terme montagne dans l'Aveyron. Certaines zones ne sont pas
classées montagne. Donc le président Valadier reste
prudent !
Mme Marie Guittard -
Il y a quand même une difficulté. Si
nous mettons de côté l'axiome « montagne =
qualité », il faut vivre la montagne comme une indication de
provenance du produit et chercher des voies de progrès à travers
des cahiers des charges qui vont conférer le label AOC, le label rouge,
la certification de conformité ou la certification bio. Il me semble
qu'à moyen et long terme, deux types de produits
émergeront : les produits qui seront de montagne comme d'autres
produits seront de la plaine, et des produits de montagne labellisés au
titre d'une AOC ou d'autre chose.
M. Jacques Blanc -
Vous ne pensez pas que nous pourrions réserver
le label montagne aux produits qui sont élaborés et
transformés dans la même montagne ?
Mme Marie Guittard -
C'est justement la difficulté. Aujourd'hui
les zones de montagne sont définies dans le contexte communautaire. A
partir du moment où ce que vous dites est sur une étiquette, ce
n'est plus une allégation. Donc au regard de tous les systèmes de
contrôle, et notamment la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
française (DGCCRF), vous ne pouvez pas interdire ce qui est une
vérité et non une allégation. C'est le droit à
l'information du consommateur. Le souci d'une valorisation d'une production
locale se heurte au droit à l'information du consommateur. A ce propos,
il y a toujours une certaine ambiguïté lorsque nous
réservons le droit de faire une mention valorisante aux produits qui
respectent des cahiers des charges. Voyez le débat récent sur la
possibilité de mentionner des cépages et les millésimes
sur les vins de table. Dans les pays non-producteurs, des représentants
demandaient pourquoi nous allions réserver aux consommateurs qui ont les
moyens de s'offrir des vins AOC ou des vins de pays le droit de connaître
le millésime et le cépage du vin qu'ils buvaient. Ils disaient
qu'à partir du moment où un vin de table assure la
traçabilité, il n'y a aucune raison de réserver les
mentions aux vins AOC. Finalement, le problème s'est arrangé.
Mais je pense que c'est la dernière fois, parce que nous allons avoir de
plus en plus de pays porteurs de cette synergie nécessaire entre
identification du produit et accès au maximum d'informations, à
partir du moment où ce ne sont pas des allégations.
Du moment que la traçabilité du produit est garantie, il n'y a
aucune raison pour que le bénéfice de l'information soit
réservé aux consommateurs dont les revenus leur permettent de
consommer les produits plus onéreux. Le souci des signes officiels de
qualité est que les produis soient reconnus et qu'ils soient
crédibles grâce au respect d'un cahier des charges validé
par les pouvoirs publics.
M. Jacques Blanc -
En Haute-Savoie et en Savoie, nous avons
été saisis du problème suivant : la crainte que la
signature montagne permette à des produits venant de n'importe quelle
autre montagne d'Europe d'être traités sur une autre montagne. Il
y aurait alors un recul par rapport à ce que nous pouvions
espérer. Des grandes entreprises pourraient contribuer à ce
mouvement. Nous devons trouver des solutions à ce problème.
M. Jean Boyer -
Je voudrais vous donner un exemple très concret
de reconnaissance nationale. Il y a l'altitude, mais aussi le sol et le produit
du sol. Ce sol est reconnu. En zone de montagne, les références
des primes aux céréales sont trois fois plus faibles que dans les
plaines, parce qu'il est sous-entendu que l'utilisation d'azote est en moyenne
de 40 unités à l'hectare tandis que la moyenne française
est de 160 ou 170 unités. Il y a quand même une reconnaissance que
l'utilisation de pesticides, d'herbicides et d'engrais azotés est bien
plus faible en montagne. Donc ce n'est pas seulement une
référence géographique, mais une réalité du
sol. S'il n'y a pas de rémanence d'azote dans le sol, il n'y en a pas
dans le produit non plus. Nous avons donc des références d'emploi
rationnel d'azote.
Mme Marie Guittard -
Il n'est pas question de nier qu'
a priori
,
les zones de montagne disposent de conditions climatiques et de production qui
leur permettent de prétendre, dans des conditions plus favorables que
celles d'autres zones, à faire émerger des produits AOC ou IGP.
Il est indéniable que les pratiques agricoles dans les zones de montagne
sont plus favorables à l'émergence de produits qui sauront
répondre à des cahiers des charges extrêmement
sévères. L'idée est de dire que demain, ces produits de
montagne répondront à des cahiers des charges. Je peux prendre
quelques exemples. Le beaufort a existé avant la mise en oeuvre de la
politique montagne. L'AOC Beaufort est aujourd'hui un fleuron. Elle a atteint
ses objectifs en termes de rémunération des producteurs. Ce
produit tire sa notoriété et la durabilité de sa
notoriété du fait de sa qualité et d'un cahier des charges
AOC plutôt que du fait qu'il est un produit du Beaufortin.
M. Jacques Blanc -
Mais le décret permettra à n'importe
quelle grande entreprise de produire du lait ou du fromage sans respecter les
cahiers des charges et d'utiliser quand même le terme montagne.
Mme Marie Guittard -
Cela pourrait être le cas si le décret
montagne ne contenait pas des dispositions relatives à
l'élaboration de règlements techniques. Il est prévu que
l'ensemble des phases de production ait lieu en zone de montagne. Nous avons
également prévu des dérogations, car il est évident
que des accidents économiques ou des calamités agricoles peuvent
justifier des approvisionnements de matières premières hors zone
de montagne. Il me semble que les filières qui craignent que n'importe
quel produit puisse devenir un produit de montagne doivent élaborer des
règlements techniques afin d'encadrer, autant qu'ils le souhaitent, les
dérogations à l'utilisation du terme montagne permettant que
l'intégralité du processus de production ait lieu dans une zone
de montagne. Prenons l'exemple du lait de montagne. Il est envisageable que
seule la phase d'embouteillage ait lieu en montagne tandis que le lait pourrait
venir d'ailleurs, en prévoyant des dérogations très
larges. Mais il est possible aussi, comme le fait la filière des porcs
de montagne, qu'il ne soit pas possible de se prévaloir de cette
caractéristique dans n'importe quelle condition.
Les règlements techniques sont donc l'unique moyen de verrouiller et de
minimiser les risques de dilution de la notion de montagne. Actuellement, nous
travaillons à l'élaboration du règlement technique pour le
porc de montagne et nous voyons bien que la production peut être
canalisée et limitée quantitativement, et va donc pouvoir
s'adjoindre un signe officiel de qualité. Pour l'instant, c'est une
certification de conformité produit mais cela pourrait aboutir à
un label rouge. Le porc de montagne pourrait donc se prévaloir,
notamment sur le plan de la communication avec le consommateur, d'un
règlement technique qui encadre de façon stricte les
dérogations possibles, et d'un signe officiel de qualité. Il
tirerait sa spécificité d'autre chose que sa provenance
géographique, d'autant plus que cette provenance est extrêmement
répandue dans l'Union Européenne. Nous suivons une
stratégie de long terme. Le décret date de décembre 2000
donc il est difficile de tirer un bilan de son application en juin 2002, mais
je vous demande de relire le texte et de faire en sorte que l'ensemble de la
panoplie prévue et notamment les règlements techniques servent
à encadrer les dérogations. Il faut que les professionnels se
rendent compte que ce sont ces règlements techniques qui leur
permettront d'atteindre un signe officiel de qualité et de faire en
sorte que les produits de montagne ne puissent pas être
élaborés n'importe comment. Je suis d'accord avec vous qu'ils
sont tout à fait capables de le faire.
M. Jean Boyer -
Ne pensez-vous pas que nous sommes victimes d'une
inflation de signes officiels de qualité ou de signes d'attachement au
terroir ? La ménagère a de quoi en perdre son latin
lorsqu'elle va dans une grande surface. Les truies de Hollande sont abattues en
zone de montagne et le saucisson est appelé montagnard alors que ce sont
des coches, qui ont donné naissance à un grand nombre de
porcelets. Or la ménagère voit « le
montagnard ». C'est quand même très déconcertant.
M. Jacques Blanc -
Nous débouchons, en réalité, sur
le besoin d'avoir des signes de qualité. La signature montagne ne va pas
au bout de ce signe de qualité parce qu'il n'existe aucun accrochage
à telle montagne en tant qu'origine du produit, où la
transformation s'opère. Vous nous dites que des mesures de
réglementation imposées par les professionnels eux-mêmes
sur les méthodes de production permettraient d'éviter les risques
de dérapage. La question est de savoir si nous ne pouvons pas exiger
qu'en plus de la localisation en montagne s'ajoute un signe officiel de
qualité. C'est possible si la réglementation est
respectée. Mais il faut que les consommateurs soient preneurs.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je voudrais poser une question subsidiaire et
complémentaire. Vous avez évoqué le beaufort, qui est une
région géographique. A l'origine, le beaufort n'est pas un signe
de qualité, c'est un massif. Les efforts des producteurs de la
région en ont fait un produit dont la saveur et le sérieux de
fabrication font que son évocation est synonyme de qualité.
Avons-nous le droit de faire un fromage dont l'étiquette dira
« montagne du Beaufortin » et non
« beaufort » ? Cela risque aussi de semer le trouble
dans l'esprit des consommateurs. Ce serait l'appropriation d'un nom
géographique devenu signe d'une qualité. Il existe d'autres
exemples de massifs devenus synonymes de qualité parce que des personnes
y ont créé des produits de qualité. Nous aurons du mal
à nous protéger contre ces phénomènes et de
permettre qu'un différentiel de prix assez fort existe entre les
produits traditionnels et les produits de montagne. Ce sera un sérieux
problème sur le terrain.
Mme Marie Guittard -
Nous en revenons de manière très
prosaïque à l'étiquetage et la protection des AOC. Notre
dispositif prévoit que le mot beaufort est protégé
à partir du moment où l'AOC Beaufort existe. Le mot Beaufort ne
peut pas être utilisé pour des produits comparables si ces
derniers ne respectent pas les cahiers des charges. Il est prévu aussi
qu'il est protégé dans le cadre d'une utilisation confusionnelle
pour le consommateur. Il est évident, me semble-t-il, qu'un fromage X se
prétendant produit de montagne du Beaufortin rentrerait dans ce cadre et
créerait une confusion chez le consommateur. Donc cet étiquetage
ne pourrait être accepté ni par la DGCCRF ni par l'INAO.
Même s'il passait au travers des mailles de la DGCCRF, le service
juridique de l'INAO intenterait immédiatement un procès pour
usage abusif et tentative de désinformation et de confusion des
consommateurs au détriment de l'appellation.
M. Auguste Cazalet -
Je voudrais obtenir une précision. Il y a
quelques années, plusieurs ramassages de lait avaient lieu pour la
fabrication du roquefort dans les Pyrénées-Atlantiques. Le
roquefort était le même que maintenant. Est-ce que ça
existe encore ? J'ai souvent visité les laiteries du Pays Basque et
du Béarn qui s'appelaient les usines de roquefort autrefois. Ensuite le
lait partait dans l'Aveyron.
M. Jacques Blanc -
Roquefort est une AOC mais dans cette appellation, le
terrain de production n'est pas mentionné. Par contre, l'affinage et le
passage dans les caves de Roquefort est une condition. Il existait donc du
roquefort dont le lait provenait de Corse, des Pyrénées, de la
Lozère, de l'Aveyron ou du Tarn. Ils ont ramené leur aire de
production mais la définition de l'AOC n'exclut pas que le lait vienne
d'autres territoires que ceux autour de Roquefort.
Mme Marie Guittard -
Toutes proportions gardées, c'est le
même problème que pour le beaufort, mais l'histoire est
différente. Il est évident que tout le fromage de beaufort ne
vient pas de la commune de Beaufort. Mais le fromage s'appelle beaufort. De
façon similaire, tout le vin de Bordeaux ne vient pas de la commune de
Bordeaux, mais d'une zone qui entoure Bordeaux. Tout le lait nécessaire
à l'élaboration du roquefort ne vient pas de la commune de
Roquefort. Il est certain que l'AOC Roquefort a bénéficié,
parce qu'elle est très ancienne, de la possibilité d'un bassin de
production de lait gigantesque. Donc il est apparu que certaines de nos
appellations avaient des zones de production trop larges si nous voulions, sur
le plan communautaire et international, défendre la notion d'AOC. La
notion de terroir nécessite quand même une certaine
homogénéité. Or le bassin de collecte de lait de roquefort
était énorme et pouvait donc prêter à la critique.
Nous avons donc travaillé à un recentrage de la collecte de lait.
Elle reste vaste mais ce qui sautait le plus aux yeux a disparu.
M. Jacques Blanc -
Néanmoins, ils sont plus
protégés que le beaufort parce que l'AOC exige que l'affinage ait
lieu dans les caves. Les producteurs de beaufort étaient inquiets de
voir que le ramassage de lait pourrait avoir lieu dans toutes les montagnes
d'Europe et que l'implantation et la transformation aurait lieu dans le
Beaufortin.
Les IGP ne répondent pas aux mêmes règles que les AOC mais
sont quand même reconnues sur le plan européen. La
feta
est
un problème. Est-ce que la
feta
est un nom
générique ou une IGP ?
Mme Marie Guittard -
Pour l'instant, les Grecs souhaitent que ce soit
une AOC. Nous aurions aimé que les Grecs fassent avec la
feta
ce
que nous avons fait avec le camembert. La production de
feta
est
énorme et répartie au Danemark, en Nouvelle-Zélande, dans
tous les pays du monde qui sont des grands producteurs de lait, puisque c'est,
avec le gruyère, un des seuls fromages, je pense, qui fasse l'objet d'un
marché mondial. C'est énormément consommé dans les
pays d'Afrique du Nord. La production grecque n'est donc pas capable de couvrir
la demande de
feta
.
Nous aurions souhaité que subsistent deux produits : un produit
sous une norme
codex alimentarius
comme il existe une norme camembert
codex alimentarius
, qui signifie que tout le monde peut en faire sous
réserve de respecter un cahier des charges minimal ; et un produit
similaire au camembert de Normandie AOC, c'est-à-dire un produit sous
signe officiel de qualité et dont les conditions de production et le
cahier des charges serré lui confèrent une typicité. La
feta
issue de Grèce deviendrait par rapport à la
feta
produite partout dans le monde l'équivalent du camembert de
Normandie par rapport à ce qu'est le camembert
codex
alimentarius
, qui peut être vendu dans des boîtes
métalliques, etc. Les Grecs ne se sont pas rangés à cette
idée parce qu'ils considèrent que la
feta
n'est pas un
produit générique. Contrairement au camembert, elle n'est pas
devenue un produit générique et n'est pas une recette. Donc c'est
au produit qui fait l'objet d'un commerce international de changer de nom.
Voilà la position de la Grèce. Ils ont aussi cette
spécificité qui est que les fromages issus de lait de vache ou
mixte ne peuvent pas porter le nom de
feta
, qui est produite, en
Grèce, à partir de lait de brebis. Ils se battent donc pour
l'exclusivité du terme
feta
comme les Italiens se battent pour la
disparition du terme parmesan, confondu avec le terme
parmigiano
.
M. Jacques Blanc -
C'est vrai qu'en ce qui concerne la montagne, nous
avons le sentiment aujourd'hui que ce sont surtout des accrochages montagne
versus
AOC et montagne
versus
IGP qui ont lieu, comme c'est le
cas pour la Fleur d'Aubrac. Les montagnards ont un peu peur. Nous devons donc
procéder à une modification du décret ou à une
utilisation des règlements techniques permis par le décret.
M. Jean-Paul Amoudry -
Sur ce point, je souhaiterais que vous nous
précisiez, par une note, les conditions dans lesquelles l'application de
ce règlement technique fait la distinction entre la protection des AOC
et IGP d'une part, et d'autre part les conditions dans lesquelles ce
décret n'est pas de nature à nuire à l'acquis. Pour ma
part, la notion de dérogation que vous avez utilisée ne
m'apparaît pas très clairement. Cela permettrait à notre
rapport d'être le plus précis possible. Nous pourrions alors
apporter à nos interlocuteurs des différentes provinces et
régions des réponses qui puissent les rassurer.
Mme Marie Guittard -
Pour terminer sur ce point, je dirais que ce
décret, par rapport au décret précédent en
application de la loi de montagne, a plutôt déçu les
professionnels. Néanmoins, ils commencent à comprendre l'usage
qu'il est possible de faire du décret si nous le regardons dans son
exhaustivité et non pas seulement par rapport aux pertes de substance en
comparaison avec le décret précédent. L'ensemble du
dispositif semble être une architecture plus complexe. Il
interfère dans le débat sur la lisibilité de tous ces
signes, qui est un débat fondamental. Mais les produits de montagne ne
sont pas inéluctablement condamnés.
M. Jean Boyer -
Il faut essayer de nous comprendre. La montagne est
utilisée par l'extérieur, y compris par l'extérieur de la
France, pour valoriser des produits. Les produits de montagne français
sont banalisés parce que le terme montagne est trop vulgarisé. Le
problème est le même pour les lentilles. Les subtilités
d'empaquetage et de production font que la ménagère n'y comprend
rien. La montagne est banalisée tandis que les producteurs de montagne
ne trouvent pas la valorisation nécessaire.
M. Jacques Blanc -
En réalité, le mot
« montagne » ne suffit pas aujourd'hui. Il faut voir
comment nous pouvons éviter que cela se retourne contre les produits de
montagne, en associant la montagne à des signes lisibles de
qualité. Est-ce que vous pouvez nous renseigner sur le marché de
la viande et sur la question de l'agriculture biologique ?
Mme Marie Guittard -
En quelques mots, je dirais qu'il n'y a pas pour
nous de marché de la viande de montagne comme il y aurait de la viande
de plaine. Il y a un secteur qui a été frappé par la crise
de la vache folle et qui retrouve petit à petit ses équilibres.
Nous n'avons pas de politique spécifique pour la viande bovine de
montagne. Le marché du porc connaît aussi ses cycles. La faiblesse
de l'organisation commune de marché, à la demande de certains
pays, ne lui bénéficie pas. Par contre, il fait l'objet, depuis
quinze ans maintenant, d'une aide spécifique par l'Office national
interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture
(OFIVAL). Elle est, bon an mal an, de 6,098 millions d'euros. C'est une aide
qui ressemble à celle accordée au lait de montagne : elle
est conçue comme une aide compensatrice de handicap naturel (les
surcoûts). Grossièrement, elle consistait à donner X euros
par tête de porc de montagne vendue et X centimes au litre de lait
collecté en zone de montagne.
Or ces deux dispositifs sont complètement anti-communautaires, car ils
sont couplés à une production qui devrait tirer d'un revenu
amélioré le comblement de ses coûts supplémentaires
de production. L'aide permet donc
d'entretenir des producteurs dans un
système subventionné qui n'a rien à voir avec une
politique de qualité. Nous sommes donc conscients, avec les producteurs,
que ces aides sont appelées à évoluer comme elles ont
déjà commencé à le faire, car la Commission nous a
épinglés sur ces deux
aides de 6,098 millions d'euros
depuis plusieurs années. Pour ce qui est du lait, nous avons
réussi à présenter à la Commission quelque chose
qui ressemble à des aides à l'appui technique et au suivi
qualitatif des produits. Mais
in fine
, même si c'est savamment
réparti entre les opérateurs, cela revient au même. Nous
avons plus de difficultés pour le porc. Les démarches sont en
cours. De toute manière, ces aides sont appelées à
disparaître progressivement. Nous n'avons pas de difficulté
majeure dans ce domaine.
Par contre, nous avons des difficultés, par rapport à la
réglementation européenne, avec l'agriculture biologique de
montagne, notamment dans certains secteurs. Nous avons deux difficultés
particulières. L'une est l'interdiction de l'attache des bovins,
prévue dans la réglementation européenne relative à
l'agriculture biologique, qui prévoit, en période hivernale, sous
réserve d'un accès à l'extérieur deux fois par
semaine, la possibilité d'attacher les animaux. Or nous ne savons pas le
faire en zone de montagne. Le deuxième problème est le principe
du lien de l'alimentation à l'exploitation, c'est-à-dire que
l'alimentation doit être produite dans l'exploitation qui a le cheptel.
Ces deux facteurs sont extrêmement limitants pour la production
biologique animale en montagne.
M. Jacques Blanc -
Il n'est pas possible d'utiliser une alimentation
identifiable et provenant de zone de montagne ?
Mme Marie Guittard -
Face à ces deux difficultés, nous
avons introduit des demandes à la Commission pour que la
réglementation évolue. Jusqu'à présent, nos
démarches n'ont pas abouti parce que certaines personnes ont une
conception du respect des équilibres et de la possibilité de
produire en zone non apte à le faire extrêmement stricte. Selon
eux, si la production céréalière adéquate pour
nourrir les animaux n'existe pas dans un endroit donné, les animaux
n'ont pas à être là. Ils inversent donc la démarche.
Nous disons que nous pourrions mettre en place une traçabilité,
mais ils ne l'acceptent pas.
M. Jacques Blanc -
En réalité, ils veulent que nous
restions des producteurs de maigre et que des vocations naissent ailleurs pour
l'engraissement. Mais cela enlève des possibilités d'avoir des
productions de produits finis. Nous l'avons vu avec l'IGP Fleur d'Aubrac, qui
crée vraiment une valorisation du produit. Mais chez nous, en montagne,
certaines personnes qui font du bio sont embêtés maintenant.
M. Jean-Paul Amoudry -
C`est la réglementation européenne
qui oblige à attacher les animaux deux fois par jour au moins ?
Mme Marie Guittard -
C'est le principe de l'interdiction de l'attache
des animaux.
M. Jacques Blanc -
Comme vous, nous demandons à ce qu'il y ait
une évolution de la réglementation, ou du moins une adaptation
aux conditions de production en montagne. Tout le monde sait qu'il est
impossible de sortir les animaux deux fois par semaine en montagne en
période de tempête !
Mme Marie Guittard -
Plusieurs écoles se sont
développées sur le bio. Le respect des équilibres naturels
signifie, pour l'école minimaliste, de faire sur un territoire
donné ce que l'on peut faire. Mais ce qui a prévalu au niveau
communautaire est l'école qui prône la composante
« bien-être animal ». En effet, l'interdiction
d'attache des animaux n'a rien à voir avec l'équilibre des
territoires. C'est une composante « bien-être
animal ».
M. Jean Boyer -
C'est un bio élargi à l'élevage. Il
ne concerne pas que l'alimentation.
Mme Marie Guittard -
Effectivement, dans cette optique, le respect des
équilibres inclut le respect des animaux.
M. Jacques Blanc -
Ne pourrions-nous pas, dans le cadre de cette
réglementation, avoir une signature montagne en exigeant que le
complément d'alimentation consiste en des protéines
végétales garanties non génétiquement
modifiées ? Car le problème des organismes
génétiquement modifiés va sûrement surgir. Je me
disais que pour terminer les animaux en montagne, cette signature rejoindrait
le besoin de compléter le territoire par une garantie relative à
l'alimentation. Tout le monde sait qu'en montagne il n'y aura jamais
l'alimentation suffisante pour finir les animaux. C'est pourquoi il y a plus de
maigres. Nous retrouvons la notion de filière globale et des abattoirs
de montagne qu'il faut maintenir.
Mme Marie Guittard -
Ce sont des sujets qui vont être sur le
devant de l'actualité. Deux préoccupations majeures
interviennent. De nombreux producteurs sous signes officiels de qualité,
et aussi de produits de montagne, veulent deux choses : s'interdire les
OGM et s'interdire l'épandage des boues et gadoues. Cela pose
d'énormes problèmes de contrôle. Nous ne souhaitons pas
qu'à moyen terme cet avantage soit à double tranchant et que la
contrôlabilité ne soit pas assurée. En effet, ce qui fait
la force des AOC et des labels rouges, c'est qu'il n'y a rien d'incantatoire.
Il est évident que les produits montagne vont nous proposer, à
l'INAO, dans leurs cahiers des charges, l'interdiction des boues et gadoues et
l'interdiction des OGM. Et nous ne saurons pas comment le contrôler.
M. Jacques Blanc -
Il est possible de contrôler les
protéines végétales. Le tout est de savoir jusqu'où
nous pouvons aller. Et il faut négocier avec les Américains,
parce qu'il est impossible de donner des garanties sur tout ce qui est
importé. Cette question est posée dans les accords nouveaux pour
autoriser les protéines végétales.
Mme Marie Guittard -
Nous savons détecter les OGM quand elles
sont autorisées mais pas quand nous ne savons pas ce que nous cherchons.
Nous ne risquons pas de les trouver dans ce cas.
M. Jacques Blanc -
Je vous remercie beaucoup. Ce sont des sujets
très intéressants.
26. Audition de M. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), accompagné de M. Sylvain Confida, conseiller (19 juin 2002)
M.
Jacques Blanc, Président -
Bonjour messieurs. Nous vous accueillons
avec plaisir. Nous connaissons un peu votre maison et je crois que vous
connaissez le motif de notre mission sur la montagne dans le cadre de
l'année internationale.
M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur -
Nous sommes heureux de vous
accueillir, messieurs, en vous remerciant d'avoir fait le déplacement de
Paris. Vous avez dû recevoir la grille de questions qui a
été préparée et qui nous permettra de vous entendre
sur les sujets importants et d'actualité que sont les contrats
territoriaux d'exploitation (CTE), les filières de transformation, etc.
Je vous propose de synthétiser le message le plus fort que vous
souhaitez nous adresser et de nous laisser le temps, au président,
à Auguste Cazalet à moi-même de vous demander des
précisions.
M. Jean-Louis Cazaubon -
Tout d'abord je vous remercie de nous
auditionner. Je suis ici au titre de l'Assemblée permanente des chambres
d'agriculture. Je suis président de la Chambre d'agriculture des
Hautes-Pyrénées et de la Chambre régionale des
Midi-Pyrénées. Je connais bien Auguste Cazalet puisque j'habite
le département voisin. Mon collaborateur est Sylvain Confida,
chargé des questions de montagne au niveau national pour le compte des
chambres d'agriculture. Nous allons vous donner le point de vue des chambres
d'agriculture et des agriculteurs. Je sais bien que la montagne n'appartient
pas qu'aux agriculteurs, mais il faut dire que la montagne aurait bien triste
mine sans eux. Je pense que vous en êtes conscients.
La première question concernait notre vision sur les perspectives de
l'agriculture de montagne. L'agriculture de montagne est fragile : d'une
part à cause de ses structures, qui sont plus petites que la moyenne
française, d'autre part à cause du relief, qui rend impossible la
mécanisation sur une grande partie du territoire. Elle part donc avec
plusieurs handicaps qui ont été corrigés par un certain
nombre de mesures qui sont nécessaires. Je pense notamment aux
indemnités compensatoires de handicap naturel (ICHN). Par ailleurs, les
règlements européens, qui mettent en place un soutien aux ovins,
aux bovins et aux productions herbagères, sont moins favorables qu'aux
grandes cultures. Nous nous posons donc des questions sur l'évolution
des débats concernant la politique agricole commune et de ses soutiens.
L'entrée des PECO et l'évolution du premier vers le
deuxième pilier nous préoccupe aussi : qu'adviendra-t-il de
la ligne de partage de ce deuxième pilier, en termes de
développement rural ? Si les financements servent à la
construction de la salle des fêtes ou du mur du cimetière, la
ligne de partage entre l'agricole et le rural pose problème. La montagne
devra avoir sa part dans ces politiques. L`avenir de la politique de montagne
dépendra aussi de cela. Nous avons aussi relevé un autre
point : nous n'avons pas de données spécifiques à la
montagne. Les statisticiens n'ont pas travaillé sur les
spécificités de la montagne. Nous n'avons donc pas de chiffres
propres à l'agriculture de montagne pour la dernière
décennie. Il nous est donc difficile de mettre en évidence les
évolutions qui ont caractérisé l'agriculture de montagne
depuis 1988.
En ce qui concerne l'avenir, nous pensons qu'une carte à jouer est celle
de la diversification, car c'est là que la valeur ajoutée prend
tout son sens. Quelle est la définition, dans cette optique, de la
valeur ajoutée ? Dans les filières organisées, les
filières longues, je pense tout de suite au roquefort ou à la
transformation de lait en fromage dans le Pays Basque. Nous nous apercevons
qu'il y a une vie en montagne grâce à ces
phénomènes. Grâce à un troupeau de 100 à 150
brebis dont la production de lait est transformée en fromage, sur une
surface réduite, il est possible d'avoir des revenus suffisants pour
faire vivre une famille. Donc il faudrait arriver à
généraliser cela, notamment en mettant en place des ateliers
individuels ou collectifs. Ces ateliers de transformation - salles de
découpe, abattage de volaille, etc. - sont une carte à jouer. En
même temps, j'espère que vous nous aiderez à obtenir toutes
les aides aux équipements nécessaires. Je pourrais parler aussi
de la potabilité de l'eau en montagne, qui est un obstacle coûteux
que nous rencontrons souvent dans le cadre des fabrications fromagères.
Quant aux CTE, que faut-il en faire ? Faut-il des CTE
spécifiques ? Nous pensons que la panoplie, telle qu'elle nous
était proposée et après amendement, peut convenir aux
zones de montagne. Nous retrouvons de nombreuses problématiques
montagnardes. Une simplification serait peut-être nécessaire. Je
pense que les CTE sont quelque chose dont nous pouvons tirer parti. Il faudrait
quelques évolutions sur une des mesures du plan de développement
rural national (PDRN), la mesure J : qu'elle puisse s'ouvrir pour
pérenniser, animer et financer le fonctionnement des structures
collectives. Nous estimons qu'il faudrait quadrupler cette enveloppe, notamment
pour former, positionner et organiser les bergers, notamment dans les
Pyrénées où nous rencontrons le plus de problèmes.
Tout ce qui tend à entretenir et à valoriser le paysage est
bienvenu. Cette mesure devrait aussi favoriser les équipements, les
parcs de triage, les points d'abreuvement.
Dans plusieurs secteurs, les contrats de plan Etat-région permettaient
d'émarger. Des groupes se sont réunis, dans le cadre du
pastoralisme, et ont pensé que s'il serait avantageux de mettre en place
une dotation globale de fonctionnement spéciale à connotation
silvo-pastorale permettant de financer ce genre d'ouvrage. Le problème
des CTE est qu'il va y avoir des bagarres entre les zones de montagne et
les zones de plaine lorsque les enveloppes seront
départementalisées. Donc il faudrait pouvoir disposer d'une
enveloppe spéciale pour les premières. Les espaces montagnards se
situent, pour beaucoup d'entre eux dans les zones Natura 2000. Ce sont des
sites remarquables mais si nous ne maintenons pas le couple homme-animal dans
ces zones, qui sait ce qui en adviendra ?
L'autre question concernait les conditions et les moyens nécessaires
pour une meilleure restructuration des filières, notamment en ce qui
concerne la transformation, afin de valoriser les produits de montagne. Nous
manquons d'argent pour promouvoir tout cela, notamment au niveau du
marketing
et plus généralement, de l'accompagnement amont
et aval, des demandes technico-économiques d'appui aux
microfilières. L'avenir de l'agriculture de montagne se situe clairement
dans ces filières et dans ces niches de production. Sur mon
département, nous avons relancé une production de porc,
appelé porc gascon, qui est un porc noir car il vit dehors, un peu comme
les sangliers, dans un espace clôturé. Il y a 30 porcs à
l'hectare. Cela permet de valoriser les espaces à faible potentiel. Les
charcuteries sont positionnées sur un créneau haut de gamme,
à l'instar des charcuteries espagnoles. Après 12 ans de travail,
nous sommes arrivés à avoir 5000 ou 6000 porcs par an. C'est un
petit marché. Cela prouve néanmoins qu'en employant des
techniciens, vous pouvez sortir une race de l'oubli et monter une
filière, avec tous les aléas que cela implique. Mais avant d'y
arriver, il faut beaucoup d'argent et nous n'arrivons pas à nous
financer pour animer ces filières. Là est le vrai
problème.
Il faut savoir aussi que c'est dans les zones de montagne que nous avons
installé le plus de jeunes. Notre économiste à l'APCA a
constaté que c'était dans ces régions où l'emploi
avait le moins baissé, notamment dans l'Aveyron et les
Pyrénées-Atlantiques. Certains départements ont
énormément restructuré et ont des exploitations de 200
hectares et plus, mais la valeur ajoutée n'est pas là : elle
se trouve là où il y a des hommes. Dans ces régions de
montagne, ce n'est qu'en jouant cette carte que nous pourrons favoriser
l'agriculture. Dès qu'il devient possible de transformer le lait en
fromage, comme dans les Alpes avec le beaufort, dès que des gens se
battent contre vents et marées, il est possible d'arriver à fixer
de la vie sur des territoires difficiles. Il faut travailler mais si c'est
rentable ce sera toujours possible. Une autre difficulté est celle des
aides au transport. Vous savez qu'en montagne des surcoûts existent et
qu'ils ne sont pas financés.
Au sujet de la répartition des volumes des quotas laitiers, la question
était de savoir s'il était possible de mettre en place des
mesures plus favorables à la montagne. Je veux bien mais nous aurons un
mal fou à en convaincre nos collègues bretons.
M. Jacques Blanc -
Soyons sans complexes. En Bretagne, ils produisent 8
000 ou 9 000 kilos par bête, tandis qu'en montagne, ça tourne
autour de 4 000 ou 5 000.
M. Jean-Louis Cazaubon -
Tout dépend du cahier des charges. Pour
le Beaufort, ils sont à 4 000. C'est une économie de cueillette.
M. Jacques Blanc -
Et à l'époque, la taxe de
coresponsabilité n'était pas appliquée à la
montagne. Lorsque j'étais secrétaire d'Etat à
l'agriculture, nous avions négocié pour que la taxe de
coresponsabilité soit appliquée ailleurs. Mais ensuite les quotas
ont été appliqués alors que les niveaux de production
n'étaient pas comparables. Quand vous alliez dans une exploitation
hollandaise où il y avait 80 bêtes sur 20 hectares et que
chaque bête produisait 9 000 kilos, c'était pour la transformation
du soja en lait. Et je pense que nous ne devrions pas être limités
dans l'installation des jeunes en montagne.
M. Jean-Louis Cazaubon
- Je suis d'accord. Mais quand nous allons
soulever ce problème au niveau national au sein des sections
spécialisées, il y aura un débat. Prenez la Mayenne :
elle a plus de producteurs laitiers que toute l'Aquitaine et tout le
Midi-Pyrénées réunis avec leurs 13 départements. Ce
sont pourtant deux régions assez vastes. Il faut absolument qu'il y ait
assez de droits à produire. Je crois comme vous que c'est une
nécessité d'installer des jeunes mais il y aura des oppositions.
Il faut que vous le sachiez.
M. Jacques Blanc -
Dans certaines zones, les quotas ne sont pas
utilisés. Pouvons-nous espérer qu'une réserve de droit
soit mise en place pour les zones de montagne afin de favoriser l'installation
de jeunes agriculteurs ?
M. Jean-Louis Cazaubon -
Dans les zones de montagne, pour aller dans ce
sens, les quotas morts et les sous-réalisations devraient pouvoir
être régionalisés. Il faudrait pouvoir les faire basculer
et ne pas les perdre, que la réserve nationale ne les prenne pas. Il
faut qu'à un moment donné une mutualisation de la campagne
laitière soit mise en place. Quand arrive le mois de décembre et
qu'il reste un trimestre, si Pierre n'utilise pas son quota, il faudrait qu'il
soit possible de procéder à une mutualisation à
l'intérieur du département, et que Paul en dispose, pour ne pas
sous-réaliser.
M. Jacques Blanc -
C'est idiot parfois parce que vous n'avez pas le
droit de produire et donc le jeune ne peut pas s'installer.
M. Jean-Louis Cazaubon -
S'il existait un régime
spécifique pour les zones de montagne dans l'utilisation des
quantités, nous pourrions arriver à faire quelque chose.
M. Jacques Blanc -
C'est une idée. Et c'est vrai pour le lait
mais aussi pour l'ensemble des droits à produire.
M. Jean-Louis Cazaubon -
En effet, c'est pareil. Il faut à tout
prix que cela n'échappe pas de ces zones. La difficulté est que
lorsque vous avez un département qui représente à lui seul
plus que 13 autres, lui ne va pas sous-réaliser, parce qu'il peut
piloter les choses de manière plus fine. Mais il ne faut pas les laisser
prendre sinon nous allons fabriquer des déserts.
M. Jacques Blanc -
Le problème de l'installation des jeunes est
lié, d'une part, au problème foncier, et d'autre part au
problème des sectionaux.
M. Jean-Louis Cazaubon -
Ce n'est pas un problème chez nous. Nous
avons des commissions syndicales et des réglementations qui permettent
une indivision sur plusieurs communes. Au sujet de la diversification et des
perspectives de diversification de l'agriculture de montagne, je dirais que
l`avenir ne peut pas s'envisager sur les productions de masse. Nous avons
parlé de la transformation. Mais il y a aussi la
multifonctionnalité, qui est une forme de diversification. Il y a aussi
une carte à jouer avec l'agritourisme et les chambres d'hôte,
notamment dans les Hautes-Pyrénées. Un gîte rural est
loué 30 semaines par an. Certaines exploitations en vivent.
Quand les technocrates parlent des externalités positives, je demande
à voir. Qu'est-ce qu'elles amènent à l'agriculture ?
Les paysans ne perçoivent pas un franc là-dessus. Or le
thermalisme, le ski, l'industrie du tourisme, les ballades, ne sont pas
possibles si le couple homme-animal n'est pas présent et si les espaces
ne sont pas entretenus. L'agriculture n'est pas seulement un état de vie
et il faudrait donc que la prestation de l'agriculteur soit reconnue. Il faut
être imaginatif. La présence de l'agriculteur en montagne est
nécessaire. Ce ne sont pas les brigades vertes qui maintiendront tout
cela en place. Cela rentre dans le cadre de la diversification.
En France, je pense que l'expérience de Valadier avec le Laguiole, dans
l'Aveyron, est une expérience réussie. Il n'a fait que recopier
ce qui a été fait avec le beaufort : cahier des charges
très rigoureux, fixé dans une zone où la production,
accrochée à un territoire, permet de le valoriser. Je connais
moins les expériences réussies à l'étranger, mais
je sais qu'en Autriche, l'entretien du territoire et l'accueil des touristes se
sont développés et ce sont sans doute des actions susceptibles
d'être reproduites dans nos massifs montagneux. Il y a ensuite la
valorisation de la biomasse, des déchets ménagers, l'entretien du
paysage tel qu'il est pratiqué en Allemagne. La reconnaissance qu'ont
ces agriculteurs de montagne résulte du fait que tout le monde sait que
ce sont eux qui valorisent et entretiennent le paysage.
Nous avons un problème avec le plan de maîtrise des pollutions
d'origine agricole (PMPOA) en montagne. Il y a plusieurs niveaux. Aujourd'hui,
pour bénéficier des aides pour la maîtrise de la pollution
d'origine agricole, il faut être situé en zone vulnérable.
Le plus souvent, les zones de montagne ne sont pas classées en zones
vulnérables. Cela veut sûrement dire qu'il n'y a pas de
problème. Pourtant, les mêmes contraintes existent. Si vous voulez
investir de façon à avoir un label - un produit de qualité
- par l'intermédiaire d'une filière territorialisée, il
faut être aux normes. L'agriculteur dans la plaine, en zone
vulnérable, va pouvoir bénéficier des aides. Mais
l'agriculteur éleveur en zone de montagne ne le pourra pas, parce qu'il
n'est pas en zone vulnérable. Il existe donc une disparité de
traitement. Par ailleurs, dans l'épandage, il existe un critère
de pente : il est interdit d'épendre du lisier s'il y a plus de
7 % de pente. Vu de Paris, tout va bien. Mais quand vous êtes dans
une zone de montagne, même si le bâtiment est sur du plat, le
terrain est souvent à plus de 7 %. Pourquoi est-ce idiot ?
Parce que le jour où la terre est sèche, il n'y a pas de
ruissellement, même au-delà de 7 %. Ça
pénètre aussitôt. Et si c'est mouillé et que vous
êtes en pente, c'est simple : vous laissez le tracteur et la tonne
de lisier sous le hangar, sans quoi vous finissez au fond du talus. Il faudrait
donc éliminer ce critère. Le problème se pose avec
très peu d'acuité, car les animaux passent six à sept mois
dehors et ensuite les déjections sont épandues sur les
pâturages. Voilà le problème. Je crois qu'il faut le placer
parmi les priorités dans votre rapport.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci beaucoup pour cet exposé très
riche. Je voulais simplement vous demander si la pluriactivité est pour
vous un élément important dans les perspectives d'avenir de
l'agriculture ? Ou est-ce que c'est un peu désuet ?
Deuxièmement, je voudrais avoir votre avis sur le décret du 15
avril 2000 sur la provenance montagne et ses conditions d'application au regard
des signes de qualité et des traditions françaises de production.
Enfin, vous avez évoqué un groupe de travail pastoralisme qui
avançait l'idée d'une DGF pour les équipements
sylvo-pastoraux. Est-ce que vous avez des choses à nous dire sur ce
travail ? Est-ce que les propositions de ce rapport vous paraissent
valables ?
M. Auguste Cazalet -
Jean-Louis Cazaubon a bien posé les
questions et donné des réponses. Nous avons souvent parlé
de ces sujets avec les organisations professionnelles. Il a bien
rapporté les problèmes que nous avons. Il est impossible de dire
que les bêtes doivent faire leurs excréments sur le plat pour ne
pas que ça descende dans la rivière. Certaines choses qui nous
sont demandées sont impossibles à mettre en oeuvre, sauf à
faire fuir des populations entières de la montagne. Il faut quand
même que les gens y vivent. Les hommes de la montagne sont vaillants et
se sont toujours accrochés à la montagne. J'ai fait du fromage
jusqu'à l'âge de 35 ans et je sais que c'est du travail dans des
conditions difficiles.
M. Jean-Louis Cazaubon -
Nous allons nous répartir les
tâches. Je parlerai de la pluriactivité et Sylvain Confida parlera
du décret montagne et du pastoralisme.
La pluriactivité existait en montagne mais aussi en plaine, notamment
dans la périphérie tarbaise. Il était possible de
travailler à l'usine et à la ferme. Il a toujours existé,
à ce propos, une jalousie entre agriculteurs, qui a perduré au
sein des organisations professionnelles. Aujourd'hui nous n'avons plus
d'états d'âme : dans les zones de montagne, la
pluriactivité est une réalité, un fait. Elle est de
plusieurs sortes. Cela peut consister en un emploi, en hiver, dans une station
de ski. Je pense que c'est une bonne chose parce que ça permet d'avoir
un complément de revenu pour faire bouillir la marmite. C'est souvent
lié au pastoralisme. Un jeune peut occuper un poste de berger en
été et en hiver un poste à la remontée
mécanique. Il est aussi possible d'offrir des prestations de services,
de valoriser le bâti ou les granges en les transformant en chambres
d'hôte. Une demande importante existe. La qualité de l'accueil est
réelle et elle initie aux métiers de la communication. La
pluriactivité est donc souvent une nécessité en zone de
montagne et je crois que nous avons tout intérêt à
l'encourager, surtout si ça permet de pérenniser un emploi et une
exploitation agricole.
M. Sylvain Confida -
Je dirais un mot pour compléter ce qui vient
d'être dit. La pluriactivité est quand même un choix subi et
non un choix volontaire. C'est parce que les agriculteurs ne peuvent pas vivre
de leur métier qu'ils vont chercher un complément de revenu dans
une autre activité. Deuxièmement, pour qu'il y ait
pluriactivité, il faut qu'il existe des possibilités d'emploi.
Dans les Vosges, c'était le textile. Chez vous, dans les
Pyrénées, c'était un certain nombre d'industries, et dans
le Massif Central, c'était le charbon, etc. De ce point de vue, il faut
donc prendre en compte le côté social des choses et s'interroger
sur la façon dont les pluriactifs vivent ces situations. Mais il est
vrai que les réserves qu'exprimaient autrefois les agriculteurs à
l'encontre des pluriactifs se sont bien estompées.
Au sujet du décret appellation montagne, nous manquons de recul pour
dire des choses sensées sur la façon dont il est appliqué.
Il est trop récent, même s'il s'inscrit dans la lignée de
la loi montagne de 1985. Nous pouvons dire néanmoins qu'il est
protecteur de produits français. Mais il est possible que des produits
venant de l'étranger et portant le mot montagne ne répondent pas
aux cahiers des charges tels qu'ils sont définis par le décret et
arrivent sur le marché national. C'est une distorsion de concurrence.
Je ferais remarquer qu'il existe aussi une ambiguïté sur le sens de
l'appellation montagne. L'ambition du législateur était sans
aucun doute de protéger un mot et de valoriser la provenance d'un
produit agricole ou agroalimentaire. Or ce sont deux démarches
différentes et qui visent des objectifs différents. Aujourd'hui,
le mot montagne est certes valorisant auprès du consommateur, mais il y
a une ambiguïté vis-à-vis des autres signes de
qualité comme les indications de provenance, les AOC, les labels, etc.
Je crois qu'un travail de promotion et de clarification doit donc être
entrepris pour que ce décret joue pleinement le rôle pour lequel
il a été prévu.
Au sujet du pastoralisme, j'étais chargé d'animer le groupe de
travail sur la valorisation des produits et des espaces pastoraux. Il y a
beaucoup de choses à dire et qui s'appliquent aussi bien aux espaces
pastoraux qu'à ceux qui ne le sont pas. Pour des raisons de calendrier,
le rapport que nous avons établi n'a pas pu être remis au
précédent ministre. Je crois que l'actuel ministre sait qu'il
existe et qu'il contient de très nombreuses propositions. Notre travail
à tous maintenant est d'essayer de transformer l'essai.
M. Jean-Louis Cazaubon -
Je voudrais aborder un point qui n'a pas encore
été abordé : les prédateurs. Vous en avez
entendu parler et ce n'est pas terminé. La convention de Berne demande
que les prédateurs soient protégés tandis que les hommes
sur le terrain demandent qu'ils soient éliminés. Il y a aussi le
programme de réintroduction. Je dirais que nous pouvons les
protéger, mais pas les réintroduire, parce que culturellement,
les populations qui se sont battues pendant des décennies contre l'ours,
ou encore le loup, et vivaient constamment dans cette hantise, n'en veulent
pas. Vous imaginez le choc des cultures lorsque nous leur disons que nous
allons les réintroduire. C'est un réel problème.
Au sujet du pastoralisme, nous devons organiser et rationaliser pour adapter le
pastoralisme aux méthodes d'élevage moderne d'aujourd'hui. La
transhumance est sauvage aujourd'hui. Il y a une estive, un contrôle
sanitaire, dont la profession et les services vétérinaires se
sont occupés et qui fonctionnent. Le problème est qu'il n'y a pas
de gardiennage. Il nous faut voir comment nous pouvons favoriser ce
gardiennage. Une estive est très fréquentée parce qu'il y
a une route. Elle est donc surpâturée. Mais s'il faut marcher
plusieurs heures, au contraire, elle a tendance à être
abandonnée. Dès qu'elle est sous-pâturée, la flore
se détériore et il y a problème. C'est un vaste sujet
qu'il faut prendre en compte.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci infiniment messieurs.
27. Audition de M. Michel Badré, directeur général adjoint de l'Office national des forêts (25 juin 2002)
M.
Michel Moreigne -
Mes chers collègues, nous poursuivons les
auditions dans le cadre de la Mission commune d'information sur la montagne. Je
donne la parole à Monsieur Michel Badré, Directeur
général adjoint de l'Office National des Forêts.
M. Michel Badré -
Monsieur le Sénateur, je vous remercie.
Une partie de mes réponses sera probablement plus imprécise que
je ne l'aurais souhaité. Je vous prie donc de bien vouloir m'en excuser
à l'avance. En effet, à la suite des tempêtes de 1999,
l'Office National des Forêts s'est engagé dans une profonde
réforme interne. En revanche, une documentation présentant les
principaux chiffres vous sera ultérieurement communiquée. Je vais
maintenant m'attacher à répondre aux questions qui m'ont
été transmises.
L'ONF a établi un tableau détaillant l'étendue des espaces
boisés par région et par département. Ce document
distingue les forêts domaniales et les forêts appartenant à
des collectivités publiques. Au sein de celles-ci, les communes
constituent la majeure partie des propriétaires de forêts. En
effet, à l'exception des sections de communes en Auvergne, les autres
collectivités possèdent rarement des espaces boisés.
Parler de forêt de montagne implique d'opérer une distinction
nette entre moyenne et haute montagne. En effet, la moyenne montagne,
correspondant aux massifs vosgien et jurassien ainsi qu'au Massif Central,
constitue un espace très favorable à la forêt. Dès
lors, le terme de « handicap montagne » présente peu
de signification pour ces zones, à l'exception de sites très
particuliers. En revanche, les zones de haute montagne font apparaître
des conditions d'exploitation comportant des difficultés objectives
importantes. La haute montagne correspond aux Alpes du Nord et du Sud, pour une
part importante, ainsi à qu'une grande partie du massif
pyrénéen.
Il convient de souligner que les forêts situées en zone
montagneuse présentent une caractéristique forte. En effet, la
forêt communale est fortement représentée dans les massifs
montagneux, constituant 80 % des espaces boisés contre 20 % de
forêts domaniales. Par comparaison, nous gérons sur la France
entière, toutes régions confondues, environ 1,7 million
d'hectares de forêts domaniales et 2,5 millions d'hectares de
forêts communales, soit une proportion d'environ 40 à 60 %
pour ces dernières.
Par conséquent, la situation socio-économique se
révèle très particulière. En effet, dans la mesure
où les forêts appartiennent aux collectivités, celles-ci
exercent naturellement leur pouvoir de décision. Nous sommes donc
gestionnaires de ces forêts, mais nous ne représentons pas le
propriétaire. Il existe toutefois une exception notable qui concerne les
propriétés domaniales en zone de haute montagne. Ces forêts
ont été majoritairement acquises à la fin du
XIX
ème
siècle au titre de la restauration des terrains
afin de lutter contre l'érosion.
Vous avez auditionné, il y quelques semaines de cela, Yves Cassayre,
Délégué national aux actions de restauration de terrains
en montagne, qui vous aura informés des travaux engagés en
matière de lutte contre l'érosion. Dans la mesure où
l'expertise relative aux risques naturels a déjà
été traitée, je m'attacherai plus à l'aspect de la
gestion des espaces boisés. A cet égard, nous avons en charge
environ 300 000 hectares de forêts domaniales, issues de telles
acquisitions, qui se situent majoritairement dans les Alpes du Sud. Les
forêts de massifs montagneux dont nous assurons la gestion
présentent un équilibre d'environ deux tiers de résineux
et d'un tiers de feuillus. Cette proportion est inversée sur la France
entière. Parmi les résineux de montagne prédominent le
sapin et l'épicéa. Il s'agit là d'une richesse
économique très importante pour les Vosges, le Jura et le Massif
central.
Dans les Vosges, le Jura, ainsi que les départements de la
Franche-Comté et de l'Ain, les forêts publiques, sous
maîtrise communale pour l'essentiel, représentent couramment plus
de la moitié de la totalité des espaces boisés. Cette
proportion est d'environ un tiers sur l'ensemble de la France. Cette emprise
forestière présente donc une forte importance territoriale. En
revanche, les statistiques font apparaître pour les zones de haute
montagne d'importantes surfaces non boisées, pour l'essentiel sous
propriété et maîtrise foncière communale. Ces
alpages et terrains, situés au-delà de la limite de la
végétation forestière, sont inclus dans les statistiques,
sans toutefois produire de bois. Cette situation comporte des
conséquences importantes en matière d'aménagement du
territoire. Enfin, les données relatives à la forêt
privée située en zones de montagne pourront être
trouvées auprès du ministère de l'agriculture à
partir de l'inventaire forestier national.
Le premier réflexe quant à l'état des forêts est de
penser que dans la mesure où la gestion de l'ONF est exemplaire, les
forêts sont également en bonne santé. Tel est globalement
le cas.
En reprenant la distinction entre massifs de moyenne et de haute montagne, il
apparaît que les forêts des Vosges en premier lieu, ainsi que du
Jura, dans le Haut Doubs et le Haut Jura, ont été très
sévèrement affectées par les tempêtes de 1999. Les
cicatrices seront donc longues à disparaître. En particulier, dans
la partie montagneuse du département des Vosges, plus de la
moitié - et parfois près des deux tiers des surfaces
boisées - a été plus ou moins sévèrement
endommagée. L'équivalent de dix récoltes annuelles a ainsi
été perdu. Il sera donc nécessaire de réviser
l'ensemble des aménagements forestiers et des plans de gestion. Ainsi,
nous revoyons actuellement la totalité des plans de gestion des
forêts du département des Vosges, alors que la rotation normale
s'étale sur vingt ans. Il s'agit là d'un point essentiel à
court terme dans la question de la santé des espaces forestiers.
Les massifs alpins et pyrénéens ont été en revanche
faiblement affectés par les tempêtes. Dans le Massif central,
ce sont les forêts privées qui ont été les plus
touchées. Il en va ainsi du Limousin où, la forêt publique
étant faiblement représentée, les forêts
privées ont été très fortement
abîmées. L'Auvergne a été moins
sévèrement atteinte.
En dehors de ces éléments climatiques exceptionnels, de fortes
inquiétudes étaient apparues au début des années 80
quant à l'état de santé à moyen terme des massifs
forestiers, en particulier en moyenne montagne. Ce débat portait sur les
« pluies acides », comme il a été dit de
manière simplificatrice. Des informations très alarmistes -
doublées d'une certaine manipulation - se sont alors fait jour. La
collectivité forestière a donc mis en place, avec le soutien de
l'Union européenne, un dispositif de suivi. Ce système, qui est
effectif depuis vingt ans, permet d'évaluer la santé des
forêts grâce à des observations sur l'état du
feuillage, sur un réseau de placettes de mesure. Il est
complété depuis quelques années par un dispositif plus
lourd de mesure de teneur en composants chimiques des sols et de recueil puis
d'analyse de la pluie ruisselant sur les feuilles des arbres.
La communauté scientifique forestière s'accorde désormais
pour considérer que cette grosse alerte était en
réalité la conséquence de deux ou trois années de
sécheresse exceptionnelle à la fin des années 70. Nous
avons donc assisté, cinq ou six ans après, au contrecoup -
classique en forêt - de cette sécheresse. En revanche, depuis
vingt ans, aucune dégradation significative n'est à noter dans la
santé des massifs de moyenne montagne. Toutefois, les tendances de
très long terme font apparaître de manière significative
une augmentation de la production ligneuse dans les forêts. Ce
phénomène est probablement corrélé à
l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère. Cette
accélération de la photosynthèse peut entraîner un
appauvrissement de la composition des sols à laquelle il faut être
vigilant.
Parmi les éléments globaux de la santé des espaces
forestiers de montagne, un point technique particulier est à signaler
quant aux surfaces acquises au titre de la restauration en montagne. Certaines
acquisitions ont été consacrées à des travaux de
génie civil ou à des fins de lutte contre l'érosion
active. D'autres, d'une superficie plus importante, ont donné lieu
à reboisement afin de protéger les sols. Il s'agit là de
boisements en essences rustiques - pin noir pour l'essentiel. Ces arbres
arrivent maintenant à l'âge auquel ils doivent être
régénérés. Se posent donc des problèmes
techniques de recomposition d'une forêt plus diversifiée qui
permette de reconstituer progressivement le sol.
Il s'agit ici de ne pas se retrouver dans une situation similaire à
celle du siècle passé, où les terrains étaient
soumis à un risque d'érosion. L'ONF s'efforce donc actuellement
de gérer au mieux cette question technique de massifs arrivés
à une centaine d'années. Par ailleurs, de nombreuses
interrogations se posent quant à la diversification des essences et
à l'évolution vers la constitution de peuplements plus
mélangés. Les tempêtes de 1999 nous ont amenés
à accélérer nos réflexions sur ces points afin de
déterminer des méthodes sylvicoles permettant de limiter ces
risques. Si un vent passe dans une forêt à la vitesse de 180
kilomètres/heure, il causera inévitablement des
dégâts importants, quel que soit le type de peuplement. En
revanche, un peuplement adéquat peut résister à un vent de
100 kilomètres/heure. L'enjeu actuel consiste donc à
identifier le type de gestion le mieux adapté à la protection de
ces espaces.
M. Michel Moreigne -
Pouvez-vous nous fournir des indications quant aux
insectes xylophages qui sont présents dans les zones montagneuses du
Limousin et de l'Auvergne ?
M. Michel Badré
- Je dois dire que cette situation, en effet
préoccupante, était prévisible. En effet, après les
tempêtes de 1982 qui avaient fortement frappé le Massif central,
nous avions assisté à d'importantes attaques d'insectes
xylophages. De tels phénomènes s'expliquent pour des raisons
à la fois techniques et économiques. En effet, tout produit
susceptible de valorisation économique - pour l'essentiel les gros bois
et les grumes - est sorti de la forêt. Demeure donc un important volume
de bois qui ne peut être sorti, sauf à débourser des sommes
considérables. Ce bois mort resté en forêt constitue un
biotope idéal pour les insectes xylophages et cela d'autant plus que le
temps est chaud et sec. A cet égard, l'année 2000 a
été très mauvaise pour le tourisme et donc bonne pour la
forêt, ce qui a permis de différer temporairement ce
problème. En revanche, ces attaques importantes se produisent
aujourd'hui, avec un an de retard.
En matière forestière, l'on estime couramment qu'à la
suite d'une tempête abattant un volume de 100, l'on récolte, dans
les trois ou quatre ans suivants, un volume de 30 à 50 lié
à ces dégâts d'insectes. Il s'agit là d'un volume
très important. Le volume total de chablis de 1999 était compris
entre 100 et 130 millions de mètres cubes, toutes forêts
confondues, dont près de 45 millions pour la seule forêt
publique. Aussi nous attendons-nous à récolter au cours des
années 2001, 2002, 2003, voire 2004, une quinzaine de millions de
mètres cubes, soit plus qu'une récolte annuelle normale de bois
atteint par le bostryche. La seule parade consiste à récolter les
bois le plus rapidement possible afin d'éviter la propagation des
insectes. Cette solution apparaît plus facile à mettre en oeuvre
dans les espaces gérés par nos services qu'en forêt
privée, où certains propriétaires, absents, ignorent les
attaques de parasites dans leurs forêts. Nous ne possédons pas de
données quant à la ventilation par massifs de
l'épidémie de xylophages. Nous pourrons néanmoins vous
communiquer ultérieurement les volumes de bois atteints par le bostryche
et récoltés massif par massif.
Dans la mesure où la biodiversité soulève des
problèmes d'échelle, il est difficile d'apporter une
réponse tranchée à la question de la protection de la
biodiversité en forêt de montagne. En effet, les
spécialistes naturalistes et la communauté scientifique
s'interrogent quant à savoir s'il convient de raisonner sur quelques
mètres carrés, sur une parcelle ou encore sur un massif. Notre
approche de gestionnaires nous permet de constater que le gouvernement a mis en
place toute une série de mesures de protection de la
biodiversité. Le nombre d'outils utilisés à cette fin rend
le dispositif un peu complexe.
Il apparaît que le pourcentage d'espaces protégés est
toujours supérieur en zones de montagne. En effet, dans la mesure
où ces zones sont faiblement peuplées, il est plus aisé de
prendre des mesures de protection dans le Mercantour qu'en forêt de
Fontainebleau. Les zones de haute montagne, dans les Alpes et les
Pyrénées, renferment de nombreux sites présentant un
intérêt majeur quant à la protection de la
biodiversité. Il s'agit là d'une réalité
scientifique. Aussi l'Office National des Forêts a-t-il mis en place un
nombre important de mesures. Ainsi, les réserves biologiques domaniales
permettent de définir un plan de gestion spéciale afin de
protéger une espèce ou un espace donnés. Dans le cadre des
directives « habitat » et « oiseaux »,
nous avons largement contribué à l'implantation de zones
spéciales de conservation ou de protection. Ces sites sont
respectivement plus représentés en forêt domaniale que
communale, et plus en forêt communale que dans les territoires
privés.
L'ONF contribue également à un certain nombre de programmes
spécifiques de protection d'espèces inféodées
à la forêt et emblématiques, tel l'ours pour les
Pyrénées. Des programmes de protection du grand tétras
sont menés à la fois dans les Vosges et le massif jurassien. Par
ailleurs, plusieurs opérations de protection concernent le
gypaète barbu, présent dans les massifs montagneux. C'est
volontairement que je n'ai pas cité le loup, qui n'entre pas dans la
catégorie des animaux inféodés à la forêt.
L'ours et le grand tétras constituent des exemples très
différents de sauvegarde de la biodiversité en forêt de
montagne. En effet, le programme de protection de l'ours relève pour
partie d'une opération de communication menée depuis
désormais vingt ans. Les scientifiques semblent en effet s'accorder pour
reconnaître que la protection d'une dizaine de spécimens, voire
moins, intervient trop tardivement pour pouvoir protéger l'espèce
d'un point de vue écologique.
Au contraire, la protection du grand tétras - coq de bruyère
forestier en voie de disparition, se comptant en quelques centaines dans les
massifs des Vosges et du Jura, mais en plus grand nombre dans les
Pyrénées - présente un intérêt
écologique dépassant largement l'espèce elle-même.
En effet, le grand tétras constitue une espèce dite
« parapluie ». Cela signifie que la protection de cette
espèce amène à prendre des mesures plus
générales de gestion de l'espace, permettant ainsi de
protéger d'autres espèces inféodées au même
type de milieu. La mise en place de programmes de protection du grand
tétras permettra donc tout à la fois de sauvegarder cette
espèce et, à long terme, de favoriser la biodiversité. En
tant qu'acteurs économiques locaux, les services de l'ONF participent
à ces deux opérations. La protection de l'ours semble en revanche
relever plus d'une question socio-politique que véritablement technique.
Pour conclure sur la spécificité de notre politique en
forêt de montagne, je dirais que celle-ci est imposée à la
fois par le cadre et les conditions locales. Aussi nous efforçons-nous
de développer une politique multifonctionnelle. En effet, notre
politique ne doit pas se limiter à la seule production de bois, mais
également participer au développement de services et
préserver d'autres fonctions, telle la biodiversité dans les
zones de montagne. Actuellement, les massifs forestiers de montagne ne se
trouvent pas dans une situation de grande menace comme cela était le cas
à la fin du siècle dernier du fait des excès du
pâturage. Ce choix de société possédait une certaine
logique : en effet, le pâturage était à
l'époque indispensable à la vie et à l'économie
montagnardes. Toutefois, cette pratique s'exerçait au prix de
très graves menaces sur la forêt. Aujourd'hui, l'évolution
démographique et économique constatée sur l'ensemble des
massifs de montagnes fait clairement apparaître que cette menace n'existe
plus en tant que telle. Notre vigilance se reporte sur d'autres sujets :
conditions techniques et économiques d'exploitation en haute montagne,
protection de certaines espèces menacées,
régénération de peuplements fragiles.
La détermination des conditions économiques d'exploitation des
forêts impose de garder présente à l'esprit la distinction
entre les deux grandes catégories de massifs : moyenne montagne
d'une part, avec les Vosges, le Jura et le Massif central, haute montagne
d'autre part avec les Alpes et les Pyrénées.
Pour le premier groupe, il apparaît, de manière simplifiée,
que les conditions d'exploitation forestières sont similaires à
celles constatées sur le reste du territoire. Il s'agit donc des
conditions normales d'exploitation, à l'exception de quelques sites
très spécifiques et marginaux, comme des vallées
particulièrement escarpées ou pentues. Aucune mesure
spéciale ne s'avère donc nécessaire en direction de ces
massifs. En revanche, les massifs de haute montagne, alpins et
pyrénéens, donnent une idée assez précise de ce que
recouvre le « handicap montagne ».
Pour donner quelques ordres de grandeur du simple point de vue de
l'exploitation forestière, je rappellerai que la production
économique de ces massifs se compose pour l'essentiel de sapin et
d'épicéa. Ainsi, le prix d'une grume d'épicéa en
bord de route est compris, en fonction de sa qualité, entre 46 et 76
euros au mètre cube. Il s'agit là du bois exploité. En
zone de moyenne montagne, le coût d'exploitation, incluant le salaire des
bûcherons et le coût du tracteur pour amener le bois en bord de
route, s'avère à peine supérieur à celui
constaté en plaine. Ainsi, dans les Vosges ou dans les parties à
faible relief du Jura ou du Massif central, en conditions normales, ces
coûts varient entre un minimum d'une quinzaine d'euros et un maximum de
23 euros au mètre cube. Reste donc une valeur nette du bois, en
valeur « sur pied », se situant entre 23 euros et 46 euros
par mètre cube.
En revanche, en haute montagne, les surcoûts de bûcheronnage ou de
débardage s'élèvent fréquemment à 7,62 ou 15
euros par mètre cube. Les valeurs résiduelles s'en trouvent donc
abaissées à 7,62 euros. Il peut apparaître
nécessaire de passer à des solutions comme le débardage
par câble, portant le coût total de récolte entre 46 et 60
euros par mètre cube. Ces coûts étant égaux à
la valeur du bois en bord de route, l'on aboutit alors à une valeur
nette sur pied nulle. De même, le coût du recours au
débardage par hélicoptère étant nettement
supérieur à 46 euros, la valeur nette sur pied en devient
négative. Ceci signifie donc qu'il est nécessaire de payer pour
sortir le bois. Aussi l'hélicoptère est-il réservé
à des situations extrêmes, où l'exploitation est rendue
obligatoire, par exemple pour des motifs de sécurité. Ces
chiffres sont aujourd'hui bien connus ; ils varient à la marge en
fonction des conditions locales.
L'ensemble des acteurs locaux a désormais clairement connaissance de ce
type de contraintes. Le câble a fait l'objet de différentes
expérimentations afin de développer son utilisation. Ainsi, dans
certains pays, comme en Autriche, il s'agit d'un mode de débardage
très fréquemment employé. En France, dans les Alpes et les
Pyrénées, différentes opérations ont
été menées à cet égard. Ainsi, des
dispositifs d'aides publiques, nécessaires à la
pérennisation de ce système, ont été mis en place
depuis une dizaine d'années, par exemple avec le programme
« compétitivité plus ». Ces programmes se
poursuivent actuellement dans le cadre du Plan de développement rural
national (PDRN). Par ailleurs, plusieurs dispositifs de subvention à
l'exploitation et au débardage de bois par câble ont
été développés. Ces mécanismes peuvent
prendre la forme d'aides au mètre cube sorti, ce qui implique alors un
décompte complexe, ou de subventions à l'installation du
câble, dont la gestion est plus simple. De même, la formule
actuelle du PDRN prévoit dans certains cas des formules d'aides à
l'hectare. L'idée commune sous-jacente consiste à réduire
le handicap économique incontestable dû aux conditions
d'exploitation en zone de haute montagne.
L'Office National des Forêts ne représente pas l'interlocuteur le
plus compétent pour vous renseigner sur la question de la filière
« forêt-bois » dans les massifs de montagne. Aussi le
ministère de l'agriculture, qui bénéficie d'une vue
d'ensemble, sera-t-il mieux à même de vous communiquer les
renseignements relatifs à la première et à la
deuxième transformation. En effet, l'ONF ne dispose sur ces points que
d'informations de seconde main.
Les difficultés rencontrées par la filière
« forêt-bois » renvoient à la
problématique plus générale de la
compétitivité mondiale de l'industrie du bois résineux.
Là encore, il convient de ne pas perdre de vue la distinction entre
haute et moyenne montagne, en particulier les Vosges et le Jura pour les
massifs de moyenne montagne.
Depuis une vingtaine d'années, l'on assiste à une
évolution extrêmement forte qui a abouti à une
concentration forte et à une compétition mondiale accrue. Le
marché apparaît ainsi entièrement déterminé
par les grands pays producteurs - Canada, Finlande, Suède et Russie - et
les pays fortement consommateurs - Etats-Unis, Japon et Europe de l'Ouest, en
particulier la Grande-Bretagne, l'Allemagne, et, dans une moindre mesure, la
France. Cette compétition économique aiguë se traduit par
des conséquences très pratiques. Ainsi, le massif vosgien
comporte aujourd'hui deux scieries qui produisent chacune environ 500 000
mètres cubes par an. Les deux leaders entraînent les autres,
lesquels sont donc contraints à adapter leur activité et leurs
prix. A titre comparatif, quinze ans plus tôt, la production de la plus
grosse scierie du massif vosgien était inférieure à
100 000 mètres cubes par an. De même, dans les années
70, environ une centaine de scieries demeurait en activité.
L'évolution a été similaire dans le massif jurassien,
quoique décalée dans le temps. Les Alpes et les
Pyrénées connaissent en revanche des situations
différentes. En effet, en raison de l'existence de conditions locales
spécifiques, les entreprises bénéficient de certaines
« niches ». Elles se heurtent toutefois à de
nombreuses difficultés pour se situer sur le marché mondial.
Cette évolution spectaculaire, engagée depuis une quinzaine
d'années, devra conduire à une réflexion en matière
d'aménagement du territoire afin d'identifier les moyens de survie
d'industries du bois « de proximité », reposant sur
des scieries de taille moyenne mais néanmoins compétitives.
Il a été dit que les chartes forestières de territoire,
mises en place par la loi d'orientation forestière du 9 juillet 2001,
constituent des outils destinés à résoudre un
problème, avec un groupe d'acteurs, dans un espace géographique.
La loi forestière se propose d'aider ou d'améliorer, par des
aides publiques ou des prêts à des taux plus intéressants
que ceux du marché, des projets qui se mettraient en place dans les
espaces forestiers. Actuellement, une vingtaine de projets de chartes
forestières est en cours d'élaboration. Deux chartes ont
été signées à ce jour, l'une concerne le Cantal,
l'autre le massif des Bauges, à la limite de la Savoie et la
Haute-Savoie. Au sein de ces zones de montagne, les chartes ont établi
des listes d'opérations jugées intéressantes par les
acteurs locaux. Ces actions sont ciblées à la fois sur le
développement économique de la filière bois, le
développement du tourisme et de l'accueil du public dans les
forêts. Par ailleurs, une quinzaine d'autres projets est actuellement en
cours d'élaboration. Si tous ne sont pas relatifs à des espaces
de montagne, l'on peut cependant dénombrer 10 ou 12 projets concernant
de telles zones. Les grands axes de ces projets s'articulent autour de
thèmes similaires à ceux des chartes. Cet outil très
intéressant n'en est toutefois qu'à ses balbutiements. Aussi
serons-nous mieux à même de procéder à son
évaluation d'ici quelques années.
M. Michel Moreigne
- Monsieur le Délégué
général, je vous remercie pour vos précisions sur les
chartes forestières. Vous avez en outre répondu très
précisément aux questions que nous souhaitions vous poser. La
question de la restauration des terrains de montagne a en effet
été largement abordée avec le
Délégué national aux actions de restauration.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je souhaiterais vous poser deux questions.
Pouvez-vous nous fournir, plus globalement, une vision d'ensemble des
pathologies du bois en haute montagne et des remèdes susceptibles d'y
être apportés ? En effet, sur le terrain, les
propriétaires comme les élus locaux ont noté une forte
dégradation de la situation. La seconde interrogation est relative au
séchage du bois et à son conditionnement afin de permettre
à notre industrie du bois d'être concurrentielle. Il
apparaît en effet que notre économie et nos pouvoirs publics n'ont
pas su répondre entièrement à ces problèmes.
M. Michel Badré
- La question des pathologies du bois
nécessite une compétence d'expert que je n'ai pas.
M'autoriseriez-vous donc, Monsieur le président et Monsieur le
rapporteur, à vous fournir une réponse écrite sur ce
point ?
Le séchage du bois se situe en aval de nos propres interventions.
Signalons toutefois que cette question économique est entièrement
liée au phénomène de concentration des scieries. En effet,
l'investissement nécessaire au séchage ne peut être amorti
que sur un volume de production de sciage suffisant.
En zones de montagne, particulièrement en haute montagne, le
regroupement de scieries apparaît moins aisé du fait de conditions
de transport et d'approvisionnement plus complexes. La réalisation d'une
scierie importante pouvant justifier l'amortissement d'une installation de
séchage y est donc particulièrement difficile. Dans les Vosges,
il est possible d'alimenter dans un proche rayon une scierie de 100 000
mètres cubes. En revanche, il n'existe pas de situation similaire en
Haute-Savoie. Pour vous citer quelques chiffres de mémoire, dans une
scierie de taille suffisante, le coût du séchage est compris entre
15 et 23 euros le mètre cube. Par rapport à un prix du
mètre cube scié d'environ 152 euros, la valeur ajoutée en
est d'autant augmentée. Il devient ainsi possible de se placer sur un
marché demandeur de ce type de produits. Mais une petite scierie, dont
l'activité oscille entre 4.000 et 5.000 mètres cubes, n'a
pratiquement aucun espoir de pouvoir se lancer dans ce type d'opération.
En effet, l'amortissement de l'investissement en séchoir sur un volume
aussi faible conduit à un coût du séchage prohibitif.
Certaines scieries ont procédé à des opérations de
séchage collectif. Peut-être est-ce là la solution vers
laquelle il convient de s'orienter. Rappelons cependant que les produits du
bois résineux présentent par eux-mêmes une faible valeur,
comprise entre 60 et 76 euros par mètre cube en bord de route. Le prix
s'élève à 152 euros pour le bois scié. Dans tous
les cas, le transport avec une rupture de charge, un départ et une
arrivée, entraîne un coût supplémentaire de 6
à 7,6 euros par mètres cubes. Aussi est-il impossible
d'introduire plusieurs ruptures de charge pour regrouper les grumes, les scier,
les emmener au séchoir et en repartir. Une conception
générale efficace doit donc intégrer à la fois le
coût du transport et du regroupement.
M. André Rouvière
- Je souhaiterais à mon tour vous
faire part de deux questions.
Ma première interrogation est relative au transport du bois. Dans le
Gard, en dépit de nombreuses rencontres avec les décideurs du
chemin de fer, je n'ai pu obtenir pour un scieur le transport de bois par
chemin de fer, alors même que la voie ferrée fonctionne. Il
s'agissait, dans cette affaire, de bois en provenance des Landes qui
était amené jusqu'au nord d'Alès, dans le Gard. Seule
restait une dizaine de kilomètres à parcourir. La voie
ferroviaire existe et fonctionne, mais transporte uniquement des voyageurs. Les
autorités de la SNCF ont donc refusé que les locomotives
utilisent une voie prévue pour les voyageurs mais non pour le fret.
Les modalités de transport en ont été rendues plus
complexes pour la scierie, qui a dû accepter des ruptures de charge,
entraînant par là un surcoût de fonctionnement. Dans la
mesure où des aides ont été prévues pour sortir le
bois, serait-il possible d'établir une meilleure coopération avec
le chemin de fer dès lors que les voies existent ? Dans le cas qui
m'a été soumis, je reconnais néanmoins que le chemin de
fer aurait donné son accord si plusieurs trains complets avaient
existé. Or en l'espèce, la SNCF disposait seulement de quelques
wagons par mois, ce qui était donc peu pratique. Ce type de transport
aurait été à la fois commode pour la scierie et avantageux
pour la région. Il serait donc judicieux de pouvoir engager un dialogue
au niveau national avec les responsables de la SNCF afin de déterminer
si, parmi les aides mobilisables, certaines pourraient faire appel à
leur compréhension.
La seconde question est relative à la politique de lutte contre les
incendies de forêt, point que vous n'avez pu traiter. Force est de
constater que, dans ma région, de nombreux efforts ont été
engagés par l'ONF pour lutter contre les incendies par la construction
de pistes forestières, qui, par la suite, deviennent bien souvent des
pistes « défense de la forêt contre les
incendies » (DFCI). Je souhaiterais émettre deux observations
concernant des problèmes qui deviennent de plus en plus aigus et
difficiles à traiter.
Ma première remarque est relative à l'entretien de ces pistes. En
effet, l'ONF a permis la création de nombreuses pistes. Il
apparaît toutefois que l'obtention des crédits d'entretien
s'avère de plus en plus complexe. Il est donc regrettable d'assister
à la dégradation de certaines pistes. Dès lors, j'aimerais
savoir si l'ONF sollicite des crédits plus importants pour
l'entretien de ces pistes.
Ma seconde remarque concerne la question de la propriété du sol.
En effet, de nombreuses pistes nécessaires à la
préservation des forêts domaniales ou communales sous
régime forestier traversent souvent des propriétés
privées. Vous avez obtenu l'autorisation de passage, mais non la
propriété des sols, ce qui soulève de nombreuses
difficultés. En effet, si certains propriétaires se montrent
compréhensifs, d'autres barrent le passage. Il semble donc
nécessaire d'essayer de régulariser cette situation afin qu'une
piste réalisée avec le soutien de fonds publics soit
établie sur un sol qui devienne également propriété
publique. En effet, de nombreux problèmes se posent sur le terrain, en
particulier lors de changement de propriétaire ou de transmission
successorale.
M. Jean-Paul Amoudry
-
J'aurais encore deux questions. Ma
première question est relative à l'organisation de l'ONF sur les
territoires de moyenne montagne. Aujourd'hui, en dépit d'une
réorganisation très utile, se posent des problèmes de
taille critique et de coûts : apparaissent donc des regroupements,
principalement au niveau régional. S'agissant des départements,
l'ONF est aujourd'hui présente dans les seuls chefs-lieux. Ceci ne
soulève pas de difficultés si le chef-lieu du département
se situe en zone de montagne, mais est problématique lorsqu'il se situe
en plaine où se trouve une faible proportion de forêts relevant de
l'ONF. Il m'apparaît dommage que l'ONF ne demeure pas au coeur de son
activité dans chaque département.
Ma seconde question est relative à la commercialisation du bois. Vous
avez clairement mis en exergue la différence entre l'amont et l'aval. En
effet, aujourd'hui, à l'exception des massifs de haute montagne,
où la multiplicité des scieries demeure, seules deux grandes
scieries sont présentes dans les massifs vosgien et jurassien. Serait-il
donc possible d'envisager une commercialisation à la hauteur de ces
partenaires situés en aval ? Il existe rarement, au plan
territorial, des structures sous l'égide de l'ONF permettant de
commercialiser durablement des volumes de bois significatifs avec les
industriels, plutôt que d'agir au coup par coup. En effet, il existe d'un
côté une approche de distribution industrielle et de l'autre, un
aspect qui demeure lié à l'économie de production, quoique
vieux de 200 ans. Les deux aspects se rejoignent avec difficulté dans le
carrefour de la commercialisation. La loi forestière avait
souhaité aborder ce problème, qui n'est toutefois pas encore
réglé. Il sera donc nécessaire de créer des
établissements publics de taille suffisante afin de pouvoir amener des
volumes sur le marché. Tel n'a pas été le cas dans le
département de l'Ain.
M. Auguste Cazalet
-
Monsieur le Délégué
général, pouvez-vous nous rappeler jusqu'à quelle altitude
pousse le bois ?
M. Michel Badré
-
Pour simplifier, cela dépend
à la fois de la latitude et du versant. Dans le massif alpin du nord
comme du sud, la limite se situe autour de 2000 mètres. La
végétation forestière pousse un peu au-delà pour
les versants frais exposés vers le nord, un peu en deçà
pour les versants chauds exposés au sud. Dans les Alpes du sud, la
forêt monte jusqu'à 2 500, parfois 2 700 mètres
d'altitude. La moyenne, du point de vue biologique, se situe donc entre
2 000 et 2 500 mètres selon le versant et la fraîcheur.
M. Auguste Cazalet
-
J'ai beaucoup apprécié votre
exposé sur l'ours, avec lequel je suis entièrement d'accord. Il
est en effet aujourd'hui trop tard pour sauver l'espèce. Je n'ai jamais
compris pourquoi l'on s'est attaché à introduire des ours
slovènes plutôt que d'essayer de les croiser avec les ours des
Asturies. En revanche, la protection des autres espèces est susceptible
de poser plusieurs difficultés. Actuellement, les agriculteurs se
plaignent fortement de l'invasion des vautours. Autrefois, le vautour ne
s'attaquait qu'aux bêtes mortes et constituait le nettoyeur des
montagnes. Aujourd'hui, il n'est plus possible de laisser dehors une vache
mettant bas ou de jeunes veaux. J'ai en effet pu constater dans ma
localité, à dix kilomètres de la chaîne du
Piémont, l'arrivée de vautours affamés. Ces animaux, qui
ont été trop protégés, s'attaquent désormais
aux bêtes vivantes, et créent un déséquilibre. Les
isards posent des problèmes similaires de sur protection.
M. Michel Badré
-
Au risque de paraître paradoxal,
je me permettrai de regrouper les trois questions, concernant à la fois
les chemins de fer, l'entretien des pistes DFCI et l'organisation de l'ONF dans
l'Ain.
La SNCF, au même titre que l'ONF, constitue un organisme public. Je me
permettrai simplement de relater une anecdote. A la suite des tempêtes,
nous avons été confrontés à un problème
similaire à celui que soulevait Monsieur le Sénateur. En effet,
nous disposions de 40 millions de mètres cubes de bois à vendre
dans des zones où les acheteurs étaient prêts à en
acheter seulement 5 ou 6 millions. La seule solution consistait donc à
évacuer le bois. Nous avons rencontré des difficultés
identiques aux vôtres à l'égard de la SNCF. Notre directeur
général connaissant personnellement Monsieur Gallois, nous
l'avons rencontré et lui avons exposé nos problèmes. En
dépit de son intérêt pour cette question, Monsieur Gallois
nous a indiqué que le transport du bois, dont la valeur se situe environ
à 46 euros par mètre cube, n'était pas rentable. En outre,
dans la mesure où la longueur des quais doit être
prolongée, le transport aurait également nécessité
la réouverture de gares depuis longtemps fermées
Ces travaux complexes doivent être mis en perspective avec une faible
rentabilité. Comme l'a indiqué Monsieur Gallois, nous nous
situons là au coeur de la difficulté. Nous avons néanmoins
monté nous-mêmes des opérations de vente de bois rendu en
gare d'arrivée. Ainsi, au lieu d'être commercialisé dans
les Vosges, le bois était vendu à Gap ou à
Briançon. Ces opérations n'ont cependant concerné que
quelques milliers de mètres cubes, soit une quantité tout
à fait marginale.
Je rappelle que dans la mesure où l'ONF est un service public, l'Etat,
qui représente la société, et les contribuables nous
demandent, comme à la SNCF, d'équilibrer nos comptes. Ces
demandes peuvent apparaître en totale contradiction. Comme l'a
souligné Monsieur le Sénateur, les pistes DFCI doivent être
entretenues. Cette dépense est prise en compte sur notre budget.
Toutefois, cela ne nous permet pas de récolter un seul mètre cube
de bois en plus pour équilibrer nos comptes. Naturellement, cet
entretien relève de notre mission : si les forêts
brûlent, il nous sera reproché de ne pas avoir répondu
à nos missions.
Il nous est également demandé de disposer d'une organisation
performante. Ainsi, le contrat conclu entre l'Etat et l'ONF fixe des gains de
productivité de 30 % en six ans, ce qui est important pour une
entreprise de services. Il nous est en même temps demandé de ne
supprimer aucun poste en zone rurale, de conserver les personnels là
où ils se trouvent, ainsi que des équipes administratives de deux
personnes dans les chefs-lieux de canton, alors que chacun sait que la taille
critique de fonctionnement n'est pas atteinte partout.
Nous nous efforçons donc de gérer ces contradictions et d'aboutir
à des compromis. Je rappelle simplement qu'il est rare que les compromis
satisfassent l'ensemble des attentes. Nous avons tenté d'instaurer une
collaboration avec la SNCF. Les solutions envisagées n'ont toutefois pas
permis de répondre entièrement au problème, mais je crois
que c'est parce que la SNCF, comme l'ONF, est soumise à des contraintes
de coût et à des objectifs de qualité dont la
compatibilité n'est pas toujours évidente. Toute la
réflexion sur la modernisation du service public, dans laquelle l'Office
est engagé résolument, doit pourtant en tenir compte.
M. Michel Moreigne
-
Je vous remercie à nouveau et vous
invite à nous transmettre par écrit les compléments de
réponse aux dernières questions.
28. Audition de MM. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM), Jacques Grassi, président de la Chambre des métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et Jean Vaquié, président de la Chambre des métiers de l'Aude (25 juin 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur -
Mes chers collègues, Messieurs les
Présidents, avec la permission du Président de séance,
j'ouvre cette nouvelle audition en remerciant les intervenants de leur
présence au Sénat pour les besoins de la Mission commune
d'information sur la montagne. Les auditions se poursuivront jusqu'au mois de
juillet. La Mission présentera ses conclusions au mois d'octobre. Nous
avons déjà passablement travaillé, mais nous sommes
heureux de vous accueillir pour entendre le témoignage d'hommes de
terrain. Avant de vous laisser la parole pour répondre aux questions que
nous vous avons posées, je souhaiterais que vous vous présentiez
aux membres de notre mission.
M. Alain Griset -
Monsieur le Rapporteur, Messieurs les
Sénateurs, je vous remercie d'avoir invité les
représentants des chambres des métiers de France et donc des
845 000 entreprises artisanales de France à cette audition sur la
loi Montagne. Je suis Président de l'Assemblée Permanente des
Chambres de Métiers, et par ailleurs Président de la Chambre des
métiers du Nord, qui n'est pas tout à fait un territoire de
montagne. Aussi ai-je demandé à de véritables
spécialistes des départements de montagne de m'accompagner. Avant
de donner la parole à mes collègues, je souhaite rappeler qu'un
chapitre de la loi Montagne était relatif au commerce et à
l'artisanat en zone de montagne. Ce texte comprenait trois articles qui
reconnaissaient le rôle nécessaire et les
spécificités de l'artisanat dans ces zones. Or dix-sept ans
après le vote de la loi, il apparaît que les mesures
prévues à l'origine n'ont pas été mises en
application, ou n'ont pas donné les résultats escomptés.
Les articles 56 et 58 prévoyaient la mise en place d'évaluations
et de rapports sur les dispositifs relatifs au commerce et à
l'artisanat. A l'heure actuelle, ces dispositions n'ont pas été
appliquées. J'insiste sur le fait que nous considérons la
présence d'un artisanat fort comme indispensable à la vie dans
ces territoires au même titre que l'agriculture ou les services publics.
Nous nous accorderons tous pour considérer comme inimaginable que de
très grandes industries puissent prochainement venir revivifier ces
territoires sur le plan économique. Au contraire, le tissu des petites
entreprises, en particulier des entreprises artisanales, peut seul permettre le
développement économique équilibré des territoires
en favorisant des créations d'emplois.
En effet, au cours des dix dernières années, l'artisanat a
contribué à la création de 1,6 million d'emplois en solde
net sur l'ensemble du territoire. Naturellement, ce phénomène
s'est également vérifié dans les zones de montagne. Nous
considérons donc qu'aux côtés de l'agriculture et des
services publics, l'artisanat représente le troisième pilier de
création d'emplois dans ces territoires. En outre, l'artisanat permet
d'apporter les services de proximité attendus par les habitants, par
exemple dans le secteur de l'alimentation. Il s'agit là d'un point
essentiel. En effet, notre secteur comprend, entre autres professions, les
boulangers, les bouchers ou les charcutiers, qui représentent un gros
potentiel économique. Sont également concernés les
services aux personnes, comme les garagistes, coiffeurs, photographes ou taxis,
ainsi que les activités du bâtiment nécessaires à
l'entretien du patrimoine et des habitations. Ces 250 métiers
regroupés au sein de l'artisanat apparaissent nécessaires, en
termes de proximité, pour maintenir les populations dans ces territoires
et leur garantir une certaine qualité de vie. A cet égard, dans
le cadre de l'activité touristique, nos entreprises peuvent apporter un
certain nombre d'atouts. En effet, l'artisanat comprend également des
entreprises spécialisées dans ces activités.
Nous considérons que la loi de 1985 aurait pu apporter plus de
satisfaction et de moyens pour ces régions. Nous pensons
néanmoins qu'un certain nombre de mesures pourrait favoriser, dans les
mois ou les années à venir, une nouvelle dynamique permettant aux
entreprises déjà existantes de demeurer implantées sur ces
territoires. Mes collègues évoqueront l'intérêt que
nous portons à la transmission d'entreprise, problème commun
à l'ensemble de la France, mais qui se pose de manière cruciale
dans les régions de montagne où toute entreprise non transmise a
vocation à disparaître. Cette situation appelle des mesures
adéquates afin de conserver des activités sur place. Je passe
maintenant la parole à mes collègues. Naturellement, nous restons
à votre disposition pour répondre à toutes les questions
que vous souhaiteriez nous poser.
M. Jacques Grassi -
Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs, je
suis Président de la Chambre de métiers des
Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM à la
commission permanente du Conseil National de la Montagne, et à
l'Association nationale des élus de la montagne. Je suis
également membre de la Commission permanente du massif des
Pyrénées. Enfin, j'habite en zone de montagne car je
réside à Bagnères-de-Bigorre. Je suis par ailleurs artisan
charpentier. Pour compléter les propos d'Alain Griset, je dois dire que
les chambres de métiers, en dépit de certaines déficiences
de la loi Montagne, ont néanmoins accompagné et aidé les
entreprises à s'installer et à se développer dans les
zones de montagne. Je m'attacherai maintenant à répondre aux
questions que vous nous avez fait parvenir.
A votre interrogation relative à l'existence de données
permettant d'élaborer un bilan statistique de l'artisanat en zone de
montagne, je ne peux qu'apporter une réponse négative. Il
n'existe en effet aucun bilan statistique sur ce point. De même
n'existe-t-il pas de données statistiques continues sur l'artisanat par
massifs. Des tentatives de création de systèmes globaux
d'observation sont apparues, notamment par l'INSEE au cours des années
1985 et 1986. Ces tentatives n'ayant pas abouti, nous manquons actuellement de
statistiques, à tel point que certaines chambres de métiers,
comme la Haute-Savoie et les Pyrénées-Atlantiques, ont
créé leurs propres observatoires sur l'artisanat afin de suivre
l'évolution des entreprises en zone de montagne. Cependant, les moyens
demeurent restreints. Ainsi, l'observatoire mis en place dans les
Pyrénées-Atlantiques est financé temporairement par le
Conseil général ; je crois que c'est également le cas
en Haute-Savoie. J'ignore en revanche si ces aides perdureront. Nous parvenons
cependant à délivrer un diagnostic général sur les
entreprises de montagne.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les zones de montagne ne
constituent pas des espaces homogènes. En effet, d'un massif à un
autre, voire au sein d'un même massif, les conditions de
développement se révèlent très diverses. La moyenne
montagne se trouve souvent en déclin, alors que la haute montagne, qui
bénéficie de l'apport des sports d'hiver, connaît un essor.
Parmi ces massifs, les Pyrénées, que je connais bien, se
composent de vallées parallèles, toutes axées nord-sud, et
constituent un patchwork de diversité quant aux situations cantonales
allant du grand tourisme confirmé au site industriel en déclin en
passant par des zones agricoles en crise. L'interprétation
générale s'avère donc délicate.
Vous noterez dans un second temps que les observations sur le terrain font
apparaître à l'évidence, que le commerce et l'artisanat de
montagne subissent des surcoûts économiques, fiscaux et sociaux.
Vous demandez s'il est possible de chiffrer les handicaps qui pèsent sur
les activités artisanales en montagne. En effet, de même qu'un
particulier qui se déplace en montagne sait qu'existe un surcoût
concernant les véhicules et le temps nécessaire, il existe des
handicaps lorsque l'on travaille en montagne. Se posent en particulier des
difficultés pendant les périodes hivernales pour se rendre d'un
point à un autre. Lorsque l'on se rend en montagne pour les vacances, il
est ennuyeux de perdre trois ou quatre heures dans des bouchons pour
accéder à la zone de loisir. Cependant, ceci est encore plus
gênant lorsque l'on se déplace pour le travail. Une estimation en
heures ou journées perdues pourrait être réalisée.
Toutefois, la diversité des situations rend difficile le chiffrage de
ces surcoûts. Il est en revanche certain que pour les entreprises
travaillant dans des zones à forte activité touristique, il
s'agit là d'un surcoût. En effet, les prix varient en fonction de
la basse et de la haute saison, au cours de laquelle l'effet neige
entraîne une augmentation des prix. Ce surcoût existe donc de
manière incontestable, mais reste difficile à évaluer.
M. Jean Vaquié -
Permettez-moi de me présenter. Je suis
Président de la Chambre des métiers de l'Aude et de la
Conférence de l'artisanat pyrénéen, ainsi que
Secrétaire adjoint de l'Assemblée Permanente des Chambres de
Métiers. Je travaille dans l'agroalimentaire ; en effet, je suis
charcutier traiteur. Je réside dans l'Aude, qui se situe dans la
région Languedoc-Roussillon. Ce département présente une
spécificité forte. En effet, l'Aude est encadrée par
deux montagnes, les Pyrénées au sud et le Massif central au nord.
Cette situation géographique constitue un point crucial à prendre
en compte lorsqu'il s'agit de parler de l'artisanat.
Dans le Languedoc-Roussillon, nous bénéficions d'aides directes
aux entreprises, qui doivent être maintenues. Il ne s'agit toutefois pas
d'aides spécifiques à la montagne. En effet, ces subventions sont
attribuées aux zones 2 et 5B. A cet égard, le nouveau zonage tend
à nous desservir. Aussi serait-il pertinent de maintenir les zones de
montagne et de moyenne montagne, en particulier pour la Lozère, qui se
situe entièrement en montagne, ainsi que pour les autres
départements du Languedoc-Roussillon, notamment l'Aude.
L'artisanat veut se maintenir et se développer dans nos régions.
Il ne pourra cependant le faire que dans un environnement porteur. C'est
pourquoi plusieurs orientations peuvent être proposées. J'ai
déjà parlé des aides directes à l'entreprise. A ces
aides pourraient utilement s'ajouter des mesures d'accompagnement pour
l'artisanat, permettant leur intégration dans une démarche
collective. Il apparaît en effet certain que les artisans qui demeureront
isolés ne pourront se développer. Malgré nos efforts en ce
sens, il s'avère impossible de mettre en oeuvre des groupements
d'employeurs. En outre, l'application effective des 35 heures dans le monde
rural et de l'artisanat apparaît rigoureusement impossible.
J'insiste sur le fait que l'artisanat ne souhaite pas tomber dans l'assistanat,
mais au contraire bénéficier de « coups de
pouce » afin de permettre à son économie d'avancer. Je
citerai plusieurs exemples d'aides possibles en direction des zones de
montagne. Ainsi, les professionnels des métiers de bouche, par exemple
les bouchers ou les charcutiers, disposent d'un outil de travail qui leur
permet de servir le client. En développant leur activité dans le
respect des normes d'hygiène et de sécurité, ces
professionnels pourront réaliser une production plus importante et
procéder à son exportation. Plusieurs professionnels ont
déjà été aidés par la région, l'Etat,
les conseils généraux, et ont bénéficié de
l'appui des chambres de métiers. En effet, l'appui technique des
chambres de métiers est indispensable pour aider en pratique les bonnes
volontés, les mettre sur les rails, permettre aux artisans d'avancer,
les inciter à rester ou à venir au pays.
Je crois qu'une erreur fondamentale a été commise lors du
vote de la loi Montagne. Il aurait en effet été
nécessaire de procéder par une loi plus générale,
concernant le monde rural dans son ensemble. En effet, si les artisans
disparaissent, l'agriculture en viendra à connaître de nombreuses
difficultés, et le monde rural n'aura plus droit à la vie. Je
vous citerai également l'exemple du boulanger, qui est également
un artisan. L'exercice de cette profession est difficile dans le monde
rural ; il l'est plus encore en zone de montagne.
L'Assemblée générale de notre chambre des métiers a
ainsi souligné récemment que le boulanger, qui desservait 14
communes rurales, devait remplacer les pneus avant du véhicule de
tournée chaque mois, et les pneus arrière tous les cinq mois. Par
ailleurs, le temps nécessaire à la tournée s'avère
très long. S'ajoutent encore les normes d'hygiène et de
sécurité, qui entraînent un coût
supplémentaire. En l'absence d'aides, pas seulement financières,
les artisans se décourageront. En effet, quelle que soit la localisation
géographique, le prix du pain à la vente demeure le même
pour le boulanger. Vous comprendrez qu'un artisan ne peut fournir un produit
à son détriment, sauf à devoir cesser son activité.
En Languedoc-Roussillon, les aides départementales, régionales et
d'Etat ne comportent pas de subvention pour le matériel roulant. Ainsi,
le boucher reçoit une aide uniquement pour la boutique se situant
à l'intérieur de son camion, mais non pour le véhicule
lui-même. En revanche, nous fournissons dans les
Pyrénées-Atlantiques une aide technologique qui a vocation
à être étendue à l'ensemble de la chaîne
pyrénéenne.
M. Jacques Grassi -
Plusieurs aides financières et mesures de
simplification ont été mises en place au bénéfice
des artisans et commerçants installés en zone de montagne. Dans
certaines régions, comme le Languedoc-Roussillon, existe une aide aux
artisans, qui n'est toutefois pas spécifique aux zones de montagne. En
revanche, dans les Alpes-de-Haute-Provence, une aide spécifique a
été mise en place. Il s'agit du FODAM, Fonds d'aide à la
modernisation, dont le financement relève de l'Union européenne
et des départements. Le FODAM s'attache à favoriser le maintien
des services de proximité dans les communes de moins de 2000 habitants.
Cette aide constitue une sous mesure du programme européen
« objectif 2 ».
Au total, peu d'aides financières ont donc été
recensées. En revanche, en Midi-Pyrénées, la signature de
nouveaux contrats de plan Etat région a permis, pour la première
fois, la mise en place d'aides financières spécifiques
ciblées sur la montagne. Le contrat interrégional de massif
comprend les trois régions Languedoc-Roussillon,
Midi-Pyrénées et Aquitaine. Le préfet coordonnateur se
trouve à Toulouse. Ce contrat concerne donc en tout six
départements. Au sein du contrat de plan Etat région, des aides
financières ont été ciblées pour la montagne.
Naturellement, nous pourrons en bénéficier.
Le quatrième point relatif à la nécessité de
maintenir des services de proximité appelle une réponse
affirmative. Il s'agit là d'un point essentiel pour les personnes vivant
en montagne. Il faut, selon nous, conserver et soutenir l'existant, et aider
les personnes à continuer à vivre dans les zones où elles
habitent. Jean Vaquié a insisté sur les problèmes relatifs
aux tournées. En effet, le véhicule de tournée constitue
un élément essentiel de la vie rurale en général,
dont l'importance se trouve encore accrue dans les zones de montagne. Aussi
certaines opérations soulèvent-elles des difficultés de
financement de ce véhicule. En effet, le véhicule de
tournée peut être vu comme un élément de service au
public, qui doit absolument être maintenu. De même est-il
nécessaire d'aider des jeunes à s'installer ou à reprendre
des entreprises. En effet, une entreprise artisanale, même située
dans un petit bourg ou un village de montagne, représente un emploi ou
un apprentissage. Aussi la présence des artisans est-elle susceptible de
favoriser la vie du village, où l'on trouve généralement
un boulanger et un maçon ou un charpentier qui répondent aux
besoins de la population.
Plus encore, il est nécessaire de conserver les services publics en zone
de montagne. Dans le cas contraire, il est en effet impossible d'inciter des
entreprises à s'y installer et à y travailler. Ainsi, en
l'absence d'école ou de services publics de proximité - bien
qu'il existe aujourd'hui des regroupements scolaires bien organisés - un
jeune couple ne viendra pas s'installer. A l'heure actuelle, il existe une
forte demande de la part des maires de communes rurales de montagne pour
obtenir des aides à l'installation de multiservices. Un grand groupe de
distribution s'intéresse aujourd'hui à cette question. Je dirai
que ce groupe fait du social, car il n'entre pas dans l'intérêt
d'une grande surface d'en financer une petite. Or les multiservices
répondent à des besoins réels de la population : l'on
peut en effet y trouver une photocopieuse, un fax, ainsi que la plupart des
services attendus.
Il serait également nécessaire de modérer l'implantation
des grandes surfaces dans les zones de piémont. Je sais que chacun a
droit aux prix pratiqués dans les grandes surfaces. Cependant,
l'extension des super- et hypermarchés conduit à vider les
vallées de toute leur substance. Par conséquent, les personnes
habitant loin ne disposent plus de services de première
nécessité. Il apparaît donc absolument nécessaire de
modérer l'extension des grandes surfaces, surtout en zone de
piémont. Il est en effet indispensable de laisser vivre les gens dans
les vallées. Si l'épicerie, le distributeur de journaux ou le
multiservice leur sont ôtés, la vie du village disparaît.
La pluriactivité peut se révéler obligatoire en zone de
montagne lorsque les conditions climatiques ou de transport contraignent les
personnes à exercer une autre activité. Ainsi, en
été, la première activité peut être celle
d'agriculteur. En revanche, en hiver, une seconde activité est souvent
liée aux remontées mécaniques et au développement
des sports d'hiver.
Il existe en outre, comme nous le découvrons dans les
Pyrénées, une pluriactivité voulue, découlant
d'un choix de vie des personnes. Il est caractéristique que les deux
tiers des personnes exerçant une double activité ne
relèvent pas de l'agriculture, contrairement à ce que l'on
pourrait penser. Par ailleurs, 86 % des pluriactifs associent salariat et
activité non salariée. Ainsi, certains artisans, par passion,
exercent-ils une activité de montagne, comme moniteurs de ski pendant
l'hiver ou accompagnateurs en été.
Ces personnes sont confrontées à de nombreuses difficultés
au regard des régimes sociaux. En effet, dans la mesure où
certaines caisses soumettent l'immatriculation à un minimum de 1200
heures de travail, l'exercice de deux ou trois activités
différentes au cours de l'année soulève plusieurs
problèmes. Parmi les actions de simplification, des tentatives de mise
en place d'un guichet unique ont été menées, notamment en
Savoie, dès 1985, sans aide financière spécifique. De tels
exemples demeurent toutefois relativement rares. Par ailleurs, l'égal
accès de tous les citoyens aux administrations sur l'ensemble du
territoire, préconisé par la loi Montagne, n'est toujours pas
d'actualité. En effet, si nous nous référons à la
loi de 1985, cette disposition est encore loin d'avoir reçu une
application effective.
Enfin, les groupements d'employeurs n'ont pas fonctionné dans les zones
de montagne car la main d'oeuvre qualifiée y est rare et le nombre
d'entreprises utilisatrices est trop faible. La diversité de nos
métiers constitue également une source de difficultés. Il
est évident qu'il est malaisé de réaliser
l'adéquation entre le potentiel d'entreprises utilisatrices et le
potentiel de personnes polyvalentes en zone de montagne. En revanche, dans les
zones plus urbaines ou plus proches des villes, les groupements d'employeurs
fonctionnent.
M. Jacques Blanc -
Le statut des femmes et du conjoint collaborateur
figure dans la dernière question. Je la cite simplement pour
mémoire. Je vous propose de passer maintenant aux questions de mes
collègues. Dans la mesure de vos possibilités, il nous serait
très utile d'obtenir à l'appui de vos interventions des notes
écrites, pas nécessairement aujourd'hui.
M. André Rouvière -
Je souhaiterais vous poser deux
questions. Nous avons implanté dans le Gard des points multiservices qui
rendent de nombreux services à la population. Nous peinons en revanche
à trouver des solutions sur deux points. Il s'agit en premier lieu des
stations-service, qui ont quasiment disparu. Nous ne savons comment
régler cette question. Ma seconde remarque est relative aux relais pour
les téléphones portables. Ce point, bien qu'en voie de
règlement, n'est pas encore totalement réglé.
M. Jacques Grassi -
Au niveau du massif pyrénéen, une
mission de la DATAR est en place avec l'appui du Conseil régional. Nous
avons la chance de vivre dans un département dont 90 % du
territoire se situe dans une zone blanche. En revanche, un département
comme l'Ariège se trouve en zone noire sur des secteurs très
importants. Il y a là un important travail à mener. Les
opérateurs s'étaient engagés à couvrir 90 % de
la population, mais non, malheureusement, 90 % du territoire. Aussi
certaines zones de montagne ne sont-elles pas couvertes. En région
Midi-Pyrénées, un important travail a été
entrepris. Nous espérons qu'il portera ses fruits sur l'ensemble de ces
départements, notamment l'Ariège.
Par ailleurs, les stations-services, qui ont fermé les unes après
les autres, constituent un problème important. J'ignore comment nous
pourrions le régler. En effet, il est souvent nécessaire de
parcourir vingt ou trente kilomètres dans les vallées pour
pouvoir se ravitailler.
M. Alain Griset -
Si les stations-service ne relèvent pas
directement de notre compétence, de nombreuses activités reposent
en réalité sur la pluriactivité. Il nous faut être
réaliste : nous nous situons dans une économie de
marché, où l'entreprise, quelle que soit sa taille, doit faire
des bénéfices. Dès lors, il n'est pas envisageable
d'ouvrir une station-service en sachant que le nombre de clients dans la
journée sera modeste et que l'on ne dégagera pas de
bénéfices. En revanche, le cumul de cette activité avec
d'autres peut permettre d'atteindre une surface suffisante pour pouvoir
« gagner sa vie ».
La pluriactivité cumulant activité salariée et
non-salariée constitue toutefois un véritable parcours du
combattant, en particulier s'agissant du rattachement aux caisses. Comme l'a
souligné Jacques Grassi, certaines caisses demandent en effet de
justifier de 1200 heures pour calculer le rattachement à la caisse
principale, ce qui, compte tenu du passage aux 35 heures, pose aujourd'hui
de nombreux problèmes. Dès lors, l'exercice de plusieurs
activités sur des régimes différents, régime
salarié, agricole et artisanal, soulève des questions de
détermination du régime d'appartenance en cas de maladie ou de
retraite. Le législateur pourrait donc s'attacher à simplifier le
choix du régime social pour le pluri-actif. Peut-être serait-il
possible pour l'assuré de choisir lui-même le régime auquel
il souhaite être affilié. Ceci simplifierait la vie des personnes
et ouvrirait de nombreuses perspectives, aujourd'hui bloquées par la
complexité des procédures administratives.
M. Pierre Jarlier -
Je souhaiterais avoir votre avis sur les
procédures menées au titre des appuis du Fonds d'intervention
pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) et de l'Europe. Il
existe aujourd'hui en particulier des procédures liées aux
projets territoriaux intercommunaux qui présentent un volet fort en
termes de maintien de l'artisanat, par exemple dans le cadre
d'opérations « coeur de pays » ou « coeur
de ville ». J'aimerais savoir comment ces actions sont vécues
par les chambres de métiers, quels sont les partenariats
envisagés, et dans quelle mesure ces procédures pourraient
être encore améliorées. Je souhaiterais en particulier
savoir ce que vous en attendez exactement. Ce travail de terrain mené en
concertation avec l'Etat et les collectivités a permis d'obtenir des
résultats intéressants sur certains territoires. De nombreux
organismes consulaires ont également émis l'idée d'une
instauration de nouvelles zones franches rurales dans les secteurs en
difficulté. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur ce point
.
M. Alain Griset -
Plusieurs points sont ici abordés. Je tenterai d'y
répondre successivement.
Le FISAC constitue une structure gérée - pour le moment - au
niveau national, qui est financièrement alimentée par la taxe
additionnelle au commerce et à l'artisanat (TACA). Je tiens à
souligner que la TACA, qui constitue une taxe parafiscale appliquée
à la grande distribution, n'est pas utilisée aujourd'hui comme
nous le souhaiterions pleinement. En effet, le budget de l'Etat
prélève chaque année en moyenne environ 50 millions
d'euros sur le produit de cette taxe. L'administration gérant la TACA a
donc pour objectif de ne pas l'utiliser en totalité afin d'en
réintégrer une partie au budget de l'Etat.
De mémoire, au titre de l'année 2001, le budget de l'Etat a
dû reprendre pour son fonctionnement habituel environ 100 millions
d'euros à la taxe. Nous souhaiterions naturellement que la
totalité du produit de la TACA revienne à sa finalité
première, c'est-à-dire la dynamisation du commerce et de
l'artisanat. La TACA, payée par la grande distribution, alimente donc en
partie le FISAC. Le produit de la TACA se situe à environ 150 millions
d'euros par an, et le budget du FISAC s'élève à 80
millions par an. Il existe donc là une marge qui permettrait
certainement d'obtenir des moyens plus importants pour favoriser le commerce et
l'artisanat, en particulier en zone de montagne. Des fonds pourraient donc
être disponibles à cette fin.
Nous souhaiterions vivement par ailleurs que la gestion du FISAC soit plus
décentralisée qu'elle ne l'est actuellement. En effet, il
appartient à une commission nationale de décider de l'attribution
des dossiers FISAC alors que, au contraire, dans un premier temps, ces dossiers
sont étudiés au niveau local. Aussi une commission
régionale, alliant des élus et des parlementaires, des
conseillers généraux, des maires et des représentants
consulaires, serait-elle mieux à même de voir les attentes du
terrain. La commission nationale pourrait gérer une partie des fonds.
Néanmoins, selon nous, la majeure partie de ces fonds devrait relever du
niveau régional, qui apparaît adéquat pour la gestion d'une
telle structure.
Des pays et des structures intercommunales sont actuellement en cours de
création. Une réunion organisée au Sénat par
l'Institut supérieur des Métiers s'est attachée au
positionnement de l'artisanat au sein de ces structures intercommunales. Je
peux déjà vous annoncer que les établissements consulaires
nationaux, chambres de commerce, de métiers et d'agriculture, envisagent
d'organiser, à la fin de l'année 2002, les premières
rencontres interconsulaires du développement local. Nous souhaitons
indiquer par là combien nos établissements publics sont
concernés par ces structures de territoire et veulent s'y impliquer.
Nous rencontrons cependant plusieurs difficultés sur ce point. Un
exemple, dans le Nord, où la Communauté urbaine de Lille a
créé un comité de développement. Si cette
initiative devait être approuvée, le comité comporterait
alors 103 personnes. Un tel comité en deviendrait totalement inefficace.
En outre, alors que la chambre de métiers du Nord représente
22.000 entreprises, il existe plus de 90 associations représentant
chacune 10 ou 15 personnes. Il devient donc impossible de s'orienter et de
coordonner les actions des différents intervenants.
Naturellement, les chambres de métiers ne souhaitent pas ôter aux
élus leurs prérogatives. Nous voudrions néanmoins, au sein
des structures intercommunales, que les établissements publics
consulaires, chambres de métiers, mais aussi chambres de commerce et
d'agriculture, bénéficient d'une place à part
entière dans le développement des territoires de montagne et
puissent apporter leur contribution à leur économie. En effet,
lorsque les trois établissements consulaires travaillent sur l'ensemble
du territoire, ils représentent 99,5 % de l'économie. Il
nous paraît donc logique qu'ils bénéficient de lieux de
représentation afin d'apporter nos contributions à ces
structures.
Nous constatons par ailleurs que de nombreuses structures administratives se
mettent en place aujourd'hui - par exemple dans les pays. Nous
préférerions que celles-ci utilisent plutôt l'existant et
notamment les compétences des établissements consulaires, qui,
à cet égard, ont une forte volonté d'être
associés aux pays, communautés urbaines ou communautés de
communes. Naturellement, selon la loi, ces structures sont composées par
les élus, et nous ne souhaitons pas jouer un rôle politique. En
revanche, nous souhaitons être présents sur le plan
économique. Vous aviez également évoqué la
possibilité de créer des zones franches. Nos collègues des
territoires de montagne considèrent que la mise en place de zones
franches spécifiques en milieu de montagne, calquées sur le
modèle des zones franches pour quartiers difficiles, pourrait constituer
une mesure favorable. Le dossier que nous avons constitué propose
quelques critères pour la mise en place de ces zones franches. Celles-ci
devraient bénéficier de soutiens fiscaux et sociaux, mais
également de mesures quant à l'aménagement de locaux pour
l'installation. Ces dispositions permettraient ainsi d'attirer de nouvelles
entreprises.
M. Auguste Cazalet -
En tant que maire, j'avais négocié
avec la région Aquitaine l'obtention d'aides du FISAC. Il apparaît
donc que les procédures ont de nouveau été
centralisées au niveau national.
M. Alain Griset -
Le FISAC fonctionne selon le principe suivant :
une municipalité, en partenariat avec un établissement
consulaire, étudie un dossier. La demande est alors transmise à
une commission nationale qui attribue l'aide. La commission est donc
décisionnaire quant à l'appui financier apporté au
dossier. La commission du FISAC est par ailleurs composée pour
l'essentiel de fonctionnaires d'Etat.
M. Auguste Cazalet -
Je souhaiterais dire à Monsieur Grassi, que
je découvre être mon voisin, que ma localité n'a pas la
chance de bénéficier du Pic du Midi, qui n'est pas assez haut
pour nous desservir. Aussi rencontrons-nous de grosses difficultés quant
à la couverture des téléphones portables.
M. Jacques Blanc -
L'émergence de l'artisanat devrait être
soulignée comme facteur d'aménagement de la montagne. Pendant
longtemps, l'on s'est exclusivement préoccupé du secteur de
l'agriculture. Aujourd'hui, nous avons pris la mesure des enjeux de la
présence et du développement de l'artisanat sous toutes ses
formes et dans ses différents secteurs. En effet, lorsque les artisans
quittent le village, la mort s'y installe. Se posent donc à la fois des
problèmes d'installation et de transmission des entreprises artisanales.
Aussi la question des successions mériterait-elle d'être encore
mieux traitée en zone de montagne.
En outre, j'espère que l'on parviendra à faire reconnaître
une véritable exigence de politique de montagne au sein des programmes
européens. En effet, dans les programmes, de type « objectif
2 », il est nécessaire de mieux prendre en compte les
initiatives de l'artisanat, qui permettent de créer des dynamiques.
Enfin, les artisans se situent au coeur de la rencontre entre l'agriculture et
le tourisme. Aussi peuvent-ils favoriser le développement de chacun de
ces secteurs et représenter un facteur de synthèse dans
l'utilisation des sols et la compétition des activités
économiques. Dans ce mouvement général
d'intercommunalité, il convient de laisser une place importante aux
artisans qui font vivre la montagne. L'apport des chambres des métiers
est à cet égard décisif.
M. Jean Boyer -
Les chambres des métiers ont-elles
réfléchi à une dotation spécifique lors de
l'installation en zone de montagne, comme il en existe pour
l'agriculture ? En effet, une dotation d'installation dans une commune
rurale constituerait déjà un premier point. Une réflexion
sur la modération des dépenses et la réduction des
surcoûts a-t-elle été engagée ? A titre de
comparaison, les agriculteurs bénéficient du fioul rouge pour
circuler. Avez-vous donc demandé des dérogations en ce
sens ? Par ailleurs, dans la mesure où les distances à
couvrir sont importantes, il serait judicieux, à côté du
fioul rouge, qui constituerait une première économie, de mettre
en place un forfait kilométrage. Ce forfait pourrait par exemple
être compensé par la TACA. De même, lors de l'arrivée
d'une grande surface, il n'apparaît pas invraisemblable de lier
l'autorisation d'installation à l'obligation d'assurer un service public
minimal. Il s'agit là d'exemples très concrets. J'insiste sur le
fait que la loi Montagne, la loi d'orientation et la PAC ne permettent pas de
saisir dans leur globalité le commerce, l'artisanat et l'agriculture.
M. Jacques Blanc -
Dans la mesure où la PAC évoluera, nous
souhaitons un passage plus important de crédits du premier pilier, qui
constitue un soutien aux produits, au second pilier, dit de
développement rural. Nous voudrions donc, au sein de ce second pilier,
bénéficier d'interventions européennes financières
spécifiques pour la montagne susceptibles d'intéresser à
la fois le secteur de l'artisanat et le développement plus
général de ces zones.
M. Alain Griset -
Nous considérons que le service public,
l'agriculture et l'artisanat constituent les trois piliers indispensables
à la vie économique des territoires de montagne. Un point nous
apparaît fondamental : il s'agit d'appliquer les mêmes droits
et les mêmes devoirs aux différents intervenants, quelles que
soient les mesures envisagées. Lorsque vous parlez d'aides
spécifiques à l'agriculture que devraient revendiquer les
artisans, nous demandons plutôt l'application de ce principe sur
l'ensemble des dispositifs. Ainsi, s'il existe des exonérations fiscales
pour l'agriculture afin de vendre certains produits, l'artisanat doit
bénéficier des mêmes droits. En effet, en situation de
concurrence, il est nécessaire de traiter à égalité
les entreprises sur l'ensemble d'un même territoire.
Il importe également que les pouvoirs publics ne complexifient pas la
gestion des fonds européens. En effet, les critères
européens apparaissent déjà en eux-mêmes
suffisamment contraignants. Cependant, des pays comme l'Irlande, l'Espagne et
le Portugal, qui ont su pleinement utiliser les aides européennes, ont
fortement progressé. Or en France, faute d'avoir su utiliser leurs
subventions, les régions renvoient ces aides. Il est ainsi
extrêmement difficile pour nos entreprises d'obtenir des fonds
européens. Les chefs d'entreprises font alors appel à nos
établissements publics. Je demande donc à ce que les chambres de
métiers des départements de montagne puissent
bénéficier de soutiens financiers de la part des pouvoirs publics
afin d'être en mesure d'accompagner les projets collectifs des artisans.
Des aides spécifiques doivent également être
apportées à l'installation. Il faut en outre veiller à ce
qu'une aide ponctuelle, sur un ou deux ans, n'entraîne pas une
concurrence déstabilisatrice. A cet égard, un régime
global est préférable. Comme l'a rappelé le Premier
Ministre, en France, une entreprise qui se crée commence par payer des
charges avant même de réaliser le premier euro de chiffre
d'affaires.
En tant que sénateurs, vous serez prochainement sollicités dans
le cadre d'une loi d'orientation pour l'artisanat, dépassant le cas des
territoires de montagne. Nous souhaiterions que soient traités les
problèmes du conjoint de l'artisan, de la formation et de la
transmission de l'entreprise. Une attention particulière devra en outre
être portée au statut de l'entrepreneur individuel, aujourd'hui
contraint à constituer une société fictive. Nous
souhaitons à cet égard que la possibilité de
l'échec lui soit laissée et que l'ensemble de ses biens ne soient
pas saisis en cas de faillite. Ces points doivent faire l'objet d'une loi
globale. Ces dispositions législatives trouveront naturellement
matière à s'appliquer à la montagne, mais devront
également, pour traiter notre secteur avec équité,
concerner l'ensemble des entreprises du territoire national.
