17. Audition de M. José Rey, chef du Service central des enquêtes et études statistiques au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (29 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je remplirai auprès de vous à la fois les
fonctions de Président et de Rapporteur de cette mission, dont le
Président Jacques Blanc, qui fut votre Ministre, vous prie de bien
vouloir l'excuser de ne pouvoir nous rejoindre ce matin. Sénateur de la
Haute-Savoie, j'ai la chance d'avoir à mes côtés un
éminent collègue en la personne d'Auguste Cazalet,
sénateur des Pyrénées-Atlantiques.
Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, Monsieur Rey, et vous
remercie d'avoir pris du temps sur votre journée pour répondre
aux questions que nous vous avons adressées.
M. José Rey -
Merci. Je me propose d'aborder de manière
non formelle une série de points qui me semblent pertinents. Je vous
prie, en outre, de m'excuser pour n'avoir pas rédigé de texte
écrit. Toutefois, ayant lancé des travaux d'actualisation du
commentaire afférent au secteur de la montagne que nous avons
rédigé suite aux résultats du recensement de l'agriculture
- travaux toujours en cours dont je me propose, ci-après, de vous
livrer la « substantifique moelle » --, je m'engage
à faire parvenir au secrétariat de votre commission le texte
final dès qu'il sera disponible.
Permettez-moi, au préalable, de me présenter rapidement. Je
remplis la fonction de Chef du service statistique du Ministère en tant
que fonctionnaire de l'agriculture, ce qui peut apparaître quelque peu
original -mes prédécesseurs étaient des fonctionnaires de
l'INSEE. Auparavant, j'ai été directeur départemental dans
l'Oise et directeur régional en Champagne-Ardenne. Vous constatez donc
que ma connaissance du terrain de la montagne peut passer pour
légère ! Pour autant, je suis tout de même d'origine
dauphinoise...
Quant au service de statistique que je dirige, j'en dirai quelques mots. Comme
vous le savez, les statistiques publiques se partagent entre l'INSEE, la
direction générale du Ministère des Finances, et les
services statistiques des divers ministères. Dans ce cadre, le service
statistique du Ministère de l'Agriculture apparaît de très
loin comme le plus important et le seul, en outre, à disposer
d'échelons départementaux -- l'INSEE lui-même n'en
disposant pas. A ce sujet, j'espère que vous connaissez, au sein de vos
directions départementales de l'agriculture et de la forêt, sinon
le statisticien lui-même tout au moins le directeur qui est à
même de vous fournir ces statistiques. En effet, tout ce dont je vais
vous parler mérite, en réalité, d'être
analysé très finement du point de vue géographique :
les moyennes nationales, quand bien même elles s'appliquent à un
zonage par massifs, n'en demeurent pas moins extrêmement
réductrices.
Je me propose donc de revenir sur les résultats du recensement de
l'agriculture 2000 (qui est sans doute l'objet de cette invitation), en
évitant toutefois un surplus de données chiffrées.
Le recensement montre que la montagne couvre 28 % du territoire et
représente 19 % de la surface agricole utile (SAU) -- taux
logique puisqu'une grande part des terrains sont constitués de
forêts ou de sites minéraux -- et 20 % des
exploitations. D'une manière générale, ces données
sont fondées sur le chiffre de 135 000 exploitations agricoles
comptées, sur un territoire incluant traditionnellement la région
du Piémont mais non les départements d'outre-mer -- dont les
statistiques s'avèrent toutefois disponibles par ailleurs.
Le point remarquable, pour la montagne, consiste dans le fait que le taux
de 20 % des exploitations qu'elle représente se
révèle globalement stable depuis trente années que les
recensements modernes ont cours (suivant les échéances 1970,
1979, 1988 et 2000). Ceci signifie que le nombre d'exploitations est en baisse,
dans la mesure où le nombre absolu d'exploitations sur l'ensemble du
territoire apparaît lui-même en baisse.
Plus précisément, des enquêtes intermédiaires nous
permettent de distinguer deux phases dans cette évolution touchant
l'ensemble du territoire et des secteurs.
Au cours de la période 1988-1995, cette baisse a été
forte, en lien avec l'abaissement de l'âge de la retraite de 65 ans
à 60 ans, aux mesures de préretraite engagées et
à la figure d'ensemble de la pyramide des âges. Les agriculteurs
nés avant 1939, très nombreux, se sont massivement
retirés de la vie active à ce moment-là.
