15. Audition de M. François Servoin, professeur de droit à l'Université de Grenoble (22 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur Servoin, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous connaissons la place éminente que vous occupez, au vu de vos connaissances juridiques, sur les questions liées à la montagne. Nous vous remercions de vous être déplacé à Paris pour nous apporter votre contribution.

Notre mission a pour objectif de dresser un bilan de la loi de 1985, de tenir compte dans l'application de ce dispositif juridique des lois ultérieures ; je pense à la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU), à la loi d'aménagement, ou encore aux lois consacrées à la forêt et à l'agriculture, qui ont corrigé la loi fondatrice de 1985. Dans le cadre de cette mission, nous souhaitons apporter les correctifs et les propositions et, si la matière est suffisamment vaste, proposer de nouveaux dispositifs au gouvernement.

Tel est le sens de notre démarche. Nous vous avons adressé une grille de questions portant sur deux centres d'intérêt : le comité de massif et les unités touristiques nouvelles. Evidemment, vous avez toute liberté de nous apporter les éclaircissements complémentaires que vous jugerez utiles. Nous souhaiterions ensuite vous poser quelques questions, en particulier sur le problème de la constructibilité limitée, et la place de la jurisprudence dans le droit sur la montagne.

M. Jacques Blanc - Je m'associe à ce message de bienvenue.

M. François Servoin - Je vous remercie de m'avoir convié à cette réunion. Je suis maître de conférences à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble. Je m'intéresse à la montagne depuis près de 30 ans. A Grenoble, j'ai créé dès 1987 un DESS intitulé « Développement des collectivités territoriales montagnardes et droit de la montagne ». Ce DESS est très apprécié par les collectivités locales et territoriales de montagne. Je suis membre du Comité de massif des Alpes du Nord depuis une dizaine d'années, et j'ai été membre titulaire de la Commission spéciale des Unités touristiques nouvelles. Je suis encore membre de cette Commission à titre suppléant. Par ailleurs, j'ai écrit un ouvrage, La commune de montagne , publié chez Economica en 1996.

Vous m'avez adressé une grille de questions, celles-ci tournant autour de deux thèmes : les comités de massif d'une part, et les unités touristiques nouvelles.

Vous m'avez posé une question sur le fonctionnement des comités de massif depuis le vote de la loi Montagne. En fait, il s'agit d'une institution qui ne fonctionne pas de manière satisfaisante. L'institution trouve son origine dans le rapport Besson de 1983. A l'époque M. Louis Besson proposait, pour représenter les massifs montagneux, la création d'organes institutionnels. Trois organes étaient prévus :

- un comité de massif, organe politique et décisionnel ;

- une agence de massif, organe de réflexion, de montages d'opérations et de préparation des dossiers ;

- un fonds financier spécialisé pour accompagner l'ensemble.

Ce schéma n'a pas pu voir le jour du fait de l'hostilité conjuguée du ministre de l'intérieur et celle du ministre des finances. M. Defferre, le premier, soucieux de mettre sur pied sa décentralisation n'entendait pas voir l'apparition d'institutions parallèles qui nuiraient à la lisibilité de l'ensemble, articulé autour du triptyque : commune, département, région. Le second, voyait d'un mauvais oeil l'apparition d'un fonds financier mal contrôlé.

La question a été encore rendue plus complexe par la nécessité de réformer le Comité national des unités touristiques nouvelles. Le fonctionnement de ce comité avait fait l'objet de vives critiques de la part des maires en particulier et des élus locaux en général qui lui reprochaient son caractère d'instance parisienne, dictant ses oukases aux élus locaux en méconnaissance, parfois, de la réalité locale. La création des comités de massif comprenant une commission spécialisée des unités touristiques nouvelles (UTN) paraissait l'occasion de décentraliser les décisions en matière d'UTN.

Le résultat de l'ensemble est cependant ambigu. La constitution d'organes locaux ne constitue pas pour autant une décentralisation. Les comités de massif nés de la loi de 1985 ne sont en fait rien d'autre qu'un « service déconcentré de l'Etat », structure consultative liée au préfet coordonnateur de massif, qui est l'un des préfets de région du massif. Il y a bien déconcentration, mais pas de décentralisation. Les comités de massif sont une institution de l'Etat, en aucun cas une institution locale.

