16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation (29 mai 2002)
M.
Michel Moreigne -
Je suis heureux d'accueillir Brigitte Phémolant,
sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction
générale de l'habitat et de la construction du ministère
de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer,
ainsi que Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la
réglementation. Nous vous avons adressé une grille de questions.
C'est avec plaisir que je salue votre présence, vous en remercie et vous
donne la parole pour entrer sans tarder dans le vif du sujet.
Mme Brigitte Phemolant -
Merci Monsieur le Président. La
première question que vous nous avez posée nous invite à
rappeler les principales dispositions relatives à l'urbanisme dans la
loi montagne puis les modifications apportées depuis 1985.
La loi montagne se veut une loi d'équilibre et de développement
prenant en compte les spécificités du milieu montagnard selon un
objectif triple : assurer la pérennité des exploitations
agricoles -- d'où des obligations de préservation des
terres -- ; préserver le patrimoine naturel et culturel de la
montagne ; assurer le développement des activités
économiques nouvelles dans ce cadre. Ces objectifs se trouvent
directement traduits dans des contraintes en matière d'urbanisme.
La première de ces contraintes consiste dans l'obligation de
préservation des terres nécessaires au maintien de
l'activité agricole ainsi que des espaces et milieux
caractéristiques du patrimoine montagnard. Ceci porte des
conséquences en termes d'urbanisation puisque cette préservation
est assurée par l'obligation de réaliser les éventuelles
extensions de l'urbanisation en continuité avec les zones urbaines
existantes. Néanmoins, certaines exceptions modèrent ce principe.
Ainsi, la loi initiale autorise la création de hameaux nouveaux, tandis
que la loi relative à la solidarité et au renouvellement
urbain (SRU) admet celle de zones urbaines nouvelles en discontinuité,
à condition que cette discontinuité soit nécessaire
à une meilleure préservation des terres agricoles et des espaces
naturels. En effet, la construction en continuité immédiate des
urbanisations existantes conduit souvent à consommer des terres de haute
qualité ou à porter atteinte à des paysages ou espaces
intéressants -- qu'ils soient urbains ou naturels --, ce qui
revient à aller à l'encontre des objectifs affichés. Il
est donc un principe fort d'urbanisation en continuité, sous
réserve d'exceptions autorisant les hameaux nouveaux et, depuis la
loi SRU, les zones d'urbanisation nouvelles.
Le développement touristique s'opère sous forme d'unités
touristiques nouvelles, qui font l'objet de procédures d'autorisation
particulières dans les secteurs qui ne sont pas couverts par un
schéma directeur ou un schéma de cohérence territoriale.
Elles doivent être prévues par ces documents s'ils existent. Bien
entendu, ces unités touristiques nouvelles sont également
dispensées de l'obligation de respecter le principe d'urbanisation en
continuité.
Dans ce contexte, qu'est-il possible de faire dans les secteurs non encore
urbanisés situés en discontinuité ? Il est possible
de procéder à la réfection ou à l'extension
limitée des constructions existantes. La loi SRU a également
introduit la possibilité d'un changement de destination des
bâtiments existants, en autorisant leur adaptation. En outre, des
dispositions spécifiques aux chalets d'alpage permettent leur
restauration mais aussi la reconstruction de leurs ruines et leur extension
lorsqu'elle est liée à des activités saisonnières.
Il convient de noter que ces mesures spécifiques relatives aux chalets
d'alpage, qui ont été introduites par la loi
du 9 février 1994 afin d'assurer une meilleure protection
de l'un des éléments patrimoniaux majeurs des zones de montagne,
font l'objet d'une procédure d'autorisation particulière par le
préfet en sus des autorisations d'urbanisme habituellement requises.
Du point de vue administratif, les communes des zones de montagne disposent des
mêmes documents d'urbanisme que toute autre commune de France :
- la carte communale ou le plan local d'urbanisme (PLU), qui détermine
la constructibilité au niveau communal ;
- le schéma directeur devenu schéma de cohérence
territoriale (SCOT), qui fixe les principes d'aménagement à une
échelle supérieure et détermine les unités
touristiques nouvelles pouvant être créées.
