13. Audition de MM. Claude Falip, responsable du dossier de la montagne des « Jeunes Agriculteurs », Michel Lacoste et Yannick Fialip (22 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au
Sénat, et je vous remercie d'avoir fait le déplacement pour un
échange de vues et d'informations qui nous seront précieuses dans
le cadre de la mission sénatoriale d'information sur la politique de la
montagne. Je vous prie d'excuser le Président Jacques Blanc, qui nous
rejoindra dans quelques minutes. Je souhaite vous présenter deux membres
de notre Mission, Monsieur Cazalet, sénateur des Pyrénées
Atlantiques, et Monsieur EMIN, sénateur de l'Ain.
M. Claude Falip
- Je vous remercie de nous accueillir au Sénat,
pour étudier cette problématique de la montagne. Je suis
responsable du dossier Montagne pour le CNJA. Je vis dans l'Aveyron, j'ai
35 ans, et je travaille sur une exploitation de 50 hectares, en
collaboration avec deux associés. J'appartiens au CNJA, devenu
« Jeunes Agriculteurs » depuis 1996. Depuis quatre ans, je
suis responsable du dossier Montagne ; j'ai connu plusieurs crises, en
particulier sur la problématique des Indemnités compensatoires de
handicaps naturels (ICHN).
M. Michel Lacoste
- Je m'appelle Michel Lacoste, et je suis agriculteur
dans le Cantal.
M. Yannick Fialip
- Je m'appelle Yannick Fialip, je suis agriculteur en
Haute-Loire. Je suis administrateur au CNJA depuis deux ans. J'ai une
exploitation agricole, en Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC)
avec mon père, dans les domaines des productions laitière et
ovine.
M. Claude Falip
- Vous nous avez transmis une grille de questions.
Concernant la première question qui nous a été
posée, relative au profil de l'agriculture de montagne de demain, je
pense que nous devons parler des volumes de production en montagne. Je pense
que l'agriculture de montagne, au travers de la gestion du territoire, doit
avoir cet acte de production. Les agriculteurs de montagne sont des acteurs
économiques, et doivent conserver cet acte de production, pour avoir une
dimension économique tant au niveau des exploitations que des outils de
transformation.
Je crois que nous devons travailler sur la valorisation de la production. Nous
devons en effet trouver des solutions pour adapter les exploitations et les
industries agroalimentaires par rapport au relief et à la distance.
M. Michel Lacoste
- Nous remarquons que l'installation en zone de
montagne résiste mieux qu'ailleurs face à la baisse
générale du nombre d'installations. La situation n'est pas
parfaite, dans la mesure où le nombre d'exploitations diminue en
montagne. Cependant, nous observons un meilleur taux de réussite du
renouvellement des générations dans les zones de montagne.
Concernant le système actuel, il est vrai que de nombreuses personnes le
contestent. Quant à nous, nous sommes attachés au maintien des
niveaux de formation et de fiabilité, nous permettant de vérifier
le niveau de compétences des jeunes qui s'installent, ainsi que leurs
dossiers. De tels choix portent en effet sur de nombreuses années et
supposent des investissements lourds. Par conséquent, les jeunes doivent
s'installer dans des conditions viables, avec un niveau de formation suffisant.
Nous estimons en revanche que des améliorations pourraient être
apportées sur les dispositifs d'accompagnement, en particulier pour les
prêts bonifiés. En outre, nous pensons que ces
améliorations doivent concerner les mesures de transmission.
Plus que l'accompagnement du jeune, nous croyons qu'il faut orienter les moyens
de production qui sont libérés par des agriculteurs n'ayant pas
de successeurs vers les jeunes. Peut-être faudrait-il mettre en place une
agriculture spécifique pour la zone de montagne. En effet, le
métier de l'agriculture en zone de montagne est plus dangereux
qu'ailleurs, et plus exigeant d'un point de vue physique. Par rapport à
cela, nous pourrions justifier des mesures spécifiques pour accompagner
les agriculteurs des zones de montagne partant en retraite, et lier ces mesures
au fait que ces agriculteurs cèdent leur exploitation à un jeune.
