14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne, accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de mission (22 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Je suis heureux d'accueillir la
délégation de la FNSEA, dans le cadre de notre mission
sénatoriale d'évaluation de la politique montagne. Certains
d'entre nous ont souhaité travailler sur l'ensemble de cette politique.
Cela représente un vaste chantier, que nous comptons mener à bien
pour le mois d'octobre.
Nous avons trois portes d'entrée sur ce sujet : l'environnement,
l'économie et l'aménagement. Nous souhaitons avoir votre
éclairage sur l'ensemble de ces chapitres, l'agriculture étant
à la fois un élément de l'aménagement du
territoire, un élément économique et un
élément environnemental. Nous sommes donc très heureux de
vous accueillir.
M. Dominique Barrau
- Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous
exprimer sur cette politique de la montagne, qui nous est
particulièrement chère. En effet, cette politique a permis aux
zones de montagne d'avoir accès au développement, en devenant des
espaces attrayants. Nous voulons maintenir ces espaces, certes attrayants,
comme des espaces économiques sur lesquels peuvent s'épanouir des
populations.
Nous avons reçu vos documents, et nous allons essayer de balayer dans un
premier temps les questions que vous nous avez posées. Concernant votre
première question, je crois avoir répondu dans mon
introduction : l'acte essentiel de l'agriculture de montagne doit
s'appuyer sur l'acte de production. Malheureusement, nous avons toujours autant
de mal pour trouver des bases nous permettant de rémunérer le
travail de l'agriculteur effectué en direction de l'espace. Par
conséquent, il nous semble important de rappeler que l'acte de
production de biens alimentaires constitue toujours une base. Nous restons bien
sur une agriculture de production, que nous considérons toujours comme
une source de richesse.
Les agriculteurs de montagne sont-ils les agriculteurs les moins aidés
de France ? Je crois que nous ne devons pas situer le débat sur la
question du montant des aides. En effet, la politique de montagne a
institué, en 1973, la notion de correction de handicap. L'idée
était simple : il fallait donner les moyens aux agriculteurs de ces
zones de montagne de produire dans les mêmes conditions
économiques que les autres zones. Nous restons sur cette idée,
mais nous sommes obligés de constater que la réforme de 1992 a
affaibli la notion de correction de handicap. Si les différentes
compensations ont évolué en valeur absolue, leur valeur
réelle s'est bel et bien érodée. Le différentiel
entre les zones de montagne et les zones de plaine n'existe plus aujourd'hui.
En effet, les politiques verticales sont venues se greffer sur cette politique
agricole.
En outre, les agriculteurs des zones de montagne ont eu le souci de plafonner
les aides, et de les lier à l'acte de production. Par exemple,
l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN) limitée
à un hectare entraînait un maintien des productions liées
au sol. Le plafond, apporté en complément, a permis de conserver
davantage d'agriculteurs. Au-delà des aides, cela représentait
une politique volontariste ayant réellement porté ses fruits.
Sur certaines productions, notamment en zones de montagne, de nombreuses
initiatives ne sont pas épaulées. Je pense, par exemple, à
des démarches qualité ou à des initiatives
particulières. Celles-ci s'appuient sur des productions
différenciées, et sont aujourd'hui en phase avec le
marché. Par conséquent, les agriculteurs de montagne sont-ils les
moins aidés ? En fait, nous sommes face à trois cas de
figure. Ils sont moins aidés en effet en raison de la réforme de
1992, à laquelle je viens de faire référence. Dans le
même temps, ils ont su accepter la politique de plafonnement. Enfin, ils
ont réussi à dégager des initiatives en n'ayant pas
recours à l'aide aux produits.
Concernant votre troisième question, relative à la réforme
de l'ICHN, je souhaite tout d'abord dire que nous n'étions pas
favorables à cette réforme. Nous nous sommes battus pour que son
impact soit le moins négatif possible au niveau des exploitations.
L'augmentation de l'enveloppe a permis de corriger la majorité des
effets négatifs. Il reste néanmoins, sur la production ovine et
dans les zones les plus difficiles - les zones sèches notamment -, des
perdants. En outre, dans l'ancien système, une partie de l'enveloppe
pouvait être utilisée avec une certaine souplesse à
l'échelon du département. Cette partie de l'enveloppe,
représentant 10 % du montant total, permettait de corriger les
imperfections. Malheureusement, nous n'avons plus cette possibilité
aujourd'hui.