Il est également des documents spécifiques à la montagne
d'échelle plus vaste :
- les directives territoriales d'aménagement (DTA) approuvées par
décret en Conseil d'Etat, qui peuvent préciser les
modalités d'application de la loi ;
- les prescriptions de massifs, dont la possibilité a été
renouvelée par la loi SRU.
Toutefois, ces différents documents à une échelle plus
vaste n'ont encore jamais vu le jour : si la possibilité
législative de les mettre en oeuvre existe, aucun n'a encore
été approuvé.
Tel est de façon très résumée l'état de
droit en ce qui concerne les dispositions d'urbanisme dans le secteur de la
montagne.
M. Michel Moreigne -
Merci. Nous poserons des questions sur l'ensemble
de vos propos...
M. Philippe Baffert -
Je vais poursuivre en essayant de répondre
aux questions que vous nous avez posées par écrit.
Pour ce qui est de l'analyse que propose le rapport d'évaluation de la
politique de la montagne, je dirai que la loi montagne comme la loi littoral
ont posé des problèmes d'application -- celle-ci plus que
celle-là, comme le concède habituellement le président de
la section du contentieux du Conseil d'Etat. Si la loi montagne apparaît
plus facile à interpréter et plus claire dans son contenu que la
loi littoral, il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre de
difficultés doivent être prises en compte.
Certes, l'analyse du rapport d'évaluation est exacte et tous les
élus le constatent : lorsque l'implantation ou le
développement touristique est important, le mécanisme de la loi
montagne et le système de conventionnement prévu par son
article 42 fonctionnent relativement correctement, malgré quelques
difficultés afférentes au manque de précision quant
à l'objet de ce conventionnement. Il en résulte un cadre qui
permet aux communes de maîtriser le développement de leur
urbanisation. La difficulté apparaît supérieure lorsque la
pression ou la présence touristique est moindre.
Le gouvernement précédent a désigné une mission
d'inspection et de réflexion sur la question des petites unités
touristiques nouvelles (UTN) à la suite de la tenue, à
Clermont-Ferrand, du Conseil national de la montagne. L'un des problèmes
évoqués tient dans ce que, en zones de montagne, la
coïncidence des problèmes posés par l'urbanisme et
l'agriculture n'est pas systématique.
Les zones de montagne ont été initialement
délimitées en fonction des besoins de protection de l'agriculture
et de l'octroi des primes à l'élevage et à l'agriculture
de montagne. Ainsi, tout le département du Cantal est-il situé en
zone de montage, y compris l'agglomération d'Aurillac. Je ne suis pas
certain que nous en avons tiré toutes les conséquences quant
à l'interdiction d'éventuelles possibilités d'extension
hors les zones de continuité urbaine pour les diverses surfaces
commerciales ou hôtelières intéressées.
Certains proposent de réfléchir à la
nécessité de faire coïncider les secteurs et
périmètres aux sens de l'agriculture et de l'urbanisme. Une
distinction envisageable sur ce point constitue, quoi qu'il en soit, l'une des
pistes de réflexions que les trois inspecteurs -- de l'agriculture,
de l'environnement et de l'équipement -- sont en train de jauger.
De nombreuses autres questions ont également été
posées.
En ce qui concerne les unités touristiques nouvelles, il serait possible
d'envisager des procédures simplifiées pour les petites
unités, notamment pour les projets situés en secteur vierge tels
les refuges de haute montagne. Toutes les opérations nouvelles sont
soumises à la même procédure UTN. Cela pose un premier
problème de coordination avec les schémas directeurs et les
schémas de cohérence territoriale. Le Conseil d'Etat a
estimé que, lorsqu'une commune est dotée d'un schéma
directeur ou d'un SCOT, elle ne peut engager de procédure UTN. Les UTN
doivent être toutes prévues par le SCOT. Les mécanismes mis
en place par un certain nombre de schémas directeurs par le passé
et déterminant une enveloppe globale pour de petites UTN ne sont donc
pas conformes à la loi.
Il semble nécessaire, dès lors, de revoir la relation entre SCOT
et UTN pour imposer l'alternative suivante : soit le SCOT règle
exclusivement le principe des UTN principales et laisse les plus petites
soumises à des autorisations ponctuelles ; soit le SCOT fixe le
principe général pour l'ensemble des UTN mais les dispense
toutes, alors, d'autorisations autres. Quoi qu'il en soit, il est un choix
à opérer, le mécanisme actuel ne s'avérant pas
satisfaisant.
