14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne, accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de mission (22 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je suis heureux d'accueillir la délégation de la FNSEA, dans le cadre de notre mission sénatoriale d'évaluation de la politique montagne. Certains d'entre nous ont souhaité travailler sur l'ensemble de cette politique. Cela représente un vaste chantier, que nous comptons mener à bien pour le mois d'octobre.

Nous avons trois portes d'entrée sur ce sujet : l'environnement, l'économie et l'aménagement. Nous souhaitons avoir votre éclairage sur l'ensemble de ces chapitres, l'agriculture étant à la fois un élément de l'aménagement du territoire, un élément économique et un élément environnemental. Nous sommes donc très heureux de vous accueillir.

M. Dominique Barrau - Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer sur cette politique de la montagne, qui nous est particulièrement chère. En effet, cette politique a permis aux zones de montagne d'avoir accès au développement, en devenant des espaces attrayants. Nous voulons maintenir ces espaces, certes attrayants, comme des espaces économiques sur lesquels peuvent s'épanouir des populations.

Nous avons reçu vos documents, et nous allons essayer de balayer dans un premier temps les questions que vous nous avez posées. Concernant votre première question, je crois avoir répondu dans mon introduction : l'acte essentiel de l'agriculture de montagne doit s'appuyer sur l'acte de production. Malheureusement, nous avons toujours autant de mal pour trouver des bases nous permettant de rémunérer le travail de l'agriculteur effectué en direction de l'espace. Par conséquent, il nous semble important de rappeler que l'acte de production de biens alimentaires constitue toujours une base. Nous restons bien sur une agriculture de production, que nous considérons toujours comme une source de richesse.

Les agriculteurs de montagne sont-ils les agriculteurs les moins aidés de France ? Je crois que nous ne devons pas situer le débat sur la question du montant des aides. En effet, la politique de montagne a institué, en 1973, la notion de correction de handicap. L'idée était simple : il fallait donner les moyens aux agriculteurs de ces zones de montagne de produire dans les mêmes conditions économiques que les autres zones. Nous restons sur cette idée, mais nous sommes obligés de constater que la réforme de 1992 a affaibli la notion de correction de handicap. Si les différentes compensations ont évolué en valeur absolue, leur valeur réelle s'est bel et bien érodée. Le différentiel entre les zones de montagne et les zones de plaine n'existe plus aujourd'hui. En effet, les politiques verticales sont venues se greffer sur cette politique agricole.

En outre, les agriculteurs des zones de montagne ont eu le souci de plafonner les aides, et de les lier à l'acte de production. Par exemple, l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN) limitée à un hectare entraînait un maintien des productions liées au sol. Le plafond, apporté en complément, a permis de conserver davantage d'agriculteurs. Au-delà des aides, cela représentait une politique volontariste ayant réellement porté ses fruits.

Sur certaines productions, notamment en zones de montagne, de nombreuses initiatives ne sont pas épaulées. Je pense, par exemple, à des démarches qualité ou à des initiatives particulières. Celles-ci s'appuient sur des productions différenciées, et sont aujourd'hui en phase avec le marché. Par conséquent, les agriculteurs de montagne sont-ils les moins aidés ? En fait, nous sommes face à trois cas de figure. Ils sont moins aidés en effet en raison de la réforme de 1992, à laquelle je viens de faire référence. Dans le même temps, ils ont su accepter la politique de plafonnement. Enfin, ils ont réussi à dégager des initiatives en n'ayant pas recours à l'aide aux produits.

Concernant votre troisième question, relative à la réforme de l'ICHN, je souhaite tout d'abord dire que nous n'étions pas favorables à cette réforme. Nous nous sommes battus pour que son impact soit le moins négatif possible au niveau des exploitations. L'augmentation de l'enveloppe a permis de corriger la majorité des effets négatifs. Il reste néanmoins, sur la production ovine et dans les zones les plus difficiles - les zones sèches notamment -, des perdants. En outre, dans l'ancien système, une partie de l'enveloppe pouvait être utilisée avec une certaine souplesse à l'échelon du département. Cette partie de l'enveloppe, représentant 10 % du montant total, permettait de corriger les imperfections. Malheureusement, nous n'avons plus cette possibilité aujourd'hui.

