18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'écologie et du développement durable (29 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - C'est avec plaisir, Madame Zysberg, que je vous accueille au Sénat. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation pour participer à cette audition, que nous avons organisée dans le cadre des travaux de la mission sénatoriale d'information sur la politique montagne. Vous avez sans doute déjà pris connaissance des objectifs et du déroulement de ces travaux, qui doivent se conclure par le dépôt d'un rapport au mois d'octobre prochain. Nous avons encore quelques semaines pour auditionner et visiter les massifs montagneux français avant d'établir une synthèse.

Les travaux de cette mission s'orientent vers trois thèmes majeurs : le thème de l'aménagement, d'abord, qui comprend toutes les questions afférentes à la forêt, aux infrastructures de transport, aux techniques de l'information ou encore aux services publics en zones de montagne ; le thème de l'économie, ensuite, qui touche à l'agriculture, à l'artisanat, au commerce et au tourisme ; enfin -- et sans hiérarchie dans cet ordre --, le thème de la protection de l'environnement. C'est plus particulièrement au titre de ce troisième thème que nous vous accueillons, pour vous entendre puis échanger avec vous à partir de la grille de questions que nous vous avons adressée.

Je suis moi-même sénateur de Haute-Savoie et Rapporteur de cette mission. Malheureusement, son Président Jacques Blanc, sénateur de Lozère, vous prie de l'excuser pour son absence. A mes côtés, j'ai le plaisir de vous présenter Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire. Je compte que quelques collègues nous rejoindront d'ici quelques instants, sachant que le nombre restreint de sénateurs ici présents s'explique par le calendrier électoral, qui tend à les retenir dans leurs départements. Quoi qu'il en soit, votre déposition se trouvera naturellement inscrite au rapport et portée, le moment venu, à la connaissance de la mission réunie en séance plénière. C'est à partir des éléments que vous allez nous communiquer qu'en tant que Rapporteur, je présenterai les conclusions à ce groupe de travail. Aussi, sans plus attendre, je vous laisse la parole.

Mme Claudine Zysberg - Merci Monsieur le Président. La politique que mène le ministère de l'Ecologie et du Développement durable en matière de protection de la montagne se situe de toute évidence dans le cadre législatif actuel :

la loi montagne, d'une part, modifiée par la loi d'orientation d'aménagement durable du territoire en 1999 ;

les diverses législations de protection qui ont mis en place le dispositif de protection des milieux naturels et des paysages, d'autre part -- la loi sur les parcs nationaux de 1960 ; la loi de protection de la nature de 1976 ; la loi sur les paysages de 1973.

Nous considérons comme un devoir devant la nation, l'Europe et la planète entière de mettre en place un certain nombre de protections. Pour autant, nos axes ne se limitent pas à une acception contraignante de cette notion de protection : nous visons véritablement à maintenir la biodiversité d'espaces peu artificialisés, à assurer une gestion efficace des paysages et des ressources naturelles -- notamment de l'eau -- et à prendre en compte l'environnement dans les politiques sectorielles. Dans cette optique, les zones de montagne attirent toute notre attention en termes d'ouverture et de possibilités dans les différentes activités humaines qui s'y développent (qu'il s'agisse de l'agriculture, du commerce, des activités de transport ou encore du tourisme).

En ce qui concerne le développement durable en zones de montagne, comme l'indique l'intitulé actuel du Ministère, notre objectif consiste donc bien à la fois à assurer ces protections réglementaires, à considérer l'ensemble des politiques sectorielles à la mesure de l'enjeu environnemental et à porter une attention particulière à la montagne (la loi ayant donné le moyen d'encadrer pour vingt ans les différentes activités spatialisées sur le territoire français par le biais du schéma de service des espaces naturels et ruraux). Sur ce dernier point, effectivement, les secteurs montagnards passent pour des territoires dits « signal ». C'est en ce sens que leur gestion nécessite la mise en place d'un nouveau contrat sociétal -- nous avons parlé, au moment de la publication de la loi montagne, d'une solidarité nationale à l'égard des montagnards --, qui reconnaîtrait les handicaps induits par la vie en zones de montagne en valorisant les services rendus par celles-ci aux collectivités nationale et européenne en termes d'espace, de diversité biologique et paysagère et de récréation touristique.

