19. Audition de M. Jean Faure, questeur du Sénat, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), vice-président de l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je suis heureux de vous accueillir pour cette
séance de travail consacrée à la montagne. En l'absence de
son Président Jacques Blanc, qui se trouve retenu cet
après-midi dans le sud de la France et vous prie de l'en excuser,
j'aurai la charge et le privilège de remplir les fonctions de
Président et de Rapporteur de cette mission. Nous vous entendrons sur ce
que vous jugerez bon de nous communiquer, sachant que nous sommes à peu
près à mi-parcours de nos travaux, ayant d'ores et
déjà visité le Massif Central et les Alpes.
Je vous remercie vivement de prendre du temps pour nous aider à avancer
et à explorer ce sujet vaste et complexe. Nous nous sommes permis, au
préalable, de vous faire passer une grille de questions. Je vous laisse
à présent la parole.
M. Jean Faure -
Merci Monsieur le Président et cher ami.
La loi montagne, que j'ai eu l'honneur de rapporter au Sénat
en 1984, avait pour objectif d'assurer un développement harmonieux
des zones montagnardes tout en essayant de concilier croissance et protection.
Invité, ce jour, à en dresser un bilan, je commencerai par en
évoquer les aspects positifs.
Les aspects positifs de la loi montagne sont d'abord apparus clairement, dans
la mesure où il s'est agi de la première loi spécifique
aux zones de montagne.
Un certain nombre de
lobbies
, notamment, ont trouvé à
s'affirmer. Ainsi, l'ANEM a vu le jour à cette occasion et a
effectué, depuis, un travail considérable en direction des
communes de montagne, qui a été très positivement
perçu par les élus montagnards et s'est consolidé au fil
des ans. D'autres organisations territoriales ont été
créées sur la base de la taxe sur le ski de fond, comme en
témoignent France ski de fond ainsi que de nombreuses structures
départementales qui se sont agencées pour mettre sur pied divers
systèmes de réciprocité et politiques de promotion ou
d'encadrement en direction de cette activité.
A mon sens, cet aspect a induit, au niveau du milieu montagnard, la conscience
que la montagne constituait un enjeu pour la nation. Nous avons d'ailleurs fait
école dans d'autres pays puisqu'en qualité de rapporteur, j'ai
été appelé à différentes reprises à
témoigner au Maroc ou dans certains pays européens pour
expliciter le contenu de cette loi et sa visée.
Pour ce qui est de la protection agricole et environnementale, sur les aspects
purement franco-français et en ce qui nous concerne, je noterai à
l'actif du bilan positif pour le domaine agricole deux points majeurs :
d'une part, le maintien voire le développement d'aides
spécifiques en direction de la montagne, notamment en matière
d'élevage ; d'autre part, la confortation des AOC et leur
utilisation dans la valorisation de certains produits. S'ajoute à ces
points un troisième avantage, qui a trait à l'amélioration
du système de protection des terres agricoles pour les agriculteurs
professionnels -- mais non nécessairement pour les
propriétaires fonciers.
Plus précisément, la notion de protection a constitué le
volet majeur de la loi. Celle-ci s'est vue nourrie des travaux de la directive
de 1978 suite à un discours sur la protection de la nature et de la
montagne. Toute une série de procédures ont pu être mises
sur pied, au titre desquelles figurent les unités touristiques nouvelles
(UTN), qui ont permis, en dépit de leur lourdeur apparente, une forme
d'encadrement et de contrôle du développement touristique selon
certaines règles, tout en éduquant le regard au paysage et en
favorisant une prise de conscience de l'intérêt patrimonial dans
un esprit de concertation et de prudence. Les associations de protection de la
nature ont amplement utilisé la procédure UTN pour
revendiquer la nécessité de se voir systématiquement
consultées pour tout projet.
En ce qui concerne les communes, plusieurs aspects bénéfiques ont
émergé de la loi. L'un d'entre eux concerne l'aspect financier.