Concernant les petites exploitations, l'ICHN, au-delà d'être plafonnée, mettait en place deux paliers : les 25 premiers hectares sont mieux compensés que les suivants. Aujourd'hui, nous considérons qu'il serait opportun d'augmenter significativement l'ICHN. Notre demande est claire : il faut doubler les 25 premiers hectares. Cela réglerait les problèmes des petites exploitations. Surtout, cela permettrait de mettre un terme à la course au foncier, celle-ci étant bel et bien présente par rapport aux effets de seuil. Cette course est d'autant plus aiguë que nous sommes sur des terres favorables. Nous rencontrons plus ou moins globalement ce problème sur tous les massifs.

Quant au contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est évidemment trop tôt pour faire un bilan quantitatif et qualitatif. Aujourd'hui, nous estimons que le principe du CTE doit en être conservé, dans la mesure où il correspond tout à fait à notre logique. Par contre, nous sommes conscients que le CTE ne permettra pas de régler tous les problèmes. Ainsi, nous devons rester sur une logique de projet et de diagnostic ; pour les problématiques liées aux aides, nous devons passer sur d'autres systèmes, plus pragmatiques. Le CTE demeurera ainsi un outil d'analyse et de diagnostic. Nous pensons donc qu'il ne faut pas supprimer les CTE, d'autant que l'agriculture de montagne se retrouve dans cette logique environnementale. En effet, les impacts de ce type d'agriculture sur l'environnement sont particulièrement faibles. Un problème demeure néanmoins sur la partie économique. En effet, nous sommes au même niveau que l'ensemble du pays, et nous souhaiterions que le CTE en zone de montagne soit déplafonné. Je vous rappelle que tout investissement économique sur un bâtiment en montagne génère automatiquement un surcoût dans la mise en oeuvre. Par ailleurs, je vous rappelle que les bâtiments de zones de montagne sont souvent plus grands qu'en zones de plaine. Par conséquent, nous estimons qu'il serait bon que le CTE en zones de montagne soit déplafonné à un seuil permettant à l'agriculteur d'investir dans des conditions normales.

Pour la production, je crois que nous devons distinguer la production de la viande de la production de lait et de fromages. Pour la viande, il est évident que les consommateurs ont retrouvé un certain goût pour les achats de proximité suite aux crises successives que nous avons connues. Par conséquent, il y a lieu de remettre en activité les abattoirs de proximité, et favoriser la mise en place d'ateliers de découpe. Ces ateliers présentent deux intérêts : ils permettent de dégager de la valeur ajoutée en direct pour l'éleveur, et de valoriser les races spécialisées pour la viande. Il y a là un véritable chantier, qui correspond à une demande des consommateurs et à une problématique sur la spécificité des races à viande. Concernant le lait et les fromages, nous sommes attachés au maintien des quotas laitiers. En effet, en cas de libéralisation, nous savons pertinemment que nous ne serions pas compétitifs. Les zones ayant gardé le plus de trayeurs se verraient éliminées par la concurrence économique. Nous sommes donc favorables au maintien des quotas laitiers. Certainement, il serait opportun d'envisager une gestion différente de ces quotas. Nous rencontrons en effet un réel problème avec la départementalisation. Certains départements remplissent leurs quotas de manière régulière, et certaines AOC sont limitées par les quotas d'exploitation alors qu'elles pourraient vendre davantage. Autrement dit, le marché existe, mais nous sommes limités par cette question des volumes de production. Parallèlement, des départements n'atteignent pas leurs quotas. Nous sommes donc limités par cette gestion départementale ; cela constitue un problème, qui mériterait d'être étudié.

Concernant l'utilisation du décret montagne, nous souhaiterions faire une proposition concrète. Nous voulons mettre en place, autour de ce décret, une différenciation de la production qui serait reconnaissable par une signalétique particulière et vérifiable par un cahier des charges. Il faut tout d'abord mettre en place une signalétique commune, puisque le décret Montagne ne prévoit pas l'utilisation du logo Montagne existant. Par conséquent, l'ensemble des productions sont d'accord pour se ranger derrière une signalétique commune. Il est tout à fait possible, ensuite, de décliner cette signalétique par produits. Nous allons proposer cette initiative au Ministère de l'Agriculture, afin qu'il nous autorise à mettre en place cette signalétique, qu'il en fixe les conditions et détermine la structure qui doit la porter. Cette structure pourrait établir un cahier des charges d'utilisation du logo Montagne, et le mettrait à disposition des différentes interprofessions.

