12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Bienvenue au Sénat et merci de votre
présence. Vous allez pouvoir apporter des réponses aux attentes
exprimées par la mission d'information sur la montagne. Je vous
présente les excuses du Président de notre mission, Jacques
Blanc, sénateur de Lozère, qui est retenu à
l'étranger. Les sénateurs présents, et ceux du Massif
central notamment, sont heureux d'accueillir le Président de l'Union des
chambres de commerce et d'industrie du Massif central, qui est un massif
important.
Notre mission, créée en février dernier, doit rendre ses
travaux en octobre. Vous voyez que nous nous sommes accordé un laps de
temps assez court, pour mener à bien notre étude comprenant
à la fois le bilan d'application de la loi Montagne et celui des
dispositions intervenues, sur le plan européen, depuis son adoption.
Nous souhaitons aussi esquisser des correctifs, des améliorations, et
des simplifications que nous pourrions proposer au nouveau Gouvernement et au
futur législateur que sera l'Assemblée Nationale, prochainement
élue.
Nous envisageons de travailler sur trois thèmes :
- l'économie ;
- l'environnement et la protection de la nature ;
- l'aménagement.
M. André Marcon -
Je suis Président de l'Union des
chambres de commerce et d'industrie du Massif central qui regroupe
26 chambres sur 17 départements et 5 régions de
programme. Je suis aussi vice-président de l'Association Interconsulaire
du Massif central. Je m'exprimerai donc au titre des socioprofessionnels et
à celui des CCI, au regard des leurs travaux en matière
d'aménagement du territoire. Je suis un « rural des
hauteurs », qui vit à 1 130 mètres d'altitude
et maire d'une commune de 200 habitants, appelée Saint Bonnet le
Froid. Je vous présente Marc Gastambide, qui est directeur
général adjoint à l'ACFCI, à Paris, et qui a la
charge des réseaux et de l'appui aux entreprises. Il a également
été commissaire à l'aménagement du Massif central.
Il possède à ce titre, une bonne expérience de la question
qui nous intéresse.
J'essayerai d'être rapide et assez synthétique puisque je sais que
les contributions que vous avez sur le sujet sont nombreuses. Je reprendrai les
questions que vous avez posées, en m'attardant plus sur certaines
d'entre elles et en les réorganisant différemment. Nous
pourrions parler du bilan de la politique française de la montagne, des
forces et des faiblesses de l'économie montagnarde, et du haut
débit, sujet sur lequel j'ai rédigé un rapport dans le
cadre du Conseil économique et social (CES). Je vous ferai aussi des
propositions qui doivent être considérées sous un angle
global, ainsi que des propositions qui prendront la forme de petits
éclairages sur les mesures qui devraient pouvoir être
proposées
Premièrement, je regrette que la loi Montagne apparaisse comme un
catalogue de bonnes intentions et qu'elle ne dépasse pas ce stade. Nous
pouvons nous en rendre compte en regardant, par exemple, la faiblesse des
moyens dédiés. En effet, les outils financiers ne sont pas assez
pertinents pour permettre la mise en oeuvre de ces bonnes intentions. Nous
constatons, par ailleurs, que la loi Montagne avait la volonté de
réussir une péréquation entre les territoires de notre
pays, au profit des territoires et des populations de montagne. Cependant,
cette péréquation n'a pas eu le succès escompté.
Malgré tout, la loi Montagne a eu certains effets positifs. Elle a
permis de redonner de la fierté aux personnes résidant en
montagne, ce qui est une avancée remarquable. Elle a aussi permis
d'instaurer un dialogue entre les socioprofessionnels. Le plan Massif central,
qui était un plan pour gommer les handicaps, n'avait pas eu cette
vocation. De ce fait, nous avons, au niveau du Massif central, un excellent
dialogue entre l'ensemble des structures consulaires et assistons à
l'établissement de projets communs.
Cette loi a aussi permis la mise en place d'inter-régionalités,
exercice difficile survenant après une dizaine d'années de
décentralisation. La loi a permis d'afficher les richesses et les
initiatives, non plus considérées sur le plan individuel, mais en
les rassemblant et en leur donnant un effet de masse. La culture et la pratique
du partenariat ont permis l'accès aux politiques européennes. Au
regard des propositions de partenariat qu'il a formulées dans le cadre
d' « interreg », le Massif central est très en
avance. Elles ouvriront, en 2006, des perspectives intéressantes,
lorsque les fonds traditionnels européens vont s'épuiser.