Concernant les petites exploitations, l'ICHN, au-delà d'être
plafonnée, mettait en place deux paliers : les
25 premiers hectares sont mieux compensés que les suivants.
Aujourd'hui, nous considérons qu'il serait opportun d'augmenter
significativement l'ICHN. Notre demande est claire : il faut doubler les
25 premiers hectares. Cela réglerait les problèmes des petites
exploitations. Surtout, cela permettrait de mettre un terme à la course
au foncier, celle-ci étant bel et bien présente par rapport aux
effets de seuil. Cette course est d'autant plus aiguë que nous sommes sur
des terres favorables. Nous rencontrons plus ou moins globalement ce
problème sur tous les massifs.
Quant au contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est évidemment
trop tôt pour faire un bilan quantitatif et qualitatif. Aujourd'hui, nous
estimons que le principe du CTE doit en être conservé, dans la
mesure où il correspond tout à fait à notre logique. Par
contre, nous sommes conscients que le CTE ne permettra pas de régler
tous les problèmes. Ainsi, nous devons rester sur une logique de projet
et de diagnostic ; pour les problématiques liées aux aides,
nous devons passer sur d'autres systèmes, plus pragmatiques. Le CTE
demeurera ainsi un outil d'analyse et de diagnostic. Nous pensons donc qu'il ne
faut pas supprimer les CTE, d'autant que l'agriculture de montagne se retrouve
dans cette logique environnementale. En effet, les impacts de ce type
d'agriculture sur l'environnement sont particulièrement faibles. Un
problème demeure néanmoins sur la partie économique. En
effet, nous sommes au même niveau que l'ensemble du pays, et nous
souhaiterions que le CTE en zone de montagne soit déplafonné. Je
vous rappelle que tout investissement économique sur un bâtiment
en montagne génère automatiquement un surcoût dans la mise
en oeuvre. Par ailleurs, je vous rappelle que les bâtiments de zones de
montagne sont souvent plus grands qu'en zones de plaine. Par conséquent,
nous estimons qu'il serait bon que le CTE en zones de montagne soit
déplafonné à un seuil permettant à l'agriculteur
d'investir dans des conditions normales.
Pour la production, je crois que nous devons distinguer la production de la
viande de la production de lait et de fromages. Pour la viande, il est
évident que les consommateurs ont retrouvé un certain goût
pour les achats de proximité suite aux crises successives que nous avons
connues. Par conséquent, il y a lieu de remettre en activité les
abattoirs de proximité, et favoriser la mise en place d'ateliers de
découpe. Ces ateliers présentent deux
intérêts : ils permettent de dégager de la valeur
ajoutée en direct pour l'éleveur, et de valoriser les races
spécialisées pour la viande. Il y a là un véritable
chantier, qui correspond à une demande des consommateurs et à une
problématique sur la spécificité des races à
viande. Concernant le lait et les fromages, nous sommes attachés au
maintien des quotas laitiers. En effet, en cas de libéralisation, nous
savons pertinemment que nous ne serions pas compétitifs. Les zones ayant
gardé le plus de trayeurs se verraient éliminées par la
concurrence économique. Nous sommes donc favorables au maintien des
quotas laitiers. Certainement, il serait opportun d'envisager une gestion
différente de ces quotas. Nous rencontrons en effet un réel
problème avec la départementalisation. Certains
départements remplissent leurs quotas de manière
régulière, et certaines AOC sont limitées par les quotas
d'exploitation alors qu'elles pourraient vendre davantage. Autrement dit, le
marché existe, mais nous sommes limités par cette question des
volumes de production. Parallèlement, des départements
n'atteignent pas leurs quotas. Nous sommes donc limités par cette
gestion départementale ; cela constitue un problème, qui
mériterait d'être étudié.
Concernant l'utilisation du décret montagne, nous souhaiterions faire
une proposition concrète. Nous voulons mettre en place, autour de ce
décret, une différenciation de la production qui serait
reconnaissable par une signalétique particulière et
vérifiable par un cahier des charges. Il faut tout d'abord mettre en
place une signalétique commune, puisque le décret Montagne ne
prévoit pas l'utilisation du logo Montagne existant. Par
conséquent, l'ensemble des productions sont d'accord pour se ranger
derrière une signalétique commune. Il est tout à fait
possible, ensuite, de décliner cette signalétique par produits.
Nous allons proposer cette initiative au Ministère de l'Agriculture,
afin qu'il nous autorise à mettre en place cette signalétique,
qu'il en fixe les conditions et détermine la structure qui doit la
porter. Cette structure pourrait établir un cahier des charges
d'utilisation du logo Montagne, et le mettrait à disposition des
différentes interprofessions.