M. Jean Vaquié -
Nous avons en effet besoin de l'appui des
sénateurs pour faire passer cette loi sur l'artisanat. S'agissant des
critères pour la mise en place de zones franches en montagne, la
Lozère a remis un dossier complet, qui vous sera transmis. Pour la
transmission et la reprise, les CIFA (contrat installation à formation
artisanale) avaient été mis en place. Aujourd'hui, l'on assiste
à une importante vente de fonds dans les métiers de bouche. Un
jeune ne disposant pas des fonds nécessaires ne pourra reprendre ce
commerce. En revanche, l'artisan-boucher pourrait former un apprenti qui, le
moment venu, prendrait sa succession.
M. Jacques Blanc -
Je vous remercie de vos interventions.
29. Audition de M. Bernard Debarbieux, directeur du laboratoire « territoire, environnement montagnard et organisations sociales » à l'Institut de géographie alpine de Grenoble (26 juin 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- Nous vous remercions de participer à
nos travaux de recherche dans le cadre de cette mission d'information du
Sénat sur la politique de la montagne. Je me dois d'excuser le
président Blanc dont les impératifs en Lozère
empêchent la présence, ainsi que d'autres collègues,
retenus par des travaux de commissions, mais qui devraient nous rejoindre dans
la matinée. J'ai donc l'honneur de remplir, ce jour, la fonction de
président et de rapporteur de la commission. J'aimerais vous laisser la
parole afin que vous puissiez commenter à partir de la grille de
questions que nous vous avons envoyée les éléments que
vous souhaiteriez nous communiquer.
M. Bernard Debarbieux
- Merci pour votre invitation à m'exprimer
dans ce contexte. Dans un premier temps, je vous propose de vous expliquer ma
position de chercheur sur ces questions de montagne afin que vous compreniez
bien dans quel point de vue je me situe. J'essaierai de répondre
à vos questions sachant que je ne me présente pas comme un
spécialiste de la loi montagne ou des questions juridiques liées
à cette loi, son évaluation, sa pertinence ou son
actualité, mais j'espère vous proposer un cadre
d'interprétation dans lequel cette loi trouvera sa place.
Je suis professeur de géographie aux universités de Grenoble et
de Genève et depuis ma thèse de doctorat, je travaille beaucoup
sur le thème de la montagne alpine ; spécialité que j'ai
étendue à d'autres massifs. Mon analyse ne se singularise pas par
une réflexion sur des aires géographiques précises, mais
plutôt par ce qui est appelé dans le milieu scientifique la
problématique, le paradigme, c'est-à-dire le type de regard
porté sur cet objet montagne.
En tant que spécialiste de géographie culturelle, et, non pas de
géographie physique, de climatologie ou de géomorphologie,
j'essaie de comprendre et de montrer comment l'idée de montagne est
apparue dans la civilisation occidentale, comment s'est dessiné
progressivement un ensemble de représentations de la montagne.
Représentations qui, j'espère le démontrer dans mes
écrits et le prouver aujourd'hui, ont eu des effets considérables
non seulement sur l'aménagement de la montagne et les mesures de
protection et d'équipement qui ont été mises en oeuvre,
mais aussi sur les identités collectives et les processus politiques
qu'elle suscite.
En cela repose la spécificité de mon point de vue :
étudier la montagne comme une construction culturelle, comme une
représentation liée à une civilisation, à une
histoire nationale comme celle de la France afin d'essayer
d'interpréter, de comprendre les enjeux d'aménagement, de gestion
et la vie quotidienne des habitants qui y résident. Cette
problématique d'ensemble guide mes travaux et oriente la lecture que je
fais des questions que vous m'avez posées.
Il est probable qu'un spécialiste de science politique analyserait les
choses différemment. Cette diversité des points de vue contribue
à la richesse des analyses scientifiques. Je vous propose de ne pas
traiter les questions les unes après les autres, mais plutôt de
vous répondre de façon globale en vous laissant toute la
liberté de m'interpeller ensuite sur tel ou tel point.
Pour vous éclairer sur cette lecture que j'ai qualifiée de
culturelle ou culturaliste des représentations de la montagne dans notre
civilisation, je souhaiterais commencer par un développement historique
afin de vous rappeler d'où viennent ces représentations
contemporaines de la montagne avec lesquelles nous vivons et partir desquelles
nous concevons sa gestion. Les représentations contemporaines de la
montagne remontent au XVIIIe siècle, à une époque
où la montagne est devenue un objet géographique, ethnographique
et naturel. Dès ce moment, la montagne a été
considérée comme un espace en soi qui méritait
d'être étudié par les naturalistes, les premiers des
scientifiques du XVIIIe
siècle à s'y
intéresser.
Beaucoup plus tard, au XXe siècle, cette vision, désormais
ancrée conditionne l'idée que cet espace mérite un
traitement spécifique et donc une loi particulière. Ce raccourci
historique permet de comprendre comment germe l'idée selon laquelle la
montagne constitue un ensemble de régions particulières, un
milieu particulier, et comment cette particularité des
représentations dont elle est l'objet au XVIIIe siècle conduit
à une singularisation des processus politiques et juridiques dont elle
sera l'objet. Afin de bien comprendre ce point, il faut expliquer ce que
représentait la montagne dans l'imaginaire collectif. A cet effet, la
toponymie constitue un indicateur particulièrement intéressant.
Qu'appelait-on montagne avant le XVIIIe siècle, avant qu'un savoir
naturaliste fixe progressivement une relative définition de la montagne
?
La montagne au Moyen Âge n'était ni un espace, ni un milieu, ni
une région mais plutôt un contraste paysager. Quand des citadins,
à l'Île de la Cité à Paris, à Reims, à
Montpellier, se tournaient en direction d'une masse qui, dans le paysage,
contrastait avec l'endroit d'où ils l'observaient, ils appelaient cette
masse une montagne, indépendamment de son altitude ou de son ampleur.
Cette masse est devenue la montagne Sainte-Geneviève, la montagne de
Reims, la montagne languedocienne à Montpellier, la montagne de
Bourgogne à Beaune ou à Dijon, c'est-à-dire des espaces
qui, aujourd'hui où notre vision de la montagne est très
influencée par les idées naturalistes du 18
ème
siècle, ne seraient pas considérés comme montagnards.
La définition pré-scientifique de la montagne repose donc dans le
contraste paysager ; un point haut qui se dégage à l'horizon et
contraste avec l'endroit d'où je suis. Ainsi, pendant très
longtemps, la définition de la montagne ou plutôt l'acception de
la montagne (car la définition n'était pas très
rigoureuse) était relative à un point d'observation. Cette
acception était subjective car elle était liée à un
regard de citadin ou de villageois, par exemple, pour désigner un lieu
qui n'était pas habité, ou, en tout cas, qui n'était pas
celui dans lequel l'observateur résidait.
Cette conception de la montagne est très différente de celle qui
se met en place au XVIIIe siècle et dont nous avons perdu la filiation.
Les noms de la montagne Sainte-Geneviève et de Reims subsistent dans la
toponymie mais les rapprocher des objets que nous qualifions montagne
aujourd'hui fait sourire. Au XVIIIe
siècle, la montagne
devient un type de milieu, un espace que l'on cartographie, un type de
région. Elle devient donc un objet, une entité spatiale, ce
qu'elle n'avait pas été auparavant.
A partir de ce moment, la montagne recueille les stéréotypes ;
c'est-à-dire des images de ce temps, du XVIIIe siècle qui
conditionnent les représentations culturelles, littéraires,
scientifiques, les pratiques touristiques et petit à petit les formes de
l'aménagement. Ces représentations sont liées à la
vision du monde des hommes du XVIIIe
siècle. Le siècle
des lumières invente l'idée moderne de la nature et voit dans la
montagne la plus naturelle des natures. Cette représentation dominante
se cristallise au XVIIIe siècle et se diffuse au XIXe siècle et
au XXe siècle. La montagne devient le symbole de la nature, devient le
lieu privilégié par lequel on pense la nature. Les
premières pratiques touristiques ainsi que l'histoire naturelle
permettent de le vérifier, de même que certaines formes de gestion
de l'espace montagnard, notamment la protection de la nature.
La montagne est considérée comme la plus naturelle des natures
dans un siècle qui fait plutôt l'éloge de la civilisation,
de la culture urbaine et qui précède l'industrialisation. La
montagne va progressivement être confinée dans une image
d'altérité. La montagne devient un lieu autre, naturel par
rapport à une civilisation qui s'urbanise. La montagne est un lieu de
tradition par rapport à la modernité symbolisée par les
villes du XVIIIe siècle ou du XIXe siècle. L'hypothèse qui
guide mes travaux consiste à essayer de montrer comment cette
représentation a orienté les pratiques, les modes de gestion, les
modes d'aménagement de la montagne jusqu'à aujourd'hui. Je pense
d'abord aux pratiques touristiques.
Le tourisme en montagne naît au XVIIIe siècle et prend une ampleur
qui n'a jamais cessé jusqu'à aujourd'hui. Sa croissance a
même été exponentielle et la manière de faire du
tourisme en montagne a beaucoup changé avec le temps. Ceci dit, de
Rousseau jusqu'à aujourd'hui, apparaît une sorte de constante dans
l'idée que la montagne représente le lieu de prédilection
pour sortir de la ville, des contraintes du travail et de l'environnement
urbain. À la montagne, l'individu pense trouver un contexte
privilégié dans lequel se ressourcer, changer les règles
du jeu, s'amuser, se détendre ; c'est-à-dire autant de
façons de décliner les pratiques touristiques.
Il est remarquable de constater que ces pratiques touristiques sont presque
toutes fortement orientées par la représentation naturaliste de
la montagne. Il s'agit de la nature montagnarde, des éléments de
la montagne que l'on recherche généralement dans les pratiques
touristiques : les paysages, l'air pur, les eaux thermales au XIXe
siècle, la neige au XXe,
le roc pour l'alpinisme du XIXe
siècle et du XXe siècle. Ces référents de la nature
motivent les pratiques touristiques et montrent bien les conséquences de
cette vision dans les pratiques touristiques.
Le deuxième domaine dans lequel l'effet de cette représentation
contemporaine de la montagne est patent est celui de la protection de la
nature. Que l'on soit partisan ou opposé aux thèses
écologistes, le constat est frappant que, à l'échelle de
la France, de l'Europe ou du monde, les espaces qui bénéficient
des mesures de protection les plus sévères sont
généralement situés en montagne. Les régions de
montagne sont mieux protégées que les autres. Les premiers parcs
nationaux aux Etats-unis sont des parcs de montagne. Il en est de même en
Europe et en France, comme en atteste le parc de la Vanoise. L'histoire de la
protection de la nature a commencé en montagne.
Il s'agit alors non pas de protéger des espèces ou des milieux
fragiles, -ces notions en effet sont récentes - mais de sauvegarder de
beaux paysages, de protéger de belles choses dont les pays, qui
construisent des parcs nationaux, sont fiers.
La préoccupation est de protéger de beaux endroits avant de se
préoccuper des espèces menacées ou des
écosystèmes. Aujourd'hui, une très forte
sur-représentation des régions de montagne peut être
observée dans les espaces protégés à travers le
monde. Cet imaginaire de la montagne considérée comme la plus
naturelle des montagnes, a conduit à une protection importante d'une
partie des espaces montagnards.
Troisième déclinaison thématique : l'agriculture.
L'agriculture de montagne a connu deux phases contrastées. L'agriculture
de montagne a souffert de la mise en concurrence des produits agricoles qui est
favorisée par le développement des transports. A partir des
années 1870-1900, l'agriculture de montagne décline dans les pays
qui n'ont pas, dès cette époque-là, de politique de
soutien aux produits agricoles ; c'est le cas de la France avant la seconde
guerre mondiale. En revanche, la Suisse protège très tôt
son agriculture de montagne des effets jugés néfastes de la
concurrence. L'agriculture de montagne a donc connu des années
très difficiles jusque dans les années 70 même si ce
constat doit être nuancé : toutes les régions, en effet, ne
sont pas touchées au même degré. Aujourd'hui, on assiste
à une résurrection significative, quoique très relative et
modeste, de l'agriculture de montagne, qui se joue de l'idée que les
produits montagnards sont des produits traditionnels, présentés
et vendus comme tels grâce, notamment, aux appellations
contrôlées. La mise en place de circuits courts de
commercialisation permet aux touristes d'acheter directement la production
locale. Ce qui permet aux agriculteurs de bénéficier d'une plus
grande plus-value. Nous avons donc affaire à une possibilité de
renaissance de l' agriculture de montagne car ces produits se vendent assez
cher. Cela ne signifie pas pour autant qu'il s'agisse de produits de bonne
qualité. La qualité de ces produits se révèle dans
la plupart des cas hétérogène. Mais l'image de
qualité se vend.
Nous revenons ainsi à la conception naturaliste de la montagne puisque
la montagne depuis le XVIIIe siècle est perçue comme étant
le symbole de la nature et de la tradition rurale. L'agriculture de montagne
sait très bien jouer de cette image afin de générer une
plus-value. La publicité autour de ces produits est rarement
mensongère. D'autant que les coopératives, les groupements de
producteurs s'efforcent d'améliorer la qualité de leur
production.
À l'aide de cette présentation déclinée en trois
thèmes, j'essaye de vous montrer combien cette image de la montagne
héritée du XVIIIe siècle perdure et oriente les
différents modes de développement ou les différentes
activités économiques qui, aujourd'hui, sont les activités
déterminantes dans les espaces montagnards.
Ces trois piliers que sont l'activité touristique, la protection de la
nature et la production agricole conditionnent la production économique
et les modes de gestion de l'espace montagnard. En montagne, l'industrie se
porte mal comparativement à d'autres régions françaises.
De plus, les autres activités économiques ont connu un essor
très faible.
La montagne est devenue un référent imaginaire très fort
de notre civilisation notamment dans la société française
(même si la France n'est pas le pays au sein duquel ce
phénomène est le plus manifeste). Nous avons tellement investi la
montagne comme lieu privilégié de cet espace symbolique que
l'économie de la montagne s'est conformée à cet imaginaire
en y trouvant les conditions de sa survie.
Vous m'interrogez sur la loi montagne, son esprit, son contenu et
peut-être son évolution. Je ne suis pas spécialiste. En
revanche, je voudrais profiter de cette question pour mettre en exergue le
rapport entre l'émergence de cette représentation de la montagne
et l'apparition de l'idée que les espaces de montagne étaient
susceptibles de bénéficier de réglementations
particulières comme en France, en Italie, en Suisse et plus largement
dans les pays européens. D'où vient cette idée peu
conforme à la tradition républicaine et juridique
française ?
La France a en effet beaucoup hésité à introduire des
différences dans les lois relatives à différentes portions
du territoire national. L'idée qu'un espace méritait d'être
qualifié de montagnard corrobore l'hypothèse selon laquelle la
montagne est devenue depuis trois siècles un espace naturel doté
de ses propres lois et dont la population locale est singulière. En
effet, avec l'invention de la montagne, s'est forgée l'image du
montagnard et des stéréotypes qui font sourire aujourd'hui : le
bon sauvage ou le crétin des Alpes avec ses variantes
pyrénéennes ou du Massif Central.
Le montagnard devait être différent car il vivait dans un milieu
différent ; vision que les montagnards eux-mêmes ont
réfutée pendant très longtemps. D'ailleurs, la
qualification même de montagnard leur semblait incongrue. Pour les
Français de l'époque, la montagne était toujours
située ailleurs, ce n'était jamais l'endroit où l'on se
trouvait. Il a fallu des décennies pour que les populations
qualifiées de montagnardes par les touristes ou les citadins commencent
à accepter cette appellation. En effet, l'image du montagnard avec ce
qu'elle induisait d'archaïsme, de tradition, d'arriération
était péjorative.
La France n'a jamais vraiment considéré que ses traditions
montagnardes participaient de son identité, comme ce fut le cas dans les
pays voisins, en Suisse par exemple ou dans l'Autriche du XXe siècle,
pays au sein desquels l'image du montagnard est emblématique. Les
habitants des Alpes ou du Jura suisse revendiquent l'appellation de montagnard
depuis beaucoup plus longtemps que les Français. En France, les
revendications identitaires qui apparaissent seulement dans les années
1960-70 se sont produites à des rythmes variables selon les
régions. Il a fallu que les identités évoluent pour que
l'idée d'une communauté de destin ou d'intérêts
représentés par des élus et des institutions
émerge.
Ces populations ont dû aussi changer la manière de se
présenter aux autres Français ainsi qu'aux institutions
chargées de soutenir ou de voter cette loi montagne qui émerge
très tard dans le débat politique français. Car
l'idée même qu'il puisse y avoir un espace dans le territoire
bénéficiant d'une loi spécifique et s'appuyant sur
l'idée que l'espace, ainsi que ses populations, sont spécifiques,
est étranger à la culture politique de la France. Cette
idée est beaucoup plus ancienne en Suisse. L'actualité de cette
loi montagne réside dans la question de savoir si, indépendamment
de son efficacité, la France a besoin d'une loi montagne.
Est-elle nécessaire à ses habitants afin d'exister en tant que
montagnards ? Cette lecture de la loi montagne très culturelle car
indéniablement liée aux identités, est-elle encore
pertinente aujourd'hui ? Personnellement, je ne détiens pas la
réponse, mais la forte attente politique en ce sens des élus, et
notamment des représentants de l'Assemblée nationale des
élus de montagne ainsi que de la population locale, paraît
incontestable.
A mon sens, la loi montagne a un avenir si la société
considère que ces populations doivent bénéficier de
mesures spécifiques. L'actualité de la montagne réside
dans ces représentations partagées ou réciproques que les
Français entretiennent à l'égard de leurs montagnards et,
inversement, dans l'idée que les montagnards se font de leur
appartenance à l'espace français.
Se pose, de ce fait, la question des solidarités montagnardes
infra-nationales, infra-communautaires ou internationales. En reprenant mon
argumentaire, vous avez compris comment le montagnard est une invention
culturelle du XVIII et XIXe
siècle, un personnage
sculpté, étranger aux populations concernées,
étranger aussi pour les populations montagnardes qui relèvent
d'autres civilisations. En effet, il est incongru pour les habitants de
Tanzanie ou du plateau andin d'être qualifiés de montagnard par
des gens appartenant à une civilisation qui ne relève absolument
pas de la leur. Beaucoup de travaux ont porté sur les modes de
désignation réciproque entre les groupes humains. La
définition du montagnard n'est le fait d'aucune communauté
traditionnelle pour parler d'elle-même ; elle est toujours
plaquée par des communautés qui viennent de l'extérieur
pour désigner une population qui vit dans un autre environnement que le
sien. Pendant très longtemps, d'un point de vue identitaire et culturel,
aucune communauté d'intérêt ne réunissait ces
populations montagnardes.
Or, depuis quinze ans, nous constatons une mobilisation, un partenariat, une
coopération décentralisée dans l'action des ONG, notamment
à la faveur de l'année internationale de la montagne en 2002.
Quantité de signes prouvent que se construit une communauté des
montagnards du monde ; c'est-à-dire une communauté
stratégique visant à faire porter la voix de ces populations
généralement minoritaires, parfois opprimées, et de leur
donner une tribune leur permettant de se parler entre elles, de parler au reste
du monde et de s'exprimer du point de vue de la montagne.
Si les montagnards des pays européens se sont habitués à
cette posture, celle-ci se révèle tout à fait nouvelle
pour les montagnards d'Inde ou d'Asie centrale, bien qu'ils s'y prêtent
volontiers, conscients des intérêts stratégiques qu'ils
peuvent y trouver. L'image très positive de la montagne permet
d'utiliser les médias et les instances internationales afin de
promouvoir leur notoriété (comme cela s'est produit lors du
conflit au Chiapas voici quelques années au Mexique : une
mobilisation de l'imaginaire afin de faire passer un message politique). Se
produit donc un processus de mobilisation très intéressant et
auxquels les Français ne sont pas étrangers car ils y jouent un
grand rôle.
J'apporte du crédit à cette communauté de montagnards du
monde mais davantage sur le plan des identités telles qu'elles se
construisent et sont affichées à l'extérieur pour des
raisons stratégiques qu'au nom d'une vision selon laquelle ces habitants
formeraient objectivement une communauté du simple fait qu'ils vivent
à la montagne. Les milieux de vie sont en effet différents
en Europe à 2000 mètres ou sous l'Equateur à la même
altitude. De plus, les niveaux de développement technique ne sont pas
non plus les mêmes. Cela dit, je pense qu'une vraie solidarité
peut naître.
Cette communauté d'identité échappe aux
référents culturels, politiques, géologiques nationaux.
Tel est le crédit que j'apporte à cette mobilisation
internationale qui, à mon avis, doit être prise au sérieux,
car elle repose sur la capacité des groupes à se construire des
identités réciproques et respectives.
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci beaucoup pour ce très riche
exposé. Je voudrais, Monsieur le professeur, vous interroger sur deux
points. Le premier concerne les ressources. Vous avez évoqué le
triptyque qui fonde toutes les orientations et la politique montagne : le
tourisme depuis les aventures de Rousseau dans les Alpes et les Anglais
à Chamonix.
Vous avez parlé de la production agricole et des difficultés
rencontrées par ce secteur à partir de l'industrialisation au
XIXe siècle, et enfin de la protection de la nature. Sur ce dernier
point, quelle place accordez-vous à la ressource en eau ? Il est vrai
que cet élément est d'abord physique mais vous êtes-vous
penché dans vos travaux sur cet aspect qui devient une urgence
s'agissant de la protection de la nature ? De plus, pensez-vous que l'existence
de la loi montagne se justifie encore ?
Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'exemple de la
Suisse. À la différence de ce pays, si j'ai bien compris vos
explications, la France a eu besoin d'une loi montagne, car l'identité
culturelle du pays ne s'enracinait pas dans les traditions montagnardes, il a
donc fallu rappeler que la montagne faisait partie de l'hexagone. Les habitants
de la montagne ayant parfois eu le sentiment de ne pas être pris en
compte dans cette identité nationale, ils ont revendiqué une
égalité de traitement, une solidarité, une compensation
des handicaps. Aujourd'hui, la France n'est toujours pas la Suisse et la
culture des montagnes ne représente pas le drapeau de la culture
française. Pensez-vous, comme je tends à le croire, que la loi
montagne soit toujours d'actualité ? Ou peut-on faire l'économie
de cette loi bien que la montagne ne soit pas au fondement de l'identité
nationale ?
M. Bernard Debarbieux
- Concernant votre première question,
les forêts et les montagnes françaises sont bien pourvues en eau.
Peu de régions souffrent d'un déficit hydrique important à
la différence du Maroc, par exemple, ou d'autres régions du
monde. Plus largement, les montagnes sont bien pourvues en ressources
naturelles, la question est de savoir de quelle manière ces montagnes
doivent contribuer à l'approvisionnement du territoire, essentiel au bon
fonctionnement du pays dans son ensemble. Vos interrogations me semblent
relever du terrain du politique. S'il est possible de considérer que les
montagnes sont bien pourvues en eau et en forêt et ne constituent pas
aujourd'hui une source de dégradation de ces ressources, les montagnards
exerçant une pression modeste sur ces ressources, comment introduire des
modes de gestion qui seraient conçus dans l'intérêt du
territoire national dans son ensemble ?
Devons-nous équiper les régions de montagne de réservoirs
afin que des ressources en eau douce soient maintenues en altitude et
permettent d'irriguer la basse Vallée de la Durance ou de
contrôler les inondations de la Vallée de la Loire ? Doit-on
introduire des contraintes afin de permettre des usages en altitude basse qui
sont impossibles sans les contraintes exercées sur les
régions de montagne ? La réponse est éminemment
politique. Tout dépend de la légitimité des instances
nationales ou des pouvoirs économiques localisés à imposer
des contraintes aux populations résidant sur les hautes altitudes et qui
pourraient aller à l'encontre de leur intérêt et de leur
propre mode de gestion.
À mon sens, les habitants de ces zones me semblent responsables des
ressources dont ils disposent, mais, selon un principe simple de
solidarité, il me paraît normal de concevoir la gestion de
l'exploitation naturelle. D'ailleurs, au sein des schémas
d'aménagement des eaux (SAGE), la gestion de l'eau donne
déjà lieu à des plates-formes de discussion et de
concertation où se retrouvent des individus dont les
intérêts sont divers qu'ils soient concernés par les usages
agricoles, hydrauliques ou touristiques de l'eau. La question des ressources en
eau, abordée jusqu'ici uniquement sous l'aspect technique, devient donc
une question politique. L'échange des points de vue me semble
fondamental : la ressource est importante, et elle met le doigt sur des
mécanismes fondamentaux de la démocratie contemporaine.
Votre deuxième question concerne la loi montagne. Au nom de la
solidarité nationale, les régions, grands ensembles urbains,
centres sidérurgiques en crise ou zones de montagnes,
c'est-à-dire des territoires qui éprouvent des difficultés
à être performants au sein d'un système économique
libéral, doivent bénéficier d'aides. Il ne s'agit pas
simplement d'un choix ou d'une action politique, cela me paraît
plutôt respecter l'idée de nation, de solidarité. Cela dit,
il faut rappeler que l'aide à l'agriculture de montagne existait avant
que la loi montagne soit votée.
La loi montagne me paraissait intéressante quand elle posait la question
du droit du travail et du droit des assurances sociales dans un contexte
où la pluri-activité des montagnards se développait. Il
fallait adapter le droit du travail dans un milieu où le salariat
n'était pas forcément la norme. Même si la loi a
contribué à faire émerger le débat, je ne suis pas
sûr que toutes les questions ont été résolues
d'autant que les décrets d'application ont mis du temps à
paraître. Si les outils de solidarité sont indispensables, la loi
montagne est-elle le cadre indispensable pour résoudre ces
problèmes ? Des textes sectoriels sont aussi envisageables. Un juriste
pourrait vous répondre plus précisément.
Enfin, je voulais ajouter que les processus actuels de la
décentralisation, de la démocratie participative, de la
recomposition territoriale, entraînent de grands changements dans les
façons de concevoir la prise en charge de leur destin par les
collectivités territoriales. La loi montagne est arrivée au
moment où les lois de décentralisation venaient juste
d'être votées, mais n'avaient pas encore eu d'effets
considérables sur les processus de développement territorial.
Cette loi a été utile à la reconnaissance de ces
territoires.
Mon sentiment aujourd'hui est que la loi Voynet, la mise en place de
l'intercommunalité, des pays, la multiplication des Parcs naturels
régionaux et surtout la multiplication des initiatives locales
spontanées font que tout territoire local sera capable de prendre en
charge une réflexion sur son propre destin, sur la singularité de
son contexte, sur les outils visant à permettre son
développement. Cela ne signifie pas que la solidarité soit
inutile, mais ces lois donnent la possibilité aux territoires de mettre
en valeur leurs ressources. Ces initiatives fonctionnent bien notamment dans
l'Ouest de la France, indépendamment du cadre montagnard.
Si mon interprétation optimiste était fondée, les
territoires considérés comme montagnards disposent aujourd'hui
des outils d'aménagement. Si la loi montagne a été utile
au milieu des années 80 pour faire comprendre l'idée que
l'hétérogénéité du paysage français
était un atout, aujourd'hui, cette loi est devenue symbolique car les
lois d'aménagement du territoire sont plus ambitieuses que ne
l'était la loi montagne. Mais d'un point de vue juridique,
réglementaire, peut-être cette loi a-t-elle encore une
utilité. Dernier point, la loi montagne comporte un aspect
emblématique très important s'agissant des contraintes
d'urbanisation au bord des lacs en haute altitude ou sur le littoral. Ces
textes cherchent à protéger une certaine idée du
territoire ainsi qu'un accès à la ressource touristique ou
paysagère.
Ces éléments doivent-ils exister uniquement dans le cadre d'une
loi générale comme la loi montagne ou la loi
« littoral » ou peuvent-ils être inscrits dans le
cadre d'une loi plus sectorielle de protection de l'environnement ? Texte
symbolique, juridique, réglementaire, la loi montagne comporte aussi un
agrégat d'éléments extrêmement différents,
lesquels méritaient à l'époque d'être traités
séparément. Peuvent-ils être dissociés aujourd'hui ?
Mon opinion n'est pas arrêtée là-dessus.
30. Audition de Mme Anne-Marie Comparini, présidente du Conseil régional de Rhône-Alpes, membre de l'association des Régions de France (26 juin 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- Nous sommes très heureux de vous
accueillir et vous remercions d'avoir répondu à notre proposition
d'audition. Je voudrais excuser Jacques Blanc qui a été
rappelé de façon imprévue en Lozère. Notre mission
travaille aussi diligemment que possible, en dépit des
échéances électorales et des vacances en août, afin
de remettre notre rapport début octobre. La visite des massifs est
presque achevée. Et nous souhaitons aussi rencontrer les élus et
les responsables socioprofessionnels. Nous souhaitons obtenir des
éclairages sur le bilan de la loi montagne vue sous l'angle de l'action
des régions. Nous allons vous entendre à partir d'une grille de
questions que nous vous avons adressée, lesquelles concernent l'ensemble
des régions,
dont celle que vous présidez, la
région Rhône-Alpes, dans la politique
« montagne ». Vos remarques complémentaires seront
évidemment les bienvenues.
Mme Anne-Marie Comparini -
Je souhaite remercier nos collègues du
Sénat d'avoir songé à inviter un président de
région désigné dans le cadre de l'Association des
régions de France (ARF). Je tiens tout d'abord à effectuer un
propos liminaire. Cette réflexion sur les outils montagne me semble
renvoyer directement à la question de la modernisation des
collectivités locales et territoriales. Toutes les régions
comportant des massifs montagneux ayant signé, par exemple, des
conventions de massif, se plaignent que les institutions soient illisibles ou
inefficaces, ce qui correspond aux principaux griefs adressés par les
citoyens aux politiques lors de la dernière campagne électorale.
Nous souhaitons que nos responsabilités et nos compétences soient
clairement définies. La région Rhône-Alpes dispose de trois
massifs : massif du Jura, massif des Alpes et Massif central. Aujourd'hui, nous
sommes les correspondants de préfets éloignés. Ces
derniers nous envoient des préconisations - terme que j'emploie car je
suis femme et douce - nous demandant de remplir des tâches non
discutées au sein des exécutifs régionaux. Je vous adresse
ce propos car, dans le cadre de votre mission, vous disposez certainement des
moyens d'étudier ce problème et de déterminer clairement
ce que doit être l'implication des régions dans les grands enjeux
stratégiques dont la montagne fait partie.
Vous me demandiez de quelle manière la région s'immisce dans le
développement de la montagne et notamment quelle est la part du contrat
de plan Etat-région de Rhône-Alpes, y compris les crédits
hors volet montagne, consacrés aux zones de montagne. Le volet montagne
du CPER 2000-2006 correspond à un programme de 160 millions d'euros pour
l'Etat (1 milliard de francs) et 120 millions d'euros pour la région
(816 millions de francs).
Dans ce chiffre, est inclus le programme sécurité des routes de
la montagne qui, pour les trois quarts, concerne le département de la
Savoie puis la Haute-Savoie, l'Ain ainsi que la partie Loire vers la
région Auvergne.
Les conventions interrégionales de massif, adoptées au conseil
régional en 2000, constituent un second outil. La région a
assuré le financement des actions concrètes proposées par
les commissaires de massif à hauteur de 213 millions de francs. De plus,
en liaison avec les conseils généraux de la région, nous
avons veillé à ce que les programmes européens, comme
LEADER II, INTERREG III (volet franco-suisse pour le Jura, volet franco-italien
pour les Alpes, ainsi que le volet sud-est pour le Massif Central), soient tous
ciblés sur cette politique montagne. Si nous disposions uniquement de
ces mesures (volet montagne du contrat de plan Etat-région, aides
européennes), les moyens financiers ne seraient pas à la mesure
des enjeux du Massif Central, lequel s'étend de la région
Rhône-Alpes à la région Midi-Pyrénées.
Pour ce qui concerne la région Rhône-Alpes, nous avons donc
décidé que les politiques de droit commun de la région
puissent alimenter les décisions prises par les commissaires de massif.
Ainsi, nous jouons aussi sur les contrats de développement
Rhône-Alpes qui comprennent un volet agricole important. Nous jouons
aussi sur les politiques agricoles de droit commun de la région
Rhône-Alpes c'est-à-dire les programmes intégrés de
développement agricole sur les produits, sur l'aide au pastoralisme, sur
des programmes de recherche pour l'agriculture de montagne, sur la gestion des
espaces dans l'agriculture et la forêt. Par an, ce budget
s'élève à 40 millions d'euros consacrés à
notre agriculture de montagne sur les trois massifs de la région
Rhône-Alpes.
Le professeur Debarbieux affirmait que la montagne était un
agrégat d'éléments différents, c'est à
partir de ce constat que la région travaille. De plus, l'idée a
émergé à la suite du premier sommet du tourisme de
Chamonix qu'il fallait construire le tourisme du XXIe siècle, car ce
secteur est un vecteur d'emplois bénéfique aux zones qui vivent
de la montagne. Nous essayons avec les contrats de stations moyennes, avec les
contrats de stations thermales qui se trouvent dans nos massifs, avec ce que
j'appelle la mise en place du tourisme intelligent, d'apporter du soutien aux
grands itinéraires de randonnée, de faciliter l'accès des
handicapés aux sports de montagne, d'impulser une politique touristique
permettant, pour un budget total de 40 millions d'euros, de bien positionner le
massif de Rhône-Alpes dans les flux européens.
Notre politique transport vise aussi à apporter un atout
supplémentaire à nos montagnes ; ne pas régler le
problème les Alpes, dernier bouchon noir en Europe, que ce soit dans la
vallée de Chamonix ou de la Maurienne, conduit à mettre en
difficulté notre patrimoine naturel et notre activité
économique. De plus, l'impossibilité d'accéder à
ces zones nuit au pouvoir d'attraction de la région. D'où
l'intérêt du programme sécurité montagne
lancé par Michel Barnier lorsqu'il était président du
conseil général de Savoie ou nos réflexions sur des
solutions innovantes en matières de fret.
L'animateur de montagne de Saint-Jean de Maurienne et le responsable du Parc
Naturel des Monts d'Ardèche ne sont pas chargés de lire le
Journal Officiel tous les matins. Ils éprouvent donc quelques
difficultés à savoir comment les collectivités travaillent
avec l'Etat.
C'est pourquoi j'ai demandé la parution d'un
vade-mecum
à
destination de nos collègues des zones de montagne retraçant les
lignes budgétaires du conseil régional Rhône-Alpes qui
soutiennent nos politiques de montagne.
Comme le conseil régional de Savoie nous a demandé de travailler
sur le développement économique, je me demande si les
collectivités ne devraient pas se mettre ensemble pour bien expliquer ce
genre de choses.
Enfin, au titre de l'année internationale de la montagne, le conseil
régional Rhône-Alpes a demandé au Conseil économique
et social de notre région d'entamer une réflexion sur les enjeux
de développement particulier du territoire de montagne en
Rhône-Alpes. Ce rapport attendu à la fin de l'année 2002
nous permettra d'inclure les préconisations du Conseil économique
et social dans le schéma Rhône-Alpes "Imaginons Rhône-Alpes
2020", dont nous aimerions qu'il comporte un projet régional montagne.
Vous me posiez une deuxième question : comment l'implication des
régions dans la politique montagne pourrait-elle être
accrue ? Cette interrogation sur la montagne, de même que les
thématiques portant sur les transports ou les nouvelles technologies de
l'information et de la communication, renvoient à
l'intercommunalité des régions. Comme les syndicats ou les
communautés de communes ont réussi leur intercommunalité,
il nous faut réussir l'intercommunalité régionale et
permettre aux régions frontalières de s'ouvrir aux autres
régions européennes.
Cela me paraît très important que l'intercommunalité, sans
défaire l'Etat, nous autorise à travailler avec d'autres
régions d'Europe, ce que permet déjà partiellement
INTERREG III. De plus, puisque toutes les collectivités élaborent
leurs propres schémas d'aménagement et de développement du
territoire, le gouvernement et les deux assemblées pourraient,
grâce à une vue d'ensemble, en extraire les enjeux qui
dépassent le niveau de la région.
Ce projet, évoqué sous Balladur, a été
abandonné depuis 1997. Or cette lecture nationale permettrait de ne pas
manquer certaines opportunités. Dans cette optique, j'ai demandé
aux services de la région et à la commission aménagement
du territoire de la région Rhône-Alpes que soit mis en place un
projet régional montagne dans notre schéma. Par ailleurs, j'ai
sollicité mes collègues présidents de régions qui
ont en charge de grands massifs de penser à le faire. Cette
démarche permettrait une plus grande cohérence de la politique
montagne.
Question trois : vous vous demandez si les comités de massif doivent
devenir des établissements publics de coopération intercommunale
(EPCI) interrégionaux afin d'en faire des organes
décentralisés et impliquer davantage les régions.
J'aimerais d'abord préciser que les comités fonctionnent de
façon vraiment insatisfaisante pour deux raisons. Une raison technique
d'une part ; les comités de massifs disposent en effet de moyens
financiers très réduits. Le manque d'argent les incite donc
à se tourner vers les commissariats de massif, c'est-à-dire vers
le préfet, lequel nous envoie ses préconisations.
De plus, les exécutifs régionaux sont faiblement
représentés dans ces comités. Tant que ces
éléments techniques et politiques ne sont pas résolus, il
me semble difficile de vous répondre sur le bien-fondé d'un EPCI.
Il faut trouver le moyen pour que les textes permettent une action
réelle des exécutifs régionaux afin que l'on ne puisse
plus nous demander de désigner des représentants du conseil
régional en assemblée plénière.
En effet, les conseillers régionaux qui se rendent à ses
réunions aujourd'hui ne sont pas soutenus par une majorité
régionale. Ainsi, en l'état actuel des choses, quelle est la
nécessité de créer un niveau de plus au mille feuilles
administratif français ? De toute façon, les exécutifs
régionaux ne pourront plus assister à toutes les réunions.
Avant de mettre en place les EPCI, essayons de voir préciser très
clairement les compétences de chacun.
Et si des compétences supplémentaires doivent être
attribuées, pourquoi ne pas songer au président du conseil
général ou du conseil régional ?
Réfléchissons d'abord à savoir qui sont les patrons dans
la région : les préfets ou les assemblées élues qui
disposent d'un budget? Ensuite, nous pourrons travailler aux outils
administratifs à mettre en oeuvre.
Question quatre : quelles sont les conséquences pour la région
Rhône-Alpes de la réunification des massifs ? Nous en sommes
ravis car cette séparation des deux massifs était artificielle.
L'intérêt désormais est que la région
Provence-Alpes-Côte-d'Azur travaille ensemble. L'astuce serait d'englober
aussi les Alpes qui se trouvent du côté italien, ainsi un
équilibre se créerait entre Paca et Ligurie, Rhône-Alpes et
le Piémont mettant fin à des stratégies qui étaient
divergentes jusqu'à présent et aussi à la guerre de la
clientèle. La coopération permettra d'ériger les Alpes en
un massif européen qui attirera les grands flux.
Question cinq : quel jugement portez-vous sur le fonctionnement des organismes
relatifs à la montagne, en particulier dans votre région
(commission spéciale des unités touristiques nouvelles (UTN),
comités de massif, commission permanente...) ? La région
Rhône-Alpes n'est pas invitée à participer à la
commission spéciale des unités touristiques nouvelles, donc je
n'ai pas de jugement.
S'agissant des comités de massif, pour le Massif Central, dont
l'instance regroupe 75 membres, notre présence n'est pas aussi forte que
nous le souhaiterions puisque deux représentants de la région
Rhône-Alpes seulement y siègent, désignés par
l'assemblée de ce fait. Pour le massif du Jura comportant 49 membres,
dont 25 représentants des collectivités territoriales
(régions, départements, territoire de Belfort, communes et
groupements), nous sommes représentés par deux conseillers
régionaux, et pour les Alpes du Nord, selon l'ancien document, nous
disposons de quatre conseillers régionaux désignés par
l'assemblée régionale.
Ces chiffres prouvent que le préfet reste le patron. Ainsi, soit cette
compétence relève de l'Etat et les préfets vont jusqu'au
bout de leur mission, à l'inverse, si les collectivités se voient
reconnaître un pouvoir de décision, il s'agit de reconstruire les
structures en les adaptant au terrain. Enfin, un autre
élément me semble gênant : bien que j'en ai fait la
demande à trois préfets coordonnateurs de massif, nous ne sommes
pas autorisés à utiliser nos services. De plus, mises à
part les préconisations des préfets et la demande de moyens
financiers, nous constatons le peu de retour en informations reçues par
les exécutifs des régions.
Sixième point : quel regard portez-vous sur les règles
d'urbanisme et les différents dispositifs permettant de les
préciser (Directives Territoriales d'Aménagement (DTA),
prescriptions de massifs), en particulier dans votre région ?
Deux DTA ont été mises en place dans la région
Rhône-Alpes, celle de Lyon et celle des Alpes du Nord. Ce dispositif a
identifié de manière intéressante l'enjeu
spécifique du massif des Alpes du Nord, même s'il s'en tient
à des préconisations. Quand nous interrogeons le préfet
sur la manière d'aller plus loin, il nous propose de créer des
SCOT (schémas de cohérence territoriale) à
l'échelle du massif. Je ne suis absolument pas d'accord avec cette
proposition dans un contexte où les collectivités territoriales
fonctionnent bien. De plus, nous avons déjà travaillé sur
les DTA et les contrats de pays se mettent en place.
Plutôt que créer des strates de décision
supplémentaires, il faudrait, aujourd'hui, clarifier l'utilisation de
ces outils. Voilà ce que je voulais vous indiquer sur les questions que
vous m'avez posées.
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci, Madame la présidente, de ces
précisions éclairantes. Nous avons des questions à vous
poser. Pour ma part je me limiterais à une seule question qui ne figure
pas dans la grille. Les lois d'orientation et d'aménagement du
territoire ont prescrit l'élaboration de schémas de services
collectifs. Au travers de votre expérience, quelle vision avez-vous de
l'élaboration de ces schémas de service en montagne,
croisés avec les contrats initiés par la région et avec
les procédures de pays, les politiques contractuelles ou définies
de manière unilatérale par l'Etat ? De même, vous avez
parlé de mille feuille s'agissant des collectivités
territoriales. Ce mille feuille n'est-il pas aussi le fait de ces
procédures ?
Mme Anne-Marie Comparini
- Vous évoquiez le schéma de
services collectifs sur lesquels les collectivités ont beaucoup
travaillé. J'ai regretté le manque de transversalité que
nous avons constaté dans la région Rhône-Alpes. En effet,
des schémas agriculture, économie, transport ont
été élaborés, mais le croisement des
réflexions qui aurait permis de faire émerger les grands enjeux
de la région n'a jamais été possible. Les schémas
de services collectifs ainsi que les schémas d'aménagement du
territoire, mis en oeuvre sur le terrain, n'ont jamais
bénéficié d'une lecture nationale.
J'aimerais que le nouveau gouvernement soit attentif à cela. Il pourrait
utiliser les avis demandés aux collectivités territoriales afin
d'alimenter la réflexion au niveau national. Ainsi, peut-être,
pourrait-il s'apercevoir que certains enjeux relèvent d'une
démarche transversale, comme, par exemple, la montagne, le fleuve.
Deuxième élément, s'agissant des contrats de pays et
d'agglomération, je ne peux que constater l'intérêt qu'y
portent mes collègues même si cette démarche est souvent
lourde. Je crois que nous nous orientons dans la bonne direction, prenons garde
toutefois à l'articulation de ces structures avec les
départements, les régions. La discussion doit être
menée sans passion afin de voir comment profiter du XXIe siècle
et garder le meilleur de ce que nous avons.
M. Jean Boyer
- Vous avez la charge d'une des plus grandes
régions de France où l'équilibre entre les grandes
métropoles, Lyon, Saint-Etienne et Grenoble, est satisfaisant. De plus,
cette région dispose de territoires de haute montagne
bénéficiant d'un tourisme alpin et d'un territoire de moyenne
montagne où les centres de consommation et les centres de production
(agroalimentaire, abattoirs, collecte de lait) ne sont pas très
éloignés.
Pensez-vous, Madame, que la création de jumelages avec
l'arrière-pays puisse être bénéfique dans votre
région, c'est-à-dire donner l'autorisation à des
entreprises ou des individus travaillant dans des zones
suréquipées de s'implanter dans des zones plus
désertifiées afin de permettre un échange entre le
tourisme et l'économie puisque la population suit le travail ? Mais la
région Rhône-Alpes ne représente peut-être pas le cas
de figure idéal puisque les métropoles sont bien
réparties...
Mme Anne-Marie Comparini
- Les huit grandes villes de la région
se répartissent effectivement très correctement sur le
territoire. Et nous disposons maintenant de 6 parcs naturels régionaux.
Nous considérons en effet, et cela répondra à votre
question, que préserver l'environnement était indispensable face
à l'activité de Grenoble, Lyon, Saint-Etienne, dont le
développement risque d'absorber tous les terrains. Ainsi, selon nous,
concentrer l'activité sur les zones Lyon-Chambéry-Saint-Oyen,
plutôt que l'étendre, nous semble préférable.
L'agriculture périurbaine assure un joli revenu aux jeunes agriculteurs.
Je constate d'ailleurs personnellement sur le marché le samedi matin que
mes produits coûtent très cher.
Nous avons également besoin de conserver un très beau patrimoine
naturel car le tourisme est la première activité touristique de
notre région. De ce fait, je n'imagine pas possible de dire : nous ne
disposons plus de terrain aux alentours de Lyon, donc nous allons installer les
zones industrielles sur le territoire du parc naturel régional de la
Chartreuse.
Nous sommes parvenus à un équilibre. D'ailleurs, le taux
d'installation des agriculteurs dans la région tourne autour de 2,8 pour
les années 2000 et 2001, car nous avons réussi la
pluri-activité pour l'agriculteur en mélangeant agriculture de
montagne et activité touristique lui permettant d'obtenir deux salaires.
Nous souhaiterions par ailleurs acheter des terrains pour les jeunes
agriculteurs autour du franco-genevois ou dans l'Ardèche du sud et la
Drôme, où les terres sont aujourd'hui reprises par les Suisses. Or
la loi du 2 mars 2000 dite loi Gayssot concernant l'outil de gestion de
foncier, qui nous aurait permis de créer des sociétés
d'investissement régionales, est inapplicable.
Sur 20 régions françaises, seules deux régions ont
tenté vainement de l'appliquer : la région Ile-de-France
dirigée par Jean-Paul Huchon et la région Rhône-Alpes.
Cette loi, dont l'idée est bonne, est à revoir. Donc, je pense
qu'il faut préserver des terres car le tourisme est la première
activité touristique de notre pays et qu'il ne faut pas casser la poule
aux oeufs d'or.
M. Gérard Bailly -
J'ai apprécié votre
interrogation concernant l'organe de décision compétent :
s'agit-il du préfet de région ou des représentants des
différentes collectivités, des forces économiques, des
forces vives ? J'opterais bien sûr pour la deuxième alternative
car les gens du terrain connaissent mieux les besoins.
Voici 25-30 ans, quand nous bénéficiions des crédits du
Fonds interministériel pour le développement et
l'aménagement rural (FIAM), le Préfet retenait les
opérations que le monde économique, le monde des élus
avait définies dans ses comités. Il me semble tout de même
que cela a beaucoup évolué.
J'aimerais vous poser deux questions. Les zones de montagne engendrent des
coûts importants pour créer et entretenir les routes, impulser les
nouvelles technologies d'information et de communication, développer la
téléphonie mobile-les opérateurs ayant pris en charge la
construction de réseaux dans les secteurs de plaine en délaissant
les zones de montagne, - les coûts aussi en aménagement, en
assainissement. Tout est beaucoup plus cher qu'ailleurs.
Pensez-vous que le système de péréquation actuel soit
satisfaisant ?
Pour ma part, je ne le crois pas. Si nous souhaitons que les territoires de
montagne aient un avenir, est-ce qu'une grande réflexion ne doit pas
être menée sur ce problème de la
péréquation ?
Ma deuxième question prend le contre-pied de ce que vous avez
déclaré à mon collègue. Une zone de montagne
représente un atout touristique important. Mais pour que cet atout
existe, il faut une agriculture qui puisse aménager l'espace mais aussi
une vie durant les neuf mois de l'année où le tourisme est absent
; c'est-à-dire pour les habitants de ces régions, la
nécessité d'avoir une autre activité.
Or beaucoup de touristes délaissent les grandes stations au profit de
territoires beaucoup plus isolés. Il me semble qu'aujourd'hui, certains
projets économiques peinent à se mettre en place dans ces
régions. Comment convaincre un banquier, un médecin, un
épicier, de rester ? Or j'ai l'impression que le monde citadin ne
souhaite pas que des activités subsistent en montagne car il
préfère passer ses vacances dans un cadre qui correspond à
la montagne des années passées.
Les gens de la montagne s'offusquent de cela. Il faut accepter que des
investissements maîtrisés puissent être faits à la
montagne. Auparavant 40 agriculteurs de base permettaient à
l'épicier du coin, au café de subsister, or maintenant ce poids
n'existe plus. La question de l'aménagement du territoire ne peut
exclure cette réflexion. Aujourd'hui, faire un dossier dans les zones de
montagne devient très compliqué, d'autant que les coûts
sont prohibitifs et les enquêtes longues.
Dans le Jura, nous essayons de préserver l'environnement tout en nous
souciant de l'activité. Car nous sommes en train de vider la substance
de cette région. Quel est votre sentiment sur cette question ?
Mme Anne-Marie Comparini -
Pardon, je suis un rat des villes et
peut-être vais-je dire des choses trop idéalistes ou naïves.
J'évoquais ce sommet du tourisme qui s'est déroulé
à Chamonix l'an dernier. Un professeur de l'université de
Lausanne, lequel partait de votre souci d'une vie dans les zones de montagne,
affirmait que l'Europe étant entrée dans une économie de
loisirs, il fallait veiller à ce que perdure une activité
touristique tout au long de l'année dans ces territoires.
Suite à cette intervention, j'ai demandé au Conseil
économique et social de développer ces idées car, pour
nous, pays européens, l'intérêt est grand de retenir ces
touristes, notamment les personnes du troisième âge qui voyagent
d'octobre à mai. Même si travailler peu n'est pas une philosophie
de vie pour tout le monde, nous sommes entrés dans une période
où nous sommes encore en forme à la fin de la vie active. Le
retraité aura donc envie de voyager, de rencontrer des pays et des
cultures tout au long de l'année.
S'agissant des activités industrielles en zones de montagne, nous avons
l'exemple au fin fond de l'Ardèche d'entreprises qui réalisent
des bracelets, des bijoux pour de grands couturiers. Cette activité de
PME-PMI marche bien. L'installation de ces entreprises implique
évidemment que la région leur offre le même environnement
technologique que s'ils se retrouvaient à Grenoble ou sur la zone
Annecy-Chambéry ou sur le technopôle
« Technolac ».
Or, souvent, nous ne pouvons pas attendre l'Etat. Et comme nous ne pouvons pas
non plus manquer les grandes révolutions, la région
Rhône-Alpes avec les présidents de départements a
décidé par exemple de mettre en oeuvre un plan nouvelles
technologies qui sera voté le 18 juillet. En effet, si nous attendions
les initiatives de l'Etat, nous serions déjà loin derrière
le Maroc et la Tunisie, ce qui est gênant pour notre activité.
Les PME-PMI ne doivent en effet pas être négligées. Ces
niches renferment de jeunes diplômés sortis d'écoles qui
dynamisent le territoire. Mais nous ne pouvons vendre ces territoires que si la
téléphonie mobile fonctionne correctement dans ces zones et que
le haut débit devient une réalité.
De grandes entreprises, leaders mondiaux dans leur secteur, installées
à Montbrison accèdent au haut-débit depuis une quinzaine
de jours seulement. Elles étaient très en colère et
menaçaient de quitter la région.
C'est pourquoi je me suis définie au début de mon intervention
comme un rat des villes. Pour moi, la recherche et la technologie sont bonnes
pour toutes les activités humaines qu'il s'agisse des entreprises, du
tourisme intelligent ou de l'agriculture.
Ne gardons pas la matière grise qui caractérise le siècle
dans lequel nous vivons, uniquement tournée vers les nanotechnologies ou
nos médicaments. Faisons en sorte qu'elle nourrisse toutes nos
activités humaines. Le travail de l'institut du fromage sur la
sécurité alimentaire est admirable et, ainsi, quand le
Saint-Nectaire va mal, les fromages de la région Rhône-Alpes se
portent bien.
M. Jean-Paul Amoudry
- Puis-je vous poser une ultime question
impertinente dans la suite de celle de mes collègues ? Avez-vous
établi un plan concret s'agissant des nouvelles technologies de
l'information et de la communication ? La région a t-elle pris des
initiatives pour se donner des échéances et qu'avez-vous
envisagé au titre de l'aménagement du territoire ?
Mme Anne-Marie Comparini
- Nous avons inauguré l'an dernier la
première plaque du réseau haut-débit régional, une
infrastructure intégralement financée par la région
à hauteur de 7 millions 600.000 euros. Cette plaque comportant douze
points de sortie, nous avons réussi à obtenir au moins un point
de sortie pour chacun des départements de la région
Rhône-Alpes.
Le système a bien fonctionné puisque certains départements
se sont connectés à notre grande autoroute régionale. Nous
pouvions donc aller plus loin, c'est pourquoi nous allons voter au conseil
régional le 18 juillet un plan de trois ans dont le financement
s'élève à 100 millions d'euros.
L'objectif, dans un premier temps, est de travailler sur les infrastructures.
C'est-à-dire veiller à ce que, à partir des douze points
de sortie qui existent déjà, tous les points du
département soient irrigués à la fois en TIC et en
téléphonie mobile. Dans certaines zones rurales, des
restaurateurs perdent des marchés en raison des défaillances du
réseau.
En outre, pour les industriels, en matière de nouvelles technologies,
nous disposons de "hubs", comme à Lyon pour nos vols français.
Aujourd'hui, quand j'envoie un e-mail au sénateur Michel Mercier par
exemple, mon e-mail transite parfois par New York, alors qu'il partait de
Charbonnières-Les-Bains. Une nouvelle technique onéreuse mais
efficace installera le "hub" au niveau de la région Rhône-Alpes et
permettra aux industriels de gagner du temps.
Troisième point : les usages des NTIC pour la formation de
salariés. Nous avons repris l'idée de l'usine d'Ugine et d'une
association de la Vallée de la Maurienne, qui ont formé par
ordinateur des salariés de PME-PMI. Je vais proposer d'étendre ce
type de formation dans mon plan.
Dans trois ans, notre région devrait disposer d'un réseau dense
et opérationnel, certes pour un investissement élevé, mais
indispensable, néanmoins, à engager.
31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de Chambéry (26 juin 2002)
Merci de
votre accueil. Je suis ravi d'évoquer à nouveau un sujet qui
m'avait tenu à coeur avant que, devenant maire d'une ville, je ne
m'éloigne un peu de ces préoccupations. Je ne souhaite pas me
positionner d'une manière passéiste sur un travail
réalisé dans les années 70 et concrétisé au
milieu des années 80.
Cela dit, j'aimerais que mon intervention puisse vous aider à comprendre
ce qui a été réalisé voici près de vingt
ans. Vous m'avez interrogé sur les principales propositions du rapport
de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 1982 sur la
montagne.
À l'époque, le rapport avait comporté 200 propositions
législatives, réglementaires et communautaires, mais nous
n'attendions pas qu'un projet de loi renferme autant de propositions, dont la
moitié ne relevait d'ailleurs pas du champ législatif. Nous
savions qu'il était très difficile qu'un projet de loi d'origine
gouvernemental reprenne l'intégralité des propositions de la
commission d'enquête. En effet, le projet de loi déposé au
Parlement ne comportait plus qu'une quarantaine d'articles.
Mais comme la plupart des membres de la commission spéciale
chargés d'examiner le texte, avaient aussi participé à la
commission d'enquête, il est évident que, par voie d'amendement,
toutes les dispositions législatives qui n'avaient pas été
introduites dans le projet de loi l'ont été au cours du
débat parlementaire. Ainsi ce projet de loi d'une quarantaine d'articles
à son entrée au Parlement en est sorti considérablement
étoffé, fort d'une centaine d'articles.
Ce qui n'avait pas été retenu s'expliquait par des
difficultés au niveau du travail interministériel s'agissant par
exemple du volet organisation du tourisme en montagne avec la maîtrise du
manteau neigeux, le conventionnement... En effet, il était
extrêmement difficile d'obtenir des points de vue convergents des
ministères dont les préoccupations sont différentes.
La rédaction qui n'avait pu être achevée par les cabinets
ministériels à cause des difficultés d'arbitrage, l'a
été par le Parlement. Par exemple, le ministère de
l'intérieur n'était pas favorable à l'octroi de
prérogatives spécifiques aux communes de montagne complexifiant
le code général des collectivités territoriales, dont le
respect est assuré par le préfet.
Le ministère des finances pour sa part était sensible aux moyens
de renforcer les sources de devises et le secrétariat d'Etat au tourisme
bien sur n'y était pas défavorable. En revanche, le
ministère de l'environnement qui se sentait le gardien du décret
du 22 novembre 1977 sur les unités touristiques nouvelles (UTN)
était au contraire réservé sur la poursuite de
l'aménagement du territoire montagnard. Ainsi, les points de vue
étaient tellement contradictoires qu'aucun texte arbitré n'a vu
le jour pour être inscrit dans le projet de loi adopté par le
Conseil des ministres.
Les travaux parlementaires ont eu un rôle essentiel, mais c'est à
vous qu'il appartient, bénéficiant d'un recul de 17
années, d'examiner si cette loi a été pertinente. Je n'ai
évidemment aucune prétention à vous éclairer sur ce
point.
Le deuxième dossier pour lequel le retrait par rapport aux travaux de la
commission d'enquête a été flagrant concerne la question
délicate de la protection sociale des pluri-actifs.
Nous avions réussi à faire voter en première lecture
à l'Assemblée nationale, une disposition établissant que
le pluri-actif avait le choix de son régime et une fois la caisse
choisie, il était à charge de cette dernière de
régler les problèmes de coordination avec les autres caisses.
L'ensemble des conseils d'administration des caisses centrales est monté
au créneau et a indiqué au ministre de tutelle, qui était
le ministre des affaires sociales de l'époque, qu'elles ne
respecteraient pas ce texte. Leurs objections reposaient sur des raisons
techniques, informatiques.
Chacune développait son logiciel en fonction des caractéristiques
spécifiques à chaque régime et donc il n'était pas
question pour elles de subir des perturbations afin de satisfaire quelques
centaines de millions d'individus qui, à leurs yeux, étaient
capables de se débrouiller. Le ministre des affaires sociales disait
qu'il ne voyait pas comment contraindre une caisse à gérer
à la place de l'assuré la complexité à laquelle
était confronté le pluri-actif. Et devant cette position
très tranchée, nous avons battu en retraite en nous assurant tout
de même d'obtenir une avancée.
De là est né le décret de coordination qui a permis
l'addition des durées de cotisation de chaque régime pour le
calcul des droits à la couverture de certains risques. Car, en effet,
auparavant si les pluri-actifs, c'est-à-dire des individus qui sont, par
exemple, moniteur de ski l'hiver, agriculteur à l'intersaison et
charpentier l'été, étaient victimes d'un accident du
travail, ils se retrouvaient en fauteuil roulant, mais aussi au bureau d'aide
sociale. Une année continue de cotisation au même régime
était nécessaire pour bénéficier du remboursement
des soins, exigence qu'ils ne pouvaient satisfaire en changeant deux ou trois
fois de régime au cours de l'année.
Ainsi, ce décret de coordination a constitué une avancée
considérable même s'il représentait un recul par rapport au
régime simplifié que nous avions souhaité pour les
pluri-actifs. Pour mémoire, les caisses avaient accepté le
principe d'organiser des permanences pour les pluri-actifs mais ne les ont
concrétisées que dans deux localités Moutiers et
Saint-Jean-de-Maurienne et je n'ai pas eu connaissance que cette
expérience fut étendue ailleurs.
Les caisses se sont refusées à rendre polyvalents leurs agents au
point que même lors de ces permanences le régime
général envoyait trois représentants. Car chaque branche a
ses représentants ce qui crée parfois des situations originales :
les agents des diverses caisses qui attendent les clients sont parfois plus
nombreux que les clients eux-mêmes.
Nous aurions aimé aller plus loin sur un autre point : la question de la
stabilisation des emplois saisonniers. Selon notre analyse, un certain nombre
de jeunes pouvaient d'autant plus facilement choisir de s'installer en montagne
sur des petites structures qu'ils pouvaient y obtenir des compléments
d'emploi stables. Nous avons pu faire passer la disposition permettant aux
collectivités locales de titulariser un saisonnier.
La fonction publique d'Etat s'est montrée hostile à l'idée
qu'on puisse titulariser un saisonnier. Alors même qu'elle acceptait des
contrats à temps partiel répartis sur l'année, elle
n'acceptait pas un temps partiel concentré sur une partie de
l'année.
Dans une autre question, vous me demandez le jugement que je porte sur les
comités de massif. Nous avons été à l'initiative de
la création de cette structure ainsi que du Conseil national de la
montagne ; ces instances ont été conçues comme des lieux
de tribune afin qu'une population très minoritaire dans le pays (de
l'ordre de 7 %) puisse bénéficier de l'attention des pouvoirs
publics. J'avais été mis en minorité sur l'idée que
ces instances puissent être dirigées par des montagnards
eux-mêmes choisis par leurs pairs.
Cette proposition a suscité un tollé, certains ayant
considéré que j'ouvrais la voie à un désengagement
financier de l'Etat. En conséquence, la présidence des instances
a classiquement été attribuée à l'Etat et a
évolué récemment en co-présidence s'agissant des
comités de massif. Ce pas en avant me semble tout à fait positif.
Faut-il changer le statut des comités de massif et les transformer en
établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ?
Cette approche n'a pas été débattue à
l'époque car traditionnellement, les EPCI assument surtout des
responsabilités de maîtrise d'ouvrage. Or, il était
souhaitable de créer une structure qui soit un lieu d'interface entre la
montagne et les décideurs, un lieu de tribune pour les montagnards.
Cette hypothèse n'a donc pas été envisagée.
Peut-être faut-il, si des actions doivent être conduites à
l'échelle des massifs, que des établissements publics
interrégionaux voient le jour.
Je ne suis pas sûr qu'il faille pour autant se passer des comités
de massif, bien que ces derniers manquent souvent de dynamisme et d'initiative.
S'agissant de l'urbanisme en montagne, vous avez d'ailleurs sans doute
remarqué que les comités de massif n'ont pas fait usage de leurs
prérogatives.
Nous avions parfaitement conscience en rédigeant un chapitre
spécifique à la montagne dans le code de l'urbanisme, qu'il
était impossible de prévoir toutes les situations susceptibles
d'être rencontrées dans des massifs très divers. De plus,
il était déjà très difficile de faire admettre aux
instances juridiques l'idée que des dispositions législatives
spécifiques puissent être mises en oeuvre sur une partie du
territoire. Affiner encore les dispositions de telle sorte qu'elles ne soient
pas les mêmes dans les Pyrénées que dans les Vosges, dans
le Massif central que dans les Alpes semblait difficilement envisageable. En
revanche, nous allions trouver une possible réponse à une
meilleure prise en compte de la diversité des massifs dans un document
de type nouveau que la loi montagne allait créer : la prescription
particulière de massif.
Nous attendions que cette prescription soit mise en oeuvre par les acteurs
membres des comités de massif. D'autant que, les formes de l'habitat
n'étant pas les mêmes selon les massifs, les réponses
uniformes n'étaient pas très heureuses. Or, de ce point de vue,
nous avons connu une certaine déception car aucune tentative
d'élaborer ce type de document ne s'est manifestée. L'article 8
de la loi qui évoquait le droit à la différence n'a pas
été utilisé. A l'époque, ce débat avait
même été tranché sans aucun veto émanant de
républicains sourcilleux qui auraient pu voir la République en
péril dans ces déclinaisons de dispositions légales massif
par massif.
Paradoxalement, du fait de l'absence de prescriptions particulières,
nous n'avons pas retrouvé les distinguos établis dans la
directive du 22 novembre 1977, laquelle prenait en compte l'altitude
en-deçà ou au-delà de laquelle le régime
était différent ; altitude modulée selon les massifs,
1.200 mètres dans les Alpes, 800 mètres dans le Massif
Central.
Les prescriptions de massif auraient pu décliner les choses à un
niveau infra-régional, mais cela n'a pas été le cas.
Ainsi, lorsque la loi sur l'aménagement du territoire de février
1995 a été débattue, aucune voix ne s'est
élevée contre l'abrogation de cette disposition, qui, finalement,
a été rétablie ensuite dans le cadre de la loi relative
à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).
Est-ce que, aujourd'hui, cette disposition aura plus de chance de se voir
concrétisée ? En tout cas, je crois que cette question provoquera
au sein de votre commission un débat sensible. Quand l'abrogation des
prescriptions particulières a été discutée en 1995,
l'argument était qu'aucun dispositif de ce type n'avait
été mis en oeuvre et qu'il existait d'autre part un nouvel outil
d'aménagement du territoire.
Un consensus s'est établi au sein des gouvernements depuis sept ans pour
réserver les directives territoriales d'aménagement (DTA) aux
zones à fort développement démographique ou aux
territoires où les enjeux de maîtrise foncière sont plus
forts qu'ailleurs. La carte des DTA prouve que, s'agissant de la montagne, ce
dispositif ne touche que les Alpes du Nord et une partie des Alpes maritimes,
c'est-à-dire les secteurs soumis à de fortes pressions
foncières, où la maîtrise des zones de construction ainsi
que la préservation de terrain sont indispensables.
Une complémentarité entre la DTA et la prescription de massif
peut donc être envisagée surtout si vous obtenez que soit
confirmée la capacité juridique donnée aux prescriptions
de massif d'adapter les dispositions d'application et non pas "préciser"
comme inscrit dans le texte sur les DTA.
Une complémentarité est donc possible entre ces deux dispositifs
d'urbanisme, encore faut-il que vous arriviez à en encadrer le champ de
manière à vous protéger du risque
d'inconstitutionnalité. Vous avez devant vous un problème
délicat sur lequel il faudra travailler. Dernière question :
est-il possible d'assouplir le droit de l'urbanisme en zone de montagne ?
Ma réponse est affirmative si cet assouplissement est strictement
encadré.
D'autres aménagements sont également possibles à partir
des enseignements que vous pourriez obtenir de l'application des dispositions
spécifiques de la loi de montagne sur la protection et la
constructibilité des secteurs proches des lacs de montagne.
Nous nous heurtions à ce que les techniciens de l'urbanisme appellent
l'urbanisme de cutch. A l'aide du double-décimètre, nous
vérifiions si nous satisfaisions aux conditions ou pas. Nous
étions très souvent pris en défaut d'aberration parce que
l'inconstructibilité était systématique sur 300
mètres en bordure des lacs.
Or il se trouve qu'en montagne, aucune zone n'est plate et très souvent
l'espace constructible, relativement dissimulé depuis les berges, se
situe à 100 ou 200 mètres alors qu'à 300
mètres ou 400 mètres, nous étions complètement
revenus en surplomb.
L'esprit d'une interdiction visant à préserver un cadre naturel
ne prenait pas en compte la réalité topographique de ces zones.
L'urbanisme du double-décimètre n'est pas du tout pertinent dans
un secteur de montagne.
Essayer d'introduire un urbanisme intelligent a constitué un de nos axes
prioritaires pour les secteurs sensibles de bords de lac. Nous avons
accordé quelque souplesse aux communes qui s'étaient
dotées d'un document d'urbanisme, ainsi qu'à celles qui
acceptaient de mener un travail de réflexion prospective. Enfin les
règles étaient assouplies davantage si le même effort de
planification de l'espace était conduit dans un cadre intercommunal
couvrant la totalité du pourtour du lac.
La combinaison de la souplesse et de la bonne échelle peut faire en
sorte que les décisions mises en oeuvre soient considérées
comme irréprochables par les grandes fédérations de la
nature. Voilà monsieur le président les éléments
que je voulais vous apporter sur ce point.
Je me permettrais encore de vous faire part d'une interrogation largement
portée à l'époque par la Fédération
nationale des producteurs de lait, et que nous n'avions pas
tranchée : les modalités de calcul du handicap naturel.
Au début des années 80, s'opposaient les partisans de la
méthode française reposant sur le zonage par commune
calculé en fonction du différentiel d'altitude entre la partie la
plus haute de la commune et la partie la plus basse et les défenseurs de
la méthode autrichienne ou suisse telles les organisations agricoles
souhaitant calculer le handicap exploitation par exploitation.
Cette dernière méthode ne paraissait pas impossible à
mettre en oeuvre, France et Autriche détenant un nombre similaire
d'exploitations en montagne. Nous avons finalement fait le choix de nous
résigner à la méthode française et la loi montagne
est calquée sur les pratiques du ministère de l'agriculture. Vos
travaux risquent de susciter un nouveau débat à ce sujet.
Votre commission peut aussi avoir un rôle utile concernant la
répartition des ressources nouvelles créées par la loi
montagne. Les informations se font rares à ce sujet comme souvent
d'ailleurs lorsqu'un système fonctionne bien. Une enquête pourrait
être menée.
De même, vous pourriez étudier si une péréquation
partielle pourrait s'appliquer afin de favoriser la solidarité entre les
différents types de montagne. Enfin il serait intéressant de
s'interroger sur l'affectation des ressources opérée par les
Conseils généraux. Le Parlement à l'époque
s'était contenté d'émettre un ordre d'affectation en
mettant une priorité sur le tourisme de montagne mais est ce que les
retombées du tourisme de neige sont allées à l'agriculture
et dans quelle proportion ? Je me suis rendu compte que dans certaines communes
et départements, les ressources étaient très
substantielles. Il faudrait étudier cela.
Samedi dernier, lors d'une manifestation en altitude, deux maires comparaient
la croissance de leurs ressources depuis la loi montagne ; l'un évoquait
la somme de 1,070 million d'euros annuelle et l'autre soulignait qu'il avait
reçu 168.000 euros au titre de la taxe sur les remontées
mécaniques et 61. 000 euros par une meilleure répartition de
la taxe professionnelle sur les prises d'eau des installations
hydroélectriques.
Ces sommes obtenues annuellement ne sont pas négligeables ! Une
étude approfondie sur ce sujet peut se révéler
intéressante...
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci beaucoup pour cet exposé. J'aimerais
vous poser deux questions. Que pensez vous de l'évolution de la
dimension européenne de la montagne qui était déjà
une réalité en 1985 dans un contexte où d'autres massifs
vont rejoindre l'Union européenne avec l'élargissement ? Quelle
sera la place de la montagne dans son ensemble au sein de l'Union
européenne et particulièrement de la montagne française ?
Faut-il revoir le zonage ? Est-il nécessaire de développer
d'autres concepts pour aider la montagne et s'adresser à l'exploitation
et non plus à une zone géographique ?
Ma deuxième question porte sur un point qui m'a semblé essentiel
dans la loi de 1985 : celui de la maîtrise par la collectivité
locale de son développement sous la forme d'autorités
chargées du transport touristique comme les remontées
mécaniques. Par la suite, une loi a obligé à ouvrir la
délégation de services publics à la concurrence
créant une certaine émotion dans le milieu montagnard car une
telle évolution, pour certains, risquerait à terme d'engendrer le
dessaisissement des montagnards de leur propre destin. Que devient la vision
service public de l'équipement de la montagne ? Que pensez-vous du
dessaisissement des montagnards ?
M. Louis Besson
- L'ouverture à la concurrence concernant les
délégations de services publics ne remet pas forcément en
cause la maîtrise communale dans la mesure où le contractant
communal demeure. De nouveaux candidats peuvent apparaître : quels sont
les effets de cette concurrence ? En 1985 sont apparus des groupes importants
comme la Compagnie des Alpes qui, par rachats successifs de concurrents, a pris
une importance majeure.
En ce sens, le rapport de force avec le concurrent local peut évoluer.
Peut-être faut-il renforcer le pouvoir de l'autorité locale et
donner des prérogatives accrues et des garanties complémentaires
aux collectivités qui accepteraient de favoriser une approche par
vallée. Peut-être faut-il octroyer une prime à
l'intercommunalité surtout quand cette dernière est de nature
à associer un village plein sud dépourvu de neige au village dont
les champs de neige sont situés au nord et qui détient toutes les
ressources...
S'agissant du conventionnement, vous allez sans doute auditionner le syndicat
national des téléphériques de France (SNTF) qui
était à l'époque l'organisation la plus hostile à
la démarche de maîtrise communale, critiquant le fait que le
dispositif s'étalait sur une période de 18 ans avec la
possibilité d'aller à trente années. Un nouvel
échange sur ce point avec cette structure serait intéressant afin
d'obtenir des renseignements sur la courbe des investissements en
matière d'équipement du domaine skiable.
En ce qui concerne la dimension européenne de la montagne,
l'harmonisation des modalités de calcul des handicaps, de même que
l'uniformisation des pratiques des différents pays membres, la France a
toujours souhaité la différenciation entre haute montagne et
moyenne montagne, piémont, tandis que les pays les moins montagneux
souhaitent que toutes les subventions européennes soient
calculées à leur plafond
La France est paradoxalement pénalisée par son souci de justice :
la volonté de moduler ces aides en fonction de l'altitude lui fait
perdre une partie des rétributions européennes. Ce point
mériterait d'être débattu avec les autorités
européennes.
Pour le reste, Michel Barnier, Commissaire européen chargé des
politiques régionales, a annoncé lors de la Convention
européenne de la montagne qui se déroulait en Ecosse le mois
dernier, que la montagne devrait être un des territoires éligibles
aux aides européennes lesquelles vont prendre de l'importance dans la
perspective de l'élargissement. Ainsi, par ce biais, la montagne
française pourra-t-elle peut-être éviter de se faire
exclure des subsides européens sous le prétexte que le pays est
plus riche que la plupart des nouveaux entrants au sein de l'Union
européenne. Une politique régionale spécifique sauvera
peut-être la montagne.
M. Jean Boyer
- Vous avez évoqué la situation des
pluri-actifs, ne pensez-vous pas que l'activité principale puisse
être une référence afin de déterminer le
régime social ? De même, vous avez souligné
l'intérêt d'accorder la maîtrise d'ouvrage aux communes,
mais comme vous le savez, il s'avère de plus en plus difficile de mettre
en place des micro-centrales en raison des prescriptions environnementales ou
de la réglementation en matière de pêche. Or, ne pas
utiliser cette énergie naturelle serait dommage. Qu'en pensez-vous ?
M. Louis Besson
- Les micro-centrales étaient très en
vogue au milieu des années 1980, les chocs pétroliers
n'étaient pas loin. Et certains investisseurs extérieurs à
la montagne venant récupérer les droits d'eau, des communes se
trouvaient exclues. Aujourd'hui, les micro-centrales ne sont plus
d'actualité car la production correspondante est
considérée comme marginale. De plus, les pêcheurs sont
montés au créneau et l'atout touristique ne justifiait pas
d'assécher les ruisseaux. La menace était forte à
l'époque et certains ont bénéficié de fortes rentes
de situation et continuent à en vivre puisque l'obligation est faite
à EDF de racheter les installations à bon prix.
Concernant la pluri-activité, l'activité principale est-elle la
bonne référence ? J'observe que l'hésitation est forte
quand il s'agit de définir l'activité principale. Est-ce
l'activité à laquelle on consacre le plus de temps ou celle dont
provient la majeure partie de ses ressources ? La première
génération des agriculteurs s'orientant vers l'agro-tourisme
ressent une certaine fierté à se déclarer paysan.
Psychologiquement, il est important pour eux de se définir comme
agriculteur, même si cette activité ne constitue pas la source
principale de leur revenu.
Nous souhaitions instituer le libre choix. Mais la part de retraités
étant plus importante que celle des actifs au sein du régime
agricole, nous savions aussi qu'il ne fallait pas aggraver encore la situation.
A mon sens, l'essentiel est que la montagne puisse avoir une
pluri-activité attractive. Là-dessus repose la vitalité de
la montagne. Pour cette raison, il ne faut pas pénaliser les
pluri-actifs en augmentant les cotisations ou les assurances et les autoriser
à choisir leur statut. J'avoue que ce champ de travail est difficile car
les interlocuteurs sont puissants.
M. Pierre Jarlier
-
Nous avons une certaine fierté de
poursuivre le travail fondateur que vous avez mené pour la politique de
la montagne. Je souhaiterais vous poser trois questions. La première
concerne la prescription de massif, la seconde la DATAR et la troisième
a trait à la nécessaire prise en compte des concepts de moyenne
montagne.
S'agissant des prescriptions de massifs, ce dispositif est un moyen pour nous
de faire prévaloir notre droit à la différence, mais
quelle est l'échelle souhaitable de cette prescription ? De plus,
comment peut-elle être impulsée ? Car, peut-être comme
en 1985, cette procédure ne sera-t-elle pas utilisée sans une
clarification de son mode d'approche. N'est-il pas nécessaire de
rapprocher les prescriptions de massif d'un pilotage général au
niveau du comité de massif et surtout de la réflexion au niveau
des nouveaux documents d'urbanisme, notamment le SCOT ou du plan local
d'urbanisme hors de la carte communale ?
Nous nous rendons compte que l'application de ces mesures nécessite une
contractualisation, or cette dernière exige l'identification du
maître d'ouvrage qui permet de l'entériner. N'est-ce pas à
l'échelle de l'établissement public chargé du
schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou de
l'intercommunalité chargée d'un plan local d'urbanisme
intercommunal d'agir avec la possibilité que le comité de massif
chapeaute ces mesures dans un souci de sécurité et d'harmonie ?
Autre question : les services de la DATAR, qui offrent des outils d'appui
au développement, sont souvent mal perçus sur le terrain alors
que leur rôle est de se constituer comme des partenaires du
développement local. Dans la perspective d'évolution des
comités de massif, comment pourraient être associés les
services de la DATAR en véritables partenaires au côté de
décideurs ; les élus par exemple puisque nous nous engageons vers
une plus forte décentralisation ?
Enfin, les travaux effectués par la commission jusqu'à
présent nous obligent à un constat : les effets de la
politique montagne sont contrastés entre la montagne qui dispose de
ressources propres liées à la neige, et la moyenne montagne qui
vit essentiellement de l'agriculture touchée de plein fouet par la
désertification et par d'importantes baisses de revenus.
Vous avez évoqué la solidarité, peut-être un effort
doit-il être effectué en faveur de ces régions. Pourquoi ne
pas songer à une intervention de l'Union européenne ? Il faudrait
faire couvrir l'ensemble des territoires de montagne par les prochains fonds
structurels malgré l'élargissement, mais peut-être y a-t-il
une nécessité de prendre en compte les spécificités
des territoires de montagne afin d'aider des zones en difficulté, comme
cela a été fait pour certains territoires compris dans l'objectif
1. Comment prendre en compte ces secteurs défavorisés ?
M. Louis Besson
- Je vous remercie de votre propos liminaire et
m'autorise une parenthèse. Ce travail que nous avons mené
était très collégial, très inter-massifs,
très inter-groupes. Je tiens à le rappeler car nous étions
l'objet de dérision nous taxant de « parti de la
montagne ». Le travail s'est révélé constructif
car effectivement, nous nous entendions bien. Le cheminement de nos travaux a
été très complexe. Nous avons d'abord ouvert une
commission d'enquête, ensuite nous avons arraché un avant-projet
de loi sur lequel une mission de consultation nationale a travaillé.
Enfin, une commission spéciale a étudié le texte. Au
total, le sujet a nécessité de ma part 3000 heures de travail.
Mais, je ne m'en plains pas car ce thème de la montagne était
particulièrement intéressant.
Concernant les prescriptions de massif, il semble difficile de penser, alors
que le projet parvient au stade législatif, qu'une subdivision du
territoire en deçà du massif est possible. Il faut alors, par
exemple, trouver une formule de SCOT simplifiée et imaginer que leur
coordination puisse exprimer ce que représente une prescription au
niveau du massif. Mais sans doute faut-il un document plus simple qu'une
directive territoriale d'aménagement (DTA)dans laquelle figurent les
enjeux d'explosion démographique, d'implantations économiques...
etc !
Concernant les situations très contrastées en montagne, je crois
que vous avez raison. Dans le droit-fil de la loi montagne avait
été crée le FIAM, le Fonds interministériel
d'auto-développement en montagne. L'idée était que le
développement local pouvait se trouver facilité par le
financement d'appuis techniques en montagne. Lorsque cinq ou six cantons
connaissent une situation difficile tant économique que
démographique, comment réagir ?
Dans un premier temps, il est nécessaire, sur un périmètre
à définir préalablement, de mener un travail d'analyse
permettant d'identifier les atouts du territoire. Ces atouts ne reposent
quasiment jamais sur l'agriculture. Puis, il s'agit de décider qui, des
acteurs publics ou privés, est en mesure de les valoriser et de faire en
sorte qu'ils ne s'opposent pas mais, au contraire, se renforcent mutuellement.
Enfin, l'approche de la bonne échelle implique une mobilisation du
territoire à la fois au niveau des acteurs publics via une structure
type communauté de communes ou de pays, et des organisations
professionnelles organisées à la même échelle.
Le FIAM devait financer l'agent de développement qui menait cette
étude d'identification des atouts, qui aidait à la constitution
des structures à même de les mettre en valeur. Cet agent de
développement avait besoin du financement de l'Etat tant qu'il n'y avait
pas réelle impulsion de la dynamique de développement local. Je
ne crois pas que le système ait fonctionné ainsi. Les richesses
de certains secteurs sont restées en friche et elles restent aujourd'hui
mobilisables. Au-delà du financement de l'assistance technique permise
par le FIAM, il faut être éligible à des programmes pour
lesquels la montagne ne doit pas être considérée
homogène par Bruxelles.
Certains territoires montagnards sont riches, d'autres pas comme, par exemple,
les villages situés sur le versant du soleil et qui souffrent de
l'absence de neige. Une politique européenne qui appuierait l'effort
national et régional serait efficace.
Enfin, s'agissant du champ des productions agricoles plus
rémunératrices je pense que l'Europe pourrait aussi nous aider,
outre ses subventions, en mettant en place un système de protection des
productions de qualité.
Des erreurs monumentales ont été commises dans l'attribution des
aides financières. En effet, parfois des zones sont
subventionnées par Bruxelles pour créer une concurrence directe
à d'autres territoires spécialisés dans une production
où les alternatives à cette production n'existent pas. La
préoccupation de protéger les productions par une appellation et
par une sanction des imitations me semble fondamentale.
Pour répondre à votre question, la grande ambition de la
politique de la montagne doit être que les territoires ayant
échappé aux retombées positives des efforts passés
puissent bénéficier d'une vraie injection de moyens en termes
d'assistance technique visant à l'identification des atouts, qu'elle
veille aussi à ce que ces zones bénéficient d'une
politique régionale active au plan européen avec les appuis
nationaux et régionaux que cela peut représenter, enfin que les
productions rémunératrices soient privilégiées en
les protégeant, ce qui coûte moins cher que soutenir des
excédents de production qui surviennent lorsque l'on a favorisé
des concurrences malvenues.
Lors de l'élaboration du projet de loi, je me suis rendu trois jours en
Suisse afin de comprendre comment ce pays avait organisé sa politique de
montagne. Les enseignements furent pour moi considérables. Dans ce pays,
le niveau de vie des agriculteurs de montagne est de 2,5 fois et demi plus
élevé que celui de leurs homologues français, mais ils ont
interdit des dépassements de production
via
les quotas. En outre,
ils ont obligé l'exploitant à vendre sa production à un
seul acquéreur. Ils ont interdit l'évolution de toutes les
méthodes culturales et de production et finalement, ils sont
arrivés à une réalité qui doit nous donner à
réfléchir : la Suisse éprouve les mêmes
difficultés que nous à trouver des agriculteurs désireux
de s'installer en montagne.
La réponse en termes de statut ne semble pas la bonne. Les Suisses ont
fait de leurs agriculteurs de montagne des fonctionnaires ; ce que ces derniers
ne souhaitent pas devenir. Aujourd'hui, le souhait des jeunes est de savoir que
le type de production vers laquelle ils s'orientent a un avenir. Ils veulent
entendre que, parce qu'ils font le choix de qualité, leur
rémunération sera correcte. Si ces exigences sont satisfaites, un
nouveau départ est possible. A l'inverse, si nous nous en
éloignons, nous nous dirigeons tout droit vers l'échec.
M. Gérard Bailly
- Je voudrais vous dire combien
j'apprécie vos déclarations sur le problème des lacs. J'ai
vécu la difficulté d'appliquer la réglementation avec un
projet au lac du Chalain, connu par ses multiples cités lacustres. Notre
souhait était de construire au bord du lac un village lacustre
doté d'un musée. Mais ce projet a été mis en cause
devant les tribunaux car l'espace des 300 mètres au bord du lac
était visé par les constructions. Le tribunal de Besançon
a donné raison à une association de nudistes qui se baignaient au
bord de ce lac et contestaient le projet.
La proposition que vous faisiez me paraît de ce fait très sage.
S'agissant de l'agriculture, en tant que membre d'une mission
sénatoriale sur l'élevage : "enjeu territorial, enjeu
économique", je suis très pessimiste en parcourant notre pays car
aujourd'hui, le nombre d'installations dans les zones difficiles est si faible
que nous nous demandons comment nous pourrons entretenir les espaces.
L'enfrichement est une des grandes difficultés à laquelle nous
sommes confrontés. Vous avez également évoqué la
pluri-activité mais actuellement comme les exploitations s'agrandissent
en montagne, la pluri-activité me semble en retrait. Faire une table
d'hôte ou une auberge nécessite une présence. Or, souvent,
les agriculteurs qui avaient une ferme de 30 ou 40 hectares ont
préféré reprendre celle du voisin, puis se
spécialiser dans une activité.
A mon sens, excepté quelques gîtes ruraux et quelques cas
exceptionnels, nous nous dirigeons vers la fin de la pluri-activité
agro-tourisme. Des terrains laissés en friche ne sont pas soumis
à l'impôt foncier ce qui n'est pas le cas des terrains sur
lesquels les paysans se battent pour maintenir une production. Le
problème de l'impôt foncier sur des parcelles très peu
productives me semble constituer une grande préoccupation.
Le déneigement est un autre point important. Certaines directives qui
régissent le déneigement, ont rendu la situation très
complexe pour les petites communes rurales. Ces dernières doivent se
doter de matériels très sophistiqués et mobiliser des
équipes techniques pour quelques jours seulement dans l'année.
Dans le Jura, cette année, le coût du déneigement a
augmenté de 40 % alors que le manteau neigeux n'était pas
très important cet hiver. Auparavant, les DDE s'occupaient du
déneigement dans les communes, mais refusent de le faire aujourd'hui
à cause de la réglementation européenne. Les communes
s'équipent, cherchent du personnel, mais le coût du
déneigement va devenir un réel problème.
Dernier point : la péréquation. L'équipement,
l'assainissement, les routes, les NTIC coûtent cher en ces zones de
montagne ; ces dépenses accessibles aux grandes stations et à
quelques endroits très touristiques, grèvent le budget de
certains territoires, qui, par ailleurs, luttent pour conserver une certaine
vitalité. Même si des dispositifs d'accompagnement, comme le FIAM,
existent, j'ai l'impression que la politique de la montagne n'est plus ce
qu'elle était. Partagez-vous mon sentiment ?
M. Louis Besson
- Vos observations sont fondées et
étayées. Je crois que les situations sont très diverses en
montagne. Nous trouvons l'agriculteur qui pense qu'une grande structure lui
permettra de survivre. Dans les Pyrénées basques où je me
suis rendu récemment, des familles connaissent de vraies
difficultés à trouver un arbitrage s'agissant de la
succession de la ferme car tous les fils désirent reprendre
l'exploitation. Mais cette situation ne se retrouve pas dans les Landes
où les structures sont plus grandes et où personne ne souhaite
reprendre. De plus en plus, des jeunes aspirent à un certain genre de
vie qui n'est pas celui de la performance dans le sens de la compétition
économique à tout crin.
De plus en plus, dans les couples dont le mari est agriculteur, les femmes ont
leur propre activité professionnelle. Les situations sont diverses,
l'essentiel étant d'apporter des réponses qui favorisent les
installations en montagne et fixent ces actifs. Car de cela dépend
l'avenir de ces territoires.
La péréquation me paraît nécessaire. Je pense que,
dans l'appui aux collectivités territoriales, il faudrait
privilégier non pas seulement les indicateurs de ressources mais aussi
les indicateurs de charge ou du moins confronter les deux.
En effet, à ressources égales, si les charges sont
différentes, les capacités de financement diffèrent. A
l'occasion de la loi montagne, des modalités d'application de la
dotation globale de fonctionnement ont institué le système de
doublement de la voirie de montagne comme critère. Mais par la suite,
d'autres réformes soucieuses de clarifier les procédures ont
supprimé ces mesures qui constituaient un avantage pour les zones en
difficulté. Il faudrait de nouveau les faire admettre comme ne
conduisant pas à des complications inutiles. Ce point est fondamental
car ces ressources régulières sont importantes pour les communes
concernées.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie beaucoup, Monsieur le ministre,
au nom de tous de nous avoir fait partager votre expérience
M. Louis Besson
- Partager ce moment avec vous m'a fait très
plaisir et j'espère que votre mission sera très fructueuse.
32. Audition de M. Pierre Rémy, délégué général de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) (26 juin 2002)
Je vous
remercie de nous laisser nous exprimer devant votre mission. L'ANEM attache de
l'importance à votre démarche particulièrement opportune
dans le contexte actuel. La loi montagne a été conçue au
début des années 80 dans le cadre de la mission conduite par
Louis Besson. Les concepts essentiels de cette loi datent de plus de vingt ans.
Depuis le contexte économique et social a évolué, et
malgré les vertus de ce texte et ses capacités d'adaptation, je
pense qu'il y a lieu effectivement d'aborder une réflexion sur son
aggiornamento. Néanmoins je voudrais commencer cette intervention par
une anecdote quelque peu paradoxale concernant la précédente loi
montagne.
La politique de la montagne a été engagée au début
des années 70 à l'initiative des agriculteurs qui, lors d'un
congrès tenu en 1972, dont nous allons fêter cette année le
trentenaire à Clermont-Ferrand, ont promu des concepts fixés
ultérieurement dans le cadre législatif de la loi montagne. Cette
loi, qui à l'époque a suscité de nombreux débats,
s'inscrivait dans la politique de rénovation rurale lancée par
Pompidou en 1968.
Par la suite, l'intérêt autour de ce sujet s'est beaucoup affaibli
du fait de l'existence peut-être de la loi montagne. Nous avons beaucoup
polémiqué à ce sujet avec son rapporteur Robert de
Caumont. Certes, le contexte institutionnel avait changé avec la
décentralisation. Cette situation était décevante.
Peut-être faut-il effectivement aujourd'hui redéfinir les grands
axes d'une politique de la montagne. J'ai constaté au cours de ma
carrière largement consacrée à la montagne qu'en l'absence
d'une politique de la montagne rigoureuse, celle-ci tendait à
s'affaiblir.
La politique de la montagne ne peut s'inscrire dans le cadre d'une politique
globale d'aménagement du territoire. Quand ce fut le cas par exemple au
début des années 1990 à l'instigation de Jacques
Cherèque, la politique de la montagne s'est affaiblie. Je ne souhaite
pas polémiquer sur les instruments mis en place. Mais le manque de
dynamisme aujourd'hui de la loi montagne résulte peut-être du fait
que, à une politique de rééquilibrage territorial, a
été substituée après la loi Pasqua, un certain
nombre d'instruments comme les politiques de pays, d'aides au
développement local qui, s'ils renferment incontestablement des vertus,
pêchent par l'absence de vision globale induite par ces outils.
Peut-être faut-il exclure de cette remarque la DATAR qui envisage les
territoires comme un ensemble de pôles qui doivent être
développés.
Les outils de développement existants sont insuffisants car les
territoires ne sont pas égaux. Certaines régions souffrent d'une
faible densité. Il semble donc difficile de se référer
à des politiques locales comme moyen d'aménagement du territoire.
Le projet que vous conduisez réussira d'autant mieux que vous prenez
garde à impulser une politique de la montagne à portée
plus globale. Je tenais à exprimer cette réflexion
préalable, qu'il faut sans doute nuancer, mais l'observation montre que
nous manquons d'entrain sur ces questions.
Le pouvoir d'aménagement s'est déplacé de l'Etat aux
régions. Or, la montagne ne se retrouve pas dans des approches
régionales car les massifs concernent le plus souvent plusieurs
régions. En ce cas, l'approche transversale est indispensable. Une
remarque : quand un massif est intégralement situé dans une
région, on s'aperçoit que la réflexion est moins
accentuée que si le massif recouvre plusieurs régions. En
attestent les Alpes du Nord où les relations sont difficiles entre les
Alpes et la région : les comités de massif, par exemple, ne
fonctionnent pas.
La montagne doit donc être considérée comme un espace
interrégional. Une manière de développer la politique de
la montagne a notamment été de favoriser cette politique de
massifs et de lui donner corps à travers les conventions
interrégionales de massif. Que peut-on penser des conventions
interrégionales de massif ? Ces outils me paraissent excellents et
doivent être renforcés. Ils favorisent la concertation entre les
régions qu'il s'agisse des circonscriptions administratives ou des
collectivités territoriales. Ces outils pourront faire progresser la
montagne sur le plan européen.
Je pense que vous avez eu des contacts avec la direction de la politique
régionale à Bruxelles. J'ignore s'ils ont parlé librement,
mais peut-être avez-vous senti une forte opposition à
l'émergence d'une politique de la montagne de la part des services de la
commission (et non pas, je le précise, du commissaire chargé de
la politique régionale). Ils considèrent, en effet, que la trop
grande diversité des régions de montagne empêche le
développement d'une politique régionale unitaire. Leur opposer la
notion de massif constitue peut-être le moyen de battre en brèche
leurs objections.
Les instances européennes sont tout à fait conscientes de cette
grande diversité des situations de montagne car leur vision est plus
globale. Pour elles, il n'est pas souhaitable de mettre en oeuvre des
politiques uniques de la montagne. Nous pourrons être entendus si nous
pouvons démontrer que les régions sont capables de porter cette
politique interrégionale au plan européen. Nous nous trouvons
dans une période quasi expérimentale. Les conventions
interrégionales disposent de peu de moyens, mais ces crédits
s'avèrent stratégiques.
Les différences subsistent selon des massifs, mais nous trouvons des
conventions interrégionales bien ficelées, pour lesquelles les
études ont été approfondies au sein des comités de
massifs ou des équipes du commissariat à l'aménagement de
massif. L'utilité de ces crédits a été bien
pensée. Compte tenu de leur faiblesse, ces crédits sont souvent
stratégiques et expérimentaux. Or, souvent ces crédits ont
été considérés comme des crédits d'appoint,
venant en complément des actions déjà menées par
l'Etat ou des régions dans ces massifs. Le premier impératif est
donc d'être capable de définir une stratégie pour le
massif, d'avoir une vision d'ensemble des moyens qui sont mis à l'appui
du développement de ces massifs et de s'interroger sur l'utilisation des
crédits, qui, même modestes, peuvent ouvrir des pistes afin
d'expérimenter et innover.
Ce dernier point est important, car les conventions interrégionales de
massif devaient surtout favoriser l'innovation, n'étant pas soumises
à la pression de la satisfaction des besoins et des demandes, comme le
sont les autres volets des contrats de plan. Les conventions
interrégionales peuvent jouer un rôle important Ces conventions
ont été très largement pilotées par les Commissions
à l'aménagement de massif.
De ce fait, les régions ne se sont pas encore engagées dans cette
procédure. Pour elles, sortir de leur horizon de responsabilité
géographique afin de dégager une vision d'ensemble est un acte
difficile. Il faut amener les régions à des réflexions
permanentes sans attendre la fin des contrats de plan pour engager de nouvelles
discussions. Les régions doivent être plus associées
qu'elles ne le sont actuellement à la réflexion en amont. Elles
ne sont pas suffisamment impliquées dans les commissions de massif.
Enfin, il faut disposer d'un potentiel de matière grise important. Or ce
potentiel, qui s'appuie sur les petites équipes du commissariat à
l'aménagement de massif, est insuffisant aujourd'hui.
Nous ne nous dirigeons pas vers un renforcement du personnel de ces structures,
mais pourquoi, à la manière de l'Union européenne quand
cette dernière considère qu'elle ne dispose pas des
compétences requises, ne pas faire appel à la
société civile, à des bureaux d'étude, lancer des
appels d'offres ?
Il faudrait sortir de notre culture dans laquelle toutes les décisions
sont prises par des fonctionnaires, et être capable de recruter dans un
autre vivier un potentiel de matière grise difficile à mobiliser
pour l'instant.
Vous vous demandez si l'application de la directive habitats "Natura 2000" est
satisfaisante. Il est banal d'affirmer qu'elle ne l'est pas du tout, mais il
est plus s'intéressant de s'interroger sur les raisons de cet
échec.
La directive a été élaborée par un cénacle
au plan européen sans aucune concertation en amont. Et elle a
été adoptée dans l'indifférence totale car peu de
gens se sont rendu compte des enjeux. Aucun débat public n'est apparu
autour de ce texte aussi important. Ce manque de dialogue et le secret autour
de la directive constitue sa première faiblesse comme ce fut le cas pour
la Convention alpine.
De façon générale, se pose le problème du
fonctionnement de l'Europe et de son déficit démocratique.
Remettre en cause les droits de propriété d'une
collectivité sur un territoire sans organiser un débat est
toujours ressenti comme un camouflet. Cette directive ne peut donc être
reprise sauf si elle est mise en oeuvre dans le cadre d'une procédure
relativement différente.
L'ANEM a saisi le Conseil d'Etat pour contester cette directive au moment de sa
transposition dans notre droit lorsque son caractère est encore
réglementaire et non pas législatif. Nos motifs reposaient sur le
manque de concertation empêchant que ce texte soit admis par l'ensemble
des collectivités de montagne. Nous attendons la décision du
Conseil d'Etat, mais sans doute cette directive devra-t-elle être reprise
afin d'obliger l'Union européenne à dialoguer. Les livres blancs
de l'Union européenne sur la gouvernance sont remarquables, mais nous
aimerions qu'elle applique ces principes en associant les populations locales
aux décisions.
Notre souhait est de faire en sorte que le changement des équipes
ministérielles permette de poser ce problème non pas simplement
au plan national mais aussi au niveau de Bruxelles. Sur le fond la question qui
se pose dans la pratique ne concerne pas la protection des espèces mais
la capacité des collectivités locales à négocier,
définir des cahiers des charges au sein des sites, quand elles sont
confrontées à l'administration, c'est-à-dire des
scientifiques ou des techniciens.
De notre part, existe sans doute une carence de la part de ceux qui sont
chargés d'aider les collectivités locales. Les maires ne sont pas
des écologues. Ils n'ont pas passé dix ans au Muséum
d'histoire naturelle. S'ils ont une connaissance pratique du territoire, ils ne
sont pas capables de conduire des discussions techniques sur la conservation
des habitats. Cette carence doit trouver une solution.
En ce qui concerne la péréquation des finances locales et des
charges des collectivités locales de montagne, il faut se rappeler que
dans notre pays, certaines mesures veillaient à éviter à
ce que le seul critère de répartition des crédits soit
celui de la population. L'idée de prise en compte du territoire a
été introduite dans la réforme de la DGM de 1985 et
renforcée dans la loi d'amélioration de la
décentralisation en 1988 au point que nous nous trouvons devant des
critères aberrants: le potentiel fiscal superficiaire.
Comment en effet ramener un potentiel fiscal à un territoire, à
un espace ? Pourtant, il s'agit là du meilleur moyen de prendre en
compte les charges difficilement mesurables liées à
l'étendue du territoire au relief, aux difficultés de
déplacement, aux accidents. La notion de charge territoriale a eu des
effets salutaires au niveau des communes, des départements à
faible densité de population. Mais elle montre ses limites puisque les
réformes de la dotation globale de fonctionnement (DGF) successives ne
l'ont pas reprise ou du moins partiellement dans des dotations moindres comme
celle de la DSR instituée en 1992-1993. Nous nous trouvons devant une
perte des capacités de péréquation.
Réintroduire cette réflexion paraît d'autant plus difficile
que ce débat n'est pas d'actualité. Les marges de manoeuvre sont
faibles en raison de la montée en puissance de
l'intercommunalité. En outre, la capacité de redistribution de la
DGF hors de l'intercommunalité est réduite. Mais,
peut-être, faudrait-il préparer une autre réforme dans deux
ou trois ans, en réfléchissant sur une façon de prendre en
charge directement le territoire et certains éléments
caractéristiques du territoire.
Nous détenons un moyen indirect de saisir le territoire dans le rapport
entre la population et le potentiel fiscal superficiaire ; c'est-à-dire
la population et le territoire. Mais d'autres critères, plus
significatifs aux yeux de l'opinion publique, pourraient être mis en
exergue. Certaines associations de protection de la nature avec lesquelles nous
avions engagé un dialogue pensaient effectuer le calcul selon la surface
toujours en herbe.
Ce critère de qualité de l'environnement est intéressant.
L'idée est d'avancer dès maintenant sur la définition de
nouveaux critères. La prise en compte des aspects environnementaux
devrait permettre d'aider les collectivités de montagne notamment celles
qui connaissent les plus faibles densités démographiques à
supporter des charges relatives au coût de fonctionnement de service
public (et non pas d'infrastructure), qui, ramenées à la
population, s'avèrent extrêmement lourdes. Faut-il transformer les
comités de massif en établissements publics de coopération
intercommunale (EPCI) inter-régionaux ?
Ce sujet n'a pas été beaucoup débattu au sein de notre
association, mais, pour l'instant, cette idée n'apparaît pas comme
la meilleure solution. L'intérêt de créer un
établissement administratif pour remplir une tâche qui ne
s'apparente absolument pas à une mission de gestion, semble contestable.
Le comité de massif et le commissariat de massif qui travaille à
ses côtés sont des administrations plutôt de mission comme
aime à le souligner la DATAR, et non pas de gestion.
Or, si des responsabilités de gestion importantes étaient
déléguées à ces instances, nous risquerions de
tomber dans un fonctionnement administratif qui, de plus, entrerait en
concurrence avec les régions qui verraient d'un très mauvais oeil
cette initiative. Aller dans cette direction me semble inutile. En revanche,
nous pourrions transformer le comité de massif en une instance
animée par un président élu. Nous avons
évoqué la co-présidence, mais ce système
paraît difficile à manier. Nous nous apercevons qu'une commission
permanente, en principe présidée par un seul élu, est
très dynamique.
A l'instigation de Patrick Ollier, notre ancien président qui a mis en
oeuvre à l'époque de la loi d'aménagement du territoire en
1995 la présidence par un seul élu, nous avons réussi
à donner un pouvoir d'incitation à des comités de massifs
qui étaient moribonds. Ces structures paraissaient comme des instruments
lourds, réunis à la convenance du préfet et incapables
d'impulser des réflexions en profondeur. Le comité de massif est
une structure intéressante qui rassemble élus et organismes
socioprofessionnels. Si la présidence était assurée par un
élu disposant de moyens, les comités de massif seraient capables
de jouer un rôle encore plus important qu'ils ne le font actuellement.
Dernier point : faut-il assouplir le droit de l'urbanisme en montagne ? Il faut
revenir aux idées qui ont été à l'origine de ces
dispositions. En 1977, une circulaire anti-mitage prise par Monsieur
Poniatowski visait à éviter que le territoire de la montagne soit
le lieu de constructions anarchiques. Le gouvernement a institué le
principe, non pas d'une interdiction de construire, mais du regroupement des
constructions.
L'idée de continuité est apparue à la même
époque dans notre droit. Ensuite nous assistons à la reprise dans
la loi montagne de ces textes votés par le Parlement. Le système
ainsi mis en place était étonnant. Avant 1985 le système
s'appliquait bien car, paradoxalement, nous étions dans un
système centralisé : le préfet décidait, autrement
dit l'intelligence humaine était en oeuvre, et pas simplement des
textes.
Entre 1977 et 1985, la mise en oeuvre des dispositions d'urbanisme n'a pas
posé de réels problèmes. Mais ensuite, ces dispositions
relevant du domaine législatif, nous sommes donc passés sous
l'influence du juge du contentieux. Le changement de cap a été
radical à cause de l'interprétation restrictive de ces
dispositions : le législateur a considéré qu'il s'agissait
non pas d'organiser autrement les constructions mais de les réduire. Et
l'administration, dans son souci sans doute de bien faire et de respecter le
législateur, a suivi cette jurisprudence.
Aujourd'hui, nous nous trouvons devant des notions de construction en
continuité dont les discussions à ce sujet s'apparentent au
débat sur le sexe des anges. Cette interprétation a bloqué
les possibilités de construire en zone de montagne. Tous les trois ans,
des lois comme la loi Besson, Pasqua, SRU viennent rétablir
l'idée originelle du législateur. Et à ces occasions, les
élus sont souvent la cible de critiques les accusant de permettre les
constructions anarchiques.
Nous essayons donc à chaque fois de revenir à l'esprit initial du
législateur, mais à chaque fois, nous nous apercevons que notre
démarche est pratiquement sans résultat. Tel est le cas
actuellement s'agissant de la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbain (SRU).
On nous oppose alors souvent les possibilités ouvertes par les
prescriptions particulières de massif qui permettraient de mieux
définir les spécificités d'un territoire massif par massif
et aussi les directives territoriales d'aménagement (DTA), lesquelles
semblent un instrument extrêmement technocratique et en tout cas hors de
portée des élus car ceux qui voudraient en suivre
l'élaboration devraient participer à des réunions toutes
les semaines et mobiliser un Etat afin de préparer les dossiers ce qui
semble impossible.
Comment le maire qui découvre les dossiers peut-il lutter à armes
égales avec l'administration dont plusieurs personnes sont
chargées de travailler sur le projet ?
Je me fais d'ailleurs beaucoup de souci concernant les résultats de la
directive d'aménagement territorial des Alpes du Nord. Les prescriptions
particulières de massif restant lettre morte, faut-il essayer de les
personnaliser ? Je crains que nous nous perdions dans des discussions
longues et techniques sur des questions du type : qu'est-ce que la
continuité ici et là-bas ? Car, par exemple, en Savoie, les
constructions sont éclatées en hameaux et cette situation ne se
retrouve pas du tout dans les autres massifs.
Nous nous trouvons donc devant de grandes difficultés. Je me demande si
nous ne devrions pas revenir à des notions plus saines où nous
laisserions une capacité d'adaptation non pas au niveau des massifs car
ce cadre, trop lourd, n'est pas idéal pour régler ces
problèmes, mais à des commissions des sites revues ou
corrigées ou à un groupe de travail de ces commissions des sites
qui conseilleraient les administrations sur la mise en oeuvre des dispositions.
Il n'existe aucune règle qui pourrait s'appliquer sans
considération des territoires. Les redéfinir permet quelques
progrès, mais l'interprétation par les administrations vient
restreindre les possibilités offertes par le législateur.
M. Jean-Paul Amoudry
- J'aimerais vous poser une question sur la
façon dont vous voyez l'évolution des procédures des
unités touristiques nouvelles (UTN).
Une réforme est intervenue dans le cadre de la loi SRU. D'après
les informations que vous détenez, quelle appréciation
faites-vous de l'amendement qui a été élaboré ? Et
quel avenir prévoyez-vous pour cette procédure ? En effet, les
grands projets sont aujourd'hui derrière nous et il faut du
réalisme pour que le remplacement des installations lourdes n'ait pas
forcément toujours lieu selon cette procédure. De plus, nous
avons en moyenne montagne des opérations qui seraient justiciables de
cette procédure mais qui, en tout bon sens, devraient en être
épargnées.
Enfin, pour aller plus loin sur le sujet de la péréquation
financière que vous avez abordé tout à l'heure,
pourriez-vous nous éclairer sur les critères nous permettant de
définir cette notion de potentiel fiscal superficiaire ?
M. Pierre Rémy
- S'agissant des unités touristiques
nouvelles, fallait-il maintenir un régime dérogatoire qui
maintient l'administration dans ses prérogatives antérieures ? La
procédure UTN instituée à la fin des années 1970
alors qu'une grande partie des aménagements était terminée
a été reprise dans la loi montagne. Même si les
parlementaires ne s'y sont pas opposés, un débat est apparu sur
ce sujet car cette procédure dérogeait aux lois d'urbanisme
et de décentralisation et, par ailleurs, laissait à
l'administration le pouvoir de juger. Quel avenir pour cette procédure ?
Nous retombons dans les difficultés que je signalais tout à
l'heure. Comment mettre en oeuvre un outil qui était adapté
à certaines situations, mais se trouve l'être de moins en moins,
le type d'opérations qu'il visait ayant disparu et ne s'adaptant
certainement pas à la moyenne montagne ni à des opérations
réduites. `
N'avons-nous pas alors manqué une occasion de redéfinir une
procédure qui se rapproche davantage du droit commun ? A travers cette
question, je souhaite traduire un certain pessimisme quant au caractère
opérationnel des dispositions qui ont été adoptées.
Que le législateur présent ici m'excuse, mais cet instrument
s'est révélé souvent inadapté et difficile
d'application. Le retour au droit commun avec une loi dont certaines
dispositions pourraient être revues, permettrait de régler
certains problèmes.
Autre point, le potentiel fiscal superficiaire correspond au potentiel fiscal
de la commune ramené à l'ensemble du territoire. Cela joue
partiellement pour la DSR communale et surtout pour les 22 ou
23 départements qui bénéficient d'une dotation de
fonctionnement minimale spéciale. Les effets de cette mesure sont
extrêmement forts quand elle est mise en oeuvre sur des dotations
importantes. Cela n'est pas forcément le cas dans le cadre de la DSR car
cela représente une petite partie de la DGF, puisque celle-ci a
été forfaitisée, et cette disposition qui existait dans
l'ancienne réglementation n'existe plus que pour la partie de la DSR et
pour une faible part dans la rétribution de la DSR.
En revanche la dotation reste importante (environ 152 millions d'euros) pour
la vingtaine de départements qui en bénéficient et se
traduit par une capacité redistributive remarquable.
L'un donne à l'autre puisque le financement de la dotation de
fonctionnement minimal est pour parti prélevé sur les
départements dits riches, c'est-à-dire qui disposent d'un
potentiel fiscal élevé. En dehors de ces aspects délicats
que soulève la source de financement, les effets sur les
départements les plus démunis en taxe professionnelle ont
été importants.
La Lozère ne serait pas aussi bien dotée en équipements
publics si, depuis 1988, cette mesure n'était pas entrée en
vigueur. Dans ce département, le rapport entre cette redistribution et
l'ensemble des autres ressources est très élevé.
Le pouvoir redistributif de ces mécanismes de répartition de la
dotation de fonctionnement minimal, c'est-à-dire le potentiel fiscal
superficiaire, est donc très fort. Je tiens à le souligner car
régulièrement au comité des finances locales, cette mesure
est mise en cause moins par les départements donateurs que par des
représentants du milieu urbain, de départements urbains qui
trouvent cette mesure aberrante. Les critères qui ont été
mis en place pour le calcul de la DSU étaient tout aussi contestables
que le potentiel fiscal superficiaire. D'où l'idée, sans faire
disparaître cette mesure, de chercher d'autres moyens d'apprécier
la capacité, la qualité et l'importance de l'espace et des
coûts liés à la gestion de l'espace qui sont très
importants en zone de montagne.
Un critère avait été suggéré ; l'inverse du
nombre de résidences secondaires ou de logements touristiques par
rapport à une moyenne nationale. Car nous savons que ceux-ci sont
générateurs de revenus relativement importants. Certaines
communes participent à la mission de maintien de l'espace, mais ne
bénéficient pas de la manne des activités touristiques qui
sont absentes de leur territoire. Les charges auxquelles elles sont
confrontées sont considérables.
L'idée qui a été lancée est donc de prendre le
contre-pied d'une donnée caractéristique d'une certaine richesse
afin de l'introduire comme critère de répartition. D'autres
possibilités existent. L'IFEN (Institut français de
l'environnement) a mis au point des mesures de données environnementales
de plus en plus précises au niveau communal par des photos satellite.
Les situations environnementales des communes peuvent donc être connues
très finement. On pourrait ainsi utiliser les données de la
surface en herbe que j'ai évoquées tout à l'heure mais
aussi l'importance de la forêt. Ces critères de qualité
environnementale pourraient être utilisés au profit de la
montagne.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- J'aimerais vous faire réagir
sur la question de la montagne, de l'eau et de l'avant-pays ainsi que sur les
perspectives que nous pouvons entrevoir de la politique d'aide à
l'agriculture dans le nouveau contexte européen.
M. Pierre Rémy
- Nous avons le sentiment que nous sommes à
la veille de tensions très fortes sur le problème de la gestion
de l'eau. Une réunion sur ce thème aura lieu prochainement en
Haute-savoie. Les contestations sont fortes s'agissant de l'utilisation de
l'eau dans le développement des pratiques d'enneigement des cultures.
Nous remarquons de plus en plus que certains massifs des Alpes du sud souffrent
d'un déficit important en eau, au point que l'utilisation traditionnelle
de l'enneigement des cultures tend à être de plus en plus
difficile.
Une réflexion sur ces questions doit être engagée. Nous
allons poursuivre nos discussions au cours de la réunion qui doit se
tenir en octobre prochain.
Le problème de la gestion de l'eau implique d'arbitrer entre les
utilisations rurales et urbaines de l'eau. Cette question ne se pose pas avec
beaucoup d'acuité chez nous, mais peut-être se posera-t-elle dans
les années à venir.
En ce qui concerne l'Europe, je pense qu'il s'agit moins de défendre une
activité que de reconnaître la spécificité de la
montagne ; ce qui est déjà le cas au travers des aides dont elle
bénéficie. Il faut aussi tenter de sauver l'activité
montagne des modifications qui pourraient intervenir dans le cadre de la
réforme de la PAC.
De façon générale, notre attitude doit être beaucoup
plus offensive afin de convaincre de la nécessité d'une politique
territoriale de l'Europe. L'approche de cohésion est en effet
insuffisante.
Les territoires doivent être considérés non seulement sous
l'angle de leur retard par rapport à une moyenne européenne mais
en eux-mêmes, de sorte que soit acceptée l'idée qu'il
puisse exister des politiques différenciées pour un certain
nombre de territoires dont la montagne. De plus, si la notion de handicap a
été utile et se révèle encore indispensable, nous
nous rendons compte qu'il ne faut pas axer la politique de la montagne sur ce
concept.
Il faut développer des idées beaucoup plus positives. D'autant
que, à l'échelle européenne et même en France,
l'image attachée à la montagne ne renvoie pas à
l'idée de handicap. Le massif alpin est plutôt
considéré comme béni des dieux, il en est de même
pour d'autres massifs un peu moins riches.
Si nous parvenons à expliquer ce qu'apporte la montagne à la
société européenne, nous pourrons obtenir des appuis et
peser beaucoup plus lourd. Le soutien des pays du Nord dont le poids est le
plus lourd au sein de l'Union européenne, est le plus important.
Ces pays sont aussi ceux qui ont tendance à axer leur approche de la
montagne sur la protection de l'environnement. Or, nous ne défendons pas
cette vision de la montagne comme un espace voué uniquement à la
protection des espèces, ou aux loisirs.
Nous défendons une montagne dont les activités, extrêmement
diversifiées, fonctionnent toute l'année. Nous défendons
autant l'idée de biodiversité que celle de
socio-diversité, c'est-à-dire le fait de ne pas avoir une
mono-production ou une mono-fonction dans laquelle on tend parfois à
enfermer la montagne.
Au-delà des aspects techniques de défense des mesures
déjà instituées ou des propositions à faire
s'agissant de la réforme de la PAC, il faut mener en direction de l'UE
et à l'aide du Commissaire européen en charge de la politique
régionale, une offensive très forte afin d'encourager
l'élaboration d'une politique régionale
différenciée qui se distingue d'une politique européenne
de développement régional.
Nous avons quelques alliés dans d'autres parties du territoire
européen. Je tiens à m'excuser de ne pas vous avoir
répondu en termes de tactique mais plutôt de stratégie
globale. Mais je pense qu'une telle politique serait en mesure d'aider
l'agriculture de montagne.
33. Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (26 juin 2002)
M.
Gilbert Blanc-Tailleur
- Vous m'avez demandé si, depuis ces cinq
dernières années, le tourisme est en phase de croissance ou de
stabilisation.
Plusieurs facteurs conditionnent le développement du tourisme en
montagne, été comme hiver : la situation économique
nationale et européenne, le moral des Français, les aléas
climatiques, la réputation d'enneigement des sites, leur niveau
d'équipement, les dates des vacances scolaires européennes ainsi
que le niveau des prix des séjours comparés à des
propositions touristiques concurrentielles de plus en plus alléchantes,
variées et nombreuses.
Désormais, la comparabilité des prix exprimés en euros et
les sites Internet de réservation de dernière minute modifient en
profondeur les conditions de la concurrence, ainsi que les possibilités
de choix des touristes. La performance économique des stations passe par
la recherche de la qualité tant en ce qui concerne les installations de
remontées mécaniques que les services.
Une tendance lourde se dégage depuis quelques années : les
investissements en neige de culture sont désormais au coeur des
priorités des exploitants de remontées mécaniques : ces
installations permettent d'assurer le début et la fin des saisons et
d'assurer le retour dans les stations, skis au pied.
Désormais, même les grandes stations qui montent haut en altitude,
investissent massivement dans de telles installations, alors que la neige
artificielle a longtemps été une préoccupation importante
uniquement pour les stations de basse ou moyenne altitude. A ce sujet,
d'ailleurs, j'attire votre attention sur la nécessité de ne pas
alourdir la réglementation relative à la gestion de l'eau, car le
risque serait grand de ne plus pouvoir réaliser de tels
équipements, désormais indispensables.
Aujourd'hui, même si la montagne reste la première destination de
vacances d'hiver, la fréquentation des stations, depuis dix ans, ne
dépasse pas les 8,9 % des Français qui se rendent à
la montagne en hiver, sur les 36,9 % qui partent en vacances à
cette période. A noter que la fréquentation des franciliens est
tombée très significativement depuis dix ans. La
fréquentation des étrangers stagne aussi, voire régresse
un peu : 1,9 million d'étrangers ont fréquenté nos
stations de sport d'hiver lors de la saison 2000/2001.