Depuis 1995, en revanche, cette baisse semble ralentie, en rapport à une
figure améliorée de la pyramide des âges. Nous n'en sommes
pas encore à une représentation égale et
régulièrement renouvelée de toutes les classes d'âge
mais nous nous en approchons -- j'y reviendrai à propos des
perspectives d'évolution.
Par ailleurs, la carte des systèmes d'exploitation révèle
franchement que les zones de montagne constituent des systèmes
herbagers, ce qui conditionne fortement les autres données. Certes,
quelques exploitations exceptionnelles persistent, comme les vignes dans les
Pyrénées orientales ou les céréales dans les Alpes
du sud mais l'essentiel des zones de montagne y compris dans les Vosges,
le Jura ou la Corse s'avère des systèmes herbagers.
Ces systèmes herbagers se répartissent à peu près
à égalité entre production laitière -- avec
des laits valorisés et des fromages AOC dans les Alpes du nord, le Jura
voire les Vosges -- et viandes bovine et ovine. S'y ajoutent quelques
productions maraîchères ou horticoles. En définitive,
seules les productions céréalières, de grandes cultures et
les vignobles de qualité semblent sous-représentées, ce
qui explique qu'un certain nombre d'évolutions caractérisant
précisément ces exploitations au niveau national -- formes
sociétaires, part croissante de la main d'oeuvre salariée... --
ne touche pas les zones de montagne.
Il s'ensuit que la taille moyenne des exploitations de montagne
(38 hectares) s'avère moindre que celle du niveau national
(42 hectares), même si ce genre de moyennes paraît fort
réducteur et peu significatif. Surtout, la dimension économique
des exploitations de montagne -- obtenue par pondération des
tailles et cheptels selon des coefficients indicatifs de valeur
ajoutée -- apparaît moitié moindre que la moyenne
nationale, dans la mesure où une fois encore, les très grandes
exploitations travaillant les céréales, les betteraves et les
pommes de terre dans le Bassin parisien ainsi que les vins de qualité en
Champagne ou dans le Bordelais ne sont donc pas présentes en montagne.
Cette absence de grande dimension économique en montagne constitue un
point remarquable, qui induit une faible modulation des primes dans les zones
concernées. Les zones de montagne comptent pour autant peu
d'exploitations de petite dimension économique, laquelle semble
davantage caractériser les vignobles de consommation courante
-- les statistiques agricoles allant jusqu'à recenser des
exploitations viticoles de 5 ares en Champagne.
Il en résulte une description représentative des systèmes
herbagers, qu'ils soient montagnards ou non : des exploitations de taille
moyenne ; une part importante de main d'oeuvre familiale (le chef
d'exploitation, sa conjointe, ses parents voire ses enfants), notamment dans
les systèmes d'élevage ; enfin, peu de salariés
permanents.
Le recensement confirme, sur ce sujet, la constance du nombre de
salariés permanents dans le domaine agricole au niveau national. Le
nombre d'exploitations diminuant, nous en déduisons que la part relative
des employés permanents dans les effectifs des exploitations a
crû. Précisément, la main d'oeuvre salariée
-- permanente et saisonnière -- représente
dorénavant un quart de la main d'oeuvre totale des exploitations, contre
un sixième précédemment. Néanmoins, cette tendance
n'est pas patente en montagne.
De même, le constat de pluriactivité au sein du couple exploitant,
s'il s'affirme de manière croissante au niveau national, ne se
vérifie pas en zone de montagne. Quant à la pluriactivité
individuelle, elle ne touche que 22 % des chefs d'exploitation en
zones montagnardes. Peut-être la raison en incombe-t-elle, dans ce cadre,
à la faiblesse de l'offre extérieure, particulièrement
dans le Massif Central.
Le célibat, lui, demeure plus élevé dans ces territoires
qu'au niveau national mais non spectaculaire. Outre la question de l'isolement
géographique, il convient de rappeler, ici, que le célibat
constitue une caractéristique générale des systèmes
d'élevage, de par la difficulté des conditions de travail
induites. Ceci s'avère particulièrement vrai dans le secteur de
la viande bovine ou ovine. Or ce secteur d'élevage particulier est
également celui dont les revenus sont les plus faibles. Personnellement
-- et je sors ici de mon langage de statisticien, au vu des relations que
je peux avoir avec des sociologues de l'INRA, par exemple --, je pense que
nous pouvons invoquer l'ensemble de ces raisons, particulièrement les
revenus et les conditions de vie et de travail.
