16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation (29 mai 2002)

M. Michel Moreigne - Je suis heureux d'accueillir Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction du ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, ainsi que Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation. Nous vous avons adressé une grille de questions. C'est avec plaisir que je salue votre présence, vous en remercie et vous donne la parole pour entrer sans tarder dans le vif du sujet.

Mme Brigitte Phemolant - Merci Monsieur le Président. La première question que vous nous avez posée nous invite à rappeler les principales dispositions relatives à l'urbanisme dans la loi montagne puis les modifications apportées depuis 1985.

La loi montagne se veut une loi d'équilibre et de développement prenant en compte les spécificités du milieu montagnard selon un objectif triple : assurer la pérennité des exploitations agricoles -- d'où des obligations de préservation des terres -- ; préserver le patrimoine naturel et culturel de la montagne ; assurer le développement des activités économiques nouvelles dans ce cadre. Ces objectifs se trouvent directement traduits dans des contraintes en matière d'urbanisme.

La première de ces contraintes consiste dans l'obligation de préservation des terres nécessaires au maintien de l'activité agricole ainsi que des espaces et milieux caractéristiques du patrimoine montagnard. Ceci porte des conséquences en termes d'urbanisation puisque cette préservation est assurée par l'obligation de réaliser les éventuelles extensions de l'urbanisation en continuité avec les zones urbaines existantes. Néanmoins, certaines exceptions modèrent ce principe.

Ainsi, la loi initiale autorise la création de hameaux nouveaux, tandis que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) admet celle de zones urbaines nouvelles en discontinuité, à condition que cette discontinuité soit nécessaire à une meilleure préservation des terres agricoles et des espaces naturels. En effet, la construction en continuité immédiate des urbanisations existantes conduit souvent à consommer des terres de haute qualité ou à porter atteinte à des paysages ou espaces intéressants -- qu'ils soient urbains ou naturels --, ce qui revient à aller à l'encontre des objectifs affichés. Il est donc un principe fort d'urbanisation en continuité, sous réserve d'exceptions autorisant les hameaux nouveaux et, depuis la loi SRU, les zones d'urbanisation nouvelles.

Le développement touristique s'opère sous forme d'unités touristiques nouvelles, qui font l'objet de procédures d'autorisation particulières dans les secteurs qui ne sont pas couverts par un schéma directeur ou un schéma de cohérence territoriale. Elles doivent être prévues par ces documents s'ils existent. Bien entendu, ces unités touristiques nouvelles sont également dispensées de l'obligation de respecter le principe d'urbanisation en continuité.

Dans ce contexte, qu'est-il possible de faire dans les secteurs non encore urbanisés situés en discontinuité ? Il est possible de procéder à la réfection ou à l'extension limitée des constructions existantes. La loi SRU a également introduit la possibilité d'un changement de destination des bâtiments existants, en autorisant leur adaptation. En outre, des dispositions spécifiques aux chalets d'alpage permettent leur restauration mais aussi la reconstruction de leurs ruines et leur extension lorsqu'elle est liée à des activités saisonnières. Il convient de noter que ces mesures spécifiques relatives aux chalets d'alpage, qui ont été introduites par la loi du 9 février 1994 afin d'assurer une meilleure protection de l'un des éléments patrimoniaux majeurs des zones de montagne, font l'objet d'une procédure d'autorisation particulière par le préfet en sus des autorisations d'urbanisme habituellement requises.

Du point de vue administratif, les communes des zones de montagne disposent des mêmes documents d'urbanisme que toute autre commune de France :

- la carte communale ou le plan local d'urbanisme (PLU), qui détermine la constructibilité au niveau communal ;

- le schéma directeur devenu schéma de cohérence territoriale (SCOT), qui fixe les principes d'aménagement à une échelle supérieure et détermine les unités touristiques nouvelles pouvant être créées.

Il est également des documents spécifiques à la montagne d'échelle plus vaste :

- les directives territoriales d'aménagement (DTA) approuvées par décret en Conseil d'Etat, qui peuvent préciser les modalités d'application de la loi ;

- les prescriptions de massifs, dont la possibilité a été renouvelée par la loi SRU.