Le territoire montagnard apparaît protégé à 30 %, alors que le taux de protection nationale moyen ne s'élève qu'à 6 %. Aussi avons-nous considéré préférable de développer une approche de cogestion entre les collectivités publiques et les habitants, tout en tenant compte des conditions socio-économiques de vie et de développement des populations résidentes mais aussi des conditions d'accueil des populations extérieures et de l'entretien des milieux naturels comme du maintien de leur fonction écologique.

A notre sens, le concept de développement durable doit pouvoir prendre tout son sens dans les zones de montagne. Dans cette optique, il paraît nécessaire d'obtenir la reconnaissance de la spécificité montagnarde au niveau européen, à travers la mise en place de politiques adaptées propres à ces zones. Cette revendication a constitué l'un des axes forts des Assises du développement durable de Toulouse, tenues récemment, lesquelles ont prôné, à cette fin, le renforcement de l'identité des communautés montagnardes mais aussi la diversification des activités en une articulation cohérente (sans monotourisme ni rejet de principe de toute activité industrielle) et l'affirmation du partenariat entre les différents acteurs en jeu.

Peuvent également être évoquées, à ce sujet, les thématiques suivantes : le besoin d'information, de formation et de participation des habitants ; l'aide à la gestion et à l'animation de projets de territoire (et la nécessité, notamment, de mettre en place des structures de gestion à bonne échelle) ; les conditions de garantie d'un tourisme durable ; le développement des démarches qualité pour les productions montagnardes ; le maintien des services publics et la garantie de productions énergétiques renouvelables et décentralisées ; enfin, le règlement de la question parfois cruciale des transports trans-massifs, qui touche à des aspects économiques et environnementaux.

Le capital économique des zones de montagne dépend directement de leur environnement exceptionnel. Négliger cet environnement conduirait à menacer le développement de ces régions et à accentuer la fragilité de ses populations et communautés montagnardes. Le concept de développement durable et son application prennent ici tout leur sens !

Telle est ma déclaration de principe, Monsieur le Président. Je peux, à présent, répondre plus spécifiquement aux questions que vous m'avez posées.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cet exposé introductif et vous propose de nous envoyer dès que possible vos réponses écrites à la grille de questions que nous vous avons transmise. Quant à l'immédiat, nous pouvons sans doute aborder ensemble un certain nombre de thèmes tels les outils de protection, les mesures décentralisées ou encore Natura 2000.

Pour ce qui concerne les outils de protection et les mesures décentralisées, tout d'abord, comment voyez-vous les choses sur le terrain ? Nous connaissons les parcs naturels, les réserves, les arrêtés de biotope ou autres expériences de caractère plus ou moins décentralisé telles l'Espace Mont-Blanc, par exemple... Nous pourrions discuter de ces outils, pour qu'à la fois vous nous disiez comment ils répondent, selon vous, aux objectifs de protection qui leur sont opposés mais aussi lesquels d'entre eux, précisément, vous semblent devoir prospérer ou subir diverses améliorations. En d'autres termes, pensez-vous que les structures de parc des Cévennes ou de la Vanoise ou encore la réserve des Aiguilles Rouges, près de Chamonix, sont des systèmes satisfaisants ?

Mme Claudine Zysberg - Je ne suis pas certaine d'être la mieux à même d'évaluer ces outils de protection, en tant qu'agent travaillant au Ministère de l'Environnement, et affectée à une autre direction que la direction en charge de la protection, la direction de la nature et des paysages.

Les outils de protection mis en place, communs à l'ensemble du territoire français, sont le fruit d'une lutte de quarante années pour la protection de l'environnement au sens large. La première mesure a consisté à mettre en place des parcs nationaux dits à la française.

Pour la plupart d'entre eux, les parcs nationaux ont été installés en zones de montagne, du fait de la prégnance des espaces naturels dans ce cadre -- bien que la zone centrale, le parc des Cévennes, soit habitée. Chacun dispose d'un décret propre, qui aborde ses spécificités territoire par territoire.

L'avantage de cette structure publique tient dans le fait que le conseil d'administration qui l'assiste comporte en majorité des élus locaux, lesquels peuvent directement suivre les programmes d'aménagement et de protection envisagés. L'outil apparaît également intéressant du fait que la dénomination de « parc » s'entend sur les zones centrale et périphérique concernées, ce qui ajoute en notoriété au niveau régional. Pour autant, il convient de s'interroger sur la part que prennent véritablement les habitants dans la gestion de cette structure et la protection des espaces naturels. Cette part varie selon les territoires considérés, leur histoire et les équipes municipales ou locales en place -- lesquelles ne sont pas toujours à l'écoute.