Le gouvernement avait proposé un mécanisme différent dans
le décret d'application de la loi SRU, mais le Conseil d'Etat a
disjoint sa proposition, la considérant comme contraire à la
lettre de la loi montagne -- bien qu'elle eût été
certainement plus conforme à ce qui semble souhaitable du point de vue
de la gestion de l'urbanisme. En conclusion, nous sommes ici confrontés
à un réel problème, sur lequel le gouvernement ne se
prononcera pas tant que la mission des inspecteurs n'aura pas abouti.
Un autre problème a trait au développement des toutes petites
communes ne délivrant de permis de construire qu'occasionnellement. La
loi était plutôt imprécise quant à la notion de
changement de destination et a donné lieu à diverses
interprétations. En principe, cette loi interdisait les changements de
destination dans le cadre de transformations de remises agricoles ou de
bergeries mais cela s'est avéré catastrophique en termes de
patrimoine agricole. Lorsqu'une exploitation agricole cesse son
activité, il n'est pas souhaitable que les bâtiments soient
menacés de ruine du fait de l'interdiction des changements de
destination. C'est pourquoi la loi SRU, par un amendement du Sénat,
a autorisé les changements de destination dans les zones agricoles.
En revanche -- et je sais que cela pose problème --, cette
loi SRU n'a pas modifié le fait que dans les zones de montagne
comme dans les zones littorales, on ne peut pas autoriser de construction
isolée nouvelle qui ne soit pas en continuité avec l'urbanisation
existante, sauf en cas de création des hameaux nouveaux ou de petites
zones d'urbanisation telles que prévues par les documents d'urbanisme.
En d'autres termes, l'exception votée par la loi SRU relative aux
communes de taille et de population restreintes rarement confrontées
à des demandes de permis de construire et peu enclines,
conséquemment, à rédiger quelque document d'urbanisme que
ce soit, si elle fonctionne parfaitement en plaine, ne joue ni en montagne ni
en zone littorale puisqu'elle ne fait pas exception au principe de
continuité.
Le gouvernement a été saisi d'une question écrite sur ce
point de la part d'un sénateur ici présent. Mais j'insiste sur le
fait que depuis que ces lois montagne et littoral existent, les gouvernements
qui se sont succédés ont toujours montré un très
grand attachement au principe de continuité. En outre, je ne suis pas
certain qu'il soit souhaitable de faire exception au principe de
constructibilité limitée dans les communes qui n'ont pas pu se
donner les moyens de rédiger un document d'urbanisme aussi simple qu'une
carte communale... Il faut y réfléchir et en débattre plus
avant..
Vous avez également soulevé la question de la définition
des vocables de chalet d'alpage et de hameau.
Il apparaît que les amendements que le Parlement a votés au sujet
des chalets d'alpage dénotent une sensibilité géographique
apparentée aux Alpes du nord. Or ce vocable de chalet d'alpage
revêt un sens différent selon qu'il est employé dans les
Alpes du nord, la Corse, les Vosges, les Pyrénées ou le Massif
central. Il s'ensuit que la mesure concernée perd en clarté. Il
n'est pas certain qu'une modification législative soit nécessaire
dans le sens d'une clarification : peut-être le Parlement a-t-il
entendu couvrir, sous ce vocable large, toute une catégorie de
constructions utilisées par les bergers, etc. Cependant, les DTA voire
les SCOT ou les prescriptions de massifs devraient affiner cette
définition de chalet d'alpage selon la localisation régionale,
afin d'éviter toute une série de discussions dans l'application
de la loi.
Quant à la notion de hameau, elle requiert elle aussi ce type de
précision. Si la loi montagne s'avère plus aisée à
appliquer que la loi littoral, la raison en incombe sans doute pour partie au
fait qu'elle résulte d'une élaboration profondément
parlementaire, dans la mesure où c'est un groupe de travail
présidé par un parlementaire qui a été à
l'origine de son élaboration. Il semble indubitable que dans ce cadre,
les élus, qui ont prévu la possibilité de créer des
hameaux nouveaux comme celle de développer des hameaux existants,
avaient à l'esprit l'acception montagnarde du terme de hameau. Or
l'acception du terme change ici aussi d'un massif à l'autre.