Toutefois, ces différents documents à une échelle plus vaste n'ont encore jamais vu le jour : si la possibilité législative de les mettre en oeuvre existe, aucun n'a encore été approuvé.

Tel est de façon très résumée l'état de droit en ce qui concerne les dispositions d'urbanisme dans le secteur de la montagne.

M. Michel Moreigne - Merci. Nous poserons des questions sur l'ensemble de vos propos...

M. Philippe Baffert - Je vais poursuivre en essayant de répondre aux questions que vous nous avez posées par écrit.

Pour ce qui est de l'analyse que propose le rapport d'évaluation de la politique de la montagne, je dirai que la loi montagne comme la loi littoral ont posé des problèmes d'application -- celle-ci plus que celle-là, comme le concède habituellement le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat. Si la loi montagne apparaît plus facile à interpréter et plus claire dans son contenu que la loi littoral, il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre de difficultés doivent être prises en compte.

Certes, l'analyse du rapport d'évaluation est exacte et tous les élus le constatent : lorsque l'implantation ou le développement touristique est important, le mécanisme de la loi montagne et le système de conventionnement prévu par son article 42 fonctionnent relativement correctement, malgré quelques difficultés afférentes au manque de précision quant à l'objet de ce conventionnement. Il en résulte un cadre qui permet aux communes de maîtriser le développement de leur urbanisation. La difficulté apparaît supérieure lorsque la pression ou la présence touristique est moindre.

Le gouvernement précédent a désigné une mission d'inspection et de réflexion sur la question des petites unités touristiques nouvelles (UTN) à la suite de la tenue, à Clermont-Ferrand, du Conseil national de la montagne. L'un des problèmes évoqués tient dans ce que, en zones de montagne, la coïncidence des problèmes posés par l'urbanisme et l'agriculture n'est pas systématique.

Les zones de montagne ont été initialement délimitées en fonction des besoins de protection de l'agriculture et de l'octroi des primes à l'élevage et à l'agriculture de montagne. Ainsi, tout le département du Cantal est-il situé en zone de montage, y compris l'agglomération d'Aurillac. Je ne suis pas certain que nous en avons tiré toutes les conséquences quant à l'interdiction d'éventuelles possibilités d'extension hors les zones de continuité urbaine pour les diverses surfaces commerciales ou hôtelières intéressées.

Certains proposent de réfléchir à la nécessité de faire coïncider les secteurs et périmètres aux sens de l'agriculture et de l'urbanisme. Une distinction envisageable sur ce point constitue, quoi qu'il en soit, l'une des pistes de réflexions que les trois inspecteurs -- de l'agriculture, de l'environnement et de l'équipement -- sont en train de jauger.

De nombreuses autres questions ont également été posées.

En ce qui concerne les unités touristiques nouvelles, il serait possible d'envisager des procédures simplifiées pour les petites unités, notamment pour les projets situés en secteur vierge tels les refuges de haute montagne. Toutes les opérations nouvelles sont soumises à la même procédure UTN. Cela pose un premier problème de coordination avec les schémas directeurs et les schémas de cohérence territoriale. Le Conseil d'Etat a estimé que, lorsqu'une commune est dotée d'un schéma directeur ou d'un SCOT, elle ne peut engager de procédure UTN. Les UTN doivent être toutes prévues par le SCOT. Les mécanismes mis en place par un certain nombre de schémas directeurs par le passé et déterminant une enveloppe globale pour de petites UTN ne sont donc pas conformes à la loi.

Il semble nécessaire, dès lors, de revoir la relation entre SCOT et UTN pour imposer l'alternative suivante : soit le SCOT règle exclusivement le principe des UTN principales et laisse les plus petites soumises à des autorisations ponctuelles ; soit le SCOT fixe le principe général pour l'ensemble des UTN mais les dispense toutes, alors, d'autorisations autres. Quoi qu'il en soit, il est un choix à opérer, le mécanisme actuel ne s'avérant pas satisfaisant.