Pour ce qui est du niveau de formation, les zones de montagnes suivent
l'évolution nationale à système de production
équivalent. Tout d'abord, le niveau de formation continue de
croître spectaculairement de recensement en recensement, au point que
l'agriculture ne me paraît presque plus en retard sur ce point.
Toutefois, en interne, ce niveau se révèle plus faible dans les
systèmes d'élevage que dans l'ensemble des systèmes
-- productions céréalières et hors-sol notamment.
Les jeunes agriculteurs, eux, s'avèrent proportionnellement mieux
représentés en zones de montagne qu'au niveau national dans son
ensemble : l'on y dénombre 10 % d'agriculteurs de moins de
trente ans (contre 8 % au niveau national), avec une pointe
à 13 % dans le Jura et un palier à 7 % en
Corse. Néanmoins, je suis dans l'incapacité de préciser
s'il existe une relation, sur ce point, avec les montants attribués aux
jeunes agriculteurs au titre de primes... Pourtant, je me permets de vous
transmettre mon optimisme sur cette tendance.
Vous me demandez, en outre, d'éventuelles projections. Nous n'avons pas
pu en faire, faute de moyens humains. En effet, je dispose d'une seule
démographe dans mon équipe mais je noue des conventions avec
l'INRA pour que ses chercheurs collaborent avec mon service. Quoi qu'il en
soit, le message général indique un ralentissement de la
diminution des exploitations agricoles au niveau national mais surtout en zones
de montagne (la proportion de jeunes agriculteurs y apparaissant plus forte).
Je prévois, pour les dix années à venir, des taux de
décroissance annuels de l'ordre de 2,0-2,5 % (contre 4,5 % au
début des années 90).
Vous me posez également une question difficile sur le rapport entre
l'évolution de la surface moyenne des exploitations et celle des prix du
foncier.
A titre de curiosité et hors recensement, j'ai réfléchi
à ce qui peut conditionner les prix du foncier et je peux simplement
dire qu'à mon sens, la taille des exploitations ne joue pas sur ce
point. A titre d'illustration, je vous citerai trois exemples.
Premièrement, lorsque l'on franchit la frontière
-- imperceptible -- entre l'Oise et le Val-d'Oise, le coût du
foncier à l'hectare augmente de 1 525 euros.
Pourquoi ? Tout simplement parce que dans l'Oise, les agriculteurs sont
présents et luttent pour une baisse du prix de la terre, tandis que dans
le Val-d'Oise, la spéculation immobilière prime et l'on cultive
le COS plutôt que le blé ou les betteraves !
Deuxièmement, lorsque le groupe Eurodisney s'est installé en
Seine-et-Marne, il a concédé un coût moyen à
l'hectare de 15 250 euros, alors que le marché ne
requérait que 6.860 euros. Les agriculteurs de Seine-et-Marne se
sont installés dans l'Oise et ont concédé, à leur
tour, un coût moyen à l'hectare de 10 670 euros,
alors que 6 100 euros auraient suffi tout autant !
Troisièmement, lorsque la SNCF a mis en route un chantier TGV dans
l'Ain, elle a spontanément consenti à indemniser à la fois
les propriétaires et les exploitants expropriés comme elle
l'avait fait en Picardie alors que ce n'était pas habituel dans cette
région. D'où une spéculation à la hausse.
La PAC de 1992, qui incitait à l'agrandissement des exploitations,
a induit une hausse sensible du coût du foncier. Pour autant, je n'ai pas
d'idée précise sur cette relation entre le coût et la
taille des exploitations. Au regard des chiffres disponibles en zones de
prairies naturelles, je propose le constat suivant : les variations du
prix de la terre en zones de montagne s'avèrent nettement
atténuées par rapport au niveau national. Vous savez que dans une
phase 1950-1978, le coût moyen du foncier a crû fortement au niveau
national mais moins rapidement en zones de montagne ; à l'inverse,
dans une phase 1978-1995, ce coût a chu mais là-aussi moins
rapidement en zones de montagne ; enfin, depuis 1995, ce coût
remonte mais là-encore moins rapidement en zones de montagne. Il n'en
demeure pas moins que le prix de la terre est élevé et
supérieur à celui de la moyenne nationale dans les Alpes du nord
et les Vosges -- régions où la pluriactivité et le
tourisme sont importants.
