18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'écologie et du développement durable (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
C'est avec plaisir, Madame Zysberg, que je vous
accueille au Sénat. Je vous remercie d'avoir répondu à
notre invitation pour participer à cette audition, que nous avons
organisée dans le cadre des travaux de la mission sénatoriale
d'information sur la politique montagne. Vous avez sans doute
déjà pris connaissance des objectifs et du déroulement de
ces travaux, qui doivent se conclure par le dépôt d'un rapport au
mois d'octobre prochain. Nous avons encore quelques semaines pour auditionner
et visiter les massifs montagneux français avant d'établir une
synthèse.
Les travaux de cette mission s'orientent vers trois thèmes
majeurs : le thème de l'aménagement, d'abord, qui comprend
toutes les questions afférentes à la forêt, aux
infrastructures de transport, aux techniques de l'information ou encore aux
services publics en zones de montagne ; le thème de
l'économie, ensuite, qui touche à l'agriculture, à
l'artisanat, au commerce et au tourisme ; enfin -- et sans
hiérarchie dans cet ordre --, le thème de la protection de
l'environnement. C'est plus particulièrement au titre de ce
troisième thème que nous vous accueillons, pour vous entendre
puis échanger avec vous à partir de la grille de questions que
nous vous avons adressée.
Je suis moi-même sénateur de Haute-Savoie et Rapporteur de cette
mission. Malheureusement, son Président Jacques Blanc,
sénateur de Lozère, vous prie de l'excuser pour son absence. A
mes côtés, j'ai le plaisir de vous présenter
Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire. Je compte que quelques
collègues nous rejoindront d'ici quelques instants, sachant que le
nombre restreint de sénateurs ici présents s'explique par le
calendrier électoral, qui tend à les retenir dans leurs
départements. Quoi qu'il en soit, votre déposition se trouvera
naturellement inscrite au rapport et portée, le moment venu, à la
connaissance de la mission réunie en séance
plénière. C'est à partir des éléments que
vous allez nous communiquer qu'en tant que Rapporteur, je présenterai
les conclusions à ce groupe de travail. Aussi, sans plus attendre, je
vous laisse la parole.
Mme Claudine Zysberg -
Merci Monsieur le Président. La politique
que mène le ministère de l'Ecologie et du Développement
durable en matière de protection de la montagne se situe de toute
évidence dans le cadre législatif actuel :
la loi montagne, d'une part, modifiée par la loi d'orientation
d'aménagement durable du territoire en 1999 ;
les diverses législations de protection qui ont mis en place le
dispositif de protection des milieux naturels et des paysages, d'autre part
-- la loi sur les parcs nationaux de 1960 ; la loi de protection
de la nature de 1976 ; la loi sur les paysages de 1973.
Nous considérons comme un devoir devant la nation, l'Europe et la
planète entière de mettre en place un certain nombre de
protections. Pour autant, nos axes ne se limitent pas à une acception
contraignante de cette notion de protection : nous visons
véritablement à maintenir la biodiversité d'espaces peu
artificialisés, à assurer une gestion efficace des paysages et
des ressources naturelles -- notamment de l'eau -- et à
prendre en compte l'environnement dans les politiques sectorielles. Dans cette
optique, les zones de montagne attirent toute notre attention en termes
d'ouverture et de possibilités dans les différentes
activités humaines qui s'y développent (qu'il s'agisse de
l'agriculture, du commerce, des activités de transport ou encore du
tourisme).
En ce qui concerne le développement durable en zones de montagne, comme
l'indique l'intitulé actuel du Ministère, notre objectif consiste
donc bien à la fois à assurer ces protections
réglementaires, à considérer l'ensemble des politiques
sectorielles à la mesure de l'enjeu environnemental et à porter
une attention particulière à la montagne (la loi ayant
donné le moyen d'encadrer pour vingt ans les différentes
activités spatialisées sur le territoire français par le
biais du schéma de service des espaces naturels et ruraux). Sur ce
dernier point, effectivement, les secteurs montagnards passent pour des
territoires dits « signal ». C'est en ce sens que leur
gestion nécessite la mise en place d'un nouveau contrat sociétal
-- nous avons parlé, au moment de la publication de la loi
montagne, d'une solidarité nationale à l'égard des
montagnards --, qui reconnaîtrait les handicaps induits par la vie
en zones de montagne en valorisant les services rendus par celles-ci aux
collectivités nationale et européenne en termes d'espace, de
diversité biologique et paysagère et de récréation
touristique.