Cela représente, à nos yeux, l'axe fédérateur de la reprise en main de l'acte de production par les agriculteurs de montagne. Depuis de trop nombreuses années, nous sommes trop axés sur la question de l'aide financière ; nous souhaitons donc désormais mettre à nouveau l'accent sur le produit. Nous avons maintenant l'aval de toutes les productions. J'ai eu l'occasion d'évoquer ce sujet lors des Assises du regroupement, la semaine dernière : d'autres pays de l'Union européenne sont séduits par cette idée, même s'ils ne disposent pas des mêmes conditions de faisabilité que nous. Quoi qu'il en soit, je crois que cela représente un axe profond de recherche, comprenant plusieurs étapes. Tout d'abord, nous devons mettre en place une signalétique commune, avant de constituer un cahier des charges correspondant à la réalité de la montagne.

Ces questions ont été discutées, pour le lait, dans le cadre des organisations interprofessionnelles laitières. Certaines productions, disposant déjà d'un label qualité, se demandaient si de telles initiatives n'allaient pas perturber les démarches existantes. Cela dit, nous nous sommes entendus pour que de telles situations ne se produisent pas.

Concernant le statut de l'agriculteur dans les zones de montagne, nous devons dire que nous rencontrons quelques problèmes. Quant au pastoralisme, nous n'avons pas beaucoup travaillé sur cette question. Cependant, nous n'avons aucun a priori sur ce point.

M. Jean-Luc Birnal - Concernant les expériences des agricultures de montagne, je réalise, en particulier par rapport à d'autres pays européens comme l'Autriche, combien l'étroitesse du statut de l'agriculteur est un frein à une politique de montagne dynamique en termes de création de richesse et de captation de fonds. Si nous regardons les blocages que nous connaissons sur le tourisme rural, les difficultés d'avancement de la question des produits fermiers, nous prenons conscience du travail qu'il reste à faire sur cette question du statut. Certes, cela ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne, mais nous sommes confrontés au premier chef à cette question.

A mon sens, tout cela entraîne un réel manque de développement. Souvent, nous sommes bloqués vis-à-vis de l'extension des surfaces ; les gains de productivité doivent donc être effectués à travers la recherche de débouchés nouveaux et de services novateurs. Malheureusement, nous éprouvons des difficultés pour faire cela, compte tenu du statut actuel.

Concernant le plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), nous sommes également en première ligne. A la FNSEA, nous avons la perception suivante : on nous demande de ne pas polluer. Hormis quelques rares exceptions, très limitées territorialement, l'agriculture de montagne n'altère pas le milieu par ses pratiques. Logiquement, il nous semble stupide d'appliquer le même programme pour l'agriculture de montagne que pour l'agriculture de plaine, celle-ci devant de toute évidence faire un effort curatif. Nous voulons travailler très rapidement sur ce dossier, pour que le programme de mise aux normes des exploitations concernées permette certes d'éviter des accidents écologiques graves, mais non pas de mettre en place un système visant à avoir un effet curatif sur la pollution ; celle-ci n'existe pas en zone de montagne. Par conséquent, une telle logique serait complètement fausse, car non adaptée à l'agriculture de montagne. Si nous parvenions à avancer sur ce point, nous retrouverions une certaine équité avec l'agriculture de plaine. Pour le moment, l'agriculture de montagne est très défavorisée sur ce point. Cependant, si nous reprenons le PMPOA, en le modifiant, je pense que nous pourrons retrouver un certain équilibre financier.

Concernant l'attribution des aides ICHN, je crois que nous devrions rectifier rapidement quelques distorsions, notamment sur les fruits. Les producteurs de pommes, de poires et de pêches qui sont en zones dites sèches peuvent en bénéficier, alors que les producteurs en zones humides n'en profitent pas du tout. J'insiste sur ce point, dans la mesure où cela ne représenterait pas un effort budgétaire colossal ; pourtant il permettrait de rétablir une certaine équité entre les agriculteurs des zones sèches et ceux des zones humides.