En outre, la jurisprudence qui applique cette notion de hameau le fait sous un
angle quelque peu citadin à mon sens, décidant, par ses
arrêts, que « constitue un hameau une organisation de
l'urbanisation où il n'existe pas plus de trente mètres entre
deux bâtiments ». Quiconque a traversé les Alpes du nord
sait qu'il est des hameaux ne répondant pas à ce
critère ! Il y a donc là une réelle difficulté
de vocable. Toutefois, des tentatives de mieux définir la notion de
hameau dans la loi, risquent d'aggraver le problème, en liaison avec la
jurisprudence. Ici aussi, la solution pour déterminer cette notion dans
le sens où elle est vécue par la population passe sans doute par
les SCOT et les prescriptions de massifs -- lesquelles possèdent
l'avantage, étant approuvées par décret en Conseil d'Etat,
de limiter le contentieux ultérieur. Les contentieux ou débats
jurisprudentiels ont dévoyé la notion de hameau de sa
signification originelle dans l'esprit des élus parlementaires.
Fondamentalement, la difficulté d'application de la loi montagne ne
dérive pas de la loi elle-même mais du fait que l'on ne s'est pas
donné les moyens de son application : non seulement l'Etat n'a pas
opéré les prescriptions de massifs attendues, mais les communes
n'ont pas fait suffisamment de schéma directeur ou de SCOT, qui auraient
pourtant permis de préciser l'application de la loi localement et en
fonction des circonstances particulières, fournissant, en cas de
contentieux, une définition claire des notions concernées.
En l'absence de tels moyens prenant les mesures d'application de la loi, chaque
tribunal, en fonction des circonstances locales, tente de dégager sa
propre appréciation des diverses notions à une opération
particulière. Or cette appréciation, qui ne porte pas sur une vue
générale de l'aménagement de l'espace mais sur des cas
particuliers, se révèle systématiquement plus
sévère que nécessaire dans l'application de la loi, afin
d'éviter tout dérapage. Le fait que la loi SRU relance les
documents de planification intercommunaux par le biais des SCOT en des lieux
qui n'en disposent pas m'apparaît donc comme une chance réelle
pour l'application de la loi montagne comme de la loi littoral.
Le problème tient dans ce que nous ne surmonterons pas
complètement les conséquences des erreurs antérieurement
commises - l'absence de documents d'urbanisme, notamment -- et
que nous pâtirons de la sévérité de la
jurisprudence, qu'une meilleure planification peinera à surmonter. Cette
remarque semble particulièrement vraie dans le cadre de la loi littoral.
En effet, les notions d'extension urbaine limitée ou d'espace
remarquable posent un véritable problème, aujourd'hui, dans la
mesure où l'absence de leur définition à une
échelle significative -- sur une vue d'ensemble -- conduit les
juges à prendre en compte les risques éventuels d'urbanisation
excessive et, en conséquence, à qualifier remarquables des
espaces qui ne le sont pas véritablement. Le problème est le
même pour les extensions de constructions...
Les communes montagnardes doivent comprendre qu'à moins de ne presque
jamais délivrer de permis de construire, elles ont tout
intérêt à établir ne serait-ce qu'une carte
communale. Alors, la question des hameaux ou celle des extensions
limitées poseront moins de problèmes. Plus avant,
l'établissement de SCOT -- fussent-ils ruraux -- peut leur
permettre de mieux appliquer la loi, en leur conférant les moyens
financiers et matériels pour réaliser les études
nécessaires à leurs documents. Certains départements l'ont
bien compris, qui sont en train de voir leur territoire se couvrir d'un
maillage de SCOT, y compris sur de petits secteurs ruraux dont la ville
principale ne dépasse pas trois mille habitants. Une fois que les
communes rurales s'entendent entre elles pour établir ces SCOT, elles
peuvent mutualiser leurs efforts -- notamment financiers -- pour
mener ensemble les études de diagnostic ou d'environnement
exigées par la loi, tout en demeurant chacune compétente dans le
cadre de sa propre carte communale.