Le gouvernement avait proposé un mécanisme différent dans le décret d'application de la loi SRU, mais le Conseil d'Etat a disjoint sa proposition, la considérant comme contraire à la lettre de la loi montagne -- bien qu'elle eût été certainement plus conforme à ce qui semble souhaitable du point de vue de la gestion de l'urbanisme. En conclusion, nous sommes ici confrontés à un réel problème, sur lequel le gouvernement ne se prononcera pas tant que la mission des inspecteurs n'aura pas abouti.

Un autre problème a trait au développement des toutes petites communes ne délivrant de permis de construire qu'occasionnellement. La loi était plutôt imprécise quant à la notion de changement de destination et a donné lieu à diverses interprétations. En principe, cette loi interdisait les changements de destination dans le cadre de transformations de remises agricoles ou de bergeries mais cela s'est avéré catastrophique en termes de patrimoine agricole. Lorsqu'une exploitation agricole cesse son activité, il n'est pas souhaitable que les bâtiments soient menacés de ruine du fait de l'interdiction des changements de destination. C'est pourquoi la loi SRU, par un amendement du Sénat, a autorisé les changements de destination dans les zones agricoles.

En revanche -- et je sais que cela pose problème --, cette loi SRU n'a pas modifié le fait que dans les zones de montagne comme dans les zones littorales, on ne peut pas autoriser de construction isolée nouvelle qui ne soit pas en continuité avec l'urbanisation existante, sauf en cas de création des hameaux nouveaux ou de petites zones d'urbanisation telles que prévues par les documents d'urbanisme. En d'autres termes, l'exception votée par la loi SRU relative aux communes de taille et de population restreintes rarement confrontées à des demandes de permis de construire et peu enclines, conséquemment, à rédiger quelque document d'urbanisme que ce soit, si elle fonctionne parfaitement en plaine, ne joue ni en montagne ni en zone littorale puisqu'elle ne fait pas exception au principe de continuité.

Le gouvernement a été saisi d'une question écrite sur ce point de la part d'un sénateur ici présent. Mais j'insiste sur le fait que depuis que ces lois montagne et littoral existent, les gouvernements qui se sont succédés ont toujours montré un très grand attachement au principe de continuité. En outre, je ne suis pas certain qu'il soit souhaitable de faire exception au principe de constructibilité limitée dans les communes qui n'ont pas pu se donner les moyens de rédiger un document d'urbanisme aussi simple qu'une carte communale... Il faut y réfléchir et en débattre plus avant..

Vous avez également soulevé la question de la définition des vocables de chalet d'alpage et de hameau.

Il apparaît que les amendements que le Parlement a votés au sujet des chalets d'alpage dénotent une sensibilité géographique apparentée aux Alpes du nord. Or ce vocable de chalet d'alpage revêt un sens différent selon qu'il est employé dans les Alpes du nord, la Corse, les Vosges, les Pyrénées ou le Massif central. Il s'ensuit que la mesure concernée perd en clarté. Il n'est pas certain qu'une modification législative soit nécessaire dans le sens d'une clarification : peut-être le Parlement a-t-il entendu couvrir, sous ce vocable large, toute une catégorie de constructions utilisées par les bergers, etc. Cependant, les DTA voire les SCOT ou les prescriptions de massifs devraient affiner cette définition de chalet d'alpage selon la localisation régionale, afin d'éviter toute une série de discussions dans l'application de la loi.

Quant à la notion de hameau, elle requiert elle aussi ce type de précision. Si la loi montagne s'avère plus aisée à appliquer que la loi littoral, la raison en incombe sans doute pour partie au fait qu'elle résulte d'une élaboration profondément parlementaire, dans la mesure où c'est un groupe de travail présidé par un parlementaire qui a été à l'origine de son élaboration. Il semble indubitable que dans ce cadre, les élus, qui ont prévu la possibilité de créer des hameaux nouveaux comme celle de développer des hameaux existants, avaient à l'esprit l'acception montagnarde du terme de hameau. Or l'acception du terme change ici aussi d'un massif à l'autre.