Au regard des communes, en effet, les taxes sur les remontées
mécaniques et sur le ski de fond ont été des moyens
supplémentaires pour faire face à des frais inhérents
à la pratique du ski. La possibilité de création de
servitudes de passage pour le tracé des pistes de ski de fond, en outre,
a permis de régler nombre de contentieux avec les agriculteurs ou les
propriétaires fonciers dont les parcelles se voyaient inopinément
traversées. Par ailleurs, les communes ont été
confortées dans leur rôle d'autorités organisatrices, les
conseils municipaux se sentant investis d'une mission définie par la
loi. Je rappelle, à ce sujet, que la commune constitue l'autorité
organisatrice à deux ou trois exceptions près en France, telles
la station de Courchevel, par exemple, dont l'autorité organisatrice
demeure le département (à l'origine de la création de la
station). Enfin, le
lobbying
actif des élus a induit une
augmentation substantielle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des
communes de montagne par la prise en compte doublée de la longueur des
chemins communaux en zone de montagne.
Au regard de ma pratique sur le terrain, tels sont donc les principaux aspects
positifs qui me sont apparus à l'évocation de cette loi. Quant
aux aspects négatifs, ils s'avèrent, malheureusement, bien plus
nombreux.
En ce qui concerne les aspects négatifs, j'aborderai, en premier lieu,
le domaine de l'urbanisme.
En matière d'urbanisme, les procédures que la loi montagne a
induites en rapport à la reconnaissance du caractère
spécifique des zones montagnardes se sont ajoutées au droit
commun. Conséquemment, les démarches visant à
établir des documents d'urbanisme -- édification d'un POS,
délivrance d'un permis de construire... -- se sont sensiblement
complexifiées pour les communes de montagne. A titre d'exemple, la loi
montagne a généré la nécessité de
construction en continuité des hameaux tandis que le droit commun
imposait à toute construction le respect d'une distance minimum par
rapport aux exploitations agricoles existantes (que celles-ci soient
classées ou non) ! Il convient de rappeler que l'urbanisme ne se
décide pas à partir de plans mais sur le terrain, en fonction
d'une lecture paysagère ; or les règles inscrites se
révèlent souvent inadaptées dans la réalité,
comme l'illustre la règle des 300 mètres en bordure des
lacs, qui conduit parfois à une impossibilité pure et simple de
construction nouvelle dans certains villages montagnards.
Parallèlement, la complexité des procédures semble avoir
renforcé le pouvoir des administrations. En effet, les lois de
décentralisation conféraient des pouvoirs réels aux maires
et aux élus locaux. Mais pour des communes peu importantes ne disposant
pas de services techniques en interne, édifier, lire et appliquer un POS
peut s'avérer si complexe qu'il est devenu nécessaire de faire
instruire les dossiers afférents par des services étatiques tels
la direction départementale de l'équipement (DDE). Or la lecture
de la DDE apparaît souvent très restrictive en termes de droits
à construire, ce qui revient à concéder à cet
organisme l'exercice d'un droit réel. La tâche des élus ne
s'en est pas trouvée facilitée.
Par ailleurs, l'empilement des procédures ou outils de protection de la
nature paraît excessif. Les parcs naturels régionaux,
réserves naturelles, sites classés, zones humides, sites
Natura 2000 ou arrêtés de biotope se conjuguent les uns aux
autres -- éventuellement dans une même commune -- pour
finalement brouiller les cartes (au point qu'il devient difficile, parfois, de
savoir où poser des toilettes publiques !). Certes, chaque porteur
de projet se targue de justifier le maintien de ses propres
classifications ; néanmoins, les choses deviennent rapidement
illisibles et insupportables. Sans compter que s'ajoutent à ces
procédures de protection de la nature d'autres procédures,
nées des diverses lois ayant éclos au fur et à mesure que
la société se complexifiait. Je pense, en particulier, à
la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU)
et à son avatar : le schéma de cohérence territoriale
(SCOT). Appliquée dans une zone de montagne à forte population,
la règle des 15 kilomètres peut induire
de facto
le rattachement d'un secteur à un SCOT établi par une commune
obéissant à une toute autre logique économique. Ainsi, les
massifs du Vercors, de la Chartreuse ou de Belledonne apparaissent tous trois
distants de moins de 15 kilomètres d'une ville
de 50 000 habitants et rattachés au SCOT de celle-ci
malgré une falaise de 2 000 mètres de hauteur les
en séparant !