Cela représente, à nos yeux, l'axe fédérateur de la
reprise en main de l'acte de production par les agriculteurs de montagne.
Depuis de trop nombreuses années, nous sommes trop axés sur la
question de l'aide financière ; nous souhaitons donc
désormais mettre à nouveau l'accent sur le produit. Nous avons
maintenant l'aval de toutes les productions. J'ai eu l'occasion
d'évoquer ce sujet lors des Assises du regroupement, la semaine
dernière : d'autres pays de l'Union européenne sont
séduits par cette idée, même s'ils ne disposent pas des
mêmes conditions de faisabilité que nous. Quoi qu'il en soit, je
crois que cela représente un axe profond de recherche, comprenant
plusieurs étapes. Tout d'abord, nous devons mettre en place une
signalétique commune, avant de constituer un cahier des charges
correspondant à la réalité de la montagne.
Ces questions ont été discutées, pour le lait, dans le
cadre des organisations interprofessionnelles laitières. Certaines
productions, disposant déjà d'un label qualité, se
demandaient si de telles initiatives n'allaient pas perturber les
démarches existantes. Cela dit, nous nous sommes entendus pour que de
telles situations ne se produisent pas.
Concernant le statut de l'agriculteur dans les zones de montagne, nous devons
dire que nous rencontrons quelques problèmes. Quant au pastoralisme,
nous n'avons pas beaucoup travaillé sur cette question. Cependant, nous
n'avons aucun
a priori
sur ce point.
M. Jean-Luc Birnal
- Concernant les expériences des agricultures
de montagne, je réalise, en particulier par rapport à d'autres
pays européens comme l'Autriche, combien l'étroitesse du statut
de l'agriculteur est un frein à une politique de montagne dynamique en
termes de création de richesse et de captation de fonds. Si nous
regardons les blocages que nous connaissons sur le tourisme rural, les
difficultés d'avancement de la question des produits fermiers, nous
prenons conscience du travail qu'il reste à faire sur cette question du
statut. Certes, cela ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne, mais
nous sommes confrontés au premier chef à cette question.
A mon sens, tout cela entraîne un réel manque de
développement. Souvent, nous sommes bloqués vis-à-vis de
l'extension des surfaces ; les gains de productivité doivent donc
être effectués à travers la recherche de
débouchés nouveaux et de services novateurs. Malheureusement,
nous éprouvons des difficultés pour faire cela, compte tenu du
statut actuel.
Concernant le plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA),
nous sommes également en première ligne. A la FNSEA, nous avons
la perception suivante : on nous demande de ne pas polluer. Hormis
quelques rares exceptions, très limitées territorialement,
l'agriculture de montagne n'altère pas le milieu par ses pratiques.
Logiquement, il nous semble stupide d'appliquer le même programme pour
l'agriculture de montagne que pour l'agriculture de plaine, celle-ci devant de
toute évidence faire un effort curatif. Nous voulons travailler
très rapidement sur ce dossier, pour que le programme de mise aux normes
des exploitations concernées permette certes d'éviter des
accidents écologiques graves, mais non pas de mettre en place un
système visant à avoir un effet curatif sur la pollution ;
celle-ci n'existe pas en zone de montagne. Par conséquent, une telle
logique serait complètement fausse, car non adaptée à
l'agriculture de montagne. Si nous parvenions à avancer sur ce point,
nous retrouverions une certaine équité avec l'agriculture de
plaine. Pour le moment, l'agriculture de montagne est très
défavorisée sur ce point. Cependant, si nous reprenons le PMPOA,
en le modifiant, je pense que nous pourrons retrouver un certain
équilibre financier.
Concernant l'attribution des aides ICHN, je crois que nous devrions rectifier
rapidement quelques distorsions, notamment sur les fruits. Les producteurs de
pommes, de poires et de pêches qui sont en zones dites sèches
peuvent en bénéficier, alors que les producteurs en zones humides
n'en profitent pas du tout. J'insiste sur ce point, dans la mesure où
cela ne représenterait pas un effort budgétaire colossal ;
pourtant il permettrait de rétablir une certaine équité
entre les agriculteurs des zones sèches et ceux des zones humides.