Une autre de vos questions a trait à l'évolution relative de la
part des vaches laitières par rapport à celle des vaches
allaitantes. Il est certain qu'en termes de cheptel laitier, la part que
représentent les zones de montagne au niveau national croît
nettement (de 15 % en 1970 à 20 %
en 2000). Autrement dit, le cheptel laitier de montagne baisse moins
rapidement que l'ensemble. Parallèlement, l'évolution se trouve
inversée en termes de cheptel allaitant. Certes, les vaches allaitantes
se substituent aux vaches laitières comme partout en France ; mais
comme le cheptel laitier de montagne baisse moins rapidement qu'au niveau
national, le cheptel allaitant de montagne, logiquement, croît moins
rapidement ! Il s'ensuit que la part des zones de montagne dans la
production nationale de viande baisse légèrement.
Vos sensibilités agricoles vous permettent naturellement de comprendre
ce phénomène global de substitution : du jour où ont
été imposés des quotas laitiers (1984), le nombre de
têtes s'est restreint -- le rendement moyen des vaches continuant de
croître. Cependant, dans la mesure où ces quotas laitiers ont
moins diminué voire ont augmenté en zones de montagne, la part du
lait de montagne dans la production laitière totale a crû.
J'ajouterai à cela un constat personnel: les races à très
hautes performances laitières -- la Holstein, notamment --
sont peu présentes en montagne, où l'on a
sélectionné, en revanche, des races à fort taux de
matières grasses et azotées en vue de produire du fromage
-- la Montbéliarde, etc. Pour produire une quantité de lait
constante, il faut donc plus de vaches en montagne qu'ailleurs ! En
d'autres termes, il n'est pas d'usine à lait en montagne et la
substitution du lait vers la viande y apparaît moins forte qu'au niveau
national.
Enfin, vous m'interrogez sur la question des revenus, qui sort du cadre du
recensement -- tout comme celle du foncier. Néanmoins, nous menons
une opération par sondage auprès de 8 000 exploitations
professionnelles -- le Réseau d'information comptable
agricole --, qui nous permet de suivre et d'interpréter dans le
détail des comptabilités complètes. Il en ressort certains
points sur la question des revenus, qui paraissent une fois encore liés
aux systèmes de production.
Ainsi, il est connu que les éleveurs de viande ovine ou bovine
révèlent les revenus les plus faibles, qu'ils soient
installés en montagne ou non. Mais une observation plus fine
s'avère intéressante.
Les exploitations laitières de montagne apparaissent plus restreintes
que leurs consoeurs nationales en taille comme en cheptels mais emploient
davantage de main d'oeuvre. Ceci explique leur productivité moindre.
Malgré des aides allant dans le sens d'une compensation de ces
handicaps, leurs revenus se révèlent inférieurs
de 30 % à ceux de l'ensemble des exploitations
laitières ! Plus avant, les aides représentent 50 % de ces
revenus, alors qu'en plaine, les aides directes aux vaches laitières
sont rares.
En matière de viande, le constat est le même : taille et
cheptels plus petits ; main d'oeuvre plus élevée ; mais
revenus inférieurs de 30 % également à ceux de
l'ensemble des exploitations, alors que les aides représentent ici
150 % des revenus (et conditionnent, de fait, l'existence même de
ces exploitations) !
Les ovins, eux, constituent un cas particulier dans la production. En effet,
les cheptels ovins de montagne sont plus grands que ceux de plaine, d'une
part ; le lait de brebis est essentiellement produit en montagne, d'autre
part. En dépit de cela, le système ovin -- lait et viande
considérés ensemble -- procure un revenu qui égale
l'ordre de grandeur des aides.
Globalement, les chiffres 2000 correspondant aux exploitations
professionnelles de montagne indiquent un revenu moyen disponible avant
impôts de 21 000 euros par exploitation, dont
15 000 euros d'aides (parmi lesquels 10 000 euros d'aides
européennes). Le tout compte pour 1,4 unité de main d'oeuvre
équivalente temps complet, ce qui induit un revenu
de 15 000 euros par UTA non salarié -- ce qui est
tout de même supérieur au SMIC. Par comparaison, les
chiffres 2000 correspondant aux exploitations professionnelles France
entière indiquent un revenu moyen disponible avant impôts
de 28 000 euros, dont 20 000 euros d'aides.