En outre, aucune aide spécifique n'a été consentie pour
pallier les surcoûts architecturaux dérivant de la
nécessité de conservation patrimoniale. Cependant, s'il est des
villages montagnards dignes de conservation, inscrire au POS l'obligation de
reconstruction à l'identique entraîne des surcoûts tels
qu'il en résulte un nivellement architectural par le bas, les
préconisations se voyant appliquées au minimum. D'où un
développement urbain sans caractère ni qualité, qui
constitue un échec patent au regard de la protection de la nature comme
de la valorisation du patrimoine. Ce constat trouve à s'appliquer de
manière générale : si la loi montagne se targuait de
tenir compte de la spécificité de la montagne dans tous les
domaines, aucune aide financière n'est venue soutenir en ce sens les
services publics ou l'aménagement du territoire. En termes de travaux
à caractère de saisonnalité, c'est souvent presque une
année complète qui court, lorsque les normes budgétaires
autorisent ces travaux, entre la mise à disposition de l'avis de
financement et leur démarrage effectif -- en raison des
délais nécessaires à la consultation des entreprises et
à la constitution des équipes...
Pour ce qui concerne le domaine de l'agriculture, il me semble qu'il n'y a pas
réellement eu de politique agricole nouvelle. Il m'apparaît
même que l'instauration des quotas laitiers sur le territoire
français, notamment, a simplement reconduit les pratiques qui avaient
déjà cours ; si ce n'est que leur instauration dans des
zones de montagne n'a pu qu'encourager le développement
d'élevages extensifs contraires à une politique de qualité.
Imposer une production de 350 000 litres en zone de montagne
revient nécessairement à justifier la présence d'une seule
voire de deux exploitations par village, ce qui limite considérablement
les possibilités de mise en oeuvre de structures de transformation. A
l'exception de la région de Beaufort, qui est parvenue à
conserver de petites fermes actives dans la valorisation sur place de certains
produits, la plupart des zones de montagne ont ainsi assisté à la
disparition de leurs petites unités de transformation -- autrefois
appelées coopératives fruitières -- au
bénéfice de grands groupes, indifférents, comme de bien
entendu, aux politiques de valorisation sur place ou d'AOC. Il s'en est
ensuivi, en particulier, des transferts laitiers hors zones de montagne. Sans
doute eût-il été préférable d'encourager
significativement l'organisation de la profession agricole autour de la
qualité et de la valorisation des produits montagnards.
Par ailleurs, certaines normes européennes interdisant l'épandage
des lisiers ou des fumiers à proximité des cours de
rivières, interdisent de fait ce genre de travaux au pied des versants,
ce qui se révèle aller à contre-courant de l'utilisation
des matières premières dans la fertilisation des sols mais
encourage indirectement le recours aux engrais !
En matière d'aménagement du territoire et plus
précisément d'infrastructures, force est de constater les
insuffisances et le peu de vigilance qui ont caractérisé certains
aménagements routiers en montagne. A titre d'exemple, le massif du
Vercors compte deux routes parallèles qui ont été
récemment élargies : les gorges de la Bourne, d'une part
(Isère) ; les Grands-Goulets, d'autre part (Drôme). Les
gorges de la Bourne ont été refaites à l'identique, sans
toucher aux surplombs mais en élargissant la voie par des
encorbellements ou des massifs en pierrements partant du fond du torrent. La
route des Grands-Goulets, suivant les prescriptions de la DDE, a simplement
été décapée en sa partie amont sur une trentaine de
mètres de hauteur, la chaussée supportant les parapets est en
aval, ce qui a induit deux problèmes : premièrement, les
parapets apparaissent architecturalement inadaptés à ce site
classé comme exceptionnel ; deuxièmement, le décapage
est à l'origine de chutes de pierres fréquentes et oblige les
talus à se cicatriser sur des années. Pourtant, l'administration
aurait dû se voir sensibilisée plus finement à la
protection patrimoniale de cette zone de montagne.