Quant au surcoût dans les zones de montagne, je voudrais
développer la question des zones de montagne dites touristiques. Cela
concerne tout ou partie des massifs et, lorsque nous imposons des contraintes
d'intégration paysagère ou de concept de bâtiment, le
coût des bâtiments construits est sensiblement augmenté.
Certes, les bâtiments construits sont jolis, mais de telles mesures
créent une discrimination totale par rapport aux zones de plaine. Ces
surcoûts n'ont rien à voir avec l'agriculture ; par
conséquent, ils ne doivent pas être pris en charge par des fonds
destinés à l'agriculture. Si l'on estime que de tels
investissements sont réalisés dans une optique touristique, il
faut se tourner vers le tourisme ; si l'on estime qu'il est bon d'avoir
des bâtiments d'élevage conformes aux traditions de construction,
il faut se tourner vers la culture. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas
continuer à faire peser de tels surcoûts sur l'agriculture.
Quant au piémont, nous remarquons un comportement discriminatoire
vis-à-vis des producteurs de lait. En fait, une différenciation a
été créée entre un piémont dit laitier et un
piémont « normal », où l'agriculture est
beaucoup plus partagée. Au total, tous les agriculteurs installés
sur une zone de piémont laitier - toutes les montagnes au nord des deux
Savoie - ont droit à des compensations de handicap, selon certains
critères. Malheureusement, un producteur de lait, ayant le même
cheptel mais étant en dehors de cette zone, ne bénéficie
d'aucune aide de ce type. Evidemment, nous estimons que cette situation n'est
pas normale.
Par conséquent, nous avons identifié de nombreuses petites
améliorations pouvant être apportées relativement
rapidement. Elles sont par ailleurs peu conséquentes d'un point de vue
budgétaire.
Nous avons répondu à la question relative au foncier ; en
revanche, nous n'avons pas parlé des problèmes relatifs à
l'aménagement. Cette question est pour le moins complexe dans les zones
de montagne : certains territoires se trouvent dans des situations de
désertification avancée ; d'autres en revanche, courent le
risque d'être asphyxiés par excès de
« bétonnage ». Prenons l'exemple des Causses et des
Alpes du Nord, qui constituent deux cas extrêmes : les Causses se
vident, et l'économie disparaît peu à peu. Je sais qu'une
telle situation ravit nombre d'écologistes, qui y voient la
recréation d'une zone naturelle. Nous pensons quant à nous que
l'écologie sans hommes est inutile. Quant aux Alpes du Nord, nous
remarquons une forte pression urbaine, notamment sur les surfaces
mécanisables. Au total, nous ne parvenons pas à entretenir les
terrains pentus qui se boisent peu à peu. Cette région court
ainsi le risque de perdre son identité touristique, et, finalement,
d'être dotée de handicaps économiques
particulièrement préoccupants pour l'avenir.
Nous en reparlerons peut-être plus longuement au cours de la discussion,
mais je tiens à évoquer rapidement la question des commissaires
de massif. A mon avis, ils ne servent pas à grand-chose actuellement.
Pourtant, ils pourraient être très utiles s'ils faisaient un
travail constructif. Notamment, ils doivent nous permettre de mieux
préparer les projets, en relation avec le deuxième pilier de la
PAC.
M. Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour
cet exposé. Je vous propose maintenant de passer à un
échange de questions et de réponses.
Vous avez évoqué une ligne passant au nord des deux Savoie. Je
n'ai pas compris quels agriculteurs bénéficiaient d'aides. Quant
à la pluri-activité, vous avez évoqué les freins
résultant du statut de l'agriculteur. A ce titre, vous avez rapidement
parlé de l'exemple autrichien. Selon vous, la réponse
passe-t-elle par le statut de la poly-activité. Au contraire, avez-vous
une autre vision du métier de l'agriculteur ?
Monsieur Barrau, vous avez parlé de l'accompagnement du décret
Montagne, avec une signalétique d'une part, et un cahier des charges
d'autre part. Selon vous, quelle est la compatibilité entre ce cahier
des charges, qui reste à construire, et celui en vigueur pour les AOC et
les IGP (Indications Géographiques Protégées)? Comment ces
dispositifs peuvent-ils cohabiter ?
M. Jacques Blanc
- Concernant la valeur ajoutée en montagne, le
décret fait état d'une exigence d'abattage et de transformation
sur place. Nous nous demandions si les dérogations permettant de
contourner cette obligation étaient nombreuses. Si nous voulons à
la fois éviter les phénomènes de triche et répondre
au besoin d'apporter cette valeur ajoutée afin de maintenir la vie en
montagne, il est évident que le problème des abattoirs et des
ateliers de découpe est fondamental. Par ailleurs, nous pouvons
désormais apporter des sécurités supplémentaires
pour tout ce qui concerne l'alimentation des animaux. Nous avons tous
été frappés par le problème de la vache folle.