Depuis la PAC de 1992, les aides en zones de plaine sont plus importantes
qu'en zones de montagne, notamment en direction des céréales,
oléagineux et protéagineux. A ce sujet, la part des aides dans
les revenus atteint 60 % dans les départements
céréaliers de l'Oise et de la Seine-et-Marne (contre 1-2 %
avant 1992), 100 % en Lozère mais uniquement 16 % dans
les départements de Savoie et de Haute-Savoie (contre 10 %
avant 1992). En définitive, l'agriculture de montagne n'est donc
pas fortement aidée, surtout dans les zones laitières.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour ces propos, qui se sont
avérés fort enrichissants. Avant de réagir, je vais passer
la parole à Auguste Cazalet, qui a quelques questions à vous
poser.
M. Auguste Cazalet
- Je n'ai pas été surpris du taux
de 28 % du territoire couvert par les zones de montagne -- bien
que pour notre part, nous disposions d'un taux de 30 %...
M. José Rey
- Il s'agit d'un chiffre issu des surfaces
cadastrées.
M. Auguste Cazalet
- Soit ! Cependant, il est des secteurs de ce
territoire montagnard vierges de toute exploitation, ce qui fausse l'ensemble
des statistiques. Quant au taux de 20 % des exploitations nationales
sises en zones de montagne, il m'étonne davantage mais je le
conçois, sachant moi-même à quel point les agriculteurs
montagnards s'avèrent irréversiblement attachés à
leurs terres et peu enclins à l'exil en plaine.
En revanche, je suis très surpris par la taille moyenne annoncée
de 38 hectares par exploitation. Je serais curieux de connaître vos
méthodes statistiques sur ce point ! Certes, je ne suis pas un
intellectuel. Néanmoins, dans mon secteur de la vallée d'Ossau,
38 hectares constituent d'emblée une exploitation fort importante.
Il est vrai qu'à une vingtaine de kilomètres de là, vers
Pau, les cantons de Morlaàs ou de Lescar renferment des exploitations
pouvant dépasser la centaine d'hectares mais je m'interroge tout de
même...
Par ailleurs, vous relevez un taux de pluriactivité des chefs
d'exploitation de 22 % en zones de montagne, qui m'interpelle lui
aussi. Dans le canton de la Rance, que je connais bien -- vous avez sans
doute entendu parler du col d'Aubisque lors du Tour de France --...
M. José Rey
- J'ai entendu parler de ce secteur en rapport
à l'écobuage !
M. Auguste Cazalet
- L'écobuage concerne surtout le Pays Basque.
Bref, la pluriactivité touche plutôt 80 % des ménages
dans ces régions, qui profitent, il est vrai, de la
délocalisation de certaines unités de production telles les
usines Messier, Turboméca ou Dassault. A quelques dizaines de
kilomètres de là, pourtant, les situations économiques
peuvent être totalement différentes.
Vous abordez également la question du rajeunissement relatif des
exploitants en zones de montagne. Peut-être s'agit-il d'un revers du fait
que les jeunes se forcent à devenir paysans pour ne pas avoir à
chercher d'emploi ailleurs.
Quant à l'accroissement du cheptel laitier aux dépens du cheptel
allaitant, la raison en incombe, en effet, à la difficulté des
conditions de travail. La traite est ce que je connais de plus
contraignant ! Non seulement elle nécessite un personnel important
mais elle ne souffre aucune défaillance quotidienne : que l'on soit
fatigué ou malade ou qu'il y ait baptême ou mariage ne compte pas
! Aujourd'hui, le développement de l'entraide en améliore quelque
peu les conditions mais cette contrainte demeure. Pourtant, le lait constitue
pour le moins un revenu quotidien, dont les petites exploitations de montagne
ne peuvent se dispenser. Il me plaît, à ce sujet, d'imaginer la
maladresse des vaches Holstein -- trop hautes -- en montagne.
Enfin, la question des revenus me paraît elle aussi pouvoir être
nuancée.
M. José Rey
- Permettez-moi de corriger quelques points
d'information.
Premièrement, les zones de plaine ne se vident pas. Depuis la PAC
de 1992, chaque mètre carré est l'objet de toutes les
convoitises, compte tenu des primes qui y sont attachées. En outre, les
ressortissants des pays voisins n'investissent que peu dans nos terres et
principalement aux alentours de leur résidence secondaire. C'est une
surprise, étant donné que le prix de la terre peut
apparaître trois à quatre fois plus élevé en
Allemagne et dix fois plus haut aux Pays-Bas. Enfin, je rappelle que les
chiffres que je vous livre ne sont que des moyennes statistiques, dans
lesquelles, en l'occurrence, le Massif central pèse lourd. Or celui-ci
correspond à une région à faible pluriactivité,
où les exploitations sont de taille très importante.