A cet égard, l'harmonisation des dates de vacances
européennes semble fondamentale. Le fait que les vacances ne soient
pas harmonisées nous porte en effet préjudice. L'affluence des
Belges vers le 20 janvier jusqu'au 5 ou 6 février ne s'est pas
produit cette année car les vacances en Belgique sont intervenues en
même temps que les vacances parisiennes.
En revanche, on constate une progression de la clientèle des Pays
d'Europe centrale et orientale qui constitue peut-être une perspective.
La fréquentation des stations est plutôt stable avec une
légère croissance. Depuis une période récente, nous
constatons un phénomène nouveau : il peut désormais se
produire une déconnexion entre l'évolution du chiffre d'affaires
des remontées mécaniques et celui de l'hébergement, cette
déconnexion s'effectuant au profit de l'hébergement.
Ceci incite les collectivités locales qui aident les stations à
réfléchir sur les causes de ce phénomène, qui, s'il
devait se poursuivre, serait une source de danger pour l'économie des
stations, dans la mesure ou la valeur ajoutée dégagée par
l'exploitation des remontées mécaniques est la principale source
de richesse collective des stations.
Le point de vue généralement constaté chez tous ceux qui
ont analysé ce phénomène est que, si les vacanciers
viennent à la montagne pendant l'hiver, ce n'est plus
nécessairement pour consommer exclusivement du ski, mais pour
connaître une pause dans leur vie habituelle, pour apprécier l'air
pur, la beauté des paysages, et enfin pour vivre en harmonie familiale.
Autre question : quels sont les perspectives et les gisements à
exploiter ? Les perspectives de développement économique des
stations dépendent de l'importance de leur fréquentation et des
efforts entrepris afin de séduire la clientèle ainsi que de la
nature, de la qualité et de la quantité des équipements de
remontées mécaniques, de la neige de culture et par
conséquent des investissements qui sont consentis par les
opérateurs et/ou par les communes supports.
En ce qui concerne le premier point, les acteurs locaux et leurs
représentations nationales doivent imaginer des formules nouvelles pour
répondre aux attentes de la clientèle française et
étrangère en pleine mutation. En effet, les études,
notamment celle de COFREMCA parue en 2000, montrent que cette clientèle
est de plus en plus exigeante sur la qualité et le coût des
services marchands, et de plus en plus sensible au "non marchand".
Cette clientèle, de surcroît, est attachée aux valeurs de
fond symbolisées par les trois "R" : retrouvailles, ressourcement,
rupture, auxquelles il convient d'apporter une réponse. Les stations ont
compris la nécessité de se lancer dans des programmes de
réhabilitation de l'immobilier de loisir, d'aménagement de
sentiers pour piétons praticables en hiver et d'espaces
réservés à la pratique des nouvelles glisses. Il est
important aussi de veiller à la sécurisation et la normalisation
des domaines skiables, à la construction de piscines, de patinoires, de
centres thermo-ludiques et autres balnéothérapies, de faciliter
l'accès à la pratique de la glisse et au séjour en station
des personnes handicapées, de créer des infrastructures d'accueil
pour les enfants et aussi des lieux de rencontre ludiques pour les familles.
Ceci ne constitue que quelques exemples d'actions à mettre rapidement en
place, sous peine de voir la clientèle chercher ailleurs ce qu'elle ne
trouverait plus dans les stations françaises.
Pour ce qui concerne la pratique de la glisse, de nouvelles inventions doivent
constamment voir le jour. Il s'agit de les adapter aux pratiques des jeunes
urbains, mais aussi d'autres clientèles potentielles comme les
débutants par exemple qui veulent pouvoir accéder rapidement et
facilement aux plaisirs de la glisse. Elles doivent aussi rendre la glisse plus
facile aux "jeunes seniors" qui pratiquent encore le ski, mais moins qu'avant
et qui recherchent la diversité de leurs activités en montagne.
La famille, au sens large du terme, ne doit pas être en reste. Des
infrastructures d'accueil spécifiques doivent être mises en place
pour elles : pistes de ski protégées et "réservées"
pour pouvoir pratiquer tranquillement le ski en famille, des infrastructures
d'accueil pour les plus petits, des écoles de ski performantes pour les
plus grands (enseignement des nouvelles glisses, encadrement toute la
journée, y compris pour les repas...) pendant que les parents skient de
leur côté.
Il faut aussi permettre aux grands-parents, souvent accompagnant,
d'accéder à la neige car ils constituent une niche de
clientèle non-négligeable (bancs déneigés pour
surveiller les petits sur les pistes de luge...).
La perspective de développement des stations de montagne passe aussi par
une relance des départs en classe de neige (les enfants, séduits
par leur séjour en classe de neige et prescripteurs de la destination
vacances de la famille, constituent notre clientèle de demain).
Cependant, de nombreux freins interviennent dans ce domaine : coût
du séjour, responsabilité des accompagnateurs, réticence
des parents, vétusté de certains centres d'hébergement. Il
faut toutefois se rappeler que des établissements, comme Pierre et
Vacances, ne sont fréquentés que pendant certaines semaines
(avant Noël, janvier, après Pâques...) et ne remplissent
qu'à 30 % de leur capacité.
Ne faudrait-il pas lancer un grand programme de découverte de la neige,
en partenariat avec les stations, l'éducation nationale...afin de
relancer massivement les classes de neige ? 50 % des classes de neige ont
disparu ces dernières années selon une étude menée
par la région Rhône-Alpes. Les aménagements et
investissements méritent une promotion accrue afin de faire face
à la concurrence. La campagne nationale Professionnels Associés
de la montagne et son homologue Ski France International pour
l'étranger, les outils de communication mis en place par l'AMSFSHE, Ski
France, les performances du Club les P'tits Montagnards/Ski France,
créé pour mieux répondre aux attentes des familles en
vacances à la montagne ont vraisemblablement besoin d'amplifier leur
action.
Sur cette question, je suis en mesure de vous annoncer aujourd'hui que ces
différents partenaires de la montagne, parmi lesquels se trouvent le
Syndicat national des téléphériques de France et le
Syndicat national des moniteurs de ski, sont sur le point de constituer une
plate-forme commune de moyens, destinée à harmoniser encore
davantage les actions de promotion tout en rationalisant les moyens que chacun
y affecte.
En ce qui concerne le second point, il me semble tout à fait
intéressant que les opérateurs de remontées
mécaniques ne réduisent pas leurs investissements, tant pour les
engins de remontées mécaniques que pour les installations de
neige de culture. Sans revenir sur les arguments et constatations
développées ci-dessus, je voudrais simplement souligner que le
service public du ski est un service public très capitalistique qui
doit, en tant que service public industriel et commercial, trouver son
équilibre par ses propres ressources.
Ces caractéristiques, sur lesquelles reposent tous les programmes de
développement futurs sont très importantes. Du point de vue de la
législation et de la réglementation aujourd'hui applicable par
rapport à cette problématique d'investissement, je souligne que
les maires des stations que je représente aujourd'hui sont très
sensibles à ce qu'il n'y ait pas d'alourdissement des procédures.
La procédure Unités Touristiques Nouvelles leur paraît
suffisante. Celle-ci pourrait être revue selon deux axes.
Elle pourrait être allégée pour les équipements ou
urbanisation de faible ampleur, ou de renouvellement sans extension : le
coût de fabrication des dossiers UTN est élevé (il faut
déposer 42 exemplaires du dossier), et pour les petites stations, il
peut être un vrai problème. Le délai d'instruction est
aussi souvent jugé trop long. D'autre part, la procédure pourrait
inclure davantage d'élus locaux représentant les stations ou les
massifs, et de ce fait, dépendre moins de l'administration.
Dans le même registre, il est de mon point de vue, sans doute utile de
réfléchir sur le contenu et sur la forme des conventions liant la
commune à l'exploitant de son domaine skiable. L'objectif est de
supprimer autant que possible, les flous juridiques, et de permettre aux
communes, dont beaucoup sont petites et ne disposent que de peu de moyens, de
pouvoir assurer correctement le suivi de ces conventions et d'éviter
qu'elles ne se fassent imposer des formules d'investissement qu'elles ne
souhaitent pas.
S'agissant des acteurs de l'aménagement touristique : qui sont les
porteurs de projets ? Les collectivités locales doivent-elles
préférer la concession à la régie directe pour
l'exploitation des remontées mécaniques ? selon le degré
de développement et d'équipement du domaine skiable, ainsi que de
son mode de gestion, l'initiative des projets peut venir, soit de la
collectivité locale support, soit de l'exploitant (s'il est
différent de la collectivité), soit des deux à la fois.
D'une manière générale, la collectivité locale
n'est jamais absente du processus de maturation de projets relatifs au domaine
skiable. En effet, si le mode de gestion est une régie directe, la
commune maîtrise l'ensemble du processus. En cas de
délégation de service public, l'initiative provient
généralement du délégataire, puisque le bon
fonctionnement du domaine skiable est une des obligations contractuelles qu'il
doit assumer. Cependant, le délégant intervient toujours, au
moins par le biais des autorisations administratives qui doivent être
accordées (UTN, permis de construire).
Je remarque également qu'il existe très souvent une phase de
concertation, l'intérêt du délégataire et celui du
déléguant, qui récupère les installations à
la fin du contrat, étant intimement liés. Une seconde tentative
de réponse porte sur une analyse plus financière et repose sur
l'adage populaire "qui paie commande". Suivant cette logique, l'entité
qui détient la responsabilité de l'exploitation et des
investissements corrélatifs détient aussi la
responsabilité d'initier des projets de développement ou
d'amélioration. Cependant, dans la mesure où nous sommes dans un
cadre de service public, la personne responsable de ce service doit toujours
avoir la possibilité minimale d'exprimer son point de vue, voire de
prendre la décision finale à partir de laquelle le projet verra
effectivement le jour. `
Les collectivités locales doivent-elles préférer la
concession à la régie directe pour l'exploitation des
remontées mécaniques ? La concession, ou plus
généralement la délégation de service public, est
un choix souverain revenant aux communes, et à elles seules, en fonction
des dispositions de la loi Montagne.
Ce processus de gestion ancien permet de confier à un tiers choisi
intuitu personae
, en fonction de ses compétences et de ses
capacités financières, la construction et le financement
d'équipement public et leur exploitation, ou bien seulement
l'exploitation de ceux-ci. L'autre mode de gestion possible réside dans
la gestion directe, par le biais d'une régie directe, ou d'une
régie dotée de la personnalité morale et de l'autonomie
financière.
La délégation de service public (DSP) peut être
considérée comme un processus de recherche de financement de
projet. En effet, la collectivité qui souhaite équiper une partie
de son territoire en domaine skiable (remontées mécaniques,
engins de damage, caisses, monétique...) doit faire face à un
montant considérable d'investissements. Le service public du ski est en
effet une activité de loisir à très forte connotation
capitalistique. De plus, les investissements minimaux sont d'emblée
très forts : un étalement est utopique, sauf marginalement.
Peu de collectivités locales sont en mesure d'assurer à elles
seules de tels financements, même si elles bénéficient de
l'appui des établissements financiers. Les communes apportant leur aide
aux stations sont souvent de petites collectivités dont la surface
financière est généralement faible, du moins au
démarrage de la station.
Outre l'aspect purement financier, intervient aussi la question du
savoir-faire, de la maîtrise technique des engins nécessaires. Cet
aspect motive le recours à une délégation de service
public, plutôt qu'à une gestion directe. La
délégation de service public apparaît donc comme un moyen
d'obtenir rapidement les équipements publics souhaités, en ne
sollicitant pas les finances publiques, en s'assurant le concours de
professionnels, tout en ayant la certitude de faire revenir dans le patrimoine
communal les équipements en question, lorsque le contrat de
délégation de service public arrivera à sa fin.
En outre, pendant la durée du contrat, les risques financiers et
commerciaux restent à la charge du délégataire, qui se
rémunère en contrepartie directement auprès des usagers du
service public, qui peuvent être assimilés à des clients.
Ceci n'est évidemment possible que parce que le service public du ski
est assimilé à un transport public de voyageurs et qu'un tel
service public qualifié d'industriel et commercial, doit en tant que
tel, s'équilibrer par sa propre exploitation, sans recours au
contribuable.
Dans un tel contexte, il est difficilement concevable que le
délégataire puisse exprimer ses propres choix en matière
d'investissement et de modalités d'exploitation. C'est pourquoi, entre
la phase de l'envoi du cahier des charges et la signature du contrat final, a
lieu une période de négociation qui permet aux deux parties de
mettre en concordance leurs intérêts respectifs.
Cette phase est fondamentale car elle permet d'affiner l'équilibre
économique de la délégation de service public, de
préciser les modalités de concertation pendant la vie du contrat
et de prévoir in fine les modalités financières de sortie
du contrat. Dans cet esprit, même si l'initiative d'un projet peut
revenir à un délégataire, cette initiative est
nécessairement partagée avec l'autorité organisatrice.
L'essence même de la délégation de service public semble
être le mode de gestion idéal d'un service public comme celui des
remontées mécaniques : externalisation du financement,
définition partagée du programme d'investissements, recours au
savoir-faire de professionnels, externalisation des risques financiers et
commerciaux.
Cependant, la réalité du terrain n'est pas aussi idyllique. En
matière de remontées mécaniques, les tiers ayant la
capacité à devenir délégataires d'une commune pour
ses remontées mécaniques ne sont pas légion. A
côté de la puissante Compagnie des Alpes, ne subsistent que
quelques industriels opérant sur ce marché : STVI, Transmontagne,
Rémy Loisirs, pour l'essentiel. A cet égard, la loi Sapin a
joué un grand rôle dans la création de cette situation
d'oligopole. Et je pense qu'étudier très
précisément cette question est indispensable. S'agissant de la
Compagnie des Alpes, par exemple, sans remettre en cause la compétence
des personnes qui y travaillent, le fait que cette structure soit
financée par des fonds publics (Caisse des dépôts) pose
problème. La situation de quasi-monopole qui s'instaure est en effet
inquiétante.
La compagnie des Alpes est entrée à plus de 50 % du capital d'une
commune par exemple. Elle investit non seulement dans les infrastructures de
remontées mécaniques, mais aussi dans l'hébergement. Il
faut mener une réflexion sur le plan national: ne s'agit-il pas
là d'une nationalisation rampante ?
Est-il normal qu'à l'aide de fonds publics se produise une situation de
quasi-monopole ? A Méribel, Méribel Alpina a mis en place un
carré neige (assurance à la journée qui est vendu avec le
forfait) qui concurrence directement le carré neige mis en place par la
fédération. Le carré neige classique prévoit que
30 % de la somme revient au club de ski local et 70 % à la
fédération. Or, avec le carré neige spécifique
compagnie des Alpes-Alpina, 50 % de la somme est distribué au club local
et rien à la fédération. De tels agissements
entraînent la disparition du tissu associatif local. Cette situation a
fait l'objet d'un courrier de notre association au président de la
Caisse des dépôts.
Nous attendons un arbitrage à ce sujet. Aujourd'hui du fait de cette
situation de quasi-monopole, les communes peuvent se trouver en situation de
faiblesse et se voir imposer des choix d'investissement qui ne correspondent
pas entièrement à leurs projets. Ces opérateurs,
même les plus petits d'entre eux sont très souvent mieux
armés que les communes, non seulement sur le plan financier, mais aussi
sur les plans technique, administratif, procédurier et juridique.
En admettant même que le contrat qui lie la commune à son
délégataire soit parfait, nous pouvons constater que le suivi du
contrat et le contrôle du respect par le délégataire de ses
obligations n'est pas souvent correctement réalisé par les
communes, faute de moyens suffisants et notamment de moyens humains. En outre,
ces contrats étant de longue durée, alors que les
échéances électorales sont courtes, plusieurs
équipes municipales peuvent se succéder empêchant le bon
suivi d'un contrat en cours de validité. D'autant que chaque changement
de municipalité tend à faire disparaître de la
mémoire communale une partie des connaissances et des pratiques
accumulées par l'équipe précédente.
Nous pensons que le suivi d'un contrat de délégation de service
public constitue une véritable responsabilité dont l'exercice
nécessite des connaissances précises et une expertise certaine
sur le plan technique, juridique, administratif et financier. Or,
l'expérience du terrrain montre que ces conditions ne sont que rarement
remplies. L'intervention des services de l'Etat n'est pas à la hauteur
des enjeux. En effet, mis à part les services techniques qui assurent le
contrôle des engins de remontées mécaniques, les services
de l'Etat appelés à intervenir, soit comme conseillers, soit
comme contrôleurs, ne sont pas reconnus comme étant
particulièrement compétents en la matière sauf sur les
questions de procédure.
Tout en ne négligeant pas la procédure, élément
formel de la légalité externe des actes, il faut souligner qu'une
délégation de service public réussie est une
délégation de service public viable sur les plans
économique et financier. Or, sur ce point précisément, les
administrations de l'Etat ne sont pas toujours à la hauteur des attentes
des maires.
Cette difficulté apparaît notamment lorsqu'il s'agit de
définir la durée des contrats. Cette question est très
directement liée à celle de l'étalement des
investissements sur la durée de contrat : on imagine difficilement un
délégataire investir dans les dernières années du
contrat s'il ne dispose pas d'une période suffisamment longue pour
amortir financièrement ses investissements.
En guide de conclusion, je dirais que la délégation de service
public est le mode opératoire qui a permis à de très
nombreuses stations de se développer. Vous pouvez constater sur le
terrain que les domaines skiables exploités en régie directe sont
généralement petits, comportant des équipements
insuffisants et obsolètes, sans perspective d'atteindre un
équilibre économique viable et sans moyens financiers permettant
d'investir.
Dernière question : quels sont les besoins et les solutions en
matière d'aide à la réhabilitation de l'immobilier de
loisir en montagne ? Panorama et appréciation des aides apportées
au tourisme de montagne. Compte tenu du délai court qui m'a
été imparti pour préparer cette audition, je ne vais pas
dresser maintenant un panorama complet des aides existantes par rapport au
tourisme de montagne. Je me réserve cependant la possibilité de
vous communiquer ultérieurement des données
complémentaires. Je me contenterai de quelques développements par
rapport à l'importante question de la rénovation de l'immobilier
de loisir. Cette question a beaucoup préoccupé les maires des
stations. Vous n'ignorez pas que le dispositif législatif dont nous
disposons aujourd'hui est le fruit d'une initiative des élus locaux,
fortement soutenue par le Parlement.
Nous pouvons considérer que ce dispositif est satisfaisant. En revanche,
dans la mesure où il a été conçu comme un cadre
souple adaptable à des réalités différentes sur le
terrain, les communes ont besoin d'une aide méthodologique au
démarrage et d'un soutien financier permettant de lancer
l'opération de réhabilitation avec de bonnes chances de
succès. L'AMSFSHE, l'ANEM et les associations des stations
classées ont pris au début de cette année l'initiative de
réaliser un guide national méthodologique de
réhabilitation de l'immobilier de loisir. Ce guide est sur le point de
paraître.
Outre ce guide, ces associations d'élus ont décidé de
mettre en place un service d'appui pour les collectivités locales qui en
éprouveraient le besoin. Cette cellule devrait être
opérationnelle avant la fin de l'année. Du point de vue
méthodologique, nous avons fait ce que nous avons estimé
nécessaire. Par contre, sur le plan financier, peu de choses ont
été réalisées. Les expérimentations
initiées par la Direction du tourisme, l'Association française de
l'ingénierie touristique (AFIT) et la Caisse des dépôts et
consignations ne se sont pas révélées très
efficaces sur le terrain.
Ainsi, il serait souhaitable que l'Etat établisse une vraie politique
d'aide financière au démarrage des opérations de
réhabilitation. Il me semble qu'une telle action est du ressort des
pouvoirs publics, compte tenu de son intérêt
général.
Enfin très rapidement, j'aimerais évoquer d'autres
problèmes auxquels les communes sont confrontées. S'agissant de
la dotation globale de fonctionnement, ne pourrait-on pas mettre en place une
rétribution particulière aux communes de montagne dont l'effort
de protection du patrimoine et grand ? Une autre préoccupation
réside dans le financement des budgets annexes qui concerne toutes les
stations. Il faudrait réfléchir à cette question.
Pour ce qui concerne la pluri-activité, il faudrait reposer le
problème de la caisse pivot. Ce problème doit être
résolu afin de fixer des emplois en montagne et développer des
activités.
Dernier point : la gestion foncière. Nous nous heurtons aux droits de
préemption de la SAFER. Ne devrait-on pas décentraliser la
gestion des terres et octroyer un pouvoir d'intervention aux élus quand
de jeunes agriculteurs sont désireux de s'installer ? Nous
rencontrons les difficultés les plus importantes dans les zones
d'appellation.
Enfin, je souhaitais exprimer combien les relations qu'entretiennent les
collectivités avec les responsables des parcs sont détestables.
Simplement parce que les responsables des parcs sont des fonctionnaires.
Aujourd'hui il n'existe plus aucune concertation, aucun dialogue, mais, plus
grave, ces entités ne manifestent aucune volonté à
associer les acteurs locaux aux décisions. De plus, leur adage semble
être: ce qui est bon pour les autres ne l'est pas pour nous. En effet,
les règles sanitaires s'agissant des refuges ne sont pas
respectées.
Continuer ainsi est impossible. Leur seul souci semble être de supprimer
toute activité en montagne et de faire en sorte que les montagnes
deviennent des sanctuaires.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- J'aimerais vous poser quelques
questions. Quelles solutions pouvons-nous trouver à la situation de
quasi-monopole de certaines entreprises en montagne que vous avez
évoquée en l'illustrant par l'exemple de la Compagnie des Alpes ?
Faut-il imaginer des amendements à la loi Sapin ?
Deuxième question : s'agissant de la réhabilitation de
l'immobilier de loisir, vous avez dit que le dispositif ORIL (opération
de réhabilitation de l'immobilier de loisirs), loi Demessine
était convenable. Pourtant, tous les départements n'ont pas
conduit une politique de réhabilitation. Comment l'expliquer ? le
problème vient-il des préfets? de la collectivité
départementale ? La cherté des prix en montagne est-elle une
fatalité ?
Alors que la montagne était la deuxième destination, elle est
passée au quatrième rang après la ville et la campagne.
Cette situation est très inquiétante pour nos montagnes et assez
souvent sont évoqués le problème du prix et de la
concurrence du soleil. Que peut-on faire ?
Enfin, nous avons été interrogés par des exploitants de
remontées mécaniques sur la concurrence au niveau
européen, notamment italienne, suisse et autrichienne. Certains
responsables affirment se trouver dans une situation de concurrence
déloyale car, dans les pays voisins, les infrastructures de
remontées sont aidées au niveau des emprunts, du rendement et de
la neige de culture. Quel est votre sentiment ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- Sur la concurrence au niveau des
remontées mécaniques, les Dolomites, par exemple, ont mis en
place en 5 ou 7 ans, un réseau d'enneigement artificiel
impressionnant. Aujourd'hui, une saison dans les Dolomites dure du 15
décembre au 5-6 avril, quelles que soient les conditions climatiques. Ce
dispositif bénéficie du financement de la région à
hauteur de 50 %.
En France, la situation est inverse. Les maires doivent déposer
rapidement les dossiers d'enneigement artificiel car, dans deux ans, recourir
à la neige de culture ne sera plus autorisé en raison de la
levée de boucliers de la part de l'administration et des associations de
protection de la nature. L'administration, sous divers prétextes,
gèle les programmes de retenue d'eau. Un dossier de La Plagne qui
traînait depuis deux ans vient de passer en force.
Une saison sans neige est catastrophique non seulement pour les stations mais
pour toute la vallée. A mon sens, il faut permettre la
réalisation de ces équipements qui doit se faire dans les normes
en respectant l'environnement. S'agissant des prix, il semble y avoir un
problème de communication. Un studio Pierre et vacances de 37 m2
à la montagne coûte 183 euros la semaine, 223 euros en
décembre et janvier. Néanmoins, l'idée qu'un séjour
à la montagne coûte cher subsiste dans les esprits.
Or, une semaine à la montagne n'est pas plus onéreuse qu'un
séjour à la mer. Même à Chamonix, vous avez tous les
prix. Le phénomène de la concentration capitalistique en montagne
me semble beaucoup plus ardu à résoudre. Je n'ai pas de
réponse à apporter.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pourriez-vous nous communiquer l'évolution
de la progression de la Compagnie des Alpes sur les sites de montagne au cours
des cinq dernières années ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- Elle est impressionnante au cours des trois
dernières années. Un exemple : les magasins de sport. La
Compagnie des Alpes a racheté sur Tignes et Val d'Isère un
réseau de sept/huit magasins. Le risque est de mettre de
côté un tissu économique qui était pourtant
intéressant, dynamique localement.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pensez-vous que la loi ayant institué
l'ouverture de la délégation de service public à la
concurrence soit la seule cause ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- Oui, car elle a ouvert une brèche.
M. Jean-Paul Amoudry
- Existe-t-il d'autres causes (conditions de vie en
montagne par exemple, problèmes liés à l'application de la
législation sur le temps de travail, à la fiscalité) qui
font qu'un exploitant de remontées mécaniques ou un
propriétaire responsable de magasins de sport ou de restaurants
d'altitude préfère vendre son bien au groupe en question
plutôt que de le transmettre à ses enfants ?
Ou la cause repose-t-elle d'abord dans la mise en concurrence des
délégations de service public ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- La cause repose d'abord sur la mise en
concurrence des délégations de service public. Le danger est de
créer des situations de monopole où les gens ne seront plus que
des employés comme aux Arcs. Il ne faut surtout pas accepter cette
situation de monopole. Des initiatives privées doivent pouvoir se
développer surtout dans des milieux comme ceux de la montagne. Car si
les perspectives, pour les jeunes se limitent à être
embauchés dans des remontées mécaniques, ils vont
déserter la montagne
M. Jean-Paul Amoudry
- Et tout ceci s'effectue en plein paradoxe, avec
de l'argent public et sous couvert d'une délégation de service
public. Il faut méditer cela. Merci président.
34. Audition de MM. Marc Maillet, membre du conseil d'administration de France Nature Environnement et membre du Conseil national de la montagne, Eric Feraille, représentant du réseau Montagne de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) et Gilles Privat, secrétaire général de Mountain Wilderness (26 juin 2002)
M.
Marc Maillet
- Je remercie la commission de son invitation. La
société française souhaite effectuer un effort pour
protéger ses montagnes. Les associations ont un rôle important
à jouer dans cette mobilisation. Nous sommes de trois types
d'associations.
France Nature Environnement (FNE) est une fédération nationale
importante qui compte quarante salariés et travaille en réseau et
en mission. Une mission montagne existe même si son poids dans le travail
de mobilisation fédéral n'est pas le plus fort.
La Fédération regroupe 80 fédérations au niveau
régional dont certaines sont spécialisées par
thème, ce qui représente 10.000 bénévoles membres
de conseil d'administration lesquels détiennent des
responsabilités et une certaine influence. Le nombre d'adhérents
s'élève à 600.000 personnes. Nous publions un rapport
d'activité accessible à tous sur le site Internet. Je
représente FNE ce jour car je siège au sein du Comité de
massif des Pyrénées ainsi qu'au Conseil national de la montagne.
Je laisse le soin à mes collègues de se présenter. Nous
avons prévu de nous répartir les tâches s'agissant des
questions que vous nous avez adressées mais notre constat et nos
conclusions sont les mêmes.
M. Eric Feraille
- Je suis vice-président de la FRAPNA
Haute-savoie et j'interviens ici en tant que responsable du réseau
montagne de la FRAPNA région, c'est-à-dire la
Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, qui est
également une fédération d'associations de protection de
l'environnement régionales comportant des sections
départementales dans la région. Notre fédération
est également adhérente à FNE. Nos objectifs sont
semblables. La FRAPNA représente l'ensemble des associations dans les
commissions régionales ou départementales et mène
également des missions d'éducation à l'environnement,
d'expertise et, plus contestée, de veille environnementale.
M. Gilles Privat
- Mountain Wilderness est une ONG internationale,
fondée en 1987, représentée dans différents pays de
l'arc alpin et également en Espagne, au Royaume-Uni, au Pakistan ainsi
que dans d'autres pays. Mountain Wilderness étant à l'origine une
association d'alpinistes, cela explique que notre terrain d'intervention est
plutôt la haute montagne, mais, plus généralement, nous
cherchons à défendre l'idée de la montagne comme terrain
de liberté, comme terrain de développement d'activités
libres, non commerciales. Notre champ d'action peut donc s'étendre
à la moyenne montagne.
M. Marc Maillet
- Nous nous opposons à la banalisation de la
montagne. Nous défendons également la notion de
développement durable qui apparaît aujourd'hui dans les discours
de façon systématique.
Mais ces déclarations doivent être recentrées par rapport
à l'origine du concept. Un développement durable qui ne prendrait
pas en compte les préoccupations de protection serait un non-sens.
Le développement durable doit devenir le fil conducteur de la politique
de la montagne. Il implique une économie respectueuse des ressources
naturelles tant sous leur aspect quantitatif que qualitatif et la
préservation de la diversité biologique. Cette politique devrait
être relayée au niveau local par l'institution de comités
de pilotage de massifs présentant une unité géographique,
économique et culturelle.
S'agissant des espaces naturels, la biodiversité recule sous l'effet
conjugué de la déprise agricole, des aménagements
touristiques, de l'artificialisation des milieux, de l'urbanisation et de la
pollution. Afin d'enrayer ce recul de la diversité biologique, support
essentiel de la qualité des paysages indispensables à
l'activité touristique, il est urgent d'adopter une politique
cohérente de protection et de gestion des espaces naturels fondée
sur l'identification des espaces naturels remarquables au sein de chaque massif
et l'utilisation des outils de protection existants avec une mention
particulière pour le réseau Natura 2000.
Ce dernier constitue un outil de protection moderne utilisable à grande
échelle et impliquant la participation de tous les acteurs locaux. La
préservation des continuums et des corridors biologiques est
impérative pour le maintien à long terme de la diversité
biologique. Concernant l'agriculture, celle-ci a façonné les
paysages de montagne et se révèle indispensable à la
préservation de la diversité biologique et de l'identité
culturelle montagnarde.
Afin de relever le défi de la pérennisation de l'agriculture
montagnarde traditionnelle, il convient d'assurer sa
compétitivité par une production labellisée à forte
valeur ajoutée, la mise en place de circuits de distribution courts, des
aides à la mise aux normes des installations, la préservation des
terres agricoles face à l'urbanisation, la revalorisation des aides
apportées par les Contrats Territoriaux d'Exploitation (CTE), l'adoption
d'une législation permettant le maintien et le retour du pastoralisme.
Le rôle clé de l'agriculture dans l'entretien des espaces naturels
et des paysages doit être explicitement reconnu. Cette tâche doit
être rendue possible par des mesures d'aides spécifiques à
l'embauche dans le cadre des CTE ou des contrats Natura 2000.
En matière de tourisme et loisirs, l'impact des équipements
lourds destinés à favoriser la pratique du ski alpin est
considérable et a profondément altéré la perception
de la montagne. La montagne est perçue non plus comme un espace vivant
et habité mais comme un gigantesque stade dédié aux
loisirs. La stagnation de la demande, le réchauffement climatique et
l'impact environnemental et paysager majeur de ces équipements doit
conduire à une réorientation radicale de la politique de
développement touristique vers l'abandon de l'extension des domaines
skiables, l'amélioration de l'existant, et la diversification de l'offre
en l'orientant vers le contact avec l'habitant et le tourisme dit vert.
Le développement touristique de masse a créé de graves
disparités entre les communes disposant d'un domaine skiable rentable et
celles dont l'environnement reste préservé. Les revenus de
l'activité touristique doivent être répartis par le biais
d'un système de coopération intercommunale à
l'échelle des massifs géographiquement et culturellement
cohérents. La valeur biologique des forêts spontanées de
montagne devrait être explicitement reconnue et sa gestion extensive
favorisée.
La prévention de la pollution du milieu aquatique devrait être
prioritaire et faire l'objet de mesures spécifiques. En raison du
relief, de l'isolement, du travail séculaire des agriculteurs et de la
grande variété de microclimats, la richesse des milieux naturels
montagnards est exceptionnelle. Il s'agit d'un patrimoine d'une valeur
inestimable et d'une grande fragilité.
Nous avons le devoir de le conserver dans le meilleur état possible. Si
la valeur du patrimoine bâti en tant que témoin de
l'identité culturelle est reconnue, la valeur patrimoniale et culturelle
des espaces naturels est à l'heure actuelle largement
sous-évaluée et doit être clairement affirmée par la
politique de la montagne. En effet, la diversité biologique est plus
grande sur 3.000 mètres de dénivelé en montagne que sur
3.000 kilomètres de plaine.
L'évolution des milieux naturels montagnards au cours de ces
dernières années n'est pas réjouissante. Malgré la
création de quelques sanctuaires protégés, la
biodiversité recule de manière alarmante sous l'effet
conjugué de plusieurs facteurs : la déprise agricole qui
entraîne la fermeture des paysages par boisement spontané ou
artificiel, mais aussi la transformation des pâturages d'altitude
abandonnés en landes à faible diversité biologique. Les
activités touristiques de masse entraînent la destruction directe
des milieux et particulièrement la création ou l'extension de
domaines skiables et les réalisations connexes d'immobilier de loisir.
Elles ont également pour effet :
l'urbanisation des vallées et piémonts ;
la transformation des boisements spontanés proches de
l'état naturel en plantations d'essences exotiques ou de
conifères à fort rendement ;
l'assèchement des zones humides ;
la canalisation des cours d'eau,
la création de barrages hydroélectriques et de captages
pour les besoins en eau des stations ainsi que des canons à neige ,
la pollution de l'eau et de l'air.
Quels sont les outils de protection ? Les Parcs nationaux et les
réserves naturelles sous la tutelle de l'Etat instituent une protection
réglementaire forte et sont associés à des mesures de
gestion des espaces naturels protégés. Ils ont, de plus, une
vocation scientifique qui ne saurait être contestée. Outils
efficaces de préservation du patrimoine naturel, ils ont permis la
conservation de nombre d'espaces remarquables qui auraient sans doute disparu
en l'absence de mesures de protection forte.
Mais ces mesures de protection ont souvent été instituées
de manière autoritaire par l'Etat sur des territoires convoités
pour l'aménagement touristique de masse (domaines skiables) afin de
tenter de respecter le principe d'équilibre entre espaces naturels et
espaces aménagés.
Leur acceptation est parfois problématique en raison du manque de
dialogue et de concertation dans leur phase de mise en place. D'autre part, du
fait des fortes contraintes qu'ils engendrent, ils ne peuvent constituer des
outils pertinents pour la préservation à grande échelle
des espaces montagnards.
Les Réserves nationales de chasse et de faune sauvage
gérées par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage
(ONCSF), ont été créées initialement dans un but de
préservation du patrimoine cynégétique.
Elles contribuent à protéger efficacement les espaces naturels et
la faune dans son ensemble et sont gérées par l'ONCSF ou l'ONF.
Les arrêtés préfectoraux de Protection de biotope pris par
le Préfet de département après avis des communes
concernées et de la Commission départementale des sites
instituent une protection réglementaire forte des milieux naturels, mais
n'entravent ni la chasse, ni la pêche, ni les activités agricoles
et forestières traditionnelles.
Ils ont l'avantage de généralement donner lieu à une
concertation locale et sont assez souvent bien acceptés. Leur
inconvénient majeur réside dans l'absence de mesure de gestion
des espaces naturels ainsi protégés. Ils sont
généralement réservés à des espaces
relativement restreints à très forte valeur biologique et ne
sauraient constituer un outil de protection des milieux naturels
généralisable.
Les sites classés au titre de la loi de 1930 instituent une protection
paysagère rigoureuse, mais sont dépourvus de tout outil de
gestion des milieux naturels remarquables. Les sites inscrits n'offrent, en
revanche aucune garantie de protection.
Les Parcs naturels régionaux créés sur la base de
l'adhésion des élus locaux à une charte
élaborée après concertation approfondie entre les
différents acteurs de l'espace rural sont susceptibles d'être un
outil efficace de préservation du patrimoine naturel et culturel
(exemple le Queyras). Ils renferment souvent un ou des espaces
protégés par une mesure réglementaire de type
Réserve naturelle comme le Haut-Jura ou par un arrêté
préfectoral de Protection de Biotope. Ils ont pour inconvénient
de ne pas proposer de plan de gestion d'ensemble des espaces naturels du parc,
ni de sanction en cas de non-respect de la charte par un ou plusieurs de ses
signataires.
D'autre part, cet outil ne limite pas les aménagements touristiques
lourds à fort impact paysager et naturaliste (Volcans d'Auvergne). De ce
fait, ils sont parfois inopérants pour éviter la disparition des
milieux naturels.
Le réseau Natura 2000, très contesté par nombre
d'élus relayés par certains représentants du monde
agricole, de la chasse et des forêts privées, est un nouvel outil
axé sur la gestion concertée des milieux naturels
préservant leur biodiversité. La mise en place de ce
réseau a souffert de sa connotation européenne. De plus,
d'importantes maladresses de présentation et la trop tardive publication
de son cadre réglementaire ont empêché la mise en oeuvre
rapide.
Natura 2000 n'en constitue pas moins un outil moderne de préservation et
de gestion des milieux naturels remarquables, basé sur un financement
par contractualisation après une phase de large concertation des acteurs
de terrain et d'élaboration d'objectifs de gestion. Cet outil a le grand
avantage d'inclure une démarche scientifique, d'être
géré au plan local par un comité de pilotage, d'impliquer
tous les acteurs locaux et de proposer un accompagnement financier. De plus, il
peut se superposer aux autres mesures de protection.
Ce réseau étant en cours de mise en place, son efficacité
reste à évaluer. On notera les très importantes
disparités de propositions de sites Natura 2000 entre massifs montagneux
et entre départements au sein d'un même massif remettant en
question la notion de réseau.
Les Réserves naturelles régionales représentent un nouvel
outil de protection qui vient d'être institué par la loi sur la
démocratie de proximité pour lequel nous ne disposons pas encore
d'exemple. Elles ont l'avantage d'impliquer l'adhésion des élus
et des propriétaires, mais ont l'inconvénient d'une
réversibilité aisée en cas de forte pression
d'aménagement.
On notera également l'existence du dispositif "Forêt de
protection" interdisant tout changement d'utilisation du sol et tout
défrichement, dont le but est de prévenir les catastrophes
naturelles liées à l'érosion ainsi que les Réserves
biologiques forestières, créées et gérées
par l'ONF.
Les autres outils de protection expérimentés, comme les
Directives paysagères ou l'Espace Mont Blanc, n'ont donné lieu
à aucune action concrète de préservation et/ou de gestion
des milieux naturels et semblent définitivement enlisés. Cet
échec montre la nécessité d'une structure de coordination
détenant un rôle moteur et in fine un pouvoir décisionnel
afin que les projets puissent aboutir, cette dernière pouvant être
l'Etat, la Région ou le Département.
Il nous paraît essentiel de souligner que la création d'espaces
naturels protégés bénéficiant d'un statut de
protection n'a fait que limiter les atteintes et, dans certains cas, a servi
d'alibi à des actions anarchiques en dehors de ces espaces. D'autre
part, une mesure de protection prise sur un territoire se révèle
efficace uniquement si elle s'accompagne de la présence locale d'un
gestionnaire qui maintient le dialogue et la concertation avec les élus
et les habitants.
La pérennité de l'extraordinaire valeur biologique et
paysagère des espaces naturels montagnards demande avant tout
l'élaboration d'une démarche cohérente de
préservation et l'abandon de la politique du coup par coup au gré
des luttes d'influence. En effet, les outils de protection et de gestion
existants utilisés à bon escient sont efficaces pour la
préservation des zones naturelles à forte valeur patrimoniale. En
revanche, la préservation des zones naturelles dites banales et des
continuums de milieux naturels et des corridors biologiques nécessite
d'être intégrée dans les documents d'urbanisme ou
d'aménagement du territoire.
Cette cohérence ne peut être favorisée que par
l'élaboration de plans des espaces naturels à l'échelle
régionale tout d'abord en s'inspirant d'une démarche de type DTA
qui pourrait être élaborée par les Comités de
Massifs, puis à l'échelle du massif présentant une
unité géographique, historique, économique et culturelle,
(comme Bornes-Bargy-Aravis pour la Haute-Savoie), par la création de
comités de pilotage de massifs.
Devraient être identifiées les zones naturelles à forte
valeur patrimoniale sur la base des inventaires existants (ZNIEFF (Zone
Naturelle d'Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique), Natura
2000...), les continuums des grands milieux naturels (forêts, zones
humides...), les corridors de déplacement de la faune. A cet
égard, la démarche du Conseil général de
l'Isère est exemplaire.
Après leur élaboration qui peut être mise en oeuvre
rapidement, ces documents devraient être accessibles à tous et
largement diffusés après des collectivités locales afin
qu'elles puissent non seulement bénéficier des données
locales, mais qu'elles puissent également se situer dans le contexte
départemental et régional.
Sur la base de ces documents objectifs, les outils de préservation
adaptés des zones à forte valeur patrimoniale devraient
être définis (Réserve naturelle, Réserve naturelle
régionale, Arrêté préfectoral de protection de
Biotope, Natura 2000).
Les mesures d'accompagnement permettant une gestion et un développement
cohérents des zones périphériques répondant aux
objectifs de développement durable devraient être
élaborés après concertation approfondie et participation
des différents acteurs à l'échelle du comité de
pilotage du massif. Les documents d'urbanisme (SCOT (Schémas de
cohérence territoriale), PLU (Plans locaux d'urbanisme), Carte
communale) devraient intégrer l'ensemble de ces données afin
d'assurer la cohérence des mesures de protection de la nature avec le
développement de l'habitat et des activités économiques et
touristiques.
Un tel processus démocratique local pourrait mettre un terme à
l'opposition quasi institutionnelle des élus et des protecteurs de
l'environnement essentiellement liée au profond déficit
d'écoute, de dialogue et de capacité de négociation.
Concernant l'agriculture, cette activité est au coeur de
l'identité culturelle des populations montagnardes qui ont
développé des modes d'exploitation originale ayant
favorisé une forte diversité biologique et donné sa
typicité aux paysages. Après une forte tendance à la
déprise agricole, l'activité agricole, et notamment
l'exploitation des alpages, semble se stabiliser pour les zones de production
fromagère AOC. Dans les autres secteurs, la déprise agricole se
poursuit et se voit probablement ralentie par les aides directes
accordées à l'agriculture de montagne. L'activité agricole
a modelé les paysages montagnards et l'agriculture traditionnelle
extensive est indispensable à la pérennité de nombre de
milieux dits "naturels", et des espèces animales et
végétales inféodées à ces milieux. Les
pelouses sèches et les alpages en sont les exemples les plus frappants.
Un des défis majeurs de la politique de la montagne des prochaines
décennies sera de mettre en oeuvre les moyens nécessaire à
la pérennité de l'agriculture de montagne sans pour autant
détériorer les milieux naturels. Cette agriculture est
menacée par son manque de compétitivité vis-à-vis
des territoires de plaine, la charge financière des impératifs de
mise aux normes des bâtiments agricoles et des ateliers de production,
l'urbanisation généralisée des vallées
(résidences secondaires et lits touristiques banalisés) et des
zones de piémont (développement de grandes agglomérations)
entraînant la disparition des terrains plats favorables aux
mécanisations et par conséquent de la production de fourrage. La
pérennité de l'agriculture de montagne passe par une production
labellisée de haute qualité à forte valeur ajoutée.
A cet égard, le renforcement des AOC fromages et le développement
d'AOC viande (ovine, bovine, porcine) sont une impérative
nécessité. Il est nécessaire également de mettre en
place des circuits de distribution courts afin d'assurer un revenu maximum au
producteur et limiter la plus-value liée à la multiplicité
des intermédiaires. Les producteurs doivent veiller à la
diversification de leurs productions (porcs, volailles, oeufs, fruits et
légumes). Des aides massives mais temporaires pourraient être
accordées aux agriculteurs leur permettant de mettre aux normes les
bâtiments d'exploitation et les ateliers de production (fromage, viande,
charcuterie...) et à l'organisation des circuits de distribution. Il
faudrait identifier et préserver les surfaces agricoles des
vallées et des zones de piémont indispensables à
l'activité agricole traditionnelle et veiller à leur protection
rigoureuse vis-à-vis de l'urbanisation ou de la création de zones
récréatives. L'initiative de favoriser la desserte des
pâturages d'altitude en favorisant le transport par câble limitant
la pénétration par les engins motorisés serait
intéressante. Enfin, il faudrait revaloriser les Contrats territoriaux
d'exploitation et les Mesures agricoles environnementales en remplacement des
"primes montagne". L'ensemble de ces mesures devrait aider très
significativement l'agriculture de montagne à relever le défi de
la compétitivité du marché et à s'affranchir
progressivement des aides à la production, l'assistanat étant
très mal vécu. En plus de sa vocation de production de produits
bruts ou transformés, la société demande à
l'agriculteur de montagne d'assurer l'entretien des paysages et des milieux
dits "naturels". Cette tâche a été implicitement
assumée par les agriculteurs de montagne au travers de méthodes
d'exploitation traditionnelles et s'exprime actuellement de manière plus
ou moins explicite par l'intermédiaire de mesures agri-environnementales
dans le cadre des Contrats territoriaux d'exploitation et des contrats Natura
2000.
Considérant l'évolution récente de l'agriculture et plus
particulièrement la diminution importante de la main d'oeuvre
consécutive aux impératifs de rentabilité et de
mécanisation, il nous paraît difficile, voire impossible qu'en
l'état actuel des choses, les exploitants agricoles qui sont souvent
seuls, puissent assumer le surcroît de travail que demande la mise en
oeuvre des pratiques contraignantes nécessaires à la gestion des
milieux naturels. Sans main d'oeuvre supplémentaire, le succès de
telles mesures semble compromis. Les contrats Natura 2000 et les CTE devraient
inclure l'embauche de salariés destinés à assumer la
charge de travail supplémentaire. Pour ce qui concerne l'activité
pastorale, nos associations sont favorables au retour des bergers et à
une relance de filières jusqu'ici laissées à l'abandon.
Elles soutiennent pour l'essentiel les propositions du groupe de travail
interministériel sur le pastoralisme, dont le rapport a
été remis au Ministre de l'agriculture afin de :
effectuer les adaptations législatives et réglementaires en
appui aux associations foncières et aux groupements pastoraux ;
soutenir la formation initiale et continue des bergers et des
vachers ;
améliorer la recherche et la formation dans les
problématiques des zones pastorales ;
favoriser l'accès au CTE pour les structures collectives
gestionnaires d'estives ;
rechercher des lieux de concertation
ad hoc
entre les
différents utilisateurs des espaces pastoraux ;
réformer ou adapter les dotations communales et la taxe sur les
espaces naturels sensibles au bénéfice des communes favorisant
les surfaces en herbe et gérant des espaces naturels remarquables.
Tout cela implique que soit confiée rapidement à un parlementaire
une mission visant à quantifier et proposer un axe fort en faveur du
pastoralisme. Le rôle de l'agriculture de montagne dans la
préservation de la qualité des paysages et des espaces naturels
doit être explicitement reconnu. Cette reconnaissance doit s'accompagner
d'une rémunération sous la forme de fortes aides à
l'embauche dans un cadre contractuel. En effet, l'activité touristique
des zones de montagne repose largement sur la qualité des paysages et
des milieux naturels, il nous paraît équitable que les
gestionnaires de ces espaces puissent bénéficier d'une
contrepartie financière des services rendus à la
collectivité. Il faut souligner qu'une telle mesure serait
également très bénéfique en termes d'emplois et de
préservation du tissu social.
S'agissant du tourisme et des loisirs, ces activités sont devenues au
cours des dernières décennies un élément majeur de
l'économie montagnarde. Leur impact est considérable sur
l'évolution des paysages, des milieux naturels, de l'identité
culturelle et des structures sociales des zones de montagne.
Parallèlement à l'activité touristique, s'est
développée une activité de loisirs des habitants des
grandes métropoles proches des massifs montagneux.
Le touriste et le citadin partagent les mêmes types d'activités
avec des conséquences similaires sur l'évolution de l'espace
montagnard. Ces phénomènes de masse transforment l'espace
montagnard en un gigantesque centre de loisirs, conduisent à
l'artificialisation et à la banalisation des paysages et menacent
l'identité culturelle et les activités économiques
traditionnelles des communautés montagnardes. La montagne n'est plus
perçue comme un milieu vivant et habité mais comme un grand stade
minéral, simple support des activités ludiques plus ou moins
agressives pour le milieu naturel totalement méconnu. Concernant le ski
alpin, la priorité a été donnée aux
équipements lourds destinés à favoriser la pratique
quasi-exclusive de ce type d'activité dans les massifs où
l'enneigement le permettait. Le développement considérable de la
pratique du ski alpin a engendré l'extension et la diffusion des noyaux
urbains préexistants, la création
ex-nihilo
de stations en
altitude, l'équipement en remontées mécaniques et pistes
de ski de surfaces considérables, la création ou l'agrandissement
des infrastructures routières, la génération d'eaux
usées et de déchets ménagers en grande quantité, le
gaspillage de l'eau et de l'énergie (remontées mécaniques,
canon à neige). Les massifs les plus concernés sont, bien
entendu, les Alpes, surtout la moitié nord, les Pyrénées,
mais aussi les points les plus élevés du massif central (Mont
Dore et Monts du Cantal).
Ailleurs, le développement du ski alpin est resté modeste et n'a
pas d'impact majeur sur l'environnement et l'agriculture. Le nombre de skieurs
a augmenté jusqu'au début des années 1990 et stagne
actuellement malgré l'augmentation de la proportion de la
clientèle étrangère. Un phénomène que les
professionnels du tourisme appellent pudiquement "la maturité"'. Le
développement du ski alpin a eu un impact extrêmement
négatif sur l'environnement. Cette activité a
nécessité en effet la consommation irraisonnée par
l'urbanisation des prairies de fauche indispensables à l'agriculture
pour assurer la nourriture du bétail pendant les longs hivers. Dans
certaines vallées, on pallie ce déficit par l'importation de
fourrage (entraînant ainsi des coûts de transport). Ce
phénomène est très marqué dans les stations dites
de village. Elle a eu pour conséquence la déprise de nombre
d'alpages. On estime que pour un hectare de terrains agricoles qui
disparaît en vallée, quatre hectares d'alpages ne sont plus
pâturés. Le développement du ski alpin a provoqué la
destruction directe des milieux naturels par les constructions, les
terrassements, le rabotage des pistes, l'érosion, le ski hors piste, la
création de retenues collinaires afin de maintenir la neige
artificielle.
De plus, certaines espèces animales exigeantes quant à la
qualité du milieu comme le Tétras lyre se sont
raréfiées dans des proportions alarmantes. Le milieu aquatique
est pollué de façon massive du fait des eaux usées lors de
la période de vulnérabilité maximale d'étiage
hivernal et de reproduction des salmonidés. Une source de pollution
supplémentaire non-négligeable est constituée par les
restaurants d'altitude. Une quantité très importante de
déchets ménagers devant être acheminée vers les
décharges ou les incinérateurs est produite. Enfin le ski alpin a
entraîné l'altération profonde de la qualité des
paysages, particulièrement l'été qui démasque la
mauvaise intégration des constructions, des remontées
mécaniques, des pistes de ski.
Après une pause des constructions liée aux hivers sans neige des
années 1990 et à la crise de l'immobilier consécutive,
nous observons une recrudescence alarmante des projets d'extension de domaines
skiables. La tendance actuelle est à la réalisation d'immenses
domaines skiables interconnectés et à la conquête des
derniers espaces vierges d'équipement en marge des domaines skiables.
Cette évolution est très sensible dans les Alpes du nord.
Cette coûteuse fuite en avant est surtout motivée par la
concurrence féroce que se livrent les grandes stations, souvent sous
contrôle de grands groupes financiers, dans la perspective de profits
à court terme et pour conserver leur part de marché d'une
clientèle en stagnation. Elle se trouve accélérée
dans certaines vallées, vallée de la Maurienne par exemple, par
la mise en place de Zones de Revitalisation rurales (ZRR) qui dopent le
marché de l'immobilier locatif touristique grâce à des
aides fiscales très importantes. L'aménagement des zones refuges
séparant les grands domaines skiables a des répercussions
extrêmement néfastes notamment sur la faune, par perturbation
directe de ses ultimes refuges en période de
vulnérabilité, par son cantonnement dans des espaces de plus en
plus restreints favorisant la dégradation des milieux forestiers et la
propagation des maladies infectieuses et parasitaires, et par sa destruction
directe par les dispositifs de sécurisation des domaines skiables
(avalanches). L'impact touche également la flore et les milieux naturels
par destruction directe ou indirecte, en interrompant la continuité des
milieux naturels, en cloisonnant les espaces dits "noyaux", et en dirigeant le
flux touristique estival vers les espaces encore vierges. Enfin les
conséquences sur les paysages ne sont pas négligeables : les
constructions artificialisent et banalisent des zones de plus en plus
importantes, ce qui altère la perception même de l'espace
montagnard.
Jusqu'à la décentralisation de la procédure d'autorisation
des Unités touristiques nouvelles (UTN), le principe d'un
équilibre entre les zones aménagées et les zones
protégées a permis la protection pérenne de surfaces
significatives par la création de Parcs nationaux, de Réserves
naturelles et d'Arrêtés préfectoraux de protection de
biotope en contrepartie des atteintes au milieu naturel consécutives aux
aménagements. La procédure décentralisée a vu
disparaître cette notion d'équilibre au seul profit des
aménagements, conduisant au grignotage continu des espaces naturels par
l'extension des domaines skiables.
De plus, nombre de décisions ou d'orientations de protection de l'Etat
prises avant la décentralisation sont restées lettre morte, car
n'étant pas encore mises en oeuvre au moment de la
décentralisation, elles ont été efficacement combattues
localement par les différents groupes d'influence convoitant ces espaces
encore vierges. La procédure décentralisée, reposant sur
un arrêté du Préfet de région pris après avis
des différents services de l'Etat et surtout d'une Commission UTN, a
montré son incapacité à préserver les milieux
naturels face aux enjeux économiques à court terme. Les seuls
motifs d'avis défavorable sont d'ordre économique, mais l'impact
environnemental d'un projet, fût-il majeur, ne constitue pas un
élément d'abandon du projet. La commission UTN s'est
transformée en commission de validation où plus de 90 % des
dossiers sont acceptés. La composition de cette commission doit
être examinée : les aménageurs ou des membres directement
impliqués dans l'administration de station sont
sur-représentés alors que les associations de protection ou
d'usagers ne disposent que d'un seul siège. Les mesures dites de
"compensations environnementales" sont généralement minimes et
impropres à réduire un impact non compensable et restent souvent
inappliquées. Il faut également noter un très faible taux
de réalisation des UTN approuvées dans les
Pyrénées.
L'enjeu spéculatif demeure sur les droits à construire, ce qui
limite tout autre perspective, notamment agricole.
Le déficit d'enneigement conduit nombre de stations de moyenne altitude
à investir dans la production de neige dite de "culture". Cette
évolution conduit non seulement à une artificialisation encore
plus profonde de l'espace dédié au ski alpin, mais a pour effet
le gaspillage de la ressource en eau, car bien souvent ce sont les ressources
d'eau potable qui alimentent les canons à neige. En résulte
également l'assèchement des petits cours d'eau et la destruction
du milieu aquatique accentué par l'étiage hivernal, la
destruction de zones humides, à forte valeur patrimoniale, pour la
constitution de retenues collinaires, l'apparition d'additifs chimiques ou
bactériens remontant la température de congélation de
l'eau est un facteur d'inquiétude car personne ne connaît les
conséquences de la dispersion de ces additifs en grande quantité
dans le milieu naturel. Le ski alpin reste une activité de
première importance au niveau national et réalise un chiffre
d'affaires considérable. Néanmoins, si cette activité a pu
à court terme donner une bouffée d'oxygène à
certaines communes de montagne, la situation, aujourd'hui, s'avère
contrastée. D'un côté les grands domaines skiables et leurs
structures d'hébergement connexes se portent bien. Toutefois, ces
grandes infrastructures rentables échappent de plus en plus aux
communautés montagnardes et passent sous contrôle de grands
groupes financiers en quête de rentabilité immédiate. Les
petites stations de basse et moyenne altitude connaissent souvent de grandes
difficultés financières car elles ne peuvent amortir les lourds
investissements consentis du fait de la pénurie de neige. Une aide
publique est souvent nécessaire pour éviter le dépôt
de bilan.
Etant donné que la France est le pays du monde qui possède le
plus fort pourcentage de zones de montagne aménagées en domaine
skiable, que l'offre est supérieure à la demande, que le
réchauffement climatique caractérisé par des automnes
tardifs, des printemps précoces, le recul des glaciers et la
remontée de l'altitude moyenne de l'enneigement hivernal de 1 000
à 1 500 mètres en l'espace de 40 ans est devenu une
réalité, que, dans une échéance de 10 à 20
ans, le réchauffement climatique va entraîner une remontée
de l'enneigement hivernal aux environs de 1 800-2 000 mètres,
que l'impact sur l'environnement du ski alpin est grand, que tout nouvel
aménagement en zone vierge aura un impact majeur et non compensable sur
l'environnement, enfin que l'extension des domaines skiables est incompatible
avec la notion de développement durable, nous demandons comme le Club
alpin français et le Club arc alpin, que la politique de la montagne
s'oriente résolument vers la préservation des espaces vierges
d'équipement et proscrive l'extension des domaines skiables existants.
La commission UTN a montré son inaptitude à l'évaluation
des impacts environnementaux des projets d'aménagement. Son rôle
devrait se limiter à l'analyse des aspects socio-économiques du
projet, l'analyse de la compatibilité du projet d'aménagement
avec les impératifs de préservation des milieux naturels. Les
objectifs du développement durable devraient revenir à la
Commission départementale des sites perspectives et paysages en
formation de protection de la nature et, le cas échéant, aux
futurs comités de pilotage des massifs. La réalisation d'un
projet devrait être subordonnée à l'obtention d'un avis
favorable de l'ensemble des commissions. En cas d'avis favorable, un
comité de suivi devrait être désigné afin de
vérifier la conformité des réalisations par rapport
à l'autorisation délivrée. La politique commerciale des
stations françaises basée sur le seul critère quantitatif
des kilomètres de pistes et du nombre de remontées
mécaniques offertes à la clientèle doit être remise
en question. Le maintien de la compétitivité de la France dans le
domaine du ski alpin passe par une amélioration de la qualité de
l'offre et non de sa quantité qui est déjà
excédentaire.
A cet égard, un effort considérable devrait être consenti
pour le remplacement des téléskis par des
télésièges, l'adaptation du débit des
remontées mécaniques à la fréquentation,
l'intégration paysagère des remontées mécaniques et
des pistes, et l'amélioration de la qualité de
l'hébergement et des services en station. Dans le cas particulier des
stations de basse et moyenne altitude en difficulté financière,
la politique de la montagne devrait favoriser la reconversion basée sur
la diversification des activités et aider au démantèlement
progressif des remontées mécaniques obsolètes à
mesure de la croissance de l'offre diversifiée. La reconversion de
certains domaines équipés pour le ski alpin en domaines de ski
nordique moins préjudiciable à l'environnement pourrait
être effectuée. La politique actuelle de fuite en avant
fondée sur la conquête de nouveaux espaces vierges et
l'enneigement artificiel doit être abandonnée. L'enneigement
artificiel devrait être très limité, et soumis à une
étude d'impact et une procédure d'autorisation tenant compte de
la ressource en eau, de la sensibilité des milieux sur les sites
susceptibles d'être aménagés. L'adjonction d'additifs
devrait être proscrite en application du principe de précaution
jusqu'à ce que leur innocuité pour l'environnement soit
établie de manière scientifiquement irréfutable.
Les via Ferrata, phénomène d'apparition récente, se
multiplient sur tous les massifs montagneux. Bénéficiant d'un
flou réglementaire, l'implantation des Via Ferrata s'effectue au
gré de leurs promoteurs en fonction des seuls arguments touristiques et
techniques. A l'heure actuelle, les enjeux environnementaux, parfois
très importants en ce qui concerne l'avifaune protégée, ne
sont absolument pas pris en compte. Les projets de Via Ferrata devraient
être soumis à enquête publique mettant en oeuvre une
étude d'impact et une procédure d'autorisation de type UTN
prenant en compte de manière forte les enjeux environnementaux. En
effet, les falaises sont d'une richesse faunistique et floristique très
inégale en fonction de leur exposition et il est rare qu'il n'existe pas
de site potentiel pour développer une Via Ferrata dont l'impact
environnemental soit faible, voire minime. Enfin, vu l'ampleur des travaux
nécessaires, la construction de Via Ferrata devrait être
subordonnée à l'obtention d'un permis de construire.
L'impact paysager du ski nordique est limité car sa pratique ne
nécessite généralement pas de remontées
mécaniques et peu ou pas de terrassements. Les problèmes
environnementaux posés par cette pratique concernent essentiellement :
le dérangement de la faune en période d'hivernage, ce qui peut
être évité en détournant les traversées des
zones d'hivernage sur les pistes, les dommages causés à certains
milieux particulièrement sensibles comme les tourbières par les
engins de damage et les skieurs, impact négatif qui peut être
aisément évité par un tracé des pistes
adéquat.
La principale nuisance est constituée par le trafic automobile et le
stationnement anarchique à proximité du domaine skiable comme aux
Glières. Mais cet impact pourrait être réduit par
l'instauration d'un système de navette gratuite au départ des
stations et d'un stationnement payant en altitude. Les activités de
pleine nature motivent les séjours en montagne et le principe du libre
accès à la nature doit être affirmé. Leur impact sur
l'environnement dépend de la densité de fréquentation et
du degré d'information des pratiquants. Le rôle d'information des
offices de tourisme et des accompagnateurs est, à cet égard,
capital. Ces derniers informent le public sur les nuisances produites par la
fréquentation anarchique sur la faune, sur les milieux naturels
sensibles (zones humides), sur les activités agro-pastorales et
indiquent les propositions d'itinéraires balisés et/ou
pédagogiques permettant une maîtrise des flux. Dans ce domaine,
les collectivités locales et les professionnels du tourisme pourraient
travailler en collaboration étroite avec le milieu associatif. La
raquette à neige pose par endroits de graves problèmes de
dérangement de la faune en période de vulnérabilité
hivernale. Un effort d'information sur les conséquences des
perturbations hivernales de la faune (mortalité par épuisement)
et la proposition d'itinéraires balisés reprenant les sentiers
utilisés pour la randonnée estivale pourraient concourir
efficacement à limiter l'impact de cette pratique en plein essor.
Nous voudrions proposer quelques pistes pour permettre au tourisme de
participer au développement durable : d'une part il faudrait
instituer un système de répartition des revenus
générés par la pratique du ski alpin qui sont très
inégalement répartis. Plutôt que de chercher à
développer la pratique du ski alpin dans les communes dont
l'environnement est encore préservé (Sixt Fer à cheval en
Haute-Savoie), il nous paraît plus opportun de jeter les bases d'une
coopération intercommunale par l'intermédiaire de larges
Communautés de communes et d'instaurer ainsi une répartition des
revenus issus de l'activité touristique hivernale. En effet, une part
non négligeable de l'activité touristique des stations dont le
cadre paysager est très dégradé repose sur
l'attractivité des espaces naturels encore vierges d'équipement
des communes voisines, sans que celles-ci n'en retirent les dividendes. De
plus, il faudrait favoriser la diversification de l'offre. L'avenir de
nombreuses petites stations de sport d'hiver orientées sur la seule
pratique du ski alpin comme La Giettaz, en Savoie, est sombre en raison des
aléas climatiques et du réchauffement planétaire. Il nous
paraît essentiel de favoriser la diversification de l'offre par une
reconversion d'une partie du domaine skiable en domaine nordique. Il faudrait,
par ailleurs, développer l'hébergement chez l'habitant
(gîtes ruraux, chambres d'hôtes, accueil à la ferme) de
manière à rompre l'isolement des populations montagnardes et de
favoriser le contact entre le monde rural et monde urbain, qui est de plus en
plus ténu, enfin, proposer des formations d'encadrement des
activités de loisirs afin de garantir la pérennité de la
pluri-activité qui, à l'heure actuelle repose essentiellement sur
le monitorat de ski et les emplois liés aux remontées
mécaniques, l'hôtellerie et la restauration employant surtout des
travailleurs saisonniers.
Les forêts recouvrent de nos jours des surfaces très importantes
dans les zones de montagne. Il est important de souligner que les espaces
forestiers sont d'un intérêt biologique très
différent selon le mode de gestion en vigueur. Les anciennes
forêts semi-naturelles exploitées extensivement et
constituées d'essences indigènes qui se développent
spontanément en altitude, renferment une très forte valeur
biologique.
La valeur biologique des plantations de conifères exotiques ou
d'épicéas en rangs serrés exploités en coupe
à blanc est en revanche très faible. Bien que loin d'être
en danger sur le plan quantitatif, la forêt de montagne est
menacée sur le plan qualitatif. La tendance ces dernières
décennies a été marquée par une forte croissance
des plantations de résineux au détriment des peuplements
naturels. Cette évolution a été particulièrement
marquée dans le Massif Central et dans les Vosges. La
préservation des peuplements forestiers proches de l'état naturel
devrait être fortement encouragée par des aides spécifiques
inspirées des contrats Natura 2000 et par une labelisation du bois issu
de ces forêts exploitées de manière extensive (jardinage).
Ces aides seraient une reconnaissance explicite du rôle protecteur de la
forêt par rapport à l'érosion et aux risques naturels
(avalanches, glissements de terrain). L'exploitation du bois est difficile en
zone de montagne et génératrice d'importants dégâts
liés à la réalisation de pistes d'exploitation, du passage
des engins de débardage de plus en plus lourds. Localement, ces travaux
forestiers entraînent une érosion préoccupante et les
pistes ouvrent de nouveaux espaces à la pratique des loisirs
motorisés qui sont une source de nuisance forte pour la faune et les
autres usagers de ces espaces. La fragilité de ces terrains devrait
être prise en compte lors des travaux d'exploitation forestière et
les techniques de débardage par les chevaux ou par câble devraient
être encouragées par des aides spécifiques et par la
création d'un label. Lorsque la création d'une piste
d'exploitation s'impose, elle devrait être refermée et
reboisée dès la fin des travaux afin de limiter l'érosion
et la pénétration des engins à moteurs (quads, 4x4,
motoneiges).
La spécificité et la richesse biologique particulière de
la zone de conflit entre la forêt et les espaces ouverts
(1 600-2 000 m) devrait être explicitement reconnue et un
effort de gestion particulier de cette zone devrait être entrepris. Cette
zone est à la fois menacée par la fermeture des espaces due
à la progression des boisements et par les aménagements en
domaine skiable. Toute nouvelle installation dans cette zone largement
équipée devrait être proscrite et la restauration de ces
milieux dits en mosaïque (bosquets, landes, prairies) devrait être
favorisée (exemple Tétras Lyre dans le Val d'Arly en Savoie).
Enfin les zones de montagne bénéficiant de larges peuplements
forestiers devraient être encouragées pour utiliser le bois local
comme matériau de construction et comme source d'énergie
renouvelable avec des retombés bénéfiques en termes
d'emploi.
Les zones de montagne renferment de fortes réserves d'eau en raison de
fortes précipitations et d'une couverture neigeuse des zones d'altitude.
Cette ressource en eau qui paraît abondante se révèle
néanmoins fragile et mérite une politique de préservation
spécifique. L'étude du Conseil supérieur de la pêche
montre que les zones de montagne ne sont pas épargnées par la
dégradation de la qualité du milieu aquatique. Les causes
principales de la détérioration de la qualité des cours
d'eau sont : la pollution d'origine agricole ou domestique diffuse en
tête de bassins versants, la pollution domestique d'origine urbaine et
industrielle dans les vallées, la canalisation des cours d'eau, les
séquelles des extractions de granulats, les ouvrages
hydroélectriques. La politique de la montagne devrait
particulièrement prendre en compte la pollution diffuse en tête de
bassin versant qui compromet la capacité d'auto-épuration des
cours d'eau, celle-ci étant déjà saturée "à
la source". Des mesures spécifiques d'aide à la
réalisation de systèmes d'assainissement autonomes performants
adaptés à l'habitat dispersé en hameaux et aux
exploitations agricoles devraient être prises : filtres plantés de
roseaux en dessous de 1000 mètres d'altitude et lits filtrants ailleurs.
La pollution d'origine agricole pourrait être réduite par des
plans d'épandage en vallée, la création de fumières
et en favorisant la fertilisation par le fumier au lieu du lisier. La pollution
domestique d'origine urbaine mérite d'être spécifiquement
prise en compte par la politique de la montagne en raison de son
caractère saisonnier étroitement lié à
l'activité touristique des stations. Force est de constater que peu de
stations touristiques rejettent une eau de qualité adéquate au
milieu naturel. Et 15 % des stations françaises de ski ne sont pas
raccordées à une station d'épuration. Il nous paraît
essentiel que toute nouvelle extension d'urbanisation soit strictement
dépendante de la mise en conformité préalable des
installations d'assainissement des eaux usées , tant sur la plan de la
qualité des eaux restituées au milieu naturel, que sur le plan de
la capacité des installations en termes d'équivalent habitants.
S'agissant du transport de marchandises, nous ne traiterons pas le transport
international qui ne relève pas de la politique de la montagne, mais de
la politique économique européenne. La position des associations
de protection de l'environnement est claire dans ce domaine : priorité
au rail et aux filières locales. La création de nouvelles voies
de communication doit être limitée au maximum et strictement
subordonnée aux besoins des exploitants agricoles, forestiers ou
à l'amélioration de la desserte de communes isolées. Toute
ouverture de voies nouvelles ou l'élargissement de voies anciennes
devrait être soumise à l'approbation d'un comité de
pilotage du massif, ou en son absence à la Commission
départementale des sites perspectives et paysages, afin d'éviter
tout abus et d'en limiter les impacts environnementaux.
Dans le cas particulier des pistes d'exploitation forestières, celles-ci
devraient être obligatoirement refermées et reboisées afin
de limiter l'érosion et la pénétration des
véhicules motorisés. Dans le cas particulier de la desserte des
pâturages d'altitude, la priorité devrait aller au transport par
câble. S'agissant des loisirs, toute création de voies
destinées aux seuls loisirs doit être proscrite tout
particulièrement la réalisation de routes panoramiques ou de
circuits touristiques pour engins motorisés. Une vigilance
particulière est de mise concernant la réalisation de
pseudo-dessertes de pâturages d'altitude destinées à
accéder à des chalets d'alpage transformés en
résidences secondaires. De fait la prolifération des engins
motorisés tout terrain utilisés à des fins de loisir est
génératrice de conflits d'usage avec les exploitants agricoles et
les autres usagers de la montagne. La politique de la montagne devrait
clairement inscrire l'interdiction d'utilisation des chemins d'exploitation et
des itinéraires pédestres aux véhicules à moteur
(exception faite pour les exploitants agricoles et forestiers). Il convient de
souligner la responsabilité des élus en cas d'accident. La
politique de la montagne devrait réaffirmer l'illégalité
de l'utilisation des engins de progression sur neige à des fins de
loisirs, y compris la desserte de résidences secondaires. Cette pratique
illicite est source de graves nuisances sur la faune en période de
vulnérabilité hivernale, de risques d'accidents graves et de
nuisances sonores et olfactives pour les autres usagers de la montagne. Le cas
particulier des déposes en hélicoptère à partir des
pays voisins mérite d'être examiné. Les déposes ont
lieu sur des sommets frontaliers et la reprise des clients s'effectue sur le
territoire français. Ce sont à la fois la dépose et la
reprise par hélicoptères qui doivent être proscrites. A cet
égard, un effort d'harmonisation européen devrait être
effectué.
En conclusion, la politique de la montagne devrait avoir pour ligne directrice
le développement durable impliquant la préservation et la gestion
des espaces naturels remarquables avec des outils appropriés et la prise
en compte de la "nature ordinaire" dans la politique d'aménagement afin
de préserver et/ou de restaurer la continuité des milieux
naturels et le fonctionnement des corridors écologiques. Il faudrait
aussi veiller à pérenniser l'agriculture traditionnelle de
montagne en reconnaissant explicitement son rôle clé dans la
préservation des espaces naturels et des paysages remarquables sur
lesquels se fonde l'activité touristique. Il faudrait aussi favoriser
l'activité des filières agropastorales afin de permettre le
retour des bergers, orienter le développement du ski alpin sur des
aspects qualitatifs et mettre un terme à la politique d'extension des
domaines skiables génératrice d'atteintes graves aux paysages,
aux milieux naturels, à la faune, à la flore et à
l'identité culturelle. Le développement touristique devrait
être axé sur une offre diversifiée,
équilibrée, facteur de cohésion sociale et respectant le
patrimoine naturel et culturel des espaces montagnards. Il faudrait aussi
favoriser la qualité et l'exploitation extensive des boisements de
montagne, reconquérir la qualité de l'eau, réduire les
nuisances du transport de transit international et de la circulation des engins
de loisirs motorisés.
Nous soulignons que l'unité pertinente pour atteindre les objectifs de
préservation du patrimoine naturel est celle du massif présentant
une unité culturelle, historique, géographique et
économique, y compris dans ses aspects transfrontaliers. La
création de "comités de pilotage" de ces massifs au sein desquels
tous les acteurs de la vie locale, dont les associations de protection de
l'environnement seraient représentés de manière
équilibrée pourrait être la pierre angulaire de la
politique de développement durable de l'espace montagnard. En son sein
pourraient être intégrés à l'échelon local
les impératifs de préservation des milieux naturels, les besoins
de l'activité agricole, les méthodes de gestion et d'exploitation
des espaces boisés, la préservation ou la reconquête de la
qualité de l'eau et le développement touristique respectueux de
l'environnement et de l'identité culturelle.
M. Eric Feraille
- C'est à mon sens un premier exemple du
développement durable appliqué et de la démocratie locale
appliquée. Je peine à comprendre pourquoi ce projet a
suscité autant de contestation. Cette situation est dommageable pour la
montagne car cet outil semble particulièrement bien adapté
à la protection du patrimoine montagnard. Certains blocages liés
à Natura 2000 semblent s'estomper, notamment avec le monde agricole et
les chasseurs, en tout cas dans les Alpes du nord. Des problèmes
subsistent avec des élus qui ont peur de s'engager dans ce processus par
crainte de l'Europe. Les pays du Sud de l'Europe n'ont pas eu cette crainte.
L'Espagne a proposé 15 % de son territoire national, le Portugal plus de
10 %, l'Italie est largement au-dessus de nous, la Grèce est
à 25 %. En revanche la France, pays d'Europe qui détient le
plus riche patrimoine naturel d'Europe a proposé 5 %. Une
étude du département économie de l'université de
Klagenfurt en Autriche qui a étudié le bénéfice de
Natura 2000 sur le plan purement économique montre que cette disposition
se révèle bénéfique pour le tourisme ainsi que pour
l'agriculture, la chasse et la pêche. Cet outil de développement
n'est pas négligeable. Sa mise en oeuvre en France est disparate, je
vous laisse, si vous le désirez, consulter la carte figurant sur le site
du ministère de l'environnement
M. Marc Maillet
- Il faut indiquer que les listes remontées
à l'Europe, comme s'y est engagé le gouvernement,
n'étaient pas suffisantes s'agissant d'un certain nombre de sites
remarquables et d'espèces protégées. Un complément
de sites a donc été effectué en janvier notamment pour les
zones à ours. En revanche pour les Alpes, 7 à 11 types de sites
manquent. Or, ces compléments ne sont pas annoncés. Il serait
souhaitable que ces sites soient complétés et que par ailleurs le
département des Pyrénées-Atlantiques ne soit pas l'enfant
terrible du rejet total de l'application de Natura 2000. Ce ne sera plus le cas
si les zones à risque sont transmises.
M. Jean-Paul Amoudry
- Avez-vous en votre possession des informations
précises s'agissant du réchauffement climatique ?
M. Eric Feraille
- Oui, une étude du journal "Nature"
démontre le raccourcissement des saisons au cours du XXe siècle,
les printemps précoces et les hivers tardifs
M. Jean-Paul Amoudry
- Je suis d'accord avec vous pour dire que les
lieux de débats n'existent pas et que, de ce point de vue-là, le
comité de massif n'a pas rempli sa mission. J'y vois une
conséquence dans une activité judiciaire assez forte puisque, en
l'absence de dialogue, une action devant les tribunaux constitue le seul
recours. Pourriez-vous nous transmettre des informations sur les actions en
justice menées par vos mouvements ? Ces actions apparaissent parfois un
peu systématiques à l'encontre des projets immobiliers ou de
projets devant les collectivités
M. Marc Maillet
- Le nombre de recours est très faible mais
très médiatisé. Car le nombre d'UTN est devenu faible
aussi.
M. Jean-Paul Amoudry
- Les UTN ne sont pas les seuls concernées.
M. Marc Maillet
- Oui, il y a les plans d'occupation des sols aussi.
Mais ce droit d'action en justice est celui du citoyen. Il s'agit d'un
contrôle de légalité et il n'existe aucune autre
possibilité de contestation. Nous n'avons pas de volonté
systématique de traduire quiconque en justice. Mais je l'avoue, je
crains que la loi relative à la solidarité et au renouvellement
urbain introduise des recours supplémentaires lors du passage des POS
aux cartes communales. Car le déclassement se fait en défaveur de
la protection de l'esthétique du village par un mitage plus
accentué.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je ne souhaite pas remettre en cause ces recours
prévus par la loi, notamment celle de 1992 qui a trait aux
enquêtes publiques. On constate néanmoins une judiciarisation qui
traduit un manque de dialogue. J'aimerais donc savoir sur quels
éléments réside le contentieux résultant de la loi
montagne ?
M. Marc Maillet -
De notre côté, la lassitude est grande,
je vous l'assure, à entamer des recours qui aboutissent cinq ans
après et s'avèrent finalement inutiles car la construction est
achevée ou le projet a été abandonné. La
vallée du Galbe, dans les Pyrénées-Orientales par exemple,
au sein de laquelle certains souhaitaient construire une piste et des
remontées mécaniques, a été sauvée
grâce à un recours. S'agissant des POS, il n'existe aucune
structure de discussion alors qu'auparavant des groupes de travail
étaient mis en place. Seules les associations agréées
peuvent demander à être entendues. Effectivement, subsiste la
procédure mise en place par les enquêtes publiques, mais il est
question de la réformer à cause de l'absence du public justement.
Comment pallier cette absence du public ? Des associations ont proposé
des alternatives qui remettent en cause le système. Je propose de
s'orienter vers des offices d'animation du débat public au niveau des
départements où l'on puisse disposer des documents. Car, en
effet, obtenir les documents nécessite d'entamer une procédure
qui s'apparente souvent à un parcours du combattant, et
génère peut-être de l'agressivité. De plus, les
enquêtes publiques confirment souvent les décisions prises par le
conseil municipal. Je pense que des efforts doivent être effectués
dans deux directions : l'effort de transparence et l'implication des
associations au processus de décision.
M. Eric Feraille
- Le contentieux représente une part faible de
l'activité associative, en Haute-savoie, en tout cas. Dans notre
région, les motoneiges causent beaucoup de problèmes et nous nous
portons partie civile car l'Etat est défaillant en ce domaine. Nombre de
contentieux pourraient être évités si une discussion sur
les projets avait lieu en amont. Or, souvent, les projets sont construits de
toutes pièces et présentés au dernier moment sans
possibilité de négocier. Le conflit juridique est toujours un
symbole d'échec pour nous, car il signifie que nous ne parvenons pas
à dialoguer. Si des abus ont pu se produire dans le passé, le
recours devant les juridictions ne fait pas partie de la philosophie de notre
association.
M. Jean-Paul Amoudry
- Les loupés de départ expliquent
souvent les conflits. Natura 2000 est un bon exemple, mais les
prédateurs aussi. Par exemple, il aurait fallu avouer la
réintroduction des ours et ne pas dire qu'ils étaient revenus
depuis la Slovénie.
M. Gérard Bailly
- Le manque de concertation est évident.
La question de fond de votre intervention me semble être : quel
aménagement souhaitons-nous ? Apparemment, vous désirez un
territoire de montagne propice au repos, une zone de loisirs. Je crois que les
gens de la montagne ne conçoivent pas les choses ainsi. Leur souhait est
que la montagne vive. Ils veulent que des activités se
développent comme l'agriculture permettant qu'un docteur, une pharmacie
puissent rester. Mais combien reste-t-il d'agriculteurs aujourd'hui ?
Combien de mois dans l'année sont concernés par le tourisme ? Il
faut que reste une vie dans ces montagnes. Or, quand les maires veulent mettre
en oeuvre des projets, ils se heurtent à d'immenses difficultés
pour les implanter. Les contraintes sont très fortes. Il faut que la
montagne puisse entretenir des services libres. Les paysans ne veulent plus
vivre dans un village où les volets sont fermés presque toute
l'année. Les femmes de paysans ne veulent plus rester. Nous avons
évoqué aussi le thème des prédateurs, mais
imaginez bien qu'un paysan qui possède des moutons ou des poules par
exemple, ne travaille pas pour nourrir les prédateurs. S'agissant de
Natura 2000 : vous dites les gens ne comprennent pas. Mais, en 24 heures,
deux personnes sont venues me voir. L'une d'entre elles se retrouve au tribunal
car elle a creusé un fossé de 120 mètres de profondeur
dans sa propriété classée Natura 2000 sans qu'elle le
sache car elle habite la commune d'à côté.
Comment voulez-vous que cette personne puisse être favorable à
Natura 2000. Autre exemple, notre Conseil général est en train de
refaire une route, mais nous ne pouvons pas travailler pendant la nidification,
pendant la période de reproduction des cerfs, pendant les saisons
touristiques. Les contraintes font que les travaux ne peuvent pas être
réalisés. Nous parvenons à des extrêmes. Sans
discussion, nous allons parvenir à une rupture. Dans le cadre de Natura
2000, nous avons obtenu une prime à l'herbe de 46 euros par hectare,
mais pour en bénéficier il faut signer un CTE, les agriculteurs
se heurtent toujours à une multitude de conditions. Demain, il n'y aura
plus d'agriculteurs mais les espaces, eux seront libres.
M. Marc Maillet
- Nous partageons ces préoccupations de vie en
montagne. D'ailleurs, ce samedi, nous organisons une réunion sur le
problème du train dans les Pyrénées dans le cadre de
l'année internationale de la montagne. Car les services publics
disparaissent aussi.
Mais les situations ne sont pas homogènes en montagne. Des cantons
souffrent de leur faiblesse démographique, tandis que d'autres ont
stabilisé leur population. Lors de ces réunions sont
présents les habitants, les élus, l'administration.
Protéger la faune ne constitue pas notre seule préoccupation. Il
faut que l'homme puisse vivre dans des conditions favorables. Je ne crois pas
que vous deviez systématiser les écologiques comme des
« emmerdeurs » qui freineraient la vie en montagne. Ils
souhaitent l'améliorer et donner envie à de nouveaux habitants
d'y résider.
M. Gérard Bailly
- S'il y a du travail et le travail implique
modernisation, voiries, PME.
M. Marc Maillet
- La modernisation ne signifie pas forcément
voiries, il peut s'agir d'écoles.
M. Jean Boyer
- Mon collègue a parlé avec son coeur en
tant qu'agriculteur et montagnard. Dans mon département, la Haute-Loire,
18 cantons sont en Zone de revitalisation rurale (ZRR). L'inquiétude des
responsables agricoles n'est pas le manque de terre, mais le fait qu'ils
puissent avoir des voisins. Les agriculteurs, qui sont dans ces zones de
montagne et acceptent de rester entre 800 et 1.000 mètres d'altitude,
ont l'impression que la montagne est colonisée, car on lui amène
des prescriptions et aucune possibilité d'améliorer certaines
choses. Par exemple, obtenir une AOC en montagne est impensable. Pour la
viande, la première qui en bénéficiera sera certainement
située sur le mezin à cause d'une plante particulière qui
s'appelle la sistre, puisque l'AOC est liée au territoire. Les choses ne
sont pas si évidentes dans ces territoires et les agriculteurs sont
découragés, la morosité est forte. Le dialogue est
nécessaire pour que chacun se comprenne. Les agriculteurs aussi
désirent sauvegarder la montagne puisqu'ils y résident. Les CTE
comme Natura 2000 ont été interprétés comme des
vecteurs de contraintes supplémentaires. Mieux faire comprendre quels
sont les intérêts des dispositifs me semble indispensable.
M. Eric Feraille
- Empêcher les gens d'habiter en montagne n'est
pas notre objectif. Nous comprenons le désarroi de ces gens. Il faut le
prendre en compte, développer des activités économiques
qui leur permettent de survivre. Mais construire des usines en montagne est
illusoire à cause de l'absence de voiries. Ces questions ne vont pas
être résolues du jour au lendemain. Notre rôle est de
proposer les outils de protection de l'environnement qui sont compatibles avec
l'activité économique. Mais je n'ai rien contre l'activité
industrielle ou artisanale.
M. Jean Boyer
- La montagne, en effet, n'est pas adaptée à
des activités économiques et industrielles, mais il faut que ses
produits soient valorisés à leur juste de valeur.
M. Eric Feraille
- Nous sommes évidemment d'accord. Et votre
rôle de politique est de favoriser cela.
M. Gérard Bailly
- Je le répète, il faut qu'il y
ait d'autres forces vives en montagne car les agriculteurs s'en vont. Il faut
préserver des activités en montagne, mais j'ai l'impression que
nous ne savons pas répondre à cette question. Nous n'avons pas
suffisamment aidé les PME qui cherchent à s'installer dans des
villages de 200 habitants.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je crois qu'il nous faut conclure cette
discussion. J'espère que ce débat nous permettra de formuler des
idées qui feront avancer la démocratie locale.
35. Audition de M. Didier Borotra, sénateur, maire de Biarritz, président de l'Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques (ANMSCCT), accompagné de Mme Géraldine Leduc, directrice générale et M. Renaud Colin, chargé de mission (2 juillet 2002)
M.
Auguste Cazalet -
En tant que Président de la Mission commune
d'information sur la montagne, je suis très heureux de recevoir mon
collègue et ami Didier Borotra, sénateur maire de Biarritz et
Président de l'Association Nationale des Maires des Stations
classées Communes Touristiques (ANMSCCT). Il est accompagné de
Madame Géraldine Leduc, directrice générale de l'ANMSCCT
et de Renaud Colin, chargé de mission.
Notre collègue Jean-Paul Amoudry est rapporteur de la présente
mission commune d'information. Nous avons déjà effectué
plusieurs auditions et déplacements : nous serons d'ailleurs la
semaine prochaine dans les Pyrénées, afin de visiter en trois
jours les Pyrénées-Orientales, les Hautes-Pyrénées,
Andorre, et enfin les Pyrénées-Atlantiques.
Nous vous laissons donc la parole.
M. Didier Borotra
- Je suis tout d'abord content d'être
auditionné par la Commission Montagne, même si ma commune n'est
pas, comme chacun sait, située en altitude. Je suis ici en tant que
Président de l'ANMSCCT qui regroupe non seulement les communes du
littoral mais également les communes de montagne, les stations thermales
et les communes de tourisme intérieur. Elle regroupe au total plus de 1
200 communes et elle a fêté l'an dernier son
soixante-dixième anniversaire, ce qui en fait la plus ancienne
association de maires en France.
Je commencerai par l'essentiel : les relations entre le tourisme et les
zones de montagne. J'ai siégé longtemps au conseil
général des Pyrénées-Atlantiques,
département qui a la chance de posséder stations
balnéaires et stations de montagne, et au conseil régional
d'Aquitaine, en tant que responsable du tourisme. Dans ces deux fonctions, j'ai
souvent eu l'occasion d'entendre exprimer les espoirs que constitue le tourisme
pour le développement des zones de montagne. Je voudrais toutefois
apporter un témoignage d'optimisme très raisonné, car je
pense que beaucoup se font, à cet égard, des illusions. Nous
sommes en droit de nous interroger sur la légitimité des
investissements très lourds qui ont été
décidés, sans prendre en compte les réalités de
plus en plus contraignantes du développement touristique. Le
problème du tourisme en montagne n'est pas fondamentalement
différent de celui du tourisme en général et
particulièrement du tourisme de la zone littorale, qui concentre plus de
70 % des touristes. Mon rôle est de rappeler ces contraintes qui
éclairent les limites du développement touristique en montagne et
mettent en garde contre des illusions qui ont coûté cher à
de nombreux conseils généraux et communes.
Il convient tout d'abord de rappeler que les contraintes du
développement touristique sont celles du marché.
L'évolution actuelle du marché touristique s'articule autour
d'une logique de produits et d'une logique de destination. La tentation
naturelle est de privilégier la seconde car c'est bien connu :
« le lieu où l'on habite est le plus beau. », chacun
s'efforçant d'en convaincre l'autre. La logique de produit est
délaissée, car plus ardue et basée sur la concurrence. Des
activités touristiques ont été créées autour
de ces logiques de destination en oubliant que si les démarches
n'étaient pas compétitives, elles étaient vouées
à l'échec. Les investissements touristiques ne peuvent
générer un retour sur investissement qu'à partir de
durées d'utilisation suffisantes. Créer des stations de montagne
dans des lieux non enneigés, une année sur deux, débouche
sur des difficultés majeures et des déficits qui pèsent
sur les chances de développement de l'ensemble de la région.
J'ajoute qu'un développement touristique est impossible sans la mise en
place d'hébergements adaptés. J'y reviendrai lorsque
j'évoquerai la problématique de l'environnement et
particulièrement l'absence de projet global cohérent, auquel on
laisse se substituer une confiance excessive accordée aux investisseurs
privés. Tout cela a conduit à la destruction de certains sites et
à la présence d'hébergements fortement
dégradés qui nuisent à l'image des zones touristiques,
d'où la mise en place des ORIL (Opérations de rénovation
de l'immobilier de loisir) et du dispositif VRT (Villages résidentiels
de tourisme).
Cette contrainte du marché est la contrainte la plus lourde. Mon
expérience du tourisme me conduit à penser qu'il est dangereux de
laisser croire que le tourisme peut être développé
n'importe où et n'importe comment.
Il existe un deuxième type de contraintes, financières
celles-là. Il fut un temps où les conseils généraux
faisaient montre d'une grande générosité. Dans mon conseil
général, cette situation a perduré. Les investissements
réalisés ne généraient pas des
bénéfices suffisants pour payer les annuités des emprunts
pris en charge par les contribuables. On mesure les conséquences de
telles décisions : soit il faut appliquer aux impôts des
hausses qui auraient été inutiles dans d'autres circonstances,
soit ces ressources sont utilisées pour combler des déficits,
alors qu'elles auraient pu l'être de manière plus productive.
Le domaine du tourisme, en France du moins, se caractérise par une
organisation très partenariale, reposant sur la participation des
pouvoirs publics, en particulier des collectivités
locales (communes, départements, régions), de
l'investissement privé, qui souvent suit les efforts financiers de la
puissance publique, et du monde associatif, qui se charge en
général de la promotion et de l'animation. Cette économie
partenariale met au premier rang les financements publics, surtout en montagne
mais également dans les zones littorales.
Les ressources spécifiques dont disposent les collectivités
territoriales pour mener une vraie politique touristique sont totalement
inadaptées. Elle sont au nombre de deux : la dotation touristique
et la taxe de séjour.
La dotation touristique représente globalement environ 183 millions
d'euros, et la taxe de séjour plus de 12 millions d'euros. La dotation
touristique est verrouillée, puisqu'elle a été
intégrée à la dotation globale de fonctionnement (DGF) et
que les communes n'en bénéficiant pas avant cette
intégration ne peuvent plus y avoir droit. Cette dotation touche environ
1 600 communes, 2 300 si l'on inclut les structures intercommunales, dont
font partie certaines communes de montagne.
La taxe de séjour représente quant à elle une recette
spécifique qui aurait dû permettre de payer les charges
spécifiques au développement touristique, mais la manière
dont elle a été conçue est critiquable et sa perception
par les communes pose de redoutables difficultés. Je voudrais à
cet égard rappeler à mes collègues ici présents que
la loi Pasqua prévoyait l'obligation de déclarer les
meublés qui constituent la base nécessaire, pour s'assurer que
toutes les locations donnaient lieu aux taxes de séjour correspondantes.
La Loi Voynet a récemment supprimé cette obligation, condamnant
ainsi la taxe de séjour à n'être perçue pour
l'essentiel que sur les lits banalisés et les opérateurs
professionnels, c'est-à-dire les hôtels et les agences
immobilières. Cette insuffisance de réglementation est bien
évidemment un obstacle considérable à la politique de
développement touristique. En effet, le système mis en place ne
garantit pas de retours suffisants de recettes aux collectivités locales
pour assurer les annuités d'emprunts.
Les contraintes sont également d'ordre environnemental. Elles sont
particulièrement importantes en montagne, mais également sur le
littoral où la loi de protection est très stricte. Je suis
favorable à ces réglementations, qui sont le seul moyen
d'empêcher des dérives. Je le dis crûment : nous avons
analysé au sein de l'ANMSCCT les conséquences de la loi Littoral.
Des modifications sont sûrement à apporter à cette
dernière, mais son équilibre général doit
être maintenu. Je rappelle que le touriste, venant en montagne est
rarement motivé par un but unique. Le ski est le principal, mais ce ne
peut être la seule raison du choix d'une destination. Je crois à
l'importance de paramètres tels que l'identité des
régions, la beauté des sites et l'équilibre
écologique. La destruction des sites exceptionnels atteint en profondeur
les chances d'un développement touristique équilibré. De
ce point de vue, la réglementation au plan national est une
nécessité absolue et tous les pays qui s'en sont privés
ont détruit leurs plus beaux sites. Ceci ne signifie d'ailleurs pas
qu'ils n'y ont pas gagné des richesses temporaires. La
fréquentation des zones qui n'ont pas légiféré sur
les contraintes environnementales a toutefois fini par diminuer. Dans le
département des Pyrénées-Atlantiques, Auguste Cazalet et
moi-même connaissons les problèmes de la vallée d'Aspe ou
de la vallée d'Ossau, liés à la construction d'une route.
Je passe sur les détails, mais il est certain que des équilibres
généraux doivent être préservés. Par
conséquent l'augmentation de la capacité d'accueil ne peut
être un objectif à atteindre à n'importe quel prix.
J'ajouterais que nous vivons aussi les difficultés liées à
la directive européenne Natura 2000. Pour vous donner un exemple des
différences d'appréciation, la ville de Biarritz dont je suis le
maire a accepté le classement en Natura 2000 de certains de ses sites,
alors qu'en montagne, la plupart des communes ont refusé, craignant
qu'une mauvaise application de cette directive n'engendre l'interdiction de
toute activité. L'idée même de la directive est selon moi
bonne, mais ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas doit être
précisé, sinon il faut accepter le risque d'une levée de
boucliers des populations contre cette réglementation européenne.
Lever le flou des contraintes est une nécessité absolue,
rapidement.
Le développement touristique est inconcevable sans un projet global de
station. Le risque, sinon, est de croire que la seule vérité est
dans l'accueil d'un nombre toujours croissant de gens, donc dans le
développement du nombre de lits de la station. C'est à mon sens
une erreur lourde et une logique de laquelle il est difficile de sortir une
fois qu'elle a été choisie. Le tourisme est communément
considéré comme une solution privilégiée pour
créer de l'emploi, de l'activité et de la richesse, mais en
raison d'un déficit de moyens financiers au niveau communal - exception
faite des aides des conseils généraux et régionaux -,
l'appel aux investisseurs privés est inévitable. La pression pour
construire toujours plus est donc grandissante. Evidemment, les retours
économiques sont incontestables mais l'absence d'un projet limitant les
perspectives de développement de la station se traduit la plupart du
temps par des excès. Nous avons pu les observer davantage dans les Alpes
que dans les Pyrénées pour des raisons qui tiennent notamment
à l'enneigement, mais également à l'attachement culturel
des montagnards, à leurs sites et aux équilibres naturels. Mon
expérience me pousse à dire qu'il n'est pas de grands projets
touristiques qui ne se fixent leurs propres limites. Autrement dit, il est
préférable d'opter pour un développement
équilibré avec une capacité d'accueil
limitée : ce choix est plus durable que la dérive consistant
à augmenter d'année en année le nombre de lits, à
créer les équipements publics et donc à provoquer les
nuisances correspondantes qui finiront un jour par altérer l'image de la
destination.
La difficulté du tourisme en montagne par rapport aux stations
littorales tient à leur difficile accessibilité. L'accès
par train ou par route est chose facile sur l'ensemble du territoire mais pas
toujours dans les zones de montagne. La tentation est donc de créer
toujours plus de routes, avec les conséquences qui en résultent.
On observe depuis des années la tendance au fractionnement des vacances.
La RTT (réduction du temps de travail) n'est pas à l'origine de
ce phénomène mais le favorisera grandement. Il est
vérifié partout : la logique touristique est unique,
même si des spécificités se dégagent pour certaines
zones. Ce fractionnement des vacances joue en faveur des lieux faciles
d'accès, car un temps de parcours d'une journée pour
accéder à une station est bien trop important lorsque la
durée des vacances n'excède pas quatre ou cinq jours. Je suis
très frappé de constater les conséquences rapides de
l'ouverture d'une ligne TGV sur une destination qui dispose d'un potentiel
touristique considérable, comme Marseille. Le développement des
infrastructures de transports influence directement et sensiblement le
développement touristique : dans ma région des
Pyrénées-Atlantiques par exemple, le développement
touristique a été directement lié à la
création des liaisons aériennes. L'autoroute relie cette
région à Paris depuis de longues années, mais sept heures
sont nécessaires pour effectuer le trajet en voiture, ce qui
représentait un obstacle au tourisme de week-end ou au tourisme
fractionné.
Enfin, il n'y a pas de développement touristique sans des animations,
lorsque les stations sont fréquentées. De ce point de vue, il est
vrai que les petites communes, même si elles reçoivent de nombreux
touristes, pêchent souvent par des structures inadaptées.
L'animation touristique passe en France par le monde associatif, le
bénévolat et un professionnalisme qui n'est qu'additionnel. Le
problème est flagrant pour les petites communes. Par exemple,
Gourette-les-Eaux-Bonnes, commune d'à peine 600 ou 700 habitants,
dispose d'une capacité d'accueil de 7 ou 8 000 lits :
l'inadéquation est donc totale entre la capacité d'accueil et les
possibilités de créer des animations permanentes à
l'intérieur de la station. Les évolutions actuelles montrent que
les touristes ne sont pas motivés par des offres mono-produit,
même lorsqu'ils viennent pour faire du ski. Ils apprécient au
contraire une offre de services multiple, qui est directement liée
à l'idée qu'ils se font de leurs vacances.
Mes propos ont pour objectif d'expliquer que tout n'est pas possible en
matière de tourisme : même lorsque des investissements
immenses sont réalisés pour des remontées
mécaniques et la mise en place de structures d'hébergement, on
s'aperçoit que les durées de fréquentation sont
relativement faibles. Ces investissements, analysés du seul point de vue
de la rentabilité, s'avèrent être du gaspillage de fonds
publics, même si dans une perspective d'aménagement du territoire,
ils ne sont pas infondés. Dans les années qui viennent, ils
seront de plus en plus difficiles à assumer. Je regrette de dire devant
Auguste Cazalet que si des investissements lourds ont été
effectués dans les années 70, ils ne seraient plus possibles
aujourd'hui car les priorités sont ailleurs. Cette situation nouvelle
doit nécessairement conduire à une réflexion sur les
politiques volontaristes, consistant à créer à tout prix
le développement touristique, quel que soit le coût de l'entretien
et du renouvellement des structures. Il en résultera, certes, des
emplois, mais avec des dépenses publiques lourdes qui ne seraient en
définitive pas réellement justifiées. Pardonnez ce qui
pourrait vous sembler présomptueux, venant d'un élu d'une commune
de littoral, mais j'encourage la Commission Montagne à ne pas s'en tenir
simplement aux affirmations de réussite exprimées par les
décideurs, mais plutôt à en faire une véritable
évaluation. Des surprises sont à attendre...
Il est évident que l'image touristique des zones de montagne
françaises est assez forte dans le monde, en raison du dynamisme et de
l'organisation qui existent chez nous depuis longtemps, contrairement à
beaucoup d'autres pays. Les stations sont reconnues comme exemplaires, sans que
l'on se préoccupe de leur coût. Leur image est
indéniablement associée aux notions de sport et de santé,
très prégnantes aujourd'hui dans les motivations des touristes.
Mais une fois encore, le danger est de ne pas voir que ces motivations ne sont
plus uniformes.
J'ai le sentiment que la promotion du tourisme français à
l'étranger, et particulièrement du tourisme d'hiver, est
insuffisante. Je reviendrai sur le caractère multi-saisons du tourisme
de montagne, mais pour l'instant les sports d'hiver représentent
l'essentiel de ce tourisme. L'ouverture aux étrangers est une
nécessité, ce qui suppose une forte promotion qui n'est pas
suffisamment assumée à l'heure qu'il est. Les stations de sports
d'hiver sont dans ce domaine mieux organisées que les autres sites
touristiques. Mais les budgets de la promotion du tourisme de montagne à
l'étranger sont en cause. Maison de la France dispose de crédits
limités, même si les départements et les régions les
ont considérablement augmentés. Sa réussite tient en fait
à sa capacité à nouer des partenariats, mais les
dépenses de promotion du tourisme français à
l'étranger par rapport à nos voisins espagnols sont trois, voire
quatre fois moindres. Il n'y a pas de secret. J'ai la chance de voyager un peu
partout dans le monde et la présence à l'étranger ne va
pas de soi. Il ne faut pas penser que les Français sont les meilleurs et
les plus aimés.
Vous me dispenserez de commentaires sur la position de la France comme
première destination touristique au monde : c'est une
manière de voir les choses. Le vrai débat pour un Ministre est de
savoir si une augmentation d'un million de touristes pourra être
annoncée à la fin de l'année. Mais au niveau des
Pyrénées-Atlantiques, nous voyons passer les voyageurs allemands
ou belges se rendant en Espagne ou au Portugal : ceux-ci seront
comptabilisés comme des touristes dans notre pays ! Pourtant ils ne
s'arrêteront chez nous que sur les aires d'autoroutes, et non pas dans
nos villes. Ce n'est pas le nombre de touristes mais le chiffre d'affaires
généré par le tourisme qui compte vraiment. Et la France
est de ce point de vue largement dépassée par les USA. L'Europe
d'une manière générale perd du terrain au niveau mondial,
et la France stagne, par rapport à ses deux principaux concurrents
l'Espagne et l'Italie.
Le tourisme de sports d'hiver doit être davantage soutenu que le tourisme
littoral, compte tenu des mouvements naturels que l'on observe toute
l'année à partir des grandes destinations françaises et
particulièrement de Paris. Après avoir visité la capitale
et l'une ou l'autre grande ville, les touristes étrangers se rendent
ailleurs, là où ils sont attirés par la promotion. Celle
des stations de sports d'hiver ne se fera pas toute seule. Des progrès
ont certes été observés, mais l'heure est à la
stabilisation.
Comme mentionné plus haut, un nombre de gens, en constante progression,
partent pour quatre ou cinq jours, par périodes. Au niveau des stations
littorales, ce phénomène constitue une modification profonde des
habitudes et se traduit par la présence très importante de
touristes dans des résidences secondaires tout au long de
l'année. Il était communément admis que la période
de haute saison - juillet et août - s'étendait jusqu'à
quatre mois pour les résidences secondaires. Mais une catégorie
particulière de touristes fait son apparition. Ceux qui possèdent
une seconde résidence : ils vivent six mois dans une grande ville
et viennent régulièrement dans leur résidence secondaire,
ce qui pose le problème du développement éventuel de
telles résidences en montagne.
Je pense qu'elles représentent des opportunités très
intéressantes à condition que leur développement soit
strictement maîtrisé. Rien ne serait pire que le mitage des
montagnes par des lotissements. A cet égard, l'élaboration d'un
projet de station s'impose. Il s'agit de définir ce que l'on veut faire
de sa ville et où les constructions sont autorisées ; la
démarche imposée par les nouvelles réglementations et le
plan local d'urbanisme (P.L.U.) relèvent d'une bonne vision prospective.
Il n'en va pas ainsi pour la loi solidarité et renouvellement urbains
(SRU) : elle devra impérativement être modifiée, pas
seulement pour l'obligation des 20 % de logements sociaux qu'elle comporte,
mais également parce qu'elle est motivée par le principe de la
densification. La solution choisie devrait au contraire être la
qualité, incompatible en général avec la densification. Je
prends un exemple : lorsque vous avez déjà appliqué
la totalité du coefficient d'occupation des sols (COS) à un
terrain, vous avez la possibilité, après en avoir vendu une
partie, d'appliquer à nouveau le même COS à ce terrain
fractionné. Voilà des schémas de densification bien
adaptés à la politique d'agglomération mais qui
hélas ! sont applicables à des communes dont la
problématique est différente. Il faut mettre un terme à
ces procédures extrêmement dangereuses car un
développement touristique pérenne doit s'appuyer sur une
très grande qualité urbaine : aménagements d'espaces
publics, densité contrôlée, qualité architecturale.
Reste enfin le problème de l'activité plurisaisonnière.
Quel avenir touristique pour les communes de montagne en dehors de la saison
d'hiver ? Les communes littorales ont une certaine avance en ce domaine,
car une saison étalée sur toute l'année est, depuis
longtemps, un rêve pour tous les maires. La réussite est plus
mitigée. La capacité à mettre sur le marché des
produits répondant à l'attente d'une population très
diversifiée n'est en effet pas uniforme. Beaucoup ont, certes, des sites
ouverts à la promenade et aux sports, à une approche culturelle
spécifique, mais il reste à imaginer des produits adaptés
à la clientèle qui ne vient pas seulement rechercher un moment de
tranquillité. L'étude au cas par cas doit être la
règle. Les obstacles sont les contraintes auxquelles j'ai fait allusion
tout à l'heure : naturelles bien sûr, celles du
marché, des finances, de l'équilibre de la nature, de
l'éloignement. Vous ne les ferez jamais totalement disparaître.
Alors rien ne sert de dépenser toujours plus pour une
multi-saisonnalité un peu illusoire, des possibilités de
développement touristique existent, mais il convient de ne pas les
exagérer.
Les relations entre environnement et tourisme constituent un sujet essentiel
qui me touche également ; ces relations ne relèvent pas
d'une problématique propre aux zones de montagne. La question
aujourd'hui est la suivante : notre pays doit-il défendre sa
culture, ses sites touristiques, son équilibre ou doit-il se laisser
entraîner dans une logique de développement non
maîtrisée ? La réponse est évidente pour peu
que l'on prenne conscience du fait que les touristes eux-mêmes
accepteront de moins en moins la remise en cause des grands équilibres
naturels. Cela ne signifie pas que la montagne devra être animée
par les bergers ou par les ours ! Simplement, nous devons avoir le courage de
considérer que le développement est impossible sans une certaine
modération. L'exemple du littoral mérite d'être
médité. La destruction d'une partie des côtes espagnoles, -
notamment la Costa del Sol à Marbella -, l'acquisition de lotissements
entiers par des étrangers, les avions déchargeant leur masse de
touristes doivent servir de repoussoirs. Je vous assure que d'ici dix ans ou
vingt ans, la fréquentation de ces zones aura considérablement
fléchi, car le soleil ne sera plus une motivation suffisante : les
touristes aspireront de plus en plus à une autre qualité de vie.
Je souhaite aborder rapidement quelques sujets supplémentaires comme
l'hôtellerie, les services publics et les ressources spécifiques
liées au tourisme.
Concernant l'hôtellerie, malgré les investissements
réalisés, certains établissements ne sont plus entretenus
et la dégradation de l'image de la station suit de près celle des
bâtiments. Nous avons beaucoup travaillé au sein de l'ANMSCCT pour
la mise en place des opérations de réhabilitation de l'immobilier
de loisir (ORIL) que j'estime être une très bonne initiative,
à condition qu'elles trouvent un relais financier auprès des
régions et des départements. L'enjeu est énorme, comme le
montre l'exemple de stations thermales où le patrimoine exceptionnel se
détruit en même temps que la réputation de la station. Les
chances d'un développement de l'activité économique et
touristique disparaissent alors. Face à cet enjeu actuel, des
opérations de réhabilitation ont été mises en place
mais elles ont fonctionné quand des financements étaient
disponibles, notamment de la part de l'ANAH. L'un des défis est
aujourd'hui de savoir si l'on pourra, à l'avenir, continuer à
trouver de tels financements.
Autre sujet, les services publics. Une station touristique, même de
moyenne importance, a besoin du maintien des services publics. Voilà une
contribution que l'Etat peut apporter dans le cadre de véritables
projets de développement, conçus en partenariat avec lui, la
région et le département. Sans ces services publics minima, tout
développement d'une activité touristique devient très
difficile.
Concernant les ressources spécifiques liées au tourisme, il
convient de bien prendre conscience des dépenses spécifiques
liées à la fréquentation touristique d'une commune :
l'augmentation de la population pendant une partie de l'année
entraîne un équipement surdimensionné, par rapport à
la population permanente. Au sein de l'ANMSCCT, nous plaidons pour la
création d'une taxe spécifique levée volontairement par
les communes, ce qui avait été prévu par le code des
collectivités locales et annulé par un amendement voté par
l'Assemblée nationale. Il s'agit d'élargir ce qui existe
actuellement avec la taxe de séjour pour les hébergements ou la
taxe de remontée mécanique, à des activités
commerciales qui se limitent à la période de haute
fréquentation.
Il convient de rechercher un juste équilibre entre l'argent que gagnent
ces opérateurs publics et le retour minimum de recettes que justifient
les investissements publics. Je tiens à vous rappeler que ce type de
taxes existe déjà en Autriche ou aux Etats-Unis sous la forme de
la «
city tax
», dont les recettes, très
importantes, permettent d'établir une relation claire entre la
dépense publique et les effets économiques. Il est normal que
l'on fasse payer des taxes aux contribuables, mais il est aussi normal que l'on
fasse payer des taxes par ceux qui viennent dans les stations et profitent des
efforts publics. Cette taxe touristique était prévue par les
textes mais selon une tradition de l'administration française, elle est
restée vingt ans dans le code des collectivités locales sans
recevoir les décrets d'application correspondants, avant d'être
supprimée un jour.
On peut constater à ce niveau une carence lourde de la part des hommes
politiques. Nous avons voté les lois, c'est à nous de veiller
à ce qu'elles soient appliquées. Il nous a été
objecté pendant longtemps l'argument de l'harmonisation fiscale
européenne et autres difficultés, mais chacun sait que, lorsque
le Ministère des finances veut freiner un projet, la faute de l'Europe
est traditionnellement mise en avant, alors que ce même ministère
parvient parfaitement à s'arranger avec les réglementations
européennes lorsqu'il s'agit de ses propres revendications.
Concernant la dotation touristique, nous plaidons pour une approche plus
typologique de la répartition de la DGF qui reconnaîtrait le
caractère spécifique d'un certain nombre de communes, à
travers leurs dépenses. Ceci se fait déjà dans un autre
domaine, avec la dotation de solidarité urbaine pour les villes ayant
des quartiers en difficulté. Une réflexion est menée dans
ce sens au sein du comité des finances locales.
Je suis en outre partisan, à partir de la part forfaitaire de la DGF, de
permettre l'ouverture de la dotation touristique à de nouvelles communes
qui réalisent d'importants efforts de développement touristique,
en montagne ou ailleurs, et qui aujourd'hui ne disposent d'aucune ressource
spécifique pour accompagner ce développement.
M. Auguste Cazalet -
Nous remercions Didier Borotra de son intervention.
Avant de passer aux questions, j'aimerais lui dire que je suis
entièrement d'accord avec lui concernant la situation des
Pyrénées-Atlantiques.
Mes collègues sénateurs, Messieurs Besse et Jarlier, Madame
André, désirez-vous poser des questions ? Madame Leduc peut
également intervenir.
Mme Géraldine Leduc -
Après un exposé aussi
complet, je serai brève. J'insisterai sur les évolutions du
tourisme. Il s'agit d'une activité de plus en plus soumise à la
concurrence étrangère et nous nous rendons compte qu'un certain
nombre de Français se rendent à l'étranger durant la
saison d'hiver, préférant à la neige des destinations plus
lointaines et exotiques. Il y a, je crois, un véritable effort à
faire en matière de diversification des produits. J'ai pu le constater
la semaine dernière lors des premières rencontres du marketing
français. Les touristes sont de plus en plus demandeurs de
packaging : ils ne vont plus au sports d'hiver uniquement pour le produit
« ski » mais également pour les sports de glisse, le
parapente, la randonnée, etc. Des efforts ont été
réalisés dans ce dernier domaine avec la mise en place de
sentiers de randonnée et l'installation de bancs pour ceux qui ne skient
pas. De même, des animations ont été mises à
disposition des touristes, comme la possibilité de passer des nuits
à l'intérieur d'igloos. Ces touristes ont besoin de
« packs » de produits qui peuvent avoir une certaine
lisibilité sous la forme de cartes commerciales.
M. Roger Besse -
Je souhaite poser une question. Elu d'un
département de moyenne montagne, je m'inquiète des
investissements réalisés dans une station de ski de moyenne
altitude et en particulier après la lecture d'un article publié
ces jours-ci par l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques qui fait apparaître des changements extrêmement
rapides du climat au cours des dernières décennies. Ce climat se
traduit par un réchauffement d'environ deux degrés en cinquante
ans avec des conséquences significatives sur le niveau de la mer et le
recul du littoral, mais également, en montagne, sur le nombre de jours
d'enneigement par an, qui diminue entre trente et soixante jours. Je
m'interroge sur la pérennité de ces stations : avez-vous un
avis à ce sujet ?
M. Didier Borotra
- Je commencerai ma réponse par une petite
précision. Lorsqu'une régie exploite une remontée
mécanique en déficit et que ce déficit doit être
comblé par le Conseil général, il est soumis à la
TVA. C'est donc une subvention soumise à la TVA ! J'avais
trouvé une solution, qui nous avait d'ailleurs valu un rappel à
l'ordre strict de la part de la Chambre régionale des comptes ;
elle consistait à considérer la régie en cessation de
paiement par le jeu de la caution du Conseil général. Cette
pratique a été sanctionnée. Cela montre combien il est
anormal de devoir subventionner une régie pour payer les annuités
d'un emprunt.
En ce qui concerne votre question sur le climat, je peux vous dire que
l'érosion des falaises, due aux mouvements de la mer, est très
fluctuante. L'observation de l'érosion des falaises sur les 150
dernières années montre qu'alternent des périodes
où la mer monte et attaque les falaises, et des périodes
où le mouvement est moins sensible. Alors je ne sais pas si
l'augmentation de la température de deux degrés aura vraiment une
quelconque influence sur le développement touristique. Ce chiffre me
semble élevé et je préfère me méfier de ce
que l'on peut lire dans les journaux.
De toute façon, Monsieur le Président, il n'importe pas en
matière de tourisme de savoir si les investissements sont
pérennes parce que la durée de vie des investissements lourds en
question est sans rapport avec les conséquences réelles des
phénomènes climatiques que vous évoquez. Je veux à
nouveau insister sur le fait que le tourisme n'est plus un artisanat et que le
manque de compétitivité dans un marché croissant est
synonyme de condamnation. Aujourd'hui, au risque de vous faire sourire, un
aller-retour Paris/Biarritz en avion est plus cher que
Paris/New York : la distance n'existe donc plus. Il faut être
aussi bon et même meilleur que les autres.
Mme Michèle André -
Vous expliquiez que la France n'est
pas forcément la destination touristique que l'on imagine. Comment se
fait-il alors que le contraire soit annoncé de façon
permanente ? En tant qu'élue du Puy-de-Dôme, je peux vous
dire que le classement qui place le Puy-de-Dôme comme le douzième
site visité en France est faux. Tout le monde est aveuglé et
continue de le répéter, malgré nos rectifications.
M. Didier Borotra
- Votre question est intéressante. Tout
d'abord, la France est une extraordinaire destination touristique mais les
ministres du tourisme ont tellement peu de moyens qu'ils doivent sans cesse
revenir vers les conseils généraux et les conseils
régionaux. Ce transfert de responsabilités de l'Etat vers les
collectivités locales devenues les vrais promoteurs des projets de
stations est inquiétant. L'idée selon laquelle la France est la
première destination touristique du monde et que tout va bien avec le
système actuel dispense l'Etat d'assumer ses responsabilités.
La vérité est un peu différente : l'Europe perd du
terrain sur le marché touristique mondial et la position de la France ne
s'améliore pas en Europe. De plus, j'ai le sentiment que
l'équipement public touristique est en baisse depuis plusieurs
années. Or, ces investissements commandent directement la
compétitivité du tourisme français, pour les années
à venir. Il est probable toutefois qu'ils aient repris grâce aux
engagements des départements et des régions au travers des
Contrats de Plan Etat-Région. A cela il faut rajouter l'extrême
difficulté à mobiliser les crédits européens,
notamment à destination des zones les plus compétitives qui ont
été totalement exclues des zones d'intervention communautaire. Or
ceux-ci constituaient auparavant la participation traditionnelle de l'Etat.
M. Pierre Jarlier -
Nous avons évoqué la
compétitivité, mais nous ne pouvons dissocier la
compétitivité de la qualité en particulier en
matière d'habitats de loisir. Certaines expérimentations sont en
cours avec les ORIL. J'aurais aimé avoir votre sentiment sur ces
expérimentations qui sont inscrites dans la loi SRU : comment
percevez-vous ce type d'opération ? Peuvent-elles être
généralisées et portées par des structures
intercommunales de proximité ? Peut-on imaginer un travail en
parallèle pour les ORIL, afin d'obtenir un système plus
opérationnel pour des structures relativement lourdes ? J'aimerais,
en somme, savoir comment adapter ce dispositif qui peut être efficace
pour améliorer la qualité de l'habitat de loisir.
M. Didier Borotra
- L'ANMSCCT a participé avec l'AMSFHSE et
l'Association nationale des élus de montagne à la mise au point
de ce dispositif. D'abord, je reste persuadé qu'aujourd'hui, un certain
nombre de stations sont menacées par la dégradation de leur
immobilier et que cette réhabilitation est nécessaire au
redémarrage de l'économie touristique. Il n'est pas question
seulement d'immobilier mais plus largement d'aménagement public, ces
deux domaines nécessitant l'établissement de plans d'ensemble
afin de restaurer par exemple les centres-villes de certaines stations. Le
problème posé est celui du financement, car le niveau
d'engagement des département et régions dans cette
démarche est variable.