Le dernier point positif est la création de l'outil
« comité de massif » qui a réellement
dynamisé la politique conduite au niveau du commissariat à
l'aménagement du Massif central. Dans cet ensemble de faiblesses et
d'atouts, les CCI et les corps consulaires se sont plutôt bien
retrouvés et les élus ont eu à coeur de faire des
propositions. Nous avons acquis, depuis une quinzaine d'années
maintenant, une culture de la proposition du projet. A cet égard, la loi
Montagne a été tout à fait positive.
Je passerai rapidement sur les forces et les faiblesse de l'économie
montagnarde et ne rappellerai pas un certain nombre de poncifs que vous
connaissez déjà très bien. Je citerai une phrase de Gandhi
qui disait que « de la pauvreté naît le
génie ». En effet, la pauvreté des territoires ruraux
leur a permis de développer leur imagination. La force de
l'économie montagnarde est d'abord liée à la
solidarité des populations, qui travaillent beaucoup plus ensemble
qu'ailleurs. La qualité des hommes, des espaces, et du patrimoine est un
autre aspect.
Je suis assez sensible à la communauté d'appréhension des
problèmes. Les territoires, et notamment les régions, ne
raisonnent pas toujours en ces termes. Nous avons réussi à
créer, du côté des socioprofessionnels, une
communauté d'appréhension des problèmes, chez les
habitants du Massif central. Cette communauté d'esprit ne concerne pas
la résolution de problèmes localisés. Cependant,
l'appréhension des problèmes peut être globalisée.
En effet, elle est la même dans l'Aveyron, dans l'Allier, en Haute-Loire,
ou en Corrèze. Il faut donc apprendre à appréhender les
problèmes liés à la faible démographie, aux grands
espaces, et à la dispersion des équipements.
Les territoires de montagne sont marqués par la qualité de
l'environnement et la grandeur de l'espace. Concernant ce dernier point, nous
nous situons en effet dans des échelles très
particulières, beaucoup plus vastes que celles pouvant être
rencontrées à Paris, où posséder quelques
mètres carrés est synonyme d'espace.
La première faiblesse de l'économie montagnarde est
l'accessibilité. Nous devons aussi souligner la faiblesse des services,
aux personnes ou aux entreprises. Une autre faiblesse tient à la
démographie qui est encore dans une phase stagnante. Nous voyons enfin
que les espaces de montagne créent deux sensations. La première
est une sensation de désert, qui se traduit par un sentiment de solitude
et un manque de communauté. Il existe, en effet, dans l'esprit de
l'homme, une certaine réticence à vivre dans le désert.
Deuxièmement, il existe aussi une perte de confiance des populations
dans le devenir de leur pays. Le plus gros frein au développement de
l'économie montagnarde est ce manque de confiance, ressenti par ceux qui
n'ont pas quitté la montagne, au moment où les villes ont
attiré de nombreux habitants des montagnes. Nous devons donc redonner de
la fierté à ces populations, afin de revaloriser les territoires.
Je m'attarderai davantage sur les technologies de l'information et de la
communication, qui sont un enjeu capital, pour nos montagnes comme pour le
reste du territoire. L'année dernière, j'ai remis un rapport
relatif à la desserte des territoires en téléphonie mobile
et en haut débit. Il a eu l'avantage de guider les décisions qui
ont été prises au niveau du Comité interministériel
d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de
Limoges, en juillet 2001. Je vous annonce que je fais un avis de suite de
ce rapport, pour le compte du CES.
En reprenant les idées fortes du rapport, nous devons admettre que le
marché ne règlera jamais l'équipement du territoire au
regard des technologies. En effet, le marché n'est pas fait
peut-être pour cela. En conséquence, nous ne pouvons pas lui
demander de le faire. En outre, je considère que, concernant ces
technologies qui sont relativement compliquées, l'Etat n'a pas
suffisamment joué son rôle de chef d'orchestre, d'anticipateur, et
de gardien, en charge de l'unicité de nos territoires. Je
considère enfin que nous avons laissé partir beaucoup trop de
coûts dispersés en nous basant sur l'économie de
marché, dont je suis, par ailleurs, un fervent défenseur. Pour
moi, l'économie de marché ne fonctionne jamais aussi bien que
lorsque les règles du jeu sont clairement établies. Je ne pense
pas que la Suède, le Canada, les Etats-Unis, ou l'Angleterre soient des
pays où l'économie soit spécialement dirigiste. Or dans ce
domaine, ces pays ont été plus dirigistes que nous ne le sommes
et les opérateurs s'en portent très bien.