Concernant les démarches de filière, nous remarquons que
l'agriculture se libéralise de manière de plus en plus forte. Les
organisations communes de marché sont de plus en plus affaiblies. Nous
souhaiterions donc que l'agriculture puisse vivre par son adaptation au
marché. A ce titre, nous pensons que l'agriculture de montagne peut
faire valoir de nombreux atouts, par les démarches qualité
qu'elle peut mettre en avant. L'air, le territoire de la montagne,
l'environnement et les races et les produits spécifiques en font bien
évidemment partie. Certaines productions ont déjà
été développées sous le signe de la qualité,
les AOC et les labels rouges notamment. La démarche biologique se
développe également, tout comme l'appellation Montagne. Celle-ci
a été actée le 15 décembre 2000, et se met en place
petit à petit. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas en donner les premiers
résultats, mais cette démarche est très avancée
concernant le porc de montagne. Celui-ci apporte une réelle plus-value,
mais les volumes demeurent faibles. Une réflexion est par ailleurs en
cours sur le lait et la viande bovine. Par contre, si nous voulons aller plus
loin, il est évident que l'agriculture de montagne a besoin
d'accompagnement, notamment sur le volet de la modernisation des exploitations.
En effet, il existe certes les ICHN, qui ont connu un relèvement cette
année. Par contre, nous connaissons des problèmes au niveau de la
modernisation des exploitations et, d'une manière
générale, sur l'accompagnement des filières. Nous
connaissons des problèmes de coût de collecte en montagne,
notamment dans la filière laitière. Il existe des surcoûts,
par rapport à d'autres zones, qui ne sont pas pris en compte notamment
au niveau des investissements économiques de la filière. Par
ailleurs, la confection de produits de qualité suppose des ateliers de
moindre capacité. Logiquement, nous ne pourrons donc pas réaliser
des économies d'échelle, et nous avons enfin tout
intérêt à accompagner l'investissement de petites PME dans
les zones de montagne ; cela permettra de développer de la valeur
ajoutée au niveau des petites exploitations, maintenir celles-ci et, de
manière générale, maintenir de l'emploi dans les zones de
montagne. Tel est notre objectif principal.
On parle beaucoup du deuxième pilier de la PAC ; je pense que
celui-ci pourrait prendre en compte des mesures d'accompagnement de la
démarche qualité, ou encore des mesures d'investissement.
Aujourd'hui, nous ne savons pas quels sont nos interlocuteurs au niveau
communautaire. Nous aimerions connaître ces personnes pour savoir comment
nous pouvons construire des mesures d'aide à l'investissement, pour les
exploitations agricoles et pour la filière dans les zones de montagne.
L'année 2002 est l'année internationale de la montagne. Nous
avons prévu plusieurs actions pour mettre en avant notre agriculture. En
outre, nous estimons que cet événement peut constituer une bonne
occasion pour réfléchir, au niveau européen, à la
manière dont nous pouvons trouver des mesures d'aide à
l'investissement pour accompagner toutes les démarches de
qualité. Aujourd'hui, l'une de nos principales problématiques
réside dans notre volonté de bien cerner nos interlocuteurs au
niveau européen. Nous estimons que la zone de montagne pourrait
éventuellement être le laboratoire de la France pour
l'émargement sur le deuxième pilier de la PAC. Nous attendons
beaucoup de vous à ce titre.
M. Claude Falip
- Ce laboratoire, que vient d'évoquer Monsieur
Lacoste, revient à la conception qui prévalait dans les
années 70 pour la politique de montagne. Jusqu'à présent,
nous n'avons pas su faire preuve d'anticipation. Aujourd'hui, si nous voulons
que des jeunes restent sur les exploitations, si nous comptons conserver les
PME, nous devrons passer par le niveau européen. Nous devons donc savoir
quels sont nos interlocuteurs au niveau communautaire. Nous sommes aujourd'hui
tournés vers l'Europe ; ceci dit, nous devons conserver nos
territoires.
Comment voyons-nous le dispositif global d'aide à l'agriculture
aujourd'hui ? Dans les zones de montagne, les exploitations sont
dotées de faibles surfaces. Lorsque nous parlons de primes à
l'hectare, nous ne sommes que très rarement gagnants. Par ailleurs, le
système de valorisation de l'herbe est insignifiant par rapport aux
primes versées pour les céréales. L'herbe est quand
même une partie importante de l'économie des zones de montagne.