Demain, à tort ou à raison, la question des OGM se posera de
toute évidence, et des phénomènes d'angoisse collective
pourraient se développer par rapport à des animaux en ayant
consommé. Cela dit, il est possible d'apporter ces
sécurités pour les animaux de montagne. Ceux-ci sont en effet
nourris pour l'essentiel sur des pâturages, mais l'alimentation doit
néanmoins être complétée. Je me demande s'il est
possible d'avoir une approche spécifique à la montagne, par
rapport à l'alimentation du bétail, qui serait garantie comme non
génétiquement modifiée. Cela commence à être
un problème pour la viande, et ce le sera demain par rapport au lait et
aux fromages.
Soyons très clairs : je ne suis pas du tout un partisan de
José Bové, et je soutiens les recherches
génétiques. Dans ma région, nous soutenons la recherche
génétique, tant dans les domaines médical que
végétal. Par contre, nous avons lancé une action pour
apporter une sécurité au niveau des produits venant de la
région Languedoc-Roussillon.
Concernant les droits à produire, vous avez dit que vous étiez
favorable au maintien des quotas, sous réserve qu'il y ait autorisation
de droits à produire dans les zones de montagne. Quand la taxe de
coresponsabilité est apparue, j'avais fait en sorte pour qu'elle ne
s'applique pas en montagne. Lorsque nous sommes passés de la taxe de
coresponsabilité aux quotas, aucune différenciation n'a
été faite. Or les quantités de lait produites par animal
ou pour hectare dans les zones de montagne sont sans aucune mesure avec celles
produites en zones de plaine. Ainsi, comment pouvons-nous trouver des
solutions ?
M. Jean Boyer
- Plusieurs questions me viennent à l'esprit. Dans
le cadre de la détermination de l'entité montagne, quelles
références utiliseriez-vous ? Prendriez-vous les territoires
aujourd'hui concernés par l'ICHN ?
Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole,
nous savons tous que trois financeurs entrent en jeu : les
collectivités, l'Agence de l'eau et l'agriculture elle-même. Ne
pensez-vous pas que nous devrions laisser une liberté
d'initiative ? En effet, nous avons cloisonné les hommes, ce qui
est dommageable.
Vous avez évoqué la filière viande. L'ESB n'a-t-elle pas
attiré notre attention sur la nécessité de
réorganiser et de maîtriser cette filière ? Par
ailleurs, avons-nous des moyens de contre-attaque sur la
« démagogie médiatique » ? En effet,
vous savez comme moi que la filière viande a été
cassée en quelques jours. Malheureusement, nous restons silencieux, et
nous n'apportons pas de réponses.
Concernant l'éventuelle libéralisation du prix du lait, il est
évident que les zones de montagne seraient encore plus
pénalisées, dans la mesure où les volumes de production
sont réduits. Cette situation pourrait être évitée
si une identité montagne existait.
Plus que personne, vous savez que l'agriculture a évolué
considérablement en quelques décennies. Je suis persuadé
que nous avons besoin de professeurs adaptés à l'évolution
de l'agriculture de demain.
Dans le cadre de la PAC, l'Allemagne traîne les pieds. Avez-vous des
inquiétudes fondées sur ce sujet ? Que pensez-vous des
menaces de George Bush Jr vis-à-vis du soutien à l'agriculture
américaine dans le cadre de la comparaison avec l'agriculture
européenne.
M. Auguste Cazalet
- J'ai cru comprendre que vous voyiez quelques
injustices à propos de l'ICHN. Comment pouvons-nous régler ce
problème ? Je crois qu'il aurait fallu faire un inventaire de
toutes les exploitations, mais on nous a rétorqué que cela
n'était pas possible. Je pose cette question depuis des années,
et je souhaiterais savoir si vous avez une réponse sur ce point.
M. Pierre Jarlier
- Vous avez parlé de la mise en place de
signalétiques communes, de cahiers des charges... Aujourd'hui, nous
savons qu'il existe une forte attente de la part des acteurs du secteur
économique de montagne, qui souhaitent retrouver la valeur
ajoutée de leurs produits, avec leurs acteurs locaux. Je pense que vous
comprenez parfaitement de quoi je parle : par exemple, la notion de jambon
d'Auvergne ne veut rien dire ; souvent ce jambon est fabriqué dans
d'autres régions, à partir d'animaux qui ne sont pas
élevés en Auvergne. Ma question est donc très
simple : comment pouvons-nous maîtriser la production, la
transformation et la commercialisation sur un secteur de montagne ?