Quant aux services publics, la classe montagnarde a été
séduite par la promesse de mesures spécifiques dans tous les
domaines mais peu d'entre elles ont été tenues. Au contraire,
EDF, la DDE, la Poste, l'Office national de la forêt (ONF), l'Education
nationale et le Ministère des Finances -- pour ne citer
qu'eux -- ont supprimé des services publics sans tenir compte des
intentions affichées. En effet, bien que la loi montagne ait
prévu de réunir des commissions départementales de
services publics coprésidées par les préfets et
présidents des conseils généraux, celles-ci se sont
avérées, dans la plupart des cas, des lieux non pas
d'échange mais de consultations de principe, prenant acte des
suppressions de postes sans plus de débat. Or dans le cas de la
gendarmerie, par exemple, le regroupement des appels vers un centre unique
à partir de 18 heures induit des délais d'intervention
extrêmement longs ainsi qu'une dépersonnalisation des services et
un manque d'efficacité conséquent.
Sur cette question des services publics, j'ajouterai qu'un autre point
négatif tient dans le manque d'évolution du statut de la
pluriactivité. J'irai même jusqu'à prétendre qu'il
s'agit d'une régression, compte tenu des difficultés
administratives que rencontre actuellement une personne qui voudrait
reconstituer sa retraite ou sa couverture sociale en continuité d'un
emploi précédent autre. L'on peut même parler de parcours
du combattant ! Nous savons tous par quoi cette question
pêche : le manque d'entente entre les diverses caisses sociales et
leur mauvaise volonté à faire quelque effort que ce soit en vue
d'une prise en charge unique des salariés, quitte à s'organiser
entre elles pour d'éventuels remboursements ultérieurs. Je
n'insiste pas, sachant que vous avez évoqué ces problèmes
par ailleurs.
J'en viens à la seconde question que vous m'avez adressée,
afférente aux frais de secours en montagne.
Nous avons longtemps peiné sur un article de la loi montagne
prévoyant qu'à partir de la publication de la loi, les communes
pourraient se faire rembourser les frais qu'elles engageraient dans le secours
de personnes en difficulté. Il a fallu attendre quatre années, en
effet, pour obtenir une application claire de cette loi puisque les
dernières circulaires ne sont parues qu'en 1988 ou 1989. Outre
ce délai important, le problème tient dans ce que seuls deux
problèmes se sont vus réglés : ceux du ski de piste
et du ski de fond.
Le résultat paraît pour le moins incroyable. En effet, le
système résultant montre le paradoxe suivant : sur un
versant damé et entretenu offrant des pistes à la pratique de
skieurs possesseurs de forfaits, tout frais d'évacuation
consécutif à un accident éventuel demeure
légalement à la charge de l'accidenté ; en revanche,
sur un versant non balisé et non entretenu, tout frais de secours
occasionné par un skieur hors piste se voit pris en charge au niveau
collectif ! Nous avons fait entendre notre voix à plusieurs
reprises pour dénoncer ces lacunes. En 1999, une proposition de loi
déposée par mes soins et présentée par Jean-Paul
Amoudry a été votée au Sénat à
l'unanimité mais ne s'est pas trouvée reprise par le
gouvernement. Je l'ai donc introduite sous forme d'amendement dans le cadre de
la loi sur la démocratie de proximité, dont elle constitue
dorénavant l'article 54.
Il en résulte qu'à mes yeux, aujourd'hui, les frais de secours
sont un problème réglé. En effet, toute commune peut
préalablement définir les conditions de participation d'un
accidenté aux frais de secours qu'il entraînerait -- par son
imprudence ou non -- sur la part résiduelle restant à la
charge de la commune sans qu'il soit besoin d'un décret d'application
à cette fin.
Quant à la troisième question que vous m'avez adressée,
elle m'invite à considérer plus spécifiquement les
problèmes que rencontrent les stations de haute et moyenne montagne.
Tout d'abord, je dirai que pour une grande partie de la montagne
française, les stations de ski représentent de véritables
poumons économiques, qu'il convient de considérer comme tels par
leurs retombées en termes de création d'emplois, de
développement économique et de maintien des populations sur
place. Malheureusement, la France n'a jamais reconnu le caractère
prioritaire du tourisme ni des industries premières, sources
d'équilibre des devises. Les stations de montagne n'ont pas
été mieux considérées.