La deuxième constatation de fond est la suivante. Nous avons
demandé au marché de résoudre ce problème en
confondant les infrastructures et les usages. S'agissant des infrastructures,
la priorité est que tout le monde soit correctement
équipé, afin de pouvoir communiquer. Je vous rappelle
l'installation du téléphone en 1974. Dans mon village, nous
n'avions pas l'automatique et il fallait attendre deux à trois mois
avant d'avoir une installation téléphonique. En quelques
années, le plan Téléphone a entraîné le
développement de l'usage du téléphone. Cet usage s'est
considérablement développé, pour devenir une source de
profit très important pour l'Etat. Au regard des nouvelles technologies,
la situation est à peu près similaire. Cependant, nous aussi
avons demandé au marché de régler la question des
infrastructures. Aujourd'hui, nous avons, dans les grandes villes, des
infrastructures pléthoriques. Dans le réseau secondaire, les
infrastructures sont présentes mais moins nombreuses. Sur ce plan,
France Télécom est relativement bien présent. Mais lorsque
nous nous situons en dehors de ces réseaux (en matière de
chevelu), la situation est plus chaotique et chaque opérateur a tendance
à équiper les zones où il existe un fort usage.
Le CIADT a décidé de mesures courageuses. Il a notamment
opté pour la mutualisation des pylônes, pour le GSM. Cette mesure
semble tout à fait normale. Dans ce cadre, la participation est
tripartite, à parts égales entre l'Etat, les opérateurs,
et les collectivités. Le problème est que le CIADT s'est tenu le
9 juillet 2001 et que tous les décrets d'application ne sont
pas encore sortis. Pour le moment, nous nous trouvons donc en présence
d'une simple déclaration de bonnes intentions qui n'a pas encore produit
d'effets. Cette situation se traduit par des conséquences pernicieuses.
Toute couverture, en termes de GSM est, par exemple, stoppée sur le
pays, dans la mesure où les opérateurs attendent que des
études soient effectuées par les départements, avant de
poser de nouveaux pylônes. Seul Bouygues Télécom pose de
nouveaux pylônes, étant donné qu'il avait un retard
à combler.
Dans le prochain rapport, nous allons souligner le fait que nous continuons
à prendre du retard, alors que ce domaine nécessite d'agir
très rapidement. En outre, nous allons souligner la
nécessité pour l'Etat de mettre en place des moyens
dédiés. Ces moyens ne sont pas colossaux. D'après nos
estimations, l'équipement en fibres optiques de toutes les communes de
France, qui permettrait de faire le chevelu, représente
10,67 milliards d'euros. Nous pouvons considérer que
3,81 milliards sont déjà investis. Dans ce cas, il me semble
que la somme restante (environ 7,62 milliards) n'est pas une somme si
importante, pour un pays comme la France. Je vous rappelle, en effet, que, pour
la vente des licences UMTS, 3,96 milliards ont été
réclamés à chaque opérateur. Si nous comparons les
sommes à investir aux recettes dégagées, la somme finale
apparaît raisonnable.
Dans le domaine des nouvelles technologies, nous considérons que les
territoires ruraux, et notamment les territoires de montagne, doivent exiger la
couverture. S'ils ont souvent manqué, en termes d'accessibilité,
les grands enjeux des infrastructures autoroutières, de train, ou
d'avion, ils ne peuvent plus se permettre de manquer l'ouverture
représentée par les hautes technologies de l'information et de la
communication.