Comment éviter les dérogations qui ne manqueront pas d'être
demandées ? En effet, nous savons tous que nous sommes dans le
cadre d'une réelle mutation, qui ne manquera pas de poser un certain
nombre de problèmes. Je crois que nous aurons besoin d'un énorme
courage politique pour traiter cette question, et je souhaite savoir comment ce
courage se déploiera sur le terrain. En outre, que pouvons-nous faire
pour nous assurer que la production en montagne pourra susciter sa valeur
ajoutée dans le pays de production, avec ce fameux label ?
Je souhaite aborder également la question de l'évolution de la
problématique laitière. Nous avons des inquiétudes sur
cette politique laitière : nous savons tous que les quotas ont
sauvé la filière laitière en montagne. Grâce
à la mise en place de ces quotas, nous avons vu une réelle
valorisation survenir, dans le Jura par exemple. Quoi qu'il en soit,
l'inquiétude est forte. Si, demain, nous connaissions une
libéralisation du lait, il est évident que nous assisterions
à une disparition rapide des agriculteurs de montagne, qui ne pourraient
pas lutter. Comment, dans les nouveaux dispositifs envisagés, est-il
possible de réorganiser la politique de prix dans la filière
laitière ?
M. Dominique Barrau
- Notre position demeure inchangée :
nous voulons garder la maîtrise de la production et des produits dans les
zones de montagne. Nous restons sur cette position, et nous ne nous
lançons pas dans des recherches de solutions à horizon 2005 ou
2006. En 1999, nous étions face aux mêmes questions : comment
faut-il envisager l'évolution du système des quotas
laitiers ? Notre obstination et notre persévérance ont
permis que nous restions sur un schéma de maîtrise de ces quotas.
De toute façon, je ne vois pas comment nous pouvons envisager une
libéralisation de la production laitière, notamment dans un cadre
européen.
Il reste une piste, d'ordre réglementaire, à travers les accords
de Berlin. Il existe en effet la possibilité d'accompagner les zones de
montagne, selon le schéma d'accompagnement appliqué aux pays de
l'Est entrant dans la Communauté. En outre, il est possible de passer
d'une gestion des quotas départementale à une gestion
régionale. Je pense qu'une telle logique peut donner des bouffées
d'oxygène à certaines zones de montagne qui, régionalement
parlant, contiennent des zones de plaine. Je crois que les pouvoirs publics
doivent entrer dans un tel schéma. En effet, si l'administration ne le
fait pas, il est évident que les entreprises prendront le relais.
Rapidement, celles-ci préféreront aller s'installer en plaine.
Pour conserver la production en montagne, il est également possible de
mettre en place un différentiel de produits. Je suis persuadé que
cette logique peut fonctionner, en particulier dans un cadre
interprofessionnel. Nous le voyons parfaitement avec l'exemple du Roquefort.
Concernant le décret montagne, nous avons lancé un chantier le
15 septembre 2001. Ce chantier n'est évidemment pas achevé,
et nous ne maîtrisons pas encore tous les éléments
d'information. Nous voulons créer une signalétique, celle-ci
étant portée par une structure large, et disposant d'un cahier
des charges. Autrement dit, nous voulons adopter une démarche
volontariste, mais qui ne soit pas verrouillée. En outre, pour que le
consommateur ne soit pas trompé, nous devons construire un cahier des
charges susceptible d'évoluer dans le temps. En effet, il est
évident que les niveaux d'exigence des consommateurs peuvent
également évoluer.
Quant aux dérogations, je pense que nous devons nous appuyer sur les
zones de montagne actuelles. Je ne pense pas qu'il soit opportun de rouvrir ce
dossier. Cependant, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour
que toute la production de montagne soit bel et bien valorisée en
montagne.
Notre position est donc claire : nous ne sommes pas favorables aux
dérogations aujourd'hui. Par contre, un problème
économique se pose : je ne vois pas l'intérêt
d'utiliser le décret montagne pour valoriser 3 % de la production.