A partir de là, toute une série de malentendus sont apparus. Notamment, un certain nombre de préfets se sont trouvés embarrassés face à cette institution et ont éprouvé des difficultés pour l'animer et lui trouver une identité. Je me souviens de certaines séances du comité de massif des Alpes du nord dont l'ordre du jour était assez léger, où les fonctionnaires régionaux intervenaient pour faire le point sur certaines questions, sans que s'instaure un véritable débat ou une véritable discussion. En revanche, la commission spécialisée des unités touristiques nouvelles était le lieu d'une véritable activité dans la mesure où le champ de compétences et les enjeux apparaissaient de manière précise. Mais le fonctionnement de cette commission lui-même n'est pas sans soulever quelques questions. Créée par la loi au sein du massif, cette commission dispose de pouvoirs propres et fonctionne en dehors de celui-ci devant lequel elle ne rapporte pas. Les membres du comité qui ne sont pas membres de la commission n'ont aucune vocation à être au courant de ce qui se dit dans cette dernière. C'est une ambiguïté supplémentaire, d'autant plus importante que le travail essentiel s'effectue dans la commission spécialisée des UTN.

L'institution n'a pas véritablement trouvé sa voie. Ceci ne constitue pas un jugement négatif, mais simplement nuancé. Les ambiguïtés originelles n'ont pas été levées et n'ont pas permis le développement normal de cette instance. D'un autre côté, les élus locaux ne se sont pas pleinement servis de l'instrument que pouvaient constituer ces comités. En conséquence, il est arrivé, notamment dans les Alpes du nord, que le préfet annule une réunion par défaut d'ordre du jour. Enfin, on peut souligner le fait que la cohabitation d'élus du suffrage universel et de personnalités représentatives d'intérêts particuliers n'est pas toujours aisée. On sait d'ailleurs que le législateur en 1985 a accepté la création de ces comités à la condition que les « élus »y aient la majorité.

Mais surtout, la construction du fait régional depuis 1986 a pesé d'un poids important sur le développement des comités de massif. Soucieuses de s'intéresser prioritairement à l'ensemble de leur territoire, les régions ne se sont pas embarrassées de ces institutions parallèles qui ne couvrent pas le même territoire et dont la vocation est même clairement interrégionale. Ainsi, par exemple, on a l'habitude d'identifier le massif des Alpes du nord à la région Rhône-Alpes. C'est oublier que celle-ci s'étend aux franges du Jura ou du Massif central.

Ces difficultés sont apparues notamment dans la préparation des contrats de plan Etat-région. Malgré la préservation d'un « volet montagne », la collaboration a été réduite au minimum et les comités de massif n'ont pas été impliqués, au-delà d'une simple information, dans la discussion des contrats. Se trouve posée ainsi, de manière claire, la question de la place des comités de massif dans la décentralisation. On voit mal, dans la situation actuelle, de solution à cette question sans modifications structurelles importantes telles, par exemple, que l'érection des massifs en établissements publics personnalisés, ce qui lèverait l'ambiguïté du rôle de l'administration préfectorale. Ceci permettrait en outre aux élus locaux de disposer, comme ils le souhaitent, d'une instance réellement décentralisée.

C'est dans ce contexte que s'inscrivent les modifications apportées par la loi du 4 février 1994 instituant les commissions permanentes. Elles sont incontestablement positives. La mise en place de ces commissions permanentes a permis de faciliter le travail, de prendre l'initiative et de proposer des ordres du jour plus élaborés et plus satisfaisants. Mais elles ne règlent pas la question de la légitimité de l'institution. Ceci dit, le comité représente le massif et la question essentielle est plutôt celle de la place du massif dans les structures territoriales nationales. C'est cette question qui doit recevoir une réponse et dès lors, celle de la légitimité de l'organe qui le représente sera réglée en même temps.

Ceci dit, les commissions permanentes, présidées par un élu local, ont donné un regain d'intérêt et une identité continue aux comités de massif qui ne disposaient pas, par exemple, de secrétariat permanent. Les services du Secrétariat général aux affaires régionales (SGAR), qui faisaient leur travail, n'étaient pas là pour faire fonctionner et animer une instance qui ne relevait pas de leur responsabilité. La mise en place de ces commissions permanentes est donc particulièrement positive.