Quoi qu'il en soit et même s'ils demeurent un outil d'exception de par l'effort important qu'ils requièrent de la collectivité nationale, les parcs nationaux constituent le fleuron du Ministère, lequel évalue régulièrement leur bilan.

Un second outil de protection tient dans les 150 réserves naturelles instaurées, dont un tiers apparaît sis en montagne. Cette structure résulte de deux législations : la loi sur le classement des sites, d'une part, qui a permis dès 1957 la création de réserves ; la loi de protection de la nature, d'autre part, qui leur a donné en 1976 leur mesure propre (codifiée depuis au Code de l'environnement du L. 332-1 au L. 332-19).

En général, les réserves naturelles couvrent des territoires moins importants que l'outil précédent. Leur intérêt réside dans le fait qu'elles se focalisent sur des milieux particuliers et que l'organisme généralement associatif qui les gère se trouve étayé d'un comité consultatif présidé par le préfet et composé d'acteurs locaux. Il en résulte un lieu de débat qui me paraît tout à fait intéressant. Enfin, chaque réserve s'appuie sur un décret propre pour autoriser ou non des activités humaines selon leur compatibilité avec les milieux préservés.

De tous les outils dits de protection -- auxquels se rattache un outil propre aux collectivités territoriales, que vous avez omis de citer (voir infra) --, le parc naturel régional me paraît l'outil de gestion ou d'appréhension d'un territoire le plus intéressant, notamment en milieu montagnard. C'est un outil de décentralisation complet puisque comme vous le savez, le territoire du parc est proposé par la région avant de conduire au rassemblement volontaire des collectivités concernées autour d'une charte pour se donner les moyens à la fois de préserver les paysages et de mener des activités et des politiques compatibles avec l'environnement.

Il convient de noter, à ce sujet, que les parcs naturels régionaux sont nombreux en zones de montagne et s'y révèlent parmi les plus actifs, notamment en matière de tourisme. Au total, 16 parcs naturels régionaux ont été créés, qui depuis le Vercors jusqu'aux Vosges en passant par les Grands Causses couvrent pratiquement tous les massifs français à l'exception des Pyrénées. Même s'il ne s'agit pas réellement d'un outil de protection, il me semble qu'il y a là une réponse à vos questions.

Enfin, je voudrais également citer les espaces naturels dits sensibles, acquis par le département au titre d'une taxe départementale du même nom. Ils constituent un outil fréquemment utilisé au niveau départemental pour protéger des espaces remarquables et les ouvrir aux habitants ou aux touristes étrangers, d'une part, pour appuyer la gestion des chemins de promenade et de randonnée, d'autre part.

Aujourd'hui, les outils majeurs de protection relèvent de l'Etat. Néanmoins, celui-ci agit presque toujours en concertation avec les collectivités territoriales et les habitants. Ceci vaut même pour les sites classés -- illustrations d'une législation régalienne --, dont aucun n'est issu, dorénavant, sans consultation de la population et accord avec les élus locaux. Plus avant, une gestion d'accueil de la fréquentation des grands sites classés est organisée, en vue d'en préserver la notoriété internationale.

J'ai tenté, ici, d'ébaucher des pistes. Le cas échéant, le législateur a toute latitude pour modifier ces outils. Néanmoins, il convient d'évaluer un outil au regard de son objectif attendu comme de sa réponse aux attentes formulées par les citoyens. Les parcs nationaux et les réserves naturelles attirent chaque année, en France, respectivement sept et huit millions de visiteurs ! Là est la réponse quant à la satisfaction populaire, dès lors que l'on considère que la préservation ne vise pas à établir des sanctuaires mais à protéger des milieux visitables. Pour autant, le problème de l'association des collectivités locales à la mise en place de ces outils demeure posé, en vue d'une meilleure responsabilisation des élus en matière d'environnement.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cette réponse. J'ai encore deux questions à vous poser.