36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002)
M.
Auguste Cazalet -
Je vous prie de bien vouloir nous excuser pour le
léger retard que nous avons pris. Je voudrais aussi vous demander
d'excuser l'absence de Monsieur Jacques Blanc, Président de cette
Commission, et de Jean-Paul Amoudry, son rapporteur général, qui
vient d'être appelé pour assister à l'hommage rendu
à la championne de ski Régine Cavagnoud.
M. André Radier -
Je suis géomètre expert à
Montpellier et Président du Conseil supérieur de l'Ordre des
géomètres experts (OGE). J'ai été nommé par
Jacques Blanc à l'Agence méditerranéenne de
l'environnement, qui dépend directement du Conseil régional. Je
suis également Président d'AFIGéo, l'Association
française d'information géographique qui dépend de la
Commission nationale d'information géographique.
M. Pierre Bibollet -
Je suis également membre du Conseil
supérieur de l'OGE et de la Commission d'urbanisme de l'Ordre. J'exerce
à Thônes en Haute-Savoie, dans le département du
sénateur Jean-Paul Amoudry.
M. Jean Godfroid -
Préfet en service détaché, je
suis Secrétaire général de l'OGE.
M. Auguste Cazalet - V
ous avez reçu une grille de questions sur
lesquelles nous aimerions sans plus attendre connaître vos
réponses.
M. André Radier -
Vous nous avez proposé quatre questions.
Nous passerons rapidement sur les deux premières qui visaient à
présenter l'Ordre des géomètres experts.
La profession de géomètre expert remonte aussi loin que la
connaissance de la terre et l'aménagement du territoire. C'est en France
que fut créé il y a 125 ans la Fédération
internationale des géomètres experts. Elle a pour but de
définir ce qu'est la terre et d'essayer de la restituer sous toutes ses
composantes. L'OGE a été institué en 1946, et
malgré ce que peuvent croire certains, il ne doit pas sa création
au régime de Vichy. Une mission bien spécifique lui a
été confiée. Traditionnellement, le profil de
géomètre, la représentation de la terre et
l'aménagement du territoire primaient dans notre métier. Mais
depuis 1946 revient à l'OGE la mission de service public de
« dire la propriété ». Nous avons donc avant
tout, en France, la délégation de service public de la
délimitation foncière, dont nous avons le monopole. Vient ensuite
une fonction d'aménagement du territoire, vocation des
géomètres experts partout dans le monde.
Sans aller trop loin dans le passé, il faut savoir que les
géomètres experts ont été tour à tour ceux
qui ont été en charge de la cartographie de la terre, en tant
qu'officiers ministériels durant la Renaissance, pour disparaître
ensuite complètement pendant la Révolution et refaire surface
dans les années 1850 après la refonte du cadastre
décidée par Napoléon.
La profession est libérale avec des caractéristiques
connues : responsabilité, indépendance et qualité du
professionnel. Nous sommes très attachés à ces trois
critères, symboles de notre caractère libéral. L'Ordre
n'est pas un syndicat : nous sommes au service du citoyen pour la
délégation de service public. Nous sommes attentifs au travail du
législateur qui définit la nature et les fonctions de l'Ordre.
Notre Secrétaire général pourra vous donner quelques
chiffres qui vous permettront de vous faire une idée plus précise
de l'Ordre.
M. Jean Godfroid -
Vous avez devant vous un document qui vous
décrit l'organisation de l'OGE. Ce dernier s'articule autour de Conseils
régionaux, d'un Conseil supérieur et d'un Commissaire du
gouvernement.
Que représente la profession en termes économiques ?
Les géomètres experts ne sont pas très nombreux puisque
nous comptons 2 000 inscrits à l'Ordre, ce qui représente le
travail de 9 000 salariés en tout. Le chiffre d'affaires global de la
profession est de 600 millions d'euros. Ces professionnels exercent une
activité dans des domaines divers, que l'on peut regrouper sous quelques
grands chapitres :
l'aménagement, qui représente 27 % du chiffre
d'affaires des cabinets, qu'il s'agisse d'aménagement rural, urbain, ou
de travaux, puisque les géomètres experts sont également
des ingénieurs maîtres d'oeuvre ;
la topographie et l'information géographique, qui
représentent 30 % de l'activité ;
la gestion immobilière, dans ses parties expertise et
copropriété, représente 15 %, essentiellement en
Ile-de-France et dans l'Ouest de la France.
En ce qui concernent les donneurs d'ordre, critère de première
importance, plusieurs catégories se dégagent.
Les collectivités territoriales sont les principaux donneurs
d'ordre de la profession, avec 27 % des commandes passées, contre 25 %
pour les particuliers et 13 % pour l'Etat et les organismes parapublics.
Les autres professions, qui sont en quelque sorte des donneurs d'ordre
délégués à travers leurs activités comme les
notaires ou les architectes, représentent 13 % de l'activité.
Les commandes des clients privés et des aménageurs
privés s'élèvent à respectivement 12 % et 10 %
du total.
M. André Radier -
Pour définir la profession du
géomètre expert, il importe de revenir sur notre formation.
Chaque géomètre expert dispose d'une formation de sept
années après le baccalauréat : cinq années
pour obtenir un titre d'ingénieur et deux années de stage dans la
vie professionnelle qui seront ensuite validées par les Conseils
régionaux de l'Ordre. Les diplômés par le gouvernement,
reprennent tout à fait les mêmes filières.
L'OGE a défini également une obligation de qualité fournie
dans les prestations grâce à une formation continue obligatoire de
40 heures au minimum par an. Cette obligation distingue les
géomètres experts des autres professions car la formation est
essentielle dans un domaine où les évolutions sont
nombreuses : nous y reviendrons tout à l'heure quand nous
évoquerons la loi SRU.
La formation est donc d'un niveau relativement élevé et nous
avons à cet égard besoin de l'intervention politique. Nous
souhaitons en effet que la qualité caractéristique de la
profession en France résiste à l'harmonisation
européenne : elle doit se retrouver dans les autres pays
européens et ne pas subir un nivellement par le bas opéré
par la reconnaissance mutuelle des diplômes. L'Allemagne ou l'Autriche
ont le même niveau de formation et d'exigences que la France en la
matière, mais les Britanniques souhaiteraient voir leur niveau de
qualité, inférieur au nôtre, devenir le label de
reconnaissance. La délégation de service public ne peut
être attribuée qu'à des professionnels très
compétents. Le législateur doit être ferme sur ce risque
d'alignement par le bas. Le message est passé.
Si vous souhaitez avoir des éclaircissements sur l'OGE et l'organisation
de la profession, nous pourrons y revenir, mais nous allons pour le moment
poursuivre avec les deux autres questions, les plus importantes, qui
concernaient les niveaux d'intervention des géomètres experts et
les enjeux d'une réforme du droit de l'urbanisme en zone de montagne.
Comme vous l'avez compris dans la présentation de la profession de
géomètre expert, nous sommes constitués de petites
structures présentes sur l'ensemble du territoire et sommes donc
très sensibles aux problèmes d'aménagement du territoire.
Nous exerçons dans l'urbanisme rédactionnel, mais aussi et
surtout dans ce que j'appellerais « l'urbanisme
opérationnel » : nous intervenons pour toutes les
constructions dans le détachement de la propriété
foncière. Nous accompagnons de près les collectivités
locales, essentiellement celle de petite et moyenne taille, qui comptent
jusqu'à 15 00 habitants. En effet, les maires de ces communes n'ont pas
à leur disposition de services techniques développés et
doivent donc faire appel aux professionnels qui exercent à
proximité : géomètres experts, ingénieurs ou
architectes. L'urbanisme de proximité constitue donc l'un de nos
domaines de prédilection : la connaissance de la topographie du
terrain et des relations humaines au sein de ces communes nous permettent
d'exercer de façon plus humaine.
Nous adaptons également qualitativement des lois, telles la loi SRU, qui
ont été établies grâce à des modèles
numériques et des projections quantitatives. Elles oublient la
réalité du terrain et les spécificités de chaque
périmètre d'agglomération. Aucune attention n'a
été donnée aux périmètres et à leur
pertinence actuelle et réelle. L'une des qualités du
géomètre expert est cette proximité avec les
décisions quotidiennes de la commune, en particulier dans le cadre de
l'opérationnel urbain, des ZAC, des abords de ville et de l'urbanisme
rural. Preuve de cette spécificité, la loi oblige à faire
appel à nous pour les opérations de remembrement et
d'aménagement rural.
J'aimerais à ce sujet répondre à certaines critiques
adressées à tort aux géomètres experts.
Actuellement, la notion de lotissement est souvent
décriée et les géomètres experts sont la cible
de ces critiques. Ils n'ont pourtant fait qu'appliquer des règles
d'urbanisme rigides et mauvaises. Le travail à faire en commun est
important pour améliorer l'application de certaines lois votées
quelque peu hâtivement. Certains aménagements conçus
dès le départ selon une approche globale de l'urbanisation d'une
commune sont, il est vrai, dénués de toute échelle
humaine. Mais les lotissements réussissent l'intégration de leurs
habitants à la vie collective de la cité, pour peu que leur
réalisation soit entourée d'efforts pour comprendre ces habitants
et leurs préoccupations. En ce qui concerne les lotissements dortoirs
à la périphérie des grandes villes, les documents
d'urbanisme en amont sont à revoir, plus que le principe du lotissement
lui-même. Il est également bon de garder à l'esprit que
l'opération d'aménagement d'un département ne sera pas
identique en région parisienne et dans le Languedoc-Roussillon : un
schéma uniforme s'appliquant sur tout le territoire n'existe pas. Il
faut là encore y réfléchir ensemble. Nous sommes
prêts à avoir une telle approche avec les parlementaires ici
présents.
M. Pierre Bibollet -
En ce qui concerne la loi Montagne, je voudrais
simplement, sans entrer dans les détails, me concentrer sur les points
prééminents des enjeux d'éventuelles modifications du Code
de l'urbanisme.
Le premier est l'article L.145-3 du Code de l'urbanisme, règle dite de
constructibilité limitée. Deux constats s'imposent.
L'empilement des textes aboutit à des contradictions dans l'application
des lois sur le terrain. La loi Montagne, par exemple, prône le
rapprochement et le regroupement des bâtiments, alors que la loi
d'orientation agricole demande au contraire leur éloignement pour
libérer de l'espace pour les exploitations agricoles. La loi SRU et la
loi Montagne divergent également sur l'entrée en application de
la PVNR. La PVNR voudrait que les frais de viabilisation des terrains soient
répartis sur des bandes de 80 mètres de part et d'autres des
viabilités existantes. Or la jurisprudence considère une route
comme une rupture d'urbanisation dans les hameaux. Cela nous empêche de
répartir ces frais sur la globalité de la zone, ce qui revient
à mettre les aménagements en partie à la charge de la
commune.
La jurisprudence qui découle de cet article est très restrictive.
Elle part de cas très particuliers pour opérer des
généralisation abusives. Les services de contrôle de
légalité en particulier s'y fient de manière excessive.
J'ai ainsi vu récemment dans une commune un préfet utilisant
cette jurisprudence pour refuser des petites extensions de hameaux existants,
ce sous prétexte que la vallée présentait suffisamment de
capacités d'accueil.
Comment améliorer la situation pour permettre à ces communes de
faire vivre ces petits hameaux sans tomber sous le couperet strict de
l'application de cet article ? Plusieurs solutions sont envisageables.
Je viens de vivre la révision de deux POS dans des communes de montagne.
La loi SRU met en valeur de véritables projets d'aménagement et
de développement durable qui prendraient en compte l'ensemble des
préoccupations paysagères, agricoles, et environnementales
(sauvegarde des espaces naturels, plans de prévention des risques,
etc.). On s'aperçoit alors que certains lieux offrent la
possibilité de créer des hameaux nouveaux sans remettre en cause
l'équilibre de la nature. Mais l'article précité nous
l'interdit. Nous sommes alors en droit de nous interroger sur
l'intérêt des études d'aménagement et de
développement durable si un tel article empêche leurs conclusions
d'être concrétisées. N'y aurait-il pas lieu de
considérer que cet article de constructibilité limitée
n'est pas applicable quand l'élaboration de documents d'urbanisme
s'appuie sur un véritable projet de développement durable ?
Si néanmoins cet article devait perdurer, il devrait être
assoupli, notamment sur le point des ruptures d'urbanisation. Pourquoi une
route ou un ruisseau constitueraient-ils une telle rupture dans tous les
cas ? De même, la définition du hameau implique la fixation d'un
seuil en nombre de bâtiments, et la proposition du professeur Servain
pourrait être utilement reprise à condition de bien définir
les critères retenus. Ceci permettrait de mieux cerner ce qu'est un
hameau et d'éviter une jurisprudence trop stricte qui pourrait conduire
à un blocage généralisé du développement de
ces hameaux de montagne.
La conservation des espaces agricoles et leur préservation de
l'urbanisation sont d'importance en zone de montagne, mais ils sont
gagnés d'année en année par les friches et la forêt.
Ne serait-il pas possible de prendre des dispositions pour aider à
l'entretien de cet espace agricole ? Une disposition d'aides aux
agriculteurs ou aux collectivités pourrait peut-être les aider
à entretenir ces espaces. Nous avons l'occasion dans nos
activités d'urbanisme de superposer les plans cadastraux des cultures
existant il y a vingt ou trente ans avec des photos aériennes : la
rapidité de progression de ces friches est impressionnante.
Deuxièmement, nous ressentons constamment une forte pression
foncière et une population aisée recherche aujourd'hui ces
propriétés agricoles, prête à en proposer des prix
exorbitants. Cela concourt à la disparition de l'espace agricole. La
règle de constructibilité limitée vise à
préserver cet espace agricole mais on le laisse d'un autre
côté disparaître du fait de ces rachats fonciers. La
création d'un conservatoire de la montagne pourrait aider les
collectivités à acquérir ces propriétés pour
préserver leur caractère agricole, et empêcher qu'elles ne
deviennent des résidences secondaires, parfois de touristes
étrangers.
Nous pourrions également faire des propositions sur les ORIL : cet
outil pourrait peut-être être utilisé pour procéder
au logement des pluriactifs qui, du fait de la pression foncière ,
commencent à avoir du mal à se loger sur leur territoire.
M. Pierre Jarlier -
Monsieur le Président, j'aimerais apporter un
éclairage sur votre propos liminaire concernant le problème de la
contradiction des textes. Vous expliquiez que la législation voudrait
à la fois recentrer et écarter les constructions agricoles dans
deux différentes lois. Je crois justement que la loi SRU a
apporté une réponse à cette question, puisqu'elle a enfin
autorisée - sous réserve de certaines précautions et
notamment de la consultation de la Chambre d'agriculture - la dérogation
aux distances obligatoires entre les bâtiments agricoles et les
bâtiments d'habitation.
Vous avez abordé le problème de la constructibilité
limitée, qui est au coeur de nos préoccupations à chacune
de nos auditions. Nous nous sommes attachés - en particulier
vis-à-vis du rapporteur de la loi SRU Noël Tapet - à trouver
des adaptations à ce dispositif, qui est à la fois contraignant
et gage d'une certaine protection. Cet article existe car le passé
fournit de nombreux exemples d'excès et la situation exigeait que l'on
mette un frein à une urbanisation sauvage, surtout dans les secteurs
soumis à une forte pression foncière. Malheureusement, la moyenne
montagne en souffre car la pression foncière y est inexistante.
L'arrivée d'un habitant ou d'un agriculteur nouveau dans une commune en
pleine désertification est une chance et il est vrai que ce dispositif
extrêmement restrictif empêche de répondre favorablement
à ces nouvelles installations. Nous avions donc trouvé des
solutions quelque peu dérogatoires, qui ont réglé le
problème dans les zones rurales où l'on peut désormais
déroger à la règle de constructibilité
limitée sous réserve de l'intérêt du projet et de
l'accord du conseil municipal. En revanche, pour ce qui est des zones de
montagne, la loi Montagne prime sur ce nouveau dispositif, ce qui nous
ramène au début de notre problème. Comment va-t-on
pouvoir, dans les propositions que nous allons faire, retrouver un angle qui
autoriserait une souplesse d'adaptation - rendue nécessaire par la
diversité des reliefs, des paysages, des configurations des hameaux -
au-delà de ce qui existe déjà, puisque peu de communes ont
recours à des cartes communales comme outils d'urbanisme ? Vous
avez proposé que l'on trouve ces adaptations dans les documents
d'urbanisme.
Voilà un vrai débat, évoqué déjà
plusieurs fois au sein de nos commissions. Je dois vous avouer que nous aurons
du mal à faire passer ces modifications uniquement par le document
d'urbanisme. Il existe en fait une autre ouverture présente dans la loi
SRU, qui semble intéressante : la prescription de massifs. Je
crois que l'on ne raisonne pas dans les Pyrénées comme dans le
Massif Central ou dans les Alpes. Ce dispositif offre peut-être le moyen
d'acquérir une crédibilité auprès des protecteurs
de la montagne permettant de mener une réflexion à
l'échelle d'un massif. Les comités de massif peuvent avoir
à jouer un rôle important pour appuyer ce dispositif. Une fois que
la prescription de massif est définie, c'est le document d'urbanisme qui
peut nous permettre d'appliquer l'adaptation - il est préférable
de parler d' « adaptation » car l'usage du terme
« dérogation » soulèverait trop de
réticences. C'est ainsi que nous sommes parvenus à faire
réhabiliter les bâtiments anciens. Je voudrais avoir votre
sentiment sur la prescription de massif qui semblait être une bonne
orientation dans la loi SRU.
M. Pierre Bibollet -
J'avais aussi pensé aux SCOT.
M. Pierre Jarlier -
La prescription de massif pourrait évidemment
se décliner à l'échelle d'un SCOT.
M. Pierre Bibollet -
Ces prescriptions permettraient en effet de
s'adapter aux spécificités de chaque région, car l'habitat
dispersé ou le mitage par exemple ne sont pas les mêmes d'un
endroit à l'autre. La définition de hameau serait affinée
selon le type de région ou de massif, et les caractéristiques
ainsi définies retranscrites au niveau des SCOT. L'identification de ces
zones de hameaux serait ensuite retranscrite dans les POS. Je suis donc
partisan de décliner SCOT et POS à partir des prescriptions de
massif, pour, d'un contexte général, arriver à des
finesses dans le plan local d'urbanisme. Il s'agit là d'une
possibilité.
M. Gérard Bailly -
Concernant la loi Montagne, le problème
d'urbanisme autour des lacs pose de réels problèmes puisqu'il est
impossible de construire dans la zone des 300 mètres environnants. Or
lorsqu'il s'agit d'un lac encaissé, les constructions respectant ces
limites sont plus visibles et gênantes que celles situées à
proximité du lac, ce qui plaiderait pour une révision de la
législation dans ce domaine.
De plus, j'ai apprécié vos propos sur la nécessité
de faire vivre les petits bourgs en ajoutant des constructions
supplémentaires, et en même temps en apportant des restrictions
qui empêcheraient certains de vendre ces terres très cher dans des
buts d'urbanisation. Je crois tout de même que l'objectif dans ces petits
hameaux est le développement et la lutte contre la
désertification. Il faut non seulement pousser les gens à
s'installer dans les lotissements mais aussi mieux les répartir dans les
hameaux pour y maintenir de la vie.
M. Pierre Bibollet -
Il est certain que les hameaux doivent pouvoir
vivre et s'étendre surtout lorsqu'il n'existe aucun enjeu agricole ou
naturel. Certains hameaux pourraient très bien être étendus
sans remettre en cause un équilibre naturel. Par contre, lorsque j'ai
évoqué la vente à des prix très
élevés de certains espaces agricoles, c'était pour la
défense de leur usage agricole, préférable à leur
transformation en résidence secondaire. Je ne faisais pas allusion
à la construction sur ces terrains, mais à leur
préservation pour qu'ils soient remis à disposition des
agriculteurs.
Par ailleurs, l'opposition entre l'extension des hameaux et le regroupement
dans les vallées est source d'incohérence : d'un
côté on nous interdit de construire autour des hameaux sur des
terrains ne présentant pourtant aucun enjeu agricole et, de l'autre,
lorsqu'un bourg existe dans la vallée, on nous demande de construire
autour de ce bourg, même s'il est entouré de très beaux
terrains agricoles. Un équilibre doit être trouvé
grâce à l'adaptation de l'article de constructibilité
limitée.
Quant à la règle des 300 mètres, je rappellerais que nous
sommes confrontés au même problème avec l'amendement Dupont
en zones de montagne qui prévoit qu'aucune largeur de terrain ne soit
disponible à la construction en cas de cumul des risques en fond de
vallée. Une règle de 300 mètres figés autour des
lacs n'a vraiment aucun sens : selon la topographie des lieux, 50
mètres suffisent parfois.
M. André Radier -
Nous en revenons toujours au même
débat, c'est-à-dire la définition de règles
générales en gardant à l'esprit la dimension humaine et la
spécificité de chaque territoire auquel elles doivent
s'appliquer. Une loi qui entre dans le détail se heurte
nécessairement à la diversité de la France et des
Français. C'est aussi en raison de ces réglementations que la
profession de géomètre expert est en train de devenir de plus en
plus urbaine, délaissant les territoires ruraux où les
règles sont inadaptées. On ne peut appliquer une loi de la
même façon en Ardèche, où les bourgs sont
traditionnellement disséminés et mitent de façon
harmonieuse le territoire, et dans des lieux où les points d'eaux
constituaient des pôles de rassemblement autour de gros bourgs. Une
loi-cadre nationale doit descendre par palier dans les particularités du
cadre territorial, qui possède ses propres enjeux.
M. Pierre Jarlier -
Ces territoires spécifiques doivent d'autant
plus être pris en compte en montagne que ces zones sont soumises aux
contraintes de la loi Montagne, mais aussi de la loi Littoral si la zone
comporte des lacs. Cumuler ces deux contraintes, c'est être
condamné à l'immobilisme. D'où la nécessité
de ces adaptations, pour sortir de situations totalement bloquées et
agir sur des territoires porteurs de développement qui, s'ils doivent
être protégés, n'en doivent pas moins être
valorisés. Cela passera bien par un document d'urbanisme, soit à
l'échelle du SCOT comme vous le mentionniez, soit par la prescription de
massif.
Je voudrais vous poser une question sur un sujet qui n'a pas été
abordé jusque-là mais qui doit faire partie de votre
métier de géomètre expert : le problème des
biens de section. Comment le vivez-vous sur le terrain ? Nous sommes
pour notre part très concernés dans le Massif Central.
M. André Radier -
Nous ne rencontrons pas de problèmes
particuliers à cet égard, tout du moins pas dans la région
où j'exerce.
M. Pierre Jarlier -
Est-ce que des difficultés
particulières dues à l'évolution des
propriétés remontent vers vous à partir des
adhérents de l'OGE répartis dans toute la France ?
M. André Radier -
Nous venons de sortir d'un congrès qui
s'est déroulé à Lyon et dont le thème était
« Dire la propriété ». Notre prochain
congrès qui se tiendra à Lille dans deux ans portera sur la
propriété publique. Vous voyez donc que nous abordons tout
à fait les problématiques que vous soulevez.
Le drame de la propriété aujourd'hui en France, c'est la nature
du cadastre, qui date de Napoléon et reste essentiellement fiscal, sans
vraiment chercher à définir les propriétaires des
terrains, les règles applicables à l'ensemble de ces territoires,
propriétés privées ou collectives, et l'usage de ces
propriétés. La profession s'est penchée sur ces sujets,
qui constituent le coeur d'une réflexion dépassant de beaucoup le
cadre national. En effet, le problème se pose avec une grande
acuité dans les PECO qui ont demandé leur adhésion
à l'Union Européenne, car aucune économie ne peut se
développer sans disposer au préalable d'un état
précis de la propriété.
Vous mentionnez l'impossibilité d'agir, de construire et de travailler
dans certaines zones où les lois Montagne et Littoral se combinent pour
étouffer toute activité. A ce sujet, j'estime que les
géomètres experts ont pour rôle de préserver dans
ces régions l'activité humaine et la présence de
populations. Les priorités ne doivent pas être perdues de
vue : aujourd'hui le souci de la préservation de la nature aboutit
à ne plus maintenir la présence et le travail de l'homme sur ces
espaces. Cette dérive qui vide de leur substance ces territoires, qui
ont été faits par l'homme et non par la nature, contrairement aux
clichés ressassés continuellement. N'oubliez pas ce point
important. Vous êtes le législateur. La loi SRU est en train de
générer de l'urbanisation de concentration, en vidant certaines
zones au lieu de procéder à une répartition harmonieuse
des populations. Toutes nos lois devraient être bâties avec ce
souci premier de l'homme.
M. Auguste Cazalet -
Je vous remercie, plus particulièrement
encore pour ces dernières paroles. Vous avez raison de donner la
priorité à l'homme.
37. Audition de M. Michel Teyssedou, ancien président de la chambre d'agriculture du Cantal (2 juillet 2002)
M.
Auguste Cazalet -
Nous avons à présent le plaisir
d'accueillir Michel Teyssedou, ancien président de la Chambre
d'Agriculture du Cantal. Il a également eu d'autres fonctions
importantes comme celles de président du CNJA ou de Secrétaire
Général de la FNSEA. Il fait partie de ces grands hommes du
Cantal, dont nous avons deux autres exemplaires autour de cette table, avec
Messieurs Jarlier et Besse. Monsieur Jean-Paul Amoudry vient de nous rejoindre.
Je laisse la parole à Monsieur Teyssedou.
M. Michel Teyssedou -
Merci beaucoup Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le rapporteur général, Mesdames et Messieurs. Je vous
prie tout d'abord de m'excuser de n'avoir pu répondre à votre
première invitation le 22 mai 2002, date à laquelle
j'étais retenu sur mon exploitation. Je suis très sensible au
fait que vous ayez renouvelé cette invitation pour que je puisse
participer au travail important que vous avez engagé sur l'avenir de la
politique des territoires de montagne. Je n'aurai pas la prétention de
répondre très précisément à toutes vos
questions mais j'aimerais vous faire part de ma réflexion, qui est celle
de l'agriculteur en exercice et du responsable agricole.
En ce qui concerne le bilan du volet agricole de la loi Montagne, je voudrais,
au premier titre, rappeler les lois élémentaires de la physique.
La loi de la pesanteur nous enseigne qu'en montagne, tout va vers la
plaine : l'eau, les activités, les hommes, les aides, les
politiques ! Ces lois sont incontournables.
Il convient de reconnaître que le bilan de la loi Montagne n'est pas
extrêmement positif. Les points les plus intéressants
préexistaient à la loi Montagne de 1985. Je fais
référence aux revendications satisfaites de la profession et
notamment celles d'un grand défenseur de la montagne, Michel Debattisse,
qui a pu inventer avec les pouvoirs publics de l'époque un outil
précieux : l'ISM (indemnité spéciale de montagne) ou,
plus récemment, l'ICHN (indemnité compensatoire des handicaps
naturels). Je voudrais insister sur la philosophie qui présida à
la création de cet outil. Les créateurs de l'époque
avaient trouvé un compromis idéal entre l'homme, le produit et le
territoire. En effet, c'était l'animal qui bénéficiait
d'une aide financière dont l'objectif était de corriger un
handicap naturel, dans une logique de rétablissement d'une certaine
égalité des chances économiques. Mais il fallait pouvoir
identifier sa vie d'animal à l'utilisation d'un espace
déterminé, l'hectare, pour que l'animal reçoive cette
aide. Ainsi, lorsque les deux critères étaient croisés -
l'animal et l'hectare - on remplissait parfaitement l'objectif : avoir une
profession qui conserve une fonction économique à partir d'une
activité de production agricole sur un territoire
déterminé et vivant.
Ce point fondamental me permet de répondre à la deuxième
question portant sur la réforme de l'ICHN. Les environnementalistes
européens ont convaincu les Etats, et en l'occurrence le
ministère des finances, que le seul critère
d'éligibilité valable devait être l'hectare. C'est avec
beaucoup d'efforts que le ministère de l'agriculture a bien voulu
prendre en compte des pratiques d'utilisation de l'espace où les niveaux
de chargements sont très différents, permettant ainsi que
subsiste une activité de production et d'élevage. Il faut prendre
en compte les externalités positives sur l'environnement des pratiques
qui prolongent une activité de production à vocation
économique : un animal qui tond la piste évitera l'avalanche, par
exemple. Si la vocation économique est absente, l'intérêt
à produire l'est également. Sans cet intérêt, il
sera impossible d'assurer une relève dans la profession, une fois la
génération actuelle de producteurs menée au bout de son
activité professionnelle par un système d'assistanat. La loi sur
la réduction du temps de travail (RTT) a d'ailleurs des effets
psychologiques considérables sur les fils d'agriculteurs : les
convictions professionnelles, gravement touchées, sont difficiles
à transmettre dans un contexte sociétal nouveau où le
travail n'est plus une valeur. Ces dernières évolutions ont
cassé l'enthousiasme de certains jeunes agriculteurs témoins des
avantages que procure un travail de 35 heures hebdomadaire dans l'industrie ou
les services. Si l'on ne veut pas voir le métier être
délaissé, les logiques d'assistanat doivent être
compensées par des perspectives économiques, tout comme les
évolutions sociétales qui rendent par comparaison le cadre
professionnel des agriculteurs plus dur et contraignant. L'enjeu est
d'importance, car les territoires ruraux péricliteront si la
relève n'est pas assurée par de jeunes agriculteurs. Je vous
renvoie à la déclaration de Georges Pompidou qui, en visite
à Saint-Flour, avait reconnu que même si la France décidait
de payer des fonctionnaires pour aménager le territoire, elle n'en
aurait ni les moyens ni la capacité. L'aménagement du territoire
est en effet une conséquence induite d'une activité de production
agricole à vocation économique.
Quant à la nouvelle échelle des revendications des agriculteurs
de montagne, si l'on veut agir au profit du territoire et de l'agriculture de
montagne, il faut non pas chercher des solutions entre nous, mais plutôt
livrer le combat dans la plaine à Paris et à Bruxelles. Ce qui
signifie que les aboutissements des négociations de l'OMC ou du sommet
sur l'agriculture de Berlin en 2003 concernent aussi la montagne. Un
simple exemple : si les quotas laitiers disparaissent, les montagnards ne
produiront plus de lait ; si la production de viande bovine n'est pas
maîtrisée, le troupeau allaitant sera laminé par des
productions industrielles hors sol rendues possibles par la baisse du prix,
mais sévèrement concurrencées par les viandes blanches
(poulet, porc, dinde). Vous devez savoir qu'un mètre carré de
poulailler de dinde produit 120 kilogrammes de viande par an, contre 180
kilogrammes seulement sur 10 000 mètres carrés (soit 1 hectare)
dans le Massif Central. En Australie, ce chiffre serait de 20 kg, ce qui
permet aux Australiens d'avoir des exploitations de 400 000 hectares, soit la
totalité de la SAU du département du Cantal. De la même
façon qu'il est possible de déplacer des bateaux entiers de
céréales pour produire notre volaille au Brésil en mettant
en faillite l'agriculture bretonne, il sera demain possible de ruiner notre
troupeau allaitant pour peu que l'on sorte du système de quotas laitiers
qui maintient le prix du lait à un niveau acceptable. Il est donc
certain que les enjeux politiques de l'économie agricole ne se situent
pas toujours en montagne, mais surtout dans la plaine.
Le Contrat territorial d'exploitation appelle plusieurs critiques. J'approuve
l'idée de contrat avec l'agriculteur, mais sa mise en place dans notre
seul pays constitue une erreur politique majeure car la non-communautarisation
des moyens budgétaires liés à ce dispositif crée
une distorsion de concurrence en notre défaveur et anticipe les risques
de renationalisation de la PAC. Dans cette perspective, la France, qui
reçoit en aides plus de 30 % de sa contribution de base, aurait beaucoup
à perdre.
Le CTE comporte un volet économique insuffisant par rapport aux enjeux,
et notamment par rapport aux investissements devant être
réalisés sur les bâtiments, sur la mécanisation, sur
la sécurité sanitaire et sur les filières que je
qualifierais de plus « humaines ». Entendez par là
la matière grise, la capacité de recherche et
développement autour de stratégies de produits finis et de
filières structurées. Le CTE est en relatif décalage par
rapport au vrai défi à venir : le développement d'une
économie de la différenciation. Elle seule nous permettra de nous
soustraire à la forte concurrence du marché des matières
premières, au profit d'une logique de produits
différenciés, non par la qualité sanitaire de base mais
par la nature du produit (qualités organoleptiques), cette
dernière étant protégée par des signes officiels de
qualité.
Je ne parle pas du décret « Provenance Montagne »
qui n'est pas un signe officiel de qualité mais de vraies garanties
d'origine. Pour nous, producteurs de montagne, dégager des revenus
à partir de la valeur de nos produits passera par une organisation
collective de filières. Elles définiront des produits se
distinguant, grâce à des moyens budgétaires
d'accompagnement, des protections juridiques officielles, et grâce
à la mobilisation de matière grise pour bâtir des
stratégies commerciales.
L'acte rémunérateur est l'acte de commerce et non plus la
production elle-même. La politique agricole est conçue selon des
bases vieilles de quarante ans, quand l'économie était une
économie de production et non de consommation, comme c'est le cas depuis
plus de dix ans. Ce changement doit induire des réflexes nouveaux :
la production doit se tourner vers le client-consommateur, qui est capable de
son plein gré de payer un prix supérieur pour un produit qui,
à la fonction nutritionnelle, ajoutera la fonction de plaisir, de
rêve, de goût, d'attachement. Ces réflexes accroîtront
la valeur de l'acte de production et de l'ensemble de l'économie du
territoire de montagne.
Je ne veux pas développer davantage mon raisonnement, car
l'intérêt est d'écouter vos réactions à mes
propos. Je retiendrais simplement quelques éléments essentiels
concernant
l'importance des facteurs immatériels.
Nous souffrons d'un manque de matière grise. Face à des
propositions de travail dans le secteur agricole, les réactions des
étudiants des écoles d'ingénieurs sont à cet
égard édifiantes : ils n'y avaient pas pensé, ils n'y
croient pas, et finalement ils n'ont pas envie de nous rejoindre. Pourtant,
avec un peu d'explications, des chantiers fantastiques leur
apparaîtraient. Il faudrait par exemple présenter dans les
lycées et écoles d'ingénieurs l'enjeu à
venir : monétariser l'immatérialité des produits de
qualité de montagne, qui peut être passionnant pour beaucoup.
Nos besoins sont importants afin d'investir en matière de
recherche-développement. Les produits de grande consommation de demain
restent à créer.
Enfin, prenons garde à l'instrument unique d'application des
orientations politiques. En clair, la mise en oeuvre en montagne du principe de
subsidiarité est urgente : l'échelon le plus pertinent -
souvent le plus local - réalise la meilleure appréciation des
spécificités du territoire, et parvient donc mieux à
mettre en oeuvre les décisions politiques.
La politique agricole de montagne, par ses capacités d'innovation, a
souvent été un laboratoire expérimental de l'ensemble des
politiques agricoles française et communautaire. Elle peut aujourd'hui
le redevenir, au vu des défis que la politique agricole communautaire va
devoir relever dans le cadre des négociations de l'OMC, de
l'élargissement aux PECO, et d'une limitation de ses moyens
d'intervention (la Ligne Directrice Agricole est en effet limitée). La
LDA devra en outre financer l'élargissement aux PECO : on comprend
ainsi la nécessité de redéployer les orientations. Les
montagnards pourraient à mon sens mettre en oeuvre des politiques que la
plaine reprendrait. Nous aurions ainsi reconquis initiative et autorité.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteurt -
Puisque je suis de retour, je
reprends mon rôle de président de cette mission et vous remercie
de cet exposé brillant et clair sur la plupart des sujets que nous vous
avions soumis. La liste des questions auxquelles nous sommes
particulièrement attentifs n'était qu'indicative et vous avez
bien fait de prendre toute latitude pour exprimer un message
complémentaire. Mes amis du Cantal ainsi que notre collègue
sénateur du Jura Gérard Bailly auront certainement des questions
à vous poser. Je me permets quant à moi de vous orienter sur le
problème foncier : quelle est votre vision du foncier, sous le
double angle de la structuration et de la transmission des exploitations
agricoles en zones de montagne ?
M. Michel Teyssedou -
Les problématiques sont évidemment
différentes selon que le foncier est en situation de déprise ou
de pression concurrentielle. Dans le premier cas, les réflexes naturels
se résument à l'agrandissement et à l'abandon. Ils ne
mènent cependant à rien, car ce n'est pas en multipliant une
marge négative à l'hectare que l'on fait naître des
revenus, bien au contraire. Le premier réflexe est un réflexe de
gestion de marge. Le monde agricole est victime de son succès et de sa
promptitude à répondre positivement à la mission que le
pays lui a confiée dans les année soixante : l'agriculture devait
alors devenir un atout économique et politique majeur. Les logiques de
développement quantitatif ont été parfaitement comprises
et mises en place par les agriculteurs, au point parfois de dégrader
l'environnement.
Mais l'heure est aujourd'hui à une politique de marges, ce qui fait de
la course au foncier une double hérésie : une
hérésie humaine, car vous construisez votre avenir sur la mort de
votre voisin, et une hérésie économique. Il faut
définir le seuil économique des superficies qui permettront de
dégager des revenus que nous estimons sans pudeur devoir être d'au
moins 15 000 euros par actif. Autrement, celui-ci perdrait toute
attractivité. Ces seuils doivent être appréciés
à l'échelon local, en fonction des productions et non
fixés depuis Paris à 50 hectares par produit dans le Cantal,
à 40 hectares dans les Pyrénées, etc. S'il s'agit de
productions traditionnelles d'élevage, 50 hectares sont largement
insuffisants et le seuil doit être d'au moins 80 hectares. Bien
sûr, le prix en sera au passage la disparition de la moitié des
exploitations, des écoles, des équipes de football, etc. Tout est
une question d'appréciation fine des situations locales en partant du
revenu. La question principale est : « quel revenu doit être
assuré pour que la profession soit attractive ? » En
fonction des productions présentes sur les territoires
étudiés, les revenus peuvent varier.
Cela dit, nous n'avons absolument aucune chance de résister sur le
marché globalisé des matières premières, comme le
montre l'exemple australien que j'ai pris précédemment. Il faut
au contraire rapidement mettre en place des filières collectives et
casser une législation française dévastatrice pour
l'économie montagnarde car appliquant à la lettre l'ordonnance de
1986. Si l'offre agricole n'est pas concentrée, ou si deux entreprises
transformant un même produit agricole organisent un cartel de ventes pour
faire face à la concentration de la grande distribution, jamais elles ne
pourront générer la valeur ajoutée dont les producteurs
ont besoin, parce qu'ils ont des coûts de revient bien supérieurs
au marché.
Comment fonctionne l'économie générale de l'agriculture
à l'échelle européenne et mondiale ? On demande aux
agriculteurs de produire à des prix de marché inférieurs
aux prix de revient ; ils produisent donc à perte et
reçoivent alors des aides, dont la diminution graduelle est
déjà prévue. Parce qu'en montagne sont perçues
moins d'aides que dans les exploitations des plaines, et que subsistent encore
la lucidité et le bon sens des gagne-petit, nous voulons nous
débarrasser de ces aides. Plus exactement, nous voudrions utiliser ces
aides pour pouvoir nous en passer.
Lors de ma participation en 1984 au Congrès des Jeunes Agriculteurs
à Ouagadougou, au Burkina Faso - l'un des dix pays les plus pauvres du
monde - la banderole de la tribune proclamait : « L'aide doit
assassiner l'aide ». Cette phrase continue à me
marquer. Nous devons nous aussi comprendre ce message ; sinon
l'agriculture est condamnée. Le système d'aides est devenue sa
drogue. Je vous propose d'utiliser cette drogue positivement pour créer
les conditions économiques qui permettront de s'en libérer. A ce
titre, un cadre expérimental pourrait autoriser des dérogations
à l'ordonnance de 1986.
Pour parler franchement, trente opérateurs se partagent le marché
du Cantal et ils sont incapables de trouver un accord face à la grande
distribution. Parce qu'ils ont choisi une stratégie de volume et non de
marges, ils baissent les prix pour gagner cinq points de parts de
marché, mais après avoir perdu en marge nette sur le nouveau
volume obtenu, ils opèrent un virement et optent pour une hausse des
prix qui leur fait perdre ces parts de marché. Ce
phénomène de « yo-yo » est dévastateur
et quand les hommes manquent d'intelligence collective, c'est au politique
d'intervenir et de modifier les règles, sachant que notre tentative
d'organisation de l'offre a été condamnée à 152.500
euros par la direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). L'ordonnance de
1986 était pleinement justifiée à l'époque
où elle fut votée pour lutter contre les pressions
inflationnistes, en mettant en concurrence les activités de production
tournées vers la consommation. Mais la logique inflationniste,
maîtrisée depuis longtemps, n'est plus d'actualité au
regard de la nouvelle problématique de la parité euro/dollar.
M. Gérard Bailly -
Nous vous rejoignons tous sur le constat mais
pas nécessairement sur les remèdes. Nous savons qu'aujourd'hui la
France a besoin de l'installation de 12 000 jeunes agriculteurs par an, contre
7 000 en 2002 selon les estimations les plus optimistes. Je suis rapporteur de
la mission commune d'information concernant « L'élevage :
enjeu économique, enjeu territorial » et à chacun de
nos déplacements nous constatons non seulement la rareté des
nouvelles installations mais aussi le départ des adultes de quarante
ans, une fois leurs engagements bancaires menés à terme. Le moral
est très bas aujourd'hui dans ce secteur. Je lisais encore dans la
presse locale de ce matin que le prix de vente des veaux avait connu une baisse
de 26 % l'an dernier. Vous venez d'insister à plusieurs reprises sur
l'importance des revenus. Je vous approuve, mais la prochaine concurrence des
PECO est indéniable, tout comme l'importance du marché mondial
dont les prix se situent bien en dessous des prix de revient.
J'adhère cependant entièrement à vos propos sur le
système d'aides directes, qui ne constitue en aucun cas une solution.
Mais je vois mal comment nous pourrons dégager les
15 000 euros par unité de travailleurs, souhaitables et
nécessaires pour le maintien des agriculteurs. Nous voulons des prix
agricoles plus rémunérateurs mais le mouvement communautaire
s'inscrit à la baisse concernant le prix du lait dans les années
à venir. L'agrandissement des surfaces, qui était devenu la
solution la plus pratique étant donnée l'étendue des
surfaces disponibles, a hypothéqué la reprise d'exploitations
aussi vastes par de jeunes agriculteurs. Même dans l'agriculture
sociétaire, des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC)
atteignent 3 ou 400 hectares, mais il est impossible de reprendre un
associé ou de transmettre l'exploitation à quelqu'un. Au risque
de passer pour pessimiste, j'ai le sentiment que l'agriculture risque de se
perdre au sein d'un véritable labyrinthe.
Monsieur Teyssedou, comment faire en sorte que le produit agricole retrouve une
valeur - il ne représente que 4 % des dépenses des ménages
- étant donné le contexte international actuel ?
M. Michel Teyssedou -
Depuis la fin de mes responsabilités
institutionnelles, j'ai créé l'association Ressources des Hautes
Terres qui se fixe comme principal objectif de rentrer en relation avec les
décideurs de la grande distribution. Je me suis ainsi rendu compte que
ces acteurs économiques manquaient d'un interlocuteur institutionnel
avec qui ils pourraient contracter. L'opinion publique va peut-être
demain leur jeter l'anathème et les rendre responsables de tous les
malheurs de la France agricole profonde. Ils ne financent plus les partis
politiques depuis les lois votées à ce sujet. Il faudra bien que
les politiques d'aujourd'hui, ayant retrouvé toute liberté et
autorité, mettent en relation les chaînes de distribution qui
créent - ou empêchent de créer - de la valeur
ajoutée, avec les producteurs de base.
Quand nous avons, par exemple, contractualisé avec une chaîne de
distribution sur le grand cru Grand Fermage de la Côte de Vallus le prix
n'a à aucun moment constitué un obstacle ou même un sujet
de discussion. Nous avons caractérisé et défini un produit
par un cahier des charges respecté strictement. Ce produit est nouveau,
nous en avons fixé le prix et nos interlocuteurs n'ont rien
trouvé à redire. Ils ont accepté notre proposition et
adjoint au produit un signe de qualité officiel de la grande
enseigne : « FQC Carrefour ». Et pourtant nous avions
doublé le prix : le prix de marché est à 3,51 euros et
Carrefour nous achète le kilo de fromage 6,56 euros. 3,05 euros
supplémentaires par kilo de fromage correspondent à une
augmentation de 0,30 euros du litre de lait, ce qui constituerait une
source de richesse inespérée pour le producteur !
La sortie du marché mondial des matières premières est une
question, centrale pour l'avenir du monde agricole ; il faut garder
à l'esprit que si nous continuons à être des
compétiteurs sur la scène internationale à partir du
marché des matières premières, nous serons laminés.
Si par contre nous rentrons progressivement dans la transformation de ces
matières premières et surtout dans l'élaboration d'un
produit consommable, nous serons imbattables sur cette même scène
internationale. Je vous rappelle que la France se classe, devant les
Etats-Unis, au premier rang des pays exportateurs de produits agroalimentaires
et au deuxième en ce qui concerne les produits agricoles. Mais tous ceux
qui concourent sur le marché des produits agricoles n'ont aucune chance
de survie. Le Président George W. Bush a décidé
unilatéralement d'augmenter de 80 % les moyens publics
consacrés aux agriculteurs. Or cette mesure contredit parfaitement la
politique des Etats-Unis qui jusque-là prenaient pour cible les aides
à la production et à l'exportation accordées par les
autres gouvernements aux agricultures nationales, ce qui montre qu'il est
impossible de bâtir une stratégie partagée et
négociée avec les Américains.
Cet exemple ramène le politique à sa responsabilité quant
au choix du modèle européen, sur le plan de l'autonomie
économique et de sa liberté retrouvée dans la pression
qu'il fait subir aux contribuables pour ne pas avoir à laisser arbitrer
le consommateur. Ce point est primordial car ce sont en réalité
les contribuables qui aident les agriculteurs, ce à leur insu
via
la TVA. Ils pourraient au contraire payer ces sommes d'argent non en
impôt mais sur le produit, et ils le feraient en outre librement.
L'ensemble de l'agriculture française ne comprendra pas cette urgence
à temps, mais l'agriculture de montagne pourrait, à force de
moyens financiers, comprendre ces enjeux et entraîner le reste du
secteur. C'est là ma conviction.
M. Roger Besse -
J'aimerais poser quelques questions à Michel
Teyssedou avec qui nous menons un dialogue continu.
Qu'en sera-t-il des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) avec
l'arrivée d'un nouveau gouvernement ? Les CTE m'ont toujours
laissé un peu amer car je les trouve assez inadaptés aux zones de
montagne. Le volet environnemental a pris une place démesurée par
rapport au volet économique, ce que vous avez regretté. Vous
appelez de vos voeux la mise en place de filières collectives. Mais et
chaque cas est individualisé, si l'on maintient les CTE, je ne vois pas
comment l'on pourrait s'orienter vers une filière collective. N'y a-t-il
pas incompatibilité entre les deux projets ? En tant que
politiques, doit-on soutenir les CTE, passer à d'autres dispositifs ou
réformer les CTE ? Si oui, sous quelle forme ?
Vous avez mentionné que les produits qui seront consommés demain
restent à créer. Or, au vu des expériences de notre
département, nous nous orientons plutôt vers le maintien de la
tradition et la promotion générale des AOC. Faut-il poursuivre
dans le sens du soutien à ces productions traditionnelles, ou
préférer la matière grise et l'innovation ?
Enfin, la vétusté des bâtiments agricoles et leur
inadaptation aux demandes faites aux agriculteurs me préoccupent
beaucoup.
M. Michel Teyssedou -
Vous soulevez trois problèmes fondamentaux.
Les CTE peuvent être collectifs, à condition qu'ils aient en
commun le même objectif. Le CTE de Valluéjols avait pour objectif
un nouveau cahier des charges pour un nouveau produit dénommé
« Grand Herbage ». Ce projet a nécessité
l'accord de la moitié des adhérents de la coopérative, il
a donc été collectif. Je dirais même que sans les CTE nous
n'aurions pas pu avoir ces engagements. Les points moins positifs existent
néanmoins : le volet économique, notamment, est trop
limité parce que les environnementalistes ont gagné à
Bruxelles. Ont donc été privilégiées les pratiques
d'élevage avec des chargements très faibles ramenés
à des hectares, sans aucun souci pour les hommes travaillant sur ces
exploitations.
Je suis de ceux qui militent pour que Bruxelles ait enfin une politique de la
montagne, ce qui devrait être l'objectif premier de notre lutte.
Bruxelles a élaboré une politique des zones
défavorisées mais n'a pas défini de territoires montagneux
avec une politique qui leur serait propre. Je me suis battu en tant que
responsable du groupe montagne à la FNSEA pour obtenir à
Bruxelles un cofinancement paritaire, avec 75 % apportés par la
France et 25 % par la Communauté. En retour, les accords
communautaires accordèrent à la France une marge de manoeuvre
budgétaire supplémentaire de 25 %, d'abord prévue
pour le financement des CTE, puis, sous la pression de la rue, orientée
vers le financement de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels
(ICHN), dont je rappellerais le champ d'action actuellement très
limité. Les 25 premiers hectares pouvaient bénéficier d'un
montant d'indemnités allant jusqu'au double des 25 % suivants, mais
Bruxelles a tassé les écarts. Ce n'est pas logique car chaque
département doit pouvoir privilégier son orientation
professionnelle au profit du type d'exploitations qu'il choisit lui-même.
A enveloppe constante, il serait ainsi possible de s'adapter aux
spécificités locales.
Je vous rappelle que nous produisons dans le Massif Central, montagne à
vaches, de la viande sur pied. Le fait de l'abattre, de la mettre sous
barquette et de la découper en fait déjà un produit
nouveau. Si demain nous sommes capables de vendre du steak haché de
Salers en s'adressant à un public cible jeune, je suis persuadé
de pouvoir gagner avec des grands groupes comme McKay ou Mac Donald 0,23 euro
ou 0,30 euro par kilo. Encore faut-il que nous disposions des outils de
découpe et de fabrication du steak, ainsi que de la maîtrise
commerciale nécessaire pour s'adresser à ces grands
distributeurs. J'estime qu'un produit est nouveau si, à la logique de la
matière première, on préfère la transformation, la
définition, le marketing des produits agricoles. N'oublions d'ailleurs
pas que ces produits jouissent d'une excellente image.
Enfin, je pense que la politique de la montagne devrait s'orienter vers une
action bien plus forte sur les bâtiments. Il conviendrait de doubler le
volet économique d'un CTE à chaque fois qu'il prévoit la
rénovation d'un bâtiment. Les agriculteurs éleveurs de
montagne vont être extrêmement pénalisés par la
limitation des crédits budgétaires en faveur du programme de
maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), alors que tous les
agriculteurs qui devaient être intégrés ne le sont pas
encore. Je rappelle que nous en sommes actuellement à 90 unités
de gros bétail (UGB) d'intégration, contre 70 stipulées
dans la loi. Nous savons pertinemment que nous ne disposons pas des moyens
budgétaires pour y parvenir. Il est à ce sujet proprement
scandaleux que tous ceux qui ont moins de 70 UGB doivent aussi répondre
aux exigences du règlement sanitaire départemental sans pouvoir
prétendre aux aides du PMPOA, qui représentent 60 % du montant de
l'investissement dans le cadre de la mise aux normes. La discrimination entre
les éleveurs qui auront
in fine
plus de 70 UGB et les autres sera
flagrante, d'autant que la deuxième catégorie rassemble 8 % des
éleveurs. Le problème politique est majeur. Il devrait pouvoir
être traité grâce à des PMPOA simplifiés au
travers du volet économique des CTE. Ce serait un coup de génie,
car l'aspect environnemental serait traité dans le volet
économique par la mise aux normes des bâtiments. L'accent doit
être mis sur ce point crucial.
M. Pierre Jarlier -
Il s'agit de l'un des problèmes liés
au PMPOA : les zones qui ont été les plus respectueuses de
l'environnement sont aujourd'hui les plus pénalisées dans leur
mise aux normes, alors même qu'elles s'engagent dans des filières
de qualité qui nécessitent une grande adaptation des
exploitations à ces problèmes agro-environnementaux. Il faut
revoir ces zonages, et l'idée d'intégrer au volet
économique des CTE les mises aux normes est tout à fait
intéressante. Par ailleurs, il ressort de nos discussions que le volet
économique du CTE ne semble pas adapté aux zones des montagne,
car les bâtiments y coûtent plus cher qu'ailleurs. Un volet
spécifiquement adapté à la montagne dans le volet
économique des CTE est indispensable. Je pense toutefois que le CTE
reste une bonne mesure, capable de responsabiliser l'agriculteur en lui donnant
des objectifs. L'idée de Vallus est excellente, puisque des
résultats ont été obtenus grâce à un travail
en commun des exploitants, qui ont respecté un cahier des charges
contractualisé avec l'Etat pour lui donner des moyens suffisants. Le
lait en a été valorisé.
Concernant la reconnaissance par l'Europe de l'agriculture de Montagne, nous
avons rencontré Monsieur Fischler et nous avons évoqué nos
appellations « Provenance Montagne » en demandant pour
elles une reconnaissance de l'Europe. Il nous a alors clairement affirmé
que, selon lui, un label « Montagne » ne constituerait pas
un critère de spécificité, tant qu'il ne serait pas
adossé à une certification de qualité. Ne pensez-vous pas
qu'il faille aller demain vers l'introduction d'un dispositif qualitatif dans
le label « Provenance Montagne » pour lui conférer
une plus grande crédibilité ? Nos amis des Alpes soutiennent
cette idée comme un moyen de s'assurer de prix
rémunérateurs pour l'agriculteur.
Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé aujourd'hui de l'acte de
commercialisation du produit et de la maîtrise de sa transformation, mais
comment de telles filières pourraient-elles concrètement se
mettre en place dans une zone de montagne ? Quelle est la nouvelle
organisation professionnelle qu'il faut avoir le courage d'envisager pour faire
fonctionner ces filières ? Vous n'ignorez pas en effet que les
initiatives de certains agriculteurs sont contrariées par la profession
elle-même. Comment l'agriculteur peut-il s'intégrer et trouver une
place dans cette filière ?
M. Michel Teyssedou -
Le décret « Provenance
Montagne » n'est pas un signe officiel de qualité. Quand le
commissaire Fischler vous conseille de vous adosser à une certification
de conformité produit (CCP), il répond en fait à une
question que vous ne lui posiez pas et qui est la suivante :
« Etes-vous prêt à définir
géographiquement une zone de montagne ? ». S'il répond
par la négative, inutile alors de poser la deuxième question
concernant le label « Provenance Montagne ». Mais s'il
répond oui, cette question n'est plus justifiée, car un
décret communautaire viendrait garantir la provenance communautaire de
montagne. On en revient à l'absence dramatique d'une politique
communautaire de la montagne. Il faut avant tout obtenir l'élaboration
d'une telle politique, car il restera vain d'établir des schémas
économiques basés sur notre décret « Provenance
Montagne » si les agriculteurs montagnards italiens nous font
concurrence avec des produits qui, ne respectant pas nos cahiers des charges,
leur reviennent moins cher. Ce décret a toutefois un atout : il
valorise les pratiques de l'agriculture montagnarde au travers du cahier des
charges. Mais pour lui donner une puissance juridique et commerciale, nous
devons en effet l'adosser à une CCP.
En ce qui concerne la mise en place de filières collectives, vous
souhaitez connaître la formule pour faire taire les belligérants
qui sont plus gaulois que collectifs... L'Etat distribue souvent l'argent
public sans demander aucune contrepartie. Ces aides devraient être
soumises à des obligations de résultat et de moyens
d'organisation. La mise en oeuvre de projets collectifs doit concrétiser
la distribution de ces sommes considérables, qu'il s'agisse des CTE, de
l'ICHN, des crédits de recherche et développement sur des
produits nouveaux, etc. Il est fondamental de savoir exclure ceux qui ne
veulent pas participer et récompenser les autres. Le syndicat
d'appellation d'origine contrôlée du Cantal, par exemple, comprend
un commissaire du gouvernement et un contrôleur d'Etat, de même que
dans le comité interprofessionnel de gruyère de comté
(CIGC), et bénéficie de concours publics. J'attends donc une
obligation de moyens, c'est-à-dire que les agriculteurs ou leur
représentants qui ne participent pas à la démarche
collective de l'organisation commerciale ne puissent pas
bénéficier des mêmes dispositions budgétaires que
d'autres. Le ministère de l'agriculture établit d'ailleurs
déjà une distinction entre les agriculteurs organisés et
non-organisés dans le domaine des fruits et légumes.
M. le Jean-Paul Amoudry
-
Je voudrais profiter des
dernières minutes pour revenir sur la question des quotas. Comme Pierre
Jarlier le rappelait, nous nous sommes rendus il y a quelques semaines à
Bruxelles où cette question a été soulevée. Le
commissaire Fischler nous a répondu que rien n'était encore
décidé et que des dispositions devaient être prises
à la majorité pour que des quotas soient supprimés. Autant
dire que nous en sommes loin, ce qui est plutôt rassurant.
L'échéance suggérée ne se situerait de toute
manière pas avant l'horizon 2008. Toutefois, nous avons conscience d'une
part que cette réponse n'est pas irrévocable et formelle,
d'autre part que la pression des pays du Nord se fait grandissante. Par
ailleurs, les années passent très vite et il serait tout à
fait opportun de poser dans notre rapport les premières pierres d'une
défense des quotas. Seul ce maintien nous permettra de poursuivre la
politique de différenciation évoquée plus haut, qui ne
peut être basée que sur des quantités garanties. Alors que
dire dès maintenant pour protéger ces quotas ?
M. Michel Teyssedou -
Utilisons un argument économique qui
consiste à démontrer qu'un litre de lait à 0,23 €
justifie une production minimum de 300 000 litres, alors qu'un litre de lait
à 0,46 € justifie une production de 150 000 litres. Le choix
à effectuer est celui de la disparition ou non de la moitié des
producteurs. Etant donné qu'en montagne, les quotas moyens sont les plus
faibles, les dégâts y seront les plus importants. Le schéma
de la plaine consiste en un GAEC partiel avec robot de traite à
152 500 € d'investissement utilisé par trois agriculteurs,
puis deux au bout de dix ans, et finalement un seul. Ce schéma
représente un million de litres de lait par an. Si l'on prend le quota
français de 24 milliards de litres divisés par un million de
litres, nous obtenons 24 000 ateliers de production. Or il existe, dans le seul
département du Cantal, 3 000 producteurs de montagne. Ils n'y seront
bientôt plus. Ces arguments seront bien reçus car ils sont
irréfutables.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour vos explications techniques
et approfondies, qui nous seront très utiles.
M. Michel Teyssedou -
Merci de m'avoir invité. Je souhaite
beaucoup de succès à cette MCI sur la loi Montagne, car nous en
serons sans nul doute les bénéficiaires.
38. Audition de M. René Peltier, président de France Ski de Fond, accompagné de M. Louis Ours, directeur (3 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur -
Monsieur le Président, Monsieur le
Directeur, bonjour. Merci d'avoir fait le déplacement à Paris, au
Sénat, et bienvenue à la haute assemblée. Je suis heureux
de vous accueillir au nom de la mission d'information sur la montagne, en
excusant un certain nombre de collègues qui n'ont pour l'instant pu nous
rejoindre, ceci tenant à l'ouverture de la session extraordinaire du
parlement. Il s'agit de renouveler, au lendemain des élections
présidentielles et législatives, un certain nombre de postes
importants, comme en atteste les réunions de commissions en particulier
ce matin, et de travailler sur un certain nombre de textes et projets de loi
soumis par le nouveau gouvernement. Cette situation particulière
explique le caractère clairsemé de ces rangs. Je ne
désespère pas que quelques-uns de nos collègues nous
rejoignent en fin de matinée. En ma qualité de rapporteur, je
voudrais tout d'abord présenter les excuses du Président Jacques
Blanc, et également celles de Pierre Jarlier, le Secrétaire
général de l'ANEM.
Monsieur le Président et Monsieur le Directeur, nous avons tenu à
nous pencher sur les pratiques de ski de fond et de ski nordique sur l'ensemble
de la montagne française, en vous invitant. Nous vous avons
adressé une grille de questions, naturellement non exhaustive, des
sujets que vous pourriez traiter devant nous, mais qui sont dans notre esprit
les points essentiels à éclaircir. Notre rapport est
destiné à être publié à la fin de
l'année ; nous pensons être en mesure de le faire au mois
d'octobre. Notre désir est d'effectuer un certain nombre de propositions
ou préconisations, soit à l'assemblée, en ce qui concerne
les décisions de nature législative, soit directement au
gouvernement pour les mesures relevant de l'exécutif, ou encore à
l'adresse des collectivités territoriales. Je vous propose, dans l'heure
dont nous disposons, que vous commenciez par un exposé
général, notamment à partir de la grille de questions,
puis nous terminerons par un échange.
M. René Peltier -
J'ai grand plaisir à vous retrouver
aujourd'hui, après vous avoir rencontré préalablement dans
d'autres réunions. Au nom du ski de fond français et des 220
entités nordiques qui composent notre réseau, je tiens, car ils
me l'ont demandé lors de notre assemblée générale
du 23 juin dernier, à vous remercier pour cette rencontre. Nous
apprécions à sa juste valeur le fait que vous nous permettiez par
cette audition d'exprimer la sensibilité nordique. Je tiens
également à remercier les parlementaires pour leurs interventions
la saison passée, alors que le manque de neige s'est fait cruellement
ressentir et a étouffé un certain nombre de sites. En effet, ces
interventions ont permis une sensibilisation nationale très forte. Les
parlementaires ont ainsi voulu souligner l'intérêt réel du
ski de fond en termes économiques d'une part, en termes
d'aménagement du territoire d'autre part. Je ne veux pas aligner des
chiffres, ce qui serait lassant. Louis Ours, notre directeur, pourra tout
à l'heure entrer davantage dans le détail. Il a d'ailleurs
monté des dossiers très intéressants que nous reprendrons
point par point pour répondre à la grille de questions, tout
à fait pertinente, que vous nous avez fait parvenir.
Je voudrais cependant citer une seule référence pour montrer
l'importance du ski de fond. Un franc investi génère 16 francs
sur le tissu économique local, 29 francs sur l'économie globale.
Ce sont des chiffres qui datent de deux ou trois ans, mais qui n'ont sans doute
guère évolué. Ils montrent bien que ces retombées
touchent à la fois les professionnels de la montagne, mais aussi les
artisans, les entreprises et surtout le tourisme, qui génère
à lui seul 30 % des retombées économiques au niveau
local. Le coefficient multiplicateur est donc intéressant et fort. La
loi Montagne de 1985 a permis d'asseoir le ski de fond sur des bases
légales et fortes, à travers les 600 communes et
départements adhérant au réseau France ski de fond. Elle a
également permis un essor de ce sport en général à
travers le développement de sa professionnalisation, avec des formations
très poussées dans certains domaines, avec une
amélioration parallèle de la qualité des services. Ainsi,
la loi Montagne est pour nous quelque chose de fondamental. Mais tout
évolue, comme l'a montré d'ailleurs l'étude Sociovision
Cofremca. C'est pour cela, avec l'aide du ministère du tourisme et de
l'AFIT, que nous avons voulu un diagnostic sur la filière nordique. Ce
diagnostic a été sans complaisance, et a remué un certain
nombre de belles certitudes. Ce n'était cependant qu'un constat ;
il fallait donc aller plus loin, et se poser les bonnes questions. C'est pour
cela que nous avons, toujours avec l'aide de l'AFIT et de la DATAR,
demandé une étude de repositionnement de la filière
nordique, permettant d'aller au-delà d'un simple constat. Cette
étude a été restituée non seulement au niveau
national bien-sûr, mais aussi au niveau local dans tous les massifs,
rendant possible une appropriation par les acteurs de terrain. Nous arrivons
donc à la phase opérationnelle et des réalisations
concrètes. Elles ont montré à quel point
l'évolution est importante sur l'ensemble des espaces nordiques. A mon
sens, cela suscite beaucoup d'espoirs, avec également beaucoup de
réalisme, et une volonté sans faille qui s'est manifestée
il y a une dizaine de jours lors de la dernière assemblée
générale dans le Jura. Je vais passer la parole à Louis
Ours, Directeur, afin qu'il revienne sur les différents points que vous
souhaitiez que l'on aborde, à partir du dossier que l'on vous a
communiqué. Ce dossier est réalisé d'une manière
simple mais précise, sans phrases inutiles, en rappelant la situation
antérieure, la situation actuelle, mais aussi en précisant un
certain nombre de projections pour l'avenir.
M. Louis Ours -
Merci de nous recevoir. Nous allons entrer directement
dans le vif du sujet, par rapport à la loi Montagne. Le Président
vous a apporté quelques chiffres.
Le ski de fond est aujourd'hui un élément important pour
l'aménagement du territoire, d'une part pour l'activité qui s'est
développée en moyenne montagne, permettant de maintenir des
activités et des emplois dans les 600 communes concernées,
d'autre part en raison du développement du ski nordique dans les
stations de ski alpin. Avec la diversification des pratiques et de la
clientèle, on s'aperçoit que la fréquentation touristique
de la montagne est en hausse. Le ski nordique fait partie de l'offre
touristique, contribuant par là même au remplissage des
hébergements dans les stations de montagne.
Le ski nordique a démarré sur une base de
bénévolat, avec une forte implication du milieu associatif. Cela
tient à l'histoire, car les foyers de ski de fond ont été
créés sous l'impulsion du ministère de la jeunesse et des
sports en 1962, pour permettre aux jeunes des vallées de moyenne
montagne de pouvoir pratiquer le ski l'hiver. Les choses ont bien changé
depuis ; le ski de fond s'adresse aujourd'hui à diverses
clientèles.
Il y a tout d'abord une clientèle sportive, de proximité que l'on
a fidélisée ; il s'agit de personnes qui viennent des villes
de Chambéry, Annecy, Genève, Grenoble, Toulouse ou
Clermont-Ferrand... afin de pratiquer leur activité plutôt en
journée ou en week-end. Depuis quelques années, on
s'intéresse un peu plus à la diversification des pratiques et
surtout à l'accueil d'une clientèle nouvelle, désireuse
d'effectuer des séjours. On peut être étonné
à la lecture des chiffres, lorsque l'on s'aperçoit que 50 %
du chiffre d'affaires est réalisé dans les Alpes du Nord,
c'est-à-dire Savoie, Haute-Savoie et Dauphiné. Ainsi, sur la
moyenne de 60 millions de francs de chiffre d'affaires annuel
générés uniquement par la redevance qui permet
l'accès aux pistes, 50 % sont réalisés par les trois
départements des Alpes du Nord, car il y a des bassins de
clientèle importants, et beaucoup de stations de ski ont un
hébergement suffisant pour accueillir la clientèle touristique.
A contrario
, dans les secteurs de moyenne montagne, les villages ont
besoin du ski nordique pour se développer, mais ne possèdent pas
toujours les structures d'accueil nécessaires, notamment en termes
d'hébergement, d'hôtels de qualité et de gîtes... Ils
ont donc du mal à capter cette clientèle touristique.
Pourtant, d'après les études qui ont été conduites
au plan national, les atouts des villages de moyenne montagne peuvent
intéresser des clientèles notamment étrangères,
à condition d'avoir les structures d'accueil et d'hébergement de
bon niveau. Alors que le ski de fond permettrait de développer les
activités de certains villages de moyenne montagne, on s'aperçoit
que cela marche mieux dans les secteurs déjà bien
structurés. Au niveau des ressources, on retrouve aussi un peu le
même problème ; tous ces villages du Massif Central, du Jura,
des Alpes du sud, de certaines vallées des Pyrénées, ou
d'autres régions géographiques encore, n'ont pas d'autre
activité, mais leurs moyens sont limités pour développer
la qualité et les services nécessaires pour l'accueil
touristique. C'est la problématique qui est posée aujourd'hui. On
a affaire à des structures très différentes. On a beaucoup
de difficultés au niveau national pour coordonner les petites stations
et les plus grandes, celles qui n'ont pas de moyens et celles qui en ont
davantage. D'autre part, on arrive à avoir trois ou quatre sites ou
stations par département qui trouvent un certain équilibre
économique en raison d'un volume suffisant d'activité. En
revanche, un nombre important de villages de moyenne montagne n'ont pas les
ressources suffisantes pour investir, en ne percevant que la redevance.
La raréfaction de la neige en moyenne montagne touche en outre de plein
fouet le ski nordique qui s'est développé il y a une quinzaine
d'années dans des secteurs où l'altitude est peu
élevée. Cela demande, au niveau de tous les massifs, et notamment
de la part des conseils généraux, de se repositionner pour
conférer davantage de moyens sur un certain nombre de sites au potentiel
clairement établi, et de réaménager les sites afin de
créer ou développer des pistes à une altitude
supérieure, comme on a pu le faire pour le ski alpin. L'année
dernière, des sites de ski de fond ont commencé à engager
des investissements en termes de neige de culture pour assurer un minimum
d'enneigement en début de saison, afin de favoriser l'accueil des
groupes scolaires et des jeunes sur des espaces d'apprentissage d'une part, et
d'autre part sur des boucles d'entraînement pour les plus sportifs. On a
une convention avec la fédération française de ski pour
aider les compétiteurs de haut niveau sur l'ensemble des massifs
français, à pouvoir s'entraîner sur les pistes nordiques.
Voici donc rapidement exposées les contradictions et les
problématiques du ski nordique. C'est une activité qui
génère beaucoup d'emplois, et qui finalement n'a que très
peu de moyens, puisque la seule source de revenus provient de la redevance. Un
chiffre d'affaires de 9,15 millions d'euros sur 220 sites ne
représente pas un volume important, sachant qu'une dizaine de stations a
un chiffre d'affaires de 460.000 à 600.000 euros, et la plupart des
autres ne dépassent pas les 76.225 euros. Vous voyez que ces sommes
représentent peu de chose, eu égard aux salaires versés et
aux investissements qui doivent être réalisés. A titre
d'exemple, un engin de damage, indispensable pour que la clientèle
fréquente des pistes bien entretenues, coûte de 121.960 à
137.200 euros.
Jusqu'à maintenant, les collectivités locales ont très
fortement participé aux investissements en termes de construction de
bâtiments et structures d'accueil, parking, services, et
éventuellement achat d'engins de damage. L'activité nordique
elle-même, par la redevance, permettait d'essayer de trouver un
équilibre en termes de fonctionnement, notamment au niveau des salaires
et de l'emploi. Depuis dix ans, on est également passé d'un
système où le bénévolat était la
règle, à un système professionnalisé. A ce titre,
France Ski de Fond avec l'aide de l'association des maires des stations
françaises, l'AMSFSHE, et de l'ANEM, a pu mettre en place en 1992 avec
les trois ministères de l'Intérieur, du Tourisme et de la
Jeunesse et des Sports, un brevet d'Etat de pisteur secouriste nordique. France
Ski de Fond s'est chargée d'assurer la formation de professionnels. Nous
avons aujourd'hui formé 550 professionnels brevetés d'Etat qui
travaillent désormais à la disposition des communes sur les sites
nordiques. On a également environ 600 moniteurs qui travaillent sur
l'ensemble des sites. On pourrait aller bien au-delà si l'on
développait suffisamment cette activité. Il y a aussi tout le
personnel d'accueil et d'entretien. La problématique émane de la
pluriactivité. Ces personnes sont employées sur des
périodes d'activité très courtes, en fonction de
l'état de l'enneigement et des saisons. Heureusement, ces personnes sont
bien souvent polyvalentes, puisqu'elles sont à la fois pisteur,
secouriste, moniteur de ski, accompagnateur en montagne, agriculteur ou
artisan. On a cependant du mal à fidéliser ces personnes qui
viennent du terrain, des villages de montagne environnants, car pour l'instant
la loi ne leur permet pas d'avoir un système de prise en charge unique
et facile. On connaît ce problème depuis que la loi Montagne a
été créée ; c'est peut-être l'occasion
de se pencher sur un texte qui permettrait de faciliter le travail des
pluriactifs en montagne.
Si vous le souhaitez, on peut entrer dans le détail de la loi Montagne
et des articles qui pourraient évoluer, à moins qu'il n'y ait des
questions au niveau de la présentation générale.
M. René Peltier -
Le directeur a bien souligné la
diversité, porteuse de richesse à certaines occasions, mais aussi
de contraintes. De ce fait, pour avoir une cohérence d'ensemble, il faut
souvent prendre des demi-mesures qui ne satisfont personne. Il fallait donc
qu'il y ait une évolution. Cette évolution s'est en partie faite
par la prise de conscience engendrée par les difficultés
financières de l'an passé. Le fait de ne pas avoir de financement
deux années de suite peut être très négatif et
dangereux pour un certain nombre de sites, mais permet de se poser les bonnes
questions. Si la masse financière est importante, tout va bien, et
à la limite, on peut continuer de la sorte. Mais pour rester en vie, il
y avait une obligation de se poser ces vraies questions. Cela a
été en quelque sorte une chance pour nous, avec l'aide de l'AFIT,
du SEATM et du ministère du tourisme, de rebondir, afin de mettre en
place un repositionnement complet de la filière nordique. Au-delà
des difficultés que l'on peut rencontrer, qui proviennent de la
diversité, le moment est venu de considérer l'avenir en
cohérence, avec l'ensemble des partenaires. Nous ne pouvons rester
isolés de notre côté. Il faut donc travailler avec
l'ensemble des partenaires de terrain, les partenaires institutionnels, de
façon à ce que nous avancions tous ensemble, dans le même
sens. Il faut créer les conditions qui permettent de se projeter sur
l'avenir.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je voulais, Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur, tout d'abord vous remercier d'avoir brossé, de
façon introductive, la réalité. Je souhaite
également saluer l'arrivée de mon collègue et ami,
Monsieur Bailly, sénateur du Jura, qui est au combien
représentatif des activités du ski nordique. La mission est
à la fois sensible et préoccupée par l'avenir du ski
nordique, dans la mesure où c'est une activité, peut-être
à la différence du ski alpin, qui intéresse l'ensemble de
la montagne française. C'est aussi quelque chose d'important - vous
l'avez bien dit - du point de vue des activités économiques.
C'est, je dirais, quelque chose d'important pour la montagne, mais aussi pour
l'ensemble des populations urbaines. Monsieur Ours a rappelé toutes les
sources potentielles de clientèle, constituées par toutes les
personnes qui ressentent le besoin de s'oxygéner. Il s'agit donc d'une
discipline qui permet le nécessaire développement de la montagne,
d'une manière diffuse sur l'ensemble des massifs, et remplit dans le
même temps une mission tout à fait éthique, culturelle et
sportive à l'adresse de tous nos contemporains qui vivent en secteur
urbain. Les bases, le décor sont très bien plantés ;
il nous faut voir l'avenir.
Je voudrais également vous remercier pour les préconisations que
vous nous présentez sur le plan technique de mise à jour de la
loi Montagne, à travers les documents que vous nous avez
communiqués. Je me pose trois questions de fond :
premièrement la neige, puis les reconversions, et enfin le support des
collectivités locales. Je vais m'expliquer en reprenant le
troisième thème. Nous avons vécu, dans nos
collectivités de montagne, l'époque pionnière avec des
collectivités très bien disposées et avec des
bénévoles. Il faut aujourd'hui passer du bénévolat
au régime du salariat, alors même que l'on n'a pas
réglé le problème de la pluriactivité. D'autre
part, les collectivités, peut-être davantage qu'hier, sont
endettées et moins favorables à aider le développement du
ski nordique. Autrement dit, à l'échelle des 220 sites,
voyez-vous un soutien toujours aussi fidèle de la part des
collectivités, toujours autant de volonté ? Pouvez-vous
craindre, à cause d'un manque de neige, ou de la nécessité
de salarier les employés, d'acheter des engins de damage, qu'il y ait un
désengagement de la collectivité ?
J'en viens à ma deuxième question. Pourriez-vous nous
préciser comment vous voyez la reconversion, en particulier en
période estivale, de façon à tenter de faire une double
saison et de mieux tirer parti des équipements hivernaux
créés pour le ski nordique proprement dit ?
Enfin, ma troisième question concerne la neige. La moyenne montagne
souffre du manque de neige. Avez-vous fait un inventaire des sites pouvant
facilement être équipés de neige de culture ? Vous
savez que la neige de culture pose des problèmes fondamentaux, de nature
écologique, philosophique même, parfois. Nous voudrions
démystifier son utilisation, et apporter un cadre de solutions au
problème des droits d'usage de l'eau, en évitant de jeter
l'anathème sur la neige de culture. Combien de sites pourraient
être facilement renforcés grâce à la neige de
culture, ou en élevant l'altitude des circuits de ski nordique ?
Inversement, quels seraient les sites en périls, ne pouvant pas recourir
à l'usage de la neige artificielle ?
M. René Peltier -
Je vais essayer de vous répondre le plus
sincèrement possible. Louis Ours complètera ensuite. Par rapport
à la neige, c'est un phénomène très
aléatoire, en fonction des massifs et des mois concernés. Un
massif peut être très bien enneigé une année, et mal
l'année suivante - les Pyrénées ont par exemple fait cette
année une saison correcte alors que le massif central a connu une saison
catastrophique ; la situation était différente l'an dernier.
D'où la pertinence de l'approche en termes de neige de culture. Un
certain nombre de sites ont déjà choisi d'utiliser la neige de
culture, car ils en ont les moyens, et ont également une volonté
de gestion plus économique du périmètre sur lequel ils se
situent. Les sites de replis sont également une possibilité, mais
nécessitent des infrastructures nouvelles, peut-être des moyens
mécaniques pour y accéder. Cela pose donc un certain nombre de
questions, dont celle bien-sûr du financement et de la rentabilisation
des installations. Je prendrais l'exemple du ballon d'Alsace dont je suis issu,
où nous avons tenté cette année de démarrer le ski
de fond sur les aires d'apprentissage et sur notre piste verte de ski de fond.
Nous avons commencé début décembre avec des canons
à neige. Cela a déclenché l'état d'esprit ski de
fond au niveau des belfortains en général qui sont montés
plus tôt grâce aux canons à neige. Cela permet quand
même, bien que les circuits ne puissent pas tous être
enneigés par la neige de culture, d'ouvrir les petites pistes
« visuelles » ou les aires d'apprentissage,
représentant ainsi la solution la mieux adaptée.
Je n'ai personnellement pas ressenti de désengagement au niveau des
collectivités locales, même si quelquefois les budgets sont
très serrés, ou que les subventions permettent à peine de
monter un projet. Les collectivités, par l'intermédiaire des
associations départementales de ski de fond, ont aussi pris conscience
de l'intérêt économique du ski de fond et de ses
retombées. Elles suivent très fortement, tout en tirant la
sonnette d'alarme à certains moments, ce qui est somme toute logique.
L'espoir créé par la volonté de repositionnement va
permettre de redynamiser certaines collectivités. C'est un axe central
pour l'avenir. La volonté existe, il faut simplement que chacun aille
dans le même sens. Dès lors, l'ensemble de la pyramide pourra
fonctionner.
Je vais enfin aborder le thème de la reconversion. A travers la
diversité qui parcourt les sites de ski de fond, on se rend compte que
des entités sont axées sur un système purement
économique de rentabilisation à outrance, tandis que d'autres
sites au contraire en sont encore quasiment au bénévolat. La
perception d'avenir, pour les bénévoles ou les professionnels, ne
peut pas être la même. Il peut peut-être y avoir une
évolution sur le plan d'un massif, mais l'essentiel est qu'il y ait une
cohérence, une complémentarité des services offerts.
M. Louis Ours -
Il est bien évident que nous allons assister
à une évolution. On ne va pas pouvoir conserver autant de sites
dans les dix années à venir, notamment lorsque l'on entend ce que
nous disent les conseils généraux. D'une part, il va y avoir des
sites qui ont la capacité d'évoluer, de s'adapter aux nouveaux
produits, aux désirs de la clientèle, et pourront
développer des activités touristiques grâce à leur
capacité d'accueil. Cela représente en gros trois à quatre
sites par département, soit sur le plan national, une petite centaine de
sites qui pourront trouver un équilibre économique à terme.
Il peut également y avoir un choix politique aboutissant à un
maintien de l'activité de certains sites du département,
considérant que le ski de fond est vital pour l'économie
locale ; l'activité est alors soutenue car il y a des
intérêts indirects au niveau du territoire. Il faut être
réaliste, et il est probable que certains sites disparaîtront, par
manque de neige et de moyens pour l'entretien des pistes.
Enfin, une quatrième catégorie, est constituée par un
certain nombre de sites qui vont pouvoir diversifier leur pratique. C'est la
tendance aujourd'hui, à partir du moment où l'on a investi dans
des parkings, des bâtiments d'accueil, des services, des
itinéraires et pistes, espaces aménagés et
sécurisés par des professionnels, qui vont permettre à la
station de développer des activités complémentaires
estivales (VTT, randonnées, balades à cheval...), souvent
liées à la présence de gîtes ruraux. Ce genre
d'activité complémentaire permet aux professionnels de rester sur
les sites, été comme hiver. Certains lieux ont déjà
adopté ce mode de fonctionnement. L'hiver, même si le secteur
n'est pas très bien enneigé, la station peut faire
bénéficier les clients de ses installations habituellement
dédiées à la période estivale. C'est une des
orientations possibles, pour des secteurs tels que le Massif Central, où
les élus souhaitent développer le tourisme dans les villages, et
avoir cette activité organisée, à travers les structures
et les hommes, les organisations et l'engagement des collectivités
locales.
Les études que nous avons réalisées ont montré que
l'on a intérêt à se réorienter vers les attentes
nouvelles des clientèles, qui sont plus des attentes de bien-être,
de convivialité, de découverte du patrimoine local, que des
attentes purement sportives. Il existe à mon sens de réels
débouchés pour un certain nombre de structures. C'est une
réorientation.
Comme le disait René Peltier tout à l'heure, on a pris l'habitude
depuis quelques années de travailler avec tous nos partenaires, comme
l'association des maires, le SNTF, les moniteurs de ski, les CDT, les CRT, le
PAM, etc.... Le ski de fond ne doit pas rester replié sur
lui-même, sinon il n'y a pas d'issue. Il faut que l'on s'intègre
dans la dynamique touristique départementale et villageoise. Il faut
trouver des solutions pérennes, mais ce n'est pas la volonté du
ski de fond de s'enfermer dans sa bulle. Le problème sur le plan
financier se pose également de la manière suivante ;
aujourd'hui, le ski nordique présenté comme une activité
sportive intensive n'intéresse plus grand monde, excepté les
sportifs de haut niveau qui s'entraînent très
régulièrement. Les clients sont de nos jours attirés par
les sorties de détente, sur des pistes faciles qui leur permettent de
profiter du paysage. Beaucoup de monde se déplace sur les sites, mais
sans pour autant faire du ski de fond, préférant les promenades
à pied ou en raquette sur les itinéraires que nous avons
aménagés, tandis que les enfants ont une prédilection pour
la luge, la glisse sur des espaces ludiques...
En résumé, il faut beaucoup plus travailler sur le qualitatif que
sur le quantitatif, et sur la diversification des pratiques. Nous avons
écouté ce que veulent les gens. Avoir 100 km de pistes sur un
site n'intéresse pas une clientèle de plus en plus tournée
vers les activités ludiques et familiales. Nous ne sommes pas encore
performants dans ce domaine dans beaucoup de cas, car on est resté sur
une offre trop sportive et technique, et pas assez ludique. C'est en suivant
cette orientation que l'on va permettre aux sites nordiques de se maintenir et
de se développer. Les études nous montrent que les gens ne sont
plus attirés par l'image traditionnelle du ski de fond qui a une
connotation pénible et d'effort. On parlera donc beaucoup plus d'espaces
et d'activités nordiques, nettement plus diversifiés permettant
d'accueillir les différentes clientèles. Il faut désormais
s'intéresser à ce que veulent les clients. Ils souhaitent
bénéficier du confort, des services, des garderies d'enfants, des
restaurants et hébergements de qualité. Les sites nordiques de
demain sont ceux qui vont respecter cette dynamique. On ne peut plus
aujourd'hui faire du bricolage, il faut entrer dans une activité
professionnelle. Cependant, il serait dommage que les sites plus petits
disparaissent tous, car ils ont un rôle important à jouer sur
l'accueil des enfants, des scolaires.
M. René Peltier -
Le panorama général a
été bien dressé. Il y a eu des pionniers qui ont mis en
place la structure nationale de France Ski de fond. Le ski de fond a
derrière lui toute une histoire, mais on doit évoluer et tenir
compte de la demande. Dans ce sens, nous devons organiser également
l'accueil des pratiquants de la raquette ou de la promenade à pieds. Il
faut distinguer : les pratiquants autonomes amateurs de la neige vierge et
les « promeneurs du dimanche » qui souhaitent trouver des
pistes balisées, sécurisées. Nous devons organiser
l'accueil de l'ensemble de ces pratiquants pour un bon fonctionnement des sites
nordiques, sachant qu'il faudra trouver le financement correspondant aux
coûts générés.
M. Gérard Bailly -
Ce que je viens d'entendre va
complètement dans le sens de ce que je pense, connaissant le massif du
Jura. Comme ailleurs, on s'aperçoit, même dans une région
considérée comme le paradis du ski de fond, que c'est dans la
pluriactivité que l'on trouvera un salut, compte tenu notamment de la
diminution des périodes d'enneigement et de l'engouement pour le ski
alpin. A ce titre, on remarque que le ski de fond tire partie de la
proximité de pistes de ski alpin. Les temps sont durs pour les
collectivités qui doivent malgré tout respecter l'objectif de
rentabilité. Il faut donc conduire une réflexion autour de la
plurisaisonnalité, afin que les secteurs puissent être
fréquentés également l'été, en respectant la
pluralité de souhaits des différentes clientèles. Ce que
vous avez dit va donc parfaitement dans le sens de ce que nous ressentons sur
le terrain.
J'aurais cependant une question. Les collectivités sont souvent les
grands maîtres d'ouvrage de ces investissements. Heureusement, on
s'aperçoit que des privés prennent également des
initiatives, mais ils ne peuvent bénéficier que de leurs propres
financements. Ne pourrait-il pas y avoir des partenariats entre les structures
privées et les collectivités, afin de développer plus
rapidement un territoire, dans un souci de plurisaisonnalité ?
René Peltier -
Je vais vous donner mon sentiment. Je partage tout
à fait votre approche. On ne peut pas se permettre de négliger
une des forces vives du terrain. Pour que les projets globaux puissent avancer,
dans un certain nombre de secteurs, il y a peut-être des efforts à
faire pour mettre les différents acteurs autour d'une même table.
D'autre part, il ne peut y avoir pérennisation des emplois que si l'on
se situe dans une approche de plurisaisonnalité.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je voudrais m'assurer que j'ai bien compris votre
description globale. La pratique pure du ski de fond décroît,
tandis que l'on constate une croissance des activités liées
à l'ensemble des prestations que peuvent fournir les sites nordiques,
autour de ce que l'on pourrait appeler de manière générale
l'évasion nordique.
D'autre part, l'accueil des enfants vous paraît-il satisfaisant ?
Enfin, sur le plan de la fiscalité, existe-t-il des cas non
réglés ?
M. René Peltier -
L'accueil des enfants et des débutants
est encore insuffisant, même si des efforts sont réalisés
dans un certain nombre de secteurs. Il y a bien eu une prise de conscience
autour de l'idée que les enfants d'aujourd'hui sont notre
clientèle potentielle de demain. Cependant, il y a encore des
insuffisances en termes d'application.
M. Louis Ours -
Quand on parle des enfants, il y a en fait deux niveaux.
Il y a d'une part l'accueil des scolaires qui est bien fait dans certains
départements, en particulier en Haute-Savoie. D'autre part, cela
sous-entend aussi l'accueil des familles, aspect que l'on a certainement
négligé. Ski France a déjà fait un travail
important dans les stations pour l'accueil des familles, avec le label des
petits montagnards. Il faudra au niveau du ski nordique que l'on emboîte
le pas et que l'on travaille ensemble dans ce sens-là. On a
déjà avancé sur un projet d'espace ludique d'apprentissage
pour la découverte du ski par les enfants.
Cette évolution pose un certain nombre de problèmes, avec
notamment l'aménagement de l'espace, comme on l'a indiqué dans le
document. Avant, les pistes de ski de fond n'étaient pas très
larges. Aujourd'hui, on va aménager des espaces plus vastes, avec de
surcroît différentes activités sur un même site. Les
pistes de skating ont désormais une largeur de six mètres, et
s'ajoutent aux itinéraires pour la promenade à ski de fond ou
à pied, la marche en raquette. Cela va poser des problèmes
nouveaux, notamment par rapport aux servitudes. Ces servitudes ne seront plus
nécessairement des servitudes de passage, mais devraient permettre de
développer les activités sur les différents parcours,
hiver comme été. La loi Montagne spécifiait uniquement le
droit de passage sur la neige pour une piste, généralement peu
consommatrice d'espace. On va gagner dans l'aménagement des espaces. Il
faudra donc revoir le problème des servitudes.
La redevance a été instituée pour permettre aux communes
de percevoir des sommes liées à la pratique du ski de fond. Or,
comme nous l'avons vu, dans un contexte de développement
d'activités connexes, un certain nombre de ces activités ne
fournissent aucun financement. Si l'on prend le cas des communes touristiques,
elles disposent d'autres ressources que la redevance, comme la taxe de
séjour. En revanche, dans les villages de moyenne montagne, la taxe de
séjour ne peut générer suffisamment de ressources en
raison de la faiblesse des capacités en hébergement. Il faudra
peut-être élargir le champ d'application de la redevance à
l'ensemble des personnes qui pratiquent une activité sur les espaces
nordiques.
La redevance est pour l'instant exonérée de TVA, ce qui arrange
tout le monde. Mais en revanche, cela pose un certain nombre de
problèmes, car on est limité en termes de démarche
marketing ou commerciale. Vous parliez tout à l'heure d'association avec
le privé. Or, dès que l'on parle de commercialisation, on entre
dans un système soumis au régime de la TVA. A l'inverse d'un
titre de transport en remontée mécanique que l'on peut
intégrer dans un forfait touristique, on peut difficilement vendre la
redevance dans un salon à Lille ou ailleurs, par exemple, car son statut
changerait et deviendrait un produit touristique soumis aux taxes. Il y a donc
une réflexion à conduire, pour entrer dans un système plus
commercial que la redevance ne permet pas aujourd'hui, système qui a des
avantages, mais également ses limites.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je crois que nantis de ces exposés, de vos
réponses et des éléments que vous nous avez
présentés dans votre rapport, nous devrions faire un bon travail.
Je m'autorise à dire que si, dans le travail de synthèse, puis de
rédaction du rapport, nous avions besoin d'informations
complémentaires, nous reprendrions contact avec vous. Par ailleurs, je
vous remercie de nous faire passer, dès que vous le pourrez, les
rapports AFIT, Cofremca et peut-être DATAR, sur les préconisations
formulées. J'espère qu'ainsi, nous arriverons à ouvrir une
nouvelle page des activités nordiques et de montagne.
M. Louis Ours -
Je souhaiterais que soit pris en compte le point
suivant. Dans la loi Montagne, il était prévu la création
d'associations départementales, régionales et inter
régionales pour la coordination du ski nordique. Par contre, il
n'était indiqué nulle part qu'une association nationale pouvait
être créée. Ce serait peut-être bien de le prendre
compte. J'ai à ce titre ajouté une proposition d'article dans le
document annexe qui vous a été remis, pour que France Ski de Fond
puisse continuer à exister et à jouer son rôle, en
disposant d'une base légale dans le cadre de la loi Montagne.
M. Jean-Paul Amourdry -
Merci Monsieur le Président et Monsieur
le Directeur ; et à bientôt.
M. René Peltier -
Merci à vous. Je voudrais juste dire
encore un mot. Nous avons sûrement été incomplets,
imparfaits. Nous avons cependant essayé, avec toute notre passion, de
transmettre la sensibilité nordique.
Deux choses sont à mon sens importantes. Il faut d'une part qu'il y ait
une cohérence entre les textes sur lesquels vous allez débattre,
et la perspective d'avenir. D'autre part, l'ensemble des partenaires
institutionnels, privés, associatifs doivent mettre toutes leurs forces
pour aller dans un même sens.
39. Audition de M. Jean-Paul Fuchs, président de la fédération nationale des parcs naturels régionaux (3 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- Bonjour, et bienvenue au Sénat.
Merci d'avoir fait le déplacement pour les besoins de notre mission
d'information. Je souhaiterais excuser un certain nombre de collègues
membres de la mission qui ont dû être appelés à
d'autres obligations compte tenu de la reprise des travaux de la session
extraordinaire. Je ne fais pas de commentaires inutiles sur ces sujets que vous
connaissez bien.
Je suis heureux de vous accueillir aux côtés de mon
collègue, Monsieur Bailly, sénateur du Jura, et de vous inviter
dans l'heure qui vient, à nous répondre sur la base des quelques
questions que nous vous avons adressées. Ces questions ne sont bien
entendu pas de caractère limitatif ou exhaustif, et vous avez toute
latitude pour nous présenter les développements que vous jugerez
bons. Nous nous réservons quelques minutes
in fine
pour un
échange sur les points qui nous semblerons utiles.
M. Jean-Paul Fuchs
- Si vous êtes d'accord, je vais exposer en
quinze à vingt minutes les réponses au questionnaire. Puis nous
débattrons ensuite. La première question concernait la
fédération nationale des parcs régionaux. Je rappelle
très rapidement les principaux points caractérisant un parc
régional. Sur un territoire de qualité, il s'agit de valoriser le
patrimoine naturel et culturel, favoriser le développement
économique, avec les élus et la population. En d'autres termes,
c'est ce que nous appelons faire du développement durable, depuis 35
ans, date du premier parc, et faire de la démocratie participative,
puisque tout se fait avec les élus qui fixent les objectifs
consignés dans une charte, chaque commune devant l'accepter ou la
refuser au sein de son conseil municipal. Il y a actuellement 40 parcs naturels
régionaux, contre seulement sept pour les parcs nationaux, qui ne
s'occupent que de l'environnement sous la tutelle étroite de l'Etat. Les
parcs naturels régionaux essaient de trouver un équilibre entre
l'environnement et le développement économique, avec les
élus et la population, qui fixent par là même leur propre
destin.
La Fédération des parcs naturels régionaux regroupe les 40
parcs naturels régionaux. C'est l'interlocuteur des administrations
nationales, des assemblées parlementaires et de l'union
européenne. Je ne vais pour l'instant que vous donner les grandes
lignes, puisque vous trouverez tous les détails dans les documents que
je vous ai apportés. Elle est sollicitée pour avis par le
ministère de l'environnement, dans le cadre de la procédure de
classement ou de déclassement d'un parc. Il est d'ailleurs assez
étonnant qu'une association soit consultée par la loi sur la
création (ou la non-création) d'un parc naturel régional
de 1993. C'est un centre de ressources des parcs naturels régionaux qui
organise les réflexions interparcs, favorise les échanges
d'expérience, élabore des outils méthodologiques, anime
des programmes expérimentaux, afin de les aider à mener à
bien leurs missions.
C'est une source d'information de base sur les parcs naturels régionaux,
qui s'organise en groupes de travail. Elle édite un magazine, un
catalogue de forfait touristique, un catalogue d'hébergement en
gîte rural ou en chambre d'hôtes, un guide naturel de la
randonnée, les guides Gallimard sur les parcs naturels régionaux,
et elle gère enfin un site internet. Elle développe au fond une
importante activité de transfert des savoirs-faire des parcs naturels
régionaux sur l'international, appuie la création de parcs
s'inspirant de l'expérience française, échanges, transfert
de techniques, etc...
On est en train de créer des parcs à la française au
Brésil, au Chili, en Jordanie, en Afrique Noire. J'ai reçu il y a
quelques jours le ministre de Panama. Un peu partout dans le monde, on souhaite
créer des parcs naturels régionaux à la française.
On peut se demander quelles en sont les raisons. L'équilibre
environnement-développement est dans l'air du temps. La participation
des villes et des habitants dans les Etats où tout vient d'en haut est
également un concept novateur. La base aspire à participer
à l'élaboration de son destin.
C'est une association loi 1901, dont le budget s'élève à
environ 2,8 millions d'euros qui est assez compliqué à
équilibrer. Nous avons des subventions de tous les ministères -
Environnement bien-sûr, mais aussi Culture, Affaires Etrangères,
Education...- de la DATAR, de l'Europe. Tous les parcs sont adhérents
à la Fédération et contribuent pour 15 % de son
budget, le reste venant de 30 organismes différents.
Je vais à présent traiter de la situation des parcs au regard du
zonage montagne. C'est assez approximatif, la notion même de massif
étant relativement floue. La définition de la montagne selon
l'INSEE ne donne pas la réalité. L'une des idées de base
est d'avoir une entité massif plus souple, intégrant la dimension
intercommunale.
Sur les 40 parcs régionaux, 19 sont concernés par des massifs,
généralement de moyenne montagne. Seul le Parc du Queyras est
situé en haute montagne ; les autres parcs de haute montagne sont
des parcs nationaux. Les parcs régionaux sont habités,
contrairement aux parcs nationaux, comptent environ 3,5 millions d'habitants,
et représentent 11 % du territoire français. Il y a six
projets à l'étude, deux en territoire de montagne, les
Pyrénées catalanes et le territoire de Mille-vaches en Limousin.
On avait pu penser qu'avec la création des pays, il n'y aurait plus de
demande de parcs. Les actuels critères de classement en zone de
montagne ne constituent pas une base pertinente pour l'identification de leurs
territoires. Par exemple :
Le Parc des Vosges du Nord qui est soumis aux mêmes difficultés
que la plupart des territoires de moyenne montagne (relief, enneigement,
enclavement, couverture forestière), n'a que dix communes
classées en zone de montagne sur une centaine ; le Parc du Morvan
n'a que 25 % en zone de montagne, alors que tout le massif est en fait une
zone de montagne ; le parc du Quercy dans le Massif Central, aux
caractéristiques semblables à celles des Grands Causses, n'est
pas classé du tout en zone de montagne. Les délimitations
basées sur des données communales ne prennent pas assez en compte
la dimension territoriale plus large des enjeux, liée à la
moyenne montagne. Je crois que c'est une constatation que vous devriez faire
à la fin de votre rapport. Compte tenu de la cohérence des enjeux
de leur territoire, les parcs naturels régionaux relèvent
globalement d'une problématique de moyenne montagne, et doivent voir
leur problématique traitée de manière homogène au
regard de la politique de la montagne. La disparité des zonages
nationaux ou européens rend encore plus difficile l'harmonisation des
politiques publiques. Je prends un seul exemple : Madame Voynet a
envoyé une circulaire à tous les préfets, indiquant que
tous les parcs de montagne doivent être en zone deux. Dans mon parc,
celui du ballon des Vosges, qui relève de trois régions (avec
quatre départements), seul le Préfet de Lorraine a suivi Madame
Voynet. Le Préfet d'Alsace a considéré que c'était
à lui de décider, et non au ministre ; il a classé
les zones urbaines en zone deux. Celui de Franche-Comté avait d'abord
classé sa zone de montagne, puis ce fut au tour de la zone de
Montbéliard. Ainsi, la politique est différente selon les
régions, et l'unité du massif ne se retrouve pas. C'est la
même chose pour Natura 2000. Le Préfet des Vosges a une politique
différente de celle du préfet du Haut-Rhin. D'où la
difficulté de travailler dans un massif donné, quand on
dépend de plusieurs régions.
Je vais maintenant évoquer les problématiques majeures des parcs
de montagne. L'objet commun à tous les parcs régionaux est
d'animer un projet de développement et d'aménagement fondé
sur la préservation des patrimoines naturels, culturels et paysagers.
Cette mission d'exemplarité en matière de développement
durable est vécue fortement par tous les parcs de montagne. Leurs
territoires sont en effet soumis à une exigence de qualité qui
est liée à une demande sociale très forte de la part des
habitants - reposant sur un sentiment d'identité, d'appartenance
à un espace symbole de la nature et du calme à préserver.
C'est aussi lié à des difficultés économiques
réelles, comme la moindre compétitivité de l'agriculture.
Face à ce défi, que font les parcs naturels dans les parcs de
montagne ?
A l'égard du maintien d'une agriculture vivante, gestionnaire de
l'espace, la différenciation des procédures et aides
financières en faveur du pastoralisme est insuffisante. Les CTE,
auxquels nous sommes favorables - car ils fonctionnent sur le même mode
que les parcs, avec l'élaboration d'objectifs - n'ont que
très partiellement pallié la disparition des mesures
agri-environnementales, à cause d'une approche insuffisamment
territorialisée, un plafonnement indifférencié des aides,
l'impossibilité de les appliquer à des exploitations
« marginales » au plan économique mais essentielles
pour l'entretien de l'espace, l'inadaptation aux systèmes d'exploitation
collective des estives.
Par exemple, on devrait soutenir la filière ovine de montagne :
intégrer le coût des bergers et prendre en compte le
sylvo-pastoralisme dans les aides publiques et inciter les propriétaires
à laisser passer les troupeaux transhumants. Il faudrait
également valoriser les productions et services par la marque
« Parc Naturel Régional de... » qui garantisse les
critères de qualité (authenticité, caractère
artisanal) et de prise en compte de l'environnement.
Les difficultés de l'agriculture de montagne expliquent la progression
notable des surfaces boisées, par plantation des parcelles ou
régénération naturelle de la forêt. En concertation
avec les élus et tous les professionnels, les parcs s'attachent à
préserver, voire reconquérir, l'espace agricole et à
veiller à la diversité biologique des boisements. Dans mon parc
par exemple, les chambres d'agriculture et de commerce, l'ONF, font partie
intégrante du parc. Il y a des parcs de syndicats fermés ou
ouverts. Le mien est ouvert, et l'ONF paye une cotisation. Cette concertation
entre élus et professionnels se fait notamment à travers
l'élaboration ou la révision des réglementations de
boisement, la remise en culture de parcelles, la concertation avec l'ONF et les
CRPF pour développer une sylviculture plus diversifiée,
adaptée aux enjeux paysagers, et pour l'intégration
paysagère des schémas de desserte. On fait par exemples des
schémas de paysages vallée après vallée, en faisant
travailler ensemble des élus, les écoles, les jeunes, qui fixent
leur avenir sur dix ans.
Actuellement, nous conduisons une réflexion collective des parcs
naturels régionaux pour la mise en oeuvre des chartes forestières
de territoire.
Pour ce qui concerne les aménagements et le développement
touristique, notre objet n'est pas d'avoir un tourisme de masse, mais de
qualité. Compte tenu des attentes de la clientèle et des atouts
paysagers de ces territoires, les parcs de montagne sont
particulièrement bien placés pour développer un tourisme
misant sur la qualité environnementale et paysagère des
aménagements et hébergements, l'intégration et la prise en
charge des prestations par les forces vives locales. Cela
nécessite :
- un effort particulier pour développer, avec les collectivités,
une logique de mise en scène du territoire par la création et le
balisage cohérent de circuits de découverte, sentiers à
thème, etc... ;
- la concertation avec les associations de sports de pleine nature et les
guides professionnels, pour le respect de « codes de bonne
pratique » et la sensibilisation des participants ;
- la maîtrise de la pénétration des espaces naturels les
plus sensibles, par l'application de la loi sur la circulation des
véhicules de loisirs à moteur ;
- le souci de développer une offre d'activités attractives sur la
période estivale et l'intersaison, grâce au tourisme de nature et
de découverte du patrimoine ;
- l'appui à la création ou à la rénovation
d'hébergements diffus, intégrés au paysage et
adaptés aux contraintes environnementales (assainissements,
économies d'énergie, valorisation des productions locales).
Nous avons par exemple, à travers les marques d'appel que sont les
« Voyages au naturel », les « Gîtes
Panda », les « Hôtels au naturel », un
tourisme de qualité. Je vais à nouveau prendre l'exemple du Parc
des Ballons des Vosges. Le Plateau des Etangs, en Haute-Saône, n'a pas
assez de touristes, bien que l'on fasse le maximum pour en avoir.
A
contrario
, il y en a trop sur la route des crêtes,
fréquentée par un million de touristes chaque année. Notre
rôle est de faire en sorte que la nature soit respectée, avec
notamment la navette gratuite des crêtes qui permet aux touristes de
laisser leur voiture en bas, sur un parking.
Je ne reviendrai que brièvement sur la manière dont Natura 2000 a
été appliqué. Je ne jette pas seulement - gentiment - la
pierre à Madame Lepage, mais également à tous les
ministres qui n'ont rien fait. Bruxelles avait demandé en 1992 ou en
1993, d'appliquer Natura 2000. Tout a été piloté par
l'Etat, alors que Bruxelles souhaitait qu'il y ait un dialogue, une
participation de l'ensemble des acteurs pour l'établissement de Natura
2000. Essayer de regagner la confiance des maires qui avaient dit
« non » au départ, n'est pas facile, alors que sur
le fond, Natura 2000 est une bonne chose. S'il y a de grands espaces Natura
2000 en montagne, il ne faut cependant pas oublier qu'à l'exception des
sites en zone centrale des parcs nationaux, les plus grands sites Natura 2000
concernent les zones humides et maritimes : baie du Mont-Saint-Michel,
marais atlantiques, Parc Naturel Régional de la Brenne, PNR de Camargue,
PNR Armorique.
Par sa conception même de protection contractuelle
négociée, Natura 2000 correspond bien à la pratique des
parcs naturels régionaux. Les parcs naturels régionaux
s'investissent actuellement pour expliquer, sensibiliser et animer la
concertation nécessaire à une procédure de la
compétence de l'Etat souvent mal perçue. Par exemple, lorsque les
maires reçoivent le préfet, ils lui disent « Monsieur
le Préfet, non à Natura 2000 ; le parc, oui ». Les gens
ne sont en fait pas contre Natura 2000 sur le principe. Ils veulent participer
par eux-mêmes et par la base. Notre rôle est de convaincre les
maires de discuter.
Un autre domaine d'intervention des parcs naturels régionaux - en
contradiction avec l'ANEM, que je connais bien pour en avoir été
le premier Secrétaire Général - est la préservation
d'espèces animales emblématiques, comme le vautour, le
gypaète, le lynx, et même le loup. Le Parc du Queyras gère
bien le problème du loup, bien mieux d'ailleurs que les parcs nationaux.
Pour ce qui concerne l'articulation de la démarche de pays avec les
parcs de montagne, les logiques de parcs et pays sont bien différentes.
En effet, les territoires des parcs tirent leur cohérence des enjeux
patrimoniaux et identitaires, indépendamment des limites
administratives. Par contre, les pays se constituent en respectant la limite
EPCI à fiscalité propre, selon une logique de solidarité
socio-économique, et sont donc beaucoup plus influencés par les
limites cantonales et départementales.
De ce fait, la grande majorité des parcs de montagne,
généralement centrés sur des petits massifs et
intégrant les parties hautes des piémonts, voient leur
périmètre concerné par plusieurs pays organisés
autour des villes et bassins d'emploi périphériques ou des fonds
de vallées (sauf le Queyras, parc de haute montagne, qui est totalement
inclus dans le pays du Briançonnais).
Le risque est donc de voir la cohérence et la lisibilité du
projet de territoire, porté par le parc, éclatées par des
dynamiques différentes, selon chaque pays. Si une réflexion
particulière n'est pas engagée par les collectivités pour
différencier les missions du parc ou du pays sur le territoire commun,
deux approches différentes du développement pourraient
s'affronter, à terme :
- un développement résolument « durable »,
fondé sur une identité patrimoniale, porté par le
Parc ;
- un développement par rapport aux pôles urbains, tirant les
entreprises dans les vallées et faisant des espaces de montagne des
zones d'habitat résidentiel ou de récréation, porté
par les pays.
L'organisation des collectivités en pays ne pose pas de
difficultés aux parcs lorsque le Conseil régional s'investit
clairement dans sa compétence d'aménagement du territoire, en
tenant compte de ses parcs, et contractualise avec ces derniers sur la base
d'un projet global au même titre qu'avec les pays. C'est le cas des
régions Franche-Comté et Midi-Pyrénées. Les
chevauchements de territoires sont alors marginaux, et ne posent alors pas de
problème. Il n'y a d'autre part pas de difficultés
particulières lorsque les élus choisissent d'orienter leur charte
de pays, en étroite concertation avec le parc. Je citerai à
nouveau le cas du Parc naturel régional des Ballons des Vosges,
concerné par huit pays. Au départ, j'ai dit aux
présidents, Monsieur Poncelet et d'autres, que nous ne signerions de
convention qu'à la condition que les pays respectent le parc, et soient
en complémentarité avec lui. Ainsi, on travaille avec tout le
monde lors de la création de pays. Cela ne se passe pas toujours aussi
bien, car les pays sont beaucoup plus politisés que les parcs. Je n'ai
jamais entendu parler de politique dans un parc. Je suis moi-même
élu par la droite comme par la gauche. La situation est bien
différente dans les pays.
La loi Montagne est une loi d'équilibre qui a permis un
développement économique important dans certains secteurs, une
protection de l'intégrité des paysages montagnards dans d'autres.
A la lumière de l'expérience des parcs naturels régionaux,
fondée sur la recherche d'un équilibre entre développement
et protection, dans une approche de planification territoriale, nous pouvons
affirmer que la loi Montagne a fait ses preuves. Je ne sais pas si tout le
monde est de cet avis.
En ce qui concerne les parcs naturels régionaux, les dispositions de la
loi Montagne ne sont donc pas des contraintes supplémentaires, mais une
base qui permet d'aller plus loin et d'organiser plus finement le
développement au regard des objectifs de préservation du
patrimoine naturel et paysager. Il faut rappeler qu'en adhérant à
un parc naturel régional, les communes expriment une attitude volontaire
en termes de maîtrise de l'urbanisation et des grands
aménagements. Chaque commune doit voter dans son conseil municipal. Avec
213 communes et 250 000 habitants, notre parc est le plus
peuplé de France, et le deuxième plus étendu en
superficie, derrière le parc des Volcans. Sur ces 213 communes, 203 ont
adhéré. Sur neuf communes qui, pour des raisons diverses avaient
refusé, cinq viennent de nous informer qu'elles veulent adhérer.
C'est un acte volontaire, qui implique que l'on observe les recommandations de
la charte. Nous donnons par exemple un avis sur tous les PLU et sur les permis
de construire, dans les zones d'intérêt majeur. Nous
élaborons avec les communes et les communautés de communes des
chartes paysagères. Nous appuyons le conseil aux collectivités
pour l'élaboration de documents d'urbanisme intégrant les
orientations de la charte et les recommandations des chartes paysagères.
Dans la charte, nous réalisons un travail de prospective à dix
ans pour l'extension, ou la non-extension des domaines skiables. Nous
effectuons enfin des cahiers des charges spécifiques pour la
procédure UTN, des restrictions au recours aux canons à neige
dans certains secteurs fragiles, et des recommandations particulières en
matière d'aménagements routiers.
Les dispositions d'urbanisme de la loi Montagne ont permis d'éviter le
mitage et la banalisation des paysages et espaces montagnards et de limiter en
conséquence les coûts d'infrastructures pour les
collectivités. Elles méritent d'être maintenues, comme
principes fondamentaux, permettant aux territoires organisés de
développer, comme les parcs, des approches qualitatives volontaires et
adaptées. Dans le même esprit, la procédure UTN est
intéressante, en particulier si elle permet de mesurer la
faisabilité économique des équipements. Nous sommes
actuellement confrontés à une évolution climatique
où la majorité des stations de moyenne montagne sont
amenées à réaliser des investissements de plus en plus
importants, pour contrer le manque de neige. Par ailleurs, le
développement d'une offre touristique alternative, l'été
et en moyenne saison, est tributaire de la protection de ces espaces naturels
et des paysages de très grande qualité.
Globalement, la loi Montagne nous donne satisfaction. J'avais demandé,
au moment de la rédaction de la loi, que le président du
comité des massifs soit un élu. Je n'ai pas été
écouté, le ministre de l'époque a imposé sa propre
vision. Cela a depuis été modifié, et il y a une
co-présidence dans le bureau. J'accepterai volontiers que ce soit un
élu qui prenne la présidence, comme je l'avais proposé
à l'époque.
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci pour cet exposé très clair,
précis et complet. J'ai quelques questions à vous poser. Je
m'interroge tout d'abord sur les moyens financiers. Cette question m'est venue
au moment où vous évoquiez votre politique du tourisme, dont le
caractère est diffus. Il n'est peut-être pas toujours
générateur de ressources directes. Comment équilibrez-vous
ces initiatives ?
M. Jean-Paul Fuchs
- Chaque parc est autonome, donc spécifique.
Ce sont des parcs régionaux, ce qui veut dire que l'essentiel des
ressources provient des régions. Les régions donnent entre 40 et
60 % en moyenne des ressources des parcs naturels régionaux. Les
départements donnent entre 5 et 30 %. Quand la région donne
beaucoup, le département donne moins. En Lorraine par exemple, la
totalité des fonds provient des régions. L'Etat donne en gros 10
%. Au niveau de la population, cela varie, de 0,61 € par habitant en
Lorraine à 3,81 € pour le Vercors. Certains parcs font plus de
choses que d'autres. Les parcs les plus anciens s'occupent de tout, comme la
Corse, ou le Vercors qui gère même les monuments de
commémoration de la résistance. Les parcs les plus récents
s'occupent de moins de choses, car ils n'empiètent pas sur les
plate-bandes des organismes qui ont déjà pris en charge la
gestion de quelque chose. Le budget du Parc des Ballons des Vosges est autour
de 1 million 220.000 € de frais de fonctionnement, et autant pour les
dépenses d'investissement. Voilà en gros le budget moyen d'un
parc ; cela dépend de la surface, du nombre d'habitants et de
communes. Le Parc du Queyras n'a que cinq communes, contre 203 pour le mien,
avec 28 000 entreprises. On ne peut donc pas comparer un parc à un
autre ; c'est la philosophie qui est la même.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je termine avec deux questions.
Premièrement, avez-vous des difficultés sur la question des
motoneiges, et comment la circulaire s'applique-t-elle ?
Deuxièmement, avez-vous des éléments à nous
communiquer sur les moyens financiers qui assortissent la procédure
Natura 2000 ? Dans le département où je suis élu,
nous avons le plus grand mal à éclairer nos collègues
maires, qui voient arriver les contraintes engendrées par la mise en
place de Natura 2000, sans savoir comment les gérer
financièrement. Comment les sites seront-ils gérés, et
avec quels moyens européens ?
M. Jean-Paul Fuchs
- Concernant votre première question, nous
n'avons pas de problème. Les parcs ne sont pas contre le tourisme de
neige ; nous voulons simplement éviter l'anarchie. Les motoneiges
qui sont dans les Vosges appartiennent généralement aux
collectivités municipales ou au département. Les raquettes ne
nous posent pas non plus de problème ; il faut seulement veiller
à ce que les gens n'aillent pas partout, afin de protéger les
quelques tétras qui existent encore dans les Vosges. Les Parcs incitent
les communes à s'appuyer sur la loi du 3 janvier 1991 pour
organiser la circulation des motoneiges.
Concernant Natura 2000, il y a des moyens qui sont à disposition,
d'abord en personnel. Le parc dispose de personnel, grâce aux
crédits de l'Etat, pour organiser Natura 2000. Nous sommes gestionnaires
de l'ensemble, mais nous travaillons également avec l'ONF et d'autres
associations. Natura 2000 ne doit pas être, dans l'esprit, une
interdiction, mais une gestion exemplaire, s'appuyant sur la participation des
élus pour faire un ensemble de choses, dont la protection.
Dans le massif du Jura, les maires ont dès le départ dit oui,
globalement. Dans le massif des Vosges, ils ont globalement dit non. C'est
à nous, par le dialogue, de discuter et de raisonner.
M. Gérard Bailly
- J'ai un pu suivre la vie des parcs dans la
région de Franche-Comté ; j'ai été pendant
quinze ans conseiller régional, poste que j'ai quitté l'an
dernier pour cause de cumul. J'ai aussi pu suivre le Parc des Vosges. J'ai
trois questions. La première concerne les prérogatives
respectives des parcs et des pays. Je n'ai en effet pas très bien
compris la différence entre la charte des parcs, et celle des pays qui a
été conduite à un an d'intervalle.
M. Jean-Paul Fuchs
- Les parcs existent depuis 35 ans, tandis que les
pays viennent d'être créés. Les pays sont extrêmement
variables ; certains ne s'occupent que d'économie, d'autres
ajoutent une touche environnementale. Leurs chartes ne sont en aucun cas
opposables. Tandis que la notion de parc naturel régional est
partagée par les régions et le ministère de
l'environnement qui reconnaît la qualité de leur charte par
classement. Tous les dix ans, il faut donner une nouvelle charte au Parc.
M. Gérard Bailly
- Dans la loi c'est pourtant bien le territoire
du parc qui est considéré comme le pays, du moins chez nous, pour
ce qui est du Haut Jura.
M. Jean-Paul Fuchs
- Ah non ! La loi reconnaît aux Parcs,
comme aux pays, la possibilité de signer un contrat particulier avec la
région dans le cadre des contrats de plan. La région
Franche-Comté a intitulé ces contrats « contrats de
pays » qu'ils soient portés par un parc naturel
régional ou un pays. C'est le cas également pour la région
Centre, avec les parcs du Perche et de la Brenne.
M. Gérard Bailly
- Chez nous aussi, c'est la même chose.
M. Jean-Paul Fuchs
- Cette situation est une exception. La loi sur les
pays fait référence aux objectifs du développement
durable, mais ne dit pas que parcs et pays sont équivalents dans leurs
objectifs puisqu'elle recommande une recherche préalable
d'harmonisation des périmètres. Il n'y a que deux parcs sur les
40, où les deux notions peuvent se superposer, le parc étant
englobé dans un grand pays. Dans quelques cas, il n'y a pas de pays qui
se créent sur le parc. Dans mon parc, il y a eu huit pays. La loi
prévoit alors qu'il y a une convention pour qu'il n'y ait pas deux
politiques différentes, cette convention est obligatoire pour permettre
à un pays de se créer sur un parc existant.