Le territoire montagnard apparaît protégé
à 30 %, alors que le taux de protection nationale moyen ne
s'élève qu'à 6 %. Aussi avons-nous
considéré préférable de développer une
approche de cogestion entre les collectivités publiques et les
habitants, tout en tenant compte des conditions socio-économiques de vie
et de développement des populations résidentes mais aussi des
conditions d'accueil des populations extérieures et de l'entretien des
milieux naturels comme du maintien de leur fonction écologique.
A notre sens, le concept de développement durable doit pouvoir prendre
tout son sens dans les zones de montagne. Dans cette optique, il paraît
nécessaire d'obtenir la reconnaissance de la spécificité
montagnarde au niveau européen, à travers la mise en place de
politiques adaptées propres à ces zones. Cette revendication a
constitué l'un des axes forts des Assises du développement
durable de Toulouse, tenues récemment, lesquelles ont
prôné, à cette fin, le renforcement de l'identité
des communautés montagnardes mais aussi la diversification des
activités en une articulation cohérente (sans monotourisme ni
rejet de principe de toute activité industrielle) et l'affirmation du
partenariat entre les différents acteurs en jeu.
Peuvent également être évoquées, à ce sujet,
les thématiques suivantes : le besoin d'information, de formation
et de participation des habitants ; l'aide à la gestion et à
l'animation de projets de territoire (et la nécessité, notamment,
de mettre en place des structures de gestion à bonne
échelle) ; les conditions de garantie d'un tourisme durable ;
le développement des démarches qualité pour les
productions montagnardes ; le maintien des services publics et la garantie
de productions énergétiques renouvelables et
décentralisées ; enfin, le règlement de la question
parfois cruciale des transports trans-massifs, qui touche à des aspects
économiques et environnementaux.
Le capital économique des zones de montagne dépend directement de
leur environnement exceptionnel. Négliger cet environnement conduirait
à menacer le développement de ces régions et à
accentuer la fragilité de ses populations et communautés
montagnardes. Le concept de développement durable et son application
prennent ici tout leur sens !
Telle est ma déclaration de principe, Monsieur le Président. Je
peux, à présent, répondre plus spécifiquement aux
questions que vous m'avez posées.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour cet exposé
introductif et vous propose de nous envoyer dès que possible vos
réponses écrites à la grille de questions que nous vous
avons transmise. Quant à l'immédiat, nous pouvons sans doute
aborder ensemble un certain nombre de thèmes tels les outils de
protection, les mesures décentralisées ou encore Natura 2000.
Pour ce qui concerne les outils de protection et les mesures
décentralisées, tout d'abord, comment voyez-vous les choses sur
le terrain ? Nous connaissons les parcs naturels, les réserves, les
arrêtés de biotope ou autres expériences de
caractère plus ou moins décentralisé telles l'Espace
Mont-Blanc, par exemple... Nous pourrions discuter de ces outils, pour
qu'à la fois vous nous disiez comment ils répondent, selon vous,
aux objectifs de protection qui leur sont opposés mais aussi lesquels
d'entre eux, précisément, vous semblent devoir prospérer
ou subir diverses améliorations. En d'autres termes, pensez-vous que les
structures de parc des Cévennes ou de la Vanoise ou encore la
réserve des Aiguilles Rouges, près de Chamonix, sont des
systèmes satisfaisants ?
Mme Claudine Zysberg -
Je ne suis pas certaine d'être la mieux
à même d'évaluer ces outils de protection, en tant qu'agent
travaillant au Ministère de l'Environnement, et affectée à
une autre direction que la direction en charge de la protection, la direction
de la nature et des paysages.
Les outils de protection mis en place, communs à l'ensemble du
territoire français, sont le fruit d'une lutte de quarante années
pour la protection de l'environnement au sens large. La première mesure
a consisté à mettre en place des parcs nationaux dits à la
française.
Pour la plupart d'entre eux, les parcs nationaux ont été
installés en zones de montagne, du fait de la prégnance des
espaces naturels dans ce cadre -- bien que la zone centrale, le parc des
Cévennes, soit habitée. Chacun dispose d'un décret propre,
qui aborde ses spécificités territoire par territoire.