Le parc d'hébergement des stations montagnardes a beau impressionner par
sa taille, il n'en souffre pas moins de vétusté et d'inadaptation
à la demande de la clientèle. La disposition opération de
réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL) inscrite dans la
loi SRU a pâti d'un manque de moyens pour atteindre son objectif de
participation à la réhabilitation du parc immobilier : les
aides dégagées par l'Etat dans ce cadre n'apparaissent pas
suffisamment encourageantes, à moins que les régions, les
départements ou les communes ne s'y associent sensiblement.
Parallèlement et comme partout en France, l'hôtellerie familiale
disparaît progressivement au profit de la résidence
hôtelière, laquelle ne profite pas d'une image conviviale (en
dépit de la relève qu'elle assure en termes de capacités
d'accueil). Pourtant, l'exemple de l'Autriche, de la Suisse ou de la
Haute-Savoie montre qu'il doit être possible de concilier les deux
aspects -- quantitatif et qualitatif -- du problème. En
revanche, la dépersonnalisation de l'accueil montagnard ne touche pas
les gîtes ruraux, qui affirment leur développement en moyenne
montagne, notamment, grâce à une offre reconnue de bonne
qualité et identifiable.
En ce qui concerne la fréquentation, nous ne disposons pas de
lisibilité quant à l'image estivale de la montagne.
Néanmoins, force est de constater que nous avons progressivement
déchu en quatrième position des destinations favorites des
Français en termes de fréquentation -- après la mer,
la campagne et la ville. Sur le terrain, nous observons que hormis quelques
rares sites particuliers, la fréquentation estivale des zones de
montagne se concentre sur cinq voire six semaines uniquement. Par
conséquent, il convient de conduire une politique de promotion de
l'image de la montagne d'été, de concert avec les professionnels
concernés et l'Etat. Préserver les activités estivales
paraît parfois nécessaire à la rentabilisation des
activités hivernales, en particulier dans les zones de moyenne montagne,
qui ne connaissent jamais de pics de fréquentation.
Pour ce qui est d'une politique nouvelle dans ce domaine, je plaiderai
franchement pour une politique canon-neige systématique partout
où la technique l'autorise -- à l'image de ce qui se fait en
Autriche et en Suisse. Opposer le réchauffement planétaire
à cette position ne me paraît pas pertinent, compte tenu de la
lenteur de l'évolution -- qui n'en demeure pas moins
préoccupante -- : une augmentation d'un demi-degré par
siècle nous permettra largement d'amortir les investissements consentis
en matériel ! Il en va du maintien d'une activité de la
moyenne montagne. Des efforts nombreux ont été portés sur
le terrain pour modifier les profils de piste et les engazonner ; les
températures s'avérant suffisamment basses, encore faut-il que
les précipitations soient suffisantes ! Le canon-neige me
paraît donc une réponse nécessaire à la
rentabilité des stations moyennes. Je rappelle, à ce sujet, que
nombre de stations d'altitude -- Flaine, les Deux-Alpes, Les
Menuires... -- adoptent cette pratique
jusque 2 600 mètres d'altitude, de façon à
assurer leur début de saison dès Noël.
Bien entendu, cette question de la fréquentation touche directement le
problème de la rentabilité des stations. A ce sujet, les chiffres
montrent que si les grandes stations continuent de pouvoir assurer la
rentabilité de leurs investissements, elles le doivent essentiellement
à l'apport des clientèles étrangères
-- certaines d'entre elles s'en montrant dépendantes
à 80-90 % ! Il en va de même pour une grande partie
des stations moyennes. La clientèle française, bien
répartie sur l'ensemble des sites, s'oriente prioritairement vers les
grandes stations en cas de mauvais enneigement de la moyenne montagne. En
définitive, il paraît primordial de conserver si ce n'est de
développer la clientèle française et
étrangère proche -- belge, anglaise, hollandaise,
etc. -- pour faire vivre nos stations moyennes.
J'en terminerai par un point concernant les remontées mécaniques.