La première des procédures particulières a trait au principe de l'arrêté de biotope : quelle en est la procédure et en quoi celle-ci se différencie-t-elle des autres modalités ou classements ? La seconde évoque Natura 2000 : comment, dans ce domaine, sortir la France de sa situation d'exception et faire en sorte que les collectivités et les élus locaux s'approprient mieux et davantage Natura 2000 ?

Mme Claudine Zysberg - Pour ce qui est de l'arrêté de biotope, je dirai la chose suivante.

Les arrêtés de biotope sont un outil qui doit être manié avec précaution et utilisé à bon escient (sur un territoire relativement restreint) pour protéger une espèce, qu'elle soit animale ou végétale. Dans la mesure où il peut déboucher sur d'autres types de protection, il constitue, à notre sens, un outil en attente. Ceci fait précisément sa singularité en même temps que sa faiblesse, dans la mesure où il paraît possible d'envisager d'emblée d'autres types de protection plus pérennes et en quelque sorte mieux gérés -- tels le classement en site Natura 2000 -- voire de simples mesures plus appropriées. Quoi qu'il en soit, les arrêtés de biotope semblent aisés à mettre en oeuvre...

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez parlé de territoire « restreint » : est-ce un terme générique ou un qualificatif ?

Mme Claudine Zysberg - Le territoire des arrêtés de biotope apparaît généralement relativement restreint, l'outil jouant davantage par sa rapidité que par tout autre aspect. Cela ne dispense pas de réfléchir à sa gestion.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous apprécierions que votre réponse écrite apporte des éléments typologiques de classement pour ces notions. Il me semble que les réserves naturelles couvrent habituellement 100 ou 200 hectares, tandis que l'arrêté de biotope peut se circonscrire à 1 hectare...

Mme Claudine Zysberg - Il ne s'agit pas prioritairement d'une question de superficie. L'essentiel est de savoir ce que l'on souhaite protéger. Un arrêté de biotope vise à la protection d'une espèce particulière, tandis qu'une réserve naturelle s'attelle à protéger un milieu donné (grâce à des fonds croisés Etat-région) ; un parc national, lui, regarde plus globalement un ensemble de milieux et de paysages et c'est en ce sens que son budget se trouve souvent directement soutenu par l'Etat. Il est donc tout autant question, en réalité, de protection visée que de moyens disponibles.

J'en profite pour préciser que les sites classés, eux, sont essentiellement des paysages et qu'ils autorisent le développement ou la construction. En ce sens, ils constituent une protection qui vise simplement à gérer l'évolution lente d'un paysage par le biais de l'instruction de la demande de permis. Là encore, c'est une conception différente de la protection.

Quant à Natura 2000, il me semble que la puissance publique -- Etat et collectivités -- doit intégrer sa responsabilité particulière en matière d'habitat. Il est un fait que des 222 types d'habitat définis dans la directive de 1992, le territoire français en offre 70 %. La question de la biodiversité constitue donc un passage obligé. L'enjeu consiste à comprendre que c'est un réseau écologique majeur qui va être mis en place au niveau européen et qu'à ce titre, nous avons tout intérêt à le soutenir.

Suite aux consultations que les préfets ont menées en ce début d'année, nous serons aptes à proposer une liste complémentaire de sites à protéger, qui bénéficieront de financements très importants : financements des contrats Natura 2000 ; financements du fonds de gestion des milieux naturels mis en place par la loi d'orientation d'aménagement durable du territoire ; financements européens par le biais de LIFE et de LIFE-nature, notamment ; enfin, financements en provenance du FEOGA-Garantie. Il nous faut intégrer le fait que l'Europe, qui nous a condamnés une première fois en 2001 pour manquement de désignation à la directive, impose dorénavant comme condition aux versements des fonds structurels la transmission d'une liste complète. Nous n'avons donc pas le choix.

En revanche, une fois que les propositions seront complétées et envoyées, le rôle des élus consistera à faire comprendre à tous les habitants -- propriétaires, agriculteurs, sylviculteurs, chasseurs, etc. -- ainsi qu'à l'ensemble des acteurs économiques, sociaux ou associatifs qu'ils sont associés. Ce ne sera pas facile mais telle est la nécessité. Si l'Europe peut nous contraindre, nous devons porter le débat plus avant et accompagner le mouvement général pour affirmer notre responsabilité. Nous n'en gérerons que mieux ces sites, qui de toute façon seront préservés d'une manière ou d'une autre (leur statut juridique n'étant pas une condition de leur préservation).