Aller dans ce sens ne peut qu'améliorer l'application de la loi. Les
revendications fréquentes consistant à prôner une
diminution des protections ne semblent pas devoir être votées.
Vous avez vu à quel point la très légère
atténuation de la loi montagne a induit une campagne de presse
faramineuse sur le thème « le gouvernement
bétonne ! »), alors que rien de ce que le Parlement a
voté dans la loi SRU n'était choquant. En
réalité, autoriser l'établissement de zones d'urbanisation
en dehors de la continuité urbaine -- puisque c'est cela qui
était en cause -- peut s'avérer nécessaire à
la préservation des espaces agricoles et des paysages. Dès lors
que l'accord de la Chambre d'agriculture et de la Commission des sites
était donné, les précautions que la loi prévoyait
pour cette adaptation étaient suffisamment grandes pour penser que cela
n'aboutirait pas à des catastrophes.
Il est peu vraisemblable et d'ailleurs peu souhaitable que les protections qui
sont prévues dans les lois montagne ou littoral soient sensiblement
atténuées. La solution consiste à se motiver pour aller de
l'avant et réaliser les planifications en termes de documents
d'urbanisme, qui permettront de définir ce qui doit être
protégé et développé tout en respectant les
principes d'équilibre dont parlait, à l'instant,
Brigitte Phémolant -- à savoir des équilibres
locaux entre le développement, d'une part, la protection, d'autre part.
Ne pas établir de tels documents nous condamnerait d'avance devant les
tribunaux.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je remercie Philippe Baffert pour son
exposé. Je me demande simplement si les définitions des SCOT et
des prescriptions de massifs sont soumises au contrôle du juge. Le cas
échéant, ne risquons-nous pas, à partir de là,
d'aboutir à une nouvelle jurisprudence, à la fois très
abondante et tout aussi complexe ?
Mme Brigitte Phémolant -
Comme tout document d'urbanisme et tout
acte administratif, les SCOT, effectivement, sont soumis au contrôle du
juge. Toutefois, l'échelle d'appréciation s'avère
différente. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a développé
Philippe Baffert mais le fait qu'il s'agit d'une planification à une
échelle intercommunale conduit à une appréciation
nécessairement globale sur les notions de continuité et de
préservation des activités. Qui plus est, cette
appréciation s'appuie sur un diagnostic poussé. Il ne s'agit donc
pas d'un alibi mais d'une étude réelle.
Quant aux prescriptions de massifs, le débat contentieux joue d'une
manière différente. Les prescriptions de massifs sont des
documents approuvés par décret en Conseil d'Etat, après
passage au travers du filtre que constituent les sections administratives. Cela
apporte une véritable sécurité juridique. Si les tribunaux
administratifs, lorsqu'ils jugeront de la légalité d'un PLU,
pourront éventuellement être saisis par les requérants
d'une contestation de la légalité de la prescription de massif,
il sera rarissime qu'ils la déclarent illégale. Les exemples dont
nous disposons, aujourd'hui, ne touchent pas à des prescriptions de
massifs mais à des schémas d'aménagements régionaux
également approuvés par décrets en Conseil d'Etat, pour
lesquels pratiquement aucun tribunal administratif n'est allé
jusqu'à formuler une exception d'illégalité. Si le
débat contentieux existe, il n'est absolument pas analogue au
débat qui peut se nouer sur un projet ponctuel, en dehors de toute
réflexion de planification.
M. Pierre Jarlier -
Chacun s'accorde à dire qu'avec la
loi SRU, nous disposons d'outils nouveaux permettant de répondre
à un certain nombre de préoccupations (y compris en montagne)
dès lors que des documents de planification existent. C'est là un
acquis fort. Pour autant, la difficulté tient dans ce que ces outils de
planification -- jusqu'à la carte communale, qui peut
répondre elle aussi à cette préoccupation -- ne sont pas
toujours envisageables au regard de la taille des communes s'engageant dans ces
procédures. C'est pourtant précisément sur des territoires
restreints, isolés et soumis à de faibles pressions
foncières que se pose parfois le problème de l'opportunité
d'une construction, quand bien même les élus sont conscients du
capital premier que constituent l'environnement, le paysage et le patrimoine.
Nous trouvons là une interprétation extrêmement restrictive
de l'administration quant à la notion de continuité urbaine.