Comme vous le savez, la loi montagne, par la définition du statut
d'autorité organisatrice, a conféré aux communes la
possibilité de récupérer les biens d'équipement en
fin de convention ou de concession, sans pour autant clairement
déterminer les conditions de l'éviction des gestionnaires. Il
convient de clarifier cette situation. En effet, nous connaissons quelques cas
inextricables, dans lesquels la commune, ne souhaitant pas renouveler la
concession à l'issue de la convention, n'est pas parvenue à
trouver un accord avec le propriétaire exploitant. Il s'ensuit un cycle
de procès qui laisse présager l'obligation, pour la commune, de
payer un montant d'indemnités considérable. En effet, si la
concession n'a jamais été identifiée à un fonds de
commerce ordinaire, les tribunaux n'omettent pas, toutefois, de prendre en
compte sa longévité, les efforts consentis par son exploitant et
le chiffre d'affaires pour déterminer le montant des indemnités.
Il en résulte que celles-ci ne se calculent pas uniquement sur la valeur
résiduelle comptable des investissements. Il paraît donc important
de clarifier la position que le législateur a voulu prendre dans ce
domaine à l'occasion de la loi montagne.
Enfin, il convient également de préciser le domaine
réglementaire des servitudes pour ce qui concerne les installations de
canons-neige ainsi que l'assiette de la taxe des remontées
mécaniques, qui pose problème, dans le calcul de la taxe
professionnelle, en lien à l'écrêtement.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci infiniment. Nous avons eu là un
exposé à la fois complet, clair et objectif des points positifs
et négatifs du bilan. Je dirai même que c'est probablement la
première fois que nous en obtenons une vision aussi vaste et
précise. J'ai quelques questions à vous poser mais
peut-être Pierre Hérisson, Auguste Cazalet et
François Fortassin souhaitent-ils intervenir...
M. Pierre Hérisson -
A la suite de cet explosé très
complet, j'aurais souhaité recueillir l'avis de Jean Faure sur les
questions des nouvelles technologies et de la couverture du
téléphone mobile. Peut-être est-il nécessaire,
aujourd'hui, de raccorder l'ensemble des stations estivales et hivernales
-- quelle que soit leur population -- au système de
haut-débit par téléphonie fixe ou tout au moins aux
réseaux de téléphonie fixe existants.
M. Jean Faure -
Les nouvelles technologies sont un sujet qui
préoccupe beaucoup les zones de montagne.
En ce qui concerne les réseaux de téléphonie mobile, j'ai
eu les pires difficultés à en faire équiper certains
secteurs montagnards -- ayant même dû recourir, à
l'époque, à l'aval direct du président de
France Telecom à cet effet. Par la suite, l'ouverture
concurrentielle a permis de faire jouer les opérateurs les uns contre
les autres et les trois entreprises en question -- SFR, Orange et
Bouygues -- ont peu à peu complété
l'équipement. Il n'en demeure pas moins qu'en dépit des
préconisations de la loi montagne, un service public aux mains d'un
opérateur lui-même public se refusait de desservir certaines zones
rurales de montagne !
Il en va de même de la télévision dans la mesure où
certains relais de montagne ne reçoivent que trois chaînes
nationales. Elargir l'offre nécessite des équipements d'un
coût tel qu'il demeure impossible, pour les petites communes, de les
financer. Cette injustice face au service public n'est pas acceptable.
Le problème me paraît encore aggravé pour ce qui est des
nouvelles technologies. En effet, celles-ci apportent théoriquement aux
zones montagnardes des chances de développement jusqu'alors inconnues.
Le télétravail, en particulier, ne s'entend pas uniquement au
sens d'emplois de sous-traitance (fiches de paye, comptabilité...) mais
aussi au sens d'emplois de service créés par de petites
entreprises s'installant en montagne. A titre d'exemple, j'ai
créé, dans le Vercors, une unité de quarante emplois dans
un bâtiment dit « intelligent », qui regroupait des
travailleurs individuels désireux de structurer leur activité
hors de leur cadre domestique autour de services partagés
-- accueil, secrétariat, permanence téléphonique,
etc. Au terme de trois années, une centaine d'emplois a
été créée, dans mon canton, à partir de
cette initiative. Aujourd'hui, cependant, nous nous heurtons au coût
exorbitant de l'équipement haut-débit (c'est-à-dire du
branchement DSL) pour ce bâtiment. Peut-être le nouveau
système hertzien règlera-t-il ce problème mais les choses
ne sont pas sûres...