Quant au surcoût dans les zones de montagne, je voudrais développer la question des zones de montagne dites touristiques. Cela concerne tout ou partie des massifs et, lorsque nous imposons des contraintes d'intégration paysagère ou de concept de bâtiment, le coût des bâtiments construits est sensiblement augmenté. Certes, les bâtiments construits sont jolis, mais de telles mesures créent une discrimination totale par rapport aux zones de plaine. Ces surcoûts n'ont rien à voir avec l'agriculture ; par conséquent, ils ne doivent pas être pris en charge par des fonds destinés à l'agriculture. Si l'on estime que de tels investissements sont réalisés dans une optique touristique, il faut se tourner vers le tourisme ; si l'on estime qu'il est bon d'avoir des bâtiments d'élevage conformes aux traditions de construction, il faut se tourner vers la culture. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas continuer à faire peser de tels surcoûts sur l'agriculture.

Quant au piémont, nous remarquons un comportement discriminatoire vis-à-vis des producteurs de lait. En fait, une différenciation a été créée entre un piémont dit laitier et un piémont « normal », où l'agriculture est beaucoup plus partagée. Au total, tous les agriculteurs installés sur une zone de piémont laitier - toutes les montagnes au nord des deux Savoie - ont droit à des compensations de handicap, selon certains critères. Malheureusement, un producteur de lait, ayant le même cheptel mais étant en dehors de cette zone, ne bénéficie d'aucune aide de ce type. Evidemment, nous estimons que cette situation n'est pas normale.

Par conséquent, nous avons identifié de nombreuses petites améliorations pouvant être apportées relativement rapidement. Elles sont par ailleurs peu conséquentes d'un point de vue budgétaire.

Nous avons répondu à la question relative au foncier ; en revanche, nous n'avons pas parlé des problèmes relatifs à l'aménagement. Cette question est pour le moins complexe dans les zones de montagne : certains territoires se trouvent dans des situations de désertification avancée ; d'autres en revanche, courent le risque d'être asphyxiés par excès de « bétonnage ». Prenons l'exemple des Causses et des Alpes du Nord, qui constituent deux cas extrêmes : les Causses se vident, et l'économie disparaît peu à peu. Je sais qu'une telle situation ravit nombre d'écologistes, qui y voient la recréation d'une zone naturelle. Nous pensons quant à nous que l'écologie sans hommes est inutile. Quant aux Alpes du Nord, nous remarquons une forte pression urbaine, notamment sur les surfaces mécanisables. Au total, nous ne parvenons pas à entretenir les terrains pentus qui se boisent peu à peu. Cette région court ainsi le risque de perdre son identité touristique, et, finalement, d'être dotée de handicaps économiques particulièrement préoccupants pour l'avenir.

Nous en reparlerons peut-être plus longuement au cours de la discussion, mais je tiens à évoquer rapidement la question des commissaires de massif. A mon avis, ils ne servent pas à grand-chose actuellement. Pourtant, ils pourraient être très utiles s'ils faisaient un travail constructif. Notamment, ils doivent nous permettre de mieux préparer les projets, en relation avec le deuxième pilier de la PAC.

M. Jean-Paul Amoudry - Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour cet exposé. Je vous propose maintenant de passer à un échange de questions et de réponses.

Vous avez évoqué une ligne passant au nord des deux Savoie. Je n'ai pas compris quels agriculteurs bénéficiaient d'aides. Quant à la pluri-activité, vous avez évoqué les freins résultant du statut de l'agriculteur. A ce titre, vous avez rapidement parlé de l'exemple autrichien. Selon vous, la réponse passe-t-elle par le statut de la poly-activité. Au contraire, avez-vous une autre vision du métier de l'agriculteur ?

Monsieur Barrau, vous avez parlé de l'accompagnement du décret Montagne, avec une signalétique d'une part, et un cahier des charges d'autre part. Selon vous, quelle est la compatibilité entre ce cahier des charges, qui reste à construire, et celui en vigueur pour les AOC et les IGP (Indications Géographiques Protégées)? Comment ces dispositifs peuvent-ils cohabiter ?