L'avantage de cette structure publique tient dans le fait que le conseil
d'administration qui l'assiste comporte en majorité des élus
locaux, lesquels peuvent directement suivre les programmes d'aménagement
et de protection envisagés. L'outil apparaît également
intéressant du fait que la dénomination de
« parc » s'entend sur les zones centrale et
périphérique concernées, ce qui ajoute en
notoriété au niveau régional. Pour autant, il convient de
s'interroger sur la part que prennent véritablement les habitants dans
la gestion de cette structure et la protection des espaces naturels. Cette part
varie selon les territoires considérés, leur histoire et les
équipes municipales ou locales en place -- lesquelles ne sont pas
toujours à l'écoute.
Quoi qu'il en soit et même s'ils demeurent un outil d'exception de par
l'effort important qu'ils requièrent de la collectivité
nationale, les parcs nationaux constituent le fleuron du Ministère,
lequel évalue régulièrement leur bilan.
Un second outil de protection tient dans les 150 réserves
naturelles instaurées, dont un tiers apparaît sis en montagne.
Cette structure résulte de deux législations : la loi sur le
classement des sites, d'une part, qui a permis dès 1957 la
création de réserves ; la loi de protection de la nature,
d'autre part, qui leur a donné en 1976 leur mesure propre
(codifiée depuis au Code de l'environnement du L. 332-1 au L. 332-19).
En général, les réserves naturelles couvrent des
territoires moins importants que l'outil précédent. Leur
intérêt réside dans le fait qu'elles se focalisent sur des
milieux particuliers et que l'organisme généralement associatif
qui les gère se trouve étayé d'un comité
consultatif présidé par le préfet et composé
d'acteurs locaux. Il en résulte un lieu de débat qui me
paraît tout à fait intéressant. Enfin, chaque
réserve s'appuie sur un décret propre pour autoriser ou non des
activités humaines selon leur compatibilité avec les milieux
préservés.
De tous les outils dits de protection -- auxquels se rattache un outil propre
aux collectivités territoriales, que vous avez omis de citer (voir
infra) --, le parc naturel régional me paraît l'outil de
gestion ou d'appréhension d'un territoire le plus intéressant,
notamment en milieu montagnard. C'est un outil de décentralisation
complet puisque comme vous le savez, le territoire du parc est proposé
par la région avant de conduire au rassemblement volontaire des
collectivités concernées autour d'une charte pour se donner les
moyens à la fois de préserver les paysages et de mener des
activités et des politiques compatibles avec l'environnement.
Il convient de noter, à ce sujet, que les parcs naturels
régionaux sont nombreux en zones de montagne et s'y
révèlent parmi les plus actifs, notamment en matière de
tourisme. Au total, 16 parcs naturels régionaux ont
été créés, qui depuis le Vercors jusqu'aux Vosges
en passant par les Grands Causses couvrent pratiquement tous les massifs
français à l'exception des Pyrénées. Même
s'il ne s'agit pas réellement d'un outil de protection, il me semble
qu'il y a là une réponse à vos questions.
Enfin, je voudrais également citer les espaces naturels dits sensibles,
acquis par le département au titre d'une taxe départementale du
même nom. Ils constituent un outil fréquemment utilisé au
niveau départemental pour protéger des espaces remarquables et
les ouvrir aux habitants ou aux touristes étrangers, d'une part, pour
appuyer la gestion des chemins de promenade et de randonnée, d'autre
part.
Aujourd'hui, les outils majeurs de protection relèvent de l'Etat.
Néanmoins, celui-ci agit presque toujours en concertation avec les
collectivités territoriales et les habitants. Ceci vaut même pour
les sites classés -- illustrations d'une législation
régalienne --, dont aucun n'est issu, dorénavant, sans
consultation de la population et accord avec les élus locaux. Plus
avant, une gestion d'accueil de la fréquentation des grands sites
classés est organisée, en vue d'en préserver la
notoriété internationale.
J'ai tenté, ici, d'ébaucher des pistes. Le cas
échéant, le législateur a toute latitude pour modifier ces
outils. Néanmoins, il convient d'évaluer un outil au regard de
son objectif attendu comme de sa réponse aux attentes formulées
par les citoyens. Les parcs nationaux et les réserves naturelles
attirent chaque année, en France, respectivement sept et huit millions
de visiteurs ! Là est la réponse quant à la
satisfaction populaire, dès lors que l'on considère que la
préservation ne vise pas à établir des sanctuaires mais
à protéger des milieux visitables. Pour autant, le
problème de l'association des collectivités locales à la
mise en place de ces outils demeure posé, en vue d'une meilleure
responsabilisation des élus en matière d'environnement.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour cette réponse. J'ai
encore deux questions à vous poser.