Ainsi, la montagne ne doit pas se passer de l'élevage, celui-ci
permettant l'entretien de la nature et la valorisation des produits. Il faut
donc trouver les outils pour répondre à cette
problématique, rendue difficile en raison du relief des zones de
montagne.
M. Yannick Fialip
- Je souhaite tout d'abord saluer Monsieur Boyer,
sénateur de la Haute-Loire, avec qui nous avons souvent l'occasion
d'aborder la question des problèmes agricoles des zones de montagne.
A mes yeux, les ICHN représentent une question fondamentale. Elles sont
à la base de la politique de montagne, et existent depuis 1972. Cette
aide a permis à bon nombre d'exploitations de rester dans des zones de
montagne, et est basée sur le triptyque hommes - produits - territoires.
Ces mesures demeurent une excellente chose, essentiellement en termes
d'implantation. Si nous devons réformer la PAC dans les années
à venir, je pense que nous devrons nous attacher à revenir sur
l'exemple de l'ICHN.
Cette ICHN a été réformée l'année
dernière, ce qui n'a pas été sans poser quelques
problèmes d'adaptation. Nous sommes passés de l'unité de
gestion de programme (UGP) à l'hectare, avec des conditions de
chargement, ce qui était nouveau. Certains agriculteurs ont
été exclus de ce dispositif, et nous avons besoin de votre aide
pour essayer de récupérer ces agriculteurs ; ils sont dans
une zone de montagne, et ne doivent pas être exclus au motif que leur
chargement est trop élevé.
En raison de la réforme que nous avons connue en 1999, avec les accords
de Berlin, nous avons bénéficié d'un financement
supplémentaire de la part de la Commission européenne. Nous
sommes passés de 381 millions à 457 millions d'euros.
Malheureusement, l'Etat français n'a pas voulu utiliser toute cette
somme, ce qui est très dommageable. Avec ces réserves de
trésorerie, nous aurions pu régler le cas de bon nombre
d'exploitations qui ont été exclues de l'ICHN. Je crois que nous
devrons nous attacher à changer cette situation et, peut-être,
revaloriser cette ICHN, notamment sur les petites exploitations.
Nous avions été habitués à percevoir la
totalité de l'ICHN à la fin du printemps. Aujourd'hui, en raison
d'un règlement européen, le versement est reporté au 16
octobre, ce qui ne va pas sans poser des problèmes de trésorerie
pour nombre d'exploitations. Il existe un co-financement français, et je
crois que la France pourrait avancer une partie de l'acompte.
M. Michel Lacoste
- Les exploitations étaient habituées
à recevoir les ICHN à la fin du printemps. Les remboursements
étaient prévus à la même période.
Aujourd'hui, il existe une forte attente sur le terrain, car les agriculteurs
sont très préoccupés par cette situation. Les acomptes
sont remis en cause, alors que, dans le même temps, des efforts ont
été faits pour les producteurs de céréales. Une
mesure équivalente serait la bienvenue aujourd'hui pour les agriculteurs
de montagne. Je pense que cela représente un point sur lequel les
agriculteurs sont véritablement dans l'attente, même s'il ne
représente pas une question structurante pour l'avenir.
M. Yannick Fialip
- Nous sommes attachés aux ICHN, mais les
volumes de production représentent une question plus importante. Nous
nous sommes longtemps battus pour disposer de volumes de production suffisants.
Même s'il est satisfaisant, nous estimons que le système des
quotas laitiers devrait être revu afin que nous disposions de volumes de
production plus importants. Il ne serait pas aberrant que nous demandions des
volumes de production supplémentaires dans les zones de montagne. En
effet, si le volume de production augmente, cela génère de
l'emploi. Cela va donc au-delà de l'agriculture, et concerne
l'aménagement du territoire en général. Nous pourrions
ainsi conserver des populations sur nos territoires. C'est à partir du
territoire que nous parviendrons à développer de la valeur
ajoutée et des revenus pour les agriculteurs.
M. Claude Falip
- Dans certaines zones, nous assistons à une
restructuration des outils, ce qui est difficilement
compréhensible : nous oublions en effet une partie des produits
affiliés à un territoire. Certes, nous avons les AOC, mais les
grands industriels arrivent sans avoir la volonté de valoriser les
produits ou les territoires. En outre, je crois que nous devons
réfléchir à la mise en place d'un circuit de production
organisé en fonction des attentes des consommateurs. Je suis pour le
moins effaré de constater que nous oublions les produits basiques que le
consommateur cherche tous les jours, le lait pasteurisé par exemple.