M. Jacques Blanc - Concernant la valeur ajoutée en montagne, le décret fait état d'une exigence d'abattage et de transformation sur place. Nous nous demandions si les dérogations permettant de contourner cette obligation étaient nombreuses. Si nous voulons à la fois éviter les phénomènes de triche et répondre au besoin d'apporter cette valeur ajoutée afin de maintenir la vie en montagne, il est évident que le problème des abattoirs et des ateliers de découpe est fondamental. Par ailleurs, nous pouvons désormais apporter des sécurités supplémentaires pour tout ce qui concerne l'alimentation des animaux. Nous avons tous été frappés par le problème de la vache folle. Demain, à tort ou à raison, la question des OGM se posera de toute évidence, et des phénomènes d'angoisse collective pourraient se développer par rapport à des animaux en ayant consommé. Cela dit, il est possible d'apporter ces sécurités pour les animaux de montagne. Ceux-ci sont en effet nourris pour l'essentiel sur des pâturages, mais l'alimentation doit néanmoins être complétée. Je me demande s'il est possible d'avoir une approche spécifique à la montagne, par rapport à l'alimentation du bétail, qui serait garantie comme non génétiquement modifiée. Cela commence à être un problème pour la viande, et ce le sera demain par rapport au lait et aux fromages.

Soyons très clairs : je ne suis pas du tout un partisan de José Bové, et je soutiens les recherches génétiques. Dans ma région, nous soutenons la recherche génétique, tant dans les domaines médical que végétal. Par contre, nous avons lancé une action pour apporter une sécurité au niveau des produits venant de la région Languedoc-Roussillon.

Concernant les droits à produire, vous avez dit que vous étiez favorable au maintien des quotas, sous réserve qu'il y ait autorisation de droits à produire dans les zones de montagne. Quand la taxe de coresponsabilité est apparue, j'avais fait en sorte pour qu'elle ne s'applique pas en montagne. Lorsque nous sommes passés de la taxe de coresponsabilité aux quotas, aucune différenciation n'a été faite. Or les quantités de lait produites par animal ou pour hectare dans les zones de montagne sont sans aucune mesure avec celles produites en zones de plaine. Ainsi, comment pouvons-nous trouver des solutions ?

M. Jean Boyer - Plusieurs questions me viennent à l'esprit. Dans le cadre de la détermination de l'entité montagne, quelles références utiliseriez-vous ? Prendriez-vous les territoires aujourd'hui concernés par l'ICHN ?

Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, nous savons tous que trois financeurs entrent en jeu : les collectivités, l'Agence de l'eau et l'agriculture elle-même. Ne pensez-vous pas que nous devrions laisser une liberté d'initiative ? En effet, nous avons cloisonné les hommes, ce qui est dommageable.

Vous avez évoqué la filière viande. L'ESB n'a-t-elle pas attiré notre attention sur la nécessité de réorganiser et de maîtriser cette filière ? Par ailleurs, avons-nous des moyens de contre-attaque sur la « démagogie médiatique » ? En effet, vous savez comme moi que la filière viande a été cassée en quelques jours. Malheureusement, nous restons silencieux, et nous n'apportons pas de réponses.

Concernant l'éventuelle libéralisation du prix du lait, il est évident que les zones de montagne seraient encore plus pénalisées, dans la mesure où les volumes de production sont réduits. Cette situation pourrait être évitée si une identité montagne existait.

Plus que personne, vous savez que l'agriculture a évolué considérablement en quelques décennies. Je suis persuadé que nous avons besoin de professeurs adaptés à l'évolution de l'agriculture de demain.

Dans le cadre de la PAC, l'Allemagne traîne les pieds. Avez-vous des inquiétudes fondées sur ce sujet ? Que pensez-vous des menaces de George Bush Jr vis-à-vis du soutien à l'agriculture américaine dans le cadre de la comparaison avec l'agriculture européenne.

M. Auguste Cazalet - J'ai cru comprendre que vous voyiez quelques injustices à propos de l'ICHN. Comment pouvons-nous régler ce problème ? Je crois qu'il aurait fallu faire un inventaire de toutes les exploitations, mais on nous a rétorqué que cela n'était pas possible. Je pose cette question depuis des années, et je souhaiterais savoir si vous avez une réponse sur ce point.