La première des procédures particulières a trait au
principe de l'arrêté de biotope : quelle en est la
procédure et en quoi celle-ci se différencie-t-elle des autres
modalités ou classements ? La seconde évoque
Natura 2000 : comment, dans ce domaine, sortir la France de sa
situation d'exception et faire en sorte que les collectivités et les
élus locaux s'approprient mieux et davantage Natura 2000 ?
Mme Claudine Zysberg -
Pour ce qui est de l'arrêté de
biotope, je dirai la chose suivante.
Les arrêtés de biotope sont un outil qui doit être
manié avec précaution et utilisé à bon escient (sur
un territoire relativement restreint) pour protéger une espèce,
qu'elle soit animale ou végétale. Dans la mesure où il
peut déboucher sur d'autres types de protection, il constitue, à
notre sens, un outil en attente. Ceci fait précisément sa
singularité en même temps que sa faiblesse, dans la mesure
où il paraît possible d'envisager d'emblée d'autres types
de protection plus pérennes et en quelque sorte mieux
gérés -- tels le classement en site Natura 2000 --
voire de simples mesures plus appropriées. Quoi qu'il en soit, les
arrêtés de biotope semblent aisés à mettre en
oeuvre...
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez parlé de territoire
« restreint » : est-ce un terme
générique ou un qualificatif ?
Mme Claudine Zysberg -
Le territoire des arrêtés de biotope
apparaît généralement relativement restreint, l'outil
jouant davantage par sa rapidité que par tout autre aspect. Cela ne
dispense pas de réfléchir à sa gestion.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous apprécierions que votre
réponse écrite apporte des éléments typologiques de
classement pour ces notions. Il me semble que les réserves naturelles
couvrent habituellement 100 ou 200 hectares, tandis que
l'arrêté de biotope peut se circonscrire à 1 hectare...
Mme Claudine Zysberg -
Il ne s'agit pas prioritairement d'une question
de superficie. L'essentiel est de savoir ce que l'on souhaite protéger.
Un arrêté de biotope vise à la protection d'une
espèce particulière, tandis qu'une réserve naturelle
s'attelle à protéger un milieu donné (grâce à
des fonds croisés Etat-région) ; un parc national, lui,
regarde plus globalement un ensemble de milieux et de paysages et c'est en ce
sens que son budget se trouve souvent directement soutenu par l'Etat. Il est
donc tout autant question, en réalité, de protection visée
que de moyens disponibles.
J'en profite pour préciser que les sites classés, eux, sont
essentiellement des paysages et qu'ils autorisent le développement ou la
construction. En ce sens, ils constituent une protection qui vise simplement
à gérer l'évolution lente d'un paysage par le biais de
l'instruction de la demande de permis. Là encore, c'est une conception
différente de la protection.
Quant à Natura 2000, il me semble que la puissance publique
-- Etat et collectivités -- doit intégrer sa
responsabilité particulière en matière d'habitat. Il est
un fait que des 222 types d'habitat définis dans la directive
de 1992, le territoire français en offre 70 %. La question de
la biodiversité constitue donc un passage obligé. L'enjeu
consiste à comprendre que c'est un réseau écologique
majeur qui va être mis en place au niveau européen et qu'à
ce titre, nous avons tout intérêt à le soutenir.
Suite aux consultations que les préfets ont menées en ce
début d'année, nous serons aptes à proposer une liste
complémentaire de sites à protéger, qui
bénéficieront de financements très importants :
financements des contrats Natura 2000 ; financements du fonds de
gestion des milieux naturels mis en place par la loi d'orientation
d'aménagement durable du territoire ; financements européens
par le biais de LIFE et de LIFE-nature, notamment ; enfin, financements en
provenance du FEOGA-Garantie. Il nous faut intégrer le fait que
l'Europe, qui nous a condamnés une première fois en 2001
pour manquement de désignation à la directive, impose
dorénavant comme condition aux versements des fonds structurels la
transmission d'une liste complète. Nous n'avons donc pas le choix.
En revanche, une fois que les propositions seront complétées et
envoyées, le rôle des élus consistera à faire
comprendre à tous les habitants -- propriétaires,
agriculteurs, sylviculteurs, chasseurs, etc. -- ainsi qu'à
l'ensemble des acteurs économiques, sociaux ou associatifs qu'ils sont
associés. Ce ne sera pas facile mais telle est la
nécessité. Si l'Europe peut nous contraindre, nous devons porter
le débat plus avant et accompagner le mouvement général
pour affirmer notre responsabilité. Nous n'en gérerons que mieux
ces sites, qui de toute façon seront préservés d'une
manière ou d'une autre (leur statut juridique n'étant pas une
condition de leur préservation).