M. Auguste Cazalet
- Est-ce que ces statistiques incluent les
pâturages collectifs ?
M. José Rey
- Ces statistiques comportent l'artéfact
suivant : nous ne comptons dans les surfaces que les exploitations
correspondant à un utilisateur unique. Ceci mis à part, nous
pouvons estimer qu'il y a 200 000 hectares collectifs en France
entière. Hormis la Corse, qui se livre à des opérations de
débroussaillage spectaculaires en vue d'obtenir le coefficient
d'extensification et donc certaines primes majorées, cette surface
totale tend à diminuer au profit des infrastructures et des
développements urbains en zones de plaine mais aussi des forêts en
zones de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je voudrais vous livrer quelques questions
complémentaires, en vous priant de les noter afin de nous instruire de
leurs réponses par une note écrite complémentaire.
Ma première question peut paraître technique mais elle servira
à affiner la précision de notre rapport. Elle a trait à la
vache Holstein, qui semble peu présente en zones de montagne. En
complément de ce que vous nous en avez dit tout à l'heure,
quelles sont les raisons qui font que son lait ne donne pas satisfaction en
termes de production fromagère ?
M. José Rey
- Je ne suis pas zootechnicien mais je crois savoir
que la vache Holstein a été sélectionnée, de toute
éternité, en raison de sa production laitière et non pour
ses coefficients de matière grasse ou azotée. Ces deux
critères s'avérant généralement contradictoires,
les coefficients se sont dégradés. Les choses sont en
amélioration depuis une dizaine d'années mais il n'en demeure pas
moins qu'en comparaison d'une vache Montbéliarde, par exemple, le choix
se fait clairement.
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous comprenons que ce sont d'autres races de
vaches -- l'Abondance, la Tarine, la Montbéliarde... -- qui
favorisent, dans les Alpes, les meilleures productions fromagères. Pour
en revenir à l'Aubrac et à bien d'autres races de pays, est-ce
que vous disposez de courbes d'évolution de ces cheptels, qui parfois
semblent menacés ? La motivation de cette question tient dans ce
que confrontés à l'éventualité d'une nouvelle crise
de la vache folle, certains éleveurs prétendent que maintes races
de pays pourraient tout simplement disparaître si elles se trouvaient
à leur tour frappées. Nous savons que la race Tarine compte
environ 15 000 têtes et l'Abondance environ
60 000 têtes, me semble-t-il. Est-il possible de
connaître précisément les cheptels et,
éventuellement, la tendance actuelle ? Nous saurons alors si ces
races attachées à des productions de qualité et à
des filières bien identifiées -- qui sont, pour l'essentiel,
la survie de notre agriculture de montagne -- reposent sur des cheptels
conséquents et en bonne santé.
M. José Rey
- Nous disposons tout au moins de séries
depuis le recensement de 1970, qui nous permettent de répondre
à cette question avec finesse. De mémoire, il me semble que nous
sommes portés, actuellement, à suivre avec attention
l'évolution de certaines races classiques et à implémenter
des mesures environnementales pour soutenir des cheptels rustiques locaux.
Néanmoins, une race comme la Vosgienne, par exemple, apparaît
localisée à une zone très étroite.
M. Jean-Paul Amoudry
- Si nous n'y prenons garde à travers un
travail de sélection et de pérennisation, certaines races de
montagne pourraient donc disparaître...
M. José Rey
- Il ne me paraît pas moins clair que nous
assistons, depuis une vingtaine d'années, à une prise de
conscience des chercheurs et des éleveurs eux-mêmes sur ce danger.
Je tenterai de mesurer ce fait dans les chiffres.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous en remercie par avance.
Ma deuxième question a trait à la pluriactivité. Comment
évolue-t-elle entre agriculture et tourisme ? Les statistiques
montrent-elles une diversification de l'agriculture vers le tourisme en tant
que revenu d'accompagnement ?