M. Pierre Jarlier - Vous avez parlé de la mise en place de signalétiques communes, de cahiers des charges... Aujourd'hui, nous savons qu'il existe une forte attente de la part des acteurs du secteur économique de montagne, qui souhaitent retrouver la valeur ajoutée de leurs produits, avec leurs acteurs locaux. Je pense que vous comprenez parfaitement de quoi je parle : par exemple, la notion de jambon d'Auvergne ne veut rien dire ; souvent ce jambon est fabriqué dans d'autres régions, à partir d'animaux qui ne sont pas élevés en Auvergne. Ma question est donc très simple : comment pouvons-nous maîtriser la production, la transformation et la commercialisation sur un secteur de montagne ? Comment éviter les dérogations qui ne manqueront pas d'être demandées ? En effet, nous savons tous que nous sommes dans le cadre d'une réelle mutation, qui ne manquera pas de poser un certain nombre de problèmes. Je crois que nous aurons besoin d'un énorme courage politique pour traiter cette question, et je souhaite savoir comment ce courage se déploiera sur le terrain. En outre, que pouvons-nous faire pour nous assurer que la production en montagne pourra susciter sa valeur ajoutée dans le pays de production, avec ce fameux label ?

Je souhaite aborder également la question de l'évolution de la problématique laitière. Nous avons des inquiétudes sur cette politique laitière : nous savons tous que les quotas ont sauvé la filière laitière en montagne. Grâce à la mise en place de ces quotas, nous avons vu une réelle valorisation survenir, dans le Jura par exemple. Quoi qu'il en soit, l'inquiétude est forte. Si, demain, nous connaissions une libéralisation du lait, il est évident que nous assisterions à une disparition rapide des agriculteurs de montagne, qui ne pourraient pas lutter. Comment, dans les nouveaux dispositifs envisagés, est-il possible de réorganiser la politique de prix dans la filière laitière ?

M. Dominique Barrau - Notre position demeure inchangée : nous voulons garder la maîtrise de la production et des produits dans les zones de montagne. Nous restons sur cette position, et nous ne nous lançons pas dans des recherches de solutions à horizon 2005 ou 2006. En 1999, nous étions face aux mêmes questions : comment faut-il envisager l'évolution du système des quotas laitiers ? Notre obstination et notre persévérance ont permis que nous restions sur un schéma de maîtrise de ces quotas. De toute façon, je ne vois pas comment nous pouvons envisager une libéralisation de la production laitière, notamment dans un cadre européen.

Il reste une piste, d'ordre réglementaire, à travers les accords de Berlin. Il existe en effet la possibilité d'accompagner les zones de montagne, selon le schéma d'accompagnement appliqué aux pays de l'Est entrant dans la Communauté. En outre, il est possible de passer d'une gestion des quotas départementale à une gestion régionale. Je pense qu'une telle logique peut donner des bouffées d'oxygène à certaines zones de montagne qui, régionalement parlant, contiennent des zones de plaine. Je crois que les pouvoirs publics doivent entrer dans un tel schéma. En effet, si l'administration ne le fait pas, il est évident que les entreprises prendront le relais. Rapidement, celles-ci préféreront aller s'installer en plaine.

Pour conserver la production en montagne, il est également possible de mettre en place un différentiel de produits. Je suis persuadé que cette logique peut fonctionner, en particulier dans un cadre interprofessionnel. Nous le voyons parfaitement avec l'exemple du Roquefort.

Concernant le décret montagne, nous avons lancé un chantier le 15 septembre 2001. Ce chantier n'est évidemment pas achevé, et nous ne maîtrisons pas encore tous les éléments d'information. Nous voulons créer une signalétique, celle-ci étant portée par une structure large, et disposant d'un cahier des charges. Autrement dit, nous voulons adopter une démarche volontariste, mais qui ne soit pas verrouillée. En outre, pour que le consommateur ne soit pas trompé, nous devons construire un cahier des charges susceptible d'évoluer dans le temps. En effet, il est évident que les niveaux d'exigence des consommateurs peuvent également évoluer.

Quant aux dérogations, je pense que nous devons nous appuyer sur les zones de montagne actuelles. Je ne pense pas qu'il soit opportun de rouvrir ce dossier. Cependant, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour que toute la production de montagne soit bel et bien valorisée en montagne.

Notre position est donc claire : nous ne sommes pas favorables aux dérogations aujourd'hui. Par contre, un problème économique se pose : je ne vois pas l'intérêt d'utiliser le décret montagne pour valoriser 3 % de la production. Cela n'a strictement aucun sens. Au contraire, nous devons utiliser le décret montagne pour valoriser la majorité de la production de zone montagne. Notre approche sur ce point est on ne peut plus simple : nous préconisons donc de constituer un inventaire avant de donner des dérogations. Lorsque l'inventaire sera fait, nous pourrons en reparler, mais nous ne devons pas entrer dans un schéma dérogatoire a priori.