Les nouvelles technologies constituent une opportunité fantastique pour
les zones de montagne. Grâce à elles, ceux qui désirent
vivre dans de petits villages isolés plutôt qu'en centres urbains
ne se voient pas nécessairement exclus des réseaux d'information
et trouvent donc à s'intégrer socialement au monde actif. En
cela, elles méritent toute notre attention.
M. Auguste Cazalet -
Quant à moi, votre exposé m'a
rafraîchi la mémoire. N'étant plus maire depuis deux
années (par ma volonté), j'avais oublié certaines
expériences et tu quelques observations. Ainsi, il est vrai qu'en termes
d'urbanisme, les interventions actuelles s'avèrent désastreuses
faute de ligne directrice. Pourtant, nous étions parvenus, auparavant,
à faire appliquer la loi pour assurer la beauté, la
spécificité et le cachet des régions de montagne. Quant
aux services publics, il est vrai que les coûts induits sont
élevés mais il s'agit de savoir ce que l'on veut : sans eux,
les villages courent à leur abandon !
Si vous le permettez, je relaterai rapidement un fait qui m'a fait bondir. A
l'occasion de l'ouverture prochaine du tunnel du Somport, la commune toute
proche d'Urdos, anciennement poste frontière de la vallée d'Aspe
et actuellement en crise du fait de l'ouverture des frontières, a
souhaité voir implanter dans des bâtiments neufs dont elle
disposait le peloton de gendarmerie. Cela n'a pas pu avoir lieu en raison du
refus catégorique des épouses des gendarmes de s'installer dans
cette commune. L'ensemble des effectifs a préférentiellement
choisi d'investir la ville d'Oloron-Sainte-Marie, quitte à devoir
effectuer quotidiennement plusieurs rotations en car sur des routes de montagne
pour rejoindre le tunnel, distant de cinquante kilomètres ! Par
moments, je ne comprends plus les choses...
M. François Fortassin -
J'ai moi aussi écouté avec
beaucoup d'attention votre exposé. A propos des quotas laitiers, je
voudrais simplement observer que les élus pêchent parfois par
défaut d'action. En effet, si l'Etat intervient pour des cessations
d'activité laitière dans tous les départements, il fait
appel, notamment, aux conseils généraux. Or dans mon
département, j'ai fait en sorte que les sommes dévolues par le
Conseil Général ne participent à l'augmentation des quotas
laitiers qu'à la condition que des activités de transformation
soient liées. Cela est donc possible. Bien entendu, l'ensemble de
l'industrie laitière et les grands exploitants n'approuvent pas cette
démarche. Pourtant, une augmentation de 50 000 litres du
quota d'un grand exploitant n'améliore en rien sa gestion alors que
cette même augmentation accordée à un petit agriculteur
pratiquant des activités de transformation peut faire toute la
différence et lui permettre de vivre sensiblement mieux..
Par ailleurs, l'intervention d'Auguste Cazalet m'amène à dire que
je trouve moi aussi que nos élus ont trop bon caractère !
Que signifie le fait de laisser les épouses des gendarmes décider
de nos actes ? Il ne s'agit pas de se laisser endormir par les discours
des énarques ou des polytechniciens. Je me souviens d'avoir vu, en
séance de conseil général, un élu se coucher sur
son manteau posé à terre et entamer une sieste dans l'attente que
le préfet se décide à abandonner le langage trouble qu'il
tenait ; le comportement du préfet s'en est trouvé
affecté dans le bon sens. Nous nous étonnons que personne ne
parvienne à appliquer les lois sur le terrain, compte tenu de
l'incompréhensibilité de leur langage procédurier ;
à nous de lutter collectivement contre ce fait.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci à tous. Nous nous attacherons, dans
notre rapport, à intégrer cet excellent témoignage.