En d'autres termes, nous disposons de tous les outils possibles pour
protéger les milieux naturels, ruraux et forestiers ainsi que des moyens
de gestion nécessaires. L'enjeu, à présent, consiste
à choisir notre voie. Dans certains cas, tourner le dos aux protections
n'est pas nécessairement la meilleure solution pour préserver les
paysages, améliorer les productions et favoriser le développement
touristique. En effet, pratiquement toutes les régions françaises
et plus précisément l'ensemble des régions montagnardes
renferment des types d'habitat et des milieux intéressants de même
qu'un fort potentiel touristique. A l'ensemble des acteurs de se concerter pour
optimiser cet axe double et rendre les choses compatibles ! (Pour autant,
le développement des zones de montagne ne doit pas reposer uniquement
sur le tourisme.)
Natura 2000 est sans aucun doute le réseau écologique majeur qui
structurera durablement le territoire européen. Ce sera aussi un outil
d'aménagement du territoire et de promotion d'une utilisation
raisonnée de l'espace.
M. Jean Boyer -
Nous avons bien conscience d'évoquer un
débat de fond voire de société. Si le législateur
ne s'est que récemment penché sur la question de l'environnement,
celle-ci s'insuffle pourtant progressivement dans les états d'esprit.
Ceci constitue, d'ailleurs, le meilleur avocat possible pour sa mise en avant.
Je souhaite engager quelques points complémentaires.
Tout d'abord, je voudrais savoir comment vous appréhendez le rapport
écologie-économie en lien à l'environnement. Sur ce point,
j'évoquerai l'exemple précis du subventionnement éventuel
à l'assainissement des mouillères évoqué par
certaines collectivités locales. Certes, ces zones marécageuses
mériteraient une protection du point de vue environnemental ;
néanmoins, elles constituent une gêne sur le plan
économique, en ce qu'elles perturbent la mécanisation des travaux
engagés sur les parcelles qu'elles occupent en partie. D'autre part, je
souhaite évoquer le cas spécifique des conservatoires botaniques.
Comme vous le savez, ceux-ci remplissent une mission d'inventaire de la flore
à la fois
in situ
et
ex situ
. Le Ministère de
l'Environnement a-t-il la volonté d'encourager leur action ? Enfin,
ne pensez-vous pas que les concepts de développement durable et
d'agriculture raisonnée vont dans le même sens ?
Mme Claudine Zysberg -
Votre premier point a trait au rapport
écologie-économie. Il est clair que ces deux termes
revêtent étymologiquement la même racine grecque,
oikos
(maison), et s'intéressent donc tous deux au même
domaine. Pour revenir à votre exemple des mouillères, je pense
qu'il convient de retourner la question. En effet, cette zone
particulière peut tout à fait se trouver prise en compte par le
fonds de gestion des milieux naturels ou par d'autres financements, à
condition de figurer dans le réseau écologique ou dans les
inventaires de milieux intéressants. Ainsi, les agriculteurs ou
propriétaires désireux de gérer un terrain comprenant une
zone humide de ce type peuvent trouver leur intérêt dans la
protection de cette zone contre compensation financière ou dans son
exploitation paysagère, notamment. L'inventaire que nous avons
dressé des zones humides montre que celles-ci diminuent.
L'équilibre des écosystèmes en termes de faune comme de
flore nous incite donc à les protéger. Toutefois, les cas
méritent d'être considérés un à un, au vu des
contraintes qu'ils induisent pour le propriétaire ou l'exploitant mais
aussi en regard de l'ensemble d'un territoire et d'une région.
Votre second point porte sur les conservatoires botaniques. Effectivement, le
ministère a encouragé leur création et les soutient autant
en rapport avec leur mission d'inventaire qu'en lien avec leur rôle dans
la conservation et le développement des espèces
végétales rares. La gestion s'en montre relativement lourde mais
l'enjeu réside dans le fait que contrairement à la faune, qui
jouit d'une image d'affectivité aux yeux de nos concitoyens, la flore
s'avère relativement difficile d'accès et donc fragilisée.
Il est donc tout à l'honneur du ministère d'avoir
créé puis de soutenir ces structures. Encore faut-il les faire
évoluer dans le bon sens...