En d'autres termes, nous disposons de tous les outils possibles pour protéger les milieux naturels, ruraux et forestiers ainsi que des moyens de gestion nécessaires. L'enjeu, à présent, consiste à choisir notre voie. Dans certains cas, tourner le dos aux protections n'est pas nécessairement la meilleure solution pour préserver les paysages, améliorer les productions et favoriser le développement touristique. En effet, pratiquement toutes les régions françaises et plus précisément l'ensemble des régions montagnardes renferment des types d'habitat et des milieux intéressants de même qu'un fort potentiel touristique. A l'ensemble des acteurs de se concerter pour optimiser cet axe double et rendre les choses compatibles ! (Pour autant, le développement des zones de montagne ne doit pas reposer uniquement sur le tourisme.)

Natura 2000 est sans aucun doute le réseau écologique majeur qui structurera durablement le territoire européen. Ce sera aussi un outil d'aménagement du territoire et de promotion d'une utilisation raisonnée de l'espace.

M. Jean Boyer - Nous avons bien conscience d'évoquer un débat de fond voire de société. Si le législateur ne s'est que récemment penché sur la question de l'environnement, celle-ci s'insuffle pourtant progressivement dans les états d'esprit. Ceci constitue, d'ailleurs, le meilleur avocat possible pour sa mise en avant. Je souhaite engager quelques points complémentaires.

Tout d'abord, je voudrais savoir comment vous appréhendez le rapport écologie-économie en lien à l'environnement. Sur ce point, j'évoquerai l'exemple précis du subventionnement éventuel à l'assainissement des mouillères évoqué par certaines collectivités locales. Certes, ces zones marécageuses mériteraient une protection du point de vue environnemental ; néanmoins, elles constituent une gêne sur le plan économique, en ce qu'elles perturbent la mécanisation des travaux engagés sur les parcelles qu'elles occupent en partie. D'autre part, je souhaite évoquer le cas spécifique des conservatoires botaniques. Comme vous le savez, ceux-ci remplissent une mission d'inventaire de la flore à la fois in situ et ex situ . Le Ministère de l'Environnement a-t-il la volonté d'encourager leur action ? Enfin, ne pensez-vous pas que les concepts de développement durable et d'agriculture raisonnée vont dans le même sens ?

Mme Claudine Zysberg - Votre premier point a trait au rapport écologie-économie. Il est clair que ces deux termes revêtent étymologiquement la même racine grecque, oikos (maison), et s'intéressent donc tous deux au même domaine. Pour revenir à votre exemple des mouillères, je pense qu'il convient de retourner la question. En effet, cette zone particulière peut tout à fait se trouver prise en compte par le fonds de gestion des milieux naturels ou par d'autres financements, à condition de figurer dans le réseau écologique ou dans les inventaires de milieux intéressants. Ainsi, les agriculteurs ou propriétaires désireux de gérer un terrain comprenant une zone humide de ce type peuvent trouver leur intérêt dans la protection de cette zone contre compensation financière ou dans son exploitation paysagère, notamment. L'inventaire que nous avons dressé des zones humides montre que celles-ci diminuent. L'équilibre des écosystèmes en termes de faune comme de flore nous incite donc à les protéger. Toutefois, les cas méritent d'être considérés un à un, au vu des contraintes qu'ils induisent pour le propriétaire ou l'exploitant mais aussi en regard de l'ensemble d'un territoire et d'une région.

Votre second point porte sur les conservatoires botaniques. Effectivement, le ministère a encouragé leur création et les soutient autant en rapport avec leur mission d'inventaire qu'en lien avec leur rôle dans la conservation et le développement des espèces végétales rares. La gestion s'en montre relativement lourde mais l'enjeu réside dans le fait que contrairement à la faune, qui jouit d'une image d'affectivité aux yeux de nos concitoyens, la flore s'avère relativement difficile d'accès et donc fragilisée. Il est donc tout à l'honneur du ministère d'avoir créé puis de soutenir ces structures. Encore faut-il les faire évoluer dans le bon sens...