Les Pyrénées par exemple rencontrent un réel problème : aucun des producteurs des Pyrénées atlantiques, classé en zone montagne, ne voit son produit transformé en zone montagne. Cette transformation a lieu dans la vallée... Nous devrons donc nous poser de telles questions.

M. Jacques Blanc - Peut-être la notion de distance vis-à-vis de la limite de la zone montagne entre-t-elle en compte.

M. Pierre Jarlier - Il est vrai qu'il existe de réelles interrogations quant à la localisation de certaines entreprises. Cependant, nous ne devons pas oublier qu'il est pour le moins difficile de générer de la valeur ajoutée sur des territoires en grande difficulté. Peut-être ne devrons-nous pas céder complètement au lobbying des entreprises si nous voulons laisser une chance aux territoires que je viens d'évoquer. Sinon, ces derniers produiront toujours, mais la valeur ajoutée sera générée ailleurs. Autrement dit, nous devons savoir ce que nous voulons. Je reconnais que le choix est difficile, mais nous devons pouvoir laisser une nouvelle chance à ces territoires.

M. Dominique Barrau - Quoi qu'il en soit, nous devons être très rigoureux. Nous faisons le choix d'une signalétique portée par les producteurs, dans la mesure où nous voulons redonner aux producteurs quelque chose à négocier. Aujourd'hui, les entreprises disposent du marché, sur lequel les producteurs n'ont aucune influence et aucune marge de manoeuvre.

M. Jean-Luc Birnal - Lorsque nous examinons les produits de montagne qui ont réussi, nous remarquons, et ce de manière systématique, que la grande majorité des outils économiques se situent en zone de montagne. Dès qu'une délocalisation survient, nous nous rendons compte que la valorisation est réduite à néant. Seule une belle appellation demeure, ce qui est dommageable.

M. Dominique Barrau - L'objectif est clair : il faut garder de l'économie et de la valeur ajoutée dans les zones de montagne. Dans le même temps, nous devons demeurer très réalistes et très rigoureux, en particulier au niveau de la signalétique. .

M. Jacques Blanc - Dans votre signalétique, comptez-vous parler d'IGP, d'AOC ?...

M. Dominique Barrau - Nous nous arrêterons, dans un premier temps, à la certification complémentaire de protection (CCP), qui représente un des quatre signes officiels de qualité. En outre, il est l'un des moins exigeants. La CCP nous permettra de mettre en avant deux éléments différenciateurs des produits concernés. En montagne, il nous semble que les notions d'herbe, d'environnement et de bien-être animal représentent des atouts devant être mis en avant. Parallèlement le département de la Haute-Loire travaille en relation avec l'Institut national de la recherche agronomique (l'INRA) sur des recherches consacrées à la caractérisation technique des produits de montagne.

M. Auguste Cazalet - Cet audit apportera des preuves que le lait de montagne contient des éléments différenciateurs.

M. Jacques Blanc - Pour les animaux finis, une alimentation complémentaire est nécessaire. Cette alimentation ne vient pas obligatoirement des zones de montagne. En effet, les protéines végétales ont différentes provenances. Est-il envisageable, dans le cadre de cette signalétique, de faire mention des exigences existant pour l'alimentation des animaux ? Autrement dit, pouvons-nous mentionner que les aliments donnés aux animaux de montagne sont garantis non-génétiquement modifiés ?

M. Dominique Barrau - Tout d'abord, il faut rappeler que la production d'animaux jeunes représente une excellente voie. Je pense, en particulier, aux génisses. Quant à la finition des animaux de réforme valorisés sur une filière spécifique, l'intérêt est clair : une telle logique peut permettre de valoriser le troupeau à l'hectare, quel que soit le massif.