Nous avons aujourd'hui les outils adéquats, les coopératives par
exemple. Par conséquent, il serait bon de pouvoir drainer ces
initiatives afin de rapprocher le producteur du consommateur. Aujourd'hui, je
crois que nous devons avoir une réflexion pour fidéliser nos
clients et, pourquoi pas, développer des initiatives de distribution sur
des zones comme Montpellier ou Clermont-Ferrand. Il existe un potentiel d'achat
qui pourrait permettre à nombre d'exploitations de vivre et à des
PME de se développer. Nous n'avons rien contre les initiatives de vente
à la ferme ; seulement, nous croyons qu'il serait dommage de ne pas
trouver d'autres idées.
Concernant les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est
évident que de nombreux agriculteurs de montagne verraient d'un mauvais
oeil leur suppression. Je pourrais suggérer, afin de les valoriser, de
déplafonner l'axe économique dans le cadre de la montagne. Cela
peut permettre la mise en place de l'aménagement des exploitations, ou
même des cours de ferme. En effet, je crois qu'en montagne, plus
qu'ailleurs, nous devons faire des efforts au niveau de l'élevage. En
montagne, nous préservons le territoire et l'espace, et nous ne pouvons
pas considérer que nous sommes une force de nuisance ou de pollution
pour l'environnement. Notre agriculture est donc bien différente de
celle de l'Ouest, et nous ne pouvons pas appliquer les mêmes
critères relatifs à la pollution. Malheureusement, les
dérogations sont les mêmes pour tout le territoire. Nous ne sommes
pas contre ces mesures ; simplement, nous devons savoir comment nous
faisons pour adapter les exploitations qui, je le rappelle sont des structures
plus petites que la moyenne nationale. Autrement dit, comment faire pour
adapter ces exploitations, qui doivent pouvoir continuer à vendre leurs
produits ?
En zones de montagne, la question des subventions se pose avec une
réelle acuité. Nous sommes souvent au plafond des subventions
européennes, et une partie des enveloppes budgétaires
prévues ne sont pas utilisées. Cela représente un
réel souci, dans la mesure où les jeunes agriculteurs ne
parviennent pas à utiliser les fonds auxquels ils ont droit, car ils
sont trop rapidement au plafond.
Concernant la problématique foncière, il est évident que
celle-ci varie d'une zone à l'autre. Nous devrions
réfléchir sur ce point : en effet, l'activité
agricole est plus ou moins en concurrence avec l'urbanisation. En zones de
montagne, les éleveurs essaient d'avoir une autonomie fourragère.
Pour cela, il faut une surface suffisante, et nous entrons de manière
indirecte en concurrence avec l'urbanisation. Nous ne sommes pas contre
l'urbanisation, mais nous sommes directement liés au problème de
la distance avec les bâtiments d'élevage. De manière
générale, nous devons pouvoir trouver des cohérences, en
définissant des priorités selon les zones.
Nous avons parlé tout à l'heure de l'acte de production. A ce
titre, je pense que nous devons conserver tous les types de production dans les
zones de montagne. En outre, je crois que nous devons avoir des productions
« hors sol » en montagne, le porc et les volailles par
exemple. La montagne ne doit pas être seulement synonyme de sports
d'hiver ; je rappelle que les meilleures charcuteries se trouvent en
montagne. Malheureusement, dès que nous voyons une porcherie se
constituer, les producteurs de porc sont mis à l'écart... Nous
devons être vigilants car, face à une telle situation, les
agriculteurs arrêtent la production porcine. Pour autant, nous
transformons toujours autant de cochons, sous l'étiquette
« charcuterie de montagne », alors que les porcs viennent
de l'Ouest. Je demande donc que nous soyons dans une situation d'autosuffisance
de production. En fait, on s'aperçoit que nous sommes
déficitaires en termes de production, alors que les agriculteurs ne
demandent qu'à remplir cette mission.