Enfin, votre dernier point traite du développement durable et de
l'agriculture raisonnée. Il me semble indubitable que ces deux concepts
vont de pair. Dès lors qu'un agriculteur se pose la question de sa
production en rapport à l'environnement naturel et au devenir du
paysage, il s'inscrit dans une démarche de développement durable.
L'important est que toutes ces démarches se fondent en un ensemble au
niveau du territoire, afin que tous les acteurs adoptent une seule et
même démarche, garante de cohérence à une
échelle plus globale.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous allons bientôt prendre congé et
je vous remercie pour votre contribution. Pour les besoins de notre rapport, je
vous invite à répondre par écrit aussi
précisément que possible aux questions que nous vous avons
adressées. En particulier, il m'intéresse de pouvoir consigner
les voies et moyens d'une sortie la meilleure possible de l'impasse dans
laquelle la procédure Natura 2000 semble actuellement
installée.
Vos propos ont été fort instructifs. Pour ma part, je constate
que sur de nombreuses problématiques liées à
l'environnement, nous souffrons, actuellement, de l'établissement d'un
rapport de force entre deux parties : les associations
représentatives de l'environnement et les fonctionnaires des services de
l'agriculture ou de l'équipement, d'une part ; les élus,
d'autre part, qui manquent parfois de pédagogie quant au contenu des
mesures proposées. L'aide scientifique que peuvent nous apporter un
certain nombre de chercheurs ou de personnages faisant autorité en la
matière serait sans doute bienvenue pour rétablir et nourrir un
dialogue sain entre tous. Bien entendu, je ne mets pas en cause les
connaissances des fonctionnaires ou responsables d'associations ;
simplement, l'arbitrage scientifique peut nous aider à accepter de
transiger dans un sens ou dans l'autre et asseoir, de fait, l'autorité.
C'est là une piste sur laquelle nous souhaiterions nous engager et
j'aimerais connaître la réaction de votre Ministère quant
à cette suggestion.
Un tout dernier point me vient à l'esprit à propos de la
présence, dans les zones de montagne, des grands prédateurs
réintroduits que sont le loup et l'ours. Pouvez-vous éclairer
notre lanterne à ce sujet ?
Mme Claudine Zysberg -
Cette question sera traitée dans le
rapport écrit qui vous sera envoyé après mon audition. Une
précision cependant, les ours des Pyrénées ont bien
été réintroduits par l'homme. Les loups, en revanche, sont
réapparus d'eux-mêmes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Au-delà de tout aspect polémique,
ce sujet me paraît légitimement porté à figurer dans
notre rapport. Il est important que nous puissions en maîtriser
clairement les tenants et les aboutissants, afin d'envisager une réponse
cohérente en termes écologiques mais également
économiques. Comme vous le savez, l'activité pastorale est
particulièrement vulnérable sur ce point. Je vous invite donc
à nous communiquer tout élément complémentaire.
Mme Claudine Zysberg -
Pour ce qui concerne l'aide pédagogique
évoquée, je précise que les
Cahiers Habitats
viennent de paraître : ils fourniront une aide précieuse dans
l'établissement des documents d'objectifs en lien aux différents
sites Natura 2000.
M. Jean-Paul Amoudry -
Pardonnez-moi cet esprit d'escalier mais vous
avez préalablement évoqué une liste complète des
sites... Nous en déduisons qu'il existe une liste
a minima
des
divers sites institués, que complète une liste
complémentaire. Par ailleurs, nous comprenons qu'il est des
minima
exigibles département par département. Qu'en est-il
de ces pourcentages ? Ont-ils une valeur réglementaire ou
indicative ? Comment cela s'articule-t-il à la définition
des zones à couvrir et des habitats ? Y a-t-il un objectif national
prolongé au fil de l'eau ?
Mme Claudine Zysberg -
Non. L'inventaire concerne les types d'habitat
définis dans la directive et la liste établie par chaque
préfet correspond aux sites d'intérêt communautaire. En
d'autres termes, tous les sites qui correspondent à ces habitats ne sont
pas nécessairement des sites d'intérêt communautaire. Il
n'y a pas de pourcentage : l'intérêt national est
dépassé au profit d'un intérêt communautaire
à la protection et donc à la désignation et les choses se
décident territoire par territoire. Ce qui est jaugé est la
qualité du site par rapport à la liste complète des
habitats d'intérêt communautaire. Cette liste d'accès
public est disponible -- avec la description de chaque site -- sur le
site Internet du Ministère de l'Environnement.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie infiniment pour votre
contribution et les éléments écrits que vous voudrez bien
nous apporter.