A cette question de la création des commissions permanentes s'ajoute celle de la co-présidence du comité de massif depuis la loi « solidarité et renouvellement urbain » (SRU). Il est encore trop tôt pour établir un bilan et je n'ai personnellement pas de grande idée sur la question. Ceci dit, on peut explorer les pistes que cette innovation ouvre. L'hypothèse la plus probable est celle d'un désengagement de l'Etat et du préfet qui se reposerait désormais sur la commission permanente et son président. Mais alors, qui détient véritablement le pouvoir au sein du comité et quelle est la nature de celui-ci ? Il est encore trop tôt pour répondre.

En conclusion on peut dire que les comités de massif ne fonctionnent pas de manière totalement satisfaisante.

M. Auguste Cazalet - Devons-nous estimer que la faute revient à l'Etat ?

M. Jacques Blanc - De toute façon, nous sommes face à une contradiction fondamentale. Les régions se sont vu confier des responsabilités fortes en matière d'aménagement du territoire ; dans le même temps, on leur a imposé un carcan administratif pour le moins rigide. Soit nous ferons une coopération interrégionale, soit nous tournerons en rond...

Je préside la région Languedoc-Roussillon ; nous devons nous occuper des Pyrénées et du Massif Central. Nous avons conduit une politique forte en faveur de la montagne, à travers, entre autres, une politique d'investissement forte. Pour autant, je n'assiste jamais aux réunions des comités de massif.

M. François Servoin - A plusieurs reprises, je dois vous avouer que je me suis demandé si je devais y assister également.

M. Jacques Blanc - J'envoie simplement une personne pour me représenter. De toute façon, si nous voulons que de telles opérations réussissent, il est évident que l'Etat doit apporter des investissements importants. En effet, il est nécessaire d'entrer dans une telle logique si l'on veut que les élus exécutifs y trouvent un intérêt. S'il n'y a qu'un pouvoir consultatif, il est évident que la plupart des élus ne s'y intéressent pas. Ils ont l'impression de perdre leur temps, sauf s'il existe de vrais pôles d'intérêt.

M. François Servoin - Les centres d'intérêt ne manquent pas, mais ce sont parfois les conditions matérielles qui font défaut. Je me souviens de la tentative de constitution de groupes de travail au sein du comité de massif Rhône-Alpes, à l'instigation du préfet. Les groupes de travail ont été constitués et chacun s'y est inscrit. Ils n'ont jamais fonctionné pour des raisons matérielles. Chacun est reparti aux quatre coins de la région et les problèmes de communication ont fait le reste.

Par ailleurs, il faut souligner que les comités de massif n'ont jamais souhaité s'impliquer dans des fonctions de nature réglementaire ou tout simplement normative. J'ai pu constater ceci à plusieurs reprises. La loi avait donné aux comités des compétences de proposition afin de définir et préciser les actions qu'ils jugent souhaitables pour le développement, l'aménagement et la protection du massif. Ils devaient également avoir un rôle dans l'élaboration de prescriptions particulières de massif. A ma connaissance aucun comité de massif ne s'est jamais pleinement saisi de ces compétences. L'absence de propositions dans ce domaine s'est traduite par une reprise en mains par l'Etat sous la forme des directives territoriales d'aménagement (DTA).

Le comité de massif aurait pu jouer un rôle dans ce domaine. L'exemple des UTN est sur ce point intéressant. Lorsque j'ai été désigné à la commission spéciale des UTN des Alpes du nord, je pensais, sans parler d'un pouvoir réglementaire qui excèderait les compétences du comité, que l'attribution des autorisations serait l'occasion d'établir quelques règles du jeu et que se dégagerait une sorte de jurisprudence. Ça n'a pas été le cas. Chaque autorisation était attribuée au cas par cas et jamais une réflexion transposable à d'autres situations n'a été poursuivie. Dans un récent ouvrage intitulé « Tourisme et aménagement touristique », publié à la documentation française par Pierre Merlin, l'auteur termine le chapitre qu'il consacre à la montagne en regrettant le rôle insuffisant des élus « qui n'ont pas accepté la logique de la décentralisation responsabilisante ». Je confirme ce point de vue que j'ai constaté sur le terrain.

Cette logique se retrouve à propos de l'article 42 de la loi montagne. Cet article donne compétence aux communes pour encadrer l'aménagement touristique. A ma connaissance, il a peu été utilisé par les communes pour inciter les aménageurs d'équipements touristiques à se conformer à la politique locale de développement touristique. Le conventionnement est plus ressenti par les communes comme une contrainte qui leur est imposée que comme un instrument à leur disposition.