Au risque d'être un peu iconoclaste, je pense qu'il ne faut pas
écouter le discours de France Télécom, qui obéit
à une logique d'entreprise, qui est respectable mais dont nous devons
nous méfier. Cette entreprise est en train d'équiper le
territoire de fibres optiques, son intérêt étant de louer
la fibre optique le plus cher possible aux utilisateurs potentiels. Du point de
vue de l'entreprise, ce raisonnement est très logique. Par ailleurs,
pour que la concurrence n'arrive pas trop vite, France Télécom
laisse un peu « traîner » ses affaires, de
façon à prendre le temps d'équiper le territoire. De toute
façon, France Télécom n'est pas dans une situation
financière exceptionnelle, lui permettant d'aller beaucoup plus vite. Le
fait que France Télécom soit la seule entreprise qui pourra
équiper le territoire en fibres optiques pose le problème de la
mise en place du réseau intermédiaire. Je suis un peu circonspect
quant à l'installation de la fibre noire par les collectivités
locales. En effet, outre l'installation, la fibre noire nécessite
d'être activée et entretenue. Dans certains cas, l'usage ne permet
pas d'envisager l'installation de la fibre noire sous l'angle de la
rentabilité.
Nous insistons aussi beaucoup pour que les territoires utilisent les nouvelles
technologies qui vont permettre de résoudre le problème le plus
important qui est celui du chevelu. Ces technologies doivent être
utilisées jusque dans les plus petits villages ruraux. Grâce
à ces technologies, qui ne coûtent rien du tout, nous allons
pouvoir « décomplexer » le débat et nous
attacher à la sécurité du transport sur le réseau
intermédiaire, afin d'arriver dans toutes les communes de France. C'est
à cette seule condition que les gens pourront rester dans les
territoires de montagne et que d'autres pourront venir s'y installer.
Je pense que l'impact des nouvelles technologies est considérable et
produira, dans les années à venir, un impact sur nos
comportements, qui sera bien supérieur à celui provoqué
par l'arrivée de l'automobile. Dans le rapport, nous avions
mentionné qu'il fallait, d'ici à 2005, arriver à
2 mégabits. Si nous pensions avoir placé la barre un peu
haut, force est de constater que la Suède est aujourd'hui
équipée d'un gigabit dans tous ses foyers. En termes d'usage,
nous voyons que les Suédois utilisent complètement ces nouveaux
outils, et ce suite à de nombreuses mesures incitatives. Sur le Massif
central, nous lançons une opération « Cyber
massif » qui va permettre la « culturation » de
toutes les entreprises.
Je ferai deux types de proposition. Je tiens d'abord à souligner que
l'accessibilité des territoires de montagne et des territoires ruraux
reste la question primordiale. Sur ce point, nous ne devons pas écouter
les discours parisiens qui estiment que le nombre d'autoroutes est suffisant.
Cela n'est pas vrai et du travail reste à accomplir sur le territoire,
en routes, en trains, et en avions. Deuxièmement, je pense que pour
être efficace, la politique de la montagne doit être une politique
de valeur ajoutée. A l'heure où les nouveaux systèmes et
les nouvelles organisations territoriales se mettent en place, les actions
engagées au niveau de la montagne doivent amener de la valeur
ajoutée aux mesures prises par les départements et les
régions.
Pour moi, la mise en place des comités de massif, par la loi Montagne,
est une excellente idée. Certains comités fonctionnant mieux que
d'autres, je prendrai l'exemple d'un comité qui fonctionne bien,
à savoir celui du Massif central. Le comité de massif a
été prévu comme une instance devant permettre à
tous de débattre des problèmes de développement du massif.
Petit à petit, il est devenu un outil davantage opérationnel. En
effet, les socioprofessionnels ont pris une place importante au sein de ces
comités et font de nombreuses propositions systématiques de
développement. Grâce à la contractualisation, l'Etat, qui
prend en compte les orientations dégagées au sein des
comités de massif, a amené un certain nombre de remèdes
aux maux dénoncés et a permis la mise en place de certaines
procédures. Pour moi, le mouvement devrait être
accéléré du côté des comités de
massif. Je considère que les collectivités territoriales locales
doivent réinvestir les comités, dans lesquels elles ne sont pas
assez présentes. Seul l'investissement des collectivités locales
permettra de dégager la valeur ajoutée mentionnée. En
effet, les opérations proposées par les seuls socioprofessionnels
ne permettraient pas d'atteindre une qualité de travail optimale. Nous
devrions également simplifier le système, afin qu'il soit encore
davantage opérationnel. Nous l'avons bien vu avec les conventions de
Massif qui ont été mises en place