Où en sont les travaux par rapport à ce cahier des charges ? Nous voulons que la législation sur les OGM soit respectée, mais nous ne voulons pas aller plus loin pour le moment. En effet, nous devons être très réalistes sur le sujet : dans certaines zones de montagne, nous éprouvons des difficultés à faire finir les animaux, car il existe des quotas. Notre discours est clair : nous avons réussi à obtenir qu'il existe 15 % d'animaux finis dans les quotas existants, il est possible de valoriser 15 % des génisses. Comme nous sommes dans le cadre d'une incitation à l'alourdissement des animaux, nous essayons de ne pas placer trop de contraintes. Pour les zones laitières, la production à l'hectare est très organisée. Ce n'est pas le cas partout.

M. Jean-Luc Birnal - Pour votre question relative au piémont, je précise que ce sont les agriculteurs de la zone Sud qui sont laissés pour compte.

Concernant la pluri-activité, la France a adopté une approche exclusivement fiscale, et non une approche par fonctions. L'exemple autrichien, quant à lui, repose avant tout sur une approche fonctionnelle, ce qui donne une plus grande liberté aux agriculteurs de ce pays. Malheureusement, les agriculteurs français décidant de se tourner vers de nouvelles activités, le tourisme ou le service par exemple, se trouvent face à de réelles contraintes ; ils dépassent le chiffre d'affaires « légal », et doivent donc changer de statut. Cela engendre des frais colossaux. Ensuite, les agriculteurs reprenant les exploitations choisissent parfois de ne travailler que dans le tourisme. En outre, un récent texte relatif aux taux d'actifs va entraîner la disparition de 100 à 200 exploitations de haute montagne, au mépris de toute règle d'aménagement du territoire. Seuls les aspects fiscaux sont pris en compte, ce qui représente un mal bien français. Au lieu de nous attacher à la dimension fiscale, nous devrions nous attacher à la fonction.

Quant à la question de la formation des agriculteurs, je pense que ce sujet dépasse largement la problématique de l'agriculture de montagne. Si vous me le permettez, je vais prendre un exemple propre à mon département : il était de coutume de nous inviter, en fin d'année, pour faire une présentation devant les élèves ayant achevé leur cycle d'études secondaires. Nous nous sommes aperçu que les enseignants nous invitant ignoraient tout des projets agricoles départementaux. Un important travail doit donc être effectué, afin que les enseignants se replongent dans le monde agricole. Ils doivent arrêter de ne s'appuyer que sur des données techniques, qu'ils ont acquises par ailleurs il y a bien longtemps. Les enseignants doivent connaître le monde agricole.

Concernant la contre-attaque médiatique, nous sommes face à un problème particulièrement lourd. Vous aviez voté le principe de la création d'un fonds de communication agricole, dans la loi d'orientation agricole. Celui-ci nous a été refusé, dans la mesure où l'on n'a jamais voulu sortir les décrets permettant l'application de ce texte. Nous essayons de relancer cela actuellement, et je pense que nous pourrons en parler dans un autre cadre.

M. Dominique Barrau - Concernant les ICHN, nous demandons de ne pas revenir en arrière. Par contre, la notion de subsidiarité permettrait de régler nombre de problèmes. En outre, je tiens à rappeler que nous percevions les ICHN au printemps et en octobre. Je crois qu'il y a là matière à accompagner les agriculteurs.

Quant à la position actuelle de George Bush Jr vis-à-vis de la PAC, nous demandons qu'il existe, de notre côté, une véritable ambition pour l'agriculture européenne. Surtout, le budget de celle-ci ne doit pas servir pour l'environnement, le social ou encore la sécurité alimentaire. L'agriculture doit conserver son propre budget. Si l'Europe a des ambitions, elle doit définir un projet, des axes, un budget et les contributions des Etats.

M. Jacques Blanc - Je tiens à vous remercier pour votre contribution. Nous avons besoin, sur tous les sujets fondamentaux que nous avons évoqués, de votre éclairage. Je tiens à dire, en particulier sur la question des OGM que nous ne devons pas nous laisser dépasser, ni laisser certains s'accaparer ces sujets.

Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessaire réflexion vis-à-vis de l'élargissement de l'Union européenne. La semaine dernière, j'étais en Hongrie, pour la réunion des régions viticoles d'Europe. Si nous n'intégrons pas les phénomènes qui se développeront au moment de l'admission des PECO, ainsi que les phénomènes euro-méditerranéens, je suis persuadé que nous verrons condamnée la réussite de l'élargissement de l'Union. Pourtant, je pense que nous devons intégrer cet élément dans notre propre réflexion et faire preuve d'anticipation.

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