M. Yannick Fialip
- 2002 est l'année internationale de la
montagne, et les jeunes n'ont pas voulu demeurer absents d'une telle
manifestation. Nous organiserons donc une manifestation, à
Clermont-Ferrand, rassemblant l'ensemble des massifs français. Cette
manifestation aura lieu les 6, 7 et 8 décembre 2002.
Nous aurons un double objectif : tout d'abord, nous voulons communiquer
politiquement sur la montagne, et nous vous invitons à participer
à nos travaux. En outre, nous voulons communiquer par rapport à
la Commission européenne, afin qu'elle reconnaisse la zone de montagne
au sein du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) de
l'Union européenne. Demain, avec l'élargissement de l'Europe,
nous aurons tout intérêt à avoir une zone de montagne
reconnue. Par ailleurs, nous essaierons, avec l'ensemble des massifs
français, de communiquer sur tous les produits de montagne. Tous les
jeunes agriculteurs des régions de montagne françaises essaieront
d'être présents. Par conséquent, nous vous donnons
rendez-vous les 6, 7 et 8 décembre pour cette manifestation. Nous
pourrons également mener une réflexion quant aux points que nous
venons de vous présenter.
M. Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous remercie pour cet
exposé. Vous avez balayé l'ensemble des points que nous vous
avions soumis, à l'exception de quelques sujets à la marge. Je
souhaite vous poser quelques questions, mais je vais avant tout laisser la
parole à mes collègues.
M. Jean Boyer
- Vous avez deviné que je résidais dans le
même département que Monsieur Fialip. Je siège par ailleurs
à la Chambre d'Agriculture avec son père. Vous avez
évoqué quelque chose qui va devenir un phénomène de
société : les agriculteurs, en zone de montagne, vont se
trouver dans deux contextes. Certains se trouveront isolés, dans des
villages où il n'y aura plus personne. Vous avez parfaitement dit
à ce titre que vous aspiriez à avoir davantage d'hectares, mais
aussi à avoir des voisins. En outre, nous ne devons pas oublier que,
dans la périphérie des agglomérations, les agriculteurs
deviennent des « corps étrangers ». Nous devons donc
communiquer, dans la mesure où l'agriculture est encore trop
perçue comme composée d'hommes capables de barrer les routes,
épandre du fumier ou encore générer des pollutions. Nous
devons expliquer à la population qu'un ouvrier bloque une usine
lorsqu'il manifeste. Les agriculteurs, quant à eux, ne peuvent pas
conserver leur lait pendant des semaines, et doivent trouver leur moyen
d'expression. Je crois que les citadins doivent savoir cela. Malheureusement,
ils ne sont pas convaincus que les agriculteurs ne peuvent pas manifester
autrement.
Nous devons également rappeler ce que les agriculteurs ont fait hier,
font aujourd'hui et feront demain, leurs missions, ainsi que l'évolution
de celles-ci. Autrement dit, nous devons rappeler le rôle joué par
l'agriculture, et apporter un message plus positif.
Deux points de votre exposé ont attiré mon attention, dans la
mesure où je n'y ai pas trouvé beaucoup de détermination.
Tout d'abord, la prime à l'herbe s'élève à 46
euros, alors que la prime aux céréales est à 350 euros en
zone de montagne. Cela n'incite pas du tout les agriculteurs à
travailler dans le sens de la qualité. Quant à la simplification
des règles administratives, elle ne semble pas non plus faire partie de
vos priorités. Pourtant, nous sommes souvent sollicités, en tant
qu'élus, à répondre à des questions techniques. A
ce titre, ne pensez-vous pas que les directions départementales de
l'agriculture (DDA) doivent appliquer ces règles avec un peu de bon
sens ?
J'ai entendu votre message. La prime à l'herbe va être reprise
dans le cadre des CTE, et j'aimerais avoir votre avis sur cette question.
M. Pierre Jarlier
- Nous sommes parfaitement en phase avec ce que nous
venons d'entendre. Concernant le problème des ICHN, le soutien est
important, et doit être affirmé comme étant indispensable
à la spécificité de la montagne. Cependant, je souhaite
avoir votre sentiment sur un petit effet pervers, à savoir le
problème de l'agrandissement. En effet, nous sommes liés à
des taux de chargement et à l'hectare, et on incite fortement à
l'agrandissement. Dans ces conditions, nous devons nous poser la question des
voisins, qui disparaîtront si certaines exploitations s'étendent
trop. Cela revient au problème du juste équilibre de la
ruralité, celle-ci devant être fondée sur la qualité
mais aussi sur l'homogénéité du territoire.