M. Gérard Bailly
- Dans mes deux autres questions - ou
plutôt thèmes que je souhaiterais que l'on aborde - je vais un peu
me faire l'avocat du diable. On entend souvent dire que les parcs ne servent
qu'à faire des études qui coûtent beaucoup d'argent, alors
que l'on n'arrive pas à trouver de crédit pour certaines
professions comme les bergers, ou certains secteurs dont vous parliez tout
à l'heure. Il semble que l'on préfère attribuer des
crédits pour réaliser des études, plutôt que pour
investir.
Une circulaire dit aussi que dans les parcs, on peut être financé
à 100 %. Or, les élus de collectivités, conseils
généraux ou régionaux qui ne font pas partie d'un parc,
n'admettent pas que l'on puisse être financé intégralement.
M. Jean-Paul Fuchs
- Je réponds à la première
question, en essayant de généraliser, bien que chaque parc soit
spécifique. Les études dépendent en grande partie du
président, du directeur et du conseil d'administration. Je peux vous
dire qu'au niveau de mon parc, aucune étude ne peut être
réalisée sans application concrète. Je sais que les
élus ne veulent pas d'études. J'ai moi-même
été député, conseiller général et
régional et conseiller municipal pendant 44 ans. Notre objectif est de
ne jamais commander d'étude qui ne serve à rien.
Il y a effectivement un décret du ministère de l'environnement
qui prévoit que les investissements découlant de la charte du
parc peuvent être financés à 100 %. Il me semble
anormal d'exiger de petites communes rurales, un apport important pour des
réalisations qui bénéficient au territoire global du parc.
Rappelons que les syndicats mixtes des parcs n'ont pas de fiscalité
propre, et donc pas de contribution financière propre à apporter
aux projets.
M. Gérard Bailly
- Ma dernière question est
également provocante. Depuis les dernières élections, dans
le message du Président de la République d'hier et sans doute
dans le discours de politique générale du Premier Ministre cet
après-midi, on a beaucoup parlé de simplification, de
rapidité dans les décisions. A contrario, on dit souvent que les
parcs sont une structure de plus, qui contribue à la lourdeur
administrative. Avez-vous déjà réfléchi à la
manière qui permettrait d'agir plus vite, avec plus de simplicité
au niveau des parcs ?
M. Jean-Paul Fuchs
- C'est un petit peu le sujet tarte à la
crème. Je me rappelle encore de Madelin qui disait « on va
simplifier... ». Les parcs existent depuis 35 ans. Le mien, le
25
ème
à été créé en 1989.
Puis on a créé les communautés de communes, les pays, ce
qui ne simplifie pas les choses. Les relations entre les parcs et les communes
et communautés de communes qui constituent leurs territoires, sont
déjà opérationnelles. C'est la raison pour laquelle, alors
que les parcs ne représentent que 11 % du territoire
français, il convient de ne pas superposer deux politiques territoriales
différentes au sein d'un même parc.
Il faut quatre à cinq ans pour créer un parc, car nous ne pouvons
que convaincre du bien fondé de ses objectifs très exigeants et
non contraindre. On a pensé que l'on pouvait simplifier la
procédure, ce qui me semble difficile si l'on veut obtenir un consensus
sur des mesures environnementales fortes.
Il y a un an, prenant exemple sur la Corse, voulant simplifier, on a dit que ce
ne serait plus l'Etat, mais les régions qui donneraient la marque. Je
m'y suis opposé, car la vraie décentralisation est celle que nous
avons aujourd'hui. La région a la responsabilité de mettre
à l'étude un parc, de piloter la procédure de
création, d'approuver le périmètre du parc défini
par l'adhésion des communes ainsi que le contenu de la charte. Mais tout
vient d'en bas, des communes et des communautés de communes, qui
ensemble fixent la charte et les objectifs. C'est ensuite l'Etat, en
décentralisant la marque déposée à chaque parc, qui
garantit une qualité minimale du projet et la cohérence de la
politique des parcs régionaux. La base se fixe des objectifs, avec un
Etat qui régule. En Espagne, où chaque région fixe ses
critères, les 200 parcs existants sont de qualité totalement
différente et certains n'existent guère que sur le papier.
M. Gérard Bailly
- Ma question concernait les porteurs de
projets, dans les parcs, qui souhaitent que l'on aboutisse rapidement, dans
l'année ou les 18 mois qui suivent. Les gens ont besoin de
rapidité dans la décision.
M. Jean-Paul Fuchs
- Oui, mais il faut du temps, on ne peut pas
brûler les étapes pour créer un parc.
M. Gérard Bailly
- Je ne parlais pas de la création de
parcs...
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci Monsieur le Président. Nous vous
ferons parvenir le moment voulu notre rapport, comme à tous nos
auditeurs.
40. Audition de M. Robert de Caumont, président de l'Association pour le développement économique de la Haute Durance (ADECOHD), accompagné de Mme Jacqueline Fabre (3 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur -
Monsieur le Président, Madame, je
suis heureux de vous accueillir au Sénat, au nom d'une mission qui, pour
l'heure, est à effectif réduit. Après quelques minutes de
retard dont je vous prie de m'excuser, en raison de la déclaration de
politique générale du Premier Ministre, nous allons commencer nos
travaux avec le souhait qu'un certain nombre de nos collègues puissent
nous rejoindre. Je voudrais tout d'abord excuser le Président Jacques
Blanc, ainsi que les autres collègues, et vous dire le plaisir que nous
avons de faire un point très philosophique et structurant sur la loi
Montagne. Nous avons le privilège, Monsieur de Caumont, de vous
accueillir en tant que Président de l'Association pour le
Développement Economique de la Haute Durance mais aussi et surtout en
tant que co-auteur de la loi Montagne de 1985 au côté de Louis
Besson, de Jean Faure et d'un certain nombre d'autres promoteurs. C'est donc
pour nous un plaisir, un honneur de vous recevoir et de vous écouter en
cette qualité, mais également en votre qualité
d'observateur tout à fait privilégié à l'ANEM,
notamment. Je ne crois pas utile de vous rappeler ici quels sont les objectifs
de notre mission, mission d'évaluation et dont le contenu doit
être synthétisé pour octobre prochain pour que nous
puissions notamment rendre compte de nos travaux et proposer un certain nombre
d'orientations.
Sans plus attendre, en vous renouvelant le plaisir que nous avons à vous
accueillir tous deux, je vais vous laisser la parole, Monsieur de Caumont, sur
la base de la grille de questions que nous vous avons présentée.
Cette liste est bien entendu non exhaustive et vous laissant toute la
liberté de déborder et de nous dire ce que vous désirez
sur la façon dont cette loi a été appliquée, sur
les carences qu'il peut y avoir, sur les compléments qui seraient
nécessaires. Notre vision des choses n'est pas de bouleverser la loi ni
de la remettre en cause mais de lui donner aujourd'hui l'actualité et la
pertinence nécessaire par rapport aux évolutions qui sont
survenues depuis 1985. Vous avez donc la parole pour une heure à une
heure et quart. Nous nous réservons le loisir de vous poser des
questions après votre exposé liminaire.
M. Robert de Caumont
- Monsieur le Président, le plaisir est
partagé par moi d'être présent parmi vous pour aborder
cette problématique de la loi Montagne. Le fait que le Sénat se
soit saisi de ce sujet est pour nous, qui nous sommes consacrés
dès l'origine au suivi de cette loi, une étape importante. Au
bout de 17 ans, le problème est arrivé à maturité
et nous pouvons beaucoup attendre de vos travaux.
Peut-être faudrait-il que je vous dise tout d'abord pourquoi
l'Association pour le Développement Economique de la Haute Durance -
association qui accomplit les fonctions de comité de bassin d'emploi
pour le nord du département des Hautes-Alpes - a un rapport particulier
avec la loi Montagne.
Dès l'élaboration de la loi, il y a eu une longue période
de participation qui a permis l'intervention des forces vives des
différents terroirs de montagne. Il se trouve que ce travail a
été assez intense dans la Haute Durance, comme j'étais
rapporteur de la loi. Peu de temps avant l'adoption de la loi, nous avons
décidé de constituer un outil pour en faire, si j'ose dire, le
service après-vente, et ce fut l'Association Nationale des Elus de
Montagne. Cette association est née de la volonté que cette loi
ne reste pas lettre morte. Elle a eu un destin assez brillant depuis. Il y a
une autre instance dans laquelle je me suis investi dès le
départ, l'Association Européenne de la Montagne, qui est
née de la volonté d'élever les enjeux de la politique de
la montagne au niveau européen. En effet, les enjeux se
déplaçant de plus en plus, il ne servait à rien d'avoir
une politique française de la montagne si l'Europe n'avait pas de
politique de la montagne. L'ADECOHD a constitué dès 1985 une
équipe pour s'occuper des tâches concernant un comité de
bassin d'emplois, mais qui est à chaque fois confrontée à
la spécificité de la montagne, qu'il s'agisse de :
- l'élaboration d'une analyse de territoire et d'un projet de
développement ;
- l'accompagnement des politiques publiques de l'emploi ;
- la création d'entreprises qui a une grande importance dans notre
milieu ;
- l'adaptation des formations aux spécificités de la zone de
montagne et plus particulièrement à la pluriactivité
saisonnière ;
- le partenariat franco-italien -Briançon n'est qu'à treize
kilomètres de la frontière italienne ;
- la recherche appliquée à des domaines qui concernent la
politique de la montagne.
Nous nous sommes - successivement - consacrés à différents
sujets, que je n'énumérerai pas. Le sujet le plus difficile de
tous concerne la pluriactivité et le travail saisonnier. La perception
de ce problème, par les montagnards et par les instances de
décisions nationales a progressé ces derniers temps, notamment
grâce au souci de compétitivité de notre tourisme. C'est la
raison pour laquelle Jacqueline Fabre est ici aujourd'hui. Elle
représente en quelque sorte l'équipe de l'ADECOHD et est une
spécialiste de la pluriactivité saisonnière. En effet,
elle est très compétente pour traiter de la reconnaissance des
spécificités du statut des saisonniers et des pluriactifs, au
regard du droit du travail, de la protection sociale, des aides à la
création d'entreprises, de la formation permanente, etc. Il se trouve
que depuis ce matin elle est aussi collaborateur de député. A ce
titre, elle pourra également apporter sa contribution à vos
collègues de l'Assemblée Nationale sur ce point. Elle est
elle-même pluriactive : diplômée d'un DESS de Droit de
la Montagne et de Gestion des Collectivités Montagnardes, elle conduit
également une remontée mécanique occasionnellement. Auteur
du guide des pluriactifs et des saisonniers - que j'ai tenu à la
disposition de votre commission - c'est en connaissance de cause qu'elle dirige
la maison des saisonniers de Serre-Chevalier (c'est une maison
expérimentale issue du rapport Le Pors).
Nous sommes complètement à votre disposition, au-delà de
cette audition, puisque nous souhaitons vivement, ainsi que toute
l'équipe de l'ADECOHD, le succès de votre entreprise. Nous avons
mis à votre disposition quelques documents dont notamment le texte
définitif et originel de la loi Montagne, le guide des pluriactifs et
des saisonniers, document diffusé dans toute la France, et des
propositions sous forme de 34 fiches « Action sur la
pluriactivité saisonnière », que nous avait
demandées l'Assemblée Nationale suite au rapport Le Pors. Nous
mettons enfin à votre disposition le descriptif de la phase action de
l'expérience sur la pluriactivité. Cette expérience est
née du constat que quatre commissions successives, dirigées par
des hauts fonctionnaires et des parlementaires, ayant fait des analyses
pertinentes et préconisé des mesures judicieuses
généralement admises par tous, n'ont pas nécessairement
débouché sur des mises en oeuvre satisfaisantes. Puisque la loi
montagne le prévoyait, nous avons décidé de faire des
travaux pratiques sous forme de recherche-action. Si cette recherche-action
devait aboutir, cela pourrait servir de point d'appui à des mesures de
caractère général. C'est ainsi qu'est né le guide
des pluriactifs et qu'a été engagée la recherche-action
sur huit critères concernant la pluriactivité dont nous
reparlerons ultérieurement. Nous avons également pu constituer un
réseau national des pluriactifs, des saisonniers et de leurs
partenaires, et organiser une rencontre nationale chaque année. Nous
avons enfin pu bénéficier de la mise en place de la
première maison expérimentale des saisonniers. Il y avait eu des
expériences antérieures en Savoie mais elles n'étaient pas
ouvertes toute l'année, contrairement à l'expérience
conduite à Serre-Chevalier L'activité de la maison des
saisonniers bat en effet son plein entre septembre et décembre pour
préparer la saison d'hiver. Voici donc la présentation que nous
pouvions faire de notre association, qui est également faite dans un
petit dépliant que les gens de l'ANEM connaissent bien, pour l'avoir
reçu lors de la dernière assemblée générale,
et qui s'appelle « saisonniers et pluriactifs, prouver le mouvement
en marchant ». Il y a enfin une plaquette que nous avons
éditée lors des voeux, afin que vous connaissiez les effectifs de
l'ADECOHD ; vous y reconnaîtrez Jacqueline Fabre ici présente.
Vous m'avez questionné sur les principes structurants et les
orientations principales de la loi Montagne. Historiquement, c'est la
première loi française d'aménagement du territoire.
C'est une loi transversale qui, plutôt que d'essayer de traiter un seul
problème sur l'ensemble du territoire, a pour objet de traiter tous les
problèmes d'une partie de la France. Cela ne l'empêche pas pour
autant de porter des mesures de portée générale, avec des
précisions sur ce qui doit se passer en zone de montagne. A titre
d'exemple, la loi Montagne comporte un volet sur les biens indivis, sur les
sections de communes, car le ministère de l'Intérieur nous
l'avait demandé lors de l'élaboration de la loi. Cela nous a
d'ailleurs valu la compréhension du ministre de l'Intérieur de
l'époque, qui n'a pas hésité par la suite à nous
rendre à son tour quelques services. En définitive, c'est une loi
qui a « essuyé les plâtres », de par son
caractère novateur, et qui s'est heurtée au jacobinisme ambiant.
La loi Montagne est une loi transversale, donc interministérielle. Sur
un plan anecdotique, je peux vous dire que nous avons vu tous les ministres que
nous estimions concernés - c'est à dire 24 ministres. Ils nous
ont reçu avec toute la courtoisie qui les caractérise, mais ils
nous ont presque tous demandé pourquoi ils étaient
concernés. En effet, ils ont souvent une approche verticale, qui est
celle de leur ministère. Or, nous avions une approche qui en quelque
sorte quadrillait cette approche verticale. Après le succès de la
loi Montagne, il se trouve que les ministres ont tous, sans exception,
souhaité apposer leur signature au bas du texte. Sauf erreur de ma part,
la loi Montagne a donc été signée par 24 ministres. C'est
une illustration intéressante, me semble-t-il, de la nature même
de la loi Montagne.
C'est, en troisième lieu, une loi d'orientation. Je conversais tout
à l'heure avec un de vos collaborateurs sur ce sujet ; je crois
finalement que nous avons fait le bon choix. C'est une loi-cadre, notamment en
ce qui concerne les articles 1 et 17, s'agissant de la définition d'une
politique générale de montagne et d'une politique agricole de la
montagne. On a fourni aux montagnards un point d'appui pour pouvoir pratiquer
de nouvelles avancées, en invoquant certains articles de la loi
Montagne, comme les articles 8 et 80 sur lesquels nous reviendrons. Les choix
fondamentaux de la loi ont été assez clairement exprimés.
Cependant, encore fallait-il que l'administration d'une part, et les juges
d'autre part, intériorisent en quelque sorte les objectifs de la loi
Montagne, ce qui au départ, et par la suite même, n'était
pas évident. En face, la vigilance des élus et des institutions
dédiées à la montagne est une composante essentielle du
rapport de forces, d'où la place prise par l'ANEM qui a donc joué
un rôle très important dans ce domaine.
La notion d'auto-développement, pas toujours très bien comprise,
que l'on peut opposer un peu artificiellement à la notion d'assistance,
est une autre dominante de la loi Montagne. Autrement dit, quand on essaie de
répondre au critère de région défavorisée,
on demande l'assistance de la collectivité nationale, sans contrepartie,
alors même que la légitimité de la solidarité au
bénéfice de la zone de montagne est évidente. On ne peut
pas dégager les atouts et les éléments qui peuvent
permettre le développement des zones de montagne, si on ne cible pas les
aides publiques sur l'auto-développement, sur un projet de
développement élaboré par les montagnards eux-mêmes.
La participation des montagnards à l'élaboration et à
l'application des décisions qui les concernent, est l'un des ressorts du
développement de leurs régions. Aux niveaux national et
régional, il y a par ailleurs l'obligation d'introduire des dispositions
concernant la montagne dans la planification nationale, et dans les contrats de
plan. On se situe donc dans une forme de démocratie participative pour
les montagnards, susceptible de monter en régime, notamment dans le
cadre de l'actualisation de la loi.
Trop souvent, les montagnards ont eu l'impression que l'on plaquait sur leurs
atouts et leur terroir local des solutions standardisées,
appliquées à toute la France. Ce fut notamment la période
des « Sarcelles sur neige » du premier « plan
montagne ».
Le droit à la différence est une autre caractéristique
fondamentale. C'est la revendication d'un traitement particulier afin d'obtenir
une meilleure adaptation des mesures nationales à une situation locale
spécifique. Il y a donc dans la loi tout un volet sur la reconnaissance
de la spécificité, comme support d'un droit à la
différence. A cet égard, le titre 2 - « Du droit
à la prise en compte des différences et à la
solidarité nationale » contient l'article 8 qui stipule que
« les dispositions de portée générale sont
adaptées, en tant que de besoin à la spécificité de
la montagne...et les dispositions relatives au développement
économique, social et culturel à la protection de la montagne,
sont en outre adaptées à la situation particulière de
chaque massif, ou partie de massif ». A travers la diversité
de la montagne (moyenne montagne, haute montagne...), on se heurte à une
première objection lorsque l'on veut faire un texte propre à ce
milieu. Or, la montagne a quand même des dénominateurs communs qui
justifient la reconnaissance du droit à la différence, afin que
l'on n'applique pas bêtement des dispositions bonnes sur le plan
national, mais inappropriées à ces régions. A titre
d'exemple, l'article 14 concerne la mise en place des crédits du
bâtiment et des travaux publics qui doivent tenir compte des contraintes
saisonnières. Concrètement, cela signifie que les gens qui
conduisent des remontées mécaniques en hiver, doivent pouvoir
conduire leur engin du BTP à la fonte des neiges. On pourrait
décliner, si l'on avait le temps, une trentaine d'exemples similaires.
Tout le monde doit reconnaître que des mesures, justifiées sur le
plan national - comme par exemple la régulation des flux financiers d'un
douzième par mois pour éviter d'avoir des tensions
inflationnistes - ont des effets pervers au plan de la montagne, qui ne
représente que 6 % du chiffre d'affaires. Le bon professionnel des
remontées mécaniques et du bâtiment a alors du mal, si le
carnet de commande se fait attendre, en été, à trouver un
emploi, car les entreprises du BTP subissent la concurrence des entreprises
nationales du secteur qui ont un volant de main d'oeuvre conséquent. Le
potentiel économique de la zone de montagne, où le BTP est
très bien représenté, en est finalement très
affecté.
Il existe une légitimité à revendiquer un droit à
la solidarité nationale. Il s'agit d'un type de solidarité
particulier, lié à l'auto-développement, pour aider la
montagne à prendre elle-même les initiatives propres à son
développement. Cela implique également une reconnaissance du fait
que la montagne apporte beaucoup à la communauté nationale - sur
des plans tels que l'approvisionnement en eau, le social, le culturel, la
fabrication de produits de qualité. Malheureusement, la montagne a de
grands espaces, une faible population au pouvoir d'achat limité, une
fiscalité difficile. Or, elle accueille pendant la saison touristique
une population massive, ce qui doit notamment être compensé par le
surdimensionnement d'un certain nombre d'équipements. Tout ceci est donc
légitime, et ne relève pas d'un quelconque passe-droit.
Je vous rappelle qu'au début des années 80, on sortait à
peine de la période « héroïque » des
stations de sports d'hiver, où l'on a beaucoup construit, souvent de
manière anarchique. Cela a engendré une réaction
écologique avec les excès que l'on connaît, comme la
stérilisation du milieu montagnard. En fait, il y a paradoxalement une
énorme complicité entre l'aménageur ravageur, et
l'écologiste intégriste, car leur affrontement laisse peu de
place pour une démarche synergique, pourtant la meilleure pour la
montagne.
Le développement n'est rien sans la protection qui est la garantie de
notre développement futur. Dans le même temps, la protection ne
peut se faire sans les hommes qui sont capables de protéger et
d'entretenir la nature. Ainsi, conduire à la désertion des fonds
de vallée en posant un certain nombre d'interdits qui s'opposent
à l'installation des jeunes, signifie à la limite saborder son
propre projet écologique. A terme, cela implique que la montagne va
retourner à sa nature sauvage, ce qui n'est en aucun cas synonyme de
défense de la nature.
Il faut donc réaliser une synthèse entre le développement
et la protection, ce que symbolise d'ailleurs l'expression
« développement durable ». L'ANEM porte
également de plus en plus, en complément, la notion de
« développement équitable ».
En zone de montagne, il est important de voir si les choses que l'on teste
fonctionnent. C'est ce que nous sommes en train de faire sur la
pluriactivité saisonnière. Si une expérience donne
satisfaction, on peut alors dans un second temps la transférer au niveau
national ou à celui d'un massif, voire à un niveau plus modeste.
On avait cette disposition en filigrane dans l'article 8. Elle était
aussi, hélas, dans l'article 80, qui a été abrogé.
Celui-ci indiquait, en définissant l'usage du FIAM, le fonds
d'intervention pour l'auto-développement de la montagne :
« le FIAM a pour mission prioritaire et permanente de contribuer
à la valorisation de tous les atouts de la montagne en soutenant la
recherche appliquée, l'expérimentation, l'innovation, l'animation
locale et l'assistance technique, nécessaires à la mise en oeuvre
de projets de développement global, ainsi que la diffusion des
expériences et des techniques adaptées au niveau
montagnard ». Malheureusement, Bercy a tenu à ce que soit
abrogé l'article 80 sur lequel s'appuyait le FIAM, car il a
été décidé de regrouper tous les fonds dans un seul
fonds, le FNADT. L'acuité de la réaction des parlementaires n'a
pas été assez forte pour s'opposer au Ministère des
Finances.
Il y a là, je crois, une erreur à corriger ; c'est la raison
pour laquelle je me permets d'insister sur ce point.
Vous m'avez également questionné sur les oppositions et les
obstacles rencontrés lors de la procédure, et sur les
difficultés d'application et les insuffisances du texte.
Il est important de savoir que la procédure s'est appuyée, au
départ, sur un travail antérieur, à un moment où
les montagnards ne bénéficiaient pas d'une politique
spécifique, sauf en matière agricole. Cela remonte au discours de
Valéry Giscard d'Estaing, à Vallouise, en août 1977. Ce
discours reposait sur une revendication concernant l'environnement pour essayer
de compenser les aménagements excessifs. A partir de ce
moment-là, les différents partis représentés au
parlement ont engagé, chacun de leur côté, des travaux sur
ce sujet. Le discours prononcé en Août a donné lieu
à la directive de Vallouise de Novembre. Ce travail antérieur a
été bénéfique puisqu'il a donné lieu
à la création d'une commission d'enquête le 2 Juillet 1981,
dès le premier jour de la session du parlement. J'ai honte de dire,
vis-à-vis des administrateurs de l'assemblée qu'il s'agissait
d'une sorte de détournement de procédure. En fait, une commission
d'enquête, ce n'est pas fait pour cela. Mais c'est aussi une grande
concentration de moyens de qualité, un délai buttoir, avec la
possibilité d'entendre tout le monde, sous le sceau du secret puisqu'en
principe, les archives sont enfermées au palais de Versailles pendant 50
ans. Cela a représenté l'élément déclenchant
d'un travail très intense qui a conduit au dépôt d'un
rapport de 400 propositions, totalisant 200 pages, que vous possédez
sûrement dans vos archives. A mon sens, on a eu la sagesse de ne pas
vouloir poursuivre sur la démarche d'une proposition de loi, d'une part
parce que l'on aurait eu du mal à l'inscrire à l'agenda
parlementaire, et d'autre part parce qu'elle aurait été
vidée de l'essentiel de ses orientations lors du débat.
On a donc renvoyé l'initiative au gouvernement, où Michel Rocard
était un ministre bien disposé à l'égard de la
montagne. Michel Rocard, qui a d'abord été ministre d'Etat
chargé de l'Aménagement du Territoire, puis Ministre de
l'Agriculture, a suivi la loi Montagne dans ses pérégrinations
ministérielles. Cependant le gouvernement a profondément
déshabillé la loi de ses propositions, comme d'habitude, et quel
que soit le gouvernement, allais-je ajouter. Un certain nombre de dispositions
auxquelles on tenait, ont disparu. Juste après les municipales de 1983,
le gouvernement a consenti à lancer une concertation à la base,
dans toutes les circonscriptions de montagne. Il nous était
demandé ce que nous souhaitions voir apparaître - ou
reparaître - dans la loi Montagne. On a commencé à
rhabiller la loi, jusque dans la seconde moitié de l'année 1984,
avec plus de 1.000 amendements dans le débat parlementaire qui a suivi.
Dans mon groupe, qui disposait à l'époque de la majorité
absolue à l'assemblée nationale, on nous avait demandé de
ne pas obstruer le calendrier parlementaire. On nous avait alors dit :
« puisque nous avons la majorité, faites votre loi, puis nous
la voterons ». Nous avons alors rétorqué qu'il
s'agissait d'une loi pour tous les montagnards ; par conséquent, si
elle était votée à l'unanimité, nous savions tous
qu'elle serait protégée des effets pervers des alternances
successives. Le président de mon groupe a eu la sagesse de
reconnaître que c'était une bonne démarche, et il nous a
laissé le champ libre pour travailler pendant trois ans et demi, du 2
juillet 1981 au 9 janvier 1985, date de la promulgation de la loi. Cela a
permis de donner beaucoup de force à la loi, pour résister aux
changements politiques successifs, car c'est la loi de tous les montagnards -
j'ai d'ailleurs commencé ma première intervention à la
tribune de l'assemblée par un « Montagnards de tous les
partis, unissez vous » , ce qui m'a valu d'être qualifié
de « lobbyiste en chef » par le Monde dans son
édition suivante. J'en suis d'ailleurs fier, car c'est un lobbying dans
l'intérêt de la nation, qui a besoin que sa montagne
prospère. Toutes les archives des débats représentent
plusieurs mètres cubes de documents. Je tiens à votre disposition
tous les articles sur les débats parlementaires, et la façon dont
on les a vécus, et plus particulièrement les tensions que nous
avons connues, et les murs auxquels nous nous sommes heurtés. Nous nous
sommes d'ailleurs opposés au gouvernement pour un certain nombre de
mesures, qui sont peut-être aujourd'hui plus mûres qu'elles ne
l'étaient dans les années 1980.
En commission et en séance, il n'y avait pratiquement que des
montagnards dans la salle, à partir du moment où il s'agissait de
la loi « Montagne ». Dans la plupart des cas, le travail a
été grandement facilité par la proximité des
positions des montagnards de droite comme de gauche.
Les obstacles permanents sont d'abord les oppositions à la loi
proprement dite ; quand la technostructure ne digère pas une loi,
elle attend, embusquée, la meilleure occasion de la remettre en cause.
Il y a également les obstacles qui tiennent à l'application de la
loi. Ainsi, la loi Montagne a été stérilisée dans
un certain nombre de ses articles, car l'administration n'a pas fait de
zèle pour les appliquer, et les élus n'ont peut-être pas
suffisamment fait en sorte que la loi soit appliquée. Les jacobins
n'acceptaient pas qu'un texte ne puisse s'adresser qu'à une partie du
territoire. Je vais ouvrir ici une parenthèse. L'article 8 de la loi
Montagne, d'une certaine manière, préfigurait ce que les Corses
ont réclamé. Or la Corse est presque intégralement en zone
de montagne. Ils ont sans doute souhaité, de même que le
gouvernement, lui donner davantage de solennité, mais l'essentiel
était dans l'article 8 de la loi Montagne.
Toutes les mesures à incidence financière ont plutôt
été mal reçues au départ. Il y avait par exemple le
cas des redevances ski de fond et ski de piste qui fonctionnent à peu
près bien, excepté l'application de la grille d'attribution aux
différents secteurs d'activités montagnardes. Par contre, le FIAM
a été remis en cause, d'ailleurs avec quelques
précautions : pour que les représentants de la montagne ne
réagissent pas trop fort, on a alors annoncé que l'on allait
garder une réserve d'un montant équivalent à celui que
l'on avait consacré au FIAM. Depuis quelques années il est vrai,
cette réserve reste à un niveau stable, mais relativement faible.
Il y a aussi les gens qui étaient contre les lois d'orientation, en
arguant le caractère brouillon de ces textes qui déclarent des
intentions et proclament une politique sans en prévoir tous les moyens.
Les décrets d'application, contrairement à ce que beaucoup ont
dit, ont fini par sortir, et cette querelle s'est apaisée. Au
départ, l'Elysée et le Conseil d'Etat ont manifesté une
certaine hostilité à ce type de loi, ce que l'on peut comprendre
de leur point de vue.
Les organisations professionnelles nationales ont représenté le
dernier obstacle. A cette époque, elles ignoraient la
spécificité montagnarde ou s'en méfiaient, sauf quand
elles étaient dirigées par des hommes de la montagne, comme
M. Debatisse à la FNSEA. Certaines organisations sont
dominées par les exploitations les plus productivistes, dont la logique
s'oppose à celle de la montagne qui repose sur des exigences de
qualité, de respect de l'environnement, de commercialisation directe.
Les choses sont en train de changer, avec la prise de conscience de
l'importance de notions telles que la sécurité alimentaire ou la
qualité des produits de consommation.
Les professionnels, de même que les interprofessionnels, c'est à
dire les organismes sociaux, qui sont des institutions paritaires, ont
opposé une résistance acharnée pendant plusieurs
années. Nous sommes peut-être en train de la surmonter à
travers notre expérience, puisque l'on a tout de même convaincu la
CNAM des Hautes-Alpes de conduire une expérience pilote de guichet
unique et de caisse pivot. Aujourd'hui, il n'existe pas de guichet unique et de
caisse pivot dans la mesure où l'on en donne la définition
suivante :
- le guichet unique est le lieu où l'on rencontre une personne
hautement qualifiée et mandatée par toutes les caisses, capable
de prendre en charge le dossier et de l'acheminer correctement.
- la caisse pivot est un lieu où s'organisent les flux financiers entre
les caisses.
Il y avait précisément sur ce point une opposition fondamentale
entre la CNAM et la MSA qui souhaitait obtenir le régime des
pluriactifs. Aujourd'hui, le directeur de la MSA est devenu directeur de la
CNAM, et le président de la CNAM a accepté de réaliser une
expérience à taille réelle, sur le terrain, en
collaboration avec les autres régimes.
Je souhaiterais à présent revenir sur une anecdote
législative tout à fait représentative de la situation
générale : dans le cadre d'un texte du Ministère de
l'Agriculture, on a cru pouvoir dire que le pluriactif avait le libre choix de
sa caisse pivot ; or, il n'existait pas de caisse pivot. On a alors sorti
un décret d'application, mais il n'y avait toujours pas de caisse pivot.
Monsieur Le Pors a alors déclaré qu'il fallait abroger le
décret et la loi. J'espère donc, à partir de
l'expérience de terrain conduite dans les Hautes-Alpes, que l'on pourra
faire avancer ce dossier, dont Jacqueline est en charge en relation avec des
responsables nationaux de la CNAM et avec la CPAM des Hautes-Alpes.
Des évolutions justifient de modifier le texte en vigueur. Les
institutions européennnes ne sont plus ce qu'elles étaient en
1981 ou en 1985. Les enjeux doivent parallèlement s'élever au
niveau européen, et le travail d'actualisation de la loi Montagne est
également à conduire à ce niveau. Les élections
européennes sont un scrutin à la proportionnelle, ce qui favorise
les concentrations urbaines par rapport au milieu rural diffus et au milieu
montagnard. Or, les concentrations urbaines perçoivent plutôt la
montagne comme un lieu de récréation et de détente. C'est
pourtant également un lieu où les hommes vivent, y compris quand
les touristes ne sont pas là. Il y a encore beaucoup de travail pour
faire comprendre cela au Parlement européen et à la Commission.
Heureusement, Michel Barnier est le commissaire européen à
l'aménagement du territoire, et il y a également,
désormais, Luciano Caveri qui est le Président de la commission
aménagement du territoire et transports du Parlement européen.
Nous disposons donc peut-être de quelques atouts de plus pour faire
progresser les choses au niveau européen dans les temps qui viennent.
J'ajouterai enfin que la montagne, excepté le Massif Central, est
largement située en zones frontalières. D'autre part, faire
progresser l'Europe, y compris à travers la perméabilité
des frontières montagnardes, est important.
Le nouveau député des Hautes-Alpes, dans notre circonscription
frontalière, a voulu envoyer les enfants de ses écoles de
l'Argentière la Bessée au musée égyptien de Turin.
On lui a dit d'accord, sauf pour les enfants d'immigrés qui doivent
rester puisqu'ils ne peuvent pas passer la frontière. Nous sommes
à treize kilomètres de la frontière. L'hôpital de
Briançon est le meilleur jusqu'à Turin ; beaucoup de femmes
italiennes viennent accoucher à l'hôpital de Briançon, mais
les bébés italiens ne sont pas pris en compte dans les
statistiques françaises de l'Agence régionale d'hospitalisation.
Quand on veut que les Ponts et chaussées flèchent Briançon
à partir de Lyon, par le tunnel du Fréjus, on nous dit que c'est
impossible, parce que les enfants vont franchir la frontière deux fois,
et qu'ils courent tous les risques. Pourtant, nous sommes en 2002. Il y a donc
encore du chemin à faire !
La montée en régime de la décentralisation me paraît
être un élément déterminant. Les deux lois sur
l'aménagement du territoire ont fait progresser un certain nombre de
choses en ce qui concerne les services publics et les lois d'urbanisme par
exemple, mais ont en même temps rebanalisé les problèmes de
la montagne, puisqu'elles traitaient les problèmes pour l'ensemble du
territoire. La montée en puissance des communautés de communes,
et l'émergence des pays, par contre, sont autant de cadres pertinents
pour faire monter les enjeux de la politique de la montagne à des
niveaux où ils sont généralement mieux perçus qu'au
plan communal.
Les problèmes de la solidarité nationale et de la
péréquation se posent maintenant, dans une période de
décentralisation des attributions et des moyens, mais aussi dans une
période où l'Europe doit jouer un rôle de
péréquation.
Il y a également la montée en régime de ce que
j'appellerai la nouvelle dépendance de la montagne par rapport à
l'idéologie dominante des « zones
défavorisées », symbolisée par l'idée
suivante. Puisqu'à présent, on cible les zones
défavorisées comme principales bénéficiaires de la
solidarité nationale, pourquoi ne dirait-on pas que la montagne est une
zone défavorisée ? Ce n'est pas vrai. Il existe en montagne,
certes, des zones défavorisées nombreuses qui méritent la
même sollicitude que les autres, mais il existe aussi en montagne des
zones qui ont des chances de développement réel, et qui ne
peuvent toujours pas se saisir de ces moyens. Par conséquent, les zones
défavorisées s'opposent par leur nature même, à la
spécificité montagne. Ce n'était pas une bonne
démarche de souhaiter classer toute les zones de montagne en zone
défavorisée. J'espère que le texte qui proviendra de vos
travaux restera sur le créneau de la « différence
montagne ». Dans nos terroirs de montagne, la stratégie de
développement ne va pas sans la prise en compte des activités
économiques spécifiques à la montagne, et du rôle
moteur des chefs-lieux.
Je vais vous donner un exemple parlant, pour ceux qui connaissent les
Hautes-Alpes. Au cours d'une séance de nuit, on a décidé
que les ZRR se déclineraient au niveau des cantons, ce qui a eu chez
nous des effets ravageurs. La grande station de Serre-Chevalier est en ZRR. Les
deux cantons de Briançon, qui sont pourtant juste à
côté, ne sont pas en ZRR. Or, dans chacun des deux cantons de
Briançon, il y a deux villages de haute montagne isolés,
Névache et Cervières, qui évidemment justifieraient
beaucoup plus que Serre-Chevalier un statut de ZRR. A force de voir les choses
de Paris, par le petit bout de la lorgnette, on en arrive à des
aberrations, très mal ressenties sur le plan local.
En termes de secteurs économiques, le BTP et le tertiaire ne font pas
partie des activités de production ciblées. Or, il ne reste plus
grand chose en zone de montagne si l'on supprime ces deux activités -
sauf dans des zones de tradition industrielle comme la Savoie. Il faut donc que
la zone de montagne soit éligible, sur l'ensemble de ses espaces
fragiles, y compris les chefs-lieux. On ne peut pas demander à des
entreprises de se délocaliser au fin fond d'une vallée, quand
elles ont besoin des services minimum du chef-lieu.
Le tertiaire et les PME sont les deux catégories d'entreprises
susceptibles de créer le plus d'emplois nouveaux. C'est du pain
béni pour la montagne, car elles y sont très bien
représentées. Par conséquent, cela modifie la
problématique de l'aide à la création d'entreprise en zone
montagneuse, en particulier dans le cadre de la pluriactivité
saisonnière. Nous avons reçu en 2001, 170 créateurs
d'entreprises, ce qui a débouché sur la création effective
d'une quarantaine d'entreprises. Sur les 40 mentionnées, au moins quinze
sont en pluriactivité, et les systèmes d'aides leur sont
très mal adaptés.
Les changements climatiques modifient profondément la
problématique des stations. Ils incitent à l'usage de
l'enneigement artificiel, avec les problèmes écologiques que cela
pose parfois, impliquent la nécessité d'une diversification,
d'une modernisation de notre appareil d'accueil, et en particulier du
bâti, tout en pensant au logement des saisonniers, et dans les cas
limites, de la reconversion du potentiel vers des activités
différentes.
Tout cela n'existait pas en 1980. Quand on a glorieusement proposé
d'instaurer une taxe de 5 % sur les remontées mécaniques, on
estimait qu'il était légitime de taxer une activité
prospère, afin de reverser les montants générés aux
activités faibles de la montagne. On avait notamment ciblé l'aide
à l'agriculture de montagne. Quelques années après, ce fut
le début des années sans neige, et ce sont les remontées
mécaniques qui à leur tour ont connu des jours difficiles.
Là encore, il faut adapter la loi à un décor qui a
beaucoup évolué.
Les mutations démographiques ont conduit à une certaine
désertification de certains territoires de montagne, notamment en
moyenne montagne. A contrario, on a assisté à un redressement
démographique très net dans certains pays de haute montagne. Ces
mutations démographiques posent le problème du maintien des
services publics, ce qui nécessite une transversalité,
déjà inscrite en filigrane de l'article 16 de la loi Montagne.
Finalement, si l'on veut conserver les guichets de toutes les administrations
au plus près, il faut avoir une démarche plus globale et
« déverticaliser » les services, dans le cadre de
maisons de service public, d'espaces ruraux emplois formation, de maisons des
saisonniers ou d'autres formules. Dès lors, on arrive à maintenir
les services au public au plus près, au moindre coût. Ce qui
était impliqué dans le cadre de la loi Montagne, doit à
présent s'épanouir, notamment dans le cadre des lois
d'aménagement du territoire qui traitent de ce sujet.
De nouvelles habitudes de consommation alimentaire apparaissent. On assiste
à ce que j'appellerai la montée du « manger
mieux », et des préoccupations en termes de
sécurité sanitaire qui incitent de plus en plus à se
méfier d'un certain nombre de composantes des produits alimentaires. On
cherche de plus en plus l'authenticité, la qualité de la
production et le plaisir gustatif, pas toujours en adéquation avec les
règlements de Bruxelles d'ailleurs. Cet aspect qualité des
produits est le créneau des agriculteurs montagnards. Il est
évident que produire en montagne, où l'on subit les aléas
climatiques, n'a pas la même signification qu'en Brie ou en Beauce
où l'on utilise sans complexe des engrais aux effets secondaires parfois
néfastes. En montagne, c'est le créneau de la qualité, de
la commercialisation directe, et l'on combine l'agriculture avec un tourisme de
découverte de la nature, de l'artisanat et des produits locaux, plus
proche des habitants.
Ce ne fut tout de même pas évident de convaincre les
différents acteurs, notamment les syndicats ouvriers qui avaient du mal
à accepter que l'on puisse être ouvrier pendant six mois, et
patron le reste de l'année et les syndicats agricoles qui ne
considéraient pas comme de véritables agriculteurs ceux qui
pratiquaient un ou plusieurs autres métiers. Vous imaginez le chemin
parcouru, lorsque l'on songe que ce genre d'opposition était dominante
il y a 20 ans.
La montée de la saisonnalité et de la pluriactivité est un
sujet dont nous nous sommes saisis, car il est très important en
montagne, mais existe dans tous le pays, selon toutes sortes de
déclinaisons. La secrétaire de direction qui partage son temps de
travail entre plusieurs patrons est aussi une pluriactive. Ce sujet est
traité par Jacqueline à l'ADECOHD ; nous vous avons
d'ailleurs fourni divers documents très actuels sur la recherche active
que nous menons dans ce domaine.
J'ai déjà évoqué précédemment de
graves insuffisances et défauts d'application de la loi Montagne. Je
pourrais en énumérer beaucoup, mais le temps me manque. Nous
sommes prêts à vous apporter notre contribution sous d'autres
formes.
Les insuffisances sont essentiellement les suivantes :
- l'abrogation de l'article 80 ; qu'il faudrait rétablir ;
- la politique des ZRR, très mal adaptée aux zones de montagne,
comme il a été dit ;
- les mesures environnementales ne tenant pas compte des
spécificités de ces zones, comme l'interdiction de construire
à moins de 75 mètres des axes départementaux et
à 100 mètres des axes nationaux, alors que bien souvent la
falaise surplombe la vallée à une distance
inférieure ;
- des règles d'urbanisme mal comprises par les administrateurs et par
les juges.
Je citerai par exemple le problème des chalets d'alpages. Il est
important que le patrimoine représenté par les chalets d'alpages
soit maintenu avec les matériaux et l'urbanisme traditionnel du pays.
Pour éviter le mitage, il existe une règle qui veut que l'on
construise en continuité et une autre qui veut que l'on préserve
en même temps les meilleures terres agricoles. Il y a contradiction entre
les deux, car les meilleures terres agricoles sont souvent très proches
des habitations. C'est aux élus, aux administrateurs et aux juges
d'appliquer l'esprit de la loi.
Il y a le fameux article 14 sur le BTP qui n'a pas été
appliqué. Le premier secrétaire d'Etat au budget que j'ai
rencontré sur ce sujet était Laurent Fabius. Je lui ai fait part
de ce problème, et il a rédigé une circulaire, que j'ai
retrouvée dans les paniers de la DDE et de la préfecture. Les
gens du BTP et les élus de montagne protestent cycliquement contre cet
état de fait.
Il y a également le problème du foncier agricole, notamment au
niveau de l'installation des jeunes agriculteurs dans les fonds de
vallées. Vous savez que le foncier est souvent l'apanage de gens qui ont
quitté le pays, ou décidé d'y acheter des terres, parfois
dans un but spéculatif.
On ne peut pas fonder des exploitations agricoles dans la continuité
tant qu'il n'y a pas, derrière, la maîtrise du foncier pour
pouvoir constituer le capital d'exploitation. On avait peut-être
donné une réponse à cela dans les articles 39 et 40 du
code rural modifiés par la loi montagne, mais peu de monde s'en est
préoccupé, à commencer par les élus. Les
résidences secondaires abritent aussi des électeurs, parfois
dominants dans certaines communes, et organisés - par un promoteur, par
exemple. On a connu ce problème en Savoie, à Villarambert. S'il y
a bien un terrain sur lequel on a échoué dans le cadre de la loi
Montagne, c'est celui de la limitation de l'électorat des
résidents secondaires. Je reste persuadé que c'est important pour
préserver le droit à l'initiative des montagnards, par rapport
à leur développement économique.
La place de la montagne dans la planification est une lutte de tous les
instants. Au plan national, ce n'est pas évident. C'est également
très inégal dans les contrats de plan selon les régions.
Les schémas spatiaux de massifs n'ont jamais vraiment vu le jour, sauf
peut-être dans certaines régions privilégiées. Le
rôle des comités de massifs et du conseil national de la montagne
est toujours passé par des alternatives d'avancées et de reculs.
Pourtant, la loi est là. Toutes ces instances n'ont pas
l'autorité politique, ni les attributions, ni la capacité
d'auto-saisine nécessaires - elles ne l'avaient pas en tout cas
jusqu'à présent - pour atteindre leur pleine dimension, telle
qu'elle avait été prévue par la loi Montagne.
Enfin, je terminerai avec les mesures financières. Ces mesures
fonctionnent pour le ski de fond ainsi que pour le ski de piste - sauf quand
les exploitants de remontées mécaniques connaissent des
difficultés. En revanche, il faudrait revoir l'ordre de priorité
des huit catégories de bénéficiaires successifs de la
redevance et veiller au respect de ces dispositions. Il faut également
rétablir le FIAM, ce qui ne va pas être facile, même s'il
n'était doté que d'un fonds de 40 millions de francs et n'avait
pas pour but de réaliser des investissements massifs. Enfin, si vous
feuilletez la loi montagne, vous constaterez que des rapports annuels
étaient prévus - je ne les ai jamais vus.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur le Président pour cet
exposé très complet. Avant de passer la parole à Madame
Jacqueline Fabre, je voulais saluer l'arrivée de Jean Boyer,
sénateur de Haute-Loire.
Nous avons eu une analyse très complète du texte de la loi, de
son contexte et de ses conditions d'application. Il reste un sujet très
important qui est piloté par Madame Fabre que nous allons
écouter. Je souhaiterais, en vous remerciant à nouveau, Monsieur
de Caumont, que vous nous laissiez vos notes, en particulier sur vos
préconisations pour remédier aux différentes insuffisances
et aux défauts d'application de la loi. Je souhaiterais savoir ce qu'est
devenu le fonds d'intervention pour l'auto développement en montagne,
qui dans l'article 7 accompagnait le FIAM.
M. Robert de Caumont -
Ce fonds a été abrogé avec
l'article 80, mais on nous a dit pour nous rasséréner que l'on
réserverait toujours la même somme à l'intérieur du
FNADT. Le support législatif et sa signification - comme la ratification
d'expériences telles que celle que Jacqueline peut vous présenter
- ont disparu.
Mme Jacqueline Fabre -
J'ai en charge tout ce qui concerne la recherche
action. Je suis donc plus un agent de terrain que Monsieur de Caumont ;
c'est aussi ce qui fait ma force, et c'est la raison pour laquelle
Monsieur de Caumont a précisé que, l'hiver, je suis
également perchwoman, ce qui me permet de bien connaître les
problèmes des saisonniers et des pluriactifs.
Je connais de multiples exemples d'inadaptation des dispositions nationales au
niveau local, notamment concernant l'emploi. Dès que l'on sort du cadre
de l'emploi unique, autour duquel a été construit notre
système législatif social, on se sent perdu. Or, en montagne, on
ne peut pas toujours se permettre d'avoir un travail à l'année,
car le milieu implique une succession de contrats à durée
déterminée pour les saisonniers et les pluriactifs. On parle
beaucoup de la pluriactivité. J'aimerais tout d'abord définir ce
terme. A mon sens, un pluriactif est une personne qui cumule plusieurs emplois
sous un statut social et/ou fiscal différent, au cours d'une même
année. Par exemple, un pisteur secouriste va être salarié
d'une remontée mécanique en hiver, et artisan en
été. Il est donc travailleur indépendant et salarié
au cours d'une même année, ce qui pose beaucoup de
problèmes, notamment au niveau de la protection sociale. Cette
succession d'activités entraîne une cotisation multiple à
deux caisses sociales différentes au moins. Cela implique que la
personne ait deux cartes vitales, deux affiliations différentes. Les
textes sont très difficiles à appliquer, même pour les
professionnels, au niveau des caisses de Sécurité sociale. Autre
inadaptation : les formations. Il arrive souvent que des formations aient
lieu à cheval sur l'été et sur l'hiver, ce qui
empêche les saisonniers pluriactifs d'y assister.
La notion de pluriactivité recouvre aussi celle de
pluri-compétence. En effet, les pluriactifs ont besoin d'être
qualifiés. Au cours d'une étude que nous avons menée
à la demande de la Direction Départementale du Travail, nous
avons constaté que 78 personnes, sur un échantillon de 300,
considéraient que leur formation initiale ne correspondait pas à
l'activité qu'elles occupent aujourd'hui. Il existe une totale
incohérence entre la formation initiale et la formation exercée.
Nous parlions également des travailleurs indépendants, artisans,
commerçants, professions libérales. Beaucoup de personnes
travaillant dans nos massifs sont titulaires d'un brevet d'Etat sportif.
Souvent, l'utilisation de ce brevet d'Etat ne peut se faire qu'à travers
un statut de travailleur indépendant. Or la fonction de travailleur
indépendant implique la création d'entreprises, qui
nécessite elle-même un grand nombre de formalités. Dans ce
domaine, nous avons besoin d'un accompagnement. J'entendais tout à
l'heure Monsieur Raffarin dire qu'il fallait simplifier, limiter le nombre de
projets, de décrets et de lois ; je suis entièrement
d'accord. Certaines créations d'entreprises peuvent être
exonérées des charges sociales, ce que l'on appelle l'ACCRE. Nous
avons constaté que l'ACCRE était souvent refusée aux
créateurs d'entreprises du fait de leur caractère saisonnier.
Dans nos montagnes, les créations d'entreprises sont souvent
saisonnières.
Je suis à votre disposition si vous voulez avoir des informations
complémentaires, notamment sur les maisons de saisonniers.
M. Jean-Paul Amoudry -
J'aimerais revenir sur tout le processus qui fait
qu'aujourd'hui, nous sommes en situation d'échec. Vous avez une
expérience dans les Hautes-Alpes. Pensez-vous que l'expérience
pilote que vous conduisez avec la CNAM sera durable, aura valeur pour
l'ensemble de la montagne ? ou pensez-vous que cette expérience, en
caricaturant, est un alibi, pour prouver que ça ne marche pas ?
Vous savez aussi que suite au rapport Gaymard de 1997, une loi avait
été créée, mais les décrets d'application
n'ont pu voir le jour. Quelles préconisations pourriez-vous nous faire
pour tenter de régler une fois pour toute ce problème ?
M. Robert de Caumont -
Je suis intervenu devant la commission Jean
Gahemynck sur ce sujet, et je ferai,pour vous répondre,
référence à cette expérience.
A travers des démarches telles que la maison des saisonniers, les
actions de formation et de soutien aux créateurs, que nous avons
engagées, une relation de confiance s'est instaurée entre nous,
les pluriactifs et saisonniers. Dans ce contexte, 60 % de ceux que nous
connaissons ont avoué trouver refuge dans le travail au noir, lorsqu'ils
ne sont pas identifiés et qu'ils savent que leur nom ne sera pas
publié. Cette situation, qui représente une évasion
fiscale et sociale, ne fait plaisir ni aux pluriactifs ni aux saisonniers, car
ils préfèreraient s'en tirer autrement, ni aux employeurs de la
concurrence, ni aux élus. Jacqueline Fabre est maintenant en position de
négocier la mise en place d'une personne à plein temps
désignée à Briançon par la CNAM, pour conduire
cette expérience avec une personne du cabinet du Président de la
CNAM, Monsieur Noury.
Nous pouvons fonder des espoirs sur cette expérience. Je comprends et
partage entièrement votre découragement, et c'est pour cela que
nous avons décidé de nous investir dans cette démarche.
Pour illustrer ce découragement, lorsque M. Gahemynck, qui est
aujourd'hui conseiller d'Etat, a demandé aux partenaires sociaux s'ils
étaient d'accord avec mon diagnostic, ils ont répondu par
l'affirmative. Ils ont reconnu qu'il y avait de l'évasion fiscale et
sociale. Mais en réponse à la question « Etes-vous pour
le couple guichet unique - caisse pivot ? », il a obtenu un long
silence. Je n'ai jamais vu de meilleure illustration d'une
société bloquée. Ce sont en principe les partenaires
sociaux, patronat et syndicats ouvriers qui gèrent ces institutions. Or,
ils défendaient leur pré carré, en se disant finalement
que les pluriactifs et les saisonniers étant des contributeurs nets, et
que c'était positif pour résorber le déficit de la
sécurité sociale.
La contre attaque a commencé par l'édition du guide des
pluriactifs et des saisonniers. On s'est aperçu que les saisonniers
ayant tellement de difficultés, au milieu de tous leurs problèmes
de vie quotidienne - concernant l'emploi, le logement, la protection sociale,
la fiscalité, les contrats de travail, l'indemnisation du chômage,
la formation professionnelle, la création d'entreprises, etc. - on ne
pouvait en rester au document de fond fait par la DATAR en 1990. Il fallait
faire quelque chose qui soit à leur portée. Nous avons eu la
chance d'avoir un Conseil Général qui a accepté de
financer la remise gratuite de ce document aux saisonniers et pluriactifs.
C'est parce que Jacqueline Fabre - titulaire d'un DESS de Droit de la Montagne
et de Gestion des Collectivités Montagnardes - conduisait une
remontée mécanique à Orcières Merlette et que ce
document lui a été remis gratuitement grâce au
Président du Conseil Général, qu'elle a
décidé de rejoindre l'ADECOHD pour valoriser cet outil en
l'actualisant chaque année. Il a fallu attendre quinze ans après
la loi « montagne », pour que les saisonniers aient leur
guide. Il y avait bien en Savoie le « tout schuss », mais
c'est un document qui ne va pas aussi loin sur les droits et devoirs des
saisonniers. Le Ministère du Tourisme a pour sa part sorti à
70 000 exemplaires un document d'une légèreté
extraordinaire, au point que beaucoup de personnes n'ont pas souhaité le
diffuser. Cela montre que lorsque l'on aborde les problèmes de
manière technocratique et centralisée, même avec la
meilleure intention du monde, on peut aller à des catastrophes ; il
faut donc être sur le terrain.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous attendons les compléments
écrits que vous jugeriez bon de nous faire passer. Nous vous remercions
pour votre contribution.
41. Audition de Madame Claude Nahon, directeur, déléguée au domaine hydraulique à Electricité de France, accompagnée de M. Alain Véry, directeur de l'unité de production Sud Ouest (3 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Madame Claude Nahon, Mesdames, Monsieur, je suis
heureux de vous accueillir ici au Sénat au nom de la mission
d'information sénatoriale sur la politique de la montagne. Je vous
remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation, de vous être
déplacés et sans doute d'avoir travaillé sur une grille de
questions que nous nous sommes permis de vous transmettre.
Sur un plan formel, je vous prie d'excuser le Président Jacques Blanc,
sénateur de Lozère, qui préside cette mission et qui m'a
chargé en tant que rapporteur, d'exercer les deux rôles en son
absence. Je souhaite vous présenter Jean Boyer, qui est sénateur
de la Haute-Loire, et également excuser un certain nombre de
collègues qui sont retenus par les obligations liées à
l'ouverture de la session extraordinaire du parlement, qui nous oblige à
reprendre un certain nombre de travaux avec un rythme assez soutenu.
Je voudrais vous dire quelques mots de cette mission, dont les travaux seront
pour l'essentiel achevés à la fin du mois de juillet, ayant
commencé début avril. C'est donc un rythme assez soutenu
d'auditions et de visites de terrain auquel nous nous sommes astreints, pour
faire le point sur la politique qui découle de la loi cadre de 1985 sur
la montagne, loi qui a été modifiée par des textes
ultérieurs. Je pense en particulier aux lois d'aménagement du
territoire, aux lois relatives à l'agriculture, à la forêt,
à l'urbanisme et d'autres. Il y a d'autre part un certain nombre de
phénomènes qui sont survenus, et nous avons en cette année
internationale des montagnes, voulu faire le bilan de l'application de cette
loi de 1985.
Les problèmes liés à l'énergie ne sont
peut-être pas les questions les plus centrales de ce texte, puisque nos
sujets de prédilection sont des questions économiques -
agriculture et tourisme - et des sujets liés à l'environnement,
à la protection des milieux naturels et enfin à
l'aménagement. Ce dernier volet concerne les questions liées au
transport, à la desserte par les nouvelles techniques de l'information,
mais il y a aussi naturellement ce sujet de l'énergie qui figure dans
certaines des dispositions de la loi. C'est la raison pour laquelle nous avons
souhaité vous entendre.
Nous vous avons adressé, comme je le disais, une grille de questions non
exhaustive. Vous pouvez donc nous adresser d'autres messages. Sans plus tarder,
je vais vous laisser la parole, en vous priant de vous présenter en
quelques mots, afin que nous sachions quel est votre rôle dans la grande
entreprise que vous représentez ici.
Mme Claude Nahon
- Merci de nous accueillir. Nous sommes très
heureux et flattés d'être sollicités afin de pouvoir
répondre à vos questions. On a essayé de répondre
du mieux possible à votre grille, et l'on vous remettra un document
papier, que Florence Arnoux-Guisse qui est assise à côté de
moi a pris le soin de rédiger. Alain Véry vous accompagnera sur
le terrain la semaine prochaine. Il assurera donc le lien entre les questions
que vous souhaiteriez nous poser aujourd'hui, et ce qu'il pourra vous
présenter dans le Sud-Ouest.
N'hésitez pas à nous demander des compléments. Il y a un
certain nombre de choses sur lesquelles je serai prudente ; par exemple,
nous ne sommes pas le seul producteur d'hydroélectricité, et nous
n'avons donc pas une connaissance parfaite de ce qui se passe chez nos
concurrents, pour lesquels nous disposons seulement d'estimations.
La production hydraulique en France représente environ 14 % de la
production totale d'électricité. Pour passer à 21 %, il
faut donc faire des efforts significatifs. Il faut être vigilant à
ne pas trop perdre ce que l'on a déjà, et les contraintes
environnementales qui conduisent à une perte d'énergie
hydraulique, doivent peut-être se régler par des méthodes
de compensation.
La France est aujourd'hui le premier pays producteur d'énergies
renouvelables en Europe. EDF compte à peu près 510 centrales
électriques pour une puissance de 20 gigawatts (GW), ce qui
représente environ 20 % du total de nos moyens de production. Quatorze
de ces 20 GW sont disponibles en moins de dix minutes. Cette
caractéristique en fait un des outils indispensables à
l'équilibre électrique, particulièrement dans un
marché dérégulé. Cela a des conséquences
bien-sûr. Toute variation de puissance se traduit par des variations de
débit. Nous avons un fort souci de sécurité en
rivière.
Vous nous aviez demandé de vous dire comment se répartissait la
production par massifs. Ce sont des ordres de grandeur, que vous trouverez dans
le document. Bien-sûr, on trouve en tête les Alpes, avec
près de 70 % de la production d'hydroélectricité. Le
centre de la France représente 23 %, et les Pyrénées
environ 10 %.
Encore une fois, il ne s'agit que d'estimations. On collecte encore aujourd'hui
les informations concernant la Shem, filiale de la SNCF. Pour la Compagnie
Nationale du Rhône (CNR), c'est nous qui exploitons, mais ce sont eux qui
réalisent la commercialisation de la production. Aujourd'hui, la CNR a
environ 16 térawattheures (milliards de kilowattheures). La puissance
est exprimée en giga, et l'énergie en téra. La France fait
à peu près 450 TWh ; le parc total d'EDF est de 70 GW. La
CNR, avec 16 TWh, représente 25 % de la production
hydroélectrique française. La Shem fait environ le dixième
de la CNR. Il y a également toute une myriade de petits producteurs qui
représentent grosso modo deux TWh. Cette année sera une
année difficile pour la production électrique, car c'est une
année de sécheresse. Si nos réservoirs sont à peu
près pleins, c'est parce que nous avons eu une démarche
très prudente, qui représente une estimation de coût de
quelques 100 à 150 millions d'euros pour EDF, en raison des moyens
thermiques qui sont utilisés.
La première caractéristique de la production
hydroélectrique vient du fait qu'il s'agit d'une énergie
renouvelable. C'est une énergie très bien implantée dans
les territoires, et qui à ce titre représente une richesse. Cette
énergie, d'un point de vue électrique possède une
capacité de mobilisation rapide, en dehors de l'énergie au fil de
l'eau que l'on peut avoir sur le Rhin pour EDF, ou sur le Rhône pour la
CNR, production d'électricité qui s'apparente, par sa
qualité, aux centrales nucléaires. Une centrale thermique peut
donner sa pleine puissance en plusieurs heures, à condition qu'elle soit
à son minimum technique. Si elle est complètement à froid,
il lui faut entre huit et 17 heures selon le modèle, pour être
capable de donner sa pleine puissance. Une centrale nucléaire met de 18
à 24 heures ; on voit donc bien que les dix minutes pour les
centrales hydrauliques sont vraiment à part. On a donc un outil qui a
une cinétique très forte. C'est un outil saisonnier, qui
dépend du ciel. Les années de sécheresse, nous produisons
donc beaucoup moins d'hydroélectricité. Plus on a des grands
réservoirs, et plus il est facile de concilier les usages agricoles -
avec l'irrigation notamment - et hydroélectriques.
Les variations de débit conduisent à des risques en
rivière ; c'est le souci principal. On essaie de réduire ces
risques par l'information et la prévention. Nous avons toute une
démarche de certification sur la façon dont nous faisons ces
variations de débit dans les rivières, et de surveillance des
grands ouvrages. Les réflexions en cours sur les risques industriels ne
font que mettre l'accent sur une démarche que nous conduisons depuis
plusieurs années sur la surveillance des ouvrages. Enfin, nous
plaçons également sous l'assurance qualité la gestion des
ouvrages pendant les périodes de crues. Rappelons que nous gérons
nos ouvrages pendant les crues, mais no
us ne gérons pas les rivières.
En ce qui concerne le développement de l'hydroélectricité,
je vais énoncer quelques chiffres que nous avons donnés lors de
l'audition de la programmation pluriannuelle des investissements sur le
potentiel français en hydroélectricité. Il ne faut pas
rêver sur ce potentiel, puisque les grands équipements à
des prix compétitifs sont derrière nous. Si nous faisons des
nouveaux ouvrages, ils seront forcément multi-usages. Je ne crois pas
que l'hydroélectricité seule puisse justifier de faire de
nouveaux équipements, quelle que soit leur taille. La réalisation
de tels équipements est en effet très chère ; le
dernier, le Buëch dans le Hautes-Alpes, a effectivement été
réalisé en multi-usages, avec l'appui du conseil
général et du conseil régional.
Le potentiel sauvage a été évalué par la commission
Pintat à 270 TWh. On ne peut bien-sûr pas tout
équiper, techniquement. On pense que le potentiel techniquement
équipable s'élève à 100 TWh. La France tourne
actuellement autour de 65 TWh. Il reste donc en théorie des choses
à faire, mais il faut bien se rendre compte que si on ne l'a pas fait,
c'est que ce n'était pas économiquement rentable à
l'époque. Que reste-t-il de rentable dans ce qui peut être
équipé ? On estime cela à environ 17 TWh, dont dix
sur un versant méditerranéen, et 7 sur un versant atlantique. Il
s'agit de nos estimations, qui n'engagent que nous ; les petits
producteurs d'hydroélectricité sont plus optimistes que nous. En
fait, on pense aujourd'hui raisonnablement qu`entre un quart (4 TWh) et la
moitié (8 TWh) de ces projets sont économiquement
réalisables. Le potentiel économique est donc
évalué entre 4 et 8 TWh. Mais, avec la prise en compte des
exigences environnementales, équiper de nouveaux sites coûterait
beaucoup plus cher qu'il y a 15 ans.
Si l'on décidait de réaliser des équipements en
éolien, il faudrait mettre de la puissance hydraulique derrière.
Lorsque le vent s'arrête, il faut en effet avoir derrière de la
puissance disponible afin de prendre le relais. Il est bien évident que
la puissance hydroélectrique présente des avantages de
rapidité dans la disponibilité que n'a pas l'énergie
thermique. On nous a donc demandé quel était le potentiel
hydroélectrique de puissance. C'est malheureusement hors de prix, et
tant que l'on ne nous aura pas développé des mesures incitatives
pour ces types d'équipement, on ne risque pas de les construire.
On a un certain nombre de projets en France, comme par exemple sur la Romanche.
Il faut savoir qu'un tel projet n'a pas la rentabilité actuelle des
investissements qu'une entreprise comme EDF est en devoir d'attendre.
L'hydroélectricité n'est pas rémunérée en
France à la hauteur des ambitions de la politique
énergétique. Dans l'état actuel des choses, il nous manque
environ 10 % pour boucler le financement d'un projet de ce type. La
taxation sur l'hydroélectricité reste en France assez
significative. Outre toutes les taxes locales, l'impôt sur les
sociétés et la TVA, il existe une taxe spécifique sur
l'hydroélectricité. Si on regarde en global, le produit final est
taxé à hauteur de 70 ou 80 %. Les taxes représentent 40 %
du coût de production de l'hydroélectricité, ce qui n'est
pas une situation favorable pour le développement des énergies
renouvelables. Nous ne sommes pas les seuls à le dire ; la CNR le
dit encore plus fort que nous. Il n'est guère possible de
développer un produit en le surtaxant.
Les conclusions de la PPI (programmation pluriannuelle des investissements)
sont bien entendu de développer l'hydroélectricité et la
puissance au fur et à mesure du développement de l'éolien.
Pour ce faire, nous attendons les outils incitatifs qui permettront de le
réaliser.
L'amendement Peiro, voté lors du débat sur la loi sur l'eau, est
notamment l'un des principaux freins au développement de
l'hydroélectricité. D'après cet amendement, toute
activité qui demande un lâché d'eau sur un ouvrage de plus
de 15 ans, peut ne pas faire l'objet d'une indemnisation si cette
activité est considérée comme étant
d'intérêt général. C'est d'abord contraire au droit
des concessions, et surtout, cet amendement repose sur une
méconnaissance des durées d'amortissement des ouvrages
hydroélectriques, qui varie entre 40 et 75 ans. Penser qu'au bout de 15
ans tout est amorti, est à mon sens une erreur. C'est au moment de la
discussion sur la durée des concessions que l'on doit statuer sur la
redistribution de la rente hydroélectrique, et pas en cours
d'exploitation. Cela compromet l'intérêt et la confiance que l'on
peut porter au développement d'un ouvrage. Aujourd'hui, les titres qui
sont renouvelés le sont pour une durée de 40 ans. Quinze
années ne représentent en aucun cas une durée assez
longue, compte tenu des coûts très élevés des
travaux de génie civil.
Nous vous avons également préparé une liste de toutes les
règles juridiques relatives à l'implantation des centrales
hydroélectriques, en commençant bien-sûr par la loi de
1919.
-
• la loi sur l'eau de 1992 est aussi extrêmement importante pour
nous ;
• la loi de 1987, sur les risques majeurs ;
• la loi Barnier de 1995 ;
• la loi de 1976 sur la protection de la nature ;
• la loi Montagne de 1985 bien-sûr, celle qui vous préoccupe ;
• la loi Bouchardeau de 1983 sur les enquêtes publiques ;
• la loi pêche de 1984 ;
• le décret de 1994 sur le régime de la concession et sur les instructions ;
• la réglementation en matière domaniale (bornage) ;
• le nouveau cahier des charges type de 1999.
Les retenues hydroélectriques sont de véritables outils de développement durable dans les vallées. J'ai longtemps été dans le midi, où j'ai notamment été responsable d'une unité de production dans le Sud Est. Le lac de Serre-Ponçon est incontestablement un outil incontournable dans l'économie touristique des Hautes-Alpes, représentant 40 % des revenus de l'économie estivale du département.
Bien que ce ne soit pas dans les exigences de nos concessions, on essaie de viser des niveaux hauts au début des saisons estivales, que l'on déstocke au fur et à mesure des demandes liées aux autres usages de l'eau (agricoles), et aux besoins en électricité. Il y a beaucoup de discussions, liées aux problèmes d'accumulation de déchets et de sédiments, de niveaux... Nous essayons de traiter ces problèmes au travers de sortes de commissions locales. C'est ce que l'on fait par exemple à Serre-Ponçon, et il s'agit de l'un des 20 engagements de service public que le Président Roussely a signés.
On va également vous distribuer un petit dépliant sur le canyoning. Dans certains endroits, cette activité n'est possible que parce qu'il y a une retenue d'eau. Nous sommes très liés avec une économie estivale d'une partie de la montagne. Il ne faut également pas oublier de parler aussi des problèmes hivernaux, notamment au niveau des canons à neige. Il m'est par exemple arrivé d'avoir des discussions avec Patrick Ollier, à l'époque président de la société d'économie mixte (SEM) de Serre-Chevalier et de l'ANEM, je crois.
Les sports d'eau vive ont connu une explosion dans les vallées des hautes Alpes. Il faut être extrêmement vigilant. Nous travaillons avec les professionnels, les élus locaux ; beaucoup de choses encore sont devant nous. Nous ne sommes qu'au début de cet engouement. Il faut améliorer, de concert, la connaissance des risques. On travaille beaucoup avec la Fédération française de canöe-kayak (FFCK). Nous avons un partenariat d'accompagnement de championnats. Les prochains championnats à Bourg-en-Bresse par exemple font l'objet d'un accompagnement médiatique et financier de notre part, avec des lâchés d'eau. C'est un partenariat difficile et exigeant, car nos interlocuteurs ne sont intéressés que par des lâchés d`eau ponctuels. C'est cependant un partenariat qui fonctionne depuis plusieurs années. Il est parfois difficile sur le terrain, car il est négocié au niveau national, avec des déclinaisons locales.
Quant au tourisme industriel les dispositions du plan vigipirate nous pénalisent actuellement. Nous avions auparavant un engagement fort avec des journées portes ouvertes et des visites de nos installations. Certains endroits ont fait l'objet de dérogations. Nous espérons tous qu'il y aura un retour à la normale, et que l'on pourra reprendre le rythme de ces visites de sites, où nous avions notamment négocié des partenariats avec les offices du tourisme.
Les crues représentent un souci fort. La présence de nos ouvrages écrête les crues moyennes ; de sorte que les gens ne sont plus habitués aux crues et ne sont désormais confrontés qu'à des crues extrêmes.
Pendant les crues, nous avons deux missions. Nous devons veiller à la sécurité des ouvrages et des personnes. Nous ne lâchons jamais davantage d'eau qu'il n'en arrive. Un barrage qui pourrait retenir toutes les crues serait un barrage vide, et ne pourrait par conséquent pas produire d'hydroélectricité. Nos consignes d'exploitation en période de crues sont validées par les pouvoirs publics, et font aujourd'hui l'objet d'une démarche de certification au niveau des grandes vallées.
S'agissant du développement des autres énergies renouvelables en montagne, nous contribuons, au côté de l'ADEME, à leur développement sur les sites isolés, dans le cadre d'accords négociés. Il s'agit essentiellement de photovoltaïque sur des sites éloignés du réseau, en coopération systématiquement avec les syndicats d'électrification rurale. On a fait de très belles réalisations en photovoltaïque. Dans le cadre des accords ADEME-EDF, EDF a apporté une garantie d'exploitation de ces installations.
Sur le sujet de l'énergie réservée, il faut être prudent. La nouvelle loi sur l'électricité - sur la séparation entre la production, le transport et la distribution - va sans doute modifier la façon dont sont gérées nos relations sur l'énergie réservée. Nous sommes aujourd'hui les fournisseurs d'énergie réservée pour le compte d'autres producteurs. Je ne suis pas sûre que l'on sache exactement ce que l'on fait. Il faut clarifier la répartition des rôles.
M. Jean-Paul Amoudry - Merci Madame la Directrice pour cet exposé très complet, précis et enrichissant.
L'ensemble de la loi Montagne et de la politique de montagne balaye une infinité de sujets, dans lesquels la question des énergies réservées est un point très singulier. Tout ce que vous nous avez dit en dehors de cette question de l'énergie renouvelée est extrêmement précieux. Il faut toutefois que nous revenions sur cette question, encore que sur le sujet des collectivités locales et de leur bilan en termes de création de microcentrales, vous n'êtes peut-être pas les mieux placés à EDF pour y répondre. C'est donc peut-être une question que nous verrons auprès d'autres interlocuteurs. Vous n'avez pas de connaissances directes en la matière ?
Mme Claude Nahon - EDF paye le tarif d'achat aux gens qui peuvent en bénéficier. Mais le recensement est difficile. La question a été posée lors de la programmation pluri-annuelle des investissements, et l'Etat est pratiquement incapable de savoir combien il y a de chutes en France. D'autres acteurs produisent pour leur propre compte.
M. Jean-Paul Amoudry - Le domaine de la production, au sens de la loi de 1919, relève de la responsabilité de l'Etat. Nous sommes donc bien d'accord que le concédant public pour vous, n'est pas les collectivités, mais l'Etat. Vous nous dites que c'est le ministère de l'environnement qui représente l'Etat, et non pas celui de l'industrie.
Mme Claude Nahon - Tout à fait. Vous avez deux régimes, suivant que vous êtes en régime de concessions - qui dépendent du ministère de l'industrie - ou d'autorisations, qui dépendent du ministère de l'environnement, pour les petites puissances inférieures à 4500 KW. Je pense que c'est celles là qui vous intéressent.
M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit donc d'un régime de concessions en direction d'EDF et de la CNR, pour peut-être 98 % de la production, et il y a également une multitude de microcentrales dont la production est marginale, et qui dépendent du régime d'autorisation.
Ces microcentrales, pourtant, sont bien réintégrées dans le circuit transport d'EDF ?
Mme Claude Nahon - Oui, mais je vous redonne les chiffres ; cela doit représenter un TWh éclaté un peu partout. Ce sont des quantités très faibles, réinjectées dans le réseau local et consommées tout de suite.
M. Jean-Paul Amoudry - Vous n'avez donc pas l'inventaire de ces microcentrales ?
Mme Claude Nahon - Non, nous ne l'avons pas, pas plus d'ailleurs que le ministère de l'environnement. Nous avons seulement une estimation.
M. Jean-Paul Amoudry - S'agissant de la question de l'énergie réservée, qu'ont fait les conseils généraux de leurs compétences en la matière ?
Mme Claude Nahon - Sur ce volet non plus, nous ne disposons pas d'analyses complètes. Je n'ai pas encore un bilan de ce qui se passe exactement. On ne peut plus attribuer d'énergie réservée à un client éligible, ce qui nous oblige à être vigilants.
M. Jean-Paul Amoudry - Si j'ai bien compris, cette énergie transite par le réseau EDF. Il y a donc bien une comptabilisation à un moment ou à un autre ?
Mme Claude Nahon - Oui, mais elle est locale, à l'échelle des centres de distribution qui sont en train de se transformer en agences d'accès au réseau de distribution. Il y a un besoin de production, mais nous devons, en tant que producteur, suivre ce qui se passe au niveau des collectivités locales. C'est une prestation que nous effectuons pour le compte des autres producteurs ; nous estimons donc qu'elle va devoir être rémunérée. On va essayer de rassembler ces données au niveau de notre direction nationale. Je ressens exactement le même besoin que vous.
M. Jean-Paul Amoudry - On en ressent le besoin par rapport à la nouvelle loi qui devrait transcrire les orientations qui ont été adoptées à Barcelone.
Mme Claude Nahon - Ce qui nous intéresse n'est pas exactement la même chose. Je suis intéressée par le fait de savoir si l'on fait bien ce que la collectivité locale nous demande de faire, alors que vous êtes intéressés par l'usage même.
M. Jean-Paul Amoudry - J'aimerais que vous puissiez nous dire, peut-être pas ici, quelle est la pertinence des articles 89, 90 et 91 de la loi. Représentent-ils des bases législatives qui ont une vocation importante pour l'avenir, dans le domaine des énergies renouvelables et réservées ? Quel contenu donner à ces bases ? Gardent-elles leur pertinence ? Méritent-elles d'être confortées ?
Nous dressons le bilan de ce texte législatif. C'est un domaine qui est un peu une niche à part. Nous n'avons pas beaucoup d'éléments, les conseils généraux n'en parlent pas. Il y a une réalité technique et économique qui échappe pratiquement à tout le monde.
Si vous voulez bien réfléchir sur ces éléments, vous nous ferez part dans les temps qui viennent de vos sentiments.
Mme Claude Nahon - On vous fera passer une note sur ces deux sujets. Je pense qu'il faut séparer le problème des microcentrales de l'énergie réservée. Les microcentrales représentent un axe qui existe aujourd'hui dans la programmation pluri-annuelle des investissements sur le développement des énergies renouvelables. Mon sentiment personnel est que le jeu n'en vaut pas la chandelle par rapport à l'environnement.
L'énergie réservée est un outil d'aménagement du territoire pour les collectivités territoriales.
M. Jean Boyer - Dans mon département, la Haute-Loire, il y avait plusieurs projets de microcentrales. Comme vous le savez, la faisabilité est liée à la garantie des ressources en hommes, et aussi à la garantie de vendre à EDF, puisque EDF négocie une convention avec le producteur de la microcentrale.
Mme Claude Nahon - Pas tout à fait. La loi sur l'électricité prévoit un fonds de service public de production qui permet à l'Etat d'avoir des interventions pour soutenir sa politique de développement des énergies renouvelables. EDF ne fait - en tant que producteur principal dans le pays - qu'être transparent à un texte d'obligation d'achat qui lui est imposé. On a donc une relation contractuelle qui n'est pas négociée. L'ensemble des consommateurs éligibles et des producteurs vont rémunérer EDF grâce à ce fonds. Ce n'est pas EDF qui paye, mais l'ensemble des consommateurs éligibles et l'ensemble des producteurs.
M. Alain Very - Je voudrais faire une simple précision. La garantie d'achat est assurée par l'Etat. EDF n'est que l'exécutant de cette garantie.
M. Jean Boyer - Le volume de la production d'EDF en microcentrale est très limité, de l'ordre de 2 à 3 %, je crois.
Ne pensez-vous pas, que dans le cadre de l'aménagement du territoire, les micro centrales représentent un palliatif endormant ? Si je vous ai bien suivie, vous pensez qu'elles n'ont que peu d'avenir.
Mme Claude Nahon - Non, pas du tout, mais il est bien évident que ce n'est pas avec des micro centrales ou de l'éolien que l'on pourra remplacer le nucléaire. Il faut être réaliste avec les chiffres du potentiel hydroélectrique français, ou du potentiel de l'éolien.
Par contre, je crois au développement des énergies renouvelables en France, et je crois qu'il y a des espaces pour construire des microcentrales. Nous avons d'ailleurs une filiale qui a pour vocation de développer la petite hydraulique, mais je pense qu'il n'est pas souhaitable - pour des raisons de financement et d'intégration dans les territoires - qu'EDF construise seule. Nous sommes prêts à nous associer à des projets intéressants dans des vallées, mais je ne pense pas qu'il soit souhaitable que nous développions seuls de trop nombreux projets.
M. Alain Very - C'est vrai que l'on a du mal à être nuancé sur ce sujet qui a ses partisans et ses détracteurs. Certains sites peuvent se prêter à un aménagement raisonnable avec un impact limité sur l'environnement. Il faut trouver un juste milieu.
Mme Claude Nahon - Nous ne pouvons pas assurer le développement tout seuls. Je connais mal votre département, mais pour ce qui est des vallées des Hautes-Alpes par exemple, il est édifiant de constater que bien souvent, EDF est la seule industrie. Nous avons donc un vrai rôle au niveau de l'aménagement du territoire. Ce n'est que dans cette logique que nous pourrons envisager des développements, de même pour l'éolien.
M. Jean Boyer - Pour vous donner un ordre d'idées, il y a une vingtaine de micro centrales - dont 18 opérationnelles je crois- dans mon département, sur 500 000 hectares.
Mme Claude Nahon - Nous sommes très intéressés pour travailler avec vous, afin de regarder, si vous le souhaitez, si les centrales qui ne sont pas opérationnelles pourraient le devenir.
M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais revenir sur le problème de la taxation de la production hydroélectrique. Vous avez tout à l'heure parlé de 40 %. Pourriez-vous nous donner le détail ?
Mme Claude Nahon - Je vais essayer de vous le donner de tête. On a une courbe très significative qui montre l'augmentation des taxes, tandis que les coûts d'exploitation baissent. Tout centime que nos exploitants peuvent gagner - Alain Véry est bien placé pour vous en parler - est aujourd'hui compensé par l'augmentation des taxes.
Il y a la taxe locale, des prélèvements de l'agence de l'eau, et la taxe spéciale pour l'hydroélectricité que nous avons héritée de l'époque où l'on cherchait des financements pour le canal Rhin-Rhône. Lorsque l'on a renoncé au canal Rhin-Rhône, on n'a pas renoncé à la taxe. Lorsque l'on a développé l'indépendance de la CNR, la taxe a été répartie sur l'ensemble des aménagements d'EDF.
En rajoutant la TVA et l'impôt sur les sociétés, on arrive à 70 %.
M. Jean-Paul Amoudry - Dans les communes qui ont des barrages, on observe souvent des îlots, qui ressemblent un peu à des Emirats. J'imagine que c'est la taxe professionnelle qui fait la richesse de ces communes.
Mme Claude Nahon - Je connais en effet quelques communes dans les Alpes-de-Haute-Provence ou ailleurs, qui correspondent à la description que vous faites ; je pense à la commune de Demandols par exemple.
Ce n'est pas le cas du nucléaire, où il y a intercommunalité, alors que les communes riveraines des lacs ne bénéficient pas du tout des taxes pour l'hydraulique. Seul le lieu de l'usine ou du barrage perçoit les taxes
M. Jean-Paul Amoudry - Je crois que nous avons épuisé les questions que nous souhaitions vous poser. Nous aurons le plaisir de retrouver Monsieur Véry dans les Pyrénées dans quelques jours.
42. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (16 juillet 2002)
M.
Jacques Blanc -
Je ne te présente pas les membres de la Commission
puisque tu les connais tous. Je souligne cependant la présence de
Monsieur Jarlier, membre de la Commission et secrétaire
général de l'ANEM, chargé de faire le lien entre les deux
instances.
Nous avons voulu mobiliser les élus de la montagne sur une
démarche d'analyse et sur les perspectives à envisager en
matière de modification législative ou réglementaire afin
de donner un nouvel élan à la politique de la montagne. Il ne
s'agit pas de nous enfermer dans des actes contemplatifs. Nous souhaitons
trouver des réponses. L'aménagement du territoire devrait nous
permettre de faire comprendre l'intérêt, pour notre
société, de maintenir une vie en montagne et un équilibre
entre l'environnement et le développement. En outre, nous savons bien
que les débats européens vont entraîner des modifications,
notamment au niveau du deuxième pilier ou concernant l'avenir des
politiques régionales. Nous vivons donc un moment charnière. Il
s'agit pour le Sénat de montrer sa grande capacité de travail.
J'adresse à Monsieur Gaymard mes plus vifs remerciements pour le temps
qu'il est prêt à nous consacrer.
M. Jean-Paul Amoudry -
Cher Président, Monsieur le Ministre,
chers collègues, nous avons remis à Monsieur le Ministre un
questionnaire qui nous éclairera. Je le remercie sincèrement
d'avoir répondu à notre proposition d'audition. Nous mesurons,
sur ce thème fondamental de l'agriculture pour l'avenir de nos
montagnes, l'importance de cette audition et de l'échange que nous
aurons.
Permettez-moi également de lui souhaiter une grande réussite dans
la mission qui lui échoit et de l'assurer de notre confiance.
Je vous invite, si vous le voulez bien, à nous éclairer
in
fine
sur l'impact que vous pouvez présager des réformes en
cours de la PAC sur les politiques montagne.
M. Hervé Gaymard -
Monsieur le Président, Monsieur le
Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de
m'accueillir pour ce moment d'échange consacré à la
politique de la montagne, qui est notre passion commune. Etant né en
montagne, étant élu du département qui me fait confiance,
habitant dans un village de montagne entouré d'exploitants agricoles de
montagne, je suis particulièrement heureux d'être avec vous
aujourd'hui. J'espère que nous serons tous ensemble à même
d'améliorer la politique de la montagne, qu'il s'agisse des mesures
nationales ou des mesures dépendant de la PAC.
Je souhaite vous présenter deux de mes collaborateurs. Michel Dantin est
chargé de la politique de la montagne, de l'eau et de l'environnement au
sein de mon cabinet. Il est élu local et a, durant des années,
dirigé des organisations professionnelles agricoles. J'ai
souhaité m'entourer d'un homme de terrain afin de renouveler et de
diversifier les approches au Ministère. Quant à Blaise Mistler,
il n'est plus à présenter dans cette maison puisqu'il travaillait
auparavant au cabinet du Président Poncelet. Il assure la tâche
difficile et importante des relations avec le Parlement.
Je suis particulièrement heureux de retrouver Jacques Blanc ainsi que
mon collègue et compatriote savoyard Jean-Paul Amoudry pour cet
échange. Je me réjouis également de la création par
le Sénat de différents groupes de travail et missions
parlementaires sur l'agriculture, notamment sur l'agriculture de montagne. Ils
devraient éclairer utilement les débats et les politiques dans
les semaines et mois à venir.
Je me propose de répondre dans un premier temps aux questions qui m'ont
été posées. Je pourrai ensuite faire un état des
lieux de l'actualité de la réforme de la PAC. J'étais
à Bruxelles le 15 juillet et à l'instant avec le Commissaire
Fischler en visite à Paris le 16 juillet.
Quel avenir envisagez-vous pour le Contrat Territorial d'Exploitation
(CTE) ?
Je souhaiterais vous faire part de quelques observations sur ce sujet. Lors de
ma prise de fonction au Ministère, j'ai souhaité pouvoir disposer
d'un audit sur les CTE. Cet audit devait analyser les CTE en termes
budgétaires mais également en termes de fonctionnement et
notamment leur cohérence avec les différentes politiques de
développement rural et agroenvironnementales. Ce rapport d'audit m'a
été remis le 8 juillet et sera prochainement diffusé
officiellement. Je suis heureux de le remettre aux membres de cette mission.
J'ai toujours été favorable à une démarche
contractuelle. Des démarches de ce type ont été mises en
oeuvre en montagne avant que les CTE n'existent, notamment les mesures de
l'article 21 ou les diverses mesures agroenvironnementales. Dans beaucoup
de départements de montagne, les conseils généraux ou
régionaux avaient mis en place ces dernières années des
politiques contractuelles avec les agriculteurs, fixant des objectifs et des
engagements réciproques précis. Dans cette optique, le principe
des CTE ne sera pas remis en cause.
Le rapport d'audit a toutefois mis en exergue la nécessité d'une
réforme des CTE. Mon sentiment, en tant qu'élu de terrain,
était semblable. La procédure des CTE va donc être
simplifiée. Cette demande était unanime, tant de la part des
agriculteurs que de la part des agents du Ministère de l'Agriculture.
Ces derniers préfèrent consacrer davantage de temps au
développement rural et à l'écoute des agriculteurs
plutôt que remplir et contrôler des papiers. Le premier axe de
travail relève donc de l'allègement et de la simplification de la
procédure et du suivi des CTE.
En revanche, les CTE ne doivent pas constituer le vecteur unique des politiques
publiques en matière d'agriculture. Nous envisageons donc une formule
très souple. D'autres actions pourront être menées hors
CTE. Je suis pragmatique et non idéologue. Ce problème doit
être abordé concrètement et de manière
dépassionnée.
Voici les grandes orientations décidées à ce jour. Le
rapport d'audit permet de disposer d'informations plus
détaillées. Mon souhait pour les semaines à venir est de
progresser rapidement dans le domaine de la simplification des CTE afin de
disposer d'un outil rénové fonctionnant plus efficacement.
Concernant l'aspect financier, la mission d'audit budgétaire
réalisé au niveau du Ministère a permis de dégager
un budget de 227 millions d'euros de la part nationale en 2002. La
tendance indique un budget de 328 millions d'euros en 2003. Reste à
déterminer l'articulation de ces financements avec les financements
européens.
Vos récentes décisions relatives à la modulation ont
suscité de l'incompréhension, voire de l'inquiétude
auprès des agriculteurs de montagne. Quels apaisements pouvez-vous leur
donner ? (point 12 de l'ordre du jour)
Cette question est liée à la question précédente. A
mon arrivée au Ministère, le 7 mai au soir, j'ai
étudié le dossier de la modulation. J'ai constaté, dans un
premier temps, que le mode de calcul de la modulation ne correspondait pas
à celui dont j'avais pu entendre parler par ailleurs. Cette modulation
touchait davantage les zones et les exploitations à taille et à
revenu intermédiaires que les grandes exploitations. Les effets du mode
de calcul n'étaient donc pas accordés au discours. Celui-ci
prétendait en effet prélever des revenus aux grandes
exploitations pour les redistribuer aux plus petites.
Dans un deuxième temps, j'ai constaté que sur les
228 millions d'euros modulés en 2000 et 2001, 215 millions
d'euros étaient détenus par le FEOGA faute de pouvoir être
utilisés.
Pourquoi la consommation des crédits disponibles a-t-elle
été aussi faible ? Le dispositif exige d'une part un
co-financement national qui n'est pas satisfait. Un euro issu du budget de
l'Etat français permet de disposer d'un euro issu de la modulation.
D'autre part, la liste des opérations finançables par ces
crédits modulés est trop restrictive et ne permet pas de financer
toutes les mesures que nous souhaiterions voir financer pour favoriser le
développement rural. Je tiens à préciser que l'ICHN n'est
pas financé sur les crédits modulés mais sur des
crédits spécifiques. Le moratoire décidé sur la
modulation ne remet en cause ni le financement de l'ICHN ni les autres actions
entreprises au titre de la politique de la montagne financées sur le
budget du Ministère de l'Agriculture.
Quel est l'avenir de cette mesure ? A court terme, j'ai pour ambition
d'obtenir de Bruxelles la suppression des obstacles à l'utilisation des
215 millions d'euros disponibles. Cet argent est d'origine
française puisqu'il a été prélevé aux
agriculteurs français. Ces crédits prélevés pour
partie en 2000 et pour partie en 2001 seront respectivement perdus en 2004 et
2005 s'ils ne sont pas utilisés. La situation doit donc trouver au plus
vite une solution. J'espère obtenir cette mesure de court terme dans le
cadre des négociations menées à la Commission
européenne afin de pouvoir utiliser cet argent pour des mesures
correspondant au deuxième pilier.
L'avenir à moyen terme est lié à la réforme de la
PAC. Suite au rapport présenté le 10 juillet par le
Commissaire Fischler, nous sommes actuellement dans une période
préliminaire. Je ne peux pas aujourd'hui anticiper du résultat de
la négociation qui ne s'achèvera pas avant mars 2003 voire
l'automne 2003. En revanche, je suis sûr que tous les pays sont
favorables au renforcement des mesures de développement rural et
environnemental dans le cadre du deuxième pilier. Le premier tour de
table réalisé le 15 juillet à Bruxelles le confirme.
Dans le cadre du deuxième pilier rénové et
opérationnel, nous serons donc vigilants afin que les mesures
finançables profitent notamment aux agricultures des régions de
montagne. Mon objectif final est d'obtenir tout d'abord la suppression du
co-financement national. Je souhaiterais ensuite que la liste des
opérations finançables soit élargie aux actions de
développement durable de politique agroenvironnementale, notamment pour
les zones de montagne. Enfin, je veillerai à ce que les conditions
d'utilisation de ces crédits soient assouplies afin que le cadre
communautaire soit supprimé. L'adaptabilité selon les pays et les
régions doit être maximale. Il est nécessaire de sortir de
l'hyper-centralisation européenne. Les actions prévues dans le
cadre du deuxième pilier devraient être adaptées aux
réalités du terrain.
Ces objectifs ne sont pour l'instant que des souhaits. Je ne peux en rien
présager du résultat des négociations débutant
actuellement.
La modification des critères d'attribution de l'indemnité
compensatoire de handicap naturel (ICHN) en 1999, privilégiant le
critère de surface par rapport à celui de tête de
bétail, pénalise la conception économique de l'agriculture
au profit d'une approche environnementaliste. Elle présente des effets
pervers, dont une tendance à l'extension artificielle des
exploitations ; elle rompt avec la philosophie d'une agriculture devant
d'abord vivre de ses productions. Quels remèdes envisagez-vous ?
(Point 2 de l'ordre du jour)
Suite aux accords de Berlin de 1999, la modification de l'assiette de calcul de
l'ICHN poursuivait l'objectif d'en assurer la pérennité afin que
celle-ci ne soit pas remise en cause dans le cadre des négociations
commerciales multilatérales au sein de l'OMC. Le nouveau dispositif a
été mis en place en 2001. L'évaluation de la mise en
oeuvre du dispositif a été réalisée par l'Institut
d'agriculture méditerranéenne et a été
présentée récemment au groupe de travail sur la politique
agricole de montagne. Le résultat de cette étude montre que la
transition s'est effectuée sans bouleversement concernant les montants
versés aux agriculteurs. En effet, le montant total des dépenses
en 2001 s'élevait à 427 millions d'euros dont
50 % d'origine communautaire, soit le même volume que les
années précédentes.
• Les équilibres géographiques de ces versements sont
maintenus : 79 % des versements sont consacrés aux zones de
montagne, 21 % sont consacrés aux zones défavorisées
simples (ZDS) et aux zones de piémont.
• 1,4 % des exploitants antérieurement
bénéficiaires sont exclus du dispositif.
• 70 % des dossiers ont bénéficié d'une
augmentation des montants alloués.
• 13 % des dossiers sont en diminution. Il s'agit essentiellement des
éleveurs de bovins en piémont et d'ovins en ZDS humide. 44 %
de ces dossiers sont en plage non optimale ; 6 % des dossiers en
diminution sont en plage optimale.
Toutefois, les ajustements des modalités de gestion en 2002
devraient résoudre les difficultés constatées en zones de
piémont ainsi que pour les ovins en ZDS humides.
Cette étude montre également que l'extension des exploitations
à des fins d'optimisation du montant de la prime concerne seulement
17 % des dossiers, pour la plupart situés en zones
défavorisées simples.
Ce phénomène est par ailleurs encadré par des
règles de gestion simples :
• pas plus de 50 hectares payés par agriculteurs, ce qui
limite l'intérêt des extensions au-delà de ce seuil ;
• montant à l'hectare majoré pour les 25 premiers
hectares afin de favoriser les petites exploitations ;
• écrêtement du montant payé en 2001 à
120 % du montant payé en 2000 pour éviter les effets
d'aubaine.
La philosophie de l'ICHN a été définie en 1972 et mise en
place en 1975. En septembre 1974, un car de la Commission
européenne a été bloqué dans le Beaufortain par une
tempête de neige. J'avais alors 14 ans et étais
élève au lycée d'Albertville. La neige est arrivée
le 12 septembre pour ne plus nous quitter durant tout l'hiver. La
Commission européenne a été convaincue du handicap naturel
à compenser suite à ce voyage mémorable.
L'ICHN vise à couvrir le différentiel de revenus entre les zones
de montagne et la moyenne française.
L'instance d'évaluation de la politique de la montagne, ayant
travaillé dans le cadre du Commissariat du plan, a montré que
cette compensation n'était pas totale. L'ICHN permet de compenser la
moitié du handicap naturel. Le différentiel entre la zone de
montagne et la moyenne française s'élève à
30 %. L'ICHN permet de compenser 10 à 15 % de ce
différentiel selon les exploitations. Toutefois, l'augmentation
récente des taux de l'ICHN devrait permettre d'améliorer
sensiblement la situation.
Quelle sera la situation en 2002 et à l'avenir ? Mon
prédécesseur a annoncé, suite aux actions d'Aiton (73) sur
la politique de la montagne, une revalorisation de l'ICHN de 20 % en
haute montagne et de 5 % en zones de montagne en mars dernier pour
cette année. Ces annonces n'étaient pas financées. Nous
avons donc fait en sorte qu'elles le soient dans le cadre du collectif
budgétaire que le Sénat va examiner. Les crédits nets
budgétaires ouverts sur le budget du Ministère de l'Agriculture
prévoient le financement de cette augmentation. Nous avons
également pris des dispositions administratives afin que le versement en
soit accéléré. Les agriculteurs devraient donc recevoir
ces indemnités avec un mois d'avance par rapport aux années
précédentes.
La question des zones de piémont laitiers devrait être
réglée par la suppression du coefficient qui pondère le
nombre des hectares primés pour les élevages mixtes.
Par ailleurs, les 3P (poires, pommes, pêches) en zone de montagne
sèche accèdent pour la première fois à l'ICHN
à compter de l'année 2002.
Les enveloppes sont consolidées pour les départements ayant
dépassé leur notification de crédits en 2001.
Il paraît à l'avenir souhaitable de mieux rémunérer
les 25 premiers hectares puisque le différentiel n'est plus que de
10 % depuis la réforme.
Dans le cadre de la maîtrise budgétaire, il est difficile de
prévoir des augmentations conséquentes pour les années
à venir. Dans le cadre de la revue à mi-parcours de la PAC, une
des orientations consisterait à financer davantage de mesures inclues
dans le deuxième pilier. Une négociation réussie nous
permettrait de disposer d'une marge de manoeuvre plus importante concernant le
financement de la prime à l'herbe, de mesures agroenvironnementales ou
de l'ICHN.
Les concours attribués au titre du PMPOA ont
bénéficié essentiellement, au cours de ces récentes
années, aux plus gros élevages de plaine. Est-il prévu
pour répondre à la très forte attente (et au sentiment
d'injustice) des agriculteurs de montagne de revaloriser ces
crédits ? (point 3 de l'ordre du jour)
Les aides attribuées au titre du PMPOA entre 1994 et 2000 ont
effectivement été attribuées aux élevages
importants. Les élevages ont été intégrés
par taille décroissante, partant des élevages de plus de
200 UGB en 1994 jusqu'à 90 UGB en 2000. Certains
élevages de 70 UGB ont localement reçu des aides, notamment
dans les zones à forte pollution. Cette classification avait
été retenue à l'époque dans le but de
résorber les pollutions occasionnées par les plus gros
élevages. Le dispositif a pris fin en décembre 2000.
Dans le cadre du nouveau dispositif agréé par l'Union
européenne depuis l'automne 2001, les élevages sont
intégrés selon leur localisation en zones vulnérables
délimitées par les préfets de région. Ils peuvent
alors bénéficier des aides quelle que soit leur taille.
Dans les autres zones, les gros élevages, supérieurs à
90 UGB, peuvent bénéficier des aides, considérant
qu'ils sont les plus pollueurs. Les petits élevages peuvent
bénéficier des aides CTE pour la maîtrise des pollutions
à condition d'engager des travaux allant au-delà de la
réglementation.
Cependant, et vous le savez, le texte européen nous oblige à
consacrer 80 % des crédits aux zones vulnérables. Si
cette condition n'est pas respectée, les subventions ne pourront
être accordées au-delà de l'année 2006. Nous
devons donc d'ici là trouver une solution pour les petites
exploitations, notamment dans les zones de montagne.
Je travaille sur la possibilité d'autoriser à nouveau les
opérations coordonnées qui permettent une position
équilibrée et globale dans le cadre de politique de Bassin
versant et qui utilisent des financements émanant des agences de l'eau,
des régions et des départements. Pour cela, l'accord de Madame
Bachelot, Ministre de l'Ecologie et du Développement durable, est
nécessaire. Les deux ministères travaillent activement à
l'élaboration d'une solution. Ces mesures doivent également
être financées dans le cadre du deuxième pilier. J'ai
déjà évoqué le problème avec le Commissaire
Fischler. Tous les pays ont intérêt à ce que le
deuxième pilier, jusqu'à présent peu opérationnel,
fonctionne. Le deuxième pilier doit donc intégrer des
financements d'aides directes utiles. Il ne doit pas servir à financer
des ronds-points ou des salles polyvalentes mais des actions s'insérant
dans le cadre de l'environnement et d'une agriculture durable.
Une forte érosion des aides de l'Etat à l'investissement en
montagne (bâtiments, CUMA, etc.) a été constatée au
cours des plus récents exercices. Prévoyez-vous de revaloriser
ces aides ? (point 4 de l'ordre du jour)
Je souhaiterais rappeler quelques chiffres sur ces aides puisque ces
dernières ont augmenté après les actions d'Aiton en 1998.
Elles ont augmenté de 46 % entre 1998 et 2000. Le montant de ces
aides atteignait 17,37 millions d'euros en 2001 et 21,2 millions
d'euros en 2002. Cette augmentation a permis de résorber les dossiers
non traités en 2001 et de supprimer ainsi l'attente. Telle est
l'information qui m'est transmise.
De plus, l'arrêté du 26 mars 2001 et sa circulaire
d'application du 23 mai 2001 concernant les aides aux bâtiments
d'élevage ont revalorisé les prix plafonds et permettent le cumul
des aides spécifiques à la zone montagne avec d'autres aides,
notamment les aides CTE ou les aides des offices comme l'OFIVAL.
Enfin, des efforts ont été fournis afin de revaloriser les aides
à la mécanisation en zone de montagne à travers
l'arrêté du 26 mars 2001 et sa circulaire d'application
du 23 mai 2001 concernant les aides à la mécanisation.
Le montant moyen de l'aide versée pour chaque dossier s'élevait
à 10 9216,34 euros entre 1995 et 2000. Le montant moyen de
l'aide versée pour les dossiers bâtiment d'élevage
s'élève à 10 742 euros en 2001. Il est de
5 679 euros concernant l'aide à la mécanisation.
L'augmentation est donc conséquente. Je m'attacherai à
préserver ces dotations sachant que ce sujet est lié au PMPOA.
Plus le financement au titre du PMPOA diminuera, plus les crédits
destinés aux bâtiments d'élevage et aux bâtiments en
montagne augmenteront. C'est pourquoi les négociations concernant le
deuxième pilier sont extrêmement importantes.
Les acteurs du pastoralisme attendent une relance de la politique pastorale.
Cette action figure-t-elle parmi vos projets ? Si oui, sous quelles
formes ? (point 5 de l'ordre du jour)
J'éprouve beaucoup de timidité à évoquer la
question du pastoralisme en présence de Monsieur Amoudry puisque chacun
sait qu'il en est le spécialiste. Le Conseil national de la montagne
avait confié à mon prédécesseur la charge de mener
un groupe de travail interministériel sur le pastoralisme. Celui-ci
s'est réuni à plusieurs reprises. Jean-Paul Amoudry en a
été un des acteurs essentiels en présidant notamment un
sous-groupe sur le thème des entités collectives et de leurs
évolutions qui a fourni un travail remarquable.
Le rapport du groupe de travail interministériel contenant les
42 propositions retenues par le groupe de travail plénier du
26 février 2002 devrait m'être remis le
30 juillet 2002. Ces propositions seront regroupées autour de
cinq thèmes majeurs :
• encouragement au regroupement d'éleveurs, action sur le foncier
agropastoral et définition des actions en faveur du
sylvo-pastoralisme ;
• adaptation des dispositifs d'aides publiques et notamment le CTE
à la gestion des territoires pastoraux ;
• articulation et coordination des formations ;
• meilleure indentification et meilleure coordination des moyens
spécifiques au pastoralisme ;
• pérennisation du groupe interministériel sur le
pastoralisme.
J'examinerai avec attention ces propositions quand le rapport me sera remis.
Néanmoins, la politique pastorale m'apparaît devoir être
soutenue puisque les agriculteurs de montagne doivent trouver des moyens
d'organisation et de développement ainsi que des espaces essentiels
à leur activité de production.
Un certain nombre de propositions portent sur la mise à jour des
règles de gestion du foncier et des entités collectives de
propriétaires et d'utilisateurs. Ce sont les sujets les plus sensibles.
En outre, les traditions ancestrales diffèrent d'un massif ou d'une
vallée à l'autre. Les us et coutumes concernant le foncier et la
répartition du fruit commun sont très disparates. A cet effet,
j'envisage de confier à un parlementaire la mission de prendre en compte
les réflexions de ce groupe de travail ainsi que les réflexions
émanant du groupe de travail de la DATAR afin d'ébaucher
rapidement des propositions d'actions concrètes. Je remercie à
nouveau Jean-Paul Amoudry pour le travail réalisé.
L'avenir des quotas laitiers après 2008 a suscité de vives
préoccupations parmi les éleveurs de montagne. Quelle position
envisagez-vous de prendre sur ce dossier essentiel ? (point 6 de
l'ordre du jour)
Ma position est simple : je suis favorable au maintien des quotas
laitiers. Les quotas laitiers tels qu'ils existent seront appliqués
jusqu'en 2008, date à laquelle la question de leur avenir se posera.
Cette question sera abordée au cours de l'année 2003 dans le
cadre des discussions sur la révision à mi-parcours de la PAC.
La démarche de la Commission, sur ce sujet notamment, s'est
révélée jusqu'à présent intelligente. Elle a
présenté quatre scénarios qui ont été
étudiés par des instituts de recherche et de développement
agricole et rural. Le résultat de ces études sera disponible dans
les prochains mois. La France défendra le maintien de ce dispositif pour
des raisons de maîtrise et d'équilibre du marché
européen des produits laitiers qui permet une relative stabilité
du prix du lait et un maintien du revenu des producteurs.
Par ailleurs, il convient de mentionner que la production de lait en montagne
représentait 10 % de la production française en 1984
contre 13 % en 1995. Rappelons cependant que des dotations
exceptionnelles sont intervenues entre 1984 et 1995. Cette politique des quotas
laitiers n'a donc pas été défavorable aux zones de
montagne contrairement à ce qui est parfois entendu.
La prime à l'herbe devrait disparaître en 2003. Quelles sont
les mesures de remplacement actuellement étudiées ? Le cas
échéant, quel régime d'aide de substitution envisagez-vous
de retenir ? (point 7 de l'ordre du jour)
La prime à l'herbe arrivera prochainement à terme de son second
quinquennat. Cette prime avait été instaurée en 1993 puis
reconduite en 1998 sous la dénomination PMSEE. Je souhaite que cet outil
soit pérennisé. Mais la prime à l'herbe soulève
deux interrogations. Nous devons définir le cadre d'emploi de la mise en
place de cette prime. Il s'agit de savoir si la contractualisation d'un CTE est
obligatoire pour y avoir accès. Le rapport que je vous ai remis ne
semble pas l'affirmer fermement.
Il me semble que, selon les situations et si la configuration des lieux s'y
prête, la prime à l'herbe peut être attribuée dans le
cadre des CTE. En cas contraire, il pourrait être envisagé de
l'attribuer hors CTE.
La deuxième interrogation relève de la pérennisation de
l'outil considéré pour laquelle nous devons nous battre. Les
discussions techniques entre les services du Ministère de l'Agriculture
et les services de la Commission européenne ont d'ores et
déjà commencé. Je tiens quant à moi à vous
assurer de ma détermination sur ce sujet.
Les abattoirs de proximité sont considérés par certains
acteurs de la filière viande comme un moyen de valoriser la production
des races à viande à faibles effectifs. Quelle politique
entendez-vous mener pour lutter contre la tendance aux grandes unités et
à la raréfaction des abattoirs de proximité ?
(point 8 de l'ordre du jour)
Le plan de restructuration des abattoirs français mis en oeuvre depuis
plusieurs années répond à une double
préoccupation :
• améliorer la rentabilité de la filière de
transformation, durement confrontée à la concurrence
étrangère ;
• se conformer aux réglementations sanitaires nationales et
européennes.
Valoriser la production des races à viande à faibles effectifs
n'en est pas moins un objectif important à atteindre dans le cadre plus
général de la valorisation de la qualité des produits
montagnards. Le circuit court ainsi établit permet en outre au pays de
bénéficier entièrement de la valeur ajoutée.
Il me paraît essentiel de mettre en place une politique active sur la
question des abattoirs mais aussi sur les filières de transformation et
de commercialisation, notamment à travers le volet montagne des contrats
de plan. Le travail à effectuer est considérable. En effet,
plutôt que de travailler en amont, il me paraît nécessaire
de recenser les besoins et d'adapter les réponses à chaque
situation. Là encore, le pragmatisme devrait être la clef de
l'efficacité.
Est-il prévu de pérenniser, voire de développer, les
dispositifs destinés à améliorer la
compétitivité de la production forestière en montagne pour
répondre à l'attente de la filière ? (point 9 de
l'ordre du jour)
Le programme interministériel « Compétitivité
plus » mis en oeuvre entre 1996 et 1999 avait pour objet de soutenir
des actions expérimentales relatives à l'approvisionnement en
bois de l'industrie. Ce programme a nécessité l'utilisation de
crédits des Ministères de l'Agriculture et du Travail ainsi que
du FNADT. A ce titre, le programme a soutenu plusieurs opérations
concernant l'exploitation des bois en montagne et notamment la relance de
l'exploitation forestière par câble pour les forêts
d'accès difficile. Ces opérations ont été
menées durant deux années sur plusieurs communes de la
région Rhône-Alpes. Ce programme n'a pas été
reconduit au niveau des budgets au-delà de l'expérimentation.
Il appartient aux professionnels de valoriser les pistes d'amélioration
mises en évidence par ces opérations expérimentales. Le
Ministère de l'Agriculture continuera quant à lui d'apporter
à ces actions en montagne les soutiens relevant de sa
compétence :
• l'aide au démarrage des entrepreneurs de travaux forestiers ;
• l'aide à l'équipement en câbles des entreprises de
travaux forestiers et d'exploitation forestière ;
• le soutien des opérations de regroupement logistique des scieries
de montagne visant à réduire les coûts de transports ;
• les études sur le billonnage des bois sur place afin d'en
réduire la longueur et d'en faciliter le transport ;
• les chartes forestières de territoire.
Je suis très optimiste sur l'efficacité de ces chartes. Vingt
chartes ont été conclues dont huit concernent les zones de
montagne dans les départements de Haute-Savoie, Isère,
Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence, Ariège, Haute-Garonne,
Hautes-Pyrénées, Haute-Loire, Cantal et Savoie.
Là encore, la mission pourrait nous faire part de son opinion
après ses déplacements et ses auditions.
Le décret « montagne » du
15 décembre 2000 est perçu comme une avancée,
mais les organisations professionnelles souhaitent la mise en place de
signalétiques spécifiques et de cahiers des charges. Etes-vous
favorable à cette initiative et le cas échéant, quels
soutiens pourraient leur être apportés pour lancer et animer les
filières ? (point 10 de l'ordre du jour)
Le décret du 15 décembre 2000 pris en application de la
loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 précise les
conditions d'utilisation du terme « montagne ». Cette loi
répondait à une mise en cause du dispositif national
antérieur par la Cour de justice européenne.
Le choix a été fait de privilégier la simplicité et
l'efficacité. La seule contrainte forte mise en exergue concerne la
localisation. En effet, il est nécessaire que toutes les
opérations, de la production des matières premières
jusqu'au conditionnement des produits, aient lieu en montagne. Cependant, des
dérogations sont possibles.
Le choix initial consistait à ne pas prévoir d'identification des
produits « montagne » par un logo officiel étatique
comme il en existe pour le label rouge ou l'agriculture biologique. Ce choix
est tout à fait compréhensible. En revanche, les professionnels
des zones de montagne sont très demandeurs d'une signalétique
spécifique.
Ce dossier sensible, qui concerne à la fois les Ministères de la
Consommation et de l'Agriculture, mérite toute notre attention. La
démarche envisagée doit être analysée en tenant
compte des obstacles communautaires éventuels.
Par ailleurs, à la différence du label rouge, la
dénomination « montagne » ne dispose pas d'un
soubassement juridique et réglementaire permettant des actions en
justice.
Je suis très sensibilisé à ce sujet en tant qu'élu
de montagne. Je souhaiterais cependant que la mission m'apporte quelques
éclairages complémentaires car mon opinion n'est pas très
motivée. Un certain nombre d'expériences ont d'ores et
déjà été menées. Elles n'ont pas toujours eu
le succès escompté.
Faut-il aujourd'hui se battre auprès de la Commission afin d'obtenir
cette dénomination ? Je n'ai pas de réponse. Il faudrait
définir précisément les avantages et les
inconvénients d'une telle dénomination ainsi que les risques
potentiels d'interférence avec d'autres dénominations, signes ou
labels de qualité.
Les attentes exprimées par les filières sont de deux natures.
Elles concernent l'encadrement des dérogations aux conditions de
production retenues dans le décret et la définition de conditions
complémentaires de production qualitatives.
Certaines difficultés d'interprétation sont apparues par rapport
à l'élaboration des règlements techniques nationaux bien
que nous progressions sur le sujet au sein des groupes de travail.
J'espère que nous aboutirons à une solution. Il n'empêche
que la prudence s'impose afin que cette dénomination
« montagne » ne soit pas usurpée.
Les dispositions sur la pluriactivité dont vous êtes à
l'origine ont été abrogées en 1999 sans avoir pu entrer en
vigueur du fait de l'opposition des caisses d'assurance maladie. Le
Gouvernement prévoit-il de reprendre l'initiative ? (point 11
de l'ordre du jour)
Je connais bien ce sujet sur lequel j'ai été missionné en
tant que parlementaire. Il est perpétuellement évoqué
depuis la loi Montagne de 1985. Un rapport avait été remis en
1994. Près de dix années après, il semblerait que les
problèmes évoqués sont toujours les mêmes. Je
voudrais donc souligner ma frustration sur ce sujet et mon souhait de le voir
progresser.
La pluriactivité soulève des problèmes relevant de
plusieurs domaines. Le volet fiscal semble aujourd'hui stabilisé. Je me
souviens toutefois m'être rendu à la chambre des métiers de
la Haute-Loire en 1994. La tension entre les agriculteurs et les artisans
était à son comble au motif de la concurrence déloyale,
notamment sur la partie fiscale. En effet, une partie des revenus non agricoles
pouvait être rattachée forfaitairement au bénéfice
non agricole. Certains artisans s'en plaignaient.
Le deuxième volet concerne l'emploi et notamment la question des
groupements d'employeurs. Ce volet est toujours confronté à un
certain nombre d'obstacles difficiles à lever concernant notamment la
conciliation d'un employeur public et d'un employeur privé dans le cadre
d'un groupement d'employeurs. Par ailleurs, l'annualisation du travail doit
être à nouveau analysée à l'occasion des
négociations sur les 35 heures.
Le volet formation est également très important. L'enseignement
agricole a fait figure de pionnier à travers les modules horaires
régionaux qui permettaient de disposer d'horaires d'enseignement
adaptés selon les régions et les diversifications possibles pour
les agriculteurs. Je souhaite évidemment que nous poursuivions cet
effort. Par ailleurs, la question des formations bi-qualifiantes se pose
également. Il s'agit de créer de nouveaux lycées
d'enseignement professionnel, comme il en existe dans les Hautes-Alpes ou en
Maurienne, capables de dispenser des formations débouchant sur deux
diplômes. Cette mesure est peu coûteuse mais nécessite
d'agir localement en fonction des bassins d'emploi. Il ne s'agit pas de mesures
nationales.
J'ai pour ma part créé dans ma circonscription, en 1995, un
comité de bassin d'emploi réunissant à la fois les
organisations professionnelles et syndicales, les salariés, les
élus et les administrations. Cette structure nous a permis de faire
émerger plusieurs projets.
Le quatrième volet concerne la protection sociale. Tout le monde
s'accorde sur la nécessité d'un interlocuteur unique pour le
professionnel pluriactif. L'idée consiste à mettre en place une
caisse pivot qui ne soit pas une caisse supplémentaire mais une caisse
déjà existante. Toute la difficulté consiste à
déterminer cette caisse pivot, c'est-à-dire les critères
de rattachement.
J'ai repris ce dossier en 1994. Le rapport existant définissait un
critère de rattachement basé sur le nombre d'heures
travaillées ou sur les revenus. Mais aucune solution n'avait
émergé, l'enjeu étant lié au nombre de
ressortissants par caisse, impossible à résoudre.
J'avais pour ma part proposé que la caisse de rattachement soit
laissée au choix de l'assuré social. Un pluriactif, agriculteur
et moniteur de ski, pourrait choisir d'être rattaché à la
MSA ou à la caisse des professions libérales. J'en avais
convaincu mon prédécesseur, Jean Puech. Cette proposition a donc
été traduite dans la loi de modernisation de l'agriculture
promulguée en janvier 1995. Etant au Ministère des Affaires
sociales en 1997, je suis parvenu, après deux ans d'effort,
à faire publier le décret d'application en mars 1997. Il
donnait six mois aux différentes caisses pour mettre en place un
système de caisse pivot. En novembre 1997, la situation n'avait pas
évolué.
Sous prétexte de cet enlisement, un amendement gouvernemental a
été déposé devant la Haute Assemblée, qui
l'a adopté. L'article de 1995 a été abrogé le
9 juillet 1999, sans doute dans l'indifférence
générale.
En revanche, l'article de la loi du 10 juillet 1999, codifié
à l'article L 171-3 du Code de la Sécurité sociale, a
posé le principe de l'affiliation exclusive des pluriactifs non
salariés au régime de protection sociale dont relève leur
activité principale. Le problème relève désormais
de la définition de l'activité principale.
Je considère, pour ma part, que nous aurons toutes les
difficultés à convenir d'une définition. Il faut donc
éviter ce piège et décider d'un critère simple de
rattachement à la caisse pivot.
Un décret en Conseil d'Etat datant du 21 avril 2001
définit les critères de détermination de l'activité
principale. Il fixe comme critère majeur le revenu professionnel le plus
élevé et comme critère mineur, le temps consacré,
au cours de l'année civile, à chaque activité non
salariée. Mais ce décret empêche les jeunes agriculteurs de
s'installer puisque leur revenu principal est issu d'un domaine autre que
l'agriculture.
Je souhaite donc prendre rapidement un arrêté permettant de
réouvrir le délai pour l'option offerte aux pluriactifs. Je
souhaite également modifier l'article 1
er
du
décret d'août 2001 concernant l'activité principale et
remettre en chantier l'aspect législatif.
Par ailleurs, le mode de calcul des cotisations sociales semble
définitivement arrêté. Le système était
autrefois injuste. En effet, du fait d'un niveau élevé des
cotisations minimales dans certains régimes, notamment pour les artisans
et les travailleurs indépendants, un pluriactif pouvait payer, à
revenus égaux, un montant de cotisation plus élevé qu'un
monoactif. La loi de 1995, dont le décret est paru en
mars 1996 et l'instruction d'application envoyée aux caisses
à l'automne 1996, a permis de corriger cette injustice.