Enfin, votre dernier point traite du développement durable et de l'agriculture raisonnée. Il me semble indubitable que ces deux concepts vont de pair. Dès lors qu'un agriculteur se pose la question de sa production en rapport à l'environnement naturel et au devenir du paysage, il s'inscrit dans une démarche de développement durable. L'important est que toutes ces démarches se fondent en un ensemble au niveau du territoire, afin que tous les acteurs adoptent une seule et même démarche, garante de cohérence à une échelle plus globale.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous allons bientôt prendre congé et je vous remercie pour votre contribution. Pour les besoins de notre rapport, je vous invite à répondre par écrit aussi précisément que possible aux questions que nous vous avons adressées. En particulier, il m'intéresse de pouvoir consigner les voies et moyens d'une sortie la meilleure possible de l'impasse dans laquelle la procédure Natura 2000 semble actuellement installée.

Vos propos ont été fort instructifs. Pour ma part, je constate que sur de nombreuses problématiques liées à l'environnement, nous souffrons, actuellement, de l'établissement d'un rapport de force entre deux parties : les associations représentatives de l'environnement et les fonctionnaires des services de l'agriculture ou de l'équipement, d'une part ; les élus, d'autre part, qui manquent parfois de pédagogie quant au contenu des mesures proposées. L'aide scientifique que peuvent nous apporter un certain nombre de chercheurs ou de personnages faisant autorité en la matière serait sans doute bienvenue pour rétablir et nourrir un dialogue sain entre tous. Bien entendu, je ne mets pas en cause les connaissances des fonctionnaires ou responsables d'associations ; simplement, l'arbitrage scientifique peut nous aider à accepter de transiger dans un sens ou dans l'autre et asseoir, de fait, l'autorité. C'est là une piste sur laquelle nous souhaiterions nous engager et j'aimerais connaître la réaction de votre Ministère quant à cette suggestion.

Un tout dernier point me vient à l'esprit à propos de la présence, dans les zones de montagne, des grands prédateurs réintroduits que sont le loup et l'ours. Pouvez-vous éclairer notre lanterne à ce sujet ?

Mme Claudine Zysberg - Cette question sera traitée dans le rapport écrit qui vous sera envoyé après mon audition. Une précision cependant, les ours des Pyrénées ont bien été réintroduits par l'homme. Les loups, en revanche, sont réapparus d'eux-mêmes.

M. Jean-Paul Amoudry - Au-delà de tout aspect polémique, ce sujet me paraît légitimement porté à figurer dans notre rapport. Il est important que nous puissions en maîtriser clairement les tenants et les aboutissants, afin d'envisager une réponse cohérente en termes écologiques mais également économiques. Comme vous le savez, l'activité pastorale est particulièrement vulnérable sur ce point. Je vous invite donc à nous communiquer tout élément complémentaire.

Mme Claudine Zysberg - Pour ce qui concerne l'aide pédagogique évoquée, je précise que les Cahiers Habitats viennent de paraître : ils fourniront une aide précieuse dans l'établissement des documents d'objectifs en lien aux différents sites Natura 2000.

M. Jean-Paul Amoudry - Pardonnez-moi cet esprit d'escalier mais vous avez préalablement évoqué une liste complète des sites... Nous en déduisons qu'il existe une liste a minima des divers sites institués, que complète une liste complémentaire. Par ailleurs, nous comprenons qu'il est des minima exigibles département par département. Qu'en est-il de ces pourcentages ? Ont-ils une valeur réglementaire ou indicative ? Comment cela s'articule-t-il à la définition des zones à couvrir et des habitats ? Y a-t-il un objectif national prolongé au fil de l'eau ?

Mme Claudine Zysberg - Non. L'inventaire concerne les types d'habitat définis dans la directive et la liste établie par chaque préfet correspond aux sites d'intérêt communautaire. En d'autres termes, tous les sites qui correspondent à ces habitats ne sont pas nécessairement des sites d'intérêt communautaire. Il n'y a pas de pourcentage : l'intérêt national est dépassé au profit d'un intérêt communautaire à la protection et donc à la désignation et les choses se décident territoire par territoire. Ce qui est jaugé est la qualité du site par rapport à la liste complète des habitats d'intérêt communautaire. Cette liste d'accès public est disponible -- avec la description de chaque site -- sur le site Internet du Ministère de l'Environnement.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie infiniment pour votre contribution et les éléments écrits que vous voudrez bien nous apporter.

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