Par ailleurs, j'ai été très satisfait d'entendre votre
position sur le CTE, d'autant que les points de vues sont pour le moins
divergents sur cette question. A ce titre, je dois dire que j'ai
été inquiet face à certains propos tenus lors de la
campagne électorale. Dans mon département, j'entends en effet des
élus nationaux qui font campagne en disant que le CTE doit être
supprimé. Je crois que cette position est très dangereuse. A mon
avis, nous devons aller vers la simplification évoquée tout
à l'heure par Monsieur Boyer. Je crois par ailleurs qu'un réel
manque de volonté s'est manifesté au départ pour se lancer
dans cette démarche, pourtant particulièrement porteuse pour les
territoires sensibles qui sont les nôtres.
J'ai retenu vos propos relatifs au déplafonnement du volet
économique en montagne. Il y a là un créneau important,
passant par la mise en place d'un CTE spécifique à la montagne.
Il est logique de déplafonner le volet économique, dans la mesure
où des investissements en montagne sont plus lourds que des
investissements en plaine. Je pense que nous pouvons nous rejoindre facilement
sur ce point, et aller dans votre sens dans nos préconisations.
Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole
(PMPOA), je trouve que votre position est à la fois responsable et
volontaire. En effet, je trouve qu'il est dommage de pénaliser des zones
où l'exploitation est de qualité en nous concentrant sur des
zones qui sont, par définition, des zones polluantes. Il est totalement
aberrant de vouloir priver les exploitations étant dans les normes des
aides. Nous devons insister fortement sur ce point. En outre, nous devons
affirmer fortement que les agriculteurs ne sont pas contre la mise aux normes.
Au contraire, ils sont volontaires, et nous devons le faire savoir.
Aujourd'hui, les SAFER sont-elles opérationnelles pour permettre au
monde agricole de pouvoir se maintenir dans une ruralité habitée.
L'expérience nous montre que cela n'est pas le cas. Par
conséquent, pouvons-nous estimer que ces outils sont parfaitement
adaptés ? J'aimerais avoir votre avis sur cette question, car les
avis sont pour le moins partagés. Devons-nous les faire
évoluer ? Faut-il davantage de concertation à la base ?
Devons-nous changer le dispositif pour que nous ayons une véritable
régulation du foncier ? En effet, avec les courses aux primes, les
SAFER sont au coeur du débat.
Vous avez fait état de l'initiative que vous prendrez au mois de
décembre, dans le cadre de l'année internationale de la montagne.
Je voudrais vous dire que je souhaite que l'ADEME participe à vos
côtés à cette opération. Concernant la
reconnaissance des zones de montagne au niveau européen, je suis
persuadé que cela doit représenter notre principal axe d'action.
Nous allons évidemment aborder ce problème avec les instances
européennes dès demain matin.
Enfin, je tiens à vous dire que je suis particulièrement heureux
d'entendre des jeunes agriculteurs tenant des propos très responsables,
et éloignés de toute démagogie.
M. Auguste Cazalet
- En tant qu'ancien jeune agriculteur, je suis
très heureux de vous rencontrer et de vous entendre parler avec beaucoup
de foi et de passion. Je n'oublierai jamais que je suis fils de paysan et je me
suis installé sur 13 hectares de superficie agricole utile, en zone de
montagne. De nombreuses personnes pensaient que je ne pourrais pas vivre sur
une exploitation d'aussi petite taille, ce qui me faisait de la peine.
Lorsque j'étais secrétaire général du
département des Pyrénées atlantiques, il a fallu que je me
plonge dans le syndicalisme agricole pour me rendre compte de ce qui se passait
dans mon département. Certaines personnes abandonnaient en effet
l'agriculture, alors qu'ils disposaient de belles exploitations ; les
agriculteurs de montagne étaient ceux qui s'accrochaient le plus.
Monsieur Lacoste a rappelé que les zones de montagne étaient
celles qui contenaient le plus d'AOC. A mon avis, cette situation est dûe
au fait que les agriculteurs des zones de montagne se battent, car ils sont
souvent pris à la gorge et doivent s'en sortir.