En outre, la jurisprudence qui applique cette notion de hameau le fait sous un angle quelque peu citadin à mon sens, décidant, par ses arrêts, que « constitue un hameau une organisation de l'urbanisation où il n'existe pas plus de trente mètres entre deux bâtiments ». Quiconque a traversé les Alpes du nord sait qu'il est des hameaux ne répondant pas à ce critère ! Il y a donc là une réelle difficulté de vocable. Toutefois, des tentatives de mieux définir la notion de hameau dans la loi, risquent d'aggraver le problème, en liaison avec la jurisprudence. Ici aussi, la solution pour déterminer cette notion dans le sens où elle est vécue par la population passe sans doute par les SCOT et les prescriptions de massifs -- lesquelles possèdent l'avantage, étant approuvées par décret en Conseil d'Etat, de limiter le contentieux ultérieur. Les contentieux ou débats jurisprudentiels ont dévoyé la notion de hameau de sa signification originelle dans l'esprit des élus parlementaires.

Fondamentalement, la difficulté d'application de la loi montagne ne dérive pas de la loi elle-même mais du fait que l'on ne s'est pas donné les moyens de son application : non seulement l'Etat n'a pas opéré les prescriptions de massifs attendues, mais les communes n'ont pas fait suffisamment de schéma directeur ou de SCOT, qui auraient pourtant permis de préciser l'application de la loi localement et en fonction des circonstances particulières, fournissant, en cas de contentieux, une définition claire des notions concernées.

En l'absence de tels moyens prenant les mesures d'application de la loi, chaque tribunal, en fonction des circonstances locales, tente de dégager sa propre appréciation des diverses notions à une opération particulière. Or cette appréciation, qui ne porte pas sur une vue générale de l'aménagement de l'espace mais sur des cas particuliers, se révèle systématiquement plus sévère que nécessaire dans l'application de la loi, afin d'éviter tout dérapage. Le fait que la loi SRU relance les documents de planification intercommunaux par le biais des SCOT en des lieux qui n'en disposent pas m'apparaît donc comme une chance réelle pour l'application de la loi montagne comme de la loi littoral.

Le problème tient dans ce que nous ne surmonterons pas complètement les conséquences des erreurs antérieurement commises - l'absence de documents d'urbanisme, notamment -- et que nous pâtirons de la sévérité de la jurisprudence, qu'une meilleure planification peinera à surmonter. Cette remarque semble particulièrement vraie dans le cadre de la loi littoral. En effet, les notions d'extension urbaine limitée ou d'espace remarquable posent un véritable problème, aujourd'hui, dans la mesure où l'absence de leur définition à une échelle significative -- sur une vue d'ensemble -- conduit les juges à prendre en compte les risques éventuels d'urbanisation excessive et, en conséquence, à qualifier remarquables des espaces qui ne le sont pas véritablement. Le problème est le même pour les extensions de constructions...

Les communes montagnardes doivent comprendre qu'à moins de ne presque jamais délivrer de permis de construire, elles ont tout intérêt à établir ne serait-ce qu'une carte communale. Alors, la question des hameaux ou celle des extensions limitées poseront moins de problèmes. Plus avant, l'établissement de SCOT -- fussent-ils ruraux -- peut leur permettre de mieux appliquer la loi, en leur conférant les moyens financiers et matériels pour réaliser les études nécessaires à leurs documents. Certains départements l'ont bien compris, qui sont en train de voir leur territoire se couvrir d'un maillage de SCOT, y compris sur de petits secteurs ruraux dont la ville principale ne dépasse pas trois mille habitants. Une fois que les communes rurales s'entendent entre elles pour établir ces SCOT, elles peuvent mutualiser leurs efforts -- notamment financiers -- pour mener ensemble les études de diagnostic ou d'environnement exigées par la loi, tout en demeurant chacune compétente dans le cadre de sa propre carte communale.