La politique européenne en faveur des zones à handicap naturel
(point 12 de l'ordre du jour)
Le Commissaire actuellement chargé de ces questions, Michel Barnier,
souhaite inscrire une référence à la montagne dans la
politique de cohésion européenne dans le cadre de la
réforme de la politique régionale européenne. Je suis
très favorable à cette disposition qu'il me paraît
important de pérenniser. Il me semble que nous pouvons compter sur
Michel Barnier, lui-même montagnard.
M. Jacques Blanc -
Tout le monde s'est montré très
attentif et très intéressé. La passion qui se
dégage de vos propos et votre connaissance approfondie des dossiers
confortent la confiance que nous avons à votre égard. Les sujets
abordés ont révélé des éléments que
nous avions relevés au cours de nos visites dans les différents
massifs.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il me semble, cher Ministre, cher
Président et chers collègues, au vu de la riche contribution
d'Hervé Gaymard, que nous pourrions faire l'économie des
questions.
Je souhaite remercier Monsieur le Ministre pour son intervention et pour le
rapport sur les CTE dont il nous donne la primeur. Ces CTE constituent un des
points les plus fréquemment abordés au cours de nos auditions sur
le dossier agricole ou de nos visites.
J'ai bien noté les commandes du Ministre et nous serons très
heureux de lui transmettre un rapport d'informations mais aussi de propositions
sur les chartes forestières, une plus grande transparence dans
l'attribution des quotas, une signalétique sur le décret montagne
et les priorités à financer sur le deuxième pilier. Je ne
sais pas si nous parviendrons à répondre à toutes ces
questions dans le temps qui nous est imparti, c'est-à-dire avant le
8 octobre.
Si des questions supplémentaires ou des précisions étaient
nécessaires, nous ne manquerions pas de nous rapprocher du conseiller
technique et de l'attaché parlementaire.
Je remercie à nouveau très chaleureusement Hervé Gaymard.
M. Auguste Cazalet -
La zone montagne est-elle définitivement
délimitée ? Des classements de communes sont-ils encore
possibles ? Ce problème est épineux. Le classement aurait
dû être fait exploitation par exploitation. Les injustices ne
seront jamais résolues. Certaines régions du Pays Basque et du
Béarn mériteraient d'être classées.
M. Hervé Gaymard -
Je ne prendrai aucun engagement sur la
modification du classement de la zone montagne, ce qui serait bien imprudent de
ma part. Je comprends bien vos préoccupations. Le problème se
pose également au niveau des zonages européens. Les zonages sont
toujours sujets à des injustices.
M. Jean Boyer
- Je partage les propos de Jacques Blanc et je
réaffirme la confiance que nous avons en vous. J'apprécie
particulièrement votre langage de vérité et vos
compétences.
Par ailleurs, certains élus ont appris que les réserves des
caisses du MSA départementales vont financer le BAPSA pour
161 millions d'euros.
M. Hervé Gaymard -
Je vais vous répondre en toute
honnêteté. Une opération d'audit budgétaire fait
état d'un déficit de plus de 800 millions d'euros pour le
BAPSA en 2002, avant financement de la retraite complémentaire. Telle
est la situation du BAPSA aujourd'hui. Il faut donc trouver des crédits,
sinon les prestations sociales agricoles ne seront plus versées. Sur ces
800 millions d'euros, 300 millions sont demandés au BAPSA. Une
partie de la somme sera prélevée sur d'autres caisses publiques
ou parapubliques. Environ 350 millions de francs correspondent à de
l'argent budgétaire. Je comprends le mécontentement de la
mutualité mais nous sommes dans l'obligation de financer le
régime de protection sociale agricole actuellement déficitaire.
Le sujet de la loi de finance 2003 sera aussi difficile à traiter.
La proposition de loi adoptée à l'unanimité concernant la
retraite complémentaire agricole ne dispose pas du moindre euro de
financement.
M. Jacques Blanc -
Il s'agit d'un sujet délicat qui
nécessitera des explications à destination de parlementaires.
M. Hervé Gaymard -
Cela a été fait. Tous les
parlementaires ont été destinataires d'une lettre d'explication.
M. Jacques Blanc -
Je tiens à renouveler mes remerciements au
Ministre. Je souhaite que nous puissions lui remettre notre rapport lorsque
nous le présenterons.
43. Audition de Mmes Josette Brosselin, directeur régional de Dexia Crédit Local, Françoise Bérard, responsable du marché intercommunalité et Béatrice Bernaud-Pau, directeur des relations institutionnelles (17 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Nous accueillons Madame Josette Brosselin, Directrice
régionale de Dexia Crédit Local, Madame Françoise
Bérard, responsable du marché intercommunalité et Madame
Béatrice Bernaud-Pau, Directrice des relations institutionnelles.
Au nom de la mission présidée par Monsieur Blanc, que nous devons
excuser de ne pas être présent aujourd'hui parmi nous, je voudrais
vous saluer et vous remercier de vous être rendues au Sénat.
Si vous me le permettez, je souhaiterais rappeler en préambule les
grandes lignes de la mission « montagne ».
2002 est l'année internationale des montagnes. A l'initiative d'un
certain nombre de sénateurs, le Sénat a décidé
d'ouvrir cette mission afin de réaliser un inventaire de l'application
non seulement de la loi « montagne » de 1985, mais
également de tous les dispositifs juridiques qui sont venus
gérer, régir et administrer la montagne ces
17 dernières années.
Je fais référence ici à tous les textes nationaux, qu'il
s'agisse des lois d'orientation, d'aménagement du territoire, des lois
forestières et agricoles, des lois d'urbanisme ou encore des textes
européens qui sont nombreux aujourd'hui.
Nous avons donc entrepris un inventaire complexe dans la mesure où aucun
domaine de la vie et de la nature n'échappe en définitive
à nos investigations.
J'ajoute que l'aspect financier est au coeur de nos préoccupations
puisqu'en nous intéressant à la montagne, nous nous
intéressons nécessairement aux collectivités, qu'il
s'agisse des départements, des régions ou bien des communes et
des intercommunalités.
Nous avons déjà visité un certain nombre de sites
montagnards et nous repartons cet après-midi dans le Jura et dans les
Vosges afin de terminer ce périple national.
Compte tenu du temps qui nous est imparti, nous n'irons pas dans les
îles, pas même en Corse alors que cela était pourtant
prévu.
Toutefois, nous aurons des auditions des représentants de ces
territoires insulaires.
L'objectif que nous nous sommes fixé est de rendre nos travaux au
début du mois d'octobre 2002. D'où une concentration
importante de notre programme de travail.
Nous arrivons aujourd'hui pratiquement à la fin de nos auditions
relatives à la mission d'information sur la montagne.
Sans plus tarder, nous passons au questionnaire qui vous a été
adressé et sur lequel figure un certain nombre de questions.
Mme Béatrice Bernaud-Pau -
Je vous remercie de nous recevoir
aujourd'hui au Sénat. Je commencerai mon intervention par une
présentation de Dexia.
Je suis la Directrice des relations institutionnelles de Dexia Crédit
Local qui est l'entité en charge du financement public local en France
et dans le monde.
En ce qui concerne votre première question, je vais vous apporter un
certain nombre d'éclairages sur le groupe Dexia dans son ensemble et la
position de Dexia Crédit Local au sein de ce Groupe.
Dexia est un groupe européen qui est coté à la fois
à Bruxelles, Paris et Luxembourg. Il fait partie du premier tiers de
l'Euronext 100. Sa capitalisation boursière est de
20,2 milliards d'euros.
Le Comité exécutif est présidé par Monsieur Pierre
Richard qui est également administrateur délégué de
Dexia.
En ce qui concerne la composition du capital de Dexia, les actionnaires
institutionnels et autres représentent 41,25 % du capital ;
les actionnaires individuels représentent 13,9 % du capital ;
la Caisse des Dépôts et Consignations représente 7 %
du capital ; Arcofim, qui est un groupe financier belge avec lequel nous
nous sommes associés au mois d'avril 2002, représente
15,34 % du capital ; la
holding
communale des communes belges
représente encore 15,4 % du capital ; le groupe d'assurance
belge SMAP représente 5,17 % du capital ; et enfin, les
collaborateurs du Groupe représentent à ce jour 2,3 % du
capital avec un système de mise en place d'actionnariat salarié
assez régulier.
J'ajoute que la composition du capital de Dexia est en évolution
constante. Actuellement, en ce qui concerne le domaine du financement du
secteur public local, Dexia est le
leader
mondial du financement de
l'équipement collectif avec 17 % de part de marché en Europe
(tous financements confondus) et 25 % aux Etats-Unis (où nous avons
racheté la deuxième société de réhaussement
de crédit).
Les activités du Groupe sont de trois sortes :
- la gestion d'actifs pilotée par « Dexia Bil »,
banque établie au Luxembourg ;
- les services de financement de type bancaire pilotés par
« Dexia Banque » ;
- et le service de financement de proximité piloté par
« Dexia Crédit Local ».
Le groupe Dexia est né de la fusion du Crédit Local de France
avec une banque belge, le Crédit Communal de Belgique. Le Crédit
Local de France est né en 1987. Il s'agissait d'une SA qui travaillait
sur un service de la Caisse des Dépôts et Consignations pour le
financement du secteur public local.
En 1991 a lieu la première introduction en bourse sur 27 % de son
capital.
En 1993, le Crédit Local de France est privatisé, l'Etat ayant
cédé la majorité de ses actions.
En 1996, le Crédit Local de France s'allie au Crédit Communal de
Belgique.
En 1999 a lieu l'unification des deux
holdings
de tête.
En 2000, la totalité des activités du Groupe relatives au
financement du secteur public local a été regroupée dans
Dexia Crédit Local. Cela explique que vous allez retrouver la même
appellation pour toutes les activités que nous pouvons exercer dans le
monde sur le financement du secteur public local.
La partie française de Dexia Crédit Local est la plus importante,
mais il existe également d'autres sociétés qui sont
davantage spécialisées. On note notamment :
- une activité de montage financier intitulée « Dexia
Finances » ;
- une activité d'assurance de risque employeur de collectivités
locales intitulée « Dexia Sofcap » ;
- une activité d'indemnités de fin de carrière,
d'épargne retraite et salariale ;
- une activité de location de véhicules ;
- une activité de financement de biens mobiliers pour le secteur public
local intitulée « Dexia Lease France » ;
- une activité de crédit-bail mobilier et immobilier
intitulée « Dexia Flobail » ;
- et une activité de garantie de loyer de bâtiments industriels
intitulée « Assureco ».
Il s'agit ici des entités créées par Dexia Crédit
Local afin d'accompagner le financement ou les actions des collectivités
locales dans d'autres domaines qui n'étaient pas du financement strict
du secteur public.
Par ailleurs, nous avons monté une filiale spécialisée
dans le financement de la trésorerie des collectivités locales.
Cette filiale a pour nom « Dexia CLF Banque » et
possède des participations dans le Crédit du Nord.
Pour ce qui est des activités du financement de l'équipement
collectif et du réhaussement de crédit, nous avons, en production
de crédit long terme dans le monde, 30,5 milliards d'euros.
Pour ce qui est de la partie strictement française, le financement des
équipements collectifs s'élève globalement à
21,9 milliards d'euros avec un encours de crédit à moyen et
long terme de 125,6 milliards de francs. Cela concerne uniquement les
prêts.
Dexia Crédit Local compte 2 947 collaborateurs dont 2 000
pour la France.
La partie française est majoritaire dans notre activité. Je dirai
même que c'est elle qui apporte aux autres l'expérience de son
métier. Nous capitalisons en quelque sorte sur ce savoir-faire pour le
transmettre aux autres sociétés et filiales du Groupe.
Cela nous conduit à avoir au niveau français un réseau
extrêmement important. Je précise qu'il ne s'agit pas d'un
réseau de guichets d'agences puisque nous n'avons pas d'activité
bancaire au sens traditionnel du terme. Il s'agit en fait d'un réseau
régional qui se décline en responsabilités
départementales voire locales.
L'histoire de Dexia nous a amenés à élaborer un certain
savoir-faire, ce qui nous conduit à disposer d'une documentation
dédiée et à produire des activités de service et de
conseil.
En outre, nous montons un certain nombre de colloques et nous animons des
partenariats dont celui conclu avec l'ANEM (qui concerne les
collectivités locales de montagne). C'est d'ailleurs sur cette base que
nous sommes interrogés sachant qu'en France, Dexia Crédit Local
représente 40 % de l'appel au financement du secteur public local
pour ce qui est des collectivités. On peut donc considérer que
40 % des besoins de financement des collectivités locales sont
couverts par notre institution.
Pour répondre à l'ensemble des questions qui concernent plus
précisément la montagne, nous avons souhaité vous
présenter deux personnes qui sont d'une part, Madame Brosselin,
Directrice régionale de Dexia Crédit Local pour la Savoie et la
Haute-Savoie et d'autre part, Madame Bérard, responsable du
marché intercommunalité.
J'ajoute que je dispose d'informations et de documents que vous pourrez joindre
au compte rendu de la présente réunion.
Mme Josette Brosselin -
Grâce à la présentation de
Madame Bernaud-Pau, vous avez pu comprendre le rôle joué par Dexia
Crédit Local au niveau des collectivités locales.
En ce qui me concerne, je suis Directrice régionale de Dexia
Crédit Local pour les départements de la Savoie et de la
Haute-Savoie. L'agence est située à Annecy. Je rappelle que notre
rôle de partenariat avec les collectivités a commencé en
1989. L'agence d'Annecy est la première à avoir été
délocalisée. J'ajoute que je suis moi-même issue des
collectivités locales puisque j'y ai travaillé pendant
15 années.
L'agence d'Annecy dispose d'environ 50 % - 60 % d'encours sur les
collectivités locales, ce qui est supérieur à la moyenne
nationale (40 %).
Notre encours de dette est actuellement de 1,5 milliard d'euros avec
700 clients.
Nous sommes un banquier de référence pour les
collectivités de montagne.
Je signale que des petites communes comme Tignes et Val d'Isère sont
classées dans les communes de moins de 2 000 habitants alors
qu'il s'agit de collectivités dont les budgets sont comparables à
ceux des villes de 20 000 à 40 000 habitants.
Nous avons eu un rôle de partenariat et je me plais à dire que
nous sommes « le banquier des bons et des mauvais jours ».
En effet, nous ne sommes pas de simples distributeurs d'argent.
Nous avons beaucoup accompagné les collectivités locales dans les
montages financiers et dans l'analyse de risques. Nous les avons
également aidées à se professionnaliser en termes de
financement dans les analyses financières prospectives.
Nous avons aussi beaucoup contribué à l'élaboration de
leurs montages juridiques.
Enfin, nous avons joué un rôle de chef de file vis-à-vis
des organismes bancaires et de « facilitateur »
auprès des services de l'Etat. En effet, l'aspect financier est devenu
très important. Notre positionnement très proche de tous ces
institutionnels a eu pour conséquence de rechercher des solutions
pérennes pour les collectivités lorsque des heurts avaient lieu,
soit avec le Trésor, soit avec les services de l'Etat.
Pour terminer, je dirai que dans la mesure où la Caisse des
Dépôts détient 7 % du capital de Dexia, nous avons de
fait une connotation d'intérêt public. Cet aspect est très
important pour ce qui concerne le montage financier en zone de montagne.
S'agissant de votre deuxième question relative au bilan de ces dix
dernières années, je dirai que les années 1989-1990-1991
ont été marquées par une crise importante. En effet, la
neige n'était pas au rendez-vous. Cette crise du « manque de
neige » a révélé un certain nombre de
problèmes structurels liés à ces collectivités,
supports de stations.
Au cours de la période 1980-1990, les investissements sont très
capitalistiques : un euro investi à l'époque ne rapporte que
15 centimes d'euros de recettes. Il n'y avait jamais d'autofinancement
dans ce type de montage. On investissait, on équipait les domaines
skiables, on réalisait des offices du tourisme et autres, sans
véritablement analyser sérieusement la portée de ces
équipements et leurs effets induits sur les budgets des
collectivités locales. Il n'y avait pas de provisions pour risques, ni
pour le manque de neige, ni pour des contentieux éventuels. Il est vrai
que la comptabilité de l'époque n'incitait guère à
ce type de provisions et d'analyse. La comptabilité M 14,
malgré ses imperfections, a tout de même apporté des
règles prudentielles.
A ce titre, je souhaiterais évoquer le cas de la commune de Saint
Gervais qui avait un contentieux avec la ville de Megève pour des
problèmes de domaine skiable. La commune de Saint Gervais a
été condamnée il y a trois ans à verser
75 millions de francs à la ville de Megève. Aucune provision
n'avait été constituée par la commune de Saint Gervais. De
plus, l'analyse qui avait été faite de ce contentieux portait
davantage sur 30 millions de francs. Nous étions donc bien loin des
75 millions de francs !
Aujourd'hui, la comptabilité nous permet d'avoir une meilleure analyse.
Auparavant, le recours à un financement en crédit-bail notamment
ne figurait pas dans les bilans des collectivités tout comme la gestion
de trésorerie (ouverture de ligne de crédit).
Il n'existait pas non plus d'analyse globale au niveau des financements et des
organismes satellites, d'où la difficulté à
appréhender les risques liés la collectivité locale.
Cette crise du « manque de neige » a donc
révélé un certain nombre de dysfonctionnements et
certaines collectivités se sont retrouvées en cessation de
paiement avec un endettement important et une marge de manoeuvre
réduite, des relations conflictuelles avec les exploitants, des
concessionnaires qui se retournent vers la collectivité, la SEM qui ne
paie pas sa redevance, etc.
Tout cela a provoqué en définitive une hausse de la
fiscalité et un retour sur les banquiers dans la mesure où
l'endettement était tout de même important. A l'époque,
Dexia était peu présent au niveau des collectivités
supports de stations. Cela était dû au fait que les financements
étaient encore largement administrés.
Ceci étant, fidèles à notre mission de partenariat et
d'accompagnement, nous avons organisé des plans de redressement (plan de
prospectives budgétaires, plan d'allongement de la dette, etc.).
J'ajoute que nous avons également incité les services de l'Etat
(Trésor, Préfecture) à collaborer pour établir des
plans prospectifs financiers durables.
Les Jeux Olympiques d'Albertville ont aussi révélé un
certain nombre de dysfonctionnements qui n'étaient d'ailleurs pas
forcément liés à l'événement sportif en
lui-même. Le cas le plus médiatique a été celui de
Bride-les-Bains.
A partir de ce constat, nous avons essayé de mettre en place une analyse
du risque « montagne ». Pour ce faire, nous avons
élaboré une fiche avec un certain nombre de critères voire
de « clignotants ». Nous avions en effet l'impression que
les collectivités n'avaient pas cette notion d'analyse globale de leur
activité « montagne » en été comme en
hiver.
Nous avons alors identifié le mode d'exploitation (régie directe,
SEM, société privée). Il faut savoir qu'en fonction du
mode d'exploitation, les risques sont plus ou moins importants.
Nous avons également analysé l'endettement des
collectivités par rapport au chiffre d'affaires ainsi que la
consolidation de leurs budgets.
En outre, nous avons analysé les bilans des SEM et des régies
ainsi que la structure fiscale des collectivités.
Enfin, nous avons observé le devenir de la station, son altitude, ses
équipements (son parc de remontées mécaniques est-il bien
étudié et rationnel ?).
En définitive, nous avons mis en place tout un ensemble de
« clignotants » pour l'étude de ces
collectivités.
M. Pierre Hérisson -
Je souhaiterais poser deux questions. La
première s'adresse à Madame Brosselin. Compte tenu de votre
présentation, voyez-vous un intérêt à ce que nous
engagions des obligations à caractère administratif plus
précises ? Compte tenu du particularisme du budget des communes de
montagne, en particulier pour celles qui ne sont pas soumises aux obligations
de dotations aux amortissements, voyez-vous un intérêt à ce
que nous rendions obligatoires des pièces annexes du budget qui
constitueraient une analyse des activités à caractère
industriel et commercial avec l'obligation d'un rapport annuel qui permettrait
d'éviter des périodes trop longues de dérive qui
passeraient inaperçues soit parce que la collectivité ne fait pas
appel à l'emprunt, soit parce que la Chambre Régionale des
Comptes n'est pas présente de manière constante et
permanente ?
En zone de montagne plus qu'ailleurs, il faut savoir qu'il y a
systématiquement des activités à caractère
industriel et commercial portées par des collectivités qui n'ont
pas les obligations des communes de plus de 3 500 habitants.
Pour ma part, je souhaiterais que l'on renforce les obligations de fourniture
de renseignement et d'analyse qui constitueraient ainsi des pièces
annexes du dossier.
Ma deuxième question s'adresse à Madame Bernaud-Pau. Je
souhaiterais savoir si au sein de votre établissement vous partagez
l'idée selon laquelle le Crédit Communal de Belgique et le
Crédit Local de France pourraient devenir prochainement plus que des
partenaires pour faire partie en définitive du groupe La Poste.
Mme Josette Brosselin -
S'agissant de votre première question,
vous souhaitez en fait imposer aux collectivités de moins de
3 500 habitants l'obligation de fournir des pièces annexes.
La M 14 rend effectivement obligatoire la production de ces pièces
annexes.
Il faut savoir que la plupart des collectivités de stations de montagne
produisent déjà ces pièces annexes.
Toutes les collectivités qui ont comme exploitation une SEM ou un
partenaire privé sont dans l'obligation de produire en annexe de leurs
budgets l'analyse de la SEM ou du partenaire privé.
Se pose également le problème des régies directes que l'on
retrouve d'ailleurs davantage au niveau du Massif Central qu'en Savoie ou en
Haute-Savoie.
S'agissant des régies, les services de l'Etat effectuent bien un
contrôle
a posteriori
, mais il n'existe en réalité
aucune « solution miracle ». Si une régie ne
fonctionne pas et que l'on mutualise le risque au niveau d'une
collectivité via des subventions, cela revient en définitive
à se poser la question du maintien de l'activité
économique. Tout cela relève davantage d'un problème de
politique et d'aménagement du territoire à mon sens.
Mme Béatrice Bernaud-Pau -
S'agissant de votre seconde question,
j'ai noté votre intervention comme une porte ouverte. Je n'ai rien
préparé à ce sujet dans la mesure où le
thème de votre question déborde très largement du cadre de
la mission « montagne ».
Je pense que l'on ne peut être qu'intéressé par ce type de
réflexion, mais j'avoue qu'il ne m'appartient pas de me prononcer au nom
de Dexia.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous propose de revenir à
présent sur les principaux points du questionnaire :
les dossiers UTN ;
le problème de la mise aux normes des remontées
mécaniques ;
l'immobilier de loisir ;
la problématique régie-délégation de service public
et le problème de l'achèvement des concessions.
Mme Josette Brosselin -
Les dossiers UTN ont souvent été
élaborés sans avis financier. Ceci étant, depuis 1989
chaque fois qu'une collectivité a monté un dossier UTN, l'agence
DEXIA d'Annecy a été associée afin d'étudier la
faisabilité de l'opération.
Les dossiers UTN sont des montages difficiles à mettre en oeuvre et
très coûteux. Ils nécessitent de nombreuses études
qui font appel à une multitude de bureaux d'études.
En outre, il faut savoir que le coût moyen d'un dossier UTN
s'élève à 100 000 euros.
S'agissant de l'aspect financier, nous avons accompagné les
collectivités en amont dans l'élaboration du bilan financier du
projet UTN.
Auparavant, dès que le projet était réalisé, la
collectivité avait toujours à supporter des dépenses
supplémentaires. La fiscalité était donc assez mal
appréciée et tous les équipements induits n'étaient
pas correctement analysés.
A ce titre, la commune de Samoens (74) constitue un bon exemple. Cette commune
était dans une situation extrêmement difficile avec un dossier UTN
important puisqu'il s'agissait d'un gros porteur devant relier la commune au
domaine de Flaine dont l'exploitant est la Compagnie des Alpes. Si
l'équipement est pris en charge par l'exploitant, il n'empêche que
la collectivité doit prendre en charge l'aménagement et
l'emplacement de ce gros porteur. Dans la mesure où la commune de
Samoens était dans une situation délicate, nous avons
réalisé toute une étude ainsi qu'un plan prospectif
budgétaire. Nous avons également joué un rôle de
« facilitateur » auprès du sous-Préfet et des
services du Trésor, afin d'établir un budget prospectif
équilibré..
Pour ma part, je souhaiterais que les nouveaux dossiers UTN soient
animés par un Comité de suivi qui réunirait les
différents partenaires de l'Etat, du Trésor, des banques, etc.
Cela permettrait aux collectivités d'avoir des montages
équilibrés, avec des analyses de risques en amont.
M. Jean-Paul Amoudry -
Quid des vérifications V1, V2, V3 et du
renouvellement ?
Mme Josette Brosselin -
Nous avons constaté que l'ensemble des
domaines skiables était suréquipé en remontées
mécaniques.
On a construit beaucoup de téléskis et de
télésièges, de gros porteurs. L'aspect
sécurité est devenu très important dans les stations et on
a plutôt tendance aujourd'hui à remplacer deux
téléskis par un télésiège.
Il existe également un aspect de rentabilité très
important dans la mesure où les exploitants peuvent dorénavant
identifier de manière très précise l'utilisation du
domaine skiable.
En définitive, on observe une rentabilité meilleure et une
sécurité accrue.
Les vérifications V1, V2, V3 sont le fait de la DDE qui dispose d'un
plan annuel de vérification pour chacun des domaines skiables. Je
précise qu'il s'agit ici de vérifications obligatoires. Les
collectivités ont tellement eu le souci de la sécurité que
ces vérifications ont été parfaitement
réalisées.
Je constate aujourd'hui que les vérifications sont surtout de type V3 (=
grosses vérifications).
A titre d'exemple, la commune de Chatel avait récemment une
vérification de type V3 à réaliser, mais elle a
décidé de ne pas procéder à cette
vérification et de construire un nouveau télésiège
à un endroit différent.
En définitive, toutes les vérifications ont été
correctement réalisées en raison d'un souci de
sécurité. Par ailleurs, les grosses vérifications (type
V3) procèdent d'une nouvelle approche d'utilisation du domaine skiable.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il va de soi que vous intervenez pour le
financement de ces opérations.
Mme Josette Brosselin -
Nous vérifions la marge de manoeuvre
fiscale, donc la capacité financière de la collectivité.
Aura-t-elle les moyens de rembourser les sommes induites ?
Nous essayons également de mettre en place une gestion financière
plus fine. Pour ce faire, nous examinons le stock de dette de la
collectivité. Les collectivités supports de montagne ont en effet
beaucoup investi dans les années 1980-1990 et le déstockage de
dette est donc très important. Cela leur permet notamment de
réaliser de nouveaux investissements.
Par ailleurs, on a aussi demandé aux collectivités de
gérer au plus près leur trésorerie et de trouver des
échéances de prêts adéquates.
Enfin, nous les avons incitées à trouver le juste
équilibre entre l'amortissement technique et l'amortissement financier.
M. Jean-Paul Amoudry -
Qu'en est-il de l'arrivée à terme
des contrats de concession dans le cadre des délégations de
service public ? Etes-vous par ailleurs financier de
sociétés privées concessionnaires de service public ?
Mme Josette Brosselin -
Les concessions de service public ne constituent
pas notre domaine de financement, même si les collectivités nous
parlent beaucoup de l'aspect juridique et financier.
La délégation de service public a permis aux collectivités
de mieux appréhender leur exploitation, mais nous nous heurtons au fait
que les collectivités supports de stations de montagne ont des
difficultés à élaborer leur cahier des charges et à
analyser les offres. Je pense d'ailleurs qu'un organisme départemental
devrait aider ces différentes collectivités à
élaborer leur cahier des charges et à analyser les
différentes offres.
Les petits domaines skiables passent de plus en plus par de grands
opérateurs qui disposent d'un certain savoir-faire sur la gestion
globale d'une station de montagne. Les petites collectivités auront par
conséquent du mal à survivre.
Je considère ici que la relation de pouvoir est
déséquilibrée. En effet, tout d'abord, les
collectivités sont publiques alors que les opérateurs sont
privés. Par ailleurs, les exploitants ont un pouvoir très
important sur les collectivités et disposent de moyens humains et
juridiques que les collectivités n'ont pas. Il convient par
conséquent d'aider les collectivités.
S'agissant des fins de concession, le problème se situe en fait à
l'intérieur même des collectivités. Le cas de la Clusaz est
explicite à ce sujet. En effet, il s'agit d'un domaine skiable dont une
partie appartient à des acteurs privés. Ceux-ci ne comprendront
jamais que leur part passe en DSP (Délégation de Service Public)
et que leurs remontées mécaniques soient confiées à
un opérateur privé. Ces incompréhensions ne manquent pas
de poser d'énormes problèmes au sein même des
collectivités supports de stations.
Enfin, j'ajoute que Dexia finance des sociétés privées
concessionnaires de service public.
M. Jean-Paul Amoudry -
Ressentez-vous une baisse de l'investissement des
délégataires de service public ? A la veille de
l'achèvement de la concession, remarquez-vous une baisse de la
qualité du travail du concessionnaire ?
Mme Josette Brosselin -
Au niveau des départements de la Savoie
et de la Haute-Savoie, je n'ai pas cette impression. Les conséquences de
la fin de la concession ne me semblent pas aussi importantes.
M. Jean-Paul Amoudry -
En raison du manque de temps, vous aurez la
bonté de nous transmettre une note écrite au sujet de
l'immobilier de loisir.
Mme Josette Brosselin -
C'est entendu.
M. Jean-Paul Amoudry -
Quelles sont les relations entre Dexia et la
Compagnie des Alpes qui est très présente sur le massif
alpin ?
Mme Josette Brosselin -
Dexia n'a rien à voir avec la Compagnie
des Alpes. La Compagnie des Alpes est une filiale de la Caisse des
Dépôts.
Dexia est seulement un financeur de la Compagnie des Alpes au même titre
que d'autres exploitants.
M. Jean-Paul Amoudry -
Avez-vous le sentiment que les
collectivités redoutent la volonté
« hégémonique » de la Compagnie des
Alpes ?
Mme Josette Brosselin -
Certaines collectivités craignent
effectivement le caractère
« hégémonique » de la Compagnie des Alpes. De
façon plus générale, je dirai que les collectivités
craignent tous les gros opérateurs. En même temps, il faut savoir
que certaines collectivités n'ont plus les moyens humains, juridiques et
financiers de gérer leur domaine skiable. De fait, un gestionnaire de
taille importante peut être le « bienvenu ».
M. Jean-Paul Amoudry -
Votre rôle de
« facilitateur » s'applique-t-il dans la relation entre les
collectivités et la Chambre Régionale des Comptes ?
Mme Josette Brosselin -
En ce qui concerne les deux Savoie, nous avons
eu à jouer ce rôle après les Jeux Olympiques d'Albertville
pour les villes de Bride-les-Bains et des Saisies par exemple.
La Chambre Régionale des Comptes nous avait consultés à
l'époque car les dossiers étaient difficiles. Aujourd'hui, on ne
note plus de dossier complexe relatif à la montagne.
En 1992, nous avions des montants d'impayés très importants. Nos
collègues de la Caisse d'Epargne et du Crédit Agricole
étaient dans le même cas. Nous avons alors réalisé
un travail très constructif avec la Chambre Régionale des Comptes.
Aujourd'hui, cette relation n'existe plus parce qu'il n'y a plus de
problème.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je crois que nous allons arrêter ici nos
échanges car le temps imparti est écoulé, mais je retiens
qu'il n'y a plus de problème et que la situation financière de
toutes nos collectivités est plutôt saine ou assainie.
Mme Josette Brosselin -
La situation des collectivités est bien
meilleure qu'il y a dix ans car ces dernières ont appris à
gérer leur budget. Dexia les a d'ailleurs beaucoup aidées dans ce
sens.
J'ajoute que le domaine est en bon état et que le déstockage de
dette permet aux collectivités de relancer leurs investissements,
notamment publics.
En définitive, je souhaite que les collectivités aient une
approche à plus long terme et qu'elles mettent en place des projets de
développement durable.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie. Vous serez aimable de nous
communiquer une note écrite sur l'immobilier de loisir.
44. Audition de Mme Martine Laquieze, adjoint au sous-directeur des finances locales et de l'action économique au ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des libertés locales accompagnée de M. Guillaume Chabert, chef du bureau des concours financiers de l'Etat (17 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Nous accueillons Madame Martine Laquieze qui est
adjointe au sous-Directeur des finances locales et de l'action
économique au Ministère de l'Intérieur, de la
Sécurité Intérieure et des Libertés Locales ainsi
que Monsieur Guillaume Chabert, chef du bureau des concours financiers de
l'Etat.
Je vous prie d'excuser un certain nombre de mes collègues, membres de la
mission d'information sur la montagne, retenus ce matin soit dans le cadre de
leur terre d'élection (c'est le cas de Monsieur Blanc), soit dans le
cadre des commissions. Vous savez en effet que le mercredi matin est le moment
privilégié de réunion de toutes les commissions du
Sénat.
En tout état de cause, sachez que votre travail de réflexion sera
retenu et consigné dans le cadre de cette mission d'information sur la
montagne.
D'ores et déjà, je tiens à vous remercier de votre apport
et de votre contribution à nos travaux.
Si vous me le permettez, je souhaiterais dire à présent quelques
mots sur le sens de cette mission. Le Sénat a souhaité profiter
de la phase électorale pour travailler sur un bilan de la politique de
la montagne à partir de la loi de 1985 et des textes qui sont intervenus
par la suite (lois d'orientation, lois d'aménagement, loi
forestière, lois sur l'urbanisme, etc.).
Concernant la montagne, nous avons donc tout un dispositif conséquent de
textes et de normes y compris européennes.
Notre mission est de dresser un bilan de cette politique de la montagne et d'y
apporter, lorsque cela s'avère nécessaire, des propositions de
corrections et d'orientations nouvelles dans un certain nombre de domaines.
Sans plus tarder, je vous laisse la parole en espérant que vous pourrez
répondre à l'ensemble des interrogations que nous avons
émises.
Mme Martine Laquieze -
Merci Monsieur le Président.
Au préalable, je vous indique que nous avons réalisé un
document de réponses à vos questions. Nous vous le remettrons en
fin de séance.
S'agissant de la présentation générale de la situation des
collectivités locales de montagne, je prendrai dans un premier temps la
parole, puis je la céderai à Monsieur Chabert qui est le grand
spécialiste des dotations de l'Etat aux collectivités locales.
S'agissant de la présentation des collectivités de montagne, je
rappellerai en premier lieu que les communes sont classées en
« communes de montagne » en fonction d'un certain nombre de
critères qui s'inspirent en réalité des critères
fixés par la directive européenne du
28 avril 1975 :
l'altitude (un seuil mimimum de 600 mètres fixé pour le
massif vosgien ; un seuil maximum de 800 mètres fixé
pour les montagnes méditerranéennes) ;
une proportion importante du territoire affectée par une
déclivité supérieure à 20 %.
L'analyse que nous avons réalisée a exclusivement porté
sur des communes de moins de 10 000 habitants.
L'ensemble des communes de montagne de moins de 10 000 habitants
représente 10 % de la population totale des communes de moins de
10 000 habitants.
Ces chiffres portent exclusivement sur des communes de montagne.
La situation de ces communes est très différente selon qu'il
s'agit de stations touristiques de sport d'hiver ou de communes de montagne
classiques.
Pour les communes touristiques (stations de sport d'hiver), la moyenne de
dépense de fonctionnement s'élève à
3 000 euros par habitant contre 1 000 euros pour les
communes non touristiques. C'est dire l'écart de situation entre les
deux catégories de communes !
L'écart est moins sensible pour ce qui est des dépenses
d'investissement prises dans leur masse globale (dépenses
d'équipement + remboursement de la dette). Ces dépenses
représentent 42 % du montant total des dépenses dans les
communes touristiques contre 44 % pour les communes non touristiques.
En revanche, on observe que les dépenses d'équipement brutes
représentent une part moins importante dans les communes touristiques
que dans les communes non touristiques. En effet, dans les stations de sport
d'hiver, les dépenses d'équipement brutes représentent
60 % des dépenses d'investissement totales alors qu'elles en
représentent 77 % dans les communes non touristiques.
Ces résultats révèlent que la majeure partie des
dépenses d'équipement sont achevées dans les communes de
stations de sport d'hiver. L'essentiel du budget d'investissement est
désormais constitué par le remboursement de la dette dont le
poids est très important.
La situation est donc contrastée entre les stations de sport d'hiver et
les communes non touristiques. Le poids de la dette est relativement
conséquent pour les stations de sport d'hiver.
Au niveau des recettes, le potentiel fiscal par habitant est sensiblement plus
élevé dans les stations de sport d'hiver : 500 euros
contre 370 euros dans les communes non touristiques.
Compte tenu des charges d'emprunt et des dépenses de fonctionnement
assez élevées, le coefficient de mobilisation du potentiel fiscal
est bien plus important dans les stations de sport d'hiver que dans les
communes de montagne non touristiques. Elles sont en effet obligées de
puiser davantage dans leur fiscalité pour faire face à des
charges tant en équipement qu'en fonctionnement. De fait, elles sont
contraintes de mobiliser davantage leur potentiel fiscal même si celui-ci
est plus élevé : 93 % contre 67 % dans les autres
communes de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry -
Qu'en est-il par rapport à la moyenne des
communes de moins de 10 000 habitants ?
Mme Martine Laquieze -
Les communes de montagne non touristiques restent
relativement proches des communes classiques de moins de
10 000 habitants.
Par contre, les communes de montagne touristiques ont un niveau de
dépenses en fonctionnement et en investissement bien plus important en
raison du poids de la dette. Par ailleurs, on note également une
très forte mobilisation du potentiel fiscal.
Ainsi, pour l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants, le
coefficient de mobilisation du potentiel fiscal est de 69 %.
Pour l'ensemble des communes de montagne non touristiques, ce coefficient de
mobilisation du potentiel fiscal est de 67 %.
Dans les stations de sport d'hiver, ce coefficient de mobilisation du potentiel
fiscal passe à 93,5 %.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il existe donc peu de différence entre
l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants et les communes
de montagne non touristiques.
En réalité, c'est le fait touristique qui crée une
différence importante.
Mme Martine Laquieze -
Le poids des équipements
nécessaires pour équiper les stations de sport d'hiver est
à noter.
A présent, ce poids se reflète moins dans le niveau des
dépenses d'équipement brutes que dans le service de la dette qui
induit une rigidité assez forte de ces budgets.
M. Guillaume Chabert -
Pour être tout à fait précis,
nous distinguons les communes touristiques classées « stations
de sport d'hiver », les communes touristiques non stations de sport
d'hiver et les communes non touristiques.
La distinction porte essentiellement sur l'aspect « sport
d'hiver » des communes de montagne.
Mme Martine Laquieze -
Je cède à présent la parole
à Monsieur Chabert qui va vous parler des dotations.
M. Guillaume Chabert -
Je souhaiterais revenir sur la
présentation générale qui vient d'être faite. Il
faut savoir que la liste des communes de montagne évolue chaque
année. En 1976, on comptait 5 532 communes classées en
zone de montagne. En 1999, on en comptait 5 809 et en 2002, 6 172.
Cette progression régulière peut paraître surprenante. Elle
est due au fait que peuvent être classées en zone de montagne, des
communes qui ne respectent pas des critères d'altitude, mais dont
l'économie est suffisamment liée à des communes
limitrophes elles-mêmes classées en zone de montagne, pour
qu'elles puissent bénéficier de la même appellation. Cette
liste est tenue à jour par le CEMAGREF. C'est donc le Ministère
de l'Agriculture qui gère en définitive la liste des communes de
montagne.
Cette évolution de la liste impacte les dotations de l'Etat aux
collectivités locales dans la mesure où le classement en zone de
montagne induit un certain nombre de majorations de dotations notamment au
travers de la voirie. En effet, beaucoup de dotations de l'Etat aux
collectivités locales, qu'il s'agisse des communes ou des
départements, prennent en compte la voirie. La plupart du temps,
celle-ci est majorée d'un coefficient de 1,3 lorsqu'elle est
située en zone de montagne afin de tenir compte de la
spécificité de ces communes.
S'agissant des dotations, le financement de la DFM (Dotation de Fonctionnement
Minimale) ne garantit pas actuellement une stabilité voire une
progression de la dotation puisque le financement est tripartite : une
partie de la DFM est financée par un prélèvement sur la
masse totale de la DGF des départements, une seconde partie provient
d'un prélèvement sur la région Ile-de-France dont la DGF
est amenée à disparaître, une dernière partie
provient d'un prélèvement sur la DGF des départements qui
sont plus riches que la moyenne.
Par ailleurs, les caractéristiques de la DFM ont pour conséquence
de la cibler sur les départements ruraux, et pas nécessairement
sur les départements ruraux de montagne.
En 2002 (comme en 2001 et en 2000), 24 départements sont
éligibles à la DFM. Ces 24 départements sont tous
ruraux.
Pour être éligible à la DFM, il faut soit avoir un
potentiel fiscal par habitant inférieur de 40 % à la
moyenne, soit avoir un potentiel fiscal ramené à la superficie
inférieur de 60 % à la moyenne des départements.
Ces conditions ont pour conséquence de faire bénéficier la
DFM aux départements ruraux. Ceci a conduit en 1999 et en 2001 à
ce qu'une certaine pression soit exercée en vue de
l'élargissement de la DFM aux départements urbains. L'idée
avait été soulevée au Parlement que la DFM actuelle soit
prolongée par une part plus spécifiquement ciblée vers les
départements urbains, c'est-à-dire prenant en compte les charges
sociales qui sont plus spécifiques au monde urbain.
Le rapport sur les finances locales qui a été remis en
mars 2002 inclut un assez long développement sur la DFM, sur son
financement et ses attributions.
S'agissant de son financement, le rapport projette de remplacer le financement
actuel tripartite par un système similaire à celui
préconisé pour les dotations de péréquation
communales, c'est-à-dire un système où la DGF des
départements serait séparée en plusieurs parts dont une
part de péréquation de solidarité
interdépartementale qui bénéficierait d'un socle
l'année de la réforme et qui serait alimentée ensuite au
travers d'une clé de répartition de l'augmentation de la masse
entre la part forfaitaire et la part de solidarité.
Il s'agit d'un mécanisme très semblable à celui
institué pour les communes. Au lieu de recalculer chaque année
les prélèvements, on aurait un socle et une indexation annuelle
qui garantit une progression de cette dotation.
S'agissant de la répartition de la dotation, l'idée contenue dans
le rapport consistait à adjoindre à la DFM actuelle ciblée
sur le monde rural, une part plus spécifiquement tournée vers les
départements urbains et prenant en compte des indicateurs de charge tels
que le nombre de bénéficiaires d'aide au logement, le nombre de
logements sociaux, etc.
Avec le changement de Gouvernement, le rapport doit être à
présent considéré comme une piste de travail possible.
S'agissant de votre troisième question, le potentiel fiscal
superficiaire est un indicateur assez pertinent eu égard au monde rural.
Les départements ruraux n'ont pas forcément une superficie plus
étendue que les départements urbains. Or ils doivent assurer des
charges sur l'ensemble du territoire là où les
départements caractérisés par la présence de villes
n'ont pas à assumer ces charges sur une étendue aussi importante.
Le potentiel fiscal superficiaire permet de tenir compte de cette
spécificité du monde rural. Il intervient à la fois au
niveau des communes dans la dotation de solidarité rurale et au niveau
des départements au travers de la DFM.
Il n'est pas envisagé de supprimer ce critère dans la mesure
où il nous semble assez pertinent pour mesurer les charges du monde
rural.
Mme Martine Laquieze -
Je précise que le potentiel fiscal
superficiaire est lié à la densité de la population. Plus
il est faible, plus on prend en compte la situation des départements peu
peuplés, c'est-à-dire ruraux.
M. Guillaume Chabert
- Nous nous proposons de remettre à la
mission un document de réponses écrites aux questions qui nous
ont été posées.
Nous nous proposons également de vous transmettre un document qui fait
le point sur la prise en compte au sein des dotations de l'Etat des
particularités des zones de montagne.
En réalité, un grand nombre de dotations prennent en compte les
spécificités du monde rural : la DFM ; la DSR au
travers notamment du doublement de la voirie lorsqu'elle est située en
zone de montagne ; la DDR (Dotation de Développement Rural) qui
consiste à attribuer à chaque Préfet une enveloppe de
subventions dont peuvent bénéficier les communautés de
communes rurales, il s'agit ici de subventions sur projets ; par ailleurs,
la répartition de ces enveloppes de subventions entre les
départements tient fortement compte de la présence ou non de zone
de montagne dans la mesure où une des composantes de la
répartition est le nombre d'EPCI susceptibles de
bénéficier de ces subventions ainsi que le nombre de communes
relevant de ces EPCI. Or lorsque les communes sont situées en zone de
montagne, le nombre d'EPCI est doublé forfaitairement. Quand plus de la
moitié des communes d'un EPCI sont situées en zone de montagne,
on double le nombre d'EPCI concernés. En définitive, les
enveloppes départementales de subventions de DDR qui sont
allouées à chaque Préfet tiennent assez compte de la
situation des montagnes.
Il en est de même pour la dotation globale d'équipement des
communes. Ici, ce sont des subventions sur projets qui
bénéficient aux communes ou au groupement de communes. Les
enveloppes départementales de subventions tiennent compte de la
situation de montagne puisque la voirie, qui est un des critères pris en
compte pour la répartition des enveloppes entre les départements,
est doublée pour les zones de montagne.
En conclusion, plusieurs dispositifs existent et permettent de tenir compte de
ces spécificités.
J'ajoute que depuis cette année, les communautés de communes
à taxe professionnelle unique qui bénéficient d'une
majoration de DGF (compte tenu de leur fort degré d'intégration),
qui ont moins de 3 500 habitants et qui sont situées en ZRR de
montagne (Zone de Revitalisation Rurale) sont également éligibles.
Pour répondre à votre cinquième question, je dirai que des
écarts existent effectivement entre les dotations moyennes qui servent
de base à la répartition de la DGF entre les différentes
catégories d'EPCI. Toutefois, ces écarts semblent
justifiés car le degré d'intégration d'une
communauté urbaine est sans comparaison avec celui d'une
communauté de communes à fiscalité additionnelle. Par
ailleurs, il apparaît que les charges ramenées à l'habitant
croissent en fonction de la population. Tel est le résultat des
études économétriques qui ont été
menées et dont on peut contester la méthodologie dans la mesure
où le problème réside dans ce que l'on qualifie de
« charges » au niveau du calcul. Il semblerait
néanmoins que les charges en milieu urbain soient plus importantes qu'en
milieu rural, ce qui historiquement justifiait que la DGF des communes soit
croissante en fonction de la population. Il a été mis fin
à ce dispositif depuis la forfaitisation de la DGF des communes en 1994,
néanmoins cette forfaitisation a gelé en réalité
les écarts de dotation qui existaient avant la réforme.
Actuellement, on maintient donc encore un différentiel de dotation
ramenée à l'habitant entre les zones rurales et les zones
urbaines car les charges ramenées à l'habitant croissent en
parallèle.
Il est envisageable de réduire éventuellement les écarts
entre les communautés de communes à fiscalité
additionnelle et les communautés urbaines, mais un système de
stricte égalité entre les catégories semble difficile
à mettre en oeuvre.
En effet, les communautés urbaines sont beaucoup plus
intégrées que les communautés de communes à
fiscalité additionnelle même si l'on note un certain nombre de cas
particuliers (certaines communautés de communes à
fiscalité additionnelle ont ainsi une dotation par habitant qui est
supérieure à celle des communautés urbaines).
En moyenne, les communautés de communes à fiscalité
additionnelle exercent quand même moins de compétences au niveau
intercommunal que les communautés urbaines. Les écarts sont
peut-être excessifs et pourraient être réduits le cas
échéant, mais parvenir à un système strictement
égalitaire entre les différentes catégories serait
très problématique.
S'agissant de votre dernière question, les critères qui ont
été fixés par les différentes lois (de 1995 et de
1997) sont tels que même si les bourgs-centres ne sont pas formellement
exclus du dispositif, en pratique ce sont les zones peu peuplées qui
sont concernées par les ZRR.
Pour ce qui nous concerne, les bourgs-centres sont des communes qui sont
soumises à des charges de centralité. Il s'agit de compenser ces
charges d'animation de l'espace rural qu'assurent les bourgs-centres. C'est ce
que fait la DSR (Dotation de Solidarité Rurale) dont une partie est
attribuée spécifiquement aux bourgs-centres afin de tenir compte
de leurs charges propres ; mais il nous semble que la problématique
des bourgs-centres est davantage celle d'une charge de centralité.
De ce point de vue, la logique de compensation des charges de centralité
correspond davantage à la problématique propre des bourgs-centres.
M. Jean-Paul Amoudry -
Ma question concerne les chalets de montagne
à vocation agricole. Il se trouve qu'en montagne, ces chalets sont
soumis à des obligations de travaux de rénovation et de mise aux
normes qui concernent aussi bien le gros oeuvre et les locaux de fabrication du
produit (le fromage en l'occurrence) que l'habitat de la famille du berger. Il
s'agit en définitive d'opérations assez lourdes qui, lorsqu'elles
sont exécutées par des collectivités propriétaires
du chalet, représentent des engagements financiers importants et
difficiles à supporter.
J'ai pu constater que dans certains départements, la faculté
prévue par la loi de rembourser la TVA aux communes dans le cadre du
FCTVA avait été interprétée de façon
extrêmement restrictive, les Préfets interdisant notamment, sur
instruction de l'Administration centrale, le remboursement de la TVA.
Il s'agit ici d'une très mauvaise nouvelle pour les collectivités.
En tant que parlementaire, j'ai posé plusieurs amendements et je me suis
heurté à la réponse suivante : puisque ces travaux
sont destinés
in fine
à un acte commercial à
travers la vente du produit fromager dans le circuit commercial, la TVA doit
être remboursée au titre des régimes du droit commun. Or le
droit commun suppose la création d'un budget annexe, ce que doit
admettre l'Administration. En définitive, nous sommes dans un
système « kafkaïen ».
J'ajoute que dans certains départements que j'ai visités
récemment, le Préfet accepte le remboursement de TVA.
Il serait bon que vous puissiez à l'avenir répondre à
cette problématique.
Je termine mon intervention en disant que les quelques dizaines de kilos de
fromage qui sont produits pendant l'été constituent, au niveau
commercial, un revenu agricole de bien faible niveau qui est loin de payer
à la commune un loyer conséquent.
On doit admettre que le niveau de revenu de cet alpage dont le retour
d'investissement est extrêmement lointain n'a pas grand-chose à
voir avec une entreprise. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais en
définitive que le FCTVA soit alloué à la
collectivité.
Ma deuxième question concerne le fait que nous ne savons toujours pas ce
que « Natura 2000 » apportera comme aide aux
collectivités qui ont à gérer et à entretenir des
lieux d'habitat naturel extrêmement vastes. Dans ce domaine, il faut
savoir que la collectivité ne bénéficie d'aucune aide. La
proposition qui sera mentionnée dans notre rapport consiste à
permettre à la collectivité de recevoir une aide de
solidarité de l'Etat sous la forme d'une DGF ou d'une dotation
superficiaire pour des collectivités de montagne qui ont des charges
très particulières de gestion du milieu naturel.
Mme Martine Laquieze -
S'agissant de votre première question,
beaucoup de choses dépendent en fait du contexte dans lequel les
collectivités effectuent ces travaux et des conditions dans lesquelles
est réalisée la production. La réglementation FCTVA est
précise en la matière : d'une part, une collectivité
locale ne peut pas bénéficier de FCTVA pour des travaux qu'elle a
réalisés sur un ouvrage qui n'entre pas dans son patrimoine, mais
qui est mis à la disposition d'un tiers non éligible au
fonds ; d'autre part, ne peuvent bénéficier du FCTVA que les
travaux réalisés pour des investissements qui donneront lieu
à une exploitation qui n'est pas elle-même assujettie à la
TVA.
Ces deux règles se cumulent dans le cas que vous évoquez puisque
j'ai cru comprendre que le montage classique s'apparentait à celui des
ateliers-relais.
Lorsqu'une collectivité locale réalise un atelier-relais,
c'est-à-dire un immeuble à vocation sinon industrielle du moins
de production artisanale ou commerciale, la jurisprudence qualifie cette
activité de service public avec les conséquences qui en
découlent au regard du juge des litiges qui peuvent naître
à l'occasion de ces contrats de location d'immeubles municipaux à
des tiers.
La jurisprudence s'est en revanche bien gardée de ne qualifier cette
activité ni d'industrielle, ni de commerciale, ni d'administrative, ce
qui est fondamental eu égard au FCTVA.
La qualification n'est pas simple et une réflexion est actuellement
menée au sein de la Direction générale des
collectivités locales (cette réflexion concerne le haut
débit, mais rejoint votre préoccupation : une
collectivité prend en charge des coûts d'investissement de
réalisation d'infrastructures et les met à disposition d'un tiers
qui les utilise en vue d'une exploitation commerciale). Je précise
immédiatement qu'un arrêt du Conseil d'Etat de 1920 prévoit
que dans certains cas, lorsque les circonstances particulières de lieu
le justifient, des activités commerciales peuvent être
érigées en service public y compris en service public
administratif (c'est ce que l'on a appelé le socialisme municipal). Il
doit s'agir de services indispensables à la population en milieu rural
qui justifient l'intervention de la puissance publique y compris dans des
secteurs qui relèvent normalement d'une activité concurrentielle
et qui permettent d'ériger ces services en services publics.
Il s'agit ici d'un principe reconnu à la fois par la jurisprudence et le
droit positif.
Dans des circonstances particulières notamment en milieu rural où
le maintien du service n'est pas rentable sur le plan économique, la
qualification du service tend alors vers un service public administratif. Cela
signifie que les investissements réalisés pour l'organisation de
ce service peuvent être éligibles au FCTVA, ce qui explique que
certains Préfets considèrent que les travaux effectués par
les collectivités sont éligibles au FCTVA. En revanche, dans
d'autres circonstances, le service sera davantage à caractère
industriel et commercial car les conditions particulières de
l'exploitation du service font état de l'existence d'un marché
(ici les conditions du marché sont telles que les équipements
réalisés par la collectivité locale peuvent être
affectés à un service qui sera considéré comme
industriel et commercial et pour lequel un prix peut être acquitté
par l'usager). Dans ce cas, le service sera qualifié d'industriel et de
commercial, ce qui naturellement lui retire tout bénéfice du
FCTVA.
J'ajoute que la situation est inégale selon les circonstances de lieu,
mais la qualification du service (service public administratif ou service
industriel et commercial) dépend des conditions d'exploitation du
service et de l'existence d'un marché plus ou moins solvable.
Il s'agit ici d'un premier élément de réponse, je ne
prétends pas qu'il soit le seul.
M. Jean-Paul Amoudry -
Dans deux cas tout à fait analogues, nous
avons une vente de produits qui est nécessaire pour le berger et sa
fonction de gestion des territoires communaux et publics. Or le traitement eu
égard au FCTVA est différent selon les départements dans
lesquels se trouvent ces deux bergers.
Que la République ne puisse pas assurer un égal traitement en
différents endroits du territoire français, me paraît bien
injuste.
Votre raisonnement d'ordre juridique est parfait, sauf que sur le plan de la
vie quotidienne, on note un véritable problème.
Mme Martine Laquieze -
Je rejoins tout à fait votre point de vue
dans la mesure où la qualification de service public administratif ou de
service industriel et commercial dépend des circonstances. Il peut
exister des différences d'appréciation entre les
départements dès lors que l'on est dans des classifications qui
ne dépendent pas de critères rigoureusement fixés par des
textes, mais de critères jurisprudentiels qui laissent une marge de
manoeuvre au plan local qui elle-même peut parfois être
erronée ou présenter des divergences que les circonstances ne
justifient pas forcément.
M. Guillaume Chabert -
Dans la mesure où il y a une part
d'appréciation par l'Administration locale des faits d'espèces,
il va falloir attendre longtemps avant d'obtenir une application uniforme des
faits sur les 100 départements français, en dépit des
circulaires qui peuvent être adressées par l'Administration
centrale.
En outre, nous n'en sommes qu'au deuxième exercice pour les chalets
d'alpage, c'est-à-dire au tout début de la phase d'harmonisation.
S'agissant de votre seconde question, la problématique est la même
dans d'autres domaines.
Au préalable, je rappelle que pour les communes de montagne, la dotation
forfaitaire reflète la situation historique d'avant la réforme de
1993. En effet, jusqu'à cette date, il existait une partie
spécifique pour les communes de montagne qui permettait, notamment au
titre de la fraction « voirie » de l'ancienne DGF, de
majorer de 30 % leur dotation. Tout cela était figé au sein
de la dotation forfaitaire et se répercute dans les dotations actuelles
au titre de la dotation forfaitaire.
De manière plus générale, deux logiques sont possibles
pour les dotations de l'Etat : soit on considère que les dotations
de l'Etat doivent compenser tel et tel type de charges spécifiques des
différentes communes (avec 36 700 communes, il est
néanmoins difficile d'avoir une synthèse des charges susceptibles
de peser sur les communes) ; soit on en revient à l'idée de
globalisation des dotations. A trop aller dans la logique de prise en compte
des spécificités de chaque commune, on pourrait, en caricaturant,
en venir à une situation où l'Etat allouerait ou n'allouerait pas
de dotation en fonction de ce qu'il considère comme devant être
pris en charge par les communes.
Historiquement, la tendance jusqu'en 1993 a plutôt consisté
à accroître les critères pour sérier davantage les
problèmes spécifiques de chaque commune.
Depuis 1993, la tendance a plutôt été à une
globalisation des dotations, même si l'on a noté une
légère reprise des critères à la fin des
années 1990.
Actuellement, l'orientation est plutôt à la simplification car on
se rend compte que le système devient très difficile et
très coûteux à gérer.
M. Jean-Paul Amoudry -
Notre séance s'achève. Je vous
remercie de votre participation.
Vous aurez la bonté de nous transmettre vos réponses
écrites au questionnaire qui vous a été envoyé.
45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (24 juillet 2002)
M.
Jean Paul Amoudry -
Maître Combret, Monsieur le Président de
l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat,
je suis heureux de vous accueillir au Sénat au nom de la Mission
d'information sur la montagne, en vous remerciant de vous être
déplacé à Paris et au Sénat pour apporter votre
contribution à nos travaux. Avant de vous laisser la parole, je voudrais
excuser le Président Jacques Blanc, ainsi que la plupart de mes
collègues qui sont retenus dans d'autres Commissions de travail ce
mercredi matin, chargées de l'examen de textes urgents qui nous sont
soumis dans le cadre de l'agenda politique du gouvernement. Pour autant, je
souhaite évidemment que certains collègues nous rejoignent. Je
vous passe la parole en vous invitant à répondre à la
grille de questions que nous vous avions envoyée à titre
indicatif.
Auparavant, je rappelle que nous achevons pratiquement nos auditions
aujourd'hui. Ces auditions avaient commencé au début du mois
d'avril et leur objectif était, parallèlement aux visites de
terrain effectuées dans différents massifs du pays, d'aboutir
à une analyse de la façon dont les différents textes qui
régissent la montagne ont été appliqués depuis le
début des années 70, pour ce qui concerne la rénovation
rurale, et depuis la loi du 9 janvier 1985, première loi
d'aménagement du territoire. D'autres textes ont également
été appliqués, dont la loi relative à la
solidarité et au renouvellement urbain (SRU), les lois d'orientation sur
les cultures et les forêts ou d'aménagement du territoire ;
tous ces textes gouvernent notre montagne d'une façon un peu
particulière, ce que ressentent les élus et les responsables
locaux, troublés par leur complexité et les difficultés
rencontrées. C'est pourquoi nous souhaitons identifier les
problèmes et apporter des solutions, notamment en simplifiant les
règles.
L'éclairage modeste que je vous propose d'apporter est celui d'un
praticien vivant sur le terrain dans une région particulièrement
concernée par les problèmes dits "de montagne".
Les notaires sont actuellement les seuls juristes encore présents sur la
totalité du territoire français. Cette proximité permet au
notariat d'être particulièrement sensibilisé aux
difficultés de ces régions et donc d'apporter une contribution
à votre réflexion.
Les zones de montagne connaissent d'un côté des difficultés
rencontrées partout ailleurs en zone rurale mais qui se trouvent
exacerbées en zone de montagne et d'autre part quelques
difficultés propres à la montagne. Il est certain qu'un climat
plus rude, une géographie chahutée avec des amplitudes
d'altitudes importantes, un enclavement encore bien trop important ne font que
rendre les conditions de vie plus difficiles en zone de montagne.
Comme convenu, je me limiterai à trois axes principaux: le premier
autour de l'immobilier, le second autour des transmissions d'entreprises, et le
dernier en matière d'aménagement du territoire et plus
particulièrement du maintien et de l'implantation des professions
libérales et indépendantes en zone de montagne.
Concernant l'immobilier, je souhaite évoquer les biens de section que
l'on rencontre en grand nombre dans nos zones de montagne. Dans le cadre de ma
pratique notariale, j'ai relevé à leur sujet plusieurs
difficultés.
La première est souvent d'inventorier les biens de section. Il serait
indispensable, si on doit maintenir la notion de biens de section, de
réaliser un état des lieux par section.
Cela serait un préalable indispensable à la mise en oeuvre
ensuite d'une politique de gestion des biens de section à vocation
agricole.
Cela éviterait les flottements que l'on rencontre aujourd'hui.
On ne sait parfois plus qui exploite, en vertu de quel titre, et à
quelles conditions. Il est de plus en plus difficile de faire
référence aux usages locaux surtout dans les endroits où
la baisse de la population a fait qu'il n'y a pratiquement plus personne pour
transmettre ces usages locaux.
A ce sujet, il serait intéressant de s'interroger sur le suivi juridique
de ces usages locaux.
Depuis combien d'années les recueils d'usages locaux n'ont-ils pas
été réédités? Dans mon département,
sauf erreur de ma part, la dernière édition remonte à
presque un siècle. Qu'est-ce que cela représente lorsqu'il reste
dans une section un ou deux agriculteurs, voire plus d'agriculteur ?
Cette remarque fait ressortir une seconde difficulté ressentie par la
pratique notariale, à savoir dans de nombreux cas la difficulté
de faire juridiquement fonctionner les biens de section et notamment les
commissions syndicales. Tant qu'il ne reste plus qu'un ou deux habitants,
comment faire fonctionner? Quand il y a une majorité d'habitants
non-agriculteurs, notamment titulaires de résidences secondaires,
comment faire raisonnablement fonctionner une section?
Cela amène très directement à se poser la question du
maintien de la notion de biens de section dans de nombreuses communes. Ne
faudrait-il pas encourager, dans de nombreux cas, la suppression des biens de
section pour les intégrer dans le patrimoine communal?
Cette réflexion fait souvent peur car il y a la crainte de perdre des
droits.
Mais il faut distinguer les droits d'exploitation qui pourraient parfaitement
être préservés de la gestion des biens qui pourraient
ressortir directement de la commune. Combien de dossiers traînent ou ne
sont jamais réalisés parce que mettre en place une commission
syndicale pour une toute petite chose est trop lourd pour une petite commune ?
Les notaires font
partie des praticiens qui considèrent que la
lourdeur de toutes les procédures rattachées aux biens de section
est souvent dissuasive pour faire bouger les choses.
Je proposerai de faire un recensement systématique dans chaque commune
des biens de section. Ce recensement systématique devrait
déterminer les utilisateurs actuels mais aussi déterminer des
critères pour des utilisateurs potentiels nouveaux. Cela implique donc
que chaque collectivité ou chaque commission syndicale détermine
des priorités et par suite établisse systématiquement un
cadre pour l'exploitation des biens de section: Qui pourrait être
exploitant ? A quelles conditions ? ... Il faut que l'on en finisse avec
l'à-peu-près, à-peu-près qui, à l'occasion
de successions par exemple, ouvrant un vaste champ aux conflits familiaux ou de
voisinages.
Deuxièmement, je souhaitais dire un mot des difficultés
particulières attachées aux chemins ruraux en zone de montagne et
plus particulièrement dans les secteurs à forte pente. Je pense,
notamment dans ma région, à ce que l'on appelle les travers ou
les "raspes" qui sont ces pentes extrêmement raides entre un plateau et
une vallée profonde.
Les travers sont la plupart du temps aujourd'hui envahis par les taillis. Ils
appartiennent très souvent à des propriétaires
privés.
Mais les petites communes n'ont pas les moyens d'entretenir les chemins ruraux
situés dans ces travers. Ces chemins souffrent plus qu'ailleurs des
difficultés liées à la pente, au climat favorisant
l'érosion. Ils deviennent vite inaccessibles.
Par suite, les terrains sont encore moins exploités qu'ailleurs et les
propriétaires privés s'en désintéressent. On arrive
donc en France à de véritables zones totalement
abandonnées qui peuvent être, notamment dans nos régions,
des foyers extraordinaires pour la propagation d'incendies en période de
sécheresse.
Par suite, une politique forte de soutien des petites communes de zones de
montagne, pour pouvoir entretenir, aménager ou rouvrir les chemins
ruraux afin de faciliter l'accessibilité et l'entretien de ces zones
difficiles, serait indispensable.
Elle permettrait peut-être alors à un certain nombre de
propriétaires privés de s'intéresser à nouveau
à des biens qu'ils ont abandonnés.
Cela m'amène à une autre réflexion issue de la
récente loi sur la Corse. En Corse il y avait un gros problème au
niveau de l'immobilier et des indivisions remontant à des
générations, indivisions jamais régularisées.
On vient de décider de toute une politique destinée à
encourager la régularisation des situations avec des délais pour
réaliser et des avantages fiscaux importants, notamment en
matière de réduction de droits de succession.
Je considère personnellement qu'il n'y a pas qu'en Corse que l'on
rencontre ce type de difficultés.
Je puis attester que dans de nombreuses zones de montagne, et c'est le cas dans
tout le Massif Central, il y a de plus en plus de propriétés
immobilières qui ne sont pas transmises parce qu'elles n'ont plus de
valeur, parce qu'elle sont inaccessibles, parce que parfois on ne sait
même plus où elles sont.
Mon confrère Maître Pottier, Président du Conseil
Général de la Lozère, m'avait communiqué une
délibération du Conseil Général de la Lozère
du 30 janvier 1995 où un conseiller général
lozérien rappelait que dans beaucoup d'endroits où il y avait un
grand morcellement et des zones à réaménager, une des
difficultés était d'arriver à retrouver les
propriétaires.
Dans sa région des Cévennes, il rappelait qu'il y avait des
successions qui attendaient depuis plusieurs générations et
personne ne voulait régulariser la situation car les frais
étaient trop élevés par rapport à des biens sans
valeur.
Je crois que plusieurs des idées avancées pour la Corse
pourraient parfaitement s'appliquer dans de nombreuses zones de montagne.
Au-delà du coût de règlement des successions jugé
trop élevé par rapport à la valeur du patrimoine, il se
pose plus généralement la question du coût de ce que nous
appelons " les petits actes ". Dans nos zones de montagne, les notaires
accomplissent sans doute plus encore qu'ailleurs une mission de service public
en réalisant de nombreux actes portant sur des biens de faible valeur.
Pour eux, il s'agit d'actes réalisés à perte et pourtant
les clients jugent les frais réclamés trop élevés.
Ils ont raison. En raison du coût, de nombreux actes ne sont par suite
jamais réalisés. Certes il existe une aide pour les
échanges ruraux mais tout ne se passe pas par échange!
Plus globalement et plus simplement, ne pourrait-on pas envisager une aide en
défiscalisant plus largement les petits actes (ne pas se limiter
à une exonération de timbres par exemple) voir en aidant par une
prime ou tout autre moyen les frais de ces petits actes?
Un mot en complément pour les chemins ruraux, modifier un tracé
représente un coût élevé pour une
collectivité. En raison de ce coût, soit le projet est
abandonné, soit il est réalisé sur le terrain, mais sans
être suivi d'une régularisation sur le plan juridique avec tous
les risques que cela comporte.
Avant de passer au second sujet, je voudrais également dire un mot d'une
difficulté pratique récente que nous rencontrons:
La loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE) a
imposé une immatriculation de toutes les sociétés civiles
avant le 1
er
novembre 2002.
Faute de le faire, ces sociétés civiles perdront leur
personnalité morale et cela sera source de toute une série de
conséquences juridiques graves.
Les notaires s'inquiètent du caractère systématique de
cette exigence et du bref délai qui a été accordé
pour régulariser.
Ils comprennent et soutiennent l'idée d'immatriculer
systématiquement les sociétés civiles. Mais ils regrettent
que l'on n'ait pas pris en compte toutes les situations.
Cela vise plus particulièrement les zones rurales et notamment les zones
de montagne où l'on a beaucoup de groupements forestiers. Ces
groupements forestiers ont été constitués il y a de
longues années afin de favoriser le regroupement de parcelles de bois
disséminées et difficilement accessibles. Mais il s'agit souvent
de bois sans valeur. ²
Le fonctionnement de ces groupements forestiers est extrêmement
limité et dans de nombreux cas, il n'y a pas de suivi juridique. A
l'occasion de successions ou de donations partages, les clients oublient
l'existence de parts de groupements forestiers et les transmissions
successorales ne sont pas constatées.
Ces groupements forestiers ont souvent été constitués
avant 1978, c'est à dire à une époque où il n'y
avait pas d'immatriculation obligatoire. Aujourd'hui, pour immatriculer, il
faut déposer des statuts à jour.
Mais comment déposer des statuts à jour, c'est à dire avec
une liste complète des associés, quand il y a des dizaines
d'associés, que nombre d'entre eux sont décédés et
que l'on ignore qui sont les héritiers actuels. Il y a là une
difficulté que visiblement le législateur n'a pas
envisagé.
En matière de transmission d'entreprises, les aides, il faut bien
l'avouer, sont relativement limitées et se réduisent à une
réduction des droits de mutation en matière d'acquisition de
fonds de commerce et de clientèle.
La mesure a été appréciée et on peut
considérer que son impact est favorable. Il en est de même pour
les acquisitions d'immeubles ruraux réalisées par les jeunes
agriculteurs. Au delà de quelques aides en matière de
transmission d'entreprises, il y a également des aides en matière
de création d'entreprises, et je pense notamment à certaines
exonérations d'imposition sur les bénéfices en faveur
d'entreprises nouvelles ou d'exonérations temporaires de taxe
professionnelle.
Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Les avantages fiscaux ne font pas
tout. Je prendrai une illustration avec les biens d'habitation. Il est
prévu que, dans les zones de revitalisation rurale, les conseils
généraux peuvent instituer un abattement sur la taxe
départementale. Très peu ont utilisé cette faculté.
Il y avait six départements en 2001 et il n'y en a plus que cinq en l'an
2002, à savoir la Manche, la Marne, la Saône et Loire, le Calvados
et l'Isère. Vous constaterez qu'il n'y en a pas beaucoup en zone de
montagne !
Je comprends parfaitement cette attitude des départements car une baisse
des droits ne fait pas acheter plus. On achète un bien à usage
d'habitation parce que l'on en a besoin. On en a notamment besoin si on a du
travail sur place. Et si l'on parle d'aides aux entreprises, beaucoup trop
d'aides sont liées à la création ou au démarrage,
mais cessent ensuite comme si ensuite les problèmes disparaissaient. Or,
en zone de montagne, les problèmes ne disparaîtront pas. Les
routes resteront ce qu'elles sont. Le climat restera ce qu'il est.
L'enclavement restera ce qu'il est.
Je prendrai pour illustration les tentatives dans de nombreuses petites
communes de mettre en place un multiple rural. On fait de beaux locaux, on
trouve un repreneur, on l'aide au début. Puis on oublie.
Les gens du village qui ont soutenu au départ, reprennent vite les
mauvaises habitudes en allant vers le supermarché le plus proche et ne
va au multiple rural que celui qui ne peut pas faire autrement.
L'affaire tournera mal.
En réalité, si on veut soutenir les entreprises en zone de
montagne, il faut très certainement sortir des schémas classiques
et imaginer des solutions nouvelles. Il y a un rôle social du petit
commerce et du maintien d'une vie locale. Ce rôle social va durer dans le
temps. Il faut donc l'aider dans le temps. Peut-on imaginer l'idée d'une
rémunération minimale ou d'aides pérennisées dans
le temps ?
Plus globalement, sur toutes les questions de vie en zone de montagne, tout ce
qui favorisera une aide étalée dans le temps et à
caractère permanent plutôt que les aides ponctuelles sera à
privilégier.
J'ajouterai un mot sur un handicap plus développé qu'ailleurs en
zone de montagne: celui des cessions d'entreprises locales rachetées par
des groupes nationaux. Cela a des conséquences multiples sur le terrain.
On ne laisse sur place que des exécutants le plus souvent à
faibles revenus. Partent à l'extérieur les pouvoirs
d'administration et de direction avec tout le personnel qui y est
attaché. En outre, dans presque tous les cas, les professionnels locaux
(experts-comptables, notaires, assureurs, banquiers, etc.) perdent le dossier,
alors qu'il s'agissait souvent pour eux de leur « gros dossier » ou
de l'un de leur dossier les plus importants.
En matière d'aménagement du territoire et plus
particulièrement du maintien des implantations des professions
libérales ou indépendantes, le lien est très net avec ce
qui précède. Si on veut encourager le maintien d'une
activité économique en zone de montagne, c'est la totalité
de la structure sociale qui est à soutenir. Je disais au début de
mon intervention que les notaires restaient la seule profession juridique
encore implantée sur l'ensemble du territoire. Mais j'aurai envie de
dire, pour combien de temps ? Nous habitons des départements magnifiques
et pourtant nous avons beaucoup de mal à attirer de jeunes
confrères.
Nous avons encore plus de mal à attirer des collaborateurs
qualifiés. Le phénomène devient véritablement
angoissant. Mais il n'est pas particulier à nous. On le retrouve
également dans toutes les professions médicales. Tout
récemment, j'apprenais qu'à Mur de Barrez (canton du Nord -
Aveyron), le seul chirurgien dentiste était parti et il n'est pas
remplacé. Voilà donc un canton entier isolé qui se trouve
sans chirurgien dentiste. Je pense à tel autre endroit de mon
département où un médecin quitte sa commune et ne trouve
pas de remplaçant. Les exemples sont là encore en train de se
multiplier.
Il y a des raisons qui sont extérieures à nos zones de montagne.
On a tellement limité le nombre de médecins qu'aujourd'hui il n'y
en a pas assez; c'est par priorité dans les zones de montagne qu'ils
sont de moins en moins nombreux. De la même manière, on ne trouve
plus de médecin spécialistes voulant s'installer dans les bourgs
centre des zones de montagne. Ainsi, dans le nord Aveyron, pour trouver un
médecin spécialiste, il faut venir à Rodez qui est souvent
à plus d'une heure de trajet. Et, même à Rodez, on ne
trouve pas de remplaçant pour tous les spécialistes.
Il y a également des motifs liés à nos zones de montagne:
dispersion de la population, longues distances, éloignement des centres:
par exemple, lorsqu'un professionnel libéral recherche un stagiaire, il
a de plus en plus de mal à trouver car les jeunes se trouvent trop loin
des grands centres universitaires. Autre exemple, celui des pharmacies; elles
sont, en zone de montagne, souvent éloignées les unes des autres.
L'organisation des tours de garde a pour conséquence d'obliger des temps
de parcours très long pour atteindre la pharmacie de garde la plus
proche. Tout comme pour les petits artisans ou petits commerçants, il
faut imaginer des incitations pour les professions libérales,
incitations non limitées dans le temps.
A titre d'exemple, il existe dans les communes de moins de 2000 habitants une
possibilité d'exonérer de taxe professionnelle les
médecins et auxiliaires médicaux. Mais, ne peuvent en
bénéficier que les professionnels qui s'installent pour la
première fois. L'exonération est limitée aux deux
années suivant l'installation. Le système encourt un double
reproche
Pourquoi exclure un professionnel qui veut s'installer en zone de montagne au
motif qu'il aurait déjà exercé son activité
ailleurs ?
Pourquoi limiter l'exonération aux deux premières années
alors que les difficultés d'exercice resteront les mêmes ensuite ?
Mais il ne faut pas que cela devienne la course à la prime. Il faut
encourager celui qui acceptera de rester un certain temps. Plusieurs pistes
peuvent être explorées. On peut penser notamment à des
exonérations de cotisations sociales en cas d'embauche d'un jeune
stagiaire sous réserve qu'en contrepartie le salaire soit majoré
afin de faire face aux frais de déplacement engendrés par
l'éloignement des centres universitaires.
Enfin, cette question de l'éloignement des centres universitaires qui
est récurrente serait moins cruciale si le désenclavement des
zones de montagnes s'accélérait. Or, on constate au contraire un
ralentissement à titre d'exemple, la RN 88 reliant Toulouse à
Lyon et traversant toute une partie du Massif Central devait être
aménagée à quatre voies et il s'avère qu'à
chaque plan, les délais annoncés sont plus en plus longs.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour votre contribution. Les
points que vous avez évoqués correspondent à ce que nous
avons ressenti lors de nos visites, notamment dans le Massif Central mais aussi
lors des auditions. Vous pointez de façon pertinente les
problèmes auxquels nous devons apporter les réponses les plus
urgentes, si nous souhaitons mettre fin à l'hémorragie
constatée. En effet, nous vivons une sorte de deuxième exode
rural, qui risque cette fois-ci d'être irréversible. A une
époque, cet exode avait pour cause la recherche de nouveaux modes de
vie, sachant que certains n'avaient évidemment pas le choix ;
aujourd'hui, nous pourrions continuer à vivre dans nos régions.
Le fait que certains ne le fassent pas montre que les pouvoirs publics ne
savent pas apporter de réponses ou mettre en place les conditions du
maintien, du fait d'une absence de prise de conscience politique. A travers
notre rapport, nous nous efforcerons de susciter cette prise de conscience.
Concernant les sections de commune, j'ai noté vos suggestions, notamment
leur suppression sans pour autant faire disparaître les droits qui y sont
attachés. Dans ce domaine, un groupe de travail sur le pastoralisme,
auquel je participe, a commencé à apporter des solutions à
ces problématiques complexes. Le rapport qui sera déposé
dans quelques jours auprès du ministre de l'agriculture, Monsieur
Gaymard, consacre quelques développements à ces sujets. De plus,
une étude sur la question des biens de section a été
diligentée par l'ancien gouvernement, avec le concours de l'Association
des maires de France ; elle doit toujours se situer dans le circuit
interministériel. Il existe donc une actualité de cette question
en termes de réflexion et d'études préalables, ce qui ne
doit pas nous conduire à en dissimuler la complexité.
Par ailleurs, votre exposé a évoqué l'abandon de l'espace
et des territoires, ainsi que de ses conséquences au niveau de votre
profession. Ce sujet est évoqué également au sein du
rapport sur le pastoralisme. Pour votre part, pensez-vous que la mise en place
d'une prescription pourrait être imaginée ? Dans mon village
de montagne, je suis personnellement témoin de l'existence d'une
propriété foncière, immobilière et
forestière, qui est dans une situation d'indivision depuis 1974 :
les bâtiments sont en ruine, la forêt est malade. Personne
n'intervient. Le notaire effectue une gestion très modeste, en
autorisant la coupe d'une ou deux essences de bois malades, et engrange les
produits très faibles de la succession. Les terrains sont
exploités de façon très extensive, ce qui n'est pas
satisfaisant. Je me demandais si, après dix ou vingt ans d'abandon, il
ne serait pas possible d'ouvrir une procédure, conduisant à
l'émission d'un avis aux héritiers connus ou inconnus de bien
vouloir se manifester ; la procédure pourrait alors permettre
d'offrir un prix, afin que le bien entre dans le patrimoine communal,
intercommunal ou départemental. Ainsi, les collectivités
pourraient récupérer la forêt ; les terres pourraient
être proposées à des particuliers par
l'intermédiaire de la SAFER. Cela nous permettrait de ne pas attendre
des décennies, alors que ces biens deviennent dangereux avec le temps,
notamment parce qu'ils peuvent propager des maladies du bois. Pour ma part, je
serais favorable, après un délai raisonnable, à la mise en
place d'une procédure quelque peu interventionniste.
Par ailleurs, dans la loi d'orientation forestière, un amendement a
été déposé pour alléger le prix des actes
des notaires passés dans le cadre des transmissions de parcelles
forestières. Notre réflexion va se rapprocher de celle qui a
été conduite lors de l'adoption de la loi d'orientation
forestière. En tout cas, nous ferons d'autres suggestions en la
matière.
Effectivement, l'hémorragie des professions libérales en milieu
rural me conduit à souligner que, parallèlement au
désenclavement, il se pose la question de l'assouplissement de la loi ou
de la façon de l'appliquer. En effet, dans le département du
Cantal, nous avons pu constater que certains médecins qui font la
démarche de s'installer dans des petits bourgs buttent finalement sur
des règlements d'urbanisme qui leur interdisent de le faire.
L'application rigide de la loi est une sorte de non-sens, voire
d'imbécillité.
Maître Jacques Combret -
Je ne propose pas la suppression globale
des sections. En effet, dans certains cas, de véritables sections
existent, notamment lorsque les communes sont relativement vastes, par exemple
à cheval sur deux vallées ou une vallée et un plateau. En
revanche, lorsque la section est très réduite, nous pouvons la
supprimer, ce qui pourrait conduire toutefois à faire perdre des droits.
Il faut donc déconnecter la notion de section, administrative,
permettant aux habitants d'un village de disposer d'un patrimoine privé
difficile à gérer, de la gestion pratique elle-même, qui
peut faire l'objet d'un cahier des charges et qui peut revenir à la
collectivité.
Lorsque je prépare une transmission rurale, il n'est pas rare que la
propriété se situe en zone non constructible. Certains enfants
sont prêts à laisser leurs frères ou leurs soeurs reprendre
la propriété mais ils souhaitent utiliser une partie du terrain
pour construire une autre maison, ce qu'ils ne peuvent pas faire car ils ne
sont pas agriculteurs. Cela allègerait pourtant la soulte que doit
verser l'attributaire de la propriété. Il est vrai que cela
pourrait ouvrir la porte à la fraude, certains choisissant de revendre
le terrain aussitôt à quelqu'un d'autre. Pour autant, je pense que
dans certains cas, des règlements familiaux ou des installations se
traiteraient plus facilement si des exceptions étaient possibles. (comme
dans votre exemple pour qu'un médecin puisse s'installer dans le
Cantal). La rigueur des textes s'accommode mal de la situation de nos
régions. J'approuve tout à fait votre idée dans le cadre
des règlements familiaux.
Par ailleurs, la prescription ne me semble pas forcément la solution
à adopter. En fait, la piste que vous ouvrez l'a déjà
été dans le cadre du deuxième volet de la réforme
des successions, texte qui est purement technique. Au sein de cette
réforme, une disposition pourrait débloquer quelques cas :
l'action interrogatoire. Actuellement, la succession est souvent bloquée
parce que l'un des héritiers est introuvable ou ne souhaite pas se
prononcer ; pour autant, il est rare que 100 % soient passifs. Or
dans le cadre du droit actuel, je ne peux pas forcer les héritiers
à prendre parti : si quelqu'un souhaite se venger d'un ancien
contentieux familial, il peut très bien le faire en ne prenant pas parti
ou en ne répondant pas au notaire. Dans le projet de réforme des
successions, il est prévu une action interrogatoire : un seul
héritier pourrait demander aux autres de se prononcer, sachant que ces
derniers seraient considérés comme renonçant à la
succession s'ils refusaient de s'exprimer. Je pense que cela permettrait de
résoudre un grand nombre de cas d'indivision. Le notariat appelle donc
de tous ses voeux la concrétisation de cette excellente initiative du
Sénat.
Vous évoquiez le cas d'un notaire qui essayait de faire effectuer
quelques travaux sur une propriété ; on pourrait penser
qu'il a pour cela obtenu l'accord de tous les indivisaires. En
réalité, je pense que cela n'est pas le cas et que ce notaire a
exercé un pouvoir qu'il n'a pas. Dans le deuxième volet de la
réforme sur les successions, il est aussi prévu que le notaire
puisse être investi d'un mandat judiciaire en cas de blocage, afin
éventuellement d'encaisser des sommes et de payer des dépenses,
ce que nous ne pouvons pas faire actuellement.
On pourrait nous objecter l'existence de la procédure des biens vacants
et sans maître. Toutefois, la succession ne peut pas être
considérée comme vacante à partir du moment où les
héritiers sont connus ; de plus, la procédure en question
est extrêmement lourde et les services fiscaux et les Domaines ont
d'autres préoccupations. Elle ne constitue donc sans doute pas le
meilleur moyen pour une collectivité de s'en sortir. Au lieu d'une
prescription, il faudrait donc pouvoir engager une action interrogatoire,
c'est-à-dire donner un pouvoir à la collectivité, afin de
constater qu'une propriété ou une forêt ne sont pas
exploitées, ou qu'une maison menace de s'écrouler. La
collectivité aurait le pouvoir de mettre en demeure les héritiers
connus de s'entendre, en leur rappelant qu'ils risquent sinon de perdre leurs
droits au bout de cinq ans. Cela ne me choquerait pas du tout. En la
matière, une réflexion doit être menée, même
si cela induit une forte évolution du droit de la
propriété.
Enfin, en matière d'associations foncières, la seule
expérience que je connais est celle des groupements forestiers et des
groupements fonciers agricoles que nous avons créés dans les
zones rurales. Dans le sud de l'Aveyron, il y a 25 à 30 ans, nous avions
tenté de créer des groupements fonciers agricoles investisseurs,
en collaboration avec le Crédit Agricole. Des groupements fonciers
agricoles (GFA) viticoles ont fonctionné, un temps seulement ;
aujourd'hui, les personnes qui sont encore au sein de GFA ne parviennent pas
à en sortir. Lorsque les terres sont sans valeur, la mise en commun ne
peut aller que dans le bon sens. Les groupements forestiers ont permis de
mettre en place un plan d'ensemble d'aménagement, avant l'intervention
de l'Office national des forêts, et d'assurer un suivi minimum.
M. Jean-Paul Amoudry
- Quel est votre sentiment d'expert du droit sur
l'application de la loi d'urbanisme ? Dans mon département,
plusieurs communes ont mis en place des plans d'occupation des sols depuis 20
à 25 ans, qui ont été successivement
révisés. Dans le courant ces années 90, le juge
administratif a durci sa manière d'appliquer la loi Montagne, au
prétexte qu'elle n'était pas respectueuse de la loi de 1985. De
fait, certains plans d'occupation des sols ont été annulés
par le juge et les préfets ont été invités à
accompagner les communes dans leurs efforts de retrait de certaines zones
constructibles, en vertu de la proscription du mitage ou de la construction en
discontinu. A la fin des années 90, certains partages familiaux avaient
été réalisés sur la base de plans d'occupation des
sols annulés, lorsque des recours avaient été
déposés. En effet, la plupart des communes ont entrepris ces
révisions, en retirant des droits. Dans certains cas, les partages
familiaux ont été réglés ; les ayant droit se
sont vus reconnaître des droits à construire. Or, lors du
renouvellement du certificat d'urbanisme, les ayant droit ont appris que leur
terrain était devenu inconstructible. Cette situation équivaut
à une forme d'expropriation sans indemnités puisque, dans le
partage, le notaire a acté le prix de chacun des lots, permettant un
équilibre entre tous les héritiers. Quelques années
après, on constate que la ferme a pris de la valeur mais que les
terrains ne valent plus rien. Les situations de ce type sont assez nombreuses.
Il s'agit d'une atteinte au droit le plus essentiel de la
propriété.
J'ai écrit aux autorités administratives, qui ne m'ont pas
répondu sur la notion de spoliation et d'expropriation. Ces
autorités m'ont simplement indiqué que le versement
éventuel d'une indemnité incomberait de toute façon
à la commune, sous l'autorité de laquelle se situe le plan
d'occupation des sols. Je trouve cette lecture invraisemblable puisque le
processus a été enclenché par la loi et les
décisions de justice, sous l'impulsion du préfet ; l'Etat ne
peut donc pas se dérober. Cela constitue un problème très
grave, qui est à la fois pénalisant pour les individus et les
collectivités locales. L'attitude de l'Etat n'est pas qualifiable dans
ce domaine. Quel est votre sentiment sur le plan juridique ?
Maître Jacques Combret
- Vous évoquez une question
sensible. La Haute-Savoie est une terre d'accueil qui gagne de la
population ; le marché du foncier devient effroyablement cher. Or,
sans remettre en cause la beauté des paysages, je pense que nous
pourrions encore trouver des terrains. En matière d'urbanisme, il faut
sans doute arrêter de mettre en place des textes contraignants et
théoriques qui ont un effet contraire à celui qui est
souhaité en matière d'aménagement du territoire. Cela
constitue une véritable difficulté, qui conduit à refuser
à un membre de la famille de construire une maison sur la
propriété au motif qu'il n'est pas agriculteur. Des
évolutions sont possibles en la matière.
Par ailleurs, la position de l'administration ne me surprend pas ; en
effet, les plans d'occupation des sols ne donnent pas de droits acquis. Le
terrain à bâtir aujourd'hui peut donc devenir un terrain
gelé demain, sans que le propriétaire puisse prétendre
à une indemnisation. De plus, il est vrai que la commune doit
payer ; pour autant, cette collectivité n'a pas la liberté
de décider de retirer des droits. Je crains fort que ce problème
soit difficile à résoudre.
Nous pourrions donc plutôt réfléchir à mieux
protéger les droits acquis. Dans tous les cas, il ne faudrait pas que le
terrain devienne inconstructible du jour au lendemain, surtout pour des motifs
qui ne dépendent pas de la collectivité qui avait
décidé au départ de le rendre constructible.
Peut-être pourrions-nous imaginer une expérimentation dans les
zones de montagne, sachant que cette difficulté est également
rencontrée dans d'autres régions et que l'Etat sera toujours
réticent à verser de l'argent.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je conviens que cela serait folie de
considérer que des indemnités doivent être versées.
Pour autant, toute expropriation doit donner lieu à un juste
dédommagement. Dans tous les cas, les droits acquis ayant donné
lieu à des actes authentiques, créateurs de droits, et au
versement d'impôts, assis sur un terrain reconnu constructible, ne
doivent pas conduire à la spoliation. Je considère qu'il s'agit
d'une atteinte majeure aux droits les plus fondamentaux.
Maître Jacques Combret
- Nous pourrions explorer une piste
intermédiaire. Ainsi, nous avons allongé la durée de
validité des certificats d'urbanisme. Nous pourrions garantir la
constructibilité d'un terrain pour dix ans seulement ; cela
inciterait l'héritier à investir. De plus, ce type de pistes ne
coûterait pas cher à l'Etat.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie infiniment pour votre
contribution.
46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse, accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Corse, président de la Chambre départementale d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Je vous souhaite la bienvenue au Sénat ; je
vous remercie de vous être déplacés. Je tiens à
excuser le Président Jacques Blanc, qui est retenu ce matin, ainsi que
ceux de nos collègues qui travaillent au sein des commissions (Finances,
Lois, Affaires économiques...). En effet, le Parlement est en session
extraordinaire et les commissions se réunissent traditionnellement le
mercredi matin, afin de travailler sur les textes d'actualité et les
projets de loi du gouvernement. Il va de soi que nous allons vous
écouter avec plaisir.
En introduction, je rappelle que le Sénat, au cours de cette
« Année internationale des montagnes », a
souhaité, sur la proposition de quelques-uns dont Jacques Blanc, Pierre
Jarlier et moi-même, constituer une mission d'information pour tirer
parti de la période de l'élection présidentielle du
printemps dernier, qui permettait aux sénateurs d'être plus
disponibles pour effectuer un travail de terrain et d'enquête. De plus,
nous avons souhaité que la loi de 1985, dite « loi
Montagne », mais aussi que les textes des années 70
ou les textes plus récents, de lois d'orientation et
d'aménagement, puissent faire l'objet d'une analyse sous l'angle des
difficultés rencontrées pour leur application concrète.
Nous avons pour objectif de déposer un rapport au début du mois
d'octobre, afin de fournir au nouveau gouvernement des éléments
de modernisation des dispositifs, l'intérêt n'étant pas
d'ajouter des textes mais de simplifier, apurer et améliorer notre
administration territoriale en zones de montagne.
Je signale que nous avions prévu de nous rendre en Corse au cours du
mois de juillet, le mois d'août étant plutôt consacré
aux vacances, y compris peut-être pour quelques sénateurs, et le
mois de septembre étant réservé à la
rédaction du rapport. Si vous l'estimez nécessaire, la mission
pourra se rendre en Corse, ou le groupe de travail
« Montagne » du Sénat, puisque ce dernier va se
prolonger au-delà de la mission, cette dernière disparaissant
après la remise du rapport. En effet, Jacques Blanc restera le
Président du groupe de travail « Montagne », dont je
suis le rapporteur ; dans les prochains mois, nous pourrons donc continuer
à travailler, le rapport ne constituant pas une fin en soi mais
simplement le démarrage d'un certain nombre d'actions. Nous sommes
désolés de ne pas avoir trouvé le temps de vous rendre
visite : en fait, le passage du Tour de France dans les
Pyrénées nous a obligés, à reporter notre voyage,
ce qui a décalé d'autant notre visite dans le Jura.
Merci de vous être déplacés pour passer en revue les
problèmes que vous souhaiteriez évoquer. Nous vous avons
adressé un questionnaire ; je vous propose que nous commencions par
le reprendre.
M. Paul Natali
- Je vous remercie pour votre accueil mais aussi de
prêter une attention particulière aux zones de montagne, notamment
la Corse, qui, pour être « un pain de sucre en mer »,
n'en rencontre pas moins des difficultés catastrophiques dans sa partie
intérieure, qui se vide au profit du littoral. Je pense que le
Président régional vous fera un exposé sur ce territoire.
Nous vous donnerons des statistiques concernant les communes qui font partie de
ce massif. Le Président de la SAFER reviendra sur l'indivision, qui est
véritablement catastrophique. Enfin, le Directeur de l'Office de
développement agricole et rural, qui coiffe toutes les structures
relevant du secteur agricole et montagne, interviendra.
M. Etienne Suzzoni
- Je suis responsable professionnel agricole de
l'île ; je suis vigneron. Je travaille donc dans un secteur qui,
à travers ses sites de qualité, son organisation professionnelle
et des productions très typées, tire son épingle du jeu
dans un secteur qui est en déprise. En effet, comme le disait le
sénateur, le littoral a absorbé les forces vives de la
Corse : le littoral représente un cinquième des surfaces de
l'île mais aussi 70 % des populations. La Corse est une zone ouverte
au tourisme et possède des sites remarquables ; si vous
réalisiez une visite sur place, vous pourriez vous rendre compte du
potentiel qui existe dans le massif : le GR20, le Parc naturel
régional... Malgré tout, l'activité économique
n'est pas soutenue.
En tant que professionnels, nous tentons de soumettre à la région
nos projets et nos préoccupations. Nous considérons que
l'élément essentiel du maintien de la vie à
l'intérieur est l'accès à un revenu décent pour les
exploitants agricoles. Nos propositions tournent donc autour des produits, qui
sont, pour l'élevage, les bovins, les ovins, les caprins et les porcins.
Le bovin a connu ses heures de gloire après la mise en place de la prime
européenne à la vache allaitante et les CHN. En revanche, le
porcin est une filière à l'abandon, qui ne
bénéficie pas de soutien européen, alors qu'elle constitue
l'une des filières les plus traditionnelles, les châtaigneraies de
l'intérieur constituant un support alimentaire de base. Pour sa part, le
caprin est en déprise, comme l'ovin, élevé par le
passé dans toute la Corse par le biais des estives (entre les zones du
littoral l'hiver et les massifs l'été). Les problèmes sont
que les réglementations européennes ont évolué et
que nos méthodes de production ne se sont pas adaptées. De fait,
les exploitants agricoles, qui fabriquent des produits de qualité, sont
contraints, par les services de la direction des services
vétérinaires, à arrêter leur activité faute
de moyens financiers ou de politique d'accompagnement.
Nous connaissons un déficit structurel en matière
d'élevage ; en effet, les structures sont très peu
nombreuses à être aux normes européennes et nous ne
disposons pas d'abattoirs. Pour autant, les professionnels se sont
engagés dans des démarches constructives. En effet, les
productions sont soumises à des réglementations
européennes que nous ne pouvons pas décrier en permanence ;
au contraire, nous devons nous y adapter. Pour cela, il faut identifier les
productions, les faire reconnaître, notamment leurs
spécificités ; c'est le cas pour l'affinage des fromages
dans des voûtes en pierre. Si nous ne définissons pas ces
productions en rappelant leur identité, les services européens
appliquent la même norme aux petits bergers qui traitent 200 litres de
lait et aux industriels du nord de l'Europe, qui en traitent 2 à 3
millions.
L'élevage des bovins s'est développé
considérablement et la Haute-Corse regroupe actuellement environ
30 000 vaches allaitantes, soit la moitié de toute la Corse et
cinq fois plus qu'au siècle dernier. Des rapports européens ont
discrédité l'agriculture corse car elle était atypique. Or
cet élevage extensif bénéficie de possibilités de
reconnaissance en race corse, dont ont déjà
bénéficié les porcins, les bovins, les caprins et les
ovins. En effet, l'une de nos chèvres possède toutes les
caractéristiques pour être reconnue comme race corse. Pour sa
part, le bovin possède des caractéristiques très fortes,
en termes de rusticité et de qualité des viandes, qui doivent
constituer le support des signes de qualité. Pour les porcins, le
raisonnement est le même ; ceux qui maîtrisent de façon
optimale les conditions de production, proposent des charcuteries peuvent
rivaliser avec les meilleurs.
Nous devons définir notre potentiel dans l'urgence et faire en sorte que
les réglementations européennes ne le fassent pas
disparaître. En effet, dans l'intérieur de la Corse, l'aviculture
maintient la vie dans les villages. Nous souhaiterions que ce
développement se maintienne. Dans ce cadre, lors du débat
à l'Assemblée de Corse, il avait été proposé
de reconnaître l'agrotourisme comme un axe fort de l'amélioration
des revenus des exploitants, en capitalisant les filières en
déprise et en leur permettant de disposer de revenus stables. L'objectif
est de faire migrer les flux du littoral vers l'intérieur, de permettre
aux populations d'être en contact avec les gens qui viennent de
l'extérieur, de s'ouvrir et de prendre conscience que les atouts offerts
par la nature constituent une force, dont les touristes ont envie de profiter.
Les protecteurs du patrimoine seront d'autant plus efficaces qu'ils retireront
un revenu de leur action.
M. Henri Salvat
- Dans le cadre de la loi Montagne de 1985 et du
décret d'application, le massif corse a été défini
comme regroupant les deux départements, la Haute-Corse et la
Corse-du-Sud. Toute la Corse est donc considérée comme une zone
de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry
- Cette définition concerne-t-elle toutes
les communes, y compris celles du littoral ?
M. Henri Salvat
- Oui, y compris Bastia et Ajaccio.
M. Paul Natali
-Le littoral fait partie de la zone de montagne.
M. Henri Salvat
- Le massif corse comprend les deux départements
de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Au sens de la réglementation
européenne de 1974 sur la zone de montagne, la grande majorité
des communes est déclarée en zone de montagne, sauf une vingtaine
de la côté littorale, d'Aléria au sud de Bastia. Pour cette
région, à la demande de la profession, nous avons
sollicité un classement en zone défavorisée. Ce dossier a
été instruit en Corse et transmis aux services parisiens du
ministère de l'agriculture mais n'a pas encore reçu de
réponse favorable. Nous attirons votre attention sur ce point ;
nous souhaitons le classement de l'ensemble de la Corse en zone
défavorisée, au sens de la réglementation
européenne.
M. Paul Natali -
C'est important.
M. Henri Salvat
- Sur les 360 communes de Corse, environ 20 ne sont pas
classées en zone défavorisée ou de montagne. Le dossier
est en instance auprès du ministère à Paris, qui semble
réticent pour répondre favorablement à notre demande.
L'ensemble de la Corse représente 8 700 km
2
, pour une
population de 260 000 habitants, ce qui représente la plus faible
densité de population de France. De plus, la région Corse est la
moins industrialisée de France, l'industrie ne représentant que
6,8 % des emplois, contre 6,1 % pour l'agriculture. Le produit
intérieur brut par habitant est de 82 % de la moyenne
communautaire, soit 7 % de moins que la moyenne nationale.
Par ailleurs, les difficultés rencontrées du fait de
l'insularité ont incité une grande partie de la population
à quitter la Corse au cours des décennies
précédentes, au détriment de la richesse humaine de la
Corse, évolution encore aggravée par les conséquences des
deux guerres mondiales au cours desquelles une grande partie de la population
active a été décimée.
La population a augmenté entre 1990 et 1999, environ de 4 %,
essentiellement du fait du solde migratoire, le solde des naissances et des
décès étant pratiquement nul. De plus, la population corse
est plus âgée que la moyenne nationale. Les perspectives
d'évolution pour les années à venir font que les plus de
60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans en 2010.
L'été, l'île accueille plus d'un million de visiteurs, pour
un total de 2 millions sur l'ensemble de l'année. Entre 1990 et 1999, le
nombre de touristes a augmenté de 37 % ; ces 2 millions
représentent 26 millions de nuitées, la majorité
étant des touristes continentaux et la durée moyenne d'un
séjour de 14 jours.
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous avons traditionnellement à l'esprit
que la Corse vit du tourisme, de l'agriculture et des services.
Quid
de
l'industrie ?
M. Paul Natali
- Il n'y a plus d'industrie, sauf à Ajaccio, en
milieu littoral. La Corse est aujourd'hui moins industrielle qu'elle ne l'a
été avant guerre. En effet, à l'époque, le bois
était très exploité, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Il s'agissait de l'industrie principale, parallèlement aux usines de
tannin ; tout a disparu après-guerre. En matière
d'aviculture, le cedrat avait permis de créer quelques industries.
Aujourd'hui, une seule société subsiste à Ajaccio dans le
domaine des composites ; l'activité reste insignifiante. Tout le
reste relève du domaine tertiaire, de la prestation de service, du
commerce et du tourisme.
M. Henri Salvat
- Il existe aussi des industries agroalimentaires,
notamment fromagères et charcutières.
M. Paul Natali
- Il est vrai que Roquefort est implanté en Corse.
Pour le reste, l'absence de labels fait que les productions sont
consommées localement.
M. Etienne Suzzoni
- Les industries charcutières travaillent sur
des carcasses importées.
M. Paul Natali
- De Bretagne notamment. Cela permet de donner une image
« corse » au produit.
M. Jean-Paul Amoudry
- Sur le plan énergétique,
disposez-vous de barrages hydroélectriques ?
M. Paul Natali
- Nous avons du retard en la matière. En 1987 et
1988, l'Assemblée de Corse avait conventionné avec EDF la
construction de sept barrages, dont un seul a été construit
depuis, sa capacité ayant été augmentée pour
permettre une utilisation industrielle et agricole ; les autres usines
sont thermiques. Nous commençons également à lancer des
expériences en matière d'énergie éolienne, cette
dernière étant très contestée par les populations.
M. Etienne Suzzoni
- En Balagne, le barrage situé près de
l'Ile-Rousse est à sec ; nous ne savons pas comment les touristes
pourront se laver au mois d'août.
M. Paul Natali
- Je pense que l'initiative de l'Office hydraulique, de
vider le barrage au mois de mars pour le nettoyer, n'était pas
très heureuse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Peut-être pouvons-nous évoquer le
Comité de massif ?
M. Jean Faraud
- Le Comité de massif Corse était
présidé par le Préfet de région jusqu'à la
fin de 2001. Il est composé de cinq représentants de la
collectivité territoriale Corse, de deux représentants du Conseil
général de Haute-Corse, de deux représentants du Conseil
général de Corse-du-Sud, de sept représentants des
communes de montagne, de six représentants des établissements
publics consulaires (Chambres d'agriculture, des métiers et de
commerce), d'un représentant de l'ODARC, d'un représentant de
l'Agence de tourisme de Haute-Corse, d'un représentant du Parc naturel
régional, de deux représentants d'associations
agréées en matière de protection de la nature.
Le bilan du fonctionnement du Comité de massif fait apparaître que
son action est circonscrite à l'utilisation des fonds du Fonds National
d'aménagement et du territoire (FNADT) Montagne, soit seulement
300 000 euros par an. Ces fonds sont attribués à des
projets très ponctuels, notamment d'étude.
A partir de 1999, les membres ont choisi de recentrer l'action du Comité
sur des thématiques plus précises, notamment le
développement des loisirs en montagne, principalement l'escalade. Nous
avons adjoint au contrat de plan une sous-mesure du volet tourisme
spécialement consacrée au développement des sports de
pleine nature.
Depuis la loi du 22 janvier, le Comité de massif ne dispose plus des
mêmes prérogatives. Le président du Comité est
maintenant le président du conseil exécutif de la
collectivité territoriale de Corse, cette dernière devant
délibérer pour recomposer le Comité de massif. Enfin, le
mini-budget de 300 000 euros ne sera plus géré par le
Comité de massif mais par la Collectivité territoriale de Corse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pensez-vous que les nouvelles dispositions
législatives de la loi vont conduire le Comité de massif à
ne plus jouer de rôle en matière d'organisation des politiques de
l'île ou à conserver sa place aux côtés des
assemblées territoriales ? Estimez-vous qu'il s'agit d'un outil
intéressant à revitaliser ou estimez-vous que les
assemblées décentralisées suffisent largement pour
l'émission des politiques ?
M. Jean Faraud
- L'existence du Comité de massif est
intéressante au niveau consultatif car il est spécialisé
sur la zone de montagne. Le Comité de massif représente donc la
voix de la montagne et peut donc avoir un vrai rôle consultatif
vis-à-vis de l'Assemblée territoriale. En revanche, la question
de la gestion des fonds ne constitue pas une nécessité absolue.
M. Jean-Paul Amoudry
- La présidence du Comité de massif
par le Préfet vous paraissait-elle satisfaisante ?
M. Jean Faraud
- La loi stipule que le Comité de massif n'est
dorénavant présidé que par le président du Conseil
exécutif de la collectivité territoriale.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il s'agit de l'objectif que nous avons
fixé pour la présidence des autres Comités de massif. Nous
souhaitons que la présidence soit exercée par un élu local.
M. Henri Salvat
- Jusqu'à présent, le Comité de
massif corse n'avait qu'un rôle limité à la distribution
des crédits. La politique se décidait donc soit au niveau de
l'Assemblée de Corse (avant sa mise en oeuvre par le Conseil
exécutif), soit au niveau de l'Etat ; les décisions
étaient prises dans le cadre du contrat de plan Etat/Région ou
dans le cadre du document unique de programmation (DOCUP). Le Comité de
massif ne parvenait donc pas à trouver sa véritable place. Le
fait que la présidence du Comité revienne au président du
Conseil exécutif assure une plus grande cohérence.
M. Paul Natali
- De plus, l'enveloppe distribuée par le
Comité de massif n'était pas toujours consommée.
M. Henri Salvat
- Les financements étaient marginaux.
M. Jean-Paul Amoudry
-Vous avez évoqué l'agriculture,
l'élevage, l'artisanat et le tourisme. Dans ce dernier domaine, quelle
est la situation au niveau des structures d'accueil ? Par ailleurs,
comment voyez-vous l'avenir des structures d'accueil hivernal ?
M. Paul Natali -
Nous ne disposons d'aucune structure véritable
en la matière, même si quelques gîtes communaux et des
auberges de montagne ont été construits depuis quatre ou cinq
ans ; le tout reste très artisanal et familial, les
propriétaires étant en majorité des éleveurs.
Le principal problème est la circulation au sein des villages, qui n'est
pas toujours possible pour les autocars par exemple. Plus
généralement, nous avons beaucoup de retard en matière de
structures autoroutières, comme dans les secteurs de l'eau et de
l'assainissement.
Certains villages ne regroupent que 10 à 20 personnes, ce qui conduit
à un morcellement des communes très important. Ainsi, le maire du
village où habite le président de la SAFER ferme son village
durant l'hiver avec des barbelés, afin d'empêcher les vaches d'y
accéder. Sur les 186 communes de montagne, 50 environ sont
véritablement victimes d'une désertification complète.
M. Jean-Paul Amoudry
-Visiblement, aucun village ne dispose de
remontées mécaniques.
M. Paul Natali
- En effet. Les deux tentatives en la matière ont
été rejetées par l'Europe à cause des financements.
Au mois de février, les Corses se rendent sur le continent pour skier. A
l'intérieur, nous nous situons au niveau le plus bas des régions
de montagne du territoire national.
M. Jean-Paul Amoudry
-
Quid
de la collectivité en zone de
montagne ?
M. Paul Natali
- Nous sentons quelques prémices mais les
financements sont encore insignifiants, alors que certaines communes sont
exsangues sur le plan financier.
M. Henri Salvat
- Dans l'ensemble de la Corse, 20 % des exploitants
agricoles exercent une pluri-activité, soit 740 sur les 3 600 que
compte l'île.
M. Etienne Suzzoni
- Les 3 600 exploitants ne correspondent pas
à autant d'unités professionnelles ; il faut donc être
prudent en matière de chiffres. En fait, on parle d'unité
professionnelle à partir de 3,5 hectares d'agrumes ou d'1,5 hectare de
vignes ; dans ces conditions, leur nombre n'est que de 1 800 alors
que nous étions 15 000 il y a 25 ou 30 ans. La chute a
été vertigineuse. Il faut à tout prix permettre une
stabilisation des arrêts des exploitations et une dynamisation de
l'installation, grâce à la diversification. Aujourd'hui, le statut
d'agriculteur reconnaît difficilement la pluri-activité,
même si des évolutions se produisent en la matière.
M. Paul Natali -
Il serait important de reconnaître la
pluri-activité, notamment sous la forme d'aides.
M. Etienne Suzzoni
- Il faut prendre en compte la réalité
des chiffres.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pensez-vous que l'arrêt de la disparition
du nombre des exploitations agricoles passe par une aide à
l'installation des mono-actifs ou, au contraire, faut-il favoriser la
pluri-activité, notamment l'agrotourisme ? Quel est le profil type
de l'exploitant pluri-actif ?
M. Etienne Suzzoni
- Il s'agit d'une activité de production
agricole liée à au tourisme.
M. Jean-Paul Amoudry
- Ce sont donc les fermes auberges.
M. Henri Salvat
- Certains salariés, commerçants ou
professions libérales exercent également une activité
agricole. Parallèlement, les agriculteurs qui ont une activité
touristique restent agriculteurs en termes d'activité principale, le
tourisme n'étant qu'un prolongement de cette dernière (chambres
d'hôtes, fermes auberges, gîte rural). L'avenir de la Corse de
l'intérieur ne peut se concevoir que si une diversification intervient
en matière d'activités touristiques. Il faut que la Corse de
l'intérieur puisse profiter des touristes qui ne visitent principalement
que le littoral.
M. Jean-Paul Amoudry
- Cela passe par une reconnaissance et une
amélioration du régime de la pluri-activité.
M. Paul Natali
- Oui.
M. Jean-Paul Amoudry
- Dans certaines régions de France, la
pluri-activité n'est plus fortement demandée, par exemple dans
certaines zones de Haute-Savoie, alors que c'était encore le cas il y a
dix ou quinze ans. En fait, les agriculteurs ont fait des choix. En revanche,
dans d'autres régions, il nous est demandé une reconnaissance du
statut du pluri-actif. Nous avons d'ailleurs posé la question à
Hervé Gaymard, qui est l'un des plus grands spécialistes de la
question. La pluri-activité est donc un élément
important, dans le cadre de la diversification, au même titre que le
versement d'une aide à l'installation.
M. Etienne Suzzoni
- Il s'agit de compléter le revenu de
l'agriculteur lorsque la filière ne permet pas de retirer un revenu
décent, comme dans le cas de la culture des châtaigniers.
L'agriculteur peut ainsi disposer de revenus complémentaires grâce
aux services ou à l'agrotourisme. Par exemple, il suffit de capitaliser
un exploitant agricole pour qu'il ait les moyens d'héberger et d'obtenir
un revenu d'appoint lui permettant de poursuivre son activité agricole.
Parallèlement, il existe aussi des personnes qui travaillent dans les
services mais qui sont propriétaires d'une châtaigneraie ou d'une
oliveraie ; ces personnes peuvent émarger au contrat de plan pour
effectuer une rénovation.
M. Paul Natali -
Cela reste marginal.
M. Etienne Suzzoni
- Personne ne cherche à les exclure mais ces
gens ne constituent pas le support d'une véritable activité.
M. Paul Natali
- Il s'agit surtout de passionnés.
M. Etienne Suzzoni
- Dans certaines filières, la fonction de
production ne suffit pas à garantir un revenu décent ; il
est donc indispensable de disposer d'un complément pour maintenir
l'activité. Ainsi, je pense qu'il faudrait mener une politique de
région pour les filières en déclin, comme les
châtaigniers ou les caprins. Il faut faire en sorte que les exploitants
disposent d'un revenu d'appoint, compatible avec leur métier. Pour
l'instant, il n'y a pas d'hébergement possible en montagne, alors que
les chambres d'hôtes sont un moyen intéressant pour les touristes
d'accéder à un village, de rencontrer un éleveur et de
connaître la façon dont il travaille.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous propose d'aborder l'environnement, les
paysages et les risques naturels.
M. Henri Salvat
- Les priorités retenues en matière de
protection de l'environnement sont notamment le traitement des déchets.
La collecte sélective est mise en place actuellement, dans le cadre du
contrat de plan. Un autre effort doit être poursuivi au niveau de
l'assainissement des eaux usées, tant sur le littoral que dans la Corse
de l'intérieur.
Par ailleurs, nous devons faire face au problème de la gestion de la
ressource en eau. En effet, nous rencontrons des problèmes de stockage
de l'eau brute et de transfert, tant pour l'irrigation que pour l'eau potable.
Ainsi, cette année, nous avons dû installer une unité de
dessalement de l'eau de mer au Cap Corse, cette région n'étant
alimentée par aucune source. Nous devons également prendre en
compte le problème des incendies.
M. Paul Natali
- En matière d'environnement, la matière
première de la Corse est constituée par ses richesses en eau et
en forêts, zones qui devraient être exploitées et
valorisées mais qui sont malheureusement presque abandonnées et
livrées aux incendiaires, ce qui entraîne des dégâts
très importants au cours de l'été, notamment lorsque les
vents soufflent fort. Le pastoralisme n'est pas assez actif dans les zones que
nous devrions protéger et valoriser.
M. Etienne Suzzoni
- Plus globalement, le problème est celui de
la maîtrise du foncier. Dans le système pastoral, le
propriétaire terrien entretenait son bien et le mettait à
disposition, sur la base de conventions verbales, à des éleveurs
transhumants. La société était donc organisée de
façon particulièrement précise. Aujourd'hui, l'exode et
l'absence d'abattoirs ou de structures de développement conduisent
à un élevage extensif non-maîtrisé. La
mutualité sociale agricole (MSA) Corse a constaté que l'assise
foncière de l'exploitation agricole n'était plus
constituée que du cheptel.
En fait, des titres ont été donnés aux agriculteurs ;
à l'intérieur de la Corse, la déprise et l'indivision sont
telles, qu'il n'est plus possible de retrouver les propriétaires. Pour
les zones plus proches du littoral ou les zones urbaines, la valeur
foncière des terres agricoles est telle que personne ne souhaite
aliéner le bien à un agriculteur car cela entraîne la
non-constructibilité de la zone. Nous n'avons pas de définition
des zones ; les plans d'urbanisme ne sont pas en place ; nous ne
disposons pas de schémas de cohérence territoriaux et encore
moins de schéma régional.
Nous faisons face à un problème de politique
générale Corse. La résidence secondaire, qui est un levier
du développement, notamment dans les zones touristiques, constitue un
marché non négligeable, même s'il s'agit parfois d'un sujet
de violence au niveau politique. C'est pourquoi il faudrait définir
précisément les zones, constructibles ou non.
M. Paul Natali
- Nous ne disposons d'aucun schéma
d'aménagement.
M. Henri Salvat
- Un schéma a été adopté en
1997 mais il est toujours en projet car il n'a jamais été
agréé.
M. Etienne Suzzoni
- Dans le domaine du foncier, l'indivision
pèse sur les zones agricoles en déprise et nous devons aussi
faire face au problème de l'urbanisation sur les zones agricoles non
définies proches des zones urbaines ou du littoral. Nous avons donc des
difficultés à maîtriser le foncier et à donner des
assises cohérentes aux exploitations. Les propriétaires qui ne
sont plus résidents laissent des espaces considérables en friche,
ce qui en fait la proie des flammes l'été et constitue une menace
pour les exploitations. De plus, l'impression d'abandon donne une mauvaise
image de la Corse aux touristes. Il est donc nécessaire de fixer les
choses au travers d'un schéma régional d'aménagement. Nous
rejoignons les questions liées à la gestion des paysages :
quelle urbanisation souhaitons-nous ?
M. Paul Natali
- Tout doit être repris à zéro. Sur
le littoral, certaines zones se développent plus que d'autres car elles
sont limitrophes des villes, notamment Bastia. Les terrains y ont pris des
valeurs très importantes. Auparavant, il s'agissait de zones
essentiellement agricoles ; aujourd'hui, seules quelques vignes
subsistent. Tout est laissé à l'abandon car les
propriétaires souhaitent en tirer profit en vendant ces terrains
constructibles.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pourrions-nous évoquer la
viticulture ? Dans ce domaine, il existe des AOC, ce qui nécessite
une identification très précise des parcelles concernées.
Quel est le nombre d'hectares consacrés à la viticulture ?
M. Etienne Suzzoni
- Sur l'ensemble de la Corse, la viticulture
représente 8 000 hectares de vignes, dont 2 500 en AOC, les
autres étant vinifiés en vin de pays ou vin de table. Le total de
la production est de 350 000 hectolitres, pour 100 000
hectolitres d'AOC. La crise que traverse la viticulture nationale touche
également la Corse, notamment le vin de pays sur les marchés
anglo-saxons. Tous ces produits qui ne disposent pas d'une identité
forte liée au terroir rencontrent des problèmes importants,
même si l'offre émane de deux grosses coopératives qui
maîtrisent les savoir faire. En fait, il suffirait de trouver un
marché de 60 000 hectolitres pour que la crise soit
réglée. A cet effet, le secteur viticole a demandé
à la région d'intervenir pour l'aider à prendre des parts
de marché chez un gros faiseur. Pour l'instant, nous n'avons reçu
aucune réponse.