Monsieur Falip a dit qu'il n'était pas venu avec des dossiers, et je
m'en félicite. Si vous étiez venus avec des notes de
synthèse toutes préparées, j'aurais estimé que vous
étiez des paysans embourgeoisés ; au contraire, vous avez
parlé avec votre coeur, ce qui représente, à mes yeux, la
vérité.
Personnellement, je m'interroge sur la prime à l'hectare, et je souhaite
que vous me donniez votre position sur ce point. Je suis par ailleurs d'accord
avec vos propos sur les ICHN, qu'il faut revaloriser pour les petites
exploitations. Là aussi, nous sommes encore des
déshérités. Quant aux volumes de production, nous pouvons
faire le même constat : pourquoi empêche-t-on les
exploitations de montagne de produire davantage ?
Vous avez évoqué le sort des petites exploitations qui ne
parviennent pas à utiliser toutes les subventions disponibles. Sur ce
point encore, cela représente un drame dans les zones de montagne.
Vous dites qu'il faudrait parvenir à l'autonomie fourragère.
Personnellement, je n'y crois pas beaucoup, dans la mesure où seules les
exploitations de grande taille peuvent atteindre une telle situation. En effet,
il est souvent difficile de parvenir à l'autonomie fourragère, en
particulier pour les petites exploitations. En outre, tout dépend des
zones de montagne dans lesquelles nous nous situons. Personnellement, j'habite
à l'entrée de la vallée d'Ossau : les exploitations
de ma commune sont classées en zone de montagne, mais d'autres sont dans
des situations bien plus difficiles.
L'urbanisation, quant à elle, représente un véritable
problème. Pour autant, allons-nous empêcher un village de
s'étendre ? En effet, cela représente un important travail
de diplomatie et d'acrobatie pour les élus municipaux :
étendre les zones habitables revient parfois à supprimer une
partie des terres agricoles.
Monsieur Falip a rappelé que nous avions oublié les produits
basiques. Je suis d'accord avec ce point de vue, et je dois dire que je nourris
à ce titre de réelles inquiétudes. En outre, je suis,
comme vous, tout à fait favorable au maintien de la vente de produits
directement dans les exploitations. Il serait dommage de voir certaines
exploitations fermer au motif qu'elles ne répondent pas aux normes
d'hygiène européenne. Ces paysans se battent, en transformant
leurs produits dans leurs propres fermes, et nous devons leur laisser leur
chance.
M. Jacques Blanc
- Je tiens à m'excuser pour mon retard. Je
remarque que le Massif Central est particulièrement présent
aujourd'hui. Ceci dit, nous n'oublions pas les autres montagnes.
M. Michel Lacoste
- Certaines de vos questions n'appellent pas
réellement de réponses. Nous rejoignons votre analyse, mais vos
questions ne concernent pas seulement l'agriculture de montagne. C'est le cas,
par exemple, pour vos observations relatives à la simplification
administrative ou au PMPOA.
Concernant le CTE, nous ne devons pas oublier que certains agriculteurs l'ont
signé ; d'autres sont candidats à ce dispositif. Si, demain,
le CTE venait à disparaître, il est évident que la
déception serait grande parmi les agriculteurs. Vous devez être
conscients de ce phénomène.
L'herbe représente de toute évidence un point essentiel, mais
cette problématique ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne.
Celle-ci doit se rallier aux zones herbagères, et nombre de
régions sont concernés par cette problématique. Il existe
aujourd'hui des mesures dans le cadre du CTE ; il suffit de les ouvrir
en-dehors du cadre du CTE, ce qui représentera un premier pas pour le
moins important. Les moyens administratifs existent ; il ne manque plus
que la volonté.
La question du volet de l'acompte est bien présente dans l'esprit des
Jeunes Agriculteurs. De manière plus globale, nous demandons que les
travaux sur l'ICHN se poursuivent, même si nous reconnaissons qu'un
important effort a été réalisé sur ce point au
cours des dernières années. Aujourd'hui, nous estimons qu'il faut
surtout travailler sur la reconnaissance des zones de montagne au niveau
européen. A ce titre, nous souhaitons inviter, à
Clermont-Ferrand, les zones de montagne des PECO pour adopter une position
commune. Par rapport à ces zones de montagne, nous souhaitons aborder la
problématique des volumes de production. Nous sommes favorables aux
quotas laitiers ; on parle d'une évolution possible des quotas en
2005, et il avait été dit, en 1999, que cela ne concernerait que
les zones de montagne. Aujourd'hui, nous parlons toujours d'une augmentation
des quotas, mais ils ne seraient pas spécifiques à la montagne.