M. Jacques Blanc - Estimez-vous que nous devons supprimer les comités de massif ?

M. François Servoin - Il ne faut surtout pas les supprimer, ils représentent l'un des rares lieux où l'on parle de la montagne. S'ils disparaissent, le principal lieu de discussion sur la montagne aura disparu.

M. Jacques Blanc - Comment pouvons-nous les transformer ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je pense que nous pouvons prévoir une évolution à travers une logique de coopération interrégionale. Nous pouvons imaginer un établissement public recevant délégation des régions concernées pour gérer un certain nombre de compétences propres à la montagne.

M. François Servoin - Vous avez raison, ceci règle la question du massif dont le comité n'est que l'émanation.

M. Jean-Paul Amoudry - Le comité de massif sera une émanation de collectivités décentralisées ; il sera donc indépendant de l'Etat, et aura les moyens que les régions lui donneront. Il aura vocation à parler de la montagne.

M. Jacques Blanc - Cette idée est d'autant plus pertinente que nous connaissons des logiques de coopération interrégionale qui fonctionnent. Dans le massif pyrénéen, nous parvenons à conduire des actions, dont certaines sont réalisées en coopération avec les régions espagnoles limitrophes. Par conséquent, nous pouvons peut-être créer une dynamique nouvelle de coopération interrégionale centrée sur le territoire de la montagne. Cela permettrait par ailleurs de supprimer les délégués de l'Etat. En effet, certains commissaires de massif font un excellent travail, mais d'autres constituent essentiellement des freins à notre action.

M. François Servoin - Je ne peux pas me prononcer sur cette question. Les commissaires de massif représentent une réponse de l'Etat au mauvais fonctionnement des comités de massif. Les commissaires existent depuis 1976, ce sont les anciens commissaires à la rénovation rurale. Au moment de la loi montagne, aucune liaison n'était faite entre les différentes instances oeuvrant dans le domaine de la montagne. Pour suivre et coordonner l'ensemble, l'Etat a utilisé, dans le cadre de la DATAR, une structure qui avait fait ses preuves dans d'autres domaines. C'est l'origine des commissaires de massif dont l'origine ne se trouve pas dans la loi montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Je pense que nous avons fait le tour du sujet relatif aux comités de massif. Nous souhaiterions donc vous poser quelques questions.

M. Jean Boyer - Les comités de massifs sont le résultat de ce que les élus ont voulu en faire. Dans le cadre des régions, hormis pour la région Languedoc-Roussillon, les zones de montagne ne bénéficient pas d'un traitement particulier. Je suis personnellement en Auvergne : une commune située à 900 mètres d'altitude ne bénéficie pas d'une meilleure participation de la région lorsqu'elle réalise un aménagement, par rapport à une commune située à 500 mètres d'altitude. Autrement dit, les handicaps ne sont pas compensés.

M. François Servoin - Vous avez raison. Cette situation est le résultat des politiques régionales, mais provient également des ambiguïtés de la loi. En fait, au sens de la loi il y a deux montagnes : le massif d'une part, et la zone de montagne d'autre part. Par exemple, Grenoble qui est dans le massif Alpes du Nord, n'est pas en zone de montagne. Il y a donc deux réalités qui se chevauchent. Elles sont souvent confondues dans le vocabulaire qui devient ainsi confus. Derrière la sémantique il y a une réalité importante : doit-on englober les villes et les piémonts dans la montagne. La montagne doit-elle se définir sans référence aux principaux pôles de développement économique.

M. Jacques Blanc - Il peut exister de petites villes en montagne.

M. François Servoin - Certes, mais les perspectives ne sont pas forcément les mêmes. Si on prend l'exemple des Alpes du nord, il existe des bourgs marchés de fond de vallée en zone de montagne, mais le sillon alpin, poumon économique qui va de Genève à Grenoble, n'est pas en zone de montagne.

M. Jacques Blanc - Cela représente en effet une question fondamentale. Si nous ne la posons pas, nous éprouvons de logiques difficultés pour définir le label montagne et pour traiter la question des unités de transformation de lait, qui sont souvent en plaine.