Dès lors, je voudrais savoir quelle est la définition
précise de la continuité. Nous raisonnons souvent en termes de
distance alors qu'il serait préférable de raisonner en termes
d'intégration. N'y aurait-il pas là matière à
clarification pour pouvoir apprécier l'opportunité d'une
construction ?
Par ailleurs et plus largement, nous savons que la loi SRU ouvrira sans
doute des possibilités d'adaptation locale meilleures en rapport aux
prescriptions de massifs -- ce qui a son importance, comme vous l'avez
dit. En outre, la prescription de massif peut constituer une réponse en
complément de la mise en oeuvre d'un SCOT, par exemple, qui permet, par
la suite, de définir aisément des cartes communales et donc de
régler le problème de l'urbanisation. Ceci rappelé, ma
question est simple. Quelles sont les méthodes actuelles de mise en
place de prescriptions de massifs ? En d'autres termes, qui en est le
maître d'ouvrage et comment les choses se décident-elles ?
Plus avant, n'y a-t-il pas une incompatibilité entre l'idée d'une
prescription de massif décentralisatrice, destinée à
prendre en compte les spécificités locales des territoires, et
les DTA, quelque peu jacobines à mon sens ?
M. Philippe Baffert -
Votre première question a trait au
problème de la continuité. Il me paraît clair et
indubitable que l'esprit des lois montagne et littoral telles qu'elles ont
été votées sous-tendent une continuité en termes de
distance métrée. La prise en compte de la notion d'insertion dans
les paysages et l'environnement passe par une meilleure étude des
documents d'urbanisme. On peut estimer que la notion de continuité
retenue par le Parlement dans ces deux lois constitue souvent une fausse
garantie en matière d'urbanisme. En effet, dans bien des cas, la
qualité urbaine profite davantage d'une discontinuité que d'une
continuité. Néanmoins, la loi a pris en compte l'idée
selon laquelle construire en un lieu vierge revient à gâcher
l'espace et à menacer l'environnement naturel.
Cela renvoie à mes propos afférents à la campagne qu'a
provoquée l'autorisation accordée aux documents d'urbanisme
-- et seulement à eux -- de délimiter des zones
d'urbanisation en dehors de la continuité urbaine (malgré toute
une série de garanties). Quand bien même une telle réaction
serait erronée en termes d'urbanisme, nous ne pouvons pas ne pas tenir
compte de cette conception sociale qui veut que la continuité passe
actuellement pour garante d'une certaine qualité. La loi est donc claire
sur ce point. Si le Parlement souhaitait revenir sur cette conception dans la
loi montagne ou littoral par la suite et s'inspirer de ce qui a cours en
plaine, sur des cas isolés, il faudrait très clairement
préciser que cela ne s'appliquerait qu'en des lieux en perte de
population, ne voyant que peu de demande de permis de construire.
Comme je l'ai dit, il me semble qu'élaborer une carte communale se
justifie dès lors que la commune attend quelques permis de construire
par an. Dans ce cas il semble légitime que chacun puisse construire mais
aussi que chacun se discipline à le faire raisonnablement en certains
lieux, afin d'éviter de perturber le développement de la commune
concernée en termes d'investissement, de paysage ou d'agriculture. Il
importe de discuter convenablement de ces choses au préalable, en
particulier avec l'ensemble des propriétaires concernés. Je suis
persuadé, d'ailleurs, qu'une carte communale établie en
concertation entre la commune et la population sera beaucoup plus
respectée. Un agriculteur désireux de vendre l'une de ses
parcelles choisira naturellement, à cette fin, l'un de ses terrains
reconnus comme constructibles.
Votre deuxième question a trait aux prescriptions de massifs et à
la DTA. La DTA se justifie là où les enjeux d'Etat se
révèlent importants.
Je ne suis pas persuadé que tous les secteurs de montagne
nécessitent la mise en place d'une DTA. En revanche, une prescription de
massif paraît tout à fait adaptée partout, pour
préciser les conditions d'application de la loi. Il y a des
résistances, sans doute, mais elles peuvent toujours être
surmontées lorsque la volonté politique des élus est forte
et je pense qu'il faut que ceux-ci mesurent clairement, aujourd'hui, la
nécessité de ces prescriptions de massifs.