Aller dans ce sens ne peut qu'améliorer l'application de la loi. Les revendications fréquentes consistant à prôner une diminution des protections ne semblent pas devoir être votées. Vous avez vu à quel point la très légère atténuation de la loi montagne a induit une campagne de presse faramineuse sur le thème « le gouvernement bétonne ! »), alors que rien de ce que le Parlement a voté dans la loi SRU n'était choquant. En réalité, autoriser l'établissement de zones d'urbanisation en dehors de la continuité urbaine -- puisque c'est cela qui était en cause -- peut s'avérer nécessaire à la préservation des espaces agricoles et des paysages. Dès lors que l'accord de la Chambre d'agriculture et de la Commission des sites était donné, les précautions que la loi prévoyait pour cette adaptation étaient suffisamment grandes pour penser que cela n'aboutirait pas à des catastrophes.

Il est peu vraisemblable et d'ailleurs peu souhaitable que les protections qui sont prévues dans les lois montagne ou littoral soient sensiblement atténuées. La solution consiste à se motiver pour aller de l'avant et réaliser les planifications en termes de documents d'urbanisme, qui permettront de définir ce qui doit être protégé et développé tout en respectant les principes d'équilibre dont parlait, à l'instant, Brigitte Phémolant -- à savoir des équilibres locaux entre le développement, d'une part, la protection, d'autre part. Ne pas établir de tels documents nous condamnerait d'avance devant les tribunaux.

M. Jean-Paul Amoudry - Je remercie Philippe Baffert pour son exposé. Je me demande simplement si les définitions des SCOT et des prescriptions de massifs sont soumises au contrôle du juge. Le cas échéant, ne risquons-nous pas, à partir de là, d'aboutir à une nouvelle jurisprudence, à la fois très abondante et tout aussi complexe ?

Mme Brigitte Phémolant - Comme tout document d'urbanisme et tout acte administratif, les SCOT, effectivement, sont soumis au contrôle du juge. Toutefois, l'échelle d'appréciation s'avère différente. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a développé Philippe Baffert mais le fait qu'il s'agit d'une planification à une échelle intercommunale conduit à une appréciation nécessairement globale sur les notions de continuité et de préservation des activités. Qui plus est, cette appréciation s'appuie sur un diagnostic poussé. Il ne s'agit donc pas d'un alibi mais d'une étude réelle.

Quant aux prescriptions de massifs, le débat contentieux joue d'une manière différente. Les prescriptions de massifs sont des documents approuvés par décret en Conseil d'Etat, après passage au travers du filtre que constituent les sections administratives. Cela apporte une véritable sécurité juridique. Si les tribunaux administratifs, lorsqu'ils jugeront de la légalité d'un PLU, pourront éventuellement être saisis par les requérants d'une contestation de la légalité de la prescription de massif, il sera rarissime qu'ils la déclarent illégale. Les exemples dont nous disposons, aujourd'hui, ne touchent pas à des prescriptions de massifs mais à des schémas d'aménagements régionaux également approuvés par décrets en Conseil d'Etat, pour lesquels pratiquement aucun tribunal administratif n'est allé jusqu'à formuler une exception d'illégalité. Si le débat contentieux existe, il n'est absolument pas analogue au débat qui peut se nouer sur un projet ponctuel, en dehors de toute réflexion de planification.

M. Pierre Jarlier - Chacun s'accorde à dire qu'avec la loi SRU, nous disposons d'outils nouveaux permettant de répondre à un certain nombre de préoccupations (y compris en montagne) dès lors que des documents de planification existent. C'est là un acquis fort. Pour autant, la difficulté tient dans ce que ces outils de planification -- jusqu'à la carte communale, qui peut répondre elle aussi à cette préoccupation -- ne sont pas toujours envisageables au regard de la taille des communes s'engageant dans ces procédures. C'est pourtant précisément sur des territoires restreints, isolés et soumis à de faibles pressions foncières que se pose parfois le problème de l'opportunité d'une construction, quand bien même les élus sont conscients du capital premier que constituent l'environnement, le paysage et le patrimoine. Nous trouvons là une interprétation extrêmement restrictive de l'administration quant à la notion de continuité urbaine. Dès lors, je voudrais savoir quelle est la définition précise de la continuité. Nous raisonnons souvent en termes de distance alors qu'il serait préférable de raisonner en termes d'intégration. N'y aurait-il pas là matière à clarification pour pouvoir apprécier l'opportunité d'une construction ?