M. Paul Natali
- Comme d'habitude.
M. Etienne Suzzoni
- Dans la viticulture AOC, les fers de lance sont les
petits vignerons qui bénéficient d'une très bonne image.
Les AOC sont décomposées en neuf appellations d'origine :
une générique (Calvi, Sartène, Figari, Cap Corse,
Porto-Vecchio), deux appellations locales (Patrimonio et Ajaccio), qui ont des
contraintes plus importantes, notamment en matière
d'encépagement. Depuis 1993, une nouvelle appellation est apparue, celle
de Muscat du Cap Corse. Au sein d'une filière dotée de signes de
qualité, les professionnels sont obligés de s'entendre et de
maîtriser leur production ; la valeur ajoutée est donc plus
importante, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres filières.
M. Jean-Paul Amoudry
- La plaine orientale n'accueille-t-elle que des
vins de pays et des vins de table ?
M. Etienne Suzzoni
- Des AOC y sont aussi produits : 50 % des
100 000 hectolitres sont produits sur la plaine orientale.
Parallèlement, le Cap Corse ne regroupe que quatre exploitants qui
produisent environ 4 000 hectolitres ; Patrimonio est la
deuxième appellation après l'appellation générique
et représente 13 000 hectolitres, contre 8 000 pour Calvi, de
7 000 à 8 000 pour Ajaccio, 5 000 pour Sartène,
3 000 pour Figari et 3 000 hectolitres pour Porto-Vecchio.
M. Jean-Paul Amoudry
- La crise actuelle frappe-t-elle l'ensemble des
vins ?
M. Etienne Suzzoni -
Elle touche essentiellement la zone orientale,
où sont produits 50 000 hectolitres d'AOC et 250 000 de
vin de pays et de vin de table. Le marché insulaire est
surprotégé car il bénéficie d'une
exonération de TVA pour les produits consommés sur
l'île ; la viticulture a pu ainsi rester maître de son
marché, qui est de 160 000 hectolitres. Nous sommes quasiment en
situation de monopole puisque les touristes qui nous rendent visite souhaitent
boire des vins corses.
M. Jean-Paul Amoudry
- Etes-vous concernés par la
procédure Natura 2000 ?
M. Paul Natali
- Oui.
M. Etienne Suzzoni
- Dans ce domaine, je reste très
réservé sur la part qui est revenue à la Corse. En effet,
54 habitats naturels ont été choisis, sur une soixantaine au
niveau national ; la part affectée à la Corse est donc
considérable. De fait, nous avons l'impression que l'Europe impose
à la nation certains sites en termes de quotas. Je suis sceptique car
les contraintes qui sont liées à la procédure sont
importantes et pourraient constituer des freins au développement et
à la vie dans ces milieux.
M. Paul Natali
- Ce sont des zones qui sont constamment
incendiées.
M. Etienne Suzzoni
- On nous demande de ne pas intervenir sur ces zones
du fait de la présence d'espèces animales rares ; or ces
espaces brûlent car ils ne sont pas entretenus. La profession agricole
est inquiète en la matière.
M. Jean-Paul Amoudry
- J'imagine que ces 54 habitats sont
répartis largement en montagne.
M. Etienne Suzzoni
-Oui, même si certains sont situés sur
le littoral. Les maires des petites communes considèrent que cela
constitue un avantage.
M. Jean-Paul Amoudry
- L'accueil des élus est donc parfois
favorable.
M. Etienne Suzzoni
- Oui. En revanche, les exploitants agricoles se
posent des questions. Peut-être devrons-nous bientôt enlever nos
vaches de l'estive ? Il existe une inquiétude dans ce domaine,
même si tout le monde se veut rassurant par ailleurs.
M. Jean-Paul Amoudry
- Les élus ont-ils eu connaissance des
modalités de versement des aides disponibles pour gérer ces
espaces ?
M. Etienne Suzzoni
- Actuellement, aucune aide n'est versée.
C'est la raison de l'inquiétude.
M. Paul Natali
- Une enquête a été effectuée
sur Natura 2000, qui fait apparaître que, sur 34 communes
consultées en Corse-du-Sud et 9 en Haute-Corse, 25 n'ont pas
répondu, 5 communes ont répondu favorablement sans
réserve, 7 communes ont répondu favorablement avec réserve
et 5 communes défavorablement. Les maires ne sont donc pas
sensibilisés aux avantages ou aux conséquences de ces
classements. Les maires considèrent que le plus important est le
développement urbanistique de certaines zones qui avaient
été figées. De fait, des propositions de classement ont
été effectuées de façon quelque peu
cavalière par le directeur de la direction régionale de
l'environnement (DIREN). En fait, les réponses favorables à
l'enquête ont été apportées pour les zones qui se
situent à la périphérie des communes et qui n'ont aucun
intérêt particulier.
M. Jean-Paul Amoudry
- Comment l'existence du parc naturel
régional est-elle vécue ?
M. Paul Natali -
Il commence à prendre forme depuis quatre ou
cinq ans, après des années au cours desquelles son utilité
n'était pas évidente. Pour autant, je pense qu'un important
travail doit encore être effectué, notamment pour favoriser le
développement touristique : ainsi, le parc gère le
GR 20 qui traverse la Corse et qui est fréquenté toute
l'année par de nombreux amateurs, qui perçoivent de façon
favorable l'existence d'un parc naturel.
M. Henri Salvat
-Le Parc régional couvre 350 000 hectares,
143 communes sur un total de 360 et regroupe 27 000 habitants
permanents.
M. Paul Natali
- Il gère également un parc marin.
M. Henri Salvat
- Le parc possède une partie littorale du
côté de Porto. Par la suite, la mise en place de parcs marins est
prévue entre la Corse et la Sardaigne.
M. Paul Natali
- Cela concerne la façade est. J'ai l'impression
que la création d'un parc marin international n'est plus
d'actualité ; les pêcheurs s'y étaient d'ailleurs
opposés car la zone concernée était trop vaste.
M. Jean-Paul Amoudry
- Le parc s'occupe du couvert
végétal ; dispose-t-il de moyens pour prévenir les
incendies de forêt ? Mène-t-il des actions au niveau des
châtaigneraies sur le plan économique ? Intervient-il en
matière d'urbanisme ? Quelles sont ses grandes missions ?
M. Henri Salvat -
Le parc a pour objet de protéger et de
valoriser le patrimoine naturel, culturel et paysager, mais aussi de contribuer
au développement économique, social et culturel, et de la
qualité de vie, ainsi que d'assurer l'accueil, l'éducation et la
formation des publics.
En matière d'incendie, la prévention avait été
prise en compte par la création, au sein du parc, d'un service
« pastoralisme et prévention des incendies ». Depuis
1995, ce service, dont l'objectif était de mettre en oeuvre des moyens
pour conseiller les éleveurs et les dissuader d'avoir recours aux feux,
a été rattaché à l'ODARC. En effet, la
région a considéré que cette action de
« pastoralisme » devait s'inscrire en complément des
actions de mise en valeur de la Corse. Ce service a pour objet de
définir des pratiques culturales, afin que les éleveurs
n'utilisent plus la technique du feu.
En la matière, nous nous heurtons à un problème
important : en effet, les éleveurs qui utilisent le foncier n'en
ont pas la maîtrise et ne peuvent donc pas le mettre en valeur. On
considère que 30 % à 40 % des incendies sont d'origine
pastorale ; ils couvrent 60 % à 70 % des surfaces
brûlées. Le service Pastoralisme mène des
expérimentations
in situ
, afin de diffuser auprès
d'éleveurs volontaires de nouvelles techniques culturales, permettant
d'éviter la propagation des incendies. L'ODARC intervient
également au niveau de la châtaigneraie, afin de financer les
exploitants qui souhaitent engager des rénovations, soit pour produire
des châtaignes, soit pour alimenter les porcins.
M. Paul Natali -
La Corse disposait d'un parc important de
châtaigniers. Aujourd'hui, nous avons l'impression que la
châtaigneraie est retournée à l'état sauvage.
M. Henri Salvat
- A l'origine, la châtaigneraie devait couvrir
entre 20 000 et 25 000 hectares. Aujourd'hui, les surfaces sont toujours
les mêmes mais une grande partie des châtaigniers a disparu,
notamment du fait de maladies. Pour autant, depuis quelques années, nous
constatons un intérêt pour la remise en valeur des
châtaigneraies par les agriculteurs, même si cela ne permet pas
d'atteindre les surfaces initiales.
M. Jean-Paul Amoudry
- Un programme existe-il pour la
châtaigneraie ?
M. Paul Natali
- Un programme européen avait été
lancé à une époque.
M. Henri Salvat
- Des financements FEOGA ont été
versés lors du précédent DOCUP. En fait, le
châtaignier peut être considéré comme un arbre
forestier ou agricole. Le propriétaire de châtaigneraie, qui n'est
pas exploitant agricole, peut donc remettre en valeur la zone en tant que
surface forestière ; pour sa part, un exploitant agricole qui
récolte les châtaignes pour nourrir ses porcins reçoit les
crédits réservés au secteur agricole. Dans tous les cas,
nous souhaitons que le propriétaire qui met en valeur sa
propriété le fasse en relation étroite avec un agriculteur
pour assurer l'exploitation par la suite ; sinon, la démarche est
vouée à l'échec.
M. Etienne Suzzoni
- Des enveloppes importantes ont été
affectées mais elles n'ont pas été consommées car
personne ne pouvait déposer de dossier pour mettre en valeur les
châtaigneraies, du fait de l'absence de maîtrise du foncier. De
plus, les conditions d'accès à ces financements sont souvent
telles que personne n'est éligible. Ainsi, il faut posséder une
surface minimale de 25 hectares, ce qui n'était le cas de personne. Dans
ces zones en déprise, le développement passe par l'animation des
territoires, ce qui nécessite que des hommes portent sur leurs
épaules des démarches structurantes et
fédératrices ; actuellement, nous ne disposons pas de ces
acteurs. Les contrats de plan agricole prévoient 50 millions pour
s'attaquer au problème du foncier mais rien n'est prévu pour
payer des animateurs. Dans tous les cas, pas un centime n'a été
engagé à cette heure.
M. Auguste Cazalet
- Chez nous, les châtaigniers ont disparu,
alors qu'ils constituaient la richesse des exploitations. Nous ramassions les
châtaignes sur des terrains qui ne pouvaient pas être
utilisés pour une autre exploitation. Ensuite, la maladie du
châtaignier est apparue ; nous avons essayé de planter des
châtaigniers japonais, qui ont donné mais il n'existe plus
aujourd'hui de véritable marché aux châtaignes. En fait,
aucun effort n'a été effectué pour enrayer cette chute,
sachant que la consommation s'est réduite. Quand j'étais enfant,
nous partions à l'école avec une poche de châtaignes. Par
ailleurs, il semble que le châtaignier sauvage ne crève pas.
M. Paul Natali
- Des pépinières naturelles se
créent.
M. Auguste Cazalet -
En Corse, il faut que la production soit rentable
pour effectuer de nouvelles plantations de châtaigniers.
M. Paul Natali
- En Corse, dans certaines régions, certaines
populations ont vécu largement grâce à la production de
châtaignes (élevage, farine...), par le biais d'industries
familiales et artisanales, avant l'exode vers les villes.
M. Auguste Cazalet
- Chez nous, nous avions deux catégories de
châtaignes, la rouge et la noire. La première était vendue
plus cher, à des marchands originaires du Lot-et-Garonne. La
châtaigne noire était meilleure à manger ; nous la
faisions griller le soir.
M. Paul Natali
- En Corse, quelques petits artisans ont
créé une industrie du marron glacé, notamment du
côté d'Ajaccio. Pour autant, la production reste très
réduite et ne peut pas être comparée à celle de
l'Ardèche.
M. Auguste Cazalet
- Chez nous, la production était de plusieurs
tonnes par exploitant durant deux ou trois mois.
M. Paul Natali
- Aujourd'hui, la maigre production est livrée aux
porcs.
M. Jean-Paul Amoudry
- On pourrait considérer que cette
filière a tout de même un avenir.
M. Paul Natali
- Cet avenir est très limité.
M. Etienne Suzzoni
- Il s'agit du coeur de nos productions
régionales de montagne. Les châtaigneraies embellissent les
villages et constituent un véritable patrimoine, notamment pour le
tourisme. De plus, les châtaignes servent à finir l'élevage
des porcs coureurs, ce qui nécessite de clôturer les espaces et de
les entretenir.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous pourrions aborder le bilan de
l'activité touristique en zone de montagne. Avez-vous des
éléments à nous livrer en termes de chiffre d'affaires et
de population active concernée ?
M. Henri Salvat
- Sur les 2 millions de visiteurs dont je parlais
précédemment, 5 % à 6 % sont logés
à l'intérieur dans les gîtes ruraux et les fermes
auberges ; le reste est logé sur le littoral. Pour autant, les
personnes qui logent sur le littoral se rendent dans l'intérieur de la
Corse pour passer une journée (GR 20, randonnée, visite de
villages...). En fait, 37 % à 45 % de la population
touristique se rendent à l'intérieur de la Corse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Les collectivités locales se sont-elles
engagées sous différentes formes en la matière ?
M. Henri Salvat
- Très peu.
M. Jean-Paul Amoudry
-En fait, la situation financière des
collectivités locales n'est pas reluisante, comme nous l'a laissé
entendre Paul Natali. Il est vrai que des obligations comme
l'assainissement sont déjà très lourdes à
assumer. Pouvons-nous aborder la politique du conseil régional pour le
développement et l'aménagement des zones de montagne ?
M. Jean Faraud
- Il n'existe pas de politique spécifique
dédiée au massif montagneux, notamment parce que le zonage ne
satisfait pas grand monde et que personne ne se l'approprie afin de distinguer
les deux zones. En fait, dans l'esprit des politiques, la Corse est
scindée en une Corse urbaine (conurbations de Bastia et d'Ajaccio,
Calvi, Porto-Vecchio, Corte, l'Ile-Rousse) et une Corse rurale, dont la
montagne.
Des atouts liés à la montagne doivent être
valorisés ; cela constitue le leitmotiv que l'on retrouve dans tous
les documents politiques du conseil régional. Ces atouts sont notamment
un potentiel environnemental exceptionnel, un riche écosystème,
une ressource en eau abondante et de bonne qualité, un potentiel en
matière d'énergies renouvelables, une absence de pollution
majeure. Nous disposons donc d'un espace qui bénéficie d'un
réel potentiel.
La collectivité a également identifié des leviers de
développement à actionner ou des actions à mettre en
oeuvre sur les territoires ruraux. Elles concernent le financement des
entreprises, les plus petites étant actuellement
sous-capitalisées et disposant de fonds propres très
réduits. Dans ce contexte, la volonté de la collectivité
territoriale est d'apporter une alternative à cette carence de fonds
propres, en investissant dans une société de capital risque, par
la mise en place de prêts d'honneur et d'un dispositif régional de
garanties d'emprunt. La volonté est aussi de mettre au point un
réel dispositif d'appui technique en matière d'élaboration
de projets d'entreprise, ce qui n'existe pas actuellement.
En matière de soutien au tourisme, la politique de la
collectivité repose sur un zonage de la Corse en 20 territoires
pertinents et cohérents, l'objectif étant d'associer des
territoires de montagne à des territoires littoraux. Il existe
également une volonté de faire émerger les dynamiques de
développement, en faisant se rencontrer les acteurs sur les territoires,
grâce à une animation forte et présente sur le long terme.
En matière touristique, la collectivité souhaite la mise en place
de soutiens publics à la création de nouvelles unités
d'hébergement mais aussi le développement des activités de
loisir en zone de montagne (sports d'eau vive, escalade, randonnées...).
Pour le développement de l'agriculture en zone de montagne, la
première des priorités affichées par la
collectivité est la résolution du problème de
l'accès au foncier des exploitants agricoles. La collectivité
souhaite également soutenir significativement les productions
identitaires (châtaignes, charcuterie et fromages fermiers). Nous devons
nous appuyer sur le lien fort dont nous disposons avec le terroir,
c'est-à-dire la montagne. Cette dernière doit devenir le
conservatoire de tous ces savoir faire traditionnels, que la
collectivité doit aider, grâce à un accompagnement des
démarches de certification et de labellisation. Le troisième
objectif fort de la collectivité est de faire participer
l'activité agricole à la prévention en matière
d'incendie, notamment par la gestion des ruminants sur les espaces ouverts.
Par ailleurs, dans le domaine forestier, la collectivité soutient
financièrement les investissements en matière
d'amélioration des peuplements mais aussi d'équipement des
exploitations.
M. Henri Salvat
- Dans le cadre de la loi du 22 janvier 2002, toutes les
forêts domaniales d'Etat ont été transférées
à la collectivité territoriale corse, en propriété
gestion.
M. Paul Natali
- Il s'agissait d'anciennes propriétés
domaniales, qui étaient déjà plus ou moins communales
lorsque l'Etat les a reprises. Je ne pense pas que cela soit une bonne affaire
pour la collectivité territoriale corse ; je vois mal comment le
système va pouvoir fonctionner. Je pense que nous nous faisons trop
d'illusions dans ce domaine.
M. Jean-Paul Amoudry
- S'agit-il de pins maritimes ?
M. Paul Natali
- Il s'agit en partie de pins maritimes, sachant que le
bois a une valeur très faible aujourd'hui. A une époque, la Corse
regroupait encore 30 ou 40 scieries, qui constituaient une industrie
florissante ; aujourd'hui, elles ne sont plus que trois ou quatre sur
l'ensemble de la région et travaillent essentiellement du bois
importé d'Afrique. Lorsque les Domaines passent des appels d'offres, le
bois est pratiquement bradé.
M. Jean-Paul Amoudry
- Dans les Vosges, nous avons constaté que
des bois qui valaient 53 à 61 euros il y a trois ou quatre ans sont
stockés et mouillés et ne valent plus que 4,6 euros le
mètre cube.
M. Paul Natali
- C'est la raison pour laquelle je pense que l'Etat ne
nous a pas fait de cadeau en transférant les forêts domaniales
à la collectivité territoriale corse, qui s'est d'ailleurs
manifestée avec beaucoup d'enthousiasme pour récupérer ce
patrimoine.
M. Jean Faraud
- Le Conseil régional mène également
une action de réhabilitation des villages de l'intérieur. Enfin,
nous constatons qu'il n'y a pas de volet montagne spécifique au sein du
contrat de plan.
M. Jean-Paul Amoudry
- En fait, le thème de la montagne est
réparti au sein du plan.
M. Paul Natali
- Je doute de la volonté politique en
matière de réhabilitation des villages de
l'intérieur ; depuis plusieurs années, nous ne sentons
aucune évolution en la matière. D'ailleurs, les maires n'ont plus
de moyens : la voirie départementale des villages de
l'intérieur est laissée quasiment à l'abandon. De temps en
temps, un kilomètre d'enrobé est réalisé avant les
élections... De plus, le problème de l'eau est souvent
préoccupant au sein des villages, les canalisations étant en
très mauvais état. De même, l'assainissement est
très réduit, ce qui conduit à des rejets dans les
ruisseaux. Globalement, l'intérieur de la Corse nécessite donc un
effort considérable de la part de la collectivité territoriale,
qui doit permettre, grâce aux réhabilitations, d'effectuer des
remises à niveau en matière d'équipements. En effet, ces
derniers pourraient inciter une petite part de la population à revenir
habiter dans les villages de l'intérieur. Enfin, l'indivision conduit
certaines maisons à devenir de véritables ruines ; il
faudrait peut-être prévoir une expropriation et un transfert aux
communes, financé à 100 %, afin de créer des
gîtes communaux ou de petites habitations. Dans nos régions de
montagne, la misère est totale.
M. Jean-Paul Amoudry
- Sur ce dernier point, nous avons reçu
Jacques Combret, président de l'Institut d'études juridiques du
Conseil supérieur du notariat et notaire dans l'Aveyron, avec qui j'ai
évoqué l'indivision, qui constitue aussi une
réalité en Haute-Savoie, conduisant de nombreux bâtiments
à être en ruine. Monsieur Combret m'a indiqué que la
réponse à ce problème était contenue dans la
réforme de la succession sous la forme du droit à
interrogation : un co-héritier peut demander aux autres
héritiers de se positionner sur la valeur d'un bien, ce qui les
empêcherait de bloquer la procédure en ne se manifestant pas. La
procédure permettrait à celui qui souhaite sortir de l'indivision
d'obliger les autres à se prononcer et de passer outre moyennant le
paiement d'une soulte.
M. Paul Natali
- Il faut revoir la loi.
M. Jean-Paul Amoudry
-Nous connaissons trop de cas de ce type. Nous
pourrions donner à un tiers, à la collectivité ou à
la SAFER la possibilité de mettre en demeure quelqu'un de se prononcer.
Nous reprendrons ces éléments dans notre rapport.
M. Paul Natali
- Nous devons faciliter la tâche des communes et
des maires, afin qu'ils trouvent des acquéreurs pour ce patrimoine.
Aujourd'hui, en Corse, nous sommes ankylosés par le système
d'indivision. Le problème ne se pose pas sur le littoral puisque les
acheteurs existent et que l'argent est partagé. En revanche, à
l'intérieur, les terrains sont à l'abandon, livrés aux
éleveurs, ce qui facilite l'action des incendiaires.
M. Jean-Paul Amoudry
- La formule des associations foncières
agricoles, pastorales ou forestières remporte-t-elle un grand
succès ?
M. Paul Natali
- Nous n'en sommes qu'aux prémices en la
matière ; la question est très complexe.
M. Toussaint Felce
- Les éleveurs y sont opposés. En
effet, jusqu'à maintenant, ils ne payaient rien.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je comprends que les propriétaires ne
souhaitent pas se lier.
M. Toussaint Felce
- Les propriétaires pourraient accepter le
principe mais les éleveurs ne le souhaitent pas.
M. Paul Natali
- Le raisonnement est le même pour les abattoirs,
dont la presse locale annonce l'ouverture tous les mois depuis des
décennies ; pour l'instant, aucun abattoir n'a encore
été ouvert.
M. Etienne Suzzoni
- Il faut que ceux qui souhaitent avancer ne soient
pas bloqués par ceux qui le refusent ; c'est pourquoi il faut
mettre en place une animation. La SAFER rencontre les plus grandes
difficultés à obtenir les crédits nécessaires.
M. Paul Natali
- Nous constatons des anomalies grossières.
M. Jean-Paul Amoudry
-Certains départements, par exemple dans les
Pyrénées-Atlantiques, ne connaissent pas la formule, alors que
d'autres, comme l'Ariège ou la Lozère, ont largement
développé ce type de formule. Pour ma part, je préside un
organisme dont le directeur est un animateur qui a permis de monter une
trentaine d'association fruitière pastorale en Haute-Savoie, alors que
le contexte est très individualiste ; cela nous a permis de sauver
notre alpage. Parfois, il faut aller chercher les propriétaires qui
habitent ailleurs et parvenir à résoudre les problèmes qui
se posent.
M. Etienne Suzzoni
- Nous souhaitons que l'Assemblée de Corse se
donne les moyens d'une taxation du foncier à l'abandon. En effet, cela
permettrait d'imposer la rénovation au propriétaire, sachant
qu'il serait exonéré dans le cas inverse.
M. Jean-Paul Amoudry
- La loi prévoit la taxation du foncier non
bâti pour tous les biens inclus dans une association foncière
pastorale ou agricole. Pour cela, nous devons demander au législateur de
renouveler cet avantage, qui avait été consenti dans une loi de
finances il y a cinq ans. Dans le rapport « Pastoralisme »
que nous allons remettre à Hervé Gaymard dans quelques jours,
nous allons renouveler cette demande.
M. Etienne Suzzoni
- Aujourd'hui, le propriétaire est
déjà exonéré puisque le foncier agricole n'est pas
taxé. La taxation ne concerne que les zones qui sont exploitées,
ce qui peut sembler paradoxal. Parallèlement, la friche et l'incendie ne
sont pas taxés.
M. Paul Natali
- La loi « Joxe » avait
autorisé la Corse à prélever des sommes sur les trajets
effectués entre la Corse et le continent, en avion et en bateau,
à raison de 9,15 euros par ticket. Cette enveloppe de 22 850 à
27 500 euros était consacrée à la protection de
l'environnement ; depuis, elle a été intégrée
au budget général de la collectivité territoriale corse et
n'a pas été affectée à l'objectif prévu par
la loi, sans que les préfets ne disent quoi que ce soit.
M. Jean-Paul Amoudry
- L'assainissement fait également partie de
l'environnement. Toutes les communes rurales de montagne ne savent pas financer
les dépenses en matière d'environnement dans les délais
prévus.
M. Paul Natali
- Nous étions classés en Objectif 1 au
niveau des crédits européens, avant d'être
déclassés en Objectif 2 du fait de reliquats d'utilisation
sur les grands programmes d'eau et d'assainissement. Pour autant, la somme
prélevée sur les transports qui devait être
consacrée à l'environnement était importante. L'agence de
l'eau a cofinancé aussi, ainsi que les départements, ce qui
permet de boucler un projet à 80 %.
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous allons étudier toutes vos
informations.
M. Paul Natali
- Il faut que vous veniez faire une visite en Corse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour vos contributions verbales
et écrites.
47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet, sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je vous accueille avec beaucoup de plaisir au
Sénat. Je vous prie d'excuser Monsieur Blanc, Président de notre
mission, qui est retenu par ailleurs, ainsi que certains de mes
collègues sénateurs, dont certains étaient présents
ce matin et dont d'autres nous rejoindront cet après-midi. Je vous
propose de commencer nos travaux, en vous remerciant d'avoir fait le
déplacement depuis La Réunion. Nous sommes heureux de pouvoir
échanger sur le thème de la montagne, dans le cadre de cette
mission dont je souhaiterais vous dire quelques mots de présentation.
Le Président et le Bureau du Sénat ont accepté la
proposition présentée en février dernier par quelques
sénateurs, à l'initiative de l'Association nationale des
élus de la montagne, de créer une mission d'évaluation de
la politique Montagne depuis la loi de 1985 et les textes de la
rénovation rurale, qui datent du début des années 70. Ce
projet assez ambitieux a consisté, du mois d'avril à aujourd'hui,
à auditionner plusieurs dizaines de personnes (élus, responsables
socioéconomiques et associatifs), afin de dresser ce bilan et tenter de
proposer des orientations et des mesures propres à corriger cette
politique. En effet, nous avons conscience que la loi de 1985 n'a donné
lieu qu'à des applications imparfaites. De plus, elle a fait l'objet de
textes ultérieurs (lois d'orientation et d'aménagement) dans les
domaines de la forêt, de l'urbanisme et de l'agriculture ; tous ces
textes peuvent présenter des contradictions ou au moins des points
d'achoppement. Cette volonté a donné lieu à une
étude basée sur trois grands axes : environnement,
économique, aménagement.
Nous avons prévu de déposer nos conclusions au début du
mois d'octobre, de façon à rester dans le cadre de l'année
internationale des montagnes. Nous souhaitons également être
présents au rendez-vous de la reprise des travaux parlementaires
à l'automne. Nous souhaitons enfin proposer et faire valider nos
orientations par certains congrès, assises et rencontres, qui se
tiennent traditionnellement à l'automne. En revanche, nous n'aurons pas
terminé à temps pour soumettre nos travaux aux Assises des
conseillers généraux qui auront lieu à La Réunion,
même si les conclusions seront déjà bien
avancées ; dans ces conditions, cette question pourra
peut-être être abordée à cette occasion.
Nous n'avons pas eu le temps matériel et la possibilité de
visiter votre île. Pour autant, le groupe Montagne, qui survivra à
notre mission, après la remise du rapport, pourra, si vous l'estimez
nécessaire et si nous le jugeons utile, se rendre à La
Réunion pour approfondir certains aspects de la problématique
Montagne. Je vous invite maintenant à intervenir sur la base des
questions que nous vous avons adressées et sans préjudice des
autres points que nous pourrions évoquer. Je vous laisse la
parole ; je suis heureux de vous entendre et d'échanger avec vous.
Mme Anne-Marie Payet
- Je tiens à dire ma joie d'être
présente aujourd'hui. En effet, au départ, je pensais que la
mission ne portait que sur les départements de métropole puisque
j'entendais principalement parler d'accidents de ski et d'avalanches... Lorsque
j'ai compris que les thèmes examinés étaient
également ceux du tourisme, de l'élevage et de l'agriculture,
j'ai tout fait pour inclure La Réunion dans cette mission. Je suis
heureuse d'être présente aujourd'hui en compagnie de
professionnels réunionnais, que je remercie d'avoir interrompu leurs
vacances.
La Réunion offre aux touristes et à ses habitants les plaisirs de
la mer et de la montagne : 30 kilomètres à peine
séparent l'Océan Indien du Piton des Neiges qui culmine à
3 069 mètres. L'originalité de La Réunion tient
à l'existence de ces zones de montagne, aussi vastes que diverses, qui
sont des espaces naturels, de vie et de travail. L'article 4 de la loi Montagne
de 1985 énonce qu'à La Réunion, les zones de montagne
comprennent les communes et parties de communes situées à une
altitude de plus de 500 mètres. Par décret du 26 décembre
1994, de nouvelles limites ont été fixées pour les zones
de montagne, afin de tenir compte de la présence de handicaps
structurels (relief, enclavement) et de nos enjeux de développement pour
la mise en valeur de l'espace Montagne.
Finalement, parler des collectivités locales des zones de montagne
à La Réunion revient à parler de presque toutes les
collectivités puisque 23 communes sur 24 sont concernées. Les
zones de montagne, que nous appelons les « Hauts » par
opposition aux zones littorales appelées les
« Bas », représentent un potentiel important que
nous devons valoriser. Il s'agit d'un potentiel d'espace puisque les zones de
montagne représentent 2 000 km
2
, soit les quatre
cinquièmes de la superficie de l'île pour un cinquième de
la population. Il s'agit également d'un potentiel humain :
139 790 habitants sont concernés, soit 20 % de la population.
Cette dernière est jeune puisque 50 % a moins de 25 ans, son niveau
de formation allant croissant. Le potentiel est également
économique puisque les Hauts regroupent 60 % de la surface agricole
utile, 90 % du potentiel forestier, 90 % du potentiel
d'élevage, 60 % des exploitations agricoles et des zones de
production vivrière, maraîchère, horticole et arboricole,
toutes complémentaires de celles des Bas.
Ce potentiel est fragile et le mitage des zones agricoles s'accentue. Il faut
donc renforcer le tissu économique et social. Aujourd'hui, 10 %
seulement des entreprises sont implantées dans les Hauts. Le taux de
chômage est préoccupant puisqu'il est de 49 % pour les
zones de montagnes, de 55 % à Cilaos, commune où je
réside, et de 34 % pour l'ensemble du département. La
Réunion compte aujourd'hui plus de 700 000 habitants ; des
études récentes ont montré qu'en 2020, la population
atteindrait le million de personnes. Face à une zone littorale
saturée, l'espace rural représente une alternative pour un
développement harmonieux et équilibré du territoire, qui
doit se traduire par des orientations politiques fortes : une politique de
rattrapage en équipements structurants pour réduire le
déséquilibre entre les Hauts et les Bas et une dynamique
économique performante qui diversifie et conforte les activités.
Je laisse la parole à Madame Jové, qui va nous présenter
le Commissariat à l'aménagement des Hauts, structure
équivalente à celle du Comité de massif qui n'existe pas
chez nous.
Mme Pascale Jové
- L'histoire institutionnelle de
l'aménagement des Hauts à La Réunion précède
la politique de la montagne et date plutôt du lancement de la
rénovation rurale. A La Réunion, le plan d'aménagement des
Hauts et la mise en place du Commissariat sont issus d'une volonté
politique. Dans les années 60, le constat a été fait d'un
déséquilibre social et économique très fort entre
la zone des Hauts et la zone des Bas. En 1975, les assemblées
régionales (Etablissement public régional agricole et le conseil
régional) ont émis le voeu qu'un plan global d'aménagement
soit mis en place pour les Hauts, dans le cadre du 7
ième
Plan. En 1977, un Comité d'aménagement des Hauts a
été créé par arrêté
préfectoral, qui préfigure le comité de massif qui
n'existe pas à La Réunion puisque la loi ne l'a pas prévu
dans les DOM. En 1991, ce comité a été modifié par
un nouvel arrêté préfectoral, prévoyant une
coprésidence entre l'Etat et les collectivités, ainsi que
l'intégration des socioprofessionnels.
En 1978, les Hauts de La Réunion sont délimités par
décret comme des zones d'action rurale et représentent 80 %
de la superficie de l'île. Le Commissariat à la rénovation
rurale des Hauts apparaît en octobre 1978 ; le premier Commissaire
est nommé en même temps que la mise en place du plan
d'aménagement des Hauts. En 1994, l'ensemble des Hauts est classé
en TRVP, ce qui conduit à une augmentation de la zone de massif à
La Réunion, ce qui nous vaut de disposer de communes qui vont
jusqu'à la mer et qui sont intégrées dans le plan
d'aménagement des Hauts. De plus, le classement en TRVP permet une
intervention préférentielle du fonds national
d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) sur la
zone.
Le Commissariat d'aménagement des Hauts de La Réunion met en
oeuvre le plan d'aménagement des Hauts. Par rapport aux autres
commissariats métropolitains, il bénéficie d'une approche
partenariale et originale. En effet, s'il s'intègre dans le
réseau des commissariats de la DATAR (à sa tête, le
commissaire est nommé par la DATAR sous l'autorité du
Préfet), depuis sa création en 1978, le Commissariat
bénéficie également d'un large partenariat avec les
collectivités locales, en particulier le conseil régional et
l'Europe. Depuis sa création, le Commissariat, tant pour le
fonctionnement des structures de terrain qu'au niveau de ses crédits
d'investissement, est entièrement financé par l'Etat, la
région, le département et l'Europe.
Le Commissariat et le plan d'aménagement des Hauts ont été
mis en place durant une période de fort rattrapage au niveau des
équipements et des infrastructures. Plus de 20 ans après, la
plupart des défis ont été relevés ou sont en passe
de l'être. Ainsi, les efforts ont principalement porté sur les
équipements, les infrastructures routières, l'alimentation en eau
et en électricité ; de même, les productions agricoles
ont été diversifiées, le développement du tourisme,
de l'artisanat et des services ayant été également
très important. Au fil des ans, l'image des Hauts s'est
inversée : celle de la qualité a succédé
à celle de retard et de handicaps. Pour autant, des efforts doivent
encore être poursuivis, compte tenu du contexte démographique.
En effet, la zone des Hauts voit sa population augmenter, de façon
parallèle à celle de l'ensemble de l'île. Or, compte tenu
de la saturation du littoral, cette zone de montagne va devoir accueillir d'ici
à 2020, une partie des 300 000 habitants nouveaux dont La Réunion
disposera. Aujourd'hui, si le rattrapage à effectuer n'est plus aussi
important, de nombreux atouts restent à développer.
La zone des Hauts a longtemps constitué un refuge pour les
« esclaves marrons » ou les « petits
blancs », ce qui en a fait une région préservée,
au milieu naturel exceptionnel, tant en termes de paysage que de patrimoine ou
de qualité des hommes que l'on y rencontre. Les Hauts peuvent donc
contribuer à relever les défis qui se posent à l'ensemble
de l'île, notamment en termes de création d'emploi, de protection
des espaces naturels, d'occupation maîtrisée du territoire et en
matière de cohésion sociale. Pour autant, les Hauts restent
fragiles du fait de l'enclavement ; de plus, nous sommes sur une île
volcanique, ce qui pose d'importants problèmes d'érosion tant en
termes de production agricole que de protection des biens et des personnes. Il
s'agit également d'une zone essentiellement agricole, sans pôle
urbain structuré. Des efforts doivent donc être effectués
pour développer les services, les logements, les équipements
publics et pour structurer les bourgs, comme cela a été
prévu dans le schéma d'aménagement régional (SAR).
Face à ces enjeux, les Hauts possèdent des ressources et des
atouts très importants. Ils constituent un réservoir d'espace
pour l'accueil de la nouvelle population ; l'agriculture est
moderne ; le tourisme rural est en plein essor ; le patrimoine
naturel et le cadre de vie sont exceptionnels et doivent continuer à
être valorisés.
Le plan d'aménagement des Hauts a été introduit dans le
contrat de plan du document unique de programmation (DOCUP) ; il se
traduit par 17 mesures spécifiques aux Hauts, en plus des mesures
de droit commun qui s'appliquent déjà à La Réunion.
Il est prévu une modalité d'intervention spécifique dans
les Hauts, sur la base d'un partenariat institutionnel fort entre l'Etat, la
Région, le Département et l'Europe. Entre 2000 et 2006, environ
91,5 millions d'euros seront disponibles pour mener des actions
spécifiques dans les Hauts. Après la période de rattrapage
que nous avons connue en termes d'équipements, d'infrastructures et
d'agriculture (l'élevage a été créé de
toutes pièces dans les années 70, ce qui a
nécessité l'étude des espèces et du fourrage
adaptés, des bâtiments d'élevage, des prairies mais aussi
la création d'AFP), nous continuons à travailler sur la
diversification de l'agriculture. Nous menons des expérimentations,
notamment en travaillant sur la mise au point d'une canne à sucre
adaptée aux zones d'altitude. Des actions sont aussi menées en
matière d'aménagement des terroirs, compte tenu des
problèmes importants d'érosion, ainsi que pour la valorisation et
la transformation des produits agricoles. Parallèlement, nous menons une
action spécifique au niveau du commerce et de l'artisanat, seulement
10 % des artisans étant situés dans les Hauts ; nous
avons mis en place une discrimination positive pour les artisans et les
commerçants qui souhaitent s'installer ou se diversifier dans les Hauts.
Enfin, une action importante est menée en matière de valorisation
touristique.
Par ailleurs, les communes mènent une action de structuration des bourgs
des Hauts, ainsi qu'une réflexion sur l'habitat, afin d'accueillir les
nouvelles populations. Ainsi, le sénateur Virapoullé
réfléchit à la création d'une ville nouvelle.
Enfin, je dois citer le travail mené sur la protection des habitats et
des biens dans les Hauts, du fait de l'érosion constatée. Pour
mettre en oeuvre cette politique de partenariat, nous nous appuyons sur
l'équipe de six personnes du Commissariat, ainsi que sur l'équipe
d'animateurs du plan d'aménagement des Hauts, cofinancée
également dans un cadre partenarial, qui, à l'image des
animateurs de développement local, met en oeuvre la politique du plan
d'aménagement des Hauts sur le terrain.
M. Vincent Le Dolley
- Nous ne disposons pas de chiffres
spécifiques en ce qui concerne l'agriculture des Hauts, les statistiques
s'arrêtant à des sous-communes qui ne recoupent pas
nécessairement la limite des Hauts. De plus, cette dernière ne
coïncide pas avec la limite de montagne, ce qui complique l'analyse.
L'agriculture de La Réunion regroupe 9 400 exploitations, ce
qui la situe dans le haut de la fourchette des départements
français, la surface moyenne étant en revanche moins
élevée. De plus, la répartition des exploitations fait
apparaître trois grandes masses à peu près
équivalentes : la canne à sucre, les fruits et
légumes, l'élevage, ainsi que des cultures traditionnelles comme
celle du géranium.
La zone des Hauts n'est pas spécialisée ou marginale, la seule
production qui n'est effectuée pratiquement que dans les Hauts
étant le géranium, pour des raisons climatiques.
Parallèlement, 40 % de la canne à sucre sont produits dans
les Hauts, contre 66 % pour les fruits et légumes et 80 % pour
l'élevage. Les chiffres ne définissent donc pas les Hauts et les
Bas comme coïncidant avec des productions spécifiques. Pour
n'être pas spécialisée, la zone des Hauts n'est pas non
plus marginale puisqu'elle accueille 60 % des exploitations agricoles. Les
Hauts regroupent donc de nombreuses exploitations et font l'objet d'une
pression foncière importante.
Par ailleurs, le ministère de l'agriculture a considéré
qu'il était justifié de classer l'ensemble de l'île comme
une zone à handicap naturel. En effet, même dans les très
Bas, on constate l'existence de différences de reliefs, de ravines, de
cailloux et de pentes qui justifient tout à fait ce classement au niveau
européen. En revanche, au sein de cette grande zone handicapée,
il est vrai que les situations sont diverses, ce qui nécessite la mise
en place de politiques différenciées. Au sein d'une grande zone
où tout le monde est potentiellement éligible, nous essayons de
mettre en place des différences de traitement, pour tenir compte des
coûts réels de transport, en fonction de la pente, du relief ou de
la qualité des sols.
Parallèlement, les politiques nationales s'appliquent, comme
l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN), qui concerne
l'ensemble de l'île. De plus, les politiques de contrats territoriaux
d'exploitation (CTE) sont bien adaptées à notre situation ;
ainsi, des CTE collectifs ont été réalisés,
à Cilaos et à Salazie, qui tiennent compte des difficultés
de ces zones. Une politique a été menée,
privilégiant plutôt les Hauts, en termes de quotas, notamment pour
l'élevage : l'objectif était d'apporter l'économie
dans ces zones et de privilégier la canne là où elle peut
pousser.
Par ailleurs, un rééquilibrage des ressources en eau est
effectué. En effet, les handicaps naturels de La Réunion ne sont
pas uniquement liés au relief mais aussi à la sécheresse
ou à l'excès d'eau dans d'autres zones. L'un des grands projets
menés a été de transférer les eaux
excédentaires vers les zones déficitaires, ce projet faisant
suite à d'autres, historiques, notamment à Cilaos. L'autre
politique consiste à mener une réflexion pour la mobilisation du
foncier. En effet, l'espace n'est pas suffisant pour que les agriculteurs
s'installent. Nous sommes donc dans une situation de pression foncière,
qui n'est pas courante en métropole, aussi bien dans les Hauts que dans
les Bas. Le ministère de l'agriculture et ses partenaires doivent donc
développer des politiques pour mobiliser au maximum les terres
disponibles (inventaire des zones en friche, politique anti-friche). Les Hauts
peuvent être dans certains cas des lieux d'implantations futures, afin
d'éviter que tout le monde ne s'installe sur les zones
côtières.
En matière d'environnement, nous disposons évidemment d'un
patrimoine exceptionnel, qui est préservé en grande partie parce
que son statut foncier est domanial, la gestion étant assurée par
l'office national de la forêt (ONF) pour le compte des
collectivités. Même si l'on peut toujours faire des critiques, ce
dispositif a permis la préservation à grande échelle d'un
patrimoine exceptionnel, notamment les forêts primaires, qui constituent
à la fois la fierté de l'île et un atout touristique
indéniable. De plus, une politique d'orientation régionale
forestière vient d'être mise en place, comme dans toutes les
régions françaises, qui privilégie la conservation des
forêts primaires, dans lesquelles la production du bois est donc exclue.
Nous disposons également de réserves biologiques et naturelles,
ainsi que de sites classés, les ZNIEFF (zones naturelles
d'intérêt écologique, faunistique et floristique) couvrant
65 % du territoire, ce qui constitue à la fois la preuve de
l'existence de notre patrimoine exceptionnel mais aussi une
difficulté ; en effet, tout projet doit fait l'objet d'une
étude approfondie de la situation, surtout pour les ZNIEFF de
première catégorie, dont les plus nombreuses se situent dans les
Hauts. Pour mémoire, le projet de création d'un Parc national
dans les Hauts fait l'objet d'un consensus entre la région, l'Etat et le
département. Ce parc, qui permettrait de consacrer la qualité
exceptionnelle du site, a conduit à la création d'une mission
d'expertise. Le premier enjeu en matière d'environnement est donc la
protection du patrimoine exceptionnel.
Le deuxième enjeu concerne les risques. En effet, dans les Hauts, la
pluie tombe abondamment ; le relief provoque de nombreux
éboulements de terrain ou des glissements de terrain. Nous avons donc
engagé une politique de Plan de prévention des risques, ce qui
n'est pas aisé car nous constatons que les experts sont peu nombreux
à pouvoir définir la réalité des risques au niveau
de La Réunion. Nous rencontrons donc quelques difficultés ;
nous avons le souhait que la politique de restauration des terres en montagne
(RTM) puisse nous aider en la matière. Pour l'instant, il n'existe pas
de service RTM à La Réunion, sans doute pour des raisons
budgétaires ou historiques ; nous souhaiterions pourtant
bénéficier d'un appui de la part de ces services.
Le troisième enjeu est celui de la pollution, La Réunion est une
zone propre et saine, du moins dans les Hauts. Pour autant, des sous-zones
accueillent des élevages de petite dimension, avec très peu de
foncier, que nous avons des difficultés à contrôler. De
plus, l'épandage est assez délicat car il nécessite le
transport du lisier et des fientes, ce qui est particulièrement
difficile sur nos routes. Globalement, la question des déchets,
agricoles ou urbains, est très importante ; un travail est
engagé en la matière, qui est essentiel si nous souhaitons
éviter que les touristes soient touchés par certaines nuisances
à l'avenir, notamment par la pollution olfactive. Parallèlement,
le risque de pollution des nappes phréatiques est relativement faible,
du fait des quantités importantes de pluie qui tombent sur notre
île.
Enfin, si La Réunion dispose d'un patrimoine exceptionnel et qu'elle est
ouverte sur le monde, elle a été envahie en 300 ans par des
espèces végétales et animales qui ont tendance à
coloniser l'espace et à perturber l'équilibre naturel
écologique. Un travail important est donc mené par les services
de l'Etat, notamment pour empêcher les importations anormales de plantes
ou d'animaux qui seraient susceptibles de nuire à l'équilibre
local. Ce sujet est important si nous souhaitons conserver notre forêt
primaire dans le même état qu'aujourd'hui.
M. Paul Vergès
- Pour La Réunion, le sujet dont s'est
emparé le Sénat est décisif. Au nom du conseil
régional et de la Chambre de commerce de La Réunion,
j'étais en tournée d'investissement dans les Comores ; je
suis rentré hier en avance pour assister à cette audition, avant
de repartir dès ce soir. En effet, je pense que cette question est
décisive et je répondrai évidemment par écrit
à toutes les questions posées. Le problème de la montagne
des Hauts se pose, en interaction avec le reste de la surface, dans des
conditions que nous ne pouvons pas imaginer en métropole. En effet,
à La Réunion, tout dépend de la montagne : 80 %
de la surface de l'île sont classés en zone de montagne ;
23 communes sur 24 relèvent de la politique de montagne.
Je pense que le premier problème est que La Réunion est une
île jeune géologiquement, dont les terrains sont encore instables.
D'ailleurs, il y a un peu plus d'un siècle, un village a
été enseveli à Grand Sable ; il y a quelques
années, un barrage a été emporté par une
rivière, ce qui a mis en danger toute l'agglomération de
Saint-Joseph. De même, le chantier de basculement de l'eau a
été interrompu par un éboulis. Nous possédons
également des routes de grande circulation, notamment le long du
littoral ; nous allons en construire une troisième car les deux
premières se sont révélées dangereuses suite
à des chutes de pierres et à des risques de descente de
plaques ; le cirque de Cilaos est également souvent isolé
par des éboulis. Cette question touche donc tous les secteurs.
Nous sommes également une île tropicale de 2 500
km
2
située en zone cyclonique, comprenant trois cirques
montagneux, des hauts plateaux habités de 1 500 à 2 000
mètres, ainsi que des sommets de 1 500 à 3 000
mètres. Du fait des fortes précipitations cycloniques, nous
disposons de vastes bassins versants, qui débouchent tous par une seule
rivière. Compte tenu de la surface du pays, le parcours des eaux de
pluie est particulièrement réduit. Or, en 1948, le cyclone a
créé des volumes d'eau comparables à celui du Rhône
en crue à Lyon. Nous faisons donc face à un problème
considérable. De fait, les pertes en eau sont nombreuses et les morts
causées par les cyclones sont provoquées à près de
100 % par l'eau (noyades lors des tentatives de passage des
rivières ou dans les maisons emportées).
Dans ce cadre, l'occupation de l'espace a conduit à saturer le littoral.
Cela pose des problèmes de protection des villes, des ravines... De
plus, tout le littoral est occupé, alors que nous devrons loger entre
250 000 et 300 000 habitants supplémentaires dans les 20
ans qui viennent ; cela ne sera possible que dans les Hauts. Cela pose la
question de la sécurité des logements, de la protection des
terres agricoles et des infrastructures. Nous construisons actuellement deux
lycées tous les trois ans et un collège par an. En fait, un
apport de 250 000 habitants supplémentaires correspond à la
population totale de La Réunion en 1946 ; 300 000 habitants de
plus équivalent à la population de l'île en 1960.
Parallèlement, nous devons prendre en compte l'agriculture, notamment
dans le cadre de l'érosion. En effet, La Réunion est l'un des
pays du monde les plus gravement atteints en la matière : il s'agit
d'une montagne de 50 kilomètres de base et de 3 kilomètres de
sommet. Si la canne tient la terre aujourd'hui grâce à son
système de racines, la culture du géranium, à une
époque où La Réunion était le premier producteur du
monde, a conduit à défricher dans les Hauts, ce qui a atteint le
couvert forestier.
Par ailleurs, nous nous situons dans la zone où les changements
climatiques qui s'annoncent du fait de l'effet de serre vont être les
plus rapides et les plus sensibles. La planète se réchauffant,
l'évaporation de l'Océan Indien sera plus importante et les
cyclones seront donc plus forts et apporteront un plus grand volume de pluie.
Nous courons donc au désastre, sachant qu'il faut tenir compte des
engrais utilisés dans l'agriculture cannière, des
problèmes des eaux d'assainissement, de la pollution des lagons et de
l'augmentation des coraux qui commencent à blanchir du fait de la hausse
de la température. Il s'agit du même phénomène que
celui qui est constaté sur les atolls du Pacifique. A terme, si la
barrière de corail meure, la houle passera par-dessus, entraînant
ainsi la destruction des plages.
Dans le domaine de l'eau, le choix en termes d'alimentation a toujours dû
être effectué par les maires entre le pompage des nappes
phréatiques et l'utilisation des eaux de ruissellement, sachant que ces
dernières sont plus faciles à utiliser. Toutefois, souvent, nous
interrompons ainsi le cycle de l'eau qui va à la mer, alors qu'elle
permet à la faune de nos rivières de naître dans cette mer.
Si nous captons les rivières, l'eau n'arrive plus à la mer, ce
qui interrompt le cycle de la vie et conduit les rivières à
être désertifiées ; il s'agit là d'un
énorme problème. Pour répondre aux besoins de
l'agriculture, aux besoins humains et de l'activité industrielle future,
nous devons mieux connaître nos ressources afin de mieux les utiliser. La
nappe phréatique doit fournir actuellement environ 53 % de la
consommation humaine ; si nous captons les eaux de ruissellement pour
l'irrigation, les nappes ne sont plus alimentées. De plus, nous nous
demandons pourquoi, pour l'irrigation, nous avons utilisé en
priorité les cirques où les volumes d'eau étaient les plus
faibles (Cilaos, Les Galets, Salazie). Nous n'avons pas suffisamment
exploré les nappes élevées puisque la construction du
tunnel de basculement de l'eau de Salazie sur la rivière des Galets est
actuellement interrompue : nous avons trouvé une nappe qui diffuse
400 litres d'eau par seconde et qui se répand dans le tunnel ;
cette nappe d'eau potable aurait évidemment pu faire l'objet d'une
étude préalable. Parallèlement, nous devons
déterminer la façon de réutiliser dans l'est le bassin
versant le plus arrosé, qui rejette à la mer
500 000 m
3
d'eau par jour, ce qui représente les
deux tiers de l'eau nécessaire pour l'irrigation de l'ouest. Avec
l'Europe, nous avons dépensé 335 millions d'euros pour
basculer une quantité d'eau mais nous en rejetons les deux tiers
à la mer.
Le Sénat doit se pencher sur ces questions. D'ailleurs, à
l'occasion du Congrès des présidents des conseils
généraux, pourquoi nos collègues ne consacreraient-ils pas
une journée à la visite des Hauts en
hélicoptère ? Cela leur permettrait de prendre conscience
des difficultés que nous rencontrons. Il serait ensuite possible de
déposer un texte à partir des enseignements tirés, afin
d'assurer l'avenir des Réunionnais. De plus, les îles
environnantes sont analogues à la nôtre ; toutes les bonnes
actions menées chez nous serviront donc d'exemple à l'île
Maurice, aux Seychelles, aux Comores ou à Madagascar.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour cet exposé
enrichissant qui souligne bien la singularité de l'île par rapport
à sa situation climatique, géologique et volcanique. Je souhaite
poser la question de la nature des risques. Le service Restauration des terres
en montagne ne couvre qu'une partie des territoires montagneux
français ; la particularité des risques de l'île de la
Réunion mériterait l'installation d'une antenne et l'organisation
de formations adaptées.
Mme Anne-Marie Payet
- Monsieur Hoareau souhaiterait intervenir sur le
tourisme et je souhaiterais présenter la situation des
collectivités locales.
M. Axel Hoareau
- Dans une île, le tourisme est un moteur
économique assez important, d'autant plus que les autres moteurs sont
assez peu nombreux, notamment dans les Hauts. Lorsque nous avons lancé
le plan d'aménagement des Hauts en 1978, le tourisme était l'un
des piliers de l'activité économique, comme l'agriculture. La
difficulté que nous rencontrons aujourd'hui est que nous ne pouvons pas
vraiment parler de « tourisme de montagne ».
Peut-être s'agit-il plutôt de tourisme rural ou
d'arrière-pays de littoral ; nous nous interrogeons sur ce type de
tourisme. Dans tous les cas, le territoire doit satisfaire à la fois les
besoins de loisir des Réunionnais, qui sont captifs, mais aussi ceux des
touristes hébergés sur le littoral. D'ailleurs, la plupart des
sites visités par les touristes aujourd'hui se situent dans les Hauts de
l'île.
Le tourisme en montagne a connu des évolutions contrastées par le
passé ; nous sommes passés de la splendeur à la
décadence. La splendeur a duré de 1850 à 1900,
époque à laquelle la clientèle locale montait prendre le
frais dans les Hauts durant quatre à six mois, ce qui apportait de
l'économie en matière d'hôtellerie, de guides et de
porteurs. La découverte des vertus des eaux thermales a aussi
contribué à développer ce type de tourisme, avant que la
fréquentation ne se réduise peu à peu.
A partir de 1950, une classe moyenne de fonctionnaires, aux moyens financiers
plus importants, est venue profiter des eaux thermales mais aussi du
climatisme. En effet, à l'époque, les grandes vacances scolaires
duraient du 19 décembre à la fin du mois de mars. La population
qui avait les moyens montait donc dans les Hauts prendre le frais pour fuir la
chaleur du littoral. Ensuite, l'arrivée de fonctionnaires
métropolitains a conduit à une évolution progressive de la
demande de la clientèle en direction du littoral ; dans les
années 70, le tourisme a donc totalement disparu dans les Hauts.
Entre 1975 et 1978, le plan d'aménagement des Hauts a tenté de
relancer le tourisme par une approche volontariste. Des actions ont donc
été menées, notamment par la mise en place de gîtes
de France, de gîtes ruraux, de chambres d'hôtes ou d'hôtels
Logis de France, grâce à des moyens financiers importants
apportés par les collectivités locales et l'Etat (ils proviennent
aujourd'hui également de l'Europe mais ne financent qu'un quart des
aménagements totaux de l'île). Des actions ont été
conduites au sein de la filière de restauration par la mise en place de
tables d'hôtes, de fermes auberges, d'auberges de campagne et de
restaurants, ainsi que pour favoriser la structuration des territoires.
Parallèlement, des actions ont été menées sur les
loisirs de pleine nature (randonnée pédestre, canyoning, VTT,
escalade). Enfin, des actions moins importantes sont conduites au sein de la
filière des loisirs culturels et du patrimoine, au sein de laquelle il
reste beaucoup à faire, comme pour la filière artisanale et
agroalimentaire.
Des initiatives sont également prises en matière de sites et de
paysages. En effet, les touristes visitent La Réunion pour la
qualité et la beauté de ses sites et de ses paysages. A ce titre,
les Hauts de l'île représentent les sept ou huit dixièmes
des territoires les plus beaux, que les touristes visitent sur un ou deux
jours, en dormant une nuit sur place. Les résultats des
différentes politiques sont donc positifs ; le plan marketing mis
en place en 1993 et 1998 place les Hauts comme l'une des principales
composantes du tourisme de l'île. Sans les Hauts, le tourisme serait donc
bien pauvre au sein de l'île puisque nous ne bénéficions
pas du même littoral que nos voisins mauriciens ou seychellois.
Trois grandes caractéristiques peuvent être définies :
la suprématie de la montagne (paysages érodés et reliefs
impressionnants), la puissance de la nature, sa diversité. En fait, nous
passons très rapidement d'un site à un autre, du stade
minéral au stade végétal, de la forêt primaire au
volcan. Cette diversification peut être constatée sur un espace
très réduit, ce qui constitue la richesse la plus importante de
l'île aujourd'hui. Les Hauts forment l'acceptation la plus forte de
l'île ; il faut donc contribuer le plus possible au
développement du tourisme.
Pour autant, seulement 12 % des structures d'hébergement se situent
dans les Hauts. En fait, la proximité du littoral et des Hauts (1
à 2 heures de trajet) fait que les touristes préfèrent
à 80 % dormir sur le littoral et visiter les sites sur la
journée. Le littoral constitue un véritable porte-avions duquel
les touristes décollent pour la journée, avant de revenir s'y
poser tous les soirs. Il est important pour nous de capter une partie de cette
clientèle sous forme de retombées économiques
(restauration, loisirs, produits artisanaux) ; toutefois, cela nous semble
relativement insuffisant pour assurer aux habitants des Hauts un
développement durable. Nous essayons donc de faire en sorte que se
développent, non pas des séjours sur le littoral, mais des
circuits en étape qui fassent fonctionner tous les villages, grâce
à la randonnée pédestre ou à la voiture. Nous
souhaitons que les touristes y trouvent leur compte : ces séjours
leur permettent d'être présents sur les sites le matin de bonne
heure, sans être obligés de se lever trop tôt et en
évitant les embouteillages ; ils peuvent ainsi profiter des
meilleures conditions possible de visite, avant que les nuages ne se
développent sur les montagnes. Dans ce cadre, nous avons lancé le
concept de villages créoles, qui va nous permettre de valoriser ces
villages et de donner à la population tous les outils nécessaires
pour accueillir les touristes et leur offrir l'hébergement, la
restauration, l'animation le soir et les contacts avec les habitants.
Voilà quel est le projet de développement du tourisme dans les
Hauts.
Mme Anne-Marie Payet
- Avant d'aborder la question des
difficultés financières des communes des Hauts, permettez-moi
d'apporter quelques précisions en matière de finances locales.
Aux recettes fiscales habituelles et aux dotations de l'Etat, s'ajoute l'octroi
de mer, taxe sur la plupart des produits importés, qui est
principalement reversé aux communes et qui représente une somme
de 184 millions d'euros. Une partie de cette taxe, ainsi qu'une taxe
additionnelle à l'octroi de mer, alimente aussi le budget de la
région pour 46 millions d'euros. L'objectif de cette taxe est aussi de
protéger les productions locales. Les critères de
répartition de certains crédits ne reflètent pas toujours
la réalité et conduisent à des paradoxes. Ainsi, la
commune de La Plaine des Palmistes est considérée, du fait de son
potentiel fiscal, comme l'une des plus riches, ce qui est faux. Globalement,
peu de communes sont endettées à La Réunion ;
néanmoins, cinq ont atteint le niveau d'alerte et révèlent
un taux d'endettement important. En matière d'aides européennes,
La Réunion fait partie de l'Objectif 1 et près d'1,5 milliard
d'euros sont inscrits au titre du DOCUP 2 pour la période 2000/2006. Les
financements européens sont très présents pour la
réalisation des infrastructures, en tout cas plus que la moyenne
métropolitaine. Malgré tout, le déblocage de ces fonds est
très long et certaines communes peuvent être en situation de
rupture de trésorerie, ce qui les oblige parfois à solliciter les
banques ou à demander des avances aux autres collectivités
locales.
Je souhaite maintenant vous exposer les difficultés que rencontrent les
communes les plus éloignées du littoral, qui se situent dans
l'ensemble à plus de 1 000 mètres d'altitude. La Plaine des
Palmistes, Salazie et Cilaos sont les communes les plus enclavées ;
elles trouvent leur origine dans une accumulation de facteurs communs. Le
premier est l'absence ou l'insuffisance d'industries. Dans les communes des
Hauts, l'industrie est parfois totalement absente ou ne concerne que
l'embouteillage des eaux ou quelques petites unités d'industrie
laitière. Cela entraîne une faible ressource fiscale pour les
communes et une inactivité pour les populations concernées. Le
deuxième facteur est le fort taux de chômage, qui confronte la
municipalité à une forte demande de contrats aidés. Les
charges de personnel représentent 60 % des charges de
fonctionnement dans nos communes, contre 40 % pour la moyenne nationale.
Le troisième facteur est lié au relief et au climat, les fortes
pentes entraînant des frais supplémentaires pour la
réalisation des infrastructures, notamment de voirie, les
dégâts étant de plus en plus fréquents du fait des
glissements de terrain qui se produisent dans des secteurs difficilement
accessibles lors des périodes cycloniques.
Par ailleurs, la protection contre les crues des ravines met en évidence
un programme important de travaux à réaliser. A La Plaine des
Palmistes, ces travaux coûteraient 7,6 millions d'euros ;
à peine le quart a été réalisé en
12 ans faute de crédits suffisants, alors que des zones
habitées sont menacées. De plus, l'enclavement constitue un frein
au développement économique. Ainsi, cette année, la
commune de Cilaos a été coupée du monde pendant plus de
deux semaines, après que le cyclone Dina ait emporté une partie
de la route nationale. Les travaux nécessaires à la consolidation
et à la sécurisation de cette unique voie d'accès n'ont
toujours pas été réalisés, faute de crédits
suffisants, alors que la saison des pluies va reprendre dans quelques mois. Il
faut aussi souligner l'absence ou l'insuffisance des structures de loisir, qui
pourraient pourtant favoriser les séjours touristiques plus longs.
En conclusion, je tiens à souligner que le relief particulier de notre
île induit de nombreuses difficultés, auxquelles les communes des
Hauts doivent faire face. Bien qu'aidées par des dispositifs financiers,
les communes sont confrontées à des investissements si lourds que
beaucoup d'entre elles ne peuvent pas mettre en place dans les délais
souhaités les équipements et les infrastructures
nécessaires à la protection de la population et au
développement économique. Les collectivités
réunionnaises ont su prévoir le développement du
département mais cela nécessite des moyens financiers très
importants. Une aide plus substantielle de la part de l'Europe en faveur des
zones de montagne est souhaitable. L'article 1
er
de la loi relative
au développement et à la protection de la montagne énonce
la solidarité de la nation, caractérisée par la promotion
d'une démarche de développement local, en valorisant les
aptitudes aux productions locales, à la diversification des
activités économiques et au développement des
capacités d'accueil et de loisir, notamment du thermalisme. Dans ce
domaine, je regrette qu'une commune à vocation thermale comme Cilaos ne
puisse être classée « station
thermale touristique », avec toutes les retombées que
cela représenterait, du fait de l'insuffisance du réseau
d'assainissement. Cilaos est jumelée à Chamonix et des groupes de
sportifs viennent régulièrement participer au cross du Piton des
Neiges, les sportifs de Cilaos participant au cross du Mont-Blanc. Des liens
d'amitié se sont créés entre les deux villages ; cela
me semble très important.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour vos contributions. Je
souhaite revenir sur les questions agricoles et foncières. Que
représentent les AFP, que vous avez évoquées, en nombre et
en surface ? Depuis quand existe-t-elles sur l'île ? Comment
fonctionnent-elles ? Face à la pression foncière, avez-vous
imaginé la création d'instruments publics fonciers, qui sont
prévus par notre dispositif juridique ? Quel type d'élevage
vit sur l'île ? Quelles sont les espèces ? Les
filières existent-elles et méritent-elles d'être soutenues
et animées, par exemple dans le domaine floral, fruitier ou de
l'élevage ?
Parallèlement, vous avez évoqué le projet de
création d'un parc naturel national. Avez-vous songé à la
création d'un parc naturel régional, dont la formule semble plus
souple et mieux correspondre aux préoccupations locales pour la plupart
des interlocuteurs que nous avons rencontrés jusqu'à
présent ?
Par ailleurs, d'où provient l'énergie dont la population de
l'île a besoin ? Disposez-vous de sources d'énergie
hydroélectrique ? Enfin, les couverts forestiers étant
importants, quels sont les types d'exploitations forestières ?
M. Jean Boyer
- Peut-on considérer que La Réunion pourrait
disposer d'une autonomie, compte tenu de son évolution
démographique ? Parviendrait-elle à l'autosuffisance
alimentaire et économique ?
Par ailleurs, les structures agricoles sont-elles plutôt individuelles ou
collectives ? Quelle est la taille de la surface agricole utile
(SAU) ? De plus, je crois savoir que La Réunion est très
riche en flore. Existe-t-il un projet de conservatoire en la
matière ? L'agriculture réunionnaise subit-elle les
mêmes évolutions successives qu'ailleurs dans le domaine
technique ?
Enfin, quel est le tourisme le plus attractif entre celui qui concerne les
plages et celui qui touche la montagne ?
M. Vincent Le Dolley
- Avant d'avoir un établissement public
foncier, nous disposions d'une SAFER très dynamique à La
Réunion, qui a mené des opérations structurantes de
redistribution des terres, lorsqu'il existait des propriétés
importantes qui pouvaient donner lieu à l'installation
d'agriculteurs ; la SAFER intervient également en matière de
terres incultes. Il s'agit donc d'un opérateur foncier majeur. Pour
autant, à La Réunion, les questions agricoles sont rarement
déconnectées des problèmes généraux ;
nous disposons donc d'un d'établissement public foncier, qui va
instituer une réserve foncière, en collaboration avec la SAFER.
Cela est essentiel si nous souhaitons éviter la concurrence
désorganisée en la matière, surtout dans les zones
périurbaines ou faciles à construire.
En matière d'élevage, vous devez vous convaincre que les
filières réunionnaises sont très modernes, identiques
à celles qui existent en métropole. Un grand groupe
coopératif fonctionne depuis des années, sur le modèle
métropolitain. La difficulté est que l'espace n'est pas
très important et que les besoins de l'île ne sont pas couverts en
totalité par l'élevage moderne ; nous ne sommes donc pas
autosuffisants. Nous produisons des produits haut de gamme (produits frais et
labellisés). De plus, on constate une grande solidarité entre les
éleveurs, les importateurs et la grande distribution. Ainsi, le
président des éleveurs est l'un des responsables de la grande
distribution. Il n'y a donc pas d'opposition entre le monde de la production et
de la distribution. Parallèlement, un élevage plus traditionnel
existe également, notamment destiné à l'abattage rituel.
Concernant les fleurs, les fruits et les légumes, les circuits sont
plutôt courts et directs (nous parlons de
« bazardiers »), comme dans le midi de la France, les
organisations de producteurs étant peu nombreuses. C'est un handicap
pour l'exportation, notamment des fleurs, des letchies ou des ananas, qui
nécessite des opérateurs plus solides. Des initiatives sont
menées dans ces secteurs pour développer l'organisation mais
elles restent encore balbutiantes.
M. Jean-Paul Amoudry
- Disposez-vous d'abattoirs ?
M. Vincent Le Dolley
- Nous disposons d'un abattoir principal pour les
ovins et les porcins et de deux abattoirs pour les volailles. Ils sont tous
contrôlés et respectent les normes nationales. D'ailleurs, les
consommateurs, y compris les touristes, considèrent que les produits
réunionnais sont plutôt haut de gamme, tant sur le plan
phytosanitaire que qualitatif.
M. Jean Boyer
- Quelles sont les races de bovins que vous
élevez ?
M. Vincent Le Dolley
- Il s'agit essentiellement de blondes d'Aquitaine,
des Limousines ou éventuellement croisées avec des races locales
africaines. On trouve également quelques charolaises.
Mme Anne-Marie Payet
- Je précise que nous n'avons pas
été touchés par la crise de la vache folle.
M. Vincent Le Dolley
- En matière forestière, pour
l'essentiel, l'île est recouverte par une forêt de protection et
une forêt de tourisme. Compte tenu de l'importance de la forêt que
nous devons protéger en tant que patrimoine de l'humanité (du
fait de la présence de nombreuses plantes endémiques), nous ne
disposons pas d'un grand espace pour les forêts cultivées. A une
époque, nous étions moins attentifs en la matière et des
tentatives de déboisement ont eu lieu, ainsi que de plantation d'arbres
poussant rapidement, qui sont malheureusement plus fragiles en cas de cyclone.
Nous nous posons des questions sur le renouvellement de ces plantations dans le
futur ; la tendance est plutôt de privilégier les
espèces endémiques, notamment le tamarin, qui est sans doute le
plus valorisé culturellement et financièrement par l'artisanat
traditionnel. L'économie de la filière bois reste très
réduite puisque nous ne produisons que 5 % à 10 % des
besoins de la région.
L'objectif n'est pas d'atteindre l'autosuffisance de La Réunion. Pour
autant, nous exportons beaucoup de sucre de canne, dont la demande augmente en
Europe et sur le plan national. Parallèlement, nous importons des
produits qui ont vocation à être fabriqués dans les zones
tempérées.
Enfin, la SAU globale est de l'ordre de 30 000 hectares, la moyenne d'une
exploitation étant de 6 à 7 hectares ; il s'agit donc
de petites exploitations intensives. En fait, l'agriculture réunionnaise
fait vivre de nombreuses personnes (de l'ordre de 15.000 personnes).
M. Jean Boyer
- Quelle est la surface de La Réunion ?
Mme Anne-Marie Payet
- Elle est de 2 500 km2.
M. Vincent Le Dolley
- Dans le domaine de l'élevage, la
production est très structurée autour de coopératives.
Pour la canne à sucre, la production a été le fait
historiquement de grandes propriétés, la distribution
s'effectuant progressivement. Au fur et à mesure de la redistribution,
se sont constituées des coopératives d'utilisation de
matériel en commun (CUMA), des SICA avec des structures d'appui. En
fait, la structuration du milieu se réalise grâce aux deux grandes
usines qui existent sur l'île, l'une dans le nord et l'autre dans le sud.
Enfin, la production est plutôt coopérative pour la vanille, les
géraniums et toutes les petites cultures.
M. Paul Vergès
- L'agriculture a toujours dépendu de
marchés extérieurs. Depuis la moitié du
19
ième
siècle, nous sommes une île de
monoculture cannière, ce qui a été déterminant pour
l'implantation. Aujourd'hui, une ceinture de bourgs tombe en déclin et
devra être restructurée ; il s'agit des bourgs qui ont
été au coeur du déploiement de la surface cannière,
depuis le littoral jusqu'à 600 ou 800 mètres. Ils ont donc
joué un rôle très important.
De plus, à partir de la récolte de 1932, la production de la
canne a été organisée, ce qui a donné lieu à
la fixation d'un contingentement et d'un prix. A la sortie de la guerre, il
existait de 23 000 à 25 000 petits planteurs de canne
à sucre, quelques grandes propriétés et 14 usines
sucrières. Il reste aujourd'hui deux usines sucrières, l'une au
nord et l'autre au sud, et 5 000 livreurs de canne.
Par ailleurs, nos productions dépendant d'un domaine extérieur
influencent l'aménagement du territoire. Pour la canne à sucre,
la plantation en fonction des lignes de niveau constitue un moyen efficace de
protection des sols. En revanche, à plus de 800 mètres, la
plantation de géranium a nécessité la
déforestation, entraînant l'érosion et exigeant la
plantation et la diffusion des acacias. Nous sommes donc très sensibles
à l'environnement extérieur.
Nous sommes entourés de pays qui font partie des « moins
avancés » : Madagascar, Les Comores, le Mozambique, la
Tanzanie... Or une directive de Bruxelles permet de faire entrer dans l'Union
européenne tous les produits agricoles de ces pays, notamment le riz (du
Surinam), la banane (des Antilles) et le sucre. C'est pourquoi des
délais ont été accordés jusqu'à 2006 et
2009, afin de nous permettre de faire face à ces arrivées de
nouveaux produits.
Il faut six à huit ans pour qu'une souche de canne pousse et puisse
être récoltée. Le sort du sucre à La Réunion
à l'horizon 2006/2009 dépend donc de la confiance des planteurs
dans la replantation aujourd'hui. Face à cette situation, il est
possible de mettre en avant la spécificité de nos régions
et de maintenir la production grâce à des aides et à des
subventions. Pour sa part, l'île Maurice a décidé d'acheter
100 000 hectares de concessions de cannes au Mozambique, ce qui
représente quatre fois la surface de la canne à La
Réunion, et de produire du sucre qui pourra entrer en Europe.
Par ailleurs, il est évident que le développement de n'importe
quel pays dépend de l'énergie. Or notre mimétisme avec le
monde occidental fait que l'augmentation annuelle de la consommation
d'électricité est de 7 % à 8 %
(électroménager, logements, climatisation), ce qui nous oblige
à doubler notre production dans les dix prochaines années ;
cela constitue un pari fou. De plus, nos capacités classiques sont
épuisées ; dans le domaine hydraulique, nous avons
utilisé les principales possibilités. Il nous reste à
avoir recours à la biomasse, c'est-à-dire les résidus du
traitement de la canne à sucre, ce qui nous permet d'obtenir
700 000 à 800 000 tonnes de bagasse, qui fermentent, qui
sentent mauvais, qui provoquent un rhume saisonnier et qui asphyxient les
coraux. La bagasse est utilisée désormais pour la production de
l'électricité ; enrichie en charbon, elle permet de
satisfaire actuellement 30 % de notre consommation, ce qui est
énorme. Nous utilisons également le fioul.
Nous allons tenter d'utiliser d'autres sources. Ainsi, un bilan éolien a
été effectué, qui fait apparaître que nous pourrions
produire 100 MW. De fait, nous allons commencer à construire des fermes
éoliennes sur 15 sites, ce qui nous permettra d'atteindre une production
importante, notre objectif ayant été fixé à 30 MW
dans les quatre à cinq ans qui viennent.
Parallèlement, pour résoudre le problème de
l'électricité, les tarifs EDF font l'objet d'une contribution de
la commission de régulation de l'électricité (CRE),
d'environ 300 millions, afin que nous bénéficiions des
mêmes prix qu'en métropole. Cette somme ne peut qu'augmenter du
fait de la demande croissante en raison de l'activité ou de la
démographie. Il nous faut, compte tenu de la consommation domestique qui
représente les deux tiers de la consommation
d'électricité, annuler l'augmentation de 8 %, grâce
aux économies d'énergie, à l'installation de chauffe-eau
solaires (40 000 l'ont déjà été, 6 000 le
sont par an, contre 3 000 en France métropolitaine), à
l'électricité solaire par les cellules photovoltaïques (pour
laquelle le prix de rachat par EDF est de 0,30 euros le kW). L'objectif est
d'utiliser les cellules photovoltaïques pour tous les grands
équipements (lycées, écoles, collèges,
sièges, zones industrielles...). Cela devrait nous permettre
d'enregistrer un retour sur investissement au bout de neuf ans et de compenser
l'augmentation annuelle, avant de la réduire si nous équipons
l'ensemble des habitations de La Réunion.
Dans quelques mois, une rencontre doit avoir lieu avec les experts
français du BRGM, de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis
concernant les premières recherches en matière de
géothermie. L'objectif serait de reproduire ce que font
déjà les Guadeloupéens à Bouillante, mais à
une plus grande échelle. Les interprétations des premiers
résultats seront effectuées à cette occasion. Nous
disposons déjà de l'expérience de Big Island à
Hawaï, dont la centrale géothermique permet d'atteindre l'autonomie
en matière de production électrique.
Enfin, nous sommes en zone tropicale, entourés par une mer à
forte houle, qui frappe sur toute notre côte rocheuse, depuis
l'Etang-Salé à Sainte-Rose, et dont nous pourrions capter la
force. La région va envoyer une mission dans une île d'Ecosse
où le problème a été résolu puisque la houle
permet de créer l'électricité par le biais d'une centrale
spécifique. Pour éviter l'effet dévastateur de cette houle
violente, une surface extrêmement résistante reçoit le
choc, qui comprime l'air, ce dernier conservant l'énergie et la
transmettant pour faire tourner les turbines. Si nous mettons en oeuvre cette
solution, l'autonomie énergétique de La Réunion pourrait
être assurée grâce au soleil, au vent, à la houle et,
à l'avenir, au volcan. Notre île pourrait alors devenir une base
de formation et d'exportation des connaissances pour l'utilisation de ces
énergies renouvelables et propres.
M. Jean-Paul Amoudry
- Le nucléaire est donc totalement absent de
l'île... Cette dernière est soumise à de nombreux
phénomènes naturels ; elle constitue un véritable
laboratoire.
M. Paul Vergès
- Nous disons nous-mêmes que La
Réunion doit être un vrai laboratoire pour mettre au point de
nouvelles solutions.
M. Jean-Paul Amoudry
- Concernant l'eau et les hauts bassins versants,
la station touristique de Megève organisera un colloque international en
septembre prochain sur les problématiques de la gestion des cours d'eau,
des pluies torrentielles et de l'érosion, ainsi que sur les
différentes attentes (consommation domestique, usages agricoles,
utilisations ludiques, neige de culture). La ressource en eau se réduit
actuellement, alors qu'elle fait l'objet de convoitises de plus en plus
nombreuses. Si vous êtes de passage ou si ce thème vous
intéresse, je vous invite à participer à ce colloque qui
accueillera de très grandes sommités.
Je vous remercie pour vos commentaires sur les aspects agricoles et
énergétiques. Je pense que nous avons pratiquement
épuisé le sujet.
M. Paul Vergès
- Pouvons-nous espérer, Monsieur le
Président, qu'à l'occasion du Congrès des
présidents des conseils généraux, les
problématiques de La Réunion soient abordées, par exemple
après un survol de l'île ?
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous n'avons pas compétence pour
influencer l'ordre du jour des travaux du Congrès des Présidents
de Conseils généraux.
M. Paul Vergès
- Nous autorisez-vous à rencontrer le
président du conseil général de La Réunion pour
qu'il suggère à ses collègues de consacrer une part des
travaux du Congrès à la visite des zones montagneuses de
l'île et à l'écoute des premières conclusions de la
mission ?
M. Jean-Paul Amoudry
- En effet. Nous en serons à la phase de
présentation de nos propositions, le travail devant être
terminé à la fin du mois de septembre.
Je vous remercie pour votre contribution, en regrettant une nouvelle fois de ne
pas avoir pu vous rendre visite dans le temps qui nous était
imparti ; nous espérons pouvoir le faire dans le cadre des travaux
du groupe Montagne du Sénat.
48. Audition de M. Pierre Hérisson, sénateur, président du groupe d'études Postes et Télécommunications du Sénat (24 juillet 2002)
M.
Pierre Hérisson
- Chers collègues, Mesdames, Messieurs, au
nom du groupe d'étude Postes et Télécommunications du
Sénat que j'ai l'honneur de présider et de la Commission
supérieure du service public des Postes et
Télécommunications que je préside par intérim en
attendant que l'Assemblée nationale nous permette de
réélire un président à la rentrée
parlementaire, nous avons essayé d'apporter une contribution de ces deux
instances à l'adresse de votre mission d'information. Pour cela, nous
vous avons remis des documents, qui répondent à la grille de
questions que vous m'avez adressée pour l'audition d'aujourd'hui. Je
vous propose de faire un commentaire synthétique et de verser le
document de travail que nous avons réalisé, qui apporte un
éclairage plus complet et précis, parfois en contradiction avec
les informations fournies par la DATAR à la suite du CIADT de Limoges,
en particulier en ce qui concerne les études menées sur la
couverture territoriale dans les départements montagneux.
Il existe des différences notables entre les mesures de l'Etat et celles
qui ont été réalisées. Chaque département a
choisi son prestataire et accepte le cahier des charges commun à toutes
les conventions. Chacun reconnaît la qualité de cette
opération, menée selon une méthode beaucoup plus
précise et fiable que celle qui avait été retenue par la
DATAR : je parle ici du travail réalisé par l'ADF
(Association des départements de France) et l'autorité de
régulation des télécommunications (ART). Au sein de ces
deux instances, où se concentrent les informations, aucun tri
sélectif suffisamment précis n'a été entrepris pour
réaliser une synthèse sur les problèmes spécifiques
de la montagne. Nous le déplorons. Cela pourrait être un sujet
proposé à un étudiant ou à un expert, qui
apporterait un complément à l'étude globale.
En effet, la montagne ne peut pas être traitée comme le reste du
territoire, en ce qui concerne les couvertures, qui sont liées
essentiellement au relief, problème qui ne se pose pas en zone de
plaine. Nous pouvons cependant extrapoler sans trop de risque et dire que les
stations de ski sont plutôt bien couvertes, à quelques exceptions
près, ou le seront rapidement. Il est vrai que les Jeux Olympiques de
1992 ont apporté aux vallées de la Savoie une couverture totale
qui était assurée par France Télécom à
l'époque. Parallèlement, les sommets qui n'accueillent pas de
skieurs sont en « zone blanche ». En fait, ce sont les
zones intermédiaires qui posent problèmes, parce qu'elles
accueillent les routes à grand trafic et où les facilités
sont plus nombreuses pour garantir la couverture. Ailleurs, il est
nécessaire de s'appuyer sur les nouvelles mesures de zone blanche pour
obtenir une réponse précise.
Chaque département dispose aujourd'hui des moyens, des connaissances et
des compétences pour affiner sa carte de couverture à des
coûts raisonnables, ces coûts étant correctement
maîtrisés dans ce genre d'étude. Les estimations du
coût global ont été bâties à partir des
chiffres globaux de la DATAR. Le volume global des investissements a
été calculé à partir du nombre estimé de
pylônes nécessaire pour couvrir la France, en tenant compte d'une
disposition imposant l'itinérance locale. Aucune répartition plus
fine n'a été affichée. Le rapport remis au gouvernement
relevait que la moitié des zones non couvertes se situait au-dessus de
700 mètres d'altitude, ce qui concerne donc les zones de montagne.
Je voudrais également examiner l'impact du changement de gouvernement
face à cet écart constaté. Tout est-il remis en
cause ? Heureusement, non ! Une volonté a été
exprimée, y compris par Monsieur Mer et Madame Fontaine devant la
commission des affaires économiques du Sénat, qui vient
préciser les choses. Le nouveau gouvernement a confirmé les
engagements financiers de l'ancien ; nous aurons sans doute l'occasion
d'en reparler. En effet, la loi de finances devra apporter la confirmation des
promesses, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
Comment ont été mises en oeuvre les mesures du CIADT de Limoges
s'agissant de la couverture du Massif Central ? Quelle a été
la participation des collectivités locales concernées, de l'Etat
et des opérateurs ?
Les décisions du CIADT avaient été revues à
l'occasion de la révision des modalités d'attribution des
licences UMTS. Après avoir été allégés d'une
partie du coût des licences UMTS, Orange et SFR ont accepté
d'accroître leur participation à la couverture des mobiles mais en
contrepartie ont refusé de souscrire à l'obligation
d'itinérance, écartant de ce fait le troisième
opérateur, Bouygues. En zone de montagne, le problème de Bouygues
en matière d'amélioration de la couverture n'est donc pas
réglé ; il faudra engager des négociations pour que
les trois opérateurs continuent à assurer cette couverture. L'ART
a estimé à 5 000 le besoin de relais, contre
1 500 pour le CIADT ; l'approche doit donc être revue, la
vérité se situant certainement entre les deux. Le recensement des
zones a été achevé à la fin du mois d'avril, avant
qu'un schéma définitif ne soit dressé ; les
premières conventions d'installation avec les opérateurs
devraient être signées à la fin du mois de juin et le
programme achevé à la fin 2004. Nous voyons apparaître les
premiers pylônes communs entre deux opérateurs. Pour l'avenir,
nous devrons parvenir à une mutualisation des pylônes afin
d'éviter leur multiplication, plus particulièrement en zone de
montagne où le relief impose d'en installer un grand nombre.
Quelle est votre position sur la prise en charge toujours croissante des
dépenses d'équipements en télécommunications par
les collectivités locales, qu'il s'agisse du mobile ou des
réseaux à haut débit ?
Concernant les mobiles, la modification des engagements du CIADT après
l'attribution des licences UMTS a conduit à une réduction
d'environ de moitié de la charge de la couverture pour les pouvoirs
publics. L'accessibilité à la contribution financière des
collectivités est donc moins importante que par le passé. J'ai
fait des suggestions à Monsieur Mer et Madame Fontaine durant leur
audition devant la commission. Je les ai appelés à l'examen de
toutes les solutions possibles, y compris le partage du territoire et
l'obligation de couverture universelle attribuée à un
opérateur qui assurerait l'itinérance pour les autres. En fait,
l'opérateur en question s'engagerait, sur un territoire régional
donné, à assurer la couverture totale ; il aurait
également l'obligation de transmettre et d'assurer la couverture pour
les autres opérateurs téléphoniques.
En matière de haut débit, les équipementiers, davantage
que les opérateurs, incitent les collectivités à des
commandes publiques. J'ai rencontré ce matin Monsieur Gonnet à la
CDC sur ce sujet, en vue de la mise en oeuvre des obligations et des
propositions qui ont été effectuées dans le cadre du CIADT
de Limoges. Nous attendrons les précisions et les textes concernant la
clarification des compétences Etat/Région,
Département/Collectivités locales, afin de déterminer de
quelle manière la cohérence est assurée et comment les
équipements sont financés pour assurer la couverture, surtout
dans le domaine du haut débit, où il est souhaitable de demander
de la patience et de la prudence aux opérateurs locaux. En effet, ces
derniers engagent des initiatives qui pourraient être
dépassées sur le plan technologique, alors qu'ils devraient
rembourser des annuités durant de nombreuses années.
Par ailleurs, j'ai constaté que nous avions enfin pris la mesure du
scandale de la non-utilisation des fonds communautaires. Je considère
qu'ils peuvent être gérés en région ; j'attends
les annonces que le gouvernement devrait faire le 31 juillet, après
avoir accepté en conseil des ministres la réforme proposée
par Monsieur Delevoye pour accélérer la consommation des fonds
européens. En effet, nous constatons aujourd'hui que la zone de
montagne, comme les autres, sous-utilise les possibilités d'accession
aux fonds européens et n'a pas encore le réflexe de
présenter des dossiers pour la couverture du mobile, du haut
débit et pour l'accès aux technologies de l'information et de la
communication. J'incite les collectivités à être plus
performantes, même s'il est vrai que l'interface des services de l'Etat
entre les décideurs locaux et les responsables des fonds
européens pose un problème, sachant que cette interface n'existe
pas dans les autres pays.
Quelle est votre réflexion sur le maintien du service public postal en zone de montagne ?
Dans ce
domaine, je pense que nous évoluons vers une réforme importante
de La Poste. Dans ma note, je reviens sur les actions menées par
l'Association des maires de France et la Commission du service public ;
j'évoque également ce que les élus peuvent accepter, ainsi
que les obligations qu'ils doivent respecter vis-à-vis des populations
locales. Normalement, d'après la directive européenne, au
1
er
janvier 2009, les postes européennes ne disposeront plus
du monopole concernant le courrier, la concurrence étant ouverte pour
l'ensemble du marché, ce qui posera la question de la présence
postale sur le territoire. A titre personnel, je pense que nous devrons faire
des propositions de présence postale en nous appuyant sur
l'intercommunalité et sur des équipements nouveaux. Nous devrons
accepter les expérimentations qui pourront être effectuées
prochainement par La Poste de mise en place de Points contacts postaux dans les
bureaux de tabac, les cafés, les épiceries, les
supérettes. Sur les 17 000 bureaux de poste, 12 000 sont de
plein exercice, l'objectif des dirigeants de La Poste étant de les
ramener à 8 000, les autres devant être transformés en
Points de contact, notamment en zone de montagne. Certains élus se sont
manifestés auprès de l'AMF, pour faire savoir qu'ils
étaient prêts à accepter des expérimentations sur
leur territoire : Saint Gervais accepte une expérimentation pour
son Point contact postal de Saint Nicolas de Véroce ; Excenevex est
prête à accepter une contractualisation avec un commerce local,
qui deviendrait le bureau de poste local.
Concernant la modernisation de La Poste, tout reste à faire.
L'Association nationale des élus de la montagne est l'une des mieux
placées pour être en contact avec le ministre en charge de la
poste et les différentes instances, ainsi que pour apporter sa
contribution à l'élaboration du contrat de plan Etat/La Poste
2002/2006 ; ceci me semble tout à fait urgent et important.
Malheureusement, la période électorale que nous venons de
traverser n'a pas permis de nouer ces différents contacts. Pour
l'instant, la rédaction du prochain contrat de plan s'est faite
uniquement sur la base d'une concertation entre les services de l'Etat et les
services publics ; en revanche, les élus n'ont pas
été mis à contribution, ce que je déplore.
J'espère que des corrections seront apportées très
rapidement ; en effet, il n'est pas normal que les associations
d'élus n'aient pas pu se manifester jusqu'à maintenant sur le
sujet.
Je souhaite mettre en évidence le choix de deux niveaux de
centralisation différents. En effet, la montagne, plus encore que les
autres zones, a besoin des routes de l'information. Or ces dernières
seront plus coûteuses qu'ailleurs. Dans ce cadre, la mutualisation et la
solidarité devront s'exprimer de façon à ce que le
développement économique ne soit pas à deux vitesses et
que les zones de montagne ne constituent pas le parent pauvre de
l'aménagement du territoire.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie. En fait, en matière de
télécommunications, votre proposition est de privilégier
le binôme Etat/Région. Les régions doivent donc être
le moteur pour délivrer les licences mais aussi pour financer,
éventuellement avec une aide de l'Etat si leurs capacités
financières sont insuffisantes.
M. Pierre Hérisson
- Plutôt que de distribuer des aides aux
opérateurs, il faut aussi mener une réflexion sur un partage au
niveau national, en définissant, pour la compagnie opératrice qui
se verrait attribuer la licence, une obligation de service universel,
c'est-à-dire de couverture totale. Ainsi, dans le Sud-est, Bouygues
Télécom aurait l'obligation de la couverture universelle sur le
territoire pour lequel elle dispose de la licence mais aussi de
l'itinérance (elle serait obligée d'assurer la transmission des
autres compagnies). Ensuite, une péréquation pourrait être
mise en place dans le cadre de l'ouverture de la boucle locale, comme dans le
cas du filaire. Ainsi, il est possible de prendre actuellement un abonnement
à Cegetel, sachant que l'acheminement des communications est
effectué par le réseau filaire de France Télécom,
qui se fait rémunérer sur la base d'un tarif arrêté
par l'ART ; France Télécom facture donc Cegetel. Il faudrait
évoluer vers un principe de service universel régional. Cela
conduirait à recréer une sorte de monopole mais l'ART pourrait
fixer les tarifs ; de plus l'opérateur aurait l'obligation de
couverture totale sur un territoire donné. En divisant la France et en
régionalisant l'obligation de service universel, on peut penser qu'un
opérateur serait preneur d'une licence.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pour le Massif Central, qui est réparti
entre cinq ou six régions, l'opérateur ne risque-t-il pas de se
heurter à des difficultés du fait du morcellement
administratif ?
M. Pierre Hérisson
- Il appartiendra à celui qui
effectuera le découpage de créer les conditions de
l'équilibre financier en réunissant dans la même zone
d'obligation de couverture des secteurs rentables et d'autres moins rentables.
En fait, il faut mettre en place une certaine mutualisation autour d'un
périmètre défini, contenant des zones urbaines
suffisamment vastes pour compenser financièrement les zones non
rentables. Il ne faut donc pas créer des régions pauvres et des
régions riches mais des découpages équilibrés, dont
le périmètre ne correspondra absolument pas aux régions
administratives existantes. L'exemple de la boucle locale radio pourrait
être suivi, même si, pour cette dernière, deux secteurs
n'ont fait l'objet d'aucune candidature lors de l'appel d'offres car le mauvais
découpage a fait que la zone était réputée non
rentable dès le départ ; nous devons éviter de
recommencer cette erreur.
M. Jean Boyer
- Le rapport présenté est remarquable. Nous
constatons que dans certains départements, des initiatives locales ont
déjà été lancées. Par ailleurs, concernant
La Poste, vous avez évoqué la création de points fixes
dans les commerces locaux.
Quid
de la distribution du courrier dans les
hameaux ? Ne sera-t-elle pas remise en cause à terme ?
M. Pierre Hérisson -
La distribution quotidienne du courrier, six
jours sur sept, est une obligation faite à l'opérateur public. Il
nous appartiendra de veiller à ce que l'on ne remette pas en cause ce
service public universel au sein du prochain contrat de plan. Aujourd'hui, La
Poste bénéficie du monopole sur les courriers jusqu'à 150
grammes, la limite devant passer à 100 grammes au 1
er
janvier 2003, à 50 grammes au 1
er
janvier 2006, le
monopole disparaissant totalement au 1
er
janvier 2009, sauf
disposition contraire des Etats qui pourraient décider de reporter cette
échéance, ce qui est toujours possible. Pour le moment, La Poste
doit assurer le service public, six jours sur sept. Malheureusement, faute
d'effectifs et de personnel durant les périodes de vacances, nous avons
constaté des dysfonctionnements en la matière. En revanche, La
Poste n'a aucune obligation d'ouverture des bureaux de poste et des guichets
sur le territoire national. En la matière, elle peut se
réorganiser comme elle l'entend, sa seule responsabilité
étant de faire en sorte que la zone de chalandise soit la plus courte
possible autour du bureau de poste (normalement pas plus de
5 kilomètres).
M. Jean Boyer
- La Poste a l'obligation de distribuer le courrier mais
pas d'apporter un service.
M. Pierre Hérisson
- En effet, la seule obligation de La Poste
française est de distribuer le courrier six jours sur sept. Les
dirigeants de La Poste parlent de zones « à
découverts » pour évoquer les congés
maternité, les maladies, les carences en matière d'embauche de
personnel saisonnier durant les vacances, les conflits sociaux.
Par ailleurs, en matière de télécommunications, il est
vrai que certaines initiatives sont prises. Dans ce cadre, la CDC, dont la
mission est d'apporter sa contribution de partenaire financier, recommande
d'attendre quelques semaines pour savoir comment la décentralisation va
se préciser, notamment la régionalisation. Il faut donc rester
prudent, d'autant plus que la loi est relativement floue en matière
d'initiatives des collectivités, ces dernières pouvant toujours
être taxées d'opérateurs, fonction qu'elles n'ont pas le
droit d'exercer.
Pour autant, la difficulté est que les maires des communes sont sous
pression parce que le conseil d'administration de France Télécom
a décidé d'ouvrir le haut débit par le biais de l'ADSL,
qui permet d'utiliser les fils existants et d'augmenter le débit de 50
fois. Pour ma part, je pense que ce débit sera rapidement insuffisant
par rapport à celui qui sera offert par la fibre optique, la boucle
locale radio ou le satellite. Nous ne devons donc pas laisser les
collectivités de moins de 3 500 habitants contractualiser dans
n'importe quelles conditions financières. Actuellement, la Commission
supérieure du service public des Postes et des
Télécommunications fait pression sur France Télécom
pour que ce dernier retienne un critère économique et non de
population. En effet, certaines communes touristiques de 2 000 habitants font
l'objet de 50 demandes de raccordements à l'ADSL, alors que des communes
de 5 000 habitants en milieu rural ne regroupent pas plus d'une dizaine de
demandes.
Par exemple, le lac d'Annecy dispose d'une fibre optique qui longe ses deux
rives. Pour autant, France Télécom souhaite imposer le recours
à l'ADSL, en demandant une contribution financière aux communes.
En fait, certaines entreprises, activités économiques ou certains
particuliers seraient raccordables directement à la fibre optique,
c'est-à-dire au vrai haut débit ; ils sont obligés
d'utiliser l'ADSL, dont le débit est restreint. Cela conduit à
mettre les collectivités locales dans une situation très
délicate vis-à-vis de leur population.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie, en excusant le Président
Jacques Blanc retenu par d'autres obligations.
49. Audition de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (25 septembre 2002)
M.
Jacques Blanc, président -
Mes chers collègues, nous avons le
plaisir d'accueillir M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des
transports, du logement, du tourisme et de la mer.
Notre mission a été créée à l'occasion de
l'année internationale des montagnes, et nous nous sommes rendus dans
l'ensemble des massifs montagneux et nous avons auditionné de nombreuses
personnes.
Monsieur le ministre, nous allons vous écouter avec beaucoup
d'intérêt et dans l'espoir que vous nous annoncerez une politique
nouvelle dans le domaine de la montagne.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur -
Monsieur le ministre, je vous
remercie à mon tour de contribuer aux travaux de notre mission, travaux
qui arrivent à leur terme. Depuis le mois d'avril, nous avons
procédé à de nombreuses auditions et nous avions à
coeur, avant d'achever notre rapport, de vous entendre sur des sujets
variés, qui correspondent aux différentes disciplines dont votre
ministère est en charge.
Nous vous avons adressé une liste de questions - non exhaustive,
certains que nos collègues souhaiteront vous poser des questions
complémentaires - qui se répartissent en trois
catégories : les premières concernent l'urbanisme, les
secondes le tourisme et, enfin, les dernières, les transports. Je vous
propose donc, monsieur le ministre, de répondre à ces
différentes questions.
M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du
logement, du tourisme et de la mer
-
Je vous remercie beaucoup de
votre invitation. Je suis également ici pour apprendre, grâce
à l'expérience de tous les membres chevronnés de votre
mission. Comme vous me le suggérez, je commencerai donc par aborder les
règles d'urbanisme.
Est-il possible d'aménager les règles d'urbanisme en
montagne ? Les règles générales d'urbanisation en
continuité s'appliquent évidemment plus rigoureusement en
montagne qu'en plaine, où il est parfois possible d'implanter de
nouvelles constructions en discontinuité lorsque les documents
d'urbanisme le prévoient ou lorsque les délibérations du
conseil municipal sont motivées.
La possibilité d'autoriser des constructions isolées pour
éviter une diminution de la population communale résulte d'une
disposition de la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbains. Toutefois, cette disposition ne s'applique pas en
montagne. Son assouplissement, subordonné soit à l'existence d'un
document-cadre, par exemple une prescription particulière de massif
n'est pas totalement à exclure. L'idée d'une possibilité
de dérogation soumise à un avis conforme de l'Etat dans certains
cas limités, en l'absence de pression foncière, y compris pour
les résidences secondaires, pourrait également être
étudiée.
Est-il souhaitable de mieux définir la notion de construction en
continuité dans la loi ? Cette notion, qui est très
complexe, a été largement éclairée par une
jurisprudence abondante, comme il en est d'ailleurs fait état dans le
rapport du Sénat relatif au droit de l'urbanisme. Modifier la loi serait
risquer d'introduire plus de rigidité. Une circulaire d'explication me
semble donc préférable.
Quel pourrait être l'avenir des directives territoriales
d'aménagement, les DTA ? Est-il pertinent de permettre aux
prescriptions particulières de massifs d'assouplir les normes
d'urbanisme ? Je rappelle qu'il est nécessaire de maintenir et de
préserver les grands équilibres entre le développement et
la protection de l'environnement. Ces grands équilibres paraissent
impossibles à appréhender au simple niveau local, communal ou
intercommunal. Des décisions ou des documents de niveau supérieur
- le mot me gêne un peu - comme les DTA, créées par la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire du 4 février 1995, dite loi Pasqua-Hoeffel, ou les
prescriptions particulières de massifs, créées par la loi
relative à la solidarité et au renouvellement urbains, sont
nécessaires.
A ce jour, aucune DTA n'a été approuvée. Ces documents,
élaborés par l'Etat, sont un peu lourds. Ils doivent être
soumis au Conseil d'Etat. De plus, un assouplissement des dispositions de la
loi « Montagne » par de tels documents n'est pas possible.
Il ne serait donc pas absurde que la loi prévoie des possibilités
d'interprétation sous réserve qu'elle en fixe les limites, le
contenu et les formes. Toutefois, dans ce cas encore, je pense qu'un tel
assouplissement soulèverait des réserves, voire
l'hostilité - aimable, bien sûr - du ministère de
l'écologie et du développement durable.
Dans le cadre des expérimentations si souvent évoquées par
le Premier ministre, ces documents pourraient ne plus émaner seulement
de l'Etat, mais, par exemple, des élus régionaux, qui pourraient
prendre en charge ce type de procédure. L'Etat ne devrait bien
sûr, pas en être absent. Dans le même esprit, il existe
aujourd'hui des schémas régionaux d'aménagement du
territoire, les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, mais
qu'ils ne sont pas opposables. Faut-il les rendre opposables ?
Faut-il réformer le régime des chalets d'alpage ? La
vocation de chalet d'alpage est reconnue par les services de l'Etat à
certaines constructions, souvent anciennes. Une fois cette reconnaissance
obtenue, le permis de construire est ensuite, le cas échéant,
accordé. Cette procédure pourrait être simplifiée.
Le risque existe que le bénéficiaire, une fois qu'il a obtenu son
permis de construire, se retourne vers la commune et lui demande tous les types
de raccordements aux réseaux publics que l'on est en droit d'exiger pour
une habitation classique. Il faudrait donc peut être compléter la
loi et prévoir un mécanisme de servitude administrative. Le
raccordement ne doit pas être automatique.
J'émets toutefois une réserve : si ces chalets ne sont pas
raccordés aux réseaux d'assainissement, s'ils ne disposent pas du
tout-à-l'égout, des stations individuelles doivent alors
être installées afin qu'ils ne soient pas à l'origine d'une
source supplémentaire de pollution. Je pense que ce point est à
négocier avec le ministre de l'écologie et du
développement durable. L'absence de raccordement obligatoire pour la
commune est en tout cas une piste de réflexion intéressante.
Peut-être le nom de chalet d'alpage prête-t-il un peu à
confusion et fait-il sourire dans le cas de certaines opérations. On
pourrait donc imaginer de changer ce nom et, par exemple, lui
préférer le terme de « résidence
d'été ».
Faut-il réformer la procédure des unités touristiques
nouvelles, ou UTN ? Celle-ci prévoit que les projets
touristiques en zone de montagne doivent être soumis aux comités
de massif. Il faut probablement revoir le champ d'application de cette
procédure, alléger celle-ci et peut-être la
déconcentrer. La notion d'UTN désigne en effet à la fois
de très grosses et de très petites opérations. On pourrait
donc imaginer une procédure plus proche du terrain pour les petits
équipements.
Le Gouvernement a chargé une mission de hauts fonctionnaires de
réfléchir aux adaptations possibles de cette procédure.
Cette mission rendra ses conclusions le 15 octobre prochain. Ces
dernières serviront de base à des propositions de modifications
du code de l'urbanisme. Dans certains cas, la substitution d'un
télésiège à deux téléskis ou le
déplacement d'un pylône entrent dans le cadre de la
procédure UTN, ce qui paraît tout à fait excessif, voire
absurde. Ce qui compte, c'est la cohérence entre la capacité du
domaine et la capacité d'accueil de la station, ou encore le respect des
versants non desservis. Tout le monde s'accorde sur ces points.
Aujourd'hui, l'articulation entre les UTN et les SCOT n'est donc pas
satisfaisante. En théorie, un SCOT permet de s'exonérer de la
procédure UTN. En pratique, si un projet n'est pas explicitement
prévu par un SCOT, il faut modifier ce dernier pour rendre le projet
possible. Ainsi, on pourrait prévoir qu'un SCOT puisse fixer la
localisation d'une UTN. Encore faut-il s'entendre sur le terme
« grosse UTN » et sur le principe de l'inscription dans des
enveloppes communales pour les petites UTN. Pour une UTN légère -
si l'on peut dire - la conformité au SCOT pourrait ne pas être
exigée.
Faut-il aménager le régime de servitude prévu à
l'article 53 de la loi « Montagne » ? Cet article
dispose que les propriétés privées peuvent être
grevées d'une servitude destinée à assurer le passage de
pistes de ski et de remontées mécaniques. Cette liste n'est
peut-être plus adaptée. Elle est trop limitative puisque n'y
figurent pas, par exemple, les canons à neige, qui alimentent certaines
de ces pistes. Il semble donc logique d'adapter la loi. C'est raisonnablement
possible si on le fait avec prudence.
Cette adaptation serait également peut-être l'occasion de
prévoir une meilleure procédure d'information des
propriétaires qui sont « victimes » de cette
servitude et qui voient passer chez eux des remontées mécaniques.
Si la liste de ces servitudes augmente, on pourrait également
améliorer la procédure d'information et de concertation en amont.
Faut-il aménager le régime des communes soumises à la fois
à la loi « Montagne » et à la loi
«Littoral» ? Je rappelle que la loi «Littoral»
s'applique également aux communes voisines de lacs de plus de mille
hectares. S'agissant des communes riveraines de la mer qui entrent à la
fois dans le champ d'application de la loi «Littoral» et dans celui
de la loi « Montagne », le code de l'urbanisme
prévoit que la loi «Littoral» prévaut dans les espaces
proches du rivage. Or, cette disposition n'a pas été
étendue aux communes qui jouxtent un lac d'une superficie
supérieure à mille hectares, communes auxquelles la loi
«Littoral» s'applique. Nous pensons qu'il s'agit là d'une
erreur et que la loi peut être complétée. Concernant les
petits lacs de montagne, les règles fixées par la loi sont
peut-être un peu rigides, notamment s'agissant de la définition
des périmètres. S'il convient évidemment de
protéger ces espaces, peut-être pourrait-on, de manière
extrêmement prudente, assouplir la loi.
J'en viens maintenant aux questions relatives au tourisme. Dispose-t-on de
projections chiffrées relatives au développement du tourisme en
montagne, et plus particulièrement en moyenne montagne ? En 2001,
les Français âgés de plus de quinze ans ont effectué
160 millions de séjours comprenant au moins une nuitée hors de
leur domicile, ce qui correspond, en tout, à 902 millions de
nuitées. La montagne représente 14,4 % de ces séjours et
18,9 % de ces nuitées, soit 153 millions de nuitées. Par
rapport aux autres destinations, cette part reste stable depuis 1994. La
durée moyenne de séjour reste légèrement
supérieure à une semaine.
Il est à noter toutefois que ces chiffres bruts sont en recul par
rapport à ceux de 1994, année où l'on a enregistré,
pour l'ensemble des destinations, 994 millions de nuitées, dont 196
millions pour la montagne.
L'hébergement marchand représente 62 % des modes
d'hébergement. L'hébergement en hôtel représente
seulement 14 % de ces 62 %. Les autres modes d'hébergement sont les
locations, le camping, les clubs et les villages de vacances, qui progressent
en parts de marché.
Le commissariat du Plan a confié à un groupe d'experts la mission
d'éclairer les pouvoirs publics et les professionnels sur les grandes
tendances du tourisme. Il ressort de son rapport, intitulé
La
prospective de la demande touristique à l'horizon 2010
,
que
le marché français des vacances de sports d'hiver est
entré dans une phase de maturité, comme le révélait
dès 1988 une étude SEMA-METRA. On assiste aujourd'hui à
une phase de contraction de ce marché, la demande étant à
peu près stabilisée.
Les sports de glisse sont aujourd'hui concurrencés par des pratiques
plus douces, liées notamment à l'évolution
démographique en Europe. Ainsi, en 2010, les plus de soixante ans seront
aussi nombreux que les moins de vingt ans. Ils n'emprunteront probablement pas
les mêmes pistes! En 2020, les plus de soixante ans constitueront 27 % de
la population, tandis que les moins de 20 ans en représenteront 22 %.
On constate ensuite un lent retour à des valeurs essentielles du
tourisme, à des vacances plus familiales, moins longues, davantage
réparties dans l'année et moins sportives en termes de
performances, ce qui ne veut pas du tout dire qu'elles sont inactives.
On constate encore une concurrence de plus en plus vive entre les
marchés européens - qui tentent de conserver leur
clientèle autochtone, qui risque donc de ne pas venir en France -ainsi
que la recherche d'un confort immobilier plus familial, plus convivial, celle
d'un urbanisme de station moins citadin, moins
« béton », plus authentique et, enfin, une
préférence pour les interconnexions de massifs skiables.
Quant au tourisme estival, il est très diffus, y compris en moyenne
montagne, et il recoupe des activités diversifiées. Ce tourisme
exige moins d'investissements lourds, mais des équipements de loisirs
plus variés. La saison estivale ne constitue pas encore un appoint
indispensable pour les opérateurs de grandes stations de sports d'hiver,
mais elle tend quand même à devenir progressivement la condition
de survie de nombreux sites, surtout en moyenne montagne, quand les atouts
hivernaux des stations sont un peu modestes face à la fois aux exigences
croissantes des clients et à la compétitivité des pays
voisins.
C'est bien, semble-t-il, le tourisme hivernal et ses grandes tendances qui vont
dicter la stratégie des grandes stations françaises de sports
d'hiver. On peut toutefois s'interroger sur ce positionnement singulier en
Europe, la plupart des grandes stations étrangères ayant, il faut
le savoir, une activité vraiment significative en été. La
France se situe un peu en deçà des moyennes européennes
dans ce domaine.
A partir de ce constat, comment favoriser le développement du tourisme
en montagne ? Je ne prétends évidemment pas détenir
la vérité sur ce sujet, surtout face aux spécialistes que
vous êtes, mais il convient d'abord de rappeler qu'il n'existe pas de
développement type en montagne parce qu'il n'y a pas de montagne type.
Les réponses ne peuvent donc être que très
diversifiées.
On peut distinguer, d'une part, les secteurs qui bénéficient d'un
développement économique important, d'activités
touristiques d'envergure et d'une attractivité urbaine forte et, d'autre
part, ceux qui sont en voie de désertification, dont l'armature urbaine
et l'économie sont plutôt faibles et dont, par conséquent,
les ressources touristiques sont modestes. Ces différences sont
essentielles pour apprécier le potentiel de développement
touristique des territoires, à l'exception de celui des zones de sports
d'hiver, qui exigent un contexte géographique et climatique
particuliers. Ces zones, il faut le rappeler, ne constituent que 2 % de
l'espace en montagne.
Il paraît difficile de développer une activité touristique
dans un territoire déserté par ses habitants permanents. La
majorité des touristes considèrent de plus en plus qu'une
montagne habitée est un lieu plus accueillant. Ils ont en effet besoin
de services, de commerces de proximité et de convivialité. Le
tourisme dépend donc en grande partie de la qualité de la vie
offerte sur un territoire. Les touristes ne veulent plus d'un équipement
installé au milieu d'un désert.
La France a développé dans le domaine des sports d'hiver une
économie très efficace si l'on en juge par le nombre d'emplois
créés dans ce secteur et par la contribution de celui-ci à
la balance des paiements, ce dont nous nous félicitons. Les sports
d'hiver figurent toujours parmi les meilleures activités touristiques
françaises en termes de retombées économiques par
touriste. Vous savez que la France est la première destination
touristique, mais qu'elle n'est que la quatrième puissance s'agissant de
la somme dépensée par touriste. Je pense que les sports d'hiver
contribuent à faire remonter cette moyenne.
Le marché des sports d'hiver n'est pas extensible à l'infini.
Toutes les études prospectives indiquent une tendance à la
stabilisation. Il faut donc raisonnablement viser le maintien de la
compétitivité de l'offre française pour éviter son
dépérissement. Cet objectif, loin d'être modeste,
nécessite une forte mobilisation des acteurs du secteur. Celle-ci passe
par un effort en faveur de la rénovation des hébergements,
notamment de celle des meublés de tourisme ; par le
développement de l'offre hôtelière, qui est très
limitée dans les stations de sports d'hiver alors que la demande de
séjours, pas nécessairement calés sur la semaine, est
croissante ; par l'adaptation permanente, grâce à un niveau
élevé d'investissement, des domaines skiables aux
évolutions des attentes de la clientèle en matière de
remontées mécaniques et de travail de la neige ; enfin, par
l'amélioration des espaces publics, qui sont vraiment une composante
importante de l'image des stations.
On voit en effet combien, même en dehors des zones de montagne, les
centres-bourgs et les centres-villes sont des éléments
très importants de l'image, et donc de l'attractivité, d'un lieu
de vie. C'est donc aussi vrai pour les stations de sports d'hiver.
En résumé, le maintien de la compétitivité des
stations de sports d'hiver passe vraiment par une démarche
« qualité » de tous les acteurs, de tous les
services et de tous les commerces de ce secteur. La réussite ne peut
donc être que collective.
Le tourisme estival, dont j'ai brièvement parlé tout à
l'heure, est très dispersé dans l'ensemble des espaces de
montagne. Les enjeux dans ce secteur sont eux aussi la qualité et la
diversité des hébergements ainsi que l'accessibilité de
l'offre. Mais le paysage, l'équilibre entre les espaces ouverts - tels
les prés, les landes ou les terres - les bois, les forêts, les
réseaux aériens, la publicité et, plus
généralement, tout ce qu'un territoire donne à voir, sont
aussi des enjeux. La maîtrise homogène du paysage dans un
territoire est un excellent indicateur de la volonté de
développer une activité touristique.
Pour ce qui est de la moyenne montagne, le tourisme peut certainement y
constituer une ressource durable pour de nombreux territoires à
condition que les habitants permanents acceptent de vivre leur territoire comme
touristique et qu'ils se fassent à l'idée que le tourisme peut
être une source de développement importante.
J'ai eu l'occasion et le plaisir de rendre visite récemment à
M. Jean François-Poncet. Certes, ce n'est pas un territoire de
grande montagne,...
M. Jacques Blanc
- C'est la vallée du Lot !
M. Gilles de Robien -
Oui, mais on est encore dans le département
de la Haute-Garonne, et M. François-Poncet disait lui-même
que le Lot est encore plus beau que la Haute-Garonne ! Et je ne parle pas
de la Lozère, bien entendu.
Au cours de ce déplacement, j'ai été frappé de la
façon dont le volet touristique était pris en compte par la
population elle-même. J'ai même, dans mon point de presse,
appelé cela le « génie local » : savoir
reconvertir une population en population d'accueil, que ce soit pour le
tourisme local ou pour le tourisme fluvial, c'est une vraie réussite.
Jean François-Poncet a même trouvé pour son
département une labellisation, en quelque sorte, qu'il appelle
maintenant la « Toscane française ». C'est dire
à quel point on peut aller loin dans la comparaison.
Ce n'est pas un texte qui peut imposer une telle attitude. Je pense au
contraire que l'attitude des élus et des acteurs locaux peut convertir
une population et l'amener à être réceptive au tourisme en
moyenne montagne.
Évidemment, l'hébergement et les paysages ne suffisent pas dans
les territoires qui n'ont pas de vocation touristique : il y faut des
structures adaptées au développement touristique, il y faut aussi
une « culture » touristique.
Vous avez souhaité que je me prononce sur la mise en oeuvre d'un
« plan de sauvetage » des stations de basse altitude. Je le
ferai bien volontiers, même si cela doit m'amener à introduire un
petit bémol dans cet exposé.
C'est dans les années soixante qu'est née l'idée de
créer de petites stations familiales à partir de villages
existants, et c'était certainement une excellente idée. Ces
stations avaient pour vocation de constituer des réservoirs de skieurs
qui fréquenteraient ensuite les stations plus grandes ; elles
devaient ainsi permettre de revitaliser des zones menacées de
désertification.
Aujourd'hui, on constate que l'enneigement variable d'une année à
l'autre et d'un massif à l'autre entraîne chez les clients un
certain désintérêt pour ce type de tourisme, pour ces
stations de basse altitude. Il faut reconnaître aussi que les
équipements ont pris un « coup de vieux » et que les
coûts d'entretien se font de plus en plus lourds, alors que les
installations sont somme toute relativement modestes et que les frais sont
supportés par des ensembles forcément moins importants que dans
de grandes stations. Dans ce contexte, il paraît quelque peu difficile de
parler de sauvetage : ce serait une solution miraculeuse.
Si le concept de sauvetage doit être manié avec prudence, il faut
cependant examiner comment pourrait être maintenu un produit touristique
qui a son utilité mais qui, dans sa forme actuelle, ne correspond plus
aux attentes.
Sans vouloir aucunement laisser ce problème aux seuls élus
locaux, je crois qu'il convient que les collectivités locales fassent
l'une après l'autre l'état des lieux de chacun des sites, que de
vrais diagnostics soient posés et que, courageusement, on se reconcentre
sur des sites moins nombreux mais auxquels serait donnée une nouvelle
chance, en même temps que seraient examinées des
possibilités de reconversion et, peut-être, de solidarité
entre diverses stations. Quoi qu'il en soit, nous estimons nous aussi
très difficile aujourd'hui de sauver l'esprit dans lequel ces stations
ont été créées il y a une quarantaine
d'années.
J'en viens aux transports. Vous appuyant sur le rapport Brossier, vous posez la
question de savoir ce qu'il se passera en 2010, avec notamment la dimension
suisse, qui permettrait, le cas échéant, de détourner une
partie du trafic.
Depuis l'accident tragique du tunnel du Mont-Blanc, la question ne se pose plus
exactement dans les mêmes termes. Dans tous les débats publics,
dans toutes les déclarations s'exprime à l'égard des
pouvoirs publics une très forte demande, qui se fait de plus en plus
insistante, pour que les poids lourds soient transférés sur le
fer. Tout le monde trouve cette solution miraculeuse, mais c'est une solution
lourde, c'est une solution chère, même si, bien entendu, elle est
attrayante.
Pourtant, vous avez pu constater que, lors de la fermeture du Mont-Blanc, la
totalité du trafic a pu être reportée sur le Fréjus,
où passaient à cette époque-là 1 550 000
poids lourds par an. Je ne dis pas que c'est une bonne solution, c'est un
simple constat.
Selon les projections, il faudra gérer en 2010 environ
2 250 000 poids lourds par an. De façon très brutale -
et je ne dis pas, là non plus, que ce serait la solution la plus
souhaitable -, on pourrait soutenir que, en théorie, le Mont-Blanc et le
Fréjus pourront absorber ce trafic, qui ne représente jamais, si
je puis dire, que 3 100 poids lourds par jour pour chacun des tunnels.
Bien entendu, c'est localement inacceptable, compte tenu des nuisances de tous
types associées aux poids lourds. C'est pourquoi, au-delà des
mesures prises par les Suisses - qui soulageront nos franchissements dans des
proportions qui pourraient être de l'ordre de 10 % ou 20 % -,
l'objectif est de nous orienter de toute façon vers une politique
volontariste dans le domaine du ferroutage.