M. François Servoin - Grenoble est située à 200 mètres d'altitude. A même hauteur que les monts du Perche.

M. Jacques Blanc - Certains estiment que Grenoble n'a pas une politique de montagne, mais une politique urbaine.

M. François Servoin - Y'a-t-il une antinomie entre les deux ? Il peut tout à fait y avoir coïncidence entre les deux ou cumul. Quoi qu'il en soit, la question mérite d'être posée. En quoi consiste la différence entre une politique de montagne et une politique urbaine ?

M. Jacques Blanc - Quelle est la zone de compétence du comité de massif ?

M. François Servoin - Le comité de massif est bien relatif au massif.

M. Jacques Blanc - Nous pouvons alors comprendre pourquoi le comité de massif n'a pas trouvé son identité : il n'est pas un comité de montagne.

M. François Servoin - Dans ce cas, qu'est-ce que la montagne ?

M. Jean-Paul Amoudry - Quoi qu'il en soit, nous devons réfléchir à cette question. Si nous reprenons l'exemple du sillon alpin, il est vrai que le réseau de villes a parfaitement fonctionné, mais au détriment de la zone d'altitude. Pourtant, il représente le maillon étant le support de la montagne, et fait vivre celle-ci.

M. François Servoin - C'est bien pour cela que les Alpes du nord sont une montagne riche. On y connaît un développement économique et démographique positif, contrairement à d'autres régions de montagne qui n'ont pas ce réseau de villes. Notamment le Massif Central, où l'isolement est difficile à rompre du fait de l'absence de ce réseau de villes.

Concernant la réunification des Alpes au sein d'un seul massif, je pense que cette initiative est tout à fait opportune. En effet, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur tourne le dos à sa montagne. Son activité économique, touristique comme sa démographie sont tournées vers la mer, la montagne apparaît un peu comme un désert. Le comité des Alpes du nord a établi des contacts très fructueux avec son homologue des Alpes du sud dont les membres étaient très demandeurs.

S'agissant des DTA, elles constituent un outil très intéressant mais elles sont actuellement une coquille vide. Dans un souci de perfection, peut-être, elles ne parviennent pas à naître. En outre quelques questions juridiques qui se posent ici méritent attention. Normes directives et impératives n'ont pas toujours le même régime juridique et ne remplissent pas les mêmes fonctions.

Enfin, si on examine la question des unités touristiques nouvelles, les UTN, il faut rappeler qu'il s'agit d'une procédure d'encadrement des projets touristiques d'une certaine importance apparue avec la directive nationale d'aménagement et d'urbanisme en montagne de 1977. Celle-ci faisait une distinction entre la moyenne et la haute montagne dont la fragilité nécessitait qu'elle ne fasse pas l'objet d'aménagements inconsidérés et dispersés. Pour ce faire, le législateur avait mis en place un comité national des unités touristiques nouvelles chargé d'autoriser les projets. Cette tentative a été très mal perçue par les élus locaux qui lui reprochaient son caractère centralisé et parisien. Ceci étant dit, le comité a fait un travail satisfaisant et a souvent permis la maturation et l'amélioration des projets avant autorisation et au total le nombre de mètres carrés autorisés a été, de 1977 à 1985, considérable.

Il faut cependant souligner que la loi montagne a mis au point deux procédures de création d'UTN. La première, qui doit être considérée comme le droit commun, est celle des schémas directeurs qui doivent prévoir les UTN, lesquelles se réalisent ensuite au fur et à mesure. C'est en l'absence de schéma directeur que l'article L. 145-9 du code de l'urbanisme prévoit, par exception, une procédure d'autorisation par le préfet coordonnateur de massif.

En fait, le droit commun et l'exception se sont trouvés, par la force des choses, inversés. L'absence de schémas directeurs et la difficulté à modifier ceux qui existaient ont rendu exceptionnelle la procédure normale de création des UTN. En d'autres termes, on peut dire que à défaut d'entente intercommunale négociée en la forme d'un schéma directeur, on s'en remet souvent à l'autorisation unilatérale du préfet. Je prends ici quelques précautions oratoires pour souligner que la loi SRU ne change pas grand chose à la matière. Elle institue avec les schémas de cohérence territoriale une nouvelle procédure de droit commun permettant de prévoir les UTN. A défaut, la procédure d'autorisation reste inchangée. Mais on retombe dans le même dilemme. Ou il y a, à travers le Schéma de cohérence territoriale (SCOT), une entente intercommunale en matière d'aménagement touristique et la procédure est décentralisée. Ou le projet reste communal et c'est le préfet qui l'autorise. Soulignons simplement que dans le cadre de la procédure SCOT, le comité de massif n'intervient que pour un simple avis, qui peut être tacite, dans le cadre général de l'élaboration du schéma.