Par ailleurs et plus largement, nous savons que la loi SRU ouvrira sans doute des possibilités d'adaptation locale meilleures en rapport aux prescriptions de massifs -- ce qui a son importance, comme vous l'avez dit. En outre, la prescription de massif peut constituer une réponse en complément de la mise en oeuvre d'un SCOT, par exemple, qui permet, par la suite, de définir aisément des cartes communales et donc de régler le problème de l'urbanisation. Ceci rappelé, ma question est simple. Quelles sont les méthodes actuelles de mise en place de prescriptions de massifs ? En d'autres termes, qui en est le maître d'ouvrage et comment les choses se décident-elles ? Plus avant, n'y a-t-il pas une incompatibilité entre l'idée d'une prescription de massif décentralisatrice, destinée à prendre en compte les spécificités locales des territoires, et les DTA, quelque peu jacobines à mon sens ?

M. Philippe Baffert - Votre première question a trait au problème de la continuité. Il me paraît clair et indubitable que l'esprit des lois montagne et littoral telles qu'elles ont été votées sous-tendent une continuité en termes de distance métrée. La prise en compte de la notion d'insertion dans les paysages et l'environnement passe par une meilleure étude des documents d'urbanisme. On peut estimer que la notion de continuité retenue par le Parlement dans ces deux lois constitue souvent une fausse garantie en matière d'urbanisme. En effet, dans bien des cas, la qualité urbaine profite davantage d'une discontinuité que d'une continuité. Néanmoins, la loi a pris en compte l'idée selon laquelle construire en un lieu vierge revient à gâcher l'espace et à menacer l'environnement naturel.

Cela renvoie à mes propos afférents à la campagne qu'a provoquée l'autorisation accordée aux documents d'urbanisme -- et seulement à eux -- de délimiter des zones d'urbanisation en dehors de la continuité urbaine (malgré toute une série de garanties). Quand bien même une telle réaction serait erronée en termes d'urbanisme, nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de cette conception sociale qui veut que la continuité passe actuellement pour garante d'une certaine qualité. La loi est donc claire sur ce point. Si le Parlement souhaitait revenir sur cette conception dans la loi montagne ou littoral par la suite et s'inspirer de ce qui a cours en plaine, sur des cas isolés, il faudrait très clairement préciser que cela ne s'appliquerait qu'en des lieux en perte de population, ne voyant que peu de demande de permis de construire.

Comme je l'ai dit, il me semble qu'élaborer une carte communale se justifie dès lors que la commune attend quelques permis de construire par an. Dans ce cas il semble légitime que chacun puisse construire mais aussi que chacun se discipline à le faire raisonnablement en certains lieux, afin d'éviter de perturber le développement de la commune concernée en termes d'investissement, de paysage ou d'agriculture. Il importe de discuter convenablement de ces choses au préalable, en particulier avec l'ensemble des propriétaires concernés. Je suis persuadé, d'ailleurs, qu'une carte communale établie en concertation entre la commune et la population sera beaucoup plus respectée. Un agriculteur désireux de vendre l'une de ses parcelles choisira naturellement, à cette fin, l'un de ses terrains reconnus comme constructibles.

Votre deuxième question a trait aux prescriptions de massifs et à la DTA. La DTA se justifie là où les enjeux d'Etat se révèlent importants.

Je ne suis pas persuadé que tous les secteurs de montagne nécessitent la mise en place d'une DTA. En revanche, une prescription de massif paraît tout à fait adaptée partout, pour préciser les conditions d'application de la loi. Il y a des résistances, sans doute, mais elles peuvent toujours être surmontées lorsque la volonté politique des élus est forte et je pense qu'il faut que ceux-ci mesurent clairement, aujourd'hui, la nécessité de ces prescriptions de massifs.