Tel est le sens de l'expérimentation qui sera mise en place, dès
le début de 2003, entre Aiton et Orbassano. Il nous faudra observer si
ce service, qui repose sur l'utilisation du wagon sur-baissé Modalohr,
est capable d'attirer une clientèle suffisante - car il est bien beau de
faire une offre si personne n'en veut ! - pour lui permettre d'enclencher
un cycle de développement vertueux du ferroutage. Il faudra bien
sûr améliorer ce service en mettant au gabarit B+ les tunnels
ferroviaires de la ligne historique.
L'effet suisse jouera, mais, pour être clair, nous plaçons
beaucoup d'espoirs dans le tunnel du Mont-Cenis au gabarit B+ ; mais il
faudra aussi réaliser d'autres tunnels, notamment celui de la
Chartreuse.
L'accident du Mont-Blanc a obligé à repenser la conception des
tunnels ; c'est d'ailleurs l'objet de l'instruction ministérielle
du 25 août 2000. Dès lors que les mesures que contient
celle-ci sont appliquées, il n'y a pas de raison technique - je dis
bien : technique - de réduire le trafic routier dans les tunnels
aujourd'hui. Vous savez que, au Mont-Blanc, des précautions
particulières ont été prises qui sont consignées
dans le règlement de circulation.
On observe bien sûr, j'y reviendrai tout à l'heure, que le trafic
s'est considérablement réduit au Mont-Blanc. Quittant les Alpes,
j'évoquerai le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, dans les Vosges, qui
est lui aussi fermé, aujourd'hui, compte tenu de sa
vétusté et des travaux de remise à niveau qui sont
programmés pour le début de l'année prochaine. Depuis
mars 2000, le trafic y est quasi nul.
Comme vous le voyez, l'objectif est non pas de réduire le trafic pour le
réduire, mais d'assurer un haut niveau de sécurité pour
les usagers qui emprunteront les tunnels.
Je ferai le point du trafic routier dans le tunnel du Mont-Blanc avant et
après l'accident, ce qui me permettra de vous apporter des chiffres
extrêmement récents.
Depuis la mise en service du tunnel du Mont-Blanc jusqu'en 1993, le trafic a
connu une très forte progression, avec un point culminant à
835 000 poids lourds par an, c'est-à-dire 2 300 par jour. Puis
il a décru au profit du tunnel du Fréjus, pour être
dépassé par ce dernier à partir de 1996. En 1998, le
trafic aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus était à peu
près équilibré, avec 2 150 poids lourds par jour.
Le 25 juin 2002, le tunnel a été rouvert aux
véhicules de plus de 3,5 tonnes, notamment pour respecter un
engagement qui avait été pris vis-à-vis de l'Italie,
puisqu'il s'agissait d'un accord international. Après une
première phase de progression, on constate aujourd'hui une stagnation du
trafic des poids lourds, avec une moyenne d'environ 500 par jour ouvrable. On
est donc très loin des 3 000 de pointe, mais aussi de l'objectif
que nous nous étions fixé à la réouverture, qui
était de répartir le trafic entre les deux tunnels dans la
proportion de 35 % pour le Mont-Blanc et 65 % pour le Fréjus.
Pour atteindre ces 35 %, il faudrait 1 700 poids lourds par jour. Or,
lundi dernier - ce sont les chiffres récents que je voulais vous
communiquer -, le Fréjus a vu passer 4 170, contre 600 au
Mont-Blanc. Depuis la rentrée, le lundi, qui est pourtant le bon jour,
le tunnel du Mont-Blanc réalise 12 % de parts du marché, les
autres jours, plutôt 10 %.
La situation devient donc préoccupante et gênante pour la
vallée de la Maurienne, qui supporte 90 % du trafic. Elle est
préoccupante également pour la viabilité financière
de l'exploitant du tunnel, qui ne voit pas ses péages augmenter.
Les prochains mois, qui seront plus représentatifs d'un mois normal,
seront donc très importants à cet égard. J'ai
rencontré il y a huit jours M. Lunardi, ministre italien des
transports, et nous sommes tombés d'accord pour nous donner les mois de
septembre et d'octobre pour faire le point pour comprendre cette
répartition. En effet, un sommet franco-italien se tiendra au tout
début du mois de novembre au cours duquel la question sera
inévitablement évoquée. Il faudra alors que nous puissions
apporter des réponses à cette situation insatisfaisante :
quels sont les impacts des travaux de la route nationale 205, de l'alternat
dans le tunnel. Il faudra à ce moment-là disposer d'un
état des lieux pour savoir s'il faut décompresser,
décongestionner, donner des signes volontaristes en matière de
rééquilibrage.
Le trafic routier nous mène directement au trafic ferroviaire avec le
fameux projet de liaison Lyon-Turin. Je vous rappelle - mais est-ce
nécessaire ? - qu'il fait partie des quatorze projets
européens d'infrastructures classés prioritaires depuis le sommet
d'Essen, en 1994. Il est destiné aux voyageurs et au fret. La partie
française de la ligne nouvelle a fait l'objet d'un important programme
d'études. L'avant-projet sommaire de la section Lyon - sillon alpin a
été approuvé en mars 2002, et RFF met actuellement au
point celui du tunnel de la Chartreuse. Des consultations locales sont
organisées ou le seront très prochainement par le préfet
de région sur ces études préliminaires d'acheminement des
marchandises entre Lyon-Ambérieu et le massif de la Chartreuse.
Pour ce qui est de la partie internationale, je rappelle qu'à Turin, le
29 janvier 2001, la France et l'Italie ont pris l'engagement de
réaliser cette nouvelle liaison ferroviaire et ont défini les
modalités de mise en oeuvre de la première phase, avec un nouveau
programme d'études et la réalisation des galeries de
reconnaissance, que l'on appelle des « descenderies », dans
un accord signé au cours du sommet, dont l'approbation a
été autorisée par le Parlement avec l'adoption de la loi
du 28 février 2002. Cette première phase est
évaluée à 371 millions d'euros, pris en charge
à parité par la France et l'Italie, avec un concours de l'Union
européenne.
Où en sommes-nous des travaux ?
Les travaux des ouvrages de reconnaissance ont débuté au
printemps, et la descenderie de Modane est en cours. Ils se poursuivront en
2003. Les crédits de la descenderie de Saint-Martin-de-la-Porte, il est
important de le souligner, ont été débloqués.
En termes de coûts, la part française s'élèverait
à 3 milliards d'euros hors taxes - il s'agit seulement d'un ordre
de grandeur. Il faut y ajouter tout ce qui permet de relier le tunnel au
réseau ferroviaire au voisinage de Lyon, soit la ligne à grande
vitesse Lyon - sillon alpin, pour 1,8 milliard d'euros hors taxes ;
l'acheminement du fret jusqu'à la Chartreuse, pour 0,6 milliard
d'euros hors taxes ; le tunnel de la Chartreuse, pour 1,8 milliard
d'euros hors taxes ; l'accès au tunnel de base pour
1,7 milliard d'euros hors taxes. On parvient, en faisant les additions,
à près de 9 milliards d'euros, auxquels il faut
également ajouter le contournement fret de Lyon, qui représente
1,5 milliard d'euros. L'ordre de grandeur total est donc de
10 milliards d'euros.
Le projet Lyon-Turin est bien sûr visé par l'audit qui a
été confié au Conseil général des ponts,
secondé par la DATAR, audit qui permettra de replacer ce projet par
rapport à tous les autres et qui devrait être rendu à la
fin de cette année.
Il reviendra ensuite au Gouvernement de proposer un programme global de
réalisation des infrastructures, après un débat au
Parlement, qui disposera des résultats de l'audit. Ces deux
éléments, l'audit et le débat au Parlement, permettront
donc d'avoir des idées plus claires sur la réalisation de ce
projet.
J'en viens maintenant à la vallée d'Aspe, qui a tout votre
intérêt.
Les travaux du tunnel du Somport seront bientôt achevés. On en est
actuellement à l'étude du règlement de
sécurité. Tout ceci doit intervenir avant la fin de 2002, et
peut-être l'inauguration aura-t-elle lieu avant la fin de l'année
ou tout au début de l'année prochaine.
Il est également prévu de moderniser la route nationale 134, qui
traverse la vallée d'Aspe. Les aménagements envisagés,
avec une voie supplémentaire pour les poids lourds dans les sections
à forte pente et le contournement des villages, sont compatibles avec
les orientations des schémas multimodaux de services collectifs de
transport.
Sur les quarante-six kilomètres qui séparent Oloron-Sainte-Marie
de l'entrée du tunnel, vingt ont été
aménagés au cours des trois précédents contrats de
plan Etat-région, huit sont aujourd'hui en cours de réalisation,
douze en sont au stade des études techniques. Seuls six
kilomètres restent à étudier, et il n'y aurait plus de
traversée de village.
Actuellement, le trafic sur la route nationale 134 en vallée d'Aspe
varie de 6 200 véhicules par jour aux abords d'Oloron-Sainte-Marie
à 800 véhicules par jour au tunnel du Somport.
Les prévisions, qui prennent en compte la réalisation d'une
liaison rapide à deux fois deux voies entre Langon et Pau, confirment
que la route nationale 134 n'a pas vocation à être le support
d'un itinéraire de grand transit routier international. A l'horizon
2020, l'augmentation du trafic en vallée d'Aspe sera sensible, mais
restera compatible asvec la capacité de la RN 134
réaménagée, avec un trafic estimé à
11 000 véhicules par jour aux abords d'Oloron et à
2 600 véhicules par jour au tunnel du Somport.
A titre de comparaison, ce chiffre à l'horizon de vingt ans est voisin
des chiffres actuels sur la route départementale 20 à
Ainhoa-Dancharia, avec 2 500 véhicules par jour, et sur la
route nationale 125 à Fos, avec 3 100 véhicules par
jour. Il représente un cinquième du trafic actuel sur la route
nationale 10 à Urrugne - 13 100 véhicules jour -
et un huitième du trafic sur l'autoroute A9 au Boulou.
Vous m'interrogez également sur le gel de certains crédits dans
le cadre de la politique de maîtrise des dépenses publiques.
Dans les crédits pour 2002 qui ont été gelés, la
part imputée sur les conventions interrégionales de massif
représente aujourd'hui 31,7 millions d'euros, soit environ
10 % du montant total du gel portant sur les crédits
d'investissement routier.
Il s'agit principalement d'opérations dont les travaux n'ont pas
commencé et qui, bien entendu, seront reprogrammés dès le
début de l'année 2003.
M. Jacques Blanc -
Nous n'avons pas posé de question sur le
franchissement des Pyrénées, puisque nous pensons que
Perpignan-Figueras est acquis.
M. Gilles de Robien
- Oui.
M. Jacques Blanc -
Peut-être serait-il néanmoins
opportun que vos services nous communiquent quelques éléments
d'information sur l'évolution des trafics routier et autoroutier pour le
passage des Pyrénées au Perthus, afin que le rapport puisse en
faire état. Nous pourrions ainsi compléter l'éclairage de
la question du tunnel du Somport. Il faut également rappeler que le
tunnel du Puymorens, qui est en service, permet des franchissements dans notre
région.
Par ailleurs, nous considérons que les problèmes d'urbanisme sont
des problèmes majeurs. Je suis frappé de constater que, dans tous
les massifs, les élus, quelle que soit leur étiquette ou leur
expérience, perçoivent des blocages qui ne se justifient pas par
une préoccupation environnementale.
L'objectif de notre rapport est au contraire d'indiquer que la nouvelle
politique de la montagne, en s'intégrant dans le grand mouvement de
développement durable, peut parvenir à l'équilibre entre
développement et protection de l'environnement, et que les processus
d'urbanisme aboutissent aujourd'hui à des situations figées et
à de graves incompréhensions entre certains élus et des
responsables d'associations. Or nous souhaitons contribuer à surmonter
ce blocage.
Tout ce qui permettra non pas d'abandonner la protection de l'environnement,
mais de la concilier avec le développement, et donc de nous inscrire
dans le développement durable, me semble être un
élément majeur.
Je ne reviens pas sur le tourisme, car je suis convaincu que, dans les zones de
moyenne montagne en particulier - et je souhaite pouvoir vous le montrer un
jour dans un département comme la Lozère -, il est un
élément de vie et d'aménagement, à la condition
qu'il recouvre une réalité, que l'on trouve dans ces territoires
à la fois de l'agriculture, des activités commerciales et
artisanales, vous l'avez dit ; je retiens pour ma part le terme de
« génie local ».
Quant aux transports, seuls les problèmes transfrontaliers ont
été évoqués. Je considère que la route
nationale 88, qui représente un désenclavement est-ouest du
Massif central venant compléter l'axe nord-sud de l'autoroute A75, est
un élément majeur d'une politique de la montagne dans le Massif
central. Tous les élus de la région sont même prêts
à participer à la réalisation de la section entre
Montpellier et Perpignan, c'est dire !
Mais la liaison Lyon-Turin nous intéresse aussi, car elle aura un impact
sur l'axe Montpellier-Perpignan-Barcelone !
Je reviendrai enfin d'un mot sur le multimodal, car nous sommes aujourd'hui les
seuls à disposer d'une vraie plate-forme multimodale, celle du
marché Saint-Charles à Perpignan. Certes, elle est
spécialisée dans le secteur des fruits et légumes, mais le
franchissement de montagne qu'elle permet a contribué à la
création d'un lien très fort entre la Catalogne du nord et la
Catalogne du sud. C'est donc là un élément essentiel.
M. Jean-Paul Amoudry -
Monsieur le ministre, j'aborderai très
brièvement cinq sujets, pour certains déjà
évoqués.
Le premier point concerne, dans le domaine de l'urbanisme, la construction en
continuité.
Il n'est pas dans les intentions de notre mission de dénoncer
l'équilibre difficile qui a été obtenu entre les
nécessités de la protection des espaces naturels et agricoles,
d'une part, et, d'autre part, l'objectif légitime d'un minimum de
développement.
Cet équilibre est difficile. Or, sans revenir sur les fondamentaux de
cette question, il nous semble important, comme le soulignait M. le
président à l'instant, de désamorcer autant que nous le
pouvons les conflits, les contentieux extravagants et énormes qui
surgissent, et d'essayer d'assainir, en somme, les relations entre
l'administration et les élus.
C'est pourquoi certains suggèrent de réécrire le
paragraphe III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, ce
que, si nous avons bien compris, vous ne souhaitez pas
a priori
. Vous
semblez préférer l'interprétation,
l'expérimentation, sur la base des DTA ou des prescriptions
particulières de massif. Pourriez-vous nous préciser quelle
solution sera retenue, de façon que notre rapport soit
éclairé sur ce sujet : soit réécrire l'article
L. 145-3, soit procéder par circulaires ?
Mon deuxième souci concerne les UTN. Nous constatons que, si
légitime que soit l'appréciation de la validité
économique d'un grand projet, de nombreux abus, et je pèse mes
mots, sont actuellement commis par l'administration. J'en citerai deux.
Nous avons dans ma région une piste de ski de fond, un grand
itinéraire de plusieurs kilomètres, que nous souhaitons agrandir
en créant une excroissance en continuité avec l'existant. Eh
bien, on demande une UTN, au motif que nous sommes en site vierge !
Autre exemple, celui d'une UTN qui concerne la densification d'une station
importante et reconnue ; dans ce cas particulier, l'administration exige
qu'un arrêté de biotope soit instruit et signé à
l'autre extrémité de la collectivité, à plusieurs
kilomètres à vol d'oiseau, ce qui semble n'avoir aucun lien.
Je voudrais donc savoir si l'appréciation de l'administration, dont le
principe n'est pas remis en cause, ne doit pas obéir à un certain
nombre de critères, de règles du jeu, comme le fait notre action
lorsque, en tant qu'élus locaux, nous instruisons un dossier.
Le troisième point concerne l'article 53 et la neige de culture.
J'avais adressé à votre prédécesseur une question
écrite visant à savoir comment aménager cet article afin
de permettre que la neige de culture et ses installations puissent
bénéficier de servitudes. Nous avons compris à vos propos
que, en l'état actuel du droit, une telle démarche n'était
pas possible et qu'il fallait modifier la loi. Nous étudierons donc
cette question.
Le quatrième point concerne ce que nous avons appelé le
« plan de sauvetage des stations » - le terme est quelque
peu trivial. Nous pensons bien que c'est essentiellement aux régions et
aux départements de venir aujourd'hui au secours de ces secteurs, qui
tendent à devenir des friches. L'État pourrait-il, sous la forme
d'accompagnements fiscaux par exemple, soutenir cet effort, dans le cadre d'un
esprit partenarial ? Car c'est bien lui qui était à
l'origine de ces stations dont on a trop tendance à dénoncer
aujourd'hui le lancement trop imprudent.
Ma question suivante concerne la viabilité hivernale qui, je le sais, ne
relève pas directement du législateur. Toutefois, je voudrais ici
me faire l'écho des très nombreuses collectivités qui ont
le plus grand mal à appliquer les récentes mesures prises pour
régler les problèmes relatifs aux conditions de travail des
personnels, en particulier des personnels de déneigement.
Ce que nous demandons simplement, c'est que l'Etat français veuille bien
appliquer en la matière la directive européenne, ni plus ni
moins, tout en tenant compte des possibilités d'assouplissement que
prévoit cette directive. Ne soyons pas plus européens que
l'Europe !
Enfin, il est un dernier point sur lequel je voudrais vous interroger, monsieur
le ministre, je veux parler de la traversée des Vosges. Pouvez-vous nous
dire si des perspectives de délestage des itinéraires
traversés de certains villages vosgiens sont envisagées au sein
de votre ministère ?
M. Gilles de Robien -
Au sujet de la DTA, je rappelle que le grand
principe d'urbanisation en continuité est un principe fondamental en
matière d'urbanisme, tout particulièrement en zone de montagne.
Par conséquent, si un assouplissement était possible, il devrait
soit être subordonné à l'existence d'un document cadre, par
exemple, une prescription particulière de massif, soit être soumis
à un avis conforme de l'Etat s'il n'y a pas de pression urbaine forte y
compris pour les résidences secondaires.
Concernant la notion de construction en continuité, c'est une notion
effectivement complexe et qui donne lieu à diverses
interprétations. Or je rappelle que le Sénat, dans son rapport,
avait constaté qu' « une jurisprudence abondante a
largement éclairé ces questions ». En d'autres termes,
il y a aujourd'hui moins de zones d'ombre dans ce domaine.
Il nous faut donc faire très attention à l'application du
principe de continuité et s'il doit y avoir assouplissement, celui-ci
doit se faire dans le cadre d'un texte qu'il s'agisse d'une prescription
particulière de massif ou d'un avis conforme. Là encore,
j'émets certaines réserves quant aux travaux menés en
relation avec le ministère de l'environnement.
M. Jean-Paul Alduy -
Je résumerai mon propos de la manière
suivante : il convient de raisonner simplement. Je m'explique. Dès
lors qu'un document d'urbanisme a été rédigé avec
les communes de certains massifs et les différents ministères
concernés - urbanisme, environnement, etc - je considère qu'il
doit être permis d'assouplir la règle de la discontinuité.
La jurisprudence dans ce domaine n'est ni faite ni à faire.
Il s'agit de régler des situations proprement grotesques et j'en
donnerai un seul exemple. Aujourd'hui, un maire qui se voit obliger de
construire un lotissement pour agrandir son village ou pour le
désenclaver, s'il ne veut pas avoir à sa petite échelle
une usine AZF comme à Toulouse, doit trouver un terrain non sensible. Or
on lui rétorque qu'il y a discontinuité. Il va donc falloir qu'il
construise des maisons jusqu'au terrain où il pourra installer son usine
polluante. C'est n'importe quoi !
Par conséquent, on voit bien que la seule solution est de fabriquer un
document d'urbanisme de planification intercommunale afin de régler ce
problème lancinant de la discontinuité.
M. Gilles de Robien -
Je suis assez d'accord avec M. Alduy mais
j'émettrai tout de même quelques réserves, car si cette
procédure se situe au seul niveau intercommunal, c'est un peu
limité. En revanche, l'idée selon laquelle il convient de faire
simple est une idée à retenir.
M. Pierre Jarlier
- En ce qui concerne la protection des paysages,
monsieur le ministre, il me semble que certaines règles vont
au-delà de la simple continuité concernant les
périmètres de protection autour des lacs et des hameaux,
notamment, et il m'apparaît que nous sommes aujourd'hui dans une
situation de blocage. C'est la raison pour laquelle on avait introduit ce
fameux article auquel vous avez fait référence tout à
l'heure sur la possibilité de constructions.
Pour ma part, je me demande si, à l'image de ce qui s'est fait pour les
constructions à proximité des routes à grande circulation
ou des autoroutes, l'on ne pourrait pas déroger à certaines
règles prévues dans le document d'urbanisme tout en maintenant,
bien entendu, la philosophie de ce dernier.
Partagez-vous ce sentiment, monsieur le ministre ?
M. Gilles de Robien -
Je partage totalement cette analyse, monsieur le
sénateur. Toutefois, cela mérite peut-être une expertise
afin d'examiner toute la pertinence juridique de votre proposition. En outre,
il est vrai que localement on est souvent plus respectueux encore de toutes les
données paysagères.
Pour ce qui est de la procédure UTN, je confirme qu'il faut l'assouplir
en faisant la part des petites unités et des grosses unités, de
celles qui nécessitent véritablement des procédures
lourdes et celles qui pourraient être allégées. Donc,
là aussi, je suis tout à fait d'accord pour faire preuve d'un peu
de souplesse.
Concernant la mise en oeuvre d'un « plan de sauvetage » des
stations, la réponse ne m'appartient pas tout à fait, sinon je
signerais tout de suite, vous le pensez bien.
Quel soutien fiscal pour une telle opération ? Comment ? Ces
questions méritent effectivement d'être posées en haut lieu
et peut-être même lors d'un prochain débat. Pourquoi
pas ?
S'agissant du personnel de déneigement, j'avoue ne pas encore
suffisamment connaître le sujet pour vous répondre.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je voulais simplement ne pas perdre l'occasion de
votre audition, monsieur le ministre, pour soulever cette question tout
à fait d'actualité à la veille d'une saison de sport
d'hiver. Bien entendu, il ne s'agit pas d'une question strictement
législative, j'en conviens, mais la réponse à cette
question au plan de la liberté de manoeuvre en montagne est
extrêmement attendue.
M. Gilles de Robien -
J'en viens au désenclavement vosgien pour
lequel des opérations ont été ou seront effectuées.
Le problème se pose d'abord sur la RN 66 où circulent beaucoup de
poids lourds et où les riverains se plaignent, à juste titre,
tout au long de cet itinéraire. Il s'agit donc ici de dévier les
transports routiers en transit par le nord et le sud des Vosges. Le
préfet a d'ailleurs pris des arrêtés afin de réduire
le nombre de poids lourds passant par le col de Bussang de 2 000 à 1 300
par jour ouvrable.
En ce qui concerne la fermeture du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, cela ne
doit sans doute pas faciliter la circulation dans cette région, mais
elle était rendue nécessaire par des raisons impérieuses
de sécurité.
On a observé sur la RN 415 un report au Col du Bonhomme avec
300 poids lourds par jour, c'est-à-dire 43 %
supplémentaires. Les travaux de remise en état de ce tunnel qui
sont concédés à la SAPRR sont programmés pour
débuter au début de l'année prochaine. Il reste toutefois
à clarifier des dispositions financières en relation avec la
commission, notamment une augmentation de la durée de la concession.
Enfin, je rappellerai brièvement les travaux sur la RN 4, entre
Lunéville et Phalsbourg, et sur la RN 59, entre Lunéville et
Sélestat.
M. Auguste Cazalet -
Monsieur le ministre, je vous ai
écouté avec beaucoup d'attention, surtout lorsque vous avez
parlé des Pyrénées. Toutefois, je n'ai rien entendu dans
vos propos concernant le grand projet Saragosse-Toulouse et j'aimerais savoir
si ce dernier est tombé dans les oubliettes.
S'agissant de la traversée des Pyrénées qui actuellement
ne se fait que d'ouest en est, c'est-à-dire par les
Pyrénées-Orientales et par le Pays Basque, certes le tunnel du
Somport devrait bientôt rouvrir, ce qui sera sans doute de nature
à résoudre le problème de l'augmentation du nombre de
véhicules. Cela dit, la traversée d'Oloron est loin d'être
réglée et nous nous demandons comment nous allons faire avec 11
000 véhicules prévus.
Par ailleurs, il me semble que vous êtes passé un peu vite sur la
liaison Langon-Pau qui, elle aussi, devrait voir un déferlement de
véhicules, mais qui contribuerait tout de même à
désengorger un peu l'axe Bordeaux-Bayonne qui est devenu infernal.
D'ailleurs, personnellement, en tant qu'élu des Pyrénées
Atlantiques, je refuse d'aller par la route à quelque manifestation que
ce soit dans la capitale de l'Aquitaine, Bordeaux. En effet, ma famille a
payé un lourd tribut à la route puisque trois de mes proches ont
été tués sur cet axe. Je suis donc devenu un fervent
défenseur du train pour me rendre à Bordeaux.
On va presque deux fois plus vite à Toulouse qu'à Bordeaux. C'est
pourquoi j'avais demandé que l'on rattache les
Pyrénées-Atlantiques à Toulouse, mais on m'en a
dissuadé fermement. Cependant, je vous le dis tout de même,
monsieur le ministre, tant ce problème me tient à coeur.
Alors on prétend sauver cette région en rouvrant la ligne de
chemin de fer Pau-Canfranc. Cela, je voudrais bien le voir avant de
mourir !
En résumé, monsieur le ministre, je suis très inquiet
quand j'entends parler de la traversée des Pyrénées et
c'est la raison pour laquelle je deviens un peu passionné quand on
aborde le sujet.
M. Gilles de Robien -
Il existe vraiment un consensus, monsieur le
sénateur, pour la voie rapide deux fois deux voies, évidemment
mieux sécurisée.
S'agissant de l'axe Langon-Pau, tous les élus réclament une voie
autoroutière. Par conséquent, croyez bien, monsieur le
sénateur, que ce souhait est défendu au sein de mon
ministère ; c'est même l'une des priorités
autoroutières à venir.
Quant à la traversée des Pyrénées, il faut rappeler
la forte volonté du gouvernement espagnol. J'ai rencontré tout
récemment l'ambassadeur d'Espagne en France qui m'a dit combien il
comptait sur nous pour mener des études dans ce domaine.
Or, à part les projets que j'ai cités, à savoir
Perpignan-Figueras ainsi que la réouverture du tunnel du Somport,
j'avoue qu'il n'y a pas grand-chose de prévu même si l'on peut
envisager une traversée supplémentaire à l'image du
Lyon-Turin, ce qui engage tout de même une dépense de quelque
10 milliards d'euros au minimum.
Certes, je comprends bien que cela soit une préoccupation pour le grand
Sud-Ouest et tout à l'heure j'ai cité M. Jean
François-Poncet qui, lui aussi, est partisan d'une liaison Nord-Sud
passant par le milieu des Pyrénées. Mais, aujourd'hui, je dois
à la vérité de dire qu'il n'existe pas de projet fort
avancé dans ce domaine, ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas en
préparer pour les années à venir, monsieur Cazalet !
M. Jean Boyer
- Je ferai deux remarques, monsieur le ministre.
Tout d'abord, sur la nécessité de laisser aux
collectivités un peu plus de souplesse, il convient, dans ce domaine, me
semble-t-il, d'interpréter les textes avec bon sens ; je pense,
notamment, à la règle des cinquante mètres ou des cent
mètres pour la construction d'un bâtiment d'élevage.
Deuxième point. Vous savez, monsieur le ministre, qu'il existe tout
particulièrement dans nos zones de montagne des friches agricoles,
c'est-à-dire des bâtiments agricoles désaffectés.
Or, jusqu'à ces dernières années, ces bâtiments ne
pouvaient pas bénéficier de primes à l'amélioration
de l'habitat. La loi de décembre 2000 a permis de telles subventions.
Dès lors, pouvez-vous faire le point de l'application de cette loi, car,
aujourd'hui, les barrages sont si importants qu'il est pratiquement impossible
à un propriétaire de granges ou d'étables de transformer
celles-ci en bâtiments locatifs ?
M. Gilles de Robien -
Hélas, je n'ai pas de réponse
à votre question, monsieur le sénateur, mais je vous
suggère d'adresser à mon ministère une question
écrite pour que vous soyez tout à fait éclairé sur
ce point. Pour ma part, j'étais resté dans l'idée que la
transformation des bâtiments de ce type en bâtiments d'habitation
était possible grâce à un cofinancement de l'ANAH. C'est
pourquoi votre question m'étonne quelque peu.
M. Pierre Jarlier -
Pour compléter la question que vient de poser
notre collègue Jean Boyer, j'ajouterai qu'il existe une
difficulté majeure quant à la mise en oeuvre de cette loi de
décembre 2000, à savoir que la réhabilitation dont nous
parlons est assimilée à une construction ne
bénéficiant pas de la TVA à 5,5 % et d'un régime
fiscal moins intéressant.
M. Jean-Paul Amoudry
-
.
Nous vous remercions de vos
éclaircissements, monsieur le ministre.
50. Audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (25 septembre 2002)
M.
Jacques Blanc, président
- Je suis heureux d'accueillir le ministre
de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de
l'aménagement du territoire.
Nous sommes au coeur des préoccupations de l'aménagement du
territoire, puisque la vie en montagne est indispensable si l'on veut assurer
le développement durable et l'équilibre de l'aménagement
du territoire.
Nous avons tous pensé qu'il était important, dans le cadre de
l'année internationale de la montagne, que le Sénat puisse faire
le point et surtout avancer des propositions nouvelles pour assurer de
véritables chances à la montagne.
Aujourd'hui, tout le monde parle de développement durable. Le
président de la République l'a rappelé à
Johannesburg, et nous sommes convaincus que la montagne peut être un
exemple de ce développement équilibré, avec la protection
de l'environnement.
Encore faut-il que l'on sorte d'un certain nombre de blocages. Dans tous les
massifs, nous avons rencontré des gens déterminés, un peu
sous le coup des difficultés, mais aussi pleins d'espérance et de
volonté.
Nous avons eu de très nombreuses auditions. Nous allons en faire une
synthèse très rapidement pour respecter les
échéances et nous poursuivrons ensuite l'action, en particulier
au niveau européen, pour arriver à une reconnaissance de la
politique de la montagne.
Nous t'avons adressé un questionnaire ; notre souhait est que tu y
répondes mais surtout qu'il puisse y avoir un échange pour afin
de savoir ce que le Gouvernement compte faire ou ne pas faire -et c'est parfois
un peu compliqué.
M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la
réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire
-
J'ai vraiment l'impression d'être entre amis et ceci me réjouit.
Je voudrais excuser le délégué de la
Délégation à l'Aménagement du Territoire et de
l'Action régionale (DATAR), à qui j'ai demandé de me
représenter à une réunion interministérielle
importante sur la téléphonie mobile, qui porte notamment sur un
accord que l'on a pu obtenir avec l'ART entre les 3 opérateurs pour
investir sur les zones blanches non couvertes par le marché.
La question à laquelle je suis désireux et heureux de
réfléchir avec vous au travers de votre mission, mais aussi au
travers du Conseil national de la Montagne (CNM), porte sur la politique que
nous voulons pour la montagne mais aussi sur le fait de savoir ce que l'Etat
peut apporter à la montagne et sur ce que la montagne peut apporter
à la France en matière d'économie et de
développement.
Sous le vocable "montagne" se cachent des situations extrêmement
différentes et il serait peut-être souhaitable d'avoir certains
ajustements en fonction des spécificités. Peut-on, dans le
système de la contractualisation, adapter les politiques de l'Etat aux
situations locales pour favoriser le développement et le potentiel de
ces massifs ?
Les trois missions que j'ai fixées à la DATAR portent sur la
façon de développer l'attractivité des territoires,
d'anticiper et d'accompagner les mutations économiques auxquelles nous
assistons plutôt que de subir la crise, et sur la manière de
mettre en place une problématique de solidarité des territoires.
Le deuxième élément que je voudrais citer sont les axes
souhaités par le Premier ministre : restauration de
l'autorité de l'Etat, dialogue avec les différents acteurs et
surtout en ce qui nous concerne libération des initiatives locales.
Sur le plan budgétaire, nous quittons la problématique de
l'affichage pour aller vers la politique de l'exécution. Je vais
demander que, dans les contrats de plan, ne soient plus inscrits que des
objectifs ou des dossiers dont on a la date de réalisation.
Il n'est pas raisonnable d'inscrire dans des contrats de plan des
opérations qui nécessitent encore 3 ans d'études et 2 ans
d'enquête publique. On mobilise de l'argent pour des choses qui ne sont
pas réalisées.
Nous souhaitons donc avoir une réflexion sur l'objectif à
atteindre, sur le calendrier nécessaire à sa réalisation
et sur la politique que l'on peut mettre en place.
Dans l'une de vos questions, vous demandez quel est le volume des moyens que
l'Etat consacre à la problématique "montagne", en
dépassant les frontières administratives des départements,
des régions, etc.
Une des questions fondamentales à laquelle j'aimerais que l'on puisse
répondre est la suivante : quel effet positif en matière de
croissance, de PIB, de valeur ajoutée par emploi peut-on obtenir par
injection d'argent public ?
Les indicateurs peuvent être différents. On a une lecture
démographique. Je ne suis pas convaincu qu'en ce qui concerne les
massifs de montagne, la démographie soit un élément
déterminant de la puissance du massif ! C'est peut-être au
contraire l'absence de démographie, parce qu'il y a un site naturel
autour duquel on peut déclencher toute une dynamique de tourisme, etc.
Il serait donc intéressant de réfléchir aux indicateurs de
performance que vous voulez avoir et à l'apport d'argent public
nécessaire aux objectifs visés. C'est un débat dont je
puis preneur.
L'autre changement culturel, c'est la culture du projet, en distinguant projet
et exécution.
Sur ce thème, je vais prendre l'exemple des fonds structurels
européens dont nous avons immédiatement pris la mesure de la
non-consommation des fonds structurels européens et de leur
non-programmation.
Nous avons, dès le 31 juillet, en conseil des ministres, mis en place un
certain nombre de dispositifs. Aujourd'hui, il existe un grand nombre de
simplifications de procédures. Les secrétaires
généraux aux affaires régionales (SGAR) sont à
votre disposition, avec une "task force" au niveau de la région, ainsi
que la DATAR au niveau national pour initier et accompagner les projets.
Les fonds structurels seront reçus directement par les préfets
de région à partir du 1
er
janvier 2003. Vous pourrez
recevoir des fonds même si les travaux sont commencés. Vous
bénéficierez d'une certaine globalisation pour les subventions
inférieures à 23.000 euros et de simplifications pour les
subventions de moins de 100.000 euros.
Il existe aujourd'hui des mesures de simplification très importantes, y
compris de la part du trésor public, pour faire en sorte que le projet
prime plus que le contrôle. Certes, nous serons toujours vigilants sur le
contrôle des paiements et sur la qualité des dossiers puisque nous
sommes responsables, vis-à-vis de Bruxelles, de la bonne utilisation des
fonds communautaires mais, à l'évidence, en soignant les wagons
et non la locomotive, on a des wagons propres, mais la locomotive ne
démarre pas !
Nous souhaitons donc, avec la DATAR, peser sur l'accompagnement des projets, et
cette culture rentre dans la problématique que vous évoquiez sur
la politique de montagne en termes de massifs et de comités de massif.
Concernant les commissaires de massif, une de nos interrogations est de savoir
si ceux-ci n'auraient pas vocation à s'investir dans l'ingénierie
et la conception des projets, laissant aux préfets la partie relative
à l'exécution des crédits. Comment déconnecter
l'ingénierie de projet de la mobilisation des crédits ? Cela
peut être un facteur de réforme de l'Etat au sens d'une plus
grande efficacité. En tout cas, nous sommes demandeurs de vos
réflexions sur ce sujet.
Second élément : desserrer les contraintes et les
procédures. Il y a aujourd'hui un vrai problème et une obligation
de réduire les délais entre la prise de décision et
l'action politique.
Souvent, une fois une décision prise collégialement, on tombe
dans un maquis de procédures, et la population ne comprend pas que 2, 3,
4 ans après, le discours ne se traduise pas dans les faits.
Nous souhaitons avec vous réfléchir à l'assouplissement
des procédures. Je pense qu'il faut revoir les procédures
Unités touristiques nouvelles (UTN). Nous allons d'ailleurs demander au
conseil national de la montagne de bien vouloir regarder ce sujet et de nous
faire des propositions.
Nous devons aussi réfléchir à la suppression des doublons
entre le local, le régional et le national. Dans la logique du projet de
territoire et de la structuration, il faut également que nous
réfléchissions à l'opposabilité aux tiers de
documents juridiques stricts, mais toutefois relativement souples dans leur
établissement.
Il existe une superposition de documents juridiques qui ne sont pas toujours
compatibles et qui créent une source de contentieux, de contraintes et
de difficultés d'adaptation, au moment où la mondialisation
impose une réactivité dans la prise de décision politique.
On a besoin d'une approche mobile d'un territoire qui peut brutalement, en
quelques années, changer de fonctionnalité du fait du
vieillissement de la population ou de relations domicile-travail qui engendrent
de nouvelles relations par rapport à la fonctionnalité
économique.
Nous sommes là aussi demandeurs par le CNM de vos propositions.
Troisième élément : nous sommes convaincus en ce qui
nous concerne que chaque territoire a ses propres potentialités, mais
aussi ses propres handicaps, et vouloir avoir une approche uniforme à
l'échelon national est une erreur.
Nous devons au contraire réfléchir à la
complémentarité des territoires et faire en sorte que l'Etat joue
sur les deux tableaux pour conforter et développer les
potentialités et réduire les handicaps.
Sur ce sujet, la connaissance du terrain des élus locaux est
essentielle. La conceptualisation doit être accompagnée par les
services de l'Etat, mais elle doit aussi émerger d'une mobilisation
locale, pour faire en sorte que ces projets soient les plus compatibles
possible avec la synergie nationale.
D'où l'idée qui est la nôtre des pays, à mi-chemin
entre celle de Pasqua, qui réformait l'organisation de l'Etat, et celle
de Voynet, qui réorganisait plutôt l'aménagement urbain et
rural. Nous souhaitons que ce pays soit un espace relativement informel et
souple d'organisation de projets de territoire, avec une volonté des
élus locaux de concevoir ce type de projet, qui ne doit en aucun cas se
transformer en structure administrative. Même si l'on devait mobiliser
des crédits, ceux-ci devraient être directement injectés
sur les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui
en auront la charge.
C'est un débat au sein du Gouvernement. Nous souhaitons des objectifs
simples : lisibilité dans les objectifs, clarification dans les
moyens et évaluation dans les résultats.
J'ai bien vu dans les conventions de massif que votre recherche était
identique à la nôtre sur le plan du développement de
l'économie, de l'emploi, et de la matière grise.
Je crois que nous avons là une réflexion importante à
mener. L'avenir de ce pays passera par sa capacité à
l'investissement public, mais aussi à conserver sa matière grise.
Je vous sais par ailleurs extrêmement sensibles à la notion
d'infrastructures. Le Gouvernement a pris la décision, devant le bilan
du financement des projets annoncés, de confier à la DATAR une
étude pilotée avec les Ponts et Chaussées, pour
répondre à la question : de quelles infrastructures la
France doit-elle se doter pour peser dans l'économie logistique du
XXI
ème
siècle ?
Faut-il privilègier l'accord de Kyoto pour favoriser les modes de
transport qui produisent moins de CO2 ? Faut-il privilégier le
temps ? Faut-il privilégier le fret maritime ? Faut-il
distinguer les flux de marchandises du flux des hommes ? C'est un
débat parlementaire que vous aurez ensemble.
Autre question : comment ensuite mettre en place des stratégies de
proximité avec les régions ?
Je voudrais à présent apporter un certain nombre de
réponses succinctes aux questions que vous m'avez posées.
Nous vous avons préparé certains documents et mes collaborateurs
pourront bien entendu vous apporter les éléments de
réponse complémentaires dont vous auriez besoin.
Première question : "A combien s'élèvent les sommes
consacrées à l'aménagement du territoire en
montagne ? Quelle a été leur évolution entre 1985 et
2001 ?".
Les crédits d'auto-développement ont fait l'objet d'une
revalorisation en 1999 à hauteur de 4,6 millions d'euros. Le Fonds
national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT)
s'élève à 90 millions et nous avons ensuite des
crédits déconcentrés et confiés aux commissaires de
massif, dont le fonctionnement est intégralement pris en charge par le
budget de la DATAR -411.000 euros- auquel il faut ajouter les contrats de plan,
que l'on peut évaluer à 261 millions d'euros.
"Vous semblerait-il utile, dans un souci de lisibilité, de regrouper
l'ensemble des crédits du FNADT en faveur de la montage dans un fonds
spécialisé ? Dans le cas contraire, comment améliorer
la lisibilité ?".
Nous devrions, si on allait jusqu'à votre exigence, mettre en place un
fonds commun très ciblé. Nous pensons que les conventions
inter-régionales de massif pour la période 2000-2006, mises en
place à l'occasion de la nouvelle génération de contrats
de plan, répondent au souci de pérennisation d'une politique de
montagne et engagent l'ensemble des acteurs concernés. C'est une bonne
illustration d'un engagement de l'Etat, notamment dans une configuration
interministérielle.
Nous réfléchissons d'ailleurs à la nécessaire
coordination locale et centrale des services de l'Etat.
J'attire votre attention sur l'intérêt que le Parlement doit
porter à la nouvelle loi de finances, sur laquelle vous avez le pouvoir
de demander des résultats et des évaluations des politiques mises
en oeuvre.
J'ai demandé aux services de la DATAR et autres services publics de nous
préparer une évaluation des politiques publiques initiées
au travers de ce ministère. Je suis tout à fait prêt
à regarder comment répondre à vos exigences sur ce sujet.
"Faut-il inscrire dans la loi un recensement exhaustif des concours publics en
faveur des zones de montagne ?".
Une première réponse est aujourd'hui apportée par le
décret de 4 juillet 2002. Le préfet doit produire devant le
comité de massif un rapport d'activité des actions de l'Etat en
faveur du massif.
"Comment mieux coordonner les contrats de plans et les conventions
inter-régionales ?".
Les conventions inter-régionales sont adossées dans leur principe
aux contrats de plan Etat-région, notamment pour la durée, la
typologie des mesures et le mode de programmation.
Les conventions inter-régionales n'ont pas vocation à doubler les
contrats de plan Etat-région, mais il peut y avoir un certain nombre de
politiques concernées. Je pense notamment au système
d'informations géographiques sur l'ensemble d'un massif, qui servent les
politiques régionales et qui ne sont souvent que partiellement
concernées par le massif.
C'est une coordination positive. Il faut là aussi que l'on puisse
réfléchir par rapport aux objectifs affichés par les uns
et par les autres et trouver les espaces de coordination.
Vous avez indiqué que vous souhaitiez voir lever un certain nombre de
freins administratifs, comme l'impossibilité pour les préfets
d'ordonnancer des crédits hors de leur région de
compétences ou l'incapacité de vérifier si les
ministères remplissent leur engagement financier. Le décret du 4
juillet permet normalement de répondre à vos exigences.
S'il y a dysfonctionnement ou retard dans l'application de ces
procédures, nous sommes à votre disposition.
Ainsi nous avons décidé d'avoir, sur les fonds structurels, une
réunion mensuelle avec les SGAR au cours de laquelle nous faisons une
évaluation de la programmation et de l'exécution, et nous sommes
à l'écoute des parlementaires pour faire appliquer la loi.
"Faut-il modifier les statuts de comités de massif pour leur donner plus
de dynamisme ?".
J'ai demandé à la DATAR, à l'occasion d'une réforme
des décrets, d'intégrer la co-présidence pour valider une
composition de comité plus adaptée, notamment en prenant en
compte les acteurs économiques et les forces vives, en faisant en sorte
de proposer un mode de fonctionnement qui place le comité au centre des
décisions stratégiques et en évaluant les besoins de
fonctionnement en moyens humains et financiers.
Vous nous avez par ailleurs interrogés sur le jugement que nous portions
sur le conseil national de la montagne, en particulier pour savoir si sa
composition nous semblait ou non satisfaisante et si la création de la
commission permanente, en 1996, nous avait donné satisfaction.
On a mis en place une série de mesures que vous connaissez sur le nombre
de membres. Je serai, en ce qui me concerne, très vigilant quant
à leur liberté d'expression au sein de la commission permanente
et des groupes de travail.
Je crois que le calendrier de la politique de la montagne est propice à
une mise à l'épreuve de l'ensemble du dispositif institutionnel.
Un nouveau conseil national, qui sera nommé par le Premier ministre, se
réunira dans les prochains mois. Je serai attentif à toutes vos
propositions pour favoriser la démocratie et l'expression des forces
locales et sociales du territoire concerné, mais aussi pour prendre
garde à ne pas multiplier les instances de concertation.
Nous ne sommes pas opposés à des propositions de modification de
ces instances de concertation, au nom de l'efficacité de l'action
publique, à laquelle nous sommes extrêmement attachés.
"Faut-il donner à l'institut de la montagne un rôle
d'expertise ?". Je suis assez favorable au fait que l'institut de la
montagne puisse faire une évaluation de l'année internationale de
la montagne.
Nous ne pouvons plus nous contenter d'avoir un indice de satisfaction en
fonction des crédits mobilisés ou engagés.
Je serai très exigeant sur la réflexion qui doit être la
nôtre. Quelle ambition voulons-nous pour nos massifs ? Quelle
stratégie souhaitons-nous mettre en place ? Quels moyens
devons-nous mobiliser pour cela ?
C'est un outil très important de responsabilisation des citoyens sur le
plan local, de mobilisation des élus et d'engagement de l'Etat sur un
objectif déterminé. L'important n'est plus la somme ou le montant
des moyens engagés mais les résultats que l'on veut obtenir et
les effets de l'argent public sur le développement des territoires.
"Faut-il reconnaître le Morvan en tant que massif ?".
Les communes du Morvan classées en zone de montagne représentent
40.000 habitants, alors que l'ensemble des massifs métropolitains
représentent 162.000 km 2 et 8 millions d'habitants. Nous ne
pouvons -dans un premier temps du moins- reconnaître le Morvan comme
massif, alors que sa pondération est faible par rapport aux autres, ni
nier le fait que les communes du Morvan veulent être reconnues comme zone
de montagne.
Nous aurions donc tendance à proposer une stratégie en escalier.
Les commune du Morvan ayant eu la pertinence de bien se structurer en pays,
nous pourrions parfaitement imaginer une extension du comité du Massif
central.
Le Morvan est en effet la porte d'entrée du Massif central et nous ne
sommes pas opposés à cette réflexion. Au vu d'une demande
formelle des élus du Morvan, je demanderai à la DATAR de bien
vouloir engager une concertation sur ce sujet, notamment dans le cadre du
comité de Massif central et dans la perspective d'un futur décret
en conseil d'Etat qui pourrait aboutir à une définition nouvelle
du Massif central.
Vous avez évoqué le droit d'urbanisme en montagne, mais j'ai bien
conscience que c'est surtout mon collègue de l'équipement que
vous avez souhaité entendre.
Sur le plan normatif, les directives territoriales d'aménagement (DTA)
et les prescriptions particulières de massifs (PPM) se trouvent en
totale concurrence, avec des logiques parfois convergentes, mais aussi parfois
divergentes.
Il nous faut en même temps réfléchir à
l'élaboration de documents structurant les projets de territoire
souhaités par les élus locaux, en faisant en sorte qu'ils soient
relativement souples et conciliables avec les projets d'urbanisme locaux
opposables aux tiers sur le plan juridique.
Sans cette opposabilité, les contentieux risqueraient de mettre en
péril les stratégies politiques que vous vous fixez. La
cohérence des investissements publics a besoin d'un outil de pilotage et
de projection structuré complémentaire, mais il faut prendre
garde à ne pas l'entourer de trop de contraintes juridiques, car
l'adaptation nécessiterait des années de procédure.
L'Etat sera toutefois vigilant pour libérer les initiatives locales,
tout en maintenant une certaine contrainte en matière de protection des
sites qui assurent notre richesse nationale.
Vous avez par ailleurs demandé si nous entendions, dans la nouvelle
génération de fonds structurels, défendre les territoires
à spécificité.
C'est une question importante. Je rencontre M. Barnier le 7 octobre
à Bruxelles, avec l'ensemble des ministres de l'aménagement du
territoire des différents pays européens. Michel Barnier est
favorable à un certain assouplissement des documents uniques de
programmation (DOCUP), non sur la règle de dégagement d'office,
mais éventuellement sur la fongibilité.
Nous devons réfléchir, avant la fin de l'année, aux
nouvelles générations de fonds structurels après 2006.
Nous devons en effet consommer les fonds structurels actuels de la
période 2000-2006. Si nous ne le faisons pas, nous aurons beaucoup de
mal à demander de nouveaux fonds après 2006 !
M. Jacques Blanc
- Merci.
Tu l'as dit toi-même, il y a deux notions de pays, le pays type Pasqua,
informel, et le pays type Voynet, qui exige une structure administrative qui
est devenue insupportable. En montagne, c'est encore plus sensible qu'ailleurs,
car plus personne ne s'y retrouve. Je crois que si l'on pouvait accepter les
projets qui n'ont pas de structures administratives, on éviterait bien
des problèmes.
En second lieu, tu n'as pas abordé le sujet des zones de montagnes
classées en revitalisation rurale. Nous souhaiterions que puissent
être appréciées les retombées de cette
classification qui entraîne des avantages fiscaux. Certaines de ces zones
ne bénéficient pas de la prime à l'aménagement du
territoire (PAT). Pourquoi ne pas envisager des régimes
spécifiques qui permettraient de compenser l'abandon de la prime
PAT ? Pourquoi ne pas expérimenter des zones franches ? La
question mérite d'être posée.
Par ailleurs, l'Europe n'a pas reconnu la réalité de la montagne
dans ses politiques, à l'exception de la première
indemnité spéciale montagne relative au problème de la
vache tondeuse.
Tu as dit que tous ces sujets seraient évoqués à nouveau
en 2006. Le commissaire Fishler ne ferme pas la porte à une politique
spécifique dans les régions à handicap permanent. La
perspective mérite d'être explorée pour éviter de se
retrouver sans aucun crédit en 2006.
Enfin, il serait bon que l'on puisse aller immédiatement vers la gestion
régionale des fonds européens. On perd des crédits !
Une véritable décentralisation permettrait de faire face à
ce problème. Ce qui se fait en Alsace devrait pouvoir se faire dans
toutes les régions qui le demandent. Certaines sont armées pour
cela !
M. Jean-Paul Amoudry
- Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous
dévoiler vos intentions en ce qui concerne la téléphonie
mobile, puisque nombre de massifs sont encore dans l'ombre ?
En second lieu, comment voyez-vous la place et le rôle des comités
de massif dans les régions de demain ? Nous pensons que le
comité de massif doit être un lieu de réflexions, de
débats, de propositions, un outil au service des régions, un
facteur d'unité et de convergence.
Enfin, la moyenne montagne et les domaines de ski nordique souffrent beaucoup.
Dans les années 1960-1970, l'Etat était solidaire des petites
associations locales ; aujourd'hui, faute d'enneigement suffisant, ces
stations sont souvent seules face au département ou à la
région.
Certes, en cette ère de décentralisation, la solution passe par
la responsabilisation des collectivités régionales et
départementales. Néanmoins, l'aménagement du territoire
relevant de la responsabilité de l'Etat, quelle serait la place de
l'Etat aux côtés des collectivités locales,
régionales et départementales pour accompagner un plan de
sauvetage de cette moyenne montagne ?
Nous nous dirigeons en effet vers des régions de friches où
l'hôtel, le meublé, la location sont en phase de détresse.
M. Pierre Jarlier
- Monsieur le Ministre, la moyenne montagne
connaît des difficultés majeures en termes de démographie,
mais aussi en termes de pertes d'activités.
Malheureusement, le soutien des fonds structurels européens s'est
effectué à un niveau régional. Quelquefois, ces
territoires n'ont pas été identifiés en tant que tels
parce qu'ils étaient inscrits dans une région qui avait un
produit intérieur brut (PIB) suffisamment important pour assurer un
certain développement.
Vous avez dit qu'il fallait prendre en compte d'autres critères que ceux
de la perte de démographie pour définir la politique de fonds
structurels.
N'est-ce pas l'occasion d'identifier ces territoires à partir de
critères parfaitement objectifs -évolution démographique,
y compris négative, PIB, mutation sociale, charges territoriales
spécifiques- afin de permettre un redémarrage de ces zones et
éventuellement permettre leur transformation en zone franche
expérimentale pour leur donner un nouveau départ ?
Enfin, puisqu'on cherche la simplification, que pensez-vous de la
contractualisation directe avec les territoires intercommunaux, en
cohérence avec la charte de pays ?
M. Jean-Paul Delevoye
- Je souscris tout à fait, Cher
Président, à votre analyse sur les pays.
Les pays, à l'époque de Pasqua, étaient tournés
vers la réorganisation de l'Etat.
Dans notre esprit, le pays, qui est un projet de territoire, doit permettre une
réflexion commune entre les services de l'Etat et les
collectivités territoriales, afin d'étudier une
réorganisation des services publics.
Il faut profiter des instances de réflexions qu'offrent les
comités de massif ou autres espaces, pour réfléchir, avec
un préfet coordonnateur, à une réorganisation des moyens
publics pour une meilleure efficacité. Cela nécessite une
responsabilisation des élus locaux et de l'Etat. On peut, grâce
aux nouvelles technologies, imaginer de nouvelles relations.
Nous devons distinguer l'espace qui sous-tend un projet des procédures
qui favorisent l'exécution.
Je ne serais pas opposé à ce que le comité de massif se
retrouve autour d'un préfet coordonnateur qui dépasse les
circonscriptions administratives pour concevoir le projet de
développement le plus ambitieux et le plus pertinent possible, confiant
ensuite l'exécution à un circuit administratif -SGAR
régionaux ou autres- le tout revenant en aval au préfet
coordonnateur et au comité de massif pour qu'ils valident la
démarche et évaluent son efficacité.
On ne pourrait ainsi concevoir qu'il puisse y avoir accord sur un projet et
désaccord sur son application. Il faut un pilote qui assure la
cohérence de l'ensemble. La dynamique d'un projet, c'est la synergie des
territoires et des EPCI. La non-adhésion d'une partie du territoire
à une stratégie globale et collective affaiblit toute la
collectivité. Je crois donc qu'il faut que nous gardions cette notion de
cohérence.
Le président Blanc a parlé d'expérimentations, de zones
franches, de zones de revitalisation rurale (ZRR), ainsi que Pierre Jarlier.
Notre philosophie, aujourd'hui, n'est plus tellement portée sur les
zonages, qui posent des problèmes de frontières, de limites, etc.
Nous nous interrogeons plutôt sur le fait de savoir si, en globalisant
les moyens et en ayant une lecture relativement fine des projets de territoires
qui intègrent les handicaps que vous évoquiez, on ne pourrait
arriver à une contractualisation adaptée. Peut-être
pourrions-nous approfondir ce sujet avec la DATAR.
Comment, sur un projet global, tirer profit des zones de développement
pour assurer une solidarité infra-territoriale permettant d'irriguer une
politique adaptée ? Comment concevoir, dans un comité de
massif, une politique globale qui intègre des différences
énormes, avec des zones qui pourraient se développer sans trop de
difficultés et d'autres, que l'absence d'aides ciblées condamne
à un "infarctus territorial", en même temps qu'elle leur donne un
sentiment d'abandon ?
Je serais plutôt tenté de réfléchir au pilotage
d'outils fins et globaux permettant une adaptation de la politique à un
traitement particulier. On pourrait réfléchir à des
incidences autres que fiscales. Jusqu'où doit-on accepter la
liberté d'installation des médecins, qui se traduit par une
désertification médicale dans un certain nombre de
territoires ?
Je voudrais échapper à des dispositifs fiscaux de dimension
nationale, dont l'application est forcément normative, réductrice
pour les uns, frustrante pour les autres et surdimensionnée pour les
troisièmes ! J'aimerais que l'on réfléchisse à
de tels outils.
S'agissant du programme européen, vous avez raison, mon Cher
Jacques : l'Europe n'a pas soutenu la montagne. Il faut que nous fassions
en sorte que l'Europe puisse tirer bénéfice de ces massifs
montagneux et que l'on essaye de faire jouer la solidarité
européenne.
Vous avez évoqué une certaine frustration par rapport à
l'Alsace. Que les choses soient claires : le Premier ministre a
engagé le Gouvernement dans une réflexion sur la
décentralisation et la déconcentration. Nous ne sommes pas
opposés à généraliser demain ce qui se passe en
Alsace après expérimentation. Nous sommes en train de voir
comment les choses peuvent se concrétiser, sachant que les fonds
structurels s'arrêtent en 2006.
Nous avons intégré vos griefs sur la difficulté de
mobiliser les fonds européens pour des problèmes de
procédures.
Au 1
er
janvier 2003, les fonds structurels européens seront
dans les caisses des préfets de région et non à Paris.
Vous aurez ainsi une lisibilité et une mobilisation des fonds.
Le fait d'avoir permis aux autorités de gestion de pouvoir choisir
l'autorité de paiement fait qu'il y a aujourd'hui concurrence et
même compétition entre les organes de l'Etat !
Si vous avez des problèmes, venez nous voir, car ceci n'est plus de
mise ! Mes services sont à votre entière disposition.
Jean-Paul Amoudry a évoqué la téléphonie mobile.
Quelle est notre analyse et où en est notre réflexion
aujourd'hui ? On parle bien de réflexion, car aucune
décision n'est intervenue. Selon le précédent
gouvernement, les zones non-couvertes étaient au nombre de 1.480. Les
premières analyses que nous avons faites sur la réalité de
la couverture nous ont démontré que l'on était
plutôt aux environs de 4.000 ou de 5.000 communes non- couvertes.
Nous avons donc distingué trois zones, les zones noires, sur lesquelles
le marché s'équilibrera sans aucun problème, les zones
grises, où il y a interrogation, et les zones blanches.
Le contrat, à l'époque, est arrivé au moment où le
Gouvernement a accepté de baisser le prix des licences UMTS et a
demandé aux opérateurs de bien vouloir tenir compte de cette
économie pour abonder les crédits de l'Etat pour financer ce que
l'on appelait l'itinérance.
Les opérateurs ont infléchi la position du Gouvernement, qui a
accepté la mutualisation : lorsque 2 opérateurs payent un
poteau, eux seuls peuvent être sur ce poteau.
On mesure bien le danger par rapport aux nouvelles technologies et à
l'absence de concurrence.
Notre idée était de regarder comment couvrir assez rapidement les
zones blanches, qui posent un vrai problème en terme de communication.
Hier soir, nous avons pris acte d'un accord entre les trois opérateurs,
qui ont accepté de participer à hauteur d'un tiers chacun aux
investissements destinés à la mise en place d'une
itinérance locale permettant de couvrir les zones blanches.
Une réunion interministérielle a lieu cet après-midi entre
l'industrie, l'aménagement du territoire et les services du Premier
ministre pour acter cet accord et le rendre opérationnel.
Ceci nécessite trois étapes. La première concerne la
définition précise des zones blanches, d'où
l'intérêt de permettre aux départements et aux
régions de pouvoir financer à faible coût une lecture
très précise de la couverture réelle.
La deuxième étape consiste à réfléchir, avec
les instances départementales ou régionales, à la
définition précise des zones et des priorités d'axes
structurants pour l'investissement.
Le troisième élément porte sur la fiabilité
financière et opérationnelle du déroulement du plan. Nous
avons déjà reçu la confirmation qu'un grand nombre de
départements souhaitaient s'engager financièrement dans ce type
d'opération. Un certain nombre de régions, qui ont compris la
pertinence du développement de leur territoire par l'offre de
téléphonie mobile, n'y sont pas opposées.
Nous sommes donc en train de vérifier si nous pouvons, avec les trois
opérateurs, développer le plus rapidement possible la mise en
place d'une itinérance locale sur les zones blanches.
Nous allons, avant toute contractualisation, demander aux opérateurs, un
test opérationnel portant sur la faisabilité technique de ce type
d'itinérance.
Si la réunion interministérielle se déroule bien, nous
serons assez rapidement à même de dégager d'ici le
Comité interministériel à l'aménagement du
territoire (CIAT) un certain nombre de pistes importantes en matière de
téléphonie mobile, répondant à l'exigence des
élus et à la volonté du Gouvernement.
Par ailleurs, la question des relations entre les comités de massif et
les régions est fondamentale. Comment faire en sorte que les
périmètres de projets ne tiennent pas compte des circonscriptions
administratives, que les espaces de projets soient des lieux de convergence et
de mises en commun des différences et ne soient pas
instrumentalisés comme outils de pouvoir ? Comment arriver à
concilier et à préserver la nature fondamentale d'un pays et les
lieux de pouvoir très naturels que sont les circonscriptions
administratives d'une région ou d'un département, qui sont des
lieux de mobilisation de crédits ?
Nous pourrions parfaitement approfondir la conception qui est la nôtre
qui consiste à dire que le comité de massif doit rester sur sa
vocation de coordination et d'élaboration de projets communs et de
mobilisation des différentes collectivités locales. Ce
comité de massif n'est pas un enjeu de pouvoir, mais un lieu de
convergence et de mise en commun de tous les outils de réflexion pour
concevoir ensemble un projet de territoire.
Il peut en aller de même avec les Pays et les EPCI.
Jean-Paul Amoudry et Pierre Jarlier ont évoqué le problème
de la moyenne montagne.
J'ouvre ici une parenthèse pour dire que nous sommes en train de
réfléchir à des possibilités d'assouplissement des
35 heures pour permettre d'assurer la continuité du service public en
matière de déneigement, puisque vous n'êtes parfois plus en
mesure de faire face à des obligations de gestion.
Vous avez raison d'insister sur la moyenne montagne. On voit bien les
difficultés liées au zonage. Les comités de massif
regroupent des montagnes qui connaissent des réalités
différentes, et on a probablement intérêt à
réfléchir à la manière dont on pourrait faire jouer
la priorité en matière de crédits au profit des zones les
plus handicapées.
Nous aurions également intérêt à
réfléchir, en termes d'aménagement du territoire, au
caractère illusoire de l'application immédiate de politiques
nationales sur l'ensemble du territoire français.
Sommes-nous, par exemple en matière d'eau et d'assainissement, capables,
du jour au lendemain, de mettre en place les lois que nous avons votées
sur l'ensemble du territoire ? La loi doit fixer l'objectif vers lequel
nous devons tendre, mais nous devons peut-être aussi prévoir un
calendrier qui nous permette de hiérarchiser les zones sur lesquelles
nous devons faire porter notre effort.
Une politique de l'eau en montagne, une politique de l'eau dans le
Nord-Pas-de-Calais et une politique de l'eau en Camargue a forcément des
connotations extrêmement différentes.
Peut-on avoir un cadre législatif national déclinable localement
au nom de l'efficacité ?
Je suis donc tout à fait ouvert aux propositions que vous voudriez bien
faire en la matière. Les contrats de plan doivent être
révisés en juin 2003 : c'est peut-être une
opportunité. Nous sommes à votre disposition pour y
réfléchir.
M. Jacques Blanc
- Mais si on ne les respecte pas ? On
enlève des cartes une portion de l'A 88 qui y a toujours figuré,
sans que personne ne se soit prononcé ! On ne peut pas ne pas
réagir ! J'apprends ce matin qu'on retire des crédits sur un
contrat Etat-région. Ce n'est pas la peine de signer des contrats
Etat-région !
M. Jean-Paul Delevoye
- En matière de contrats de plan, il
faut tenir compte du poids du passé et de l'exigence de l'avenir.
Concernant les cartes, le Gouvernement va, en s'appuyant sur une étude
de la DATAR, ouvrir un débat parlementaire.
Ce qui m'intéresse en tant que ministre, c'est d'être au coeur
d'une réflexion nationale et à l'écoute des contraintes et
des réalités locales. La correction des fonds structurels
européens a pu être opérée grâce à la
réaction du terrain. On a besoin d'un contact permanent.
Concernant l'A 88, vous aurez l'occasion, d'ici la fin de l'année,
d'avoir une réflexion sur la politique logistique de la France, mais
aussi et surtout sur les moyens de financement à mettre en oeuvre,
d'autant que la Commission européenne a voté l'adossement des
concessions autoroutières, nous obligeant à ne plus financer les
autoroutes que sur le trafic qu'elles engendrent. Ceci est impossible sur
certains tronçons !
Nous attendons beaucoup du débat parlementaire et de votre
capacité à nous proposer des financements compatibles avec le
droit communautaire pour rétablir, sur une carte, des autoroutes qui ont
disparu.
Le second élément que vous évoquez porte sur la nature des
contrats de plan. Sachez que j'exigerai à l'avenir qu'un contrat de plan
soit accompagné d'un calendrier d'exécution !
Troisième élément : le Parlement a souvent
été bafoué dans l'exercice de son budget, car la loi de
finances à peine votée, on subissait un gel ou une annulation de
crédits. A quoi cela sert-il donc que le Parlement s'investisse ?
Nous avons donc mis en place une logique d'exécution. Dans mon propre
budget, j'ai inscrit un engagement de crédits qui tient compte des
reports, garantissant le volume des crédits consommés. En termes
d'affichage, on pourra déplorer la baisse des crédits ; en
exécution, il y aura même une majoration sur certains postes.
Nous devons donc gérer la transition mais lorsque nous aurons des
planifications d'exécution budgétaire planifiée, la
contractualisation ne pourra plus être remise en cause.
La surestimation budgétaire de 2002 -sans tomber dans la
polémique- a fait que pour respecter les engagements et pour
épurer un certain nombre de dépenses non budgétées,
il a fallu faire preuve d'une contrainte budgétaire rigoureuse.
Pourrons-nous aller jusqu'à une relative fongibilité des
crédits ? Pourrons-nous imaginer de réaffecter les dossiers
non exécutés à d'autres politiques ? Je vais à
Bruxelles pour essayer d'orienter les fonds structurels sur la
téléphonie mobile. Nous pourrions ainsi corriger les contrats de
plan à la mi-2003 pour intégrer cette politique nouvelle à
laquelle vous, hommes de territoire, êtes particulièrement
attachés.
M. Pierre Hérisson
- En matière de
téléphonie mobile, il reste quand même un problème.
L'itinérance consiste à demander à un opérateur de
téléphonie mobile de passer les communications de son concurrent.
Mais il n'y a pas de cartes dans les zones blanches. Il faut donc que l'ART
sorte ces cartes et que celles-ci soient assorties soit d'une incitation, soit
d'une obligation. Ce n'est pas parce qu'un seul opérateur pourra faire
transiter une communication que cela rentabilisera beaucoup les choses. Il faut
donc aller plus loin que ce qui est prévu.
D'autre part, la rédaction du contrat de plan entre l'Etat et La Poste
représente peut-être l'occasion de prendre en compte les
spécificités régionales, et en particulier celles de la
montagne.
C'est aussi le moment pour le Gouvernement de démontrer aux autres pays
européens qu'ils peuvent s'inspirer du service public à la
française. Les Anglais sont en train de se rendre compte que vouloir
tout faire reposer sur la rentabilité est une catastrophe !
Il faudra également que vous vous penchiez sur le problème des
zones à risques majeurs. Chaque fois qu'une catastrophe arrive dans
notre pays, dans les mois qui suivent, on voit arriver des contraintes
nouvelles. On gèle les territoires, mais le gel n'est pas suffisant. Il
faut qu'il soit accompagné d'une réflexion et d'une
modélisation plus précise.
Une petite commune rurale de l'Isère qui est confrontée à
un risque d'affaissement de la montagne a ainsi vu sa population passer de
1.000 à 500 habitants en l'espace de 18 mois ! Face à ce
type de situation, il y a obligation de mutualisation !
Enfin, s'agissant des contrats de plan Etat-régions, nous vivons,
Jean-Paul Amoudry et moi-même, dans un département où on
nous annonce le démarrage des travaux du contrat de plan sur les routes
nationales dans le deuxième semestre de 2004 au motif que les services
de l'équipement n'ont pas eu les moyens de mettre en oeuvre les
études qui vont permettre d'engager les déclarations
d'utilité publique (DUP).
Il y a là quelque chose qui mérite d'être corrigé.
Les régions reportent les crédits d'une année sur l'autre
parce qu'elles votent année par année ! L'usage veut qu'on
exécute une partie du contrat de plan sur le contrat de plan
suivant : ce n'est pas ma conception de l'aménagement du
territoire !
M. Jean-Pierre Vial
- Monsieur le Ministre, je reviens sur la
notion de service public, que je vous remercie d'avoir évoquée.
On n'en parle presque plus du tout, et il est vrai qu'il n'existera
bientôt plus sur nos territoires.
En matière de service public, il faut effectivement demander à
l'Etat de jouer son rôle, mais les collectivités locales sont
également prêtes à assurer le leur. Il ne faut pas les en
empêcher.
On a parlé de La Poste. Aujourd'hui, un certain nombre de communes ou de
collectivités sont prêtes à intervenir sans rien demander
à l'Etat !
Nous sommes aujourd'hui incapables de signer une convention avec France
Télécom parce que l'ensemble des objectifs qu'il nous faudrait
mettre en jeu nécessite l'implication financière des
collectivités, et on ne sait pas comment s'y prendre !
S'agissant de la notion de territoire, j'adhère à ce que vous
avez dit, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous.
Je suis président d'un syndicat mixte qui a créé un pays
en 1983. Nous sommes 60 communes qui avons toujours fonctionné sans
difficulté. Cela fait aujourd'hui un an et demi que nous sommes
bloqués par la notion de périmètres ou par les EPCI !
Les élus sont prêts à entrer dans la démarche
d'approche du territoire à condition que les collectivités ne
soient pas bloquées.
Vous parliez d'un enjeu de pouvoir : il ne s'agit pas seulement de celui
des élus. Ce peut être aussi celui des fonctionnaires qui bloquent
la machine !
Mon second exemple concerne les fonds européens. Là aussi, l'Etat
complexifie et bloque le système.
J'ai la chance d'être dans un département frontalier avec
l'Italie. L'Italie bénéficie de procédures Interreg. Ils
négocient directement avec Bruxelles et nous leur proposons d'en assurer
le portage parce que les procédures sont gérées plus
rapidement et plus simplement.
Nous avons été sous procédure 5 b. C'est le préfet
de région qui contrôlait tout. Les fonctionnaires européens
eux-mêmes nous disaient que l'Etat n'avait pas le droit de nous imposer
ses règles.
Aujourd'hui, nous sommes classés en objectif 2. On nous a
reproché d'avoir été mauvais. Ce n'est pas nous qui avons
été mauvais : c'est l'Etat qui nous a imposé
certaines contraintes !
Le DOCUP des services de l'Etat est tellement compliqué que les
élus n'y comprennent rien !
On nous dit que les financements sont réglés en 48 heures. Ce
n'est pas aussi simple que cela ! Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec
des opérations qui sont lancées et que nous ne savons pas comment
financer !
L'administration a plus de pouvoir que les élus ! Si nous voulons
que la loi montagne nous apporte quelque chose, il faut vraiment que celle-ci
soit simple et efficace, de façon à pouvoir en sortir.
Vous courez le risque d'avoir derrière vous, Monsieur le Ministre, une
cohorte de préfets de région et de fonctionnaires qui vont tuer
la réforme !
M. Jean-Paul Delevoye
- Merci de ce témoignage.
Nous avons la même analyse que vous des fonds européens. La France
se fait plus royaliste que le roi ! L'administration française a
mis en place des contraintes qui n'étaient pas exigées par
l'Europe, qui font que la mobilisation des fonds structurels est un maquis
invraisemblable.
J'affirme -malheureusement pas pour les crédits déjà
engagés- que les préfets et les SGAR on reçu des
instructions de simplification. La mise en oeuvre en sera terminée le
1
er
janvier 2003. Nous allons mettre en place un maximum de
comités de suivi des fonds pour voir comment les choses se font et avoir
le retour des élus.
Tous les mois, les SGAR se réunissent à la DATAR. J'ai
déjà participé à deux réunions.
Vous avez mille fois raison : une politique ne vaut que si la
totalité des acteurs sont déterminés à obtenir des
résultats. Le pouvoir, dans mon esprit, n'était pas que du
côté des élus, mais aussi du côté d'une
capacité administrative à créer des jungles qui
neutralisent l'action politique.
Aujourd'hui, normalement, celles et ceux qui ont des projets ne devraient plus
rencontrer de difficultés. Je vais demander que l'on regarde le cas de
la Savoie.
Pour ce qui concerne l'avenir, nous avons mis en place tout ce qu'il faut, me
semble-t-il -mais si ce n'était pas suffisant, il faudrait faire
remonter l'information- pour que les fonds structurels soient mobilisés
autour des projets.
S'agissant de la partie relative aux pays, si nous sommes d'accord sur la
philosophie du pays, il y a un sujet dont nous n'avons pas discuté,
c'est celui de la procédure pour le constituer.
Nous sommes demandeurs de vos propositions pour simplifier les
procédures.
Si l'Etat a vraiment confiance dans les élus, qu'il les laisse
s'organiser en conservant un droit de veto en cas d'abus vraiment choquants.
L'Etat doit conserver un rôle de médiateur qui lui permette de
corriger les choses, avoir un rôle incitatif et faire en sorte que les
procédures ne durent pas plus de six mois.
Il serait intéressant de voir le temps que passe un maire ou un
délégué de structure intercommunale en réunion pour
délibérer de ces sujets. Je suis persuadé qu'il y consacre
4 jours sur 5 !
M. Jacques Blanc
- Les crédits qui vont sur les pays sont
contractualisés. Il est simple, au lieu d'exiger des procédures
de pays impossibles, d'affecter ces crédits, dans la mécanique
normale du contrat de plan, aux projets portés par une ou des
intercommunalités, sans exiger le passage par un pays.
Pour que les crédits puissent être affectés, il faut
créer un établissement public. C'est de la folie ! La
montagne serait un excellent laboratoire expérimental pour sortir de la
mécanique des pays de type Voynet, pour retourner vers l'esprit de
coopération intercommunale sur des projets donnés.
Sur les zones de montagne où cela a une importance encore plus grande,
décidons de supprimer le passage par la méthode Voynet et faisons
en sorte que l'Etat, en accord avec les régions et les
départements, apporte les financements sur des projets portés par
des intercommunalités !
M. Jean-Paul Delevoye
- Je suis assez sensible à votre
réflexion. Si j'avais un souhait à émettre, en tant que
ministre de l'aménagement du territoire, ce serait que le conseil
national de la montagne puisse nous faire l'inventaire des procédures
ainsi que des propositions de simplification.
En second lieu -et cela rejoint la proposition de Jean-Pierre Vial et Pierre
Hérisson- il faudra que l'on se pose la question de savoir si les
projets de territoire l'emportent sur les procédures ou si les
procédures l'emportent sur les projets de territoire !
Tout discours sur le moratoire des services publics est suicidaire et
irresponsable ; a contrario, tout discours sur l'adaptation des services
publics est un discours responsable.
La réorganisation des services publics ne se fera pas contre les
élus locaux, mais avec eux. Si l'éthique des services publics, la
logique de l'aménagement du territoire sont respectées et que le
financement est bouclé, pourquoi ne pas accompagner ce type d'initiative
sous forme d'expérimentation ou sous une forme juridiquement non
contestable ? Je partage votre avis selon lequel le pouvoir doit
être un pouvoir de stratégie et d'incitation.
Notre vraie difficulté, face à la compétitivité
entre les territoires et à la concurrence internationale, est d'obtenir
le plus rapidement possible des solutions pour soutenir ce développement.
Je suis donc prêt à recevoir vos propositions, dans le respect des
lois, des règles et des contraintes législatives.
A titre personnel, je ne comprends pas que nous n'arrivions pas à
trouver de dérogations comme celle relative à la fourniture
d'énergie.
S'agissant de La Poste, je partage tout à fait votre avis. Je vais
demander à rencontrer le prochain directeur de la Poste, que nous avons
la chance de bien connaître, et étudier comment, dans le cadre du
service d'intérêt général reconnu par l'Europe,
mettre en place des maisons des services publics. Ce genre de choses me
paraît pertinent si cela correspond à une volonté locale.
Il faut accompagner des tentatives de cette nature, qui permettront
peut-être d'apporter des réponses permettant d'être
généralisées.
M. Jacques Blanc
- J'ai proposé à M. Mattei de
tenter des expériences de réseaux et d'équipements
sanitaires pour apporter le service indispensable aux zones de montagne pour ne
pas perdre toutes chances de conserver des soins de qualité à
proximité.
On peut, en investissant, ainsi créer une capacité de
réponse adaptée, sous réserve de permettre aux
médecins salariés de travailler dans le secteur libéral et
aux libéraux d'aller dans le secteur public.
M. Jean-Paul Delevoye
- Tu as raison. Il existe d'ailleurs une
expérience de "télé-santé" en Aquitaine assez
remarquable.
Il est certain que le changement engendre la résistance, mais si on se
mobilise autour d'un préfet, on peut relever le défi.
Je suis déterminé à soutenir ce type de réflexions.
Je refuserai, sauf si on m'oblige à le faire, la logique purement
quantitative.
A l'évidence, il y a trop d'administration d'un côté et pas
assez de l'autre. Je suis persuadé qu'on peut obtenir plus de
résultats, même avec moins d'argent !
On ne pourra pas tenir ce discours à l'échelon national, mais on
peut tenter des expériences sur le plan local. On peut arriver à
adapter un mouvement réunissant fonctionnaires, acteurs
socio-économiques et élus autour de projets de territoire.
L'administration centrale doit-elle se battre pour conserver son pouvoir
budgétaire ou pour faire en sorte que l'argent public soutienne la
croissance et le développement économique d'un territoire ?
C'est la philosophie dans laquelle nous sommes entrés.
Nous allons traverser des zones à risques budgétaires et
administratifs. Nous allons peut-être connaître une diminution
importante de la population ministérielle, mais on peut aussi avoir des
zones de sécurisation ministérielle appuyées sur la
sagacité des élus locaux, de manière que la raison
l'emporte sur la passion.
M. Jacques Blanc
- Merci. Nous avons eu un débat passionnant
et passionné, et je pense que notre rapporteur tirera une substantifique
moelle de ces débats.
51. Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable (8 octobre 2002)
M.
Jacques Blanc, président
Madame la Ministre, je me sens un peu
coupable, puisque notre réunion a lieu tardivement, mais nous tenions,
avant la présentation de notre rapport, à entendre le ministre en
charge de l'ensemble de ce problème d'environnement qui est posé
avec acuité et spécificité dans les zones de montagne.
Nous avons procédé à de nombreuses auditions, et nous
avons également beaucoup réfléchi à ce sujet. Notre
rapporteur pourra vous le confirmer.
Notre ambition, après avoir entendu de nombreuses personnalités
qualifiées et acteurs de la politique de la montagne, serait de proposer
un changement fondamental de démarche.
Aujourd'hui, les élus de la montagne, les acteurs
socio-économiques, sont imprégnés d'une exigence de
protection de l'environnement.
Peut-être la montagne pourrait-elle être le lieu où chacun
se retrouve pour créer un exemple vrai et vivant de développement
durable, au lieu d'accumuler des interdictions, des situations très
complexes, des oppositions fortes entre des défenseurs qui, parfois se
voudraient exclusifs de la défense de l'environnement et des élus
ou des acteurs en charge du développement.
Plutôt que laisser se creuser un fossé, je crois que l'on pourrait
essayer de dégager des voies de synthèse. C'est là le
développement durable tel que vous l'avez présenté et tel
que le Président de la République l'a présenté
à Johannesburg.
Pour ce qui me concerne, je pense que c'est dans cet esprit que l'on pourra
faire la synthèse d'un certain nombre de propositions.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- Madame la Ministre, je veux à
mon tour vous remercier très vivement pour avoir pris sur votre temps
afin de répondre aux questions que j'ai pris l'initiative de vous
adresser il y a quelques jours, en vous priant d'accepter nos excuses pour ces
délais très brefs.
Je m'en suis tenu à 5 questions qui m'ont paru, au terme de nos
auditions, être les questions les plus sensibles, à l'exception de
l'une d'entre elles qui concerne les grands prédateurs et qui ne figure
pas dans cette grille.
La première question concerne l'urbanisme et le problème de la
construction en continuité. C'est un sujet extrêmement sensible et
parfois douloureux, à propos duquel nous souhaiterions pouvoir apporter
des améliorations dans la gestion de tous les actes d'autorisation de
construire. C'est une démarche que nous voudrions pouvoir conduire avec
vous-même et le ministère de l'équipement.
La seconde question a trait aux procédures d'unités touristiques
nouvelles, sujet souvent délicat, parfois tendu, et qui constitue une
sorte d'exception dans un régime de plus en plus
décentralisé.
Se pose ensuite la question du vécu des parcs naturels nationaux.
La quatrième question concerne la procédure Natura 2000 qui, dans
l'ensemble des massifs que nous avons visités, a fait l'unanimité
non pas contre elle, mais sur le fait qu'elle manque de pédagogie et de
clarté.
Enfin, la dernière question qui nous a été posée
ici où là est celle de l'utilisation des véhicules
motorisés sur la neige -les motoneiges- qui font l'objet d'une
circulaire qui pourrait peut-être être assortie de quelques
aménagements.
Nous avons laissé de côté d'autres sujets qui sont
peut-être plus consensuels et qui posent moins de
difficultés : les problèmes de la forêt, de la gestion
des bassins versants, qui relèvent aussi de votre ministère, mais
sur lesquels il y a peut-être moins de difficultés.
Si vous avez néanmoins quelques commentaires, ils seront les bienvenus.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et de
l'aménagement durable
- Mesdames et Messieurs les
sénateurs et sénatrices, Monsieur le Président, Monsieur
le Rapporteur, je suis très heureuse de pouvoir être entendue par
votre mission commune d'information sur la montagne.
Il est vrai que j'avais conçu un certain étonnement de ne pas
être auditionnée mais, lorsque vous me l'avez proposé,
Monsieur le Président, j'ai tenu à préparer cette audition
avec beaucoup de soin, compte tenu des questions primordiales que vous posez en
ce qui concerne la montagne et, au-delà, vous l'avez dit, la
problématique du développement durable et de la protection de
sites naturels majeurs.
La première question concerne l'instruction des permis de construire en
zone de montagne eu égard aux problèmes posés par la
règle de constructibilité en continuité.
Quelle amélioration pourrais-je proposer pour faciliter l'application de
cette règle ?
Il s'agit évidemment là d'une compétence qui relève
d'abord du ministère de l'équipement. Je n'interviendrai donc pas
en tant que ministre responsable dans cette affaire -quoi que...
L'objectif de la loi montagne de 1985 était de concilier protection et
développement. La règle d'urbanisation en continuité
était un des principes directeurs de l'urbanisme en montagne.
La loi SRU (solidarité et renouvellement urbains) a apporté des
modifications et deux nouvelles dérogations ont été
ajoutées aux dérogations antérieures à la
règle d'urbanisation en continuité : la possibilité
de créer des zones d'urbanisation future en discontinuité de
l'urbanisation existante et la possibilité d'adapter des constructions
isolées existantes.
De plus, il faut noter que la réintroduction des prescriptions de
massifs dans le code de l'urbanisme permet de préciser de façon
autonome les conditions d'application de la loi montagne pour tout ou partie
d'un massif, et que les services de l'Etat peuvent alors, en concertation avec
les collectivités locales, et après avis du comité de
massif, proposer des principes d'aménagement à une échelle
territoriale pertinente.
Je m'en réfère à l'expérimentation sur le Massif
central, qui a d'ailleurs été mise en oeuvre avant la
promulgation de la loi SRU.
On peut d'ailleurs regretter qu'elle en soit restée au stade de sa
présentation au comité de massif.
Cette expérimentation devrait être poursuivie et amplifiée
pour déboucher sur des propositions concrètes.
Je trouve que, dans le contexte actuel de la loi montagne, cette
procédure de planification territoriale peut répondre de
manière simple et directe aux problèmes spécifiques de la
montagne.
Je pense qu'il serait opportun, avec le ministre en charge de l'urbanisme et le
ministre de l'aménagement du territoire, en charge des questions de
montagne, que l'on relance l'élaboration et la mise en oeuvre d'un tel
outil, qui peut répondre aux questions d'urbanisation en montagne et
à la question de la simplification UTN.
Vous souhaitez, à ce sujet, une simplification très forte de la
procédure, notamment pour les opérations de dimensions modestes
et celles concernant les sites déjà équipés.
Je vais être très claire -d'ailleurs votre question ouvre un peu
la porte à ma réponse.
Je dis de façon forte qu'il faut maintenir la procédure UTN. Le
ministère de l'écologie et du développement durable ne
peut accepter la suppression de cette procédure au profit d'une
simplification.
Cette procédure a permis l'examen approfondi des projets touristiques et
de limiter les installations en sites vierges, qui sont les plus dommageables
pour l'environnement.
L'amender, pourquoi pas, mais en tout cas la conserver, dans la mesure
où elle porte essentiellement sur des projets de remontées
mécaniques, en particulier dans le cadre de liaisons entre stations, ces
projets constituant des menaces très sérieuses pour les espaces
naturels sensibles.
De plus, des dispositions de la loi montagne permettent déjà
d'intégrer les UTN dans les schémas de cohérence
territoriale ou dans les schémas de secteurs, dès lors qu'ils
sont élaborés dans les zones de montagne.
Par contre, les enjeux sont évidemment bien différents pour
l'allégement de la procédure relative aux petits projets. Ceux-ci
sont situés en moyenne montagne, ont une taille modeste, sont essentiels
au développement des petites communes qui n'ont souvent pas les moyens
d'établir un PLU (plan local urbanisme), ni même de constituer un
dossier UTN.
La réflexion sur ce sujet prend tout son sens dans le cadre du
débat sur la décentralisation initiée par le Premier
ministre sous la responsabilité de M. Patrick Devedjian, ministre
délégué aux libertés locales.
Je pense que l'on pourrait tout à fait, dans le cadre de cette
réflexion, aller vers une piste qui consisterait à faire jouer la
planification intercommunale. Celle-ci pourrait jouer un rôle essentiel
pour encadrer les besoins des communes ayant des projets de
développement touristique.
J'en reviens aux prescriptions particulières de massif, qui pourraient
jouer le rôle de cadre de référence.
Sur les sites déjà équipés, je n'ai aucun argument
majeur à faire jouer pour refuser une adaptation de la procédure
UTN, à condition qu'une planification à l'échelle
communale ou intercommunale ait été mise en place.
La troisième question a trait aux parcs nationaux et aux parcs naturels
régionaux.
Les parc nationaux constituent un outil majeur de sauvegarde de l'avenir de la
nature pour les générations futures.
Il est un peu dommage que les parcs nationaux français soit
confrontés aujourd'hui à nombre de difficultés qui se
traduisent par une stagnation de leur politique et par des insatisfactions des
acteurs de terrain quant à leur rôle dans le développement
local.
Je ne citerai qu'un exemple qui me tient à coeur, celui de
l'incapacité de la France à protéger la forêt
tropicale du Sud de la Guyane, alors que le Brésil vient de créer
un immense parc national indépendant limitrophe !
Nous avons engagé une réflexion avec nos partenaires -parcs
nationaux, présidents et administrateurs des conseils d'administration,
directeurs et personnels des établissements, autres administrations,
CNPN, ingénieurs généraux, scientifiques et associations.
Je suis en train de réfléchir à une mission parlementaire
sur ce sujet, pour que nous puissions avoir une mission de réflexion
générale sur l'évolution de la politique des parcs
nationaux français et, plus largement, sur les espaces naturels
d'intérêt national. Nous pourrons ainsi définir des choix
stratégiques pour l'avenir et nous prendrons des décisions
finalisées, après concertation, au printemps 2003.
C'est une année particulièrement emblématique, puisque
nous fêterons en 2003, le quarantième anniversaire des parcs de la
Vanoise et de Port Crau et le trentième anniversaire du parc des Ecrins.
Ce sera l'occasion d'un certain nombre de manifestations qui permettront de
redire l'importance des parcs nationaux dans la politique des espaces naturels
de notre pays.
Quand je parle des parcs nationaux, on me demande si je souhaite la
décentralisation de la procédure vers les régions. Je n'y
suis pas favorable, malgré la pression d'un certain nombre d'élus
locaux.
Les parcs nationaux sont un outil majeur, un affichage fort dans notre
politique internationale de l'environnement. Bien entendu, certaines parties de
gestion par convention peuvent être assurées en liaison avec des
collectivités territoriales, mais c'est une politique qui reste
nationale.
Je me suis déplacée vendredi dernier à Millau, pour les
travaux de la fédération des parcs naturels régionaux.
J'ai félicité les parcs d'avoir été des
précurseurs en matière de développement durable,
conciliant développement économique et protection de
l'environnement. Ils ont également mis en valeur la dimension sociale
d'une gestion sur le terrain profondément décentralisée.
Les parcs naturels régionaux sont aujourd'hui au nombre de 40, mais
éprouvent certaines inquiétudes pour l'avenir.
Toutes tendances politiques confondues, deux questions posent problème,
celle de l'articulation entre les parcs et les pays-agglomérations. La
loi Voynet est ressentie par tous les acteurs de terrain comme une
fragilisation des parcs. Il y a là un véritable problème,
et je ne doute pas que la réflexion sur la décentralisation
permettra de trouver quelques pistes.
L'autre inquiétude porte sur la pérennisation des emplois-jeunes,
car les parcs se sont vraiment lancés dans cette politique.
Un quart des emplois totaux des structures de gestion des parcs sont
assurés par des emplois-jeunes. Nous regarderons donc avec
intérêt les propositions des ministres des affaires sociales et de
la fonction publique sur les voies de pérennisation des emplois-jeunes.
Nous verrons à ce moment-là comment nous pourrons adapter cette
affaire.
Vous avez par ailleurs failli dire, Monsieur le Rapporteur, que la
procédure Natura 2000 avait fait l'unanimité contre elle. Je n'ai
pas une opinion aussi négative que vous, bien au contraire !
M. Jean-Paul Amoudry
- J'ai parlé de ressenti.
Mme Roselyne Bachelot
- Certes, il existe des zones conflictuelles
-et je les connais- mais, pour piloter moi-même un secteur ample qui va
de l'estuaire de la Loire à l'embouchure de la Maine sur plus de 100
kilomètres, je puis vous dire que la situation n'est pas conflictuelle.
Les acteurs de terrain se sont au contraire réunis et mettent en place
des procédures de protection de l'environnement dans un esprit de
dialogue et de concertation.
Natura 2000 n'est pas une procédure de classement mais de labellisation,
dans laquelle les acteurs de terrain mettent ce qu'ils ont
décidé. Rien ne se fait contre les acteurs de terrain, sauf
à dévoyer la procédure !
M. Jacques Blanc
- Elle est partout dévoyée,
alors !
Mme Roselyne Bachelot
- J'ai demandé à Mesdames et
à Messieurs les préfets de constituer ou de réunir les
commissions départementales pour qu'elles retrouvent leur mission de
dialogue et de concertation sans aucune exclusive.
J'ai moi-même, sur un plan national, réuni les différents
acteurs responsables de Natura 2000 pour leur indiquer qu'il y a maintenant au
ministère une cellule d'appui avec un chargé de mission.
Après s'être écouté, s'être parlé et
avoir défini des objectifs communs, il faut passer des conventions de
gestion, parce que cela marche quand on a dressé des actions et que l'on
est dans une politique gagnant-gagnant !
Les outils opérationnels de gestion sont le fonds de gestion des milieux
naturels créé en 1999 dans le budget de l'Etat et les mesures
agri-environnementales dans ou hors contrats territoriaux d'exploitation (CTE),
qui relèvent du budget du ministère chargé de
l'agriculture.
Je le dis avec beaucoup de franchise : la poursuite du dispositif CTE
reformaté est vitale pour Natura 2000 ! Je suis en discussion avec
mon collègue de l'agriculture : les procédures CTE ont
gravement dérivé dans l'esprit et dans le montant
budgétaire, de sorte qu'on a été obligé de remettre
24 millions d'euros au pot dans les mesures budgétaires de milieu
d'année, étant donné la faiblesse des financements
prévus dans la loi de finances 2002 et les dérapages
prévisibles en loi de finances 2003.
Je souhaite toutefois que ces mesures environnementales, qui étaient le
coeur de la démarche CTE, soient réaffirmées dans les
propositions de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture avec
qui j'ai un dialogue suffisamment confiant pour que cette philosophie soit
observée.
Il y a des co-financements communautaires spécifiques à Natura
2000 au titre du FEOGA, dans le cadre du plan de développement rural
(PDRN), et des co-financements "life-nature" existants.
Nous allons bien sûr défendre l'affectation des moyens
nécessaires à la montée en puissance des documents
d'objectifs et des contrats à inscrire au budget de l'Etat.
C'est, dans un contexte budgétaire difficile, une des politiques
prioritaires de mon ministère.
Dans votre cinquième et dernière question, Monsieur le
Rapporteur, vous me demandez si je compte assouplir les conditions
d'utilisation des motoneiges, notamment en vue de permettre l'accès des
propriétaires à leur bâtiment en période hivernale,
ainsi que le transport de clients auprès des restaurants d'altitude.
On est là dans un problème juridique intéressant, puisque
le principe d'interdiction d'utilisation des motoneiges, qui est le principe
fondateur de la loi, est assorti de deux dérogations :
l'utilisation sur des terrains aménagés à cet effet
dûment autorisés -sport, pratiques de loisirs- et utilisation
professionnelle -exploitation des pistes de ski, ravitaillement d'un restaurant
d'altitude ne bénéficiant d'aucune route déneigée,
missions de service public, etc., de secours, de sécurité civile,
ou d'exercice de la police. Dans le cas d'utilisation professionnelle, aucune
procédure d'autorisation n'encadre la circulation de ces engins.
"Merveilleux diront certains ! Voilà la réponse à nos
questions !". En fait, les contentieux se sont multipliés et ont
deux causes : une interprétation très extensive de l'usage
professionnel de ces véhicules par les propriétaires de
restaurants d'altitude et, d'autre part, l'absence dans la loi d'une
procédure encadrant les autorisations individuelles de circulation,
dérogeant au principe général d'interdiction
appliqué aux motoneiges.
Il y a eu des jurisprudences successives très restrictives. La
dernière décision du 26 mars 2002 de la chambre criminelle de la
Cour de cassation
"rejette le pourvoi en cassation du procureur
général sur une décision de la Cour d'appel de
Chambéry".
Il y a eu un revirement partiel car la Cour d'appel de Chambéry avait
prononcé la
"relaxe d'un particulier du chef d'utilisation à
des fins de loisirs d'engins motorisés conçus pour la progression
sur neige".
Bien sûr, tout cela n'affecte pas le principe d'interdiction
d'utilisation de ces engins à des fins de loisirs.
Suite à une réunion qui s'est tenue avec les services le 7
octobre, la position suivante sera réaffirmée aux préfets
avant l'hiver : "utilisation possible des motoneiges sur la voirie non
déneigée et interdiction ailleurs en dehors des terrains
autorisés et utilisations professionnelles ".
Le ministère de l'équipement réfléchit d'ailleurs
à la suppression du salage sur les voies peu fréquentées,
ce qui réduirait les impacts néfastes du sel sur l'environnement.
Il conviendra également d'alerter les préfets sur les questions
de sécurité et de police qui leur incombent.
Voilà où j'en suis de mes propositions sur les motoneiges.
Vous m'avez également posé des questions sur les grands
prédateurs. Souhaitez-vous que j'y réponde ?
M. Jacques Blanc
- En Ariège en particulier, nous avons tous
été frappés par l'accueil des bergers, qui étaient
dans une situation de rupture totale face au comportement des ours
slovènes, qui n'est pas le même que celui des ours
pyrénéens.
Mme Roselyne Bachelot
- Ils ont été correctement
dédommagés ?
M. Jacques Blanc
- Ce n'est pas le problème. Ils en ont
assez.
M. Jean-Paul Amoudry
- Il s'agit de la dignité du travail du
berger.
M. Jacques Blanc
- Si on ne fait rien, il y aura une
rébellion des bergers et de ceux qui les accompagnent.
M. Auguste Cazalet
- Le dédommagement, c'est une chose, mais
il y a aussi le manque à gagner. On ne refait pas un troupeau quand il
est décimé ! Il faut deux ou trois ans avant de le
reconstituer.
Et puis, il y a aussi l'amour du berger pour ses bêtes. Il faut les voir
pleurer quand leurs bêtes sont tuées ! Ce sont des
bêtes qu'ils connaissent, avec lesquelles ils gagnent leur vie. C'est ce
que les gens ne comprennent pas. C'est un problème sentimental et un
problème économique.
Mme Roselyne Bachelot
- L'extinction des ours me semblent
programmée dans le massif pyrénéen, côté
français. C'est inévitable ! Il n'y a plus que quelques
individus et on peut dire que la réintroduction des ours
slovènes, qui est une opération qui apparaît comme positive
sur le plan technique et scientifique, se heurte a des réticences que
vous avez très bien soulignées sur le plan local, de la part des
élus et des socio-professionnels, ce que je comprends très bien.
Je souhaite travailler dans la concertation et la transparence, afin d'aboutir
si possible à la réconciliation autour de la présence de
l'ours.
Veut-on supprimer l'ours totalement ? C'est la question. On peut
être sur cette ligne. Etant donné la faiblesse de la population
des ursidés, on n'est pas devant une prolifération mais
plutôt devant une raréfaction avérée de l'ours dans
les Pyrénées.
Au-delà de la mise en place de structures de concertation, j'ai
demandé au préfet de région de me faire des propositions
constructives dans les jours qui viennent pour essayer de réconcilier
les parties autour d'une présence minimale de l'ours, que je ne garantis
d'ailleurs pas du tout. C'est plutôt ce qui nous guette. La question sera
peut-être alors réglée de la façon la plus
catastrophique possible.
Pour ce qui est du loup, la situation est finalement du même style. La
population est évidemment plus importante, puisqu'il y en a actuellement
une trentaine sur le massif alpin français. Toutefois, là non
plus, malgré une certaine presse qui a l'air de le penser, les meutes de
loups ne prolifèrent pas partout dans le massif alpin ! Quatre
meutes sont réparties entre les Alpes maritimes et le Queyras et on
trouve des individus isolés dans les massifs des monts du Vercors et de
Belledonne.
Là aussi, c'est une question de compatibilité entre le retour du
loup et l'activité pastorale. Diverses mesures ont été
mises en place. Le ministère de l'écologie prend à sa
charge le suivi scientifique par l'Office national de la chasse et de la faune
sauvage (ONCFS), la protection des troupeaux et l'indemnisation des
dégâts.
La situation n'est pas satisfaisante. Les coûts sont très
importants et la contestation demeure. Une commission d'enquête
parlementaire est créée. Le travail interministériel doit
certainement pouvoir être amélioré.
Ce que je veux, c'est développer le pastoralisme. La question est
surtout celle de la situation financière d'une filière dont les
difficultés ne sont pas liées au loup, tant s'en faut !
Je rejoins là ce que vous dites. Je crois que le loup et l'ours seraient
beaucoup mieux acceptés si ces professions étaient florissantes,
gagnaient bien leur vie et n'étaient pas confrontées à des
conditions économiques extrêmement difficiles.
Il faut développer un pastoralisme capable de supporter une
présence maîtrisée du loup. Les moyens financiers qui ont
été engagés par le ministère depuis 3 ans avec
l'aide de la Commission européenne représentent, pour le loup,
plus de 3 millions d'euros, dont largement plus de la moitié a
été affectée à l'amélioration de
l'activité pastorale. Ils ne sont pas donnés pour maintenir le
loup, mais pour maintenir le pastoralisme en montagne !
La cohabitation n'est pas acquise. Un nouveau programme pluriannuel d'actions
doit être conçu et négocié. Je souhaite une
concertation approfondie avec les associations de protection de la nature, la
profession agricole, les élus locaux, les parlementaires, bien entendu
en basant tout cela sur une expertise scientifique à ne jamais
négliger.
La tâche est extrêmement complexe et il faut vraiment que le
principe qui nous guide soit celui de la réconciliation -si c'est
possible.
M. Auguste Cazalet
- On commence aussi à avoir un
problème avec les vautours qui, maintenant, s'attaquent aux veaux qui
viennent de naître !
Je connais bien le problème. Tout gamin, j'amenais les troupeaux en
montagne. Les vautours ont toujours été des bêtes
sacrées pour les paysans et pour les bergers. Quand on s'amusait,
gamins, à jeter un caillou ou un bâton à un vautour, on
prenait une paire de claques, parce que le vautour, c'est le nettoyeur des
montagnes.
On a conservé les vautours. Dans ma vallée, on a
créé la maison du vautour. Auparavant, on ne voyait jamais de
vautours chez nous. Maintenant, on en voit. On a fait des aires de nourrissage
dans le cadre du parc national et, cette année, les paysans ne peuvent
plus laisser les vaches vêler dehors parce que les vautours sont
affamés. On ne les nourrit plus !
On a modifié le système naturel à vouloir trop bien faire.
Je prie Dieu qu'il n'y ait jamais un enfant qui se fasse attraper !
Là aussi, l'inquiétude et la fronde s'installent.
Mme Roselyne Bachelot
- Vous souhaitez donc que l'on tue les
vautours ?
M. Auguste Cazalet
- Non, mais je crois qu'on a voulu trop bien
faire !
Mme Roselyne Bachelot
- Quelles mesures
préconisez-vous ?
M. Auguste Cazalet
- C'est une perte pour l'agriculteur !
Mme Roselyne Bachelot
- Je croyais que vous ne vouliez pas de
dédommagements, mais une politique plus en amont. Que pourrait-on
faire ?
M. Auguste Cazalet
- Je ne sais pas. Il va peut-être falloir
en détruire. On fait des battues aux biches et aux chevreuils parce
qu'ils font trop de dégâts. Jusqu'à l'âge de 30 ans,
je n'avais jamais vu de chevreuil ou de biche. Maintenant, il y en a
partout !
Dans ma commune, on a planté 40 hectares de forêt : il a
fallu trousser tous les plans. Ce sont des bêtes qui détruisent
l'écosystème ! On veut trop en faire !
M. Jean-Paul Emin
- J'avais trois questions marginales, dont l'une
sur la constructibilité.
Dans les zones de montage, on trouve un environnement protégé,
mais aussi des activités touristiques et industrielles, voire
industrieuses, de petites activités qui permettent de garder des gens
sur les territoires.
Dans le massif du Jura, on se rend compte aujourd'hui que, pour des raisons de
centralisation excessive, le ministère de l'environnement a signé
des conventions avec des fédérations industrielles -je pense
notamment à celle de la plasturgie- et établi une circulaire pour
la constructibilité de bâtiments dans le cadre de mesures de
sécurité. On voit bien que ces mesures ont été
pensées à Paris : on applique à un petit
bâtiment de 100 à 200 m 2 pratiquement les mêmes
règles de distance que pour des bâtiments industriels !
On impose à des gens qui travaillent une palette de plastiques par jour
pour mouler des petits articles destinés à être vendus
comme souvenir, de construire à 10 m de leur maison ! Ce sont des
règles logiques, mais qui n'ont pas d'application réelle pour ces
petites activités. Il y a un problème de seuil qui n'a pas
été pensé dans les circulaires de votre
prédécesseur.
Le second sujet que je voudrais aborder concerne les motoneiges. Vous avez
évoqué des recommandations aux préfets et avez
utilisé le mot de "voirie". Dans votre esprit, la voirie va-t-elle
jusqu'aux chemins ruraux ?
Enfin, ma dernière question a trait à la décentralisation.
On s'est tous occupé, dans nos secteurs, à divers moments, de
contrats de rivière. Lorsqu'on a passé toutes les étapes
de la procédure, on va plancher devant une commission au
ministère de l'environnement. Ceci me paraît adapté et bien
fondé pour des rivières comme la Loire, mais on a des contrats de
rivière, avec des volets qualitatifs et quantitatifs, dans des zones de
moyenne montagne pour de toutes petites rivières. Or, on entend quand
même, étant donné les risques de crues torrentielles, avoir
des dossiers solides pour préserver l'avenir.
Cela me paraît disproportionné d'aller plancher au
ministère de l'environnement devant des gens qui n'ont jamais mis le
bout des pieds dans notre région, qui sont sûrs de leur
théorie, et nous sommes nous, dans ce contexte, un peu des paysans
devant des grands savants !
Ces commissions me paraissent donc pouvoir faire l'objet d'une
éventuelle décentralisation au plan régional !
M. Jean-Pierre Vial
- Deux observations, Madame la Ministre, sur un
aspect réglementaire des parcs naturels et à propos de Natura
2000.
Les parcs naturels se trouvent exclus, de par la loi, des procédures de
pays. Or, les limites des territoires ne s'arrêtent pas, comme par
enchantement, à des limites administratives. Aujourd'hui, on a
énormément de difficultés à faire vivre ces parcs
avec les territoires qui les entourent, et qui les chevauchent souvent.
Je suis président d'un syndicat mixte dont la limite est sur le parc de
Chartreuse, qui concerne de surcroît mon canton. J'ai mis en place une
procédure de pays pour 55 communes ; la procédure se trouve
actuellement neutralisée parce qu'elle ne peut prendre en compte les
communes de mon canton qui sont dans le parc, un parc ne pouvant être
impliqué dans une procédure de pays !
Voilà 6 cantons et 65 communes qui sont tous d'accord pour faire un seul
et même territoire. On veut faire un programme Leader
considéré comme exemplaire pour réaliser ce maillage du
territoire, et on est bloqué depuis un an et demi parce que les
procédures ne permettent pas de prendre en compte des communes qui se
trouvent impliquées dans un parc !
Une certaine souplesse est nécessaire à la mise en oeuvre des
procédures, alors qu'aujourd'hui, ce sont les textes qui valent.
Concernant Natura 2000, vous dites, Madame la Ministre, que la procédure
n'a pas d'aspect législatif, réglementaire ou normatif.
Malheureusement, ce n'est pas le cas dans la pratique.
On a d'ailleurs un exemple avec les ZNIEFF (zones naturelles
d'intérêt écologique faunistique et floristique) qui n'ont
pas, de par la loi, de conséquences réglementaires. Il
n'empêche que lorsque vous avez un territoire en ZNIEFF et que vous avez
une procédure engagée par une association d'environnement, deux
fois sur trois, les tribunaux gèlent le territoire comme si l'on
était dans le cadre d'une procédure normée.
C'est si vrai pour ce qui est de Natura 2000, qu'en Alsace, les territoires
classés en zone AOC qui se sont vu superposer des zones Natura 2000
n'ont pu se développer comme ils le souhaitaient.
Sur le principe, ces procédures sont tout à fait
intéressantes, puisqu'elles sont censées constituer une
démarche d'aménagement des orientations. Le problème
réside dans le fait que, lorsque ces procédures sont
engagées, elles constituent une épée de Damoclès
au-dessus de la tête des élus. En effet, les tribunaux ne
considèrent pas que l'on est dans une procédure d'accompagnement,
mais dans une procédure qui a des effets juridiques.
M. Jacques Blanc
- Natura 2000 est une procédure
franco-française. Il suffit d'affirmer la volonté de respecter ce
que souhaite l'ensemble des acteurs, de leur garantir que, pour sauver une
chauve-souris, on n'empêchera pas telle ou telle activité, que
l'agriculture, avec des mesures agri-environnementales reconnues, ne sera pas
bloquée, pour que l'on change complètement d'état d'esprit.
En France, il y a quelques endroits où cela a marché -on l'a vu
à Gap- mais c'est un problème de réglementation
franco-française.
Mme Roselyne Bachelot
- On a la même chose avec la notion de
dérangement par les chasseurs. Le texte est clair : la chasse ne
peut être considérée comme un facteur de dérangement
si l'on est dans les procédures autorisées. L'affaire est donc
réglée, et les chasseurs n'ont pas à avoir peur de la
procédure Natura 2000 !
S'agissant des autres questions, je vérifierai avec mon collègue
de l'équipement, mais je crois que la voirie comprend bien les chemins
ruraux.
Par ailleurs, les contrats de rivière me paraissent constituer une
excellente piste pour la décentralisation. Vous avez raison : faire
remonter l'examen d'un contrat de rivière devant le Conseil national de
protection de la nature me paraît tout à fait
disproportionné !
Vous avez d'excellentes observations s'agissant de l'exclusion des parcs
naturels des pays.
M. Jacques Blanc
- Supprimons la loi Voynet sur les pays !
Laissons-les faire ce qu'ils veulent !
Mme Roselyne Bachelot
- Cela pose bien des difficultés. On
verra. Ma mission, ce matin, n'est pas de lancer le débat sur ce sujet.
Il est peut-être un peu complexe.
Je voudrais revenir sur la question de l'Alsace. Il est vrai que l'on a
interdit une extension de vignoble AOC du fait de la présence d'une
pelouse à orchidées qui était menacée. La
procédure Natura 2000 avait en effet fait figurer dans son cahier des
charges le fait qu'elle protégeait les pelouses à
orchidées. Le but était tout à fait louable.
Un mot sur les grands prédateurs. Dans le cadre d'un autre dossier
-celui de la chasse- j'ai souhaité créer un observatoire de la
faune sauvage qui soit un lieu de dialogue et de concertation pour suivre
l'évolution des espèces sauvages et des espaces.
Vous l'avez fort bien signalé, Monsieur Cazalet, tout cela évolue
terriblement. Des espèces qui étaient menacées
prolifèrent ; d'autres, qui ne posaient pas de problèmes,
disparaissent tout d'un coup...
M. Auguste Cazalet
- Cela a toujours existé !
Mme Roselyne Bachelot
- Oui, mais les choses connaissent quand
même une certaine accélération.
Les changements climatiques dérèglent les migrations des oiseaux.
Leurs capteurs, qui déclenchent les phénomènes
migratoires, sont gravement perturbés par l'accélération
des changements climatiques. Il faut suivre ces choses-là en temps
réel ; c'est pourquoi j'ai voulu créer cet observatoire,
pour sortir du conflit par l'expertise, instituer une chasse et un pastoralisme
durables, et faire en sorte que des activités, qu'elles soient de
loisirs ou économiques, puissent être transmises à nos
enfants et petits-enfants.
L'observatoire de la faune sauvage constituera un outil où des
problématiques comme celle du loup et de l'ours pourront trouver des
bases d'expertises scientifiques sur lesquelles nous pourrons nous unir et
sortir des phantasmes et des a priori, d'un côté comme de
l'autre !
M. Jacques Blanc
- Cela peut être utile.
Pour en revenir aux ours, l'attitude vis-à-vis de ces plantigrades est
totalement différente suivant qu'il s'agit d'ours
pyrénéens, pour lesquels on a trouvé un modus vivendi, ou
d'ours slovènes, qui se multiplient et jettent un désarroi total
en Ariège. J'ai été très impressionné par
l'ampleur du phénomène dans cette région. Peut-être
faut-il aussi prendre en compte l'adaptabilité sur le terrain de ces
ours venus de Slovénie. On peut peut-être en tirer des
leçons.
On parlait des cervidés et des forêts. Dans le parc national des
Cévennes, aujourd'hui, les cervidés détruisent la
forêt. Le parc a même été condamné à
verser une amende très importante à un propriétaire
forestier. Si l'on n'organise pas des battues à l'intérieur
même du parc pour diminuer le nombre d'animaux, on dépasse le
seuil de tolérance. Je crois qu'il faut retrouver le sens des
équilibres.
En montagne, ce sens des équilibres est indispensable. On le voit avec
Natura 2000 : là où l'Etat a laissé faire les
élus et où on a appliqué intelligemment le programme, cela
a marché. Là où, par contre, on a interdit telle ou telle
chose, cela a bloqué.
C'est pareil pour ce qui est des pays et des parcs. Les parcs régionaux
doivent pouvoir tenir compte de leurs propres réalités. Si, au
lieu d'enfermer des pays dans des structures d'établissements publics,
on leur laisse -comme c'était le cas dans la loi Pasqua- une
liberté plus grande, on n'assistera pas à des conflits
artificiels.
Aujourd'hui, on est bloqué par les règles. Je suis bien entendu
d'accord pour que les parc nationaux restent sous la compétence
nationale ; par contre, il faut modifier les conseils d'administration et
les pouvoirs, pour éviter qu'un directeur de parc national puisse former
un recours contre un permis de construire. Ce n'est pas pensable pour la
crédibilité de l'Etat -même si cela s'est
arrangé !
Il faut revoir le fonctionnement même des parcs nationaux -mais je ne
crois pas que l'on demande de transfert de compétences.
En outre, certains parcs nationaux sont habités, d'autres non. Parc
national et équilibre de la montagne peuvent jouer un rôle de
réconciliation majeur dans la protection et le développement.
C'est ce qu'il faudrait proposer : la réconciliation entre
protection de l'environnement et développement !
Si les zones de montagne se désertifient, elles vont perdre leur
âme et leur paysage va se modifier. Le pastoralisme, par exemple, est
indispensable.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je voudrais poser deux questions à
Madame la ministre. Nous n'attendons pas de réponse immédiate,
mais une réponse écrite serait la bienvenue, voire des pistes de
travail pour l'avenir.
La première question est très simple : à partir du
moment où les motoneiges seraient autorisées sur les voies
non-déneigées, envisagez-vous l'immatriculation de ces
véhicules ?
Mme Roselyne Bachelot
- Je le note.
M. Jean-Paul Amoudry
- La seconde question tient à
l'urbanisme et à la juxtaposition des lois littoral et montagne aux
abords des lacs.
L'application rigoureuse des règles des 100 ou des 300 m peut aboutir
-s'agissant notamment de la règle des 300 m- à des aberrations.
En effet, en obligeant quelqu'un à se positionner à 300 m d'un
plan d'eau, on va lui permettre de créer son établissement sur
une arrête de montagne, en saillie, ce qui ne sera pas forcément
très esthétique, alors que, dans une niche, une crique ou autre
chose, le bâtiment serait davantage dissimulé.
Serait-il possible, dans le cadre d'expériences locales, avec
études d'impact et précautions préalables, d'avoir une
moyenne et non l'application arithmétique, géométrique, de
la règle de 300 m, qui aboutit assez souvent à des choses
aberrantes et difficilement explicables à l'opinion publique ?
On pourrait ainsi avoir une modulation, descendre à 200 m et, en
compensation, aller à 400 m, selon le relief.
Mme Roselyne Bachelot
- Monsieur le Rapporteur, je ne
répondrai pas à ces questions ce matin. Je les mets bien entendu
à l'étude, mais je trouve cette audition très
intéressante en ce qu'elle est finalement au coeur de deux
problématiques.
La première concerne la décentralisation et la
nécessité d'avoir l'échelon pertinent de prise de
décisions. Les exemples que vous avez cités au cours de cette
audition l'ont bien démontré.
La seconde problématique touche au développement durable. On voit
bien, à travers un certain nombre de questions, que le monde et les
modes de vie sont en train de changer. L'urbanisation devient massive, les
cultures sont en train de disparaître. Les ours attaquent les troupeaux
depuis très longtemps ; les vieux bergers racontaient qu'autrefois,
dans la vallée d'Aspe, les ours attaquaient même les hommes !
C'était beaucoup plus grave, mais on a changé de culture et on
n'accepte plus les mêmes choses qu'hier. C'est la même chose pour
les inondations. Je le vois bien, moi qui vis en zone inondable. Autrefois, on
vivait avec les inondations, on les acceptait. Maintenant, il y a des
congélateurs, des magnétoscopes, des véhicules
automobiles. On n'accepte plus le risque naturel, qu'il vienne d'une
catastrophe ou de quelques animaux !
Il faut nous adapter aussi à cette demande sociale. Or, on ne peut le
faire que par le dialogue, la réconciliation, l'expertise scientifique,
les explications. C'est certainement un des sujets les plus importants qu'il
m'est donné d'aborder, et j'ai besoin des parlementaires et des
élus locaux pour faire remonter l'information, mais aussi pour aborder
ensemble cette tâche d'explications. Toute solution radicale qui me sera
proposée, d'un côté ou de l'autre, ne me conviendra pas,
car de telles mesures créent l'affrontement plus qu'elles ne favorisent
la réconciliation.
M. Jacques Blanc
- Nous sommes d'accord : nous sommes aussi
pour la réconciliation !
Madame la Ministre, nous vous remercions.
L'AVENIR DE LA MONTAGNE :
UN DÉVELOPPEMENT
ÉQUILIBRÉ
DANS UN ENVIRONNEMENT
PRÉSERVÉ
S'inscrivant dans le cadre de l'« Année des
montagnes du monde » décidée par l'Assemblée
générale des Nations-Unies, le rapport de la mission commune
d'information se fait l'écho des attentes et des réflexions
exprimées par l'ensemble des élus locaux et des acteurs de
terrain. Il privilégie trois axes de réflexion :
- la nécessaire protection des sites, la prévention des
risques naturels mais également la mise en valeur de l'extraordinaire
richesse du patrimoine naturel montagnard sont à conduire à
travers une logique de gestion concertée et contractualisée entre
l'ensemble des partenaires concernés ;
- les enjeux économiques conduisent à encourager une
agriculture de qualité, prenant en compte ses services rendus à
l'environnement, à définir les conditions d'un nouvel élan
du tourisme en montagne et à favoriser des solutions souples et
innovantes pour le maintien des activités économiques
créatrices d'emplois ;
- les choix en matière d'aménagement du territoire incitent
à reconnaître plus de responsabilité aux élus locaux
dans la conduite de projets de développement, à exiger davantage
de solidarité pour le maintien des services, à prendre davantage
en compte les contraintes des collectivités territoriales et à
conforter le rôle et les capacités d'initiative des instances de
massifs.
Le nouvel élan à donner à la politique de la montagne
repose sur l'expérimentation, la recherche et l'expertise. Il s'inscrit
dans le mouvement de décentralisation engagé par le Gouvernement.
Il appelle enfin à la reconnaissance, au niveau européen, de la
spécificité des zones de montagne.
Si les montagnards sont intéressés au premier chef par l'avenir
de la montagne, ce défi concerne aussi la société toute
entière. Y réfléchir c'est définir ensemble le
point d'équilibre entre un développement économique
maîtrisé, la préservation de l'environnement et le
bien-être des populations.
1 Désormais, le ministère de l'écologie et du développement durable.