Cela n'a strictement aucun sens. Au contraire, nous devons utiliser le
décret montagne pour valoriser la majorité de la production de
zone montagne. Notre approche sur ce point est on ne peut plus simple :
nous préconisons donc de constituer un inventaire avant de donner des
dérogations. Lorsque l'inventaire sera fait, nous pourrons en reparler,
mais nous ne devons pas entrer dans un schéma dérogatoire
a
priori.
Les Pyrénées par exemple rencontrent un réel
problème : aucun des producteurs des Pyrénées
atlantiques, classé en zone montagne, ne voit son produit
transformé en zone montagne. Cette transformation a lieu dans la
vallée... Nous devrons donc nous poser de telles questions.
M. Jacques Blanc
- Peut-être la notion de distance
vis-à-vis de la limite de la zone montagne entre-t-elle en compte.
M. Pierre Jarlier
- Il est vrai qu'il existe de réelles
interrogations quant à la localisation de certaines entreprises.
Cependant, nous ne devons pas oublier qu'il est pour le moins difficile de
générer de la valeur ajoutée sur des territoires en grande
difficulté. Peut-être ne devrons-nous pas céder
complètement au lobbying des entreprises si nous voulons laisser une
chance aux territoires que je viens d'évoquer. Sinon, ces derniers
produiront toujours, mais la valeur ajoutée sera
générée ailleurs. Autrement dit, nous devons savoir ce que
nous voulons. Je reconnais que le choix est difficile, mais nous devons pouvoir
laisser une nouvelle chance à ces territoires.
M. Dominique Barrau
- Quoi qu'il en soit, nous devons être
très rigoureux. Nous faisons le choix d'une signalétique
portée par les producteurs, dans la mesure où nous voulons
redonner aux producteurs quelque chose à négocier. Aujourd'hui,
les entreprises disposent du marché, sur lequel les producteurs n'ont
aucune influence et aucune marge de manoeuvre.
M. Jean-Luc Birnal
- Lorsque nous examinons les produits de montagne qui
ont réussi, nous remarquons, et ce de manière
systématique, que la grande majorité des outils
économiques se situent en zone de montagne. Dès qu'une
délocalisation survient, nous nous rendons compte que la valorisation
est réduite à néant. Seule une belle appellation demeure,
ce qui est dommageable.
M. Dominique Barrau
- L'objectif est clair : il faut garder de
l'économie et de la valeur ajoutée dans les zones de montagne.
Dans le même temps, nous devons demeurer très réalistes et
très rigoureux, en particulier au niveau de la signalétique. .
M. Jacques Blanc
- Dans votre signalétique, comptez-vous parler
d'IGP, d'AOC ?...
M. Dominique Barrau
- Nous nous arrêterons, dans un premier temps,
à la certification complémentaire de protection (CCP), qui
représente un des quatre signes officiels de qualité. En outre,
il est l'un des moins exigeants. La CCP nous permettra de mettre en avant deux
éléments différenciateurs des produits concernés.
En montagne, il nous semble que les notions d'herbe, d'environnement et de
bien-être animal représentent des atouts devant être mis en
avant. Parallèlement le département de la Haute-Loire travaille
en relation avec l'Institut national de la recherche agronomique (l'INRA) sur
des recherches consacrées à la caractérisation technique
des produits de montagne.
M. Auguste Cazalet
- Cet audit apportera des preuves que le lait de
montagne contient des éléments différenciateurs.
M. Jacques Blanc -
Pour les animaux finis, une alimentation
complémentaire est nécessaire. Cette alimentation ne vient pas
obligatoirement des zones de montagne. En effet, les protéines
végétales ont différentes provenances. Est-il
envisageable, dans le cadre de cette signalétique, de faire mention des
exigences existant pour l'alimentation des animaux ? Autrement dit,
pouvons-nous mentionner que les aliments donnés aux animaux de montagne
sont garantis non-génétiquement modifiés ?
M. Dominique Barrau
- Tout d'abord, il faut rappeler que la production
d'animaux jeunes représente une excellente voie. Je pense, en
particulier, aux génisses. Quant à la finition des animaux de
réforme valorisés sur une filière spécifique,
l'intérêt est clair : une telle logique peut permettre de
valoriser le troupeau à l'hectare, quel que soit le massif.
Où en sont les travaux par rapport à ce cahier des charges ?