M. Philippe Leroy -
J'ai noté avec grand intérêt
l'axe fort de présentation des SCOT comme fondements, notamment au
regard des difficultés que l'on peut rencontrer dans l'application des
lois montagne et littoral. Malgré tout, je voudrais poser deux questions.
Premièrement, je m'interroge, tout comme mon collègue
Pierre Jarlier, quant à la hiérarchisation de la DTA par
rapport aux SCOT. En tant qu'élu de la Savoie, je suis comblé de
voir des réflexions engagées pour la couverture de l'ensemble de
mon département par des SCOT. Néanmoins, certaines
inquiétudes se font jour au sein des trois départements de
Haute-Savoie, de Savoie et d'Isère face à l'arrivée de la
DTA, les orientations qui nous sont communiquées par le préfet de
région faisant apparaître qu'il s'agit de dispositions à
caractère réglementaire au niveau cadastral. Lorsque nous
mettrons en place les SCOT, les élus bénéficieront-ils
d'une marge d'appréciation ou devront-ils transférer au niveau du
SCOT ce que le préfet de région est en train d'arrimer au niveau
de la DTA ? Peut-être les préfets devraient-ils être
rappelés à l'ordre en rapport à cette
hiérarchisation. Pour ce qui concerne mon exemple, les trois
présidents des conseils généraux concernés
-- Haute-Savoie, Savoie et Isère -- ainsi que les maires des
réseaux de villes impliquées vont adresser au préfet de
région un courrier conjoint pour lui rappeler que la DTA doit
s'articuler aux SCOT comme aux PLU. Sans quoi, les élus se verraient
soustraits du pouvoir qu'ils ont de mettre en place une doctrine
d'aménagement au niveau des SCOT...
Deuxièmement, je m'interroge quant à l'application des SCOT dans
le cadre de la loi littoral. J'apprécie beaucoup, effectivement, la
solution qu'ils apportent pour ce qui est des opérations limitées
ou isolées. En revanche, nous n'avons pas parlé des
aménagements. Je connais le cas d'une commune qui s'est vu
déférer un permis de construire pour raison de
discontinuité. Dans ce cas, la mise en place d'un SCOT aurait
réglé les choses. En revanche, je connais également le cas
d'un contournement routier actuellement bloqué parce qu'au regard de la
loi littoral, il s'avère illégal de construire l'ouvrage
nécessaire. Or l'inspecteur général de l'équipement
missionné sur ce cas invoque la règle des deux kilomètres
de périmètre de protection autour d'un lac assujetti à la
loi littoral, alors que dans ce périmètre, une colline fait
rupture géographique ! Nous voyons là une situation
complètement ingérable, qui bloque la construction d'une
infrastructure nécessaire aux deux premières villes du
département au regard de la loi littoral. Y aurait-il, dans ce cas, une
solution en rapport à ce que permettrait le SCOT au regard des
constructions ?
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vais vous livrer mes questions, en vous priant
de m'en transmettre également les réponses écrites.
Mon intervention porte sur des éléments d'expérience
locale.
Tout d'abord, nous sommes confrontés, en Haute-Savoie, au constat
suivant : un certain nombre de certificats d'urbanisme accordés et
renouvelés dans le cadre de plans d'occupation des sols (POS)
approuvés par le préfet après avoir satisfait à
l'intégralité de la procédure requise se trouvent
subitement rejetés. Nous sommes donc face à des situations
où des citoyens ayant par exemple réglé des partages
familiaux et fait acter par leur notaire que tel terrain était
classé constructible mais n'ayant pas immédiatement fait
construire s'en voient refuser l'autorisation à la veille de le faire.
Il s'ensuit plusieurs choses : la ruine d'un équilibre
familial ; une sorte de spoliation, dès lors que ces personnes ont
payé des droits sur des terrains réputés à
construire ; enfin, un sérieux problème quant au pouvoir que
le préfet s'arroge pour déclarer unilatéralement tel
aspect du POS non conforme à la loi montagne. Ainsi, il est une commune,
en Haute-Savoie, où plus d'une centaine de propriétaires se
voient privés de droits ! A titre tout à fait instructif,
j'ai ici la situation dramatique d'un jeune couple de fonctionnaires qui se
trouve complètement ruiné, ayant mis toutes ses économies
dans l'achat d'un terrain puis engagé des frais de
géomètre, d'architecte, etc. (après avoir comme de droit
renouvelé son certificat d'urbanisme dans le cadre du POS) pour se voir
refuser, aujourd'hui, l'autorisation de construire. Voici la lettre
pathétique qui leur a été envoyée et je me propose,
si vous le voulez bien, de vous la soumettre.