Concernant la problématique des vaches allaitantes, les droits ont
été gelés. Dans le cadre de l'année internationale
de la montagne, nous estimons que les droits pris en zones de montagne
pourraient être dégelés. En effet, l'élevage est
vital dans les zones de montagne. Si nous ne consacrons pas les hectares des
zones de montagne à l'élevage, ces surfaces repartiront à
la friche.
Quant à l'installation, nous avons dit que des mesures
spécifiques devaient exister, ou l'aide à l'installation devrait
être revalorisée. En effet, nous pensons que des mesures de
transmission spécifiques doivent être mises en place pour les
éleveurs de montagne, car le métier est plus risqué et
plus fatigant qu'ailleurs. Il faut donc des mesures favorables pour accompagner
les agriculteurs de montagne à la retraite, et en liant ces mesures
à la libération de l'exploitation vers l'installation.
Le meilleur lien de communication entre l'agriculteur et le consommateur est le
produit. Si nous pouvons travailler au travers du produit de qualité, je
suis persuadé que l'agriculteur retrouvera une bonne image. Je crois que
l'agriculture de montagne a beaucoup à faire en la matière, mais
nous avons besoin d'un accompagnement en termes financiers ; nous avons
également besoin de personnes compétentes sur ces questions.
Il existe aujourd'hui des aides nationales, mais certaines d'entre elles sont
remises en cause par l'Europe. Dans le cadre du deuxième pilier de la
PAC, nous pensons qu'il est peut-être possible d'utiliser notre
financement national. Malheureusement, nous éprouvons des
difficultés pour trouver l'interlocuteur adéquat au niveau
européen pour bâtir de telles mesures. Ce point est essentiel pour
l'avenir.
M. Jacques Blanc
- Nous allons demain à Bruxelles dans cette
perspective. Au niveau du Comité des régions d'Europe, nous avons
réussi à faire passer le principe d'un rapport européen
sur la montagne. Il est vrai que nous devons utiliser les crédits du
FEOGA et, surtout, ne pas les renvoyer car nous ne les utilisons pas. Je suis
persuadé que nous pouvons trouver un accord avec Bruxelles, d'autant que
nous voulons répondre aux besoins de vie et d'identification des
produits. Nous sommes donc en phase, à condition que nous ayons des
droits à produire. Par ailleurs, nous devons pouvoir offrir des actions
de formation pour les jeunes dans ces zones de montagne.
M. Michel Lacoste
- Vous avez raison, nous sommes vraiment en phase.
Logiquement, nous souhaiterions, avec vous, travailler plus en avant.
M. Claude Falip
- Le pastoralisme est important dans les zones de
montagne. Nous y sommes très attachés, et le principal
problème que connaît ce type d'agriculture est lié à
la question des grands prédateurs. Nous privilégions
l'activité agricole avant les grands prédateurs.
Il existe une réelle unité dans les zones de montagne, et je
crois que nous devons la conserver. En effet, nous devons toujours pouvoir
échanger nos savoir-faire, malgré les différences
existantes. Nous devons parvenir à conserver cette unité au
niveau des massifs montagneux de la France.
Quant à la formation, nous estimons que cette dimension est
particulièrement importante pour les jeunes. En effet, nous avons besoin
de personnes capables de gérer les entreprises que sont les
exploitations. Les agriculteurs doivent pouvoir vivre au même rythme que
l'ensemble de la société. Autrement dit, nous ne devons pas
oublier la dimension sociale de l'agriculture.
M. Jean-Paul Amoudry
- Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour
vos contributions. Les sénateurs de vos départements respectifs
ne manqueront pas de vous tenir informés de l'avancée de nos
travaux. Je rappelle que nous rendrons nos conclusions au mois d'octobre.
M. Michel Lacoste
- Nous vous remercions de nous avoir accueillis.