Ainsi, la procédure UTN est incorporée dans la procédure SCOT.

Il existe cependant quelques aspects particuliers. Je pense notamment à la composition du dossier qui n'est pas le même dans le cas UTN et dans le cas SCOT. Certes, même si le dossier ne peut être aussi précis pour un projet qui ne constitue qu'un aspect particulier du SCOT, quatre des éléments du dossier sont communs, qu'il s'agisse de l'état antérieur du site, des caractéristiques du projet, de l'analyse des risques naturels ou de l'effet prévisible du projet sur l'environnement. En revanche, l'étude des conditions générales de l'équilibre économique et financier du projet disparaît totalement dans la procédure SCOT. On sait que cette exigence avait été ajoutée à la suite des opérations aventureuses mises en évidence, en 1991, par le rapport d'inspection générale de M. Lorit. Il y a donc là quelques problèmes d'ajustement.

Au-delà de cela, je pense sincèrement que la nouvelle procédure entraîne une réelle décentralisation. L'initiative est locale et les avis donnés par une instance locale. Si les communes s'investissent dans les schémas de cohérence, la procédure d'autorisation deviendra marginale et le préfet sera en dehors du circuit.

Ceci étant dit, plusieurs problèmes n'ont pas été résolus par la procédure UTN. L'article L. 145-9 du code de l'urbanisme qui donne la définition des UTN n'a pas été modifié. Par conséquent plusieurs équipements n'entrent pas dans le champ d'application de cette définition, notamment les installations d'enneigement artificiel dont les impacts économiques, environnementaux et en termes d'aménagement touristique devraient être mieux analysés. De manière moins flagrante, certains équipements de pleine nature échappent à la procédure UTN alors qu'ils sont parfois importants. Je pense aux aires de parapente ou aux falaises d'escalade. A l'inverse, je me souviens de certaines décisions UTN relatives à l'implantation de campings ou de bungalows pour lesquelles une simplification de la procédure serait souhaitable, sans toutefois aller jusqu'à la supprimer dans la mesure où elle joue le rôle de filtre et présente un caractère pédagogique évident.

Quant à votre question relative aux caractéristiques du patrimoine culturel, naturel et montagnard, je pense que M. Calderaro vous donnera l'état de la jurisprudence actuelle. Je tiens seulement à signaler un fait, presque anecdotique : le mot montagne ne figure pas dans le code de l'environnement et aucun développement n'y est consacré. Je crois pourtant que la définition des caractéristiques du patrimoine naturel et culturel de la montagne y aurait sa place. Cette absence de précisions donne carte blanche aux juges pour donner un contenu à ces notions.

M. Jacques Blanc - Vous avez ouvert de nombreuses interrogations, en particulier sur la question de la différenciation entre massifs et montagnes et sur les Comités de massif. Sur ce dernier point, je pense que nous déboucherons sur des coopérations interrégionales. Souvent, les zones de montagne ne sont pas dominantes dans les régions, et il est vrai que nous pouvons rencontrer une certaine sensibilité au niveau des conseils régionaux. En outre, nous ne devons pas oublier que nous sommes toujours dans une période d'installation des conseils régionaux.

M. François Servoin - Les régions commencent à monter en puissance, effectivement.

M. Jacques Blanc - En montant en puissance, elles s'intéresseront encore plus aux problèmes d'aménagement du territoire. Si elles ont la possibilité d'entrer dans une logique de coopération, via les Comités de massif, elles le feront.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaiterais faire un bref commentaire sur la DTA. J'ai apporté ma contribution à l'élaboration de la DTA des Alpes du Nord, et à la définition de la notion de hameau. Lorsque la DTA est sortie dans la loi Pasqua, nous nous réjouissions de disposer d'un échelon normatif nous permettant de décliner la loi dans un contexte particulier de massif. Sur les deux points que j'ai évoqués, je n'ai constaté aucune action. Aujourd'hui, nous en sommes toujours, pour la DTA Alpes du Nord, dans une situation où les principaux chantiers sont constitués par la fluidification de la circulation dans les vallées et les couloirs, la protection de la nature et le renouvellement de l'offre touristique. Autrement dit, le foncier et la préservation des espaces agricoles ne sont pas pris en compte, dans la mesure où nous restons sur une vision tournée autour de l'environnement, des transports et de la rénovation de l'offre touristique. Par conséquent, la DTA ne prend pas en compte les objectifs initiaux que nous lui avions assignés initialement. Nous pouvons donc comprendre que les élus ne se soient pas suffisamment saisis de cet outil, qui est aujourd'hui le fruit de réflexion de fonctionnaires. La DTA est vécue comme le moyen, pour l'Etat, de reprendre la main sur l'aménagement du territoire.