Mon deuxième cas de figure concerne le problème de la
règle des quinze kilomètres dans le cadre des SCOT. J'ai à
l'esprit le cas d'une barrière rocheuse, les Aravis, qui culmine
à près de trois mille mètres d'altitude. De part et
d'autre figurent deux communes -- le Grand-Bornand et Sallanches, -
distantes de moins de quinze de kilomètres à vol d'oiseau mais
séparées par cette barrière naturelle. Pourtant, le SCOT
stipule que le Grand-Bornand dépend légalement de la zone urbaine
de Sallanches !
Mon troisième cas de figure touche à ce que j'appellerai,
à titre personnel, des erreurs d'appréciation de fait, qui n'en
sont pas moins graves de conséquences. Le contexte est celui d'une zone
assez fortement urbanisée, à l'extrémité de
laquelle sont installés trois chalets. Néanmoins, le
propriétaire qui rêve d'y construire deux autres s'en voit refuser
l'autorisation ! Il existe pourtant un POS réglementaire et la zone
en question y figure bien...
Les cas comme ceux-ci se multiplient par dizaines, malgré l'existence de
documents dûment validés par les services de l'Etat, actés
autant que de besoin chez les notaires et renouvelés à plusieurs
reprises. Tout cela s'apparente, à nos yeux, à une forme d'abus
de droit. Je vous laisserai donc les documents afférents, vous
remerciant par avance de l'attention que vous voudrez bien porter à des
situations non uniquement localisées en Haute-Savoie.
M. Michel Moreigne -
Pouvez-vous nous apporter quelques réponses
synthétiques ?
M. Philippe Baffert -
Très synthétiquement, je dirai que
pour ce qui concerne le cas de la Savoie, il convient d'élaborer des
SCOT et des PLU, y compris en rapport à une future DTA. L'existence de
SCOT constitue pour le moins un terrain pour les discussions à venir. Le
SCOT devra respecter la DTA dans des relations de compatibilité et non
de conformité, comme l'ont confirmé le Conseil d'Etat et le
Conseil Constitutionnel lors d'un arrêt célèbre rendu
à Toulouse.
En ce qui concerne le problème des quinze kilomètres, la loi est
claire : il appartient aux communes et non à l'Etat de proposer un
périmètre intelligent et cohérent...
M. Jean-Paul Amoudry -
Sauf accident de relief !
M. Philippe Baffert -
La question des quinze kilomètres et celle
du périmètre sont deux choses distinctes. Néanmoins, il
est certain qu'il faut tenir compte des accidents de relief dans l'une comme
dans l'autre, pour moduler la réalité et tenir compte,
éventuellement, de logiques économiques différentes,
caractérisant des zones recouvrant plusieurs SCOT. En outre, hormis
cette notion d'accident de relief, deux agglomérations ou deux secteurs
situés à moins de quinze kilomètres l'un de l'autre
peuvent recouvrir des logiques différentes induisant des
périmètres de SCOT différents. Pour ce qui est du cas des
Aravis, il me semble effectivement que l'accident de relief existe.
En ce qui concerne les certificats d'urbanisme et les autorisations de
construire, à la suite d'un certain nombre de décisions des
tribunaux administratifs, le contrôle de légalité a
estimé que les POS qu'il a autrefois acceptés sont
illégaux eu égard à la loi montagne, qui est directement
opposable aux permis de construire. Les élus peuvent avoir
légitimement une interprétation différente. Il appartient
aux tribunaux de trancher ce genre de conflits juridiques.
M. Michel Moreigne -
Merci infiniment. Nous ne prétendons pas
avoir épuisé le sujet et sans doute la mission commune
d'information réfléchira-t-elle à l'opportunité de
vous entendre à nouveau, pour aller plus loin encore dans l'exploration
de nos questions.