M. Philippe Leroy - J'ai noté avec grand intérêt l'axe fort de présentation des SCOT comme fondements, notamment au regard des difficultés que l'on peut rencontrer dans l'application des lois montagne et littoral. Malgré tout, je voudrais poser deux questions.

Premièrement, je m'interroge, tout comme mon collègue Pierre Jarlier, quant à la hiérarchisation de la DTA par rapport aux SCOT. En tant qu'élu de la Savoie, je suis comblé de voir des réflexions engagées pour la couverture de l'ensemble de mon département par des SCOT. Néanmoins, certaines inquiétudes se font jour au sein des trois départements de Haute-Savoie, de Savoie et d'Isère face à l'arrivée de la DTA, les orientations qui nous sont communiquées par le préfet de région faisant apparaître qu'il s'agit de dispositions à caractère réglementaire au niveau cadastral. Lorsque nous mettrons en place les SCOT, les élus bénéficieront-ils d'une marge d'appréciation ou devront-ils transférer au niveau du SCOT ce que le préfet de région est en train d'arrimer au niveau de la DTA ? Peut-être les préfets devraient-ils être rappelés à l'ordre en rapport à cette hiérarchisation. Pour ce qui concerne mon exemple, les trois présidents des conseils généraux concernés -- Haute-Savoie, Savoie et Isère -- ainsi que les maires des réseaux de villes impliquées vont adresser au préfet de région un courrier conjoint pour lui rappeler que la DTA doit s'articuler aux SCOT comme aux PLU. Sans quoi, les élus se verraient soustraits du pouvoir qu'ils ont de mettre en place une doctrine d'aménagement au niveau des SCOT...

Deuxièmement, je m'interroge quant à l'application des SCOT dans le cadre de la loi littoral. J'apprécie beaucoup, effectivement, la solution qu'ils apportent pour ce qui est des opérations limitées ou isolées. En revanche, nous n'avons pas parlé des aménagements. Je connais le cas d'une commune qui s'est vu déférer un permis de construire pour raison de discontinuité. Dans ce cas, la mise en place d'un SCOT aurait réglé les choses. En revanche, je connais également le cas d'un contournement routier actuellement bloqué parce qu'au regard de la loi littoral, il s'avère illégal de construire l'ouvrage nécessaire. Or l'inspecteur général de l'équipement missionné sur ce cas invoque la règle des deux kilomètres de périmètre de protection autour d'un lac assujetti à la loi littoral, alors que dans ce périmètre, une colline fait rupture géographique ! Nous voyons là une situation complètement ingérable, qui bloque la construction d'une infrastructure nécessaire aux deux premières villes du département au regard de la loi littoral. Y aurait-il, dans ce cas, une solution en rapport à ce que permettrait le SCOT au regard des constructions ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je vais vous livrer mes questions, en vous priant de m'en transmettre également les réponses écrites.

Mon intervention porte sur des éléments d'expérience locale.

Tout d'abord, nous sommes confrontés, en Haute-Savoie, au constat suivant : un certain nombre de certificats d'urbanisme accordés et renouvelés dans le cadre de plans d'occupation des sols (POS) approuvés par le préfet après avoir satisfait à l'intégralité de la procédure requise se trouvent subitement rejetés. Nous sommes donc face à des situations où des citoyens ayant par exemple réglé des partages familiaux et fait acter par leur notaire que tel terrain était classé constructible mais n'ayant pas immédiatement fait construire s'en voient refuser l'autorisation à la veille de le faire. Il s'ensuit plusieurs choses : la ruine d'un équilibre familial ; une sorte de spoliation, dès lors que ces personnes ont payé des droits sur des terrains réputés à construire ; enfin, un sérieux problème quant au pouvoir que le préfet s'arroge pour déclarer unilatéralement tel aspect du POS non conforme à la loi montagne. Ainsi, il est une commune, en Haute-Savoie, où plus d'une centaine de propriétaires se voient privés de droits ! A titre tout à fait instructif, j'ai ici la situation dramatique d'un jeune couple de fonctionnaires qui se trouve complètement ruiné, ayant mis toutes ses économies dans l'achat d'un terrain puis engagé des frais de géomètre, d'architecte, etc. (après avoir comme de droit renouvelé son certificat d'urbanisme dans le cadre du POS) pour se voir refuser, aujourd'hui, l'autorisation de construire. Voici la lettre pathétique qui leur a été envoyée et je me propose, si vous le voulez bien, de vous la soumettre.