M. François Servoin - Vous avez raison : pour l'Etat, c'est clairement un moyen lui permettant de reprendre la main. Cela dit, nous devons attendre un peu ; lorsque les DTA seront appliquées, nous verrons si elles sont malléables, amendables et aménageables. Personnellement, je pense que cela peut représenter un guide intéressant. Tant qu'elles ne sont pas appliquées, nous ne pouvons pas réellement nous prononcer. En outre, je vous rappelle que les schémas de cohérence doivent être compatibles avec les DTA, mais ils ne doivent pas forcément être conformes.

Telle est la logique des choses ; le calendrier en a une autre. Les DTA sont en chantier depuis 1995, et nous aurions pu penser que certaines seraient déjà sorties.

M. Jean-Paul Amoudry - Seule la jurisprudence définit ce qu'est un hameau : il faut six habitations pour constituer un hameau. Nous sommes clairement dans une espèce de déni de création du droit de la part des pouvoirs publics, puisque la définition du hameau appartient aux juges. Estimez-vous que cela représente une situation normale ?

M. François Servoin - Personnellement, j'ai toujours considéré que l'article L. 145-3-3 du code de l'urbanisme était très mal rédigé. L'article L. 111-1-2, quant à lui évoque les « parties actuellement agglomérées de la commune » et définit la constructibilité limitée. Faire référence aux parties actuellement urbanisées de la commune m'a toujours semblé beaucoup plus précis que ces notions de villages, bourgs et hameaux de l'article L. 145-3-3. ces notions ont été sources de conflit et ont simplement pour origine une mauvaise interprétation de la loi. Je ne cherche donc pas à définir ce qu'est un hameau, je pense au contraire qu'il serait nécessaire d'abandonner cette notion.

M. Jean-Paul Amoudry - En montagne, quelle est d'après vous la formule de protection étant à la fois efficace et suffisamment souple pour que tout aménagement soit proscrit, donc impossible ? Il existe en effet les notions de biotope, de réserve, les prescriptions de Natura 2000. Que doit faire l'élu lorsqu'il se trouve, par exemple, devant une zone humide ou un site dont les vertus naturelles sont reconnues ? que doit-il faire pour éviter que ce site soit interdit à l'Homme à jamais ? En effet, les élus ont beaucoup de mal à accepter de telles situations.

M. François Servoin - Il existe de nombreuses possibilités. Je pense que la solution contractuelle, faisant intervenir les propriétaires et les promoteurs, est la meilleure. Sans revenir sur mon cheval de bataille habituel, je tiens à rappeler que cet instrument est donné par l'article 42 de la loi montagne. En effet, il prévoit la possibilité de conventionner avec les aménageurs. Rien n'empêche les collectivités de prévoir conventionnellement le contexte environnemental du développement touristique. Je me souviens à cet effet que lors des Jeux olympiques d'Albertville, le conseil général de la Savoie avait pleinement utilisé la politique contractuelle pour mettre en place un certain nombre d'outils de protection de l'environnement. Ce ne sont pas des outils lourds, bien au contraire.

M. Jean-Paul Amoudry - A vos yeux, l'article 42 est donc un bon article.

M. François Servoin - C'est cela. Il est peu connu, mais il fonde une compétence pour les collectivités, qui peuvent demander légitimement nombre de choses aux contractants. Pour les grosses actions, nous pouvons recourir aux réserves, aux biotopes... Par contre, pour les petites actions environnementales, la voie contractuelle me semble être la plus pertinente.

Tant que nous sommes dans un cadre strictement communal, je crois que l'affrontement est inéluctable. En revanche, à partir du moment où les négociations entrent dans un ensemble plus grand, il devient beaucoup plus facile d'intégrer des éléments environnementaux.

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le Professeur, nous vous remercions infiniment pour votre contribution.

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