Nous voulons que la législation sur les OGM soit respectée, mais
nous ne voulons pas aller plus loin pour le moment. En effet, nous devons
être très réalistes sur le sujet : dans certaines
zones de montagne, nous éprouvons des difficultés à faire
finir les animaux, car il existe des quotas. Notre discours est clair :
nous avons réussi à obtenir qu'il existe 15 % d'animaux
finis dans les quotas existants, il est possible de valoriser 15 % des
génisses. Comme nous sommes dans le cadre d'une incitation à
l'alourdissement des animaux, nous essayons de ne pas placer trop de
contraintes. Pour les zones laitières, la production à l'hectare
est très organisée. Ce n'est pas le cas partout.
M. Jean-Luc Birnal
- Pour votre question relative au piémont, je
précise que ce sont les agriculteurs de la zone Sud qui sont
laissés pour compte.
Concernant la pluri-activité, la France a adopté une approche
exclusivement fiscale, et non une approche par fonctions. L'exemple autrichien,
quant à lui, repose avant tout sur une approche fonctionnelle, ce qui
donne une plus grande liberté aux agriculteurs de ce pays.
Malheureusement, les agriculteurs français décidant de se tourner
vers de nouvelles activités, le tourisme ou le service par exemple, se
trouvent face à de réelles contraintes ; ils
dépassent le chiffre d'affaires « légal », et
doivent donc changer de statut. Cela engendre des frais colossaux. Ensuite, les
agriculteurs reprenant les exploitations choisissent parfois de ne travailler
que dans le tourisme. En outre, un récent texte relatif aux taux
d'actifs va entraîner la disparition de 100 à 200
exploitations de haute montagne, au mépris de toute règle
d'aménagement du territoire. Seuls les aspects fiscaux sont pris en
compte, ce qui représente un mal bien français. Au lieu de nous
attacher à la dimension fiscale, nous devrions nous attacher à la
fonction.
Quant à la question de la formation des agriculteurs, je pense que ce
sujet dépasse largement la problématique de l'agriculture de
montagne. Si vous me le permettez, je vais prendre un exemple propre à
mon département : il était de coutume de nous inviter, en
fin d'année, pour faire une présentation devant les
élèves ayant achevé leur cycle d'études
secondaires. Nous nous sommes aperçu que les enseignants nous invitant
ignoraient tout des projets agricoles départementaux. Un important
travail doit donc être effectué, afin que les enseignants se
replongent dans le monde agricole. Ils doivent arrêter de ne s'appuyer
que sur des données techniques, qu'ils ont acquises par ailleurs il y a
bien longtemps. Les enseignants doivent connaître le monde agricole.
Concernant la contre-attaque médiatique, nous sommes face à un
problème particulièrement lourd. Vous aviez voté le
principe de la création d'un fonds de communication agricole, dans la
loi d'orientation agricole. Celui-ci nous a été refusé,
dans la mesure où l'on n'a jamais voulu sortir les décrets
permettant l'application de ce texte. Nous essayons de relancer cela
actuellement, et je pense que nous pourrons en parler dans un autre cadre.
M. Dominique Barrau
- Concernant les ICHN, nous demandons de ne pas
revenir en arrière. Par contre, la notion de subsidiarité
permettrait de régler nombre de problèmes. En outre, je tiens
à rappeler que nous percevions les ICHN au printemps et en octobre. Je
crois qu'il y a là matière à accompagner les agriculteurs.
Quant à la position actuelle de George Bush Jr vis-à-vis de la
PAC, nous demandons qu'il existe, de notre côté, une
véritable ambition pour l'agriculture européenne. Surtout, le
budget de celle-ci ne doit pas servir pour l'environnement, le social ou encore
la sécurité alimentaire. L'agriculture doit conserver son propre
budget. Si l'Europe a des ambitions, elle doit définir un projet, des
axes, un budget et les contributions des Etats.
M. Jacques Blanc
- Je tiens à vous remercier pour votre
contribution. Nous avons besoin, sur tous les sujets fondamentaux que nous
avons évoqués, de votre éclairage. Je tiens à dire,
en particulier sur la question des OGM que nous ne devons pas nous laisser
dépasser, ni laisser certains s'accaparer ces sujets.
Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessaire
réflexion vis-à-vis de l'élargissement de l'Union
européenne. La semaine dernière, j'étais en Hongrie, pour
la réunion des régions viticoles d'Europe. Si nous
n'intégrons pas les phénomènes qui se développeront
au moment de l'admission des PECO, ainsi que les phénomènes
euro-méditerranéens, je suis persuadé que nous verrons
condamnée la réussite de l'élargissement de l'Union.
Pourtant, je pense que nous devons intégrer cet élément
dans notre propre réflexion et faire preuve d'anticipation.