Mon deuxième cas de figure concerne le problème de la règle des quinze kilomètres dans le cadre des SCOT. J'ai à l'esprit le cas d'une barrière rocheuse, les Aravis, qui culmine à près de trois mille mètres d'altitude. De part et d'autre figurent deux communes -- le Grand-Bornand et Sallanches, - distantes de moins de quinze de kilomètres à vol d'oiseau mais séparées par cette barrière naturelle. Pourtant, le SCOT stipule que le Grand-Bornand dépend légalement de la zone urbaine de Sallanches !

Mon troisième cas de figure touche à ce que j'appellerai, à titre personnel, des erreurs d'appréciation de fait, qui n'en sont pas moins graves de conséquences. Le contexte est celui d'une zone assez fortement urbanisée, à l'extrémité de laquelle sont installés trois chalets. Néanmoins, le propriétaire qui rêve d'y construire deux autres s'en voit refuser l'autorisation ! Il existe pourtant un POS réglementaire et la zone en question y figure bien...

Les cas comme ceux-ci se multiplient par dizaines, malgré l'existence de documents dûment validés par les services de l'Etat, actés autant que de besoin chez les notaires et renouvelés à plusieurs reprises. Tout cela s'apparente, à nos yeux, à une forme d'abus de droit. Je vous laisserai donc les documents afférents, vous remerciant par avance de l'attention que vous voudrez bien porter à des situations non uniquement localisées en Haute-Savoie.

M. Michel Moreigne - Pouvez-vous nous apporter quelques réponses synthétiques ?

M. Philippe Baffert - Très synthétiquement, je dirai que pour ce qui concerne le cas de la Savoie, il convient d'élaborer des SCOT et des PLU, y compris en rapport à une future DTA. L'existence de SCOT constitue pour le moins un terrain pour les discussions à venir. Le SCOT devra respecter la DTA dans des relations de compatibilité et non de conformité, comme l'ont confirmé le Conseil d'Etat et le Conseil Constitutionnel lors d'un arrêt célèbre rendu à Toulouse.

En ce qui concerne le problème des quinze kilomètres, la loi est claire : il appartient aux communes et non à l'Etat de proposer un périmètre intelligent et cohérent...

M. Jean-Paul Amoudry - Sauf accident de relief !

M. Philippe Baffert - La question des quinze kilomètres et celle du périmètre sont deux choses distinctes. Néanmoins, il est certain qu'il faut tenir compte des accidents de relief dans l'une comme dans l'autre, pour moduler la réalité et tenir compte, éventuellement, de logiques économiques différentes, caractérisant des zones recouvrant plusieurs SCOT. En outre, hormis cette notion d'accident de relief, deux agglomérations ou deux secteurs situés à moins de quinze kilomètres l'un de l'autre peuvent recouvrir des logiques différentes induisant des périmètres de SCOT différents. Pour ce qui est du cas des Aravis, il me semble effectivement que l'accident de relief existe.

En ce qui concerne les certificats d'urbanisme et les autorisations de construire, à la suite d'un certain nombre de décisions des tribunaux administratifs, le contrôle de légalité a estimé que les POS qu'il a autrefois acceptés sont illégaux eu égard à la loi montagne, qui est directement opposable aux permis de construire. Les élus peuvent avoir légitimement une interprétation différente. Il appartient aux tribunaux de trancher ce genre de conflits juridiques.

M. Michel Moreigne - Merci infiniment. Nous ne prétendons pas avoir épuisé le sujet et sans doute la mission commune d'information réfléchira-t-elle à l'opportunité de vous entendre à nouveau, pour aller plus loin encore dans l'exploration de nos questions.

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