M. José Rey
- Les activités touristiques liées
à l'exploitation agricole apparaissent stables en valeur absolue, ce qui
dénote une légère croissance en termes de taux, bien que
celui-ci demeure très modeste -- 1,5 % environ, un peu plus
dans le sud de la France et les zones de montagne. Nous sommes quelque peu
surpris par cette stabilité relative, qui ne reflète pas la
très forte augmentation du nombre de gîtes ruraux, par exemple. En
conséquence, il semblerait que les agriculteurs se spécialisent
sur leur métier ou distinguent nettement ces deux activités en
termes juridiques ; à moins que ceux qui ont rencontré un
certain succès dans le domaine touristique n'aient d'ores et
déjà abandonné le domaine agricole. Nos enquêtes
devront approfondir ce point. Il n'en demeure pas moins que d'une
manière générale, nous constatons que les agriculteurs
commencent systématiquement par spécialiser leur système
et leur travail avant de les élargir, éventuellement, vers des
activités extra-agricoles (un élevage d'agrément, une
table d'hôte, etc.).
M. Jean-Paul Amoudry
- Il s'agit là d'un sujet important, qui
porte des problématiques nombreuses (les caisses pivots, etc.).
M. José Rey
-Je le comprends. Pourtant, en
réfléchissant aux sources d'information possibles, il
m'apparaît que le recensement de la population n'interroge que
l'activité principale. A mon avis, la question des statuts juridiques
distincts masque un peu les choses.
M. Jean-Paul Amoudry -
Si un ménage conjugue un chef de famille
exploitant agricole et une conjointe active dans un autre domaine, cela
apparaît-il dans vos chiffres ?
M. José Rey
- Cela apparaît, dans la mesure où nous
posons directement la question. A ce sujet, les agriculteurs commencent
à nous faire savoir que nous sommes parfois très
indiscrets ! Quoi qu'il en soit, ils nous répondent
à 99,9 %...
M. Jean-Paul Amoudry
- Sans doute remplissent-ils des formulaires depuis
longtemps !
M. José Rey
- Oui. En outre, nos enquêteurs les y assistent.
Nous posons des questions sur l'activité des autres membres de la
famille depuis 1963, ce qui nous permet de disposer de séries
longues sur ce sujet. Il apparaît ainsi que la pluriactivité au
sens du ménage et non de l'individu s'est fortement étendue mais
moins en zones de montagne qu'ailleurs. En zones
céréalières, par exemple, il est clair que le chef
d'exploitation comme sa femme sont parfois de niveau bac+2 ou bac+4 et que
celle-ci, la plupart du temps, occupe une activité hors l'exploitation.
M. Jean-Paul Amoudry
- Ma dernière question concerne
l'enfrichement, dont l'évolution me préoccupe en ce que nous
assistons à la fermeture progressive des paysages, surtout en montagne.
Avez-vous des données sur ce problème, qui illustreraient
l'évolution de la pratique agricole et simultanément, à
l'inverse, l'accroissement des terres agricoles laissées à la
friche ?
M. José Rey
- Au niveau de la France entière, globalement,
la surface agricole a diminué de 3 %, alors que le nombre
d'exploitations, lui, a chuté de 35 % en dix ans. Cette baisse
de la surface agricole, si elle n'est pas négligeable, demeure donc
relativement marginale. En zones de haute montagne, par ailleurs, elle
apparaît même en croissance.
Pour autant, nous disposons d'une autre enquête sur l'utilisation du sol
-- l'enquête annuelle TERUTI --, qui s'attache à
l'observation par sondage de 550 000 points
régulièrement répartis sur le territoire. Cette
enquête révèle que des 85 000 hectares que
la SAU perd annuellement, la première moitié concerne des terres
de plaine de bonne qualité qui passent aux infrastructures et au
développement urbain tandis que l'autre moitié concerne des
terres de montagne de qualité médiocre qui basculent en landes ou
en friches. Néanmoins, les flux jouent dans les deux sens puisque comme
je l'ai évoqué, les Corses s'attèlent à une remise
en valeur de certaines friches (dont le statut de propriété,
d'ailleurs, n'est pas toujours très clair). En définitive, il
semble que 40 000 hectares environ basculent chaque année en
forêt à travers un processus progressif -- les
définitions internationales qualifiant de forêt tout terrain
comportant plus de 10 % de couvert ligneux.
M. Jean-Paul Amoudry
- Il est vrai que cette fermeture du paysage se
constate partout et de manière très symptomatique. Nous
apprécierions donc quelques données chiffrées sur ce
thème.
Je vous propose de nous en tenir là et vous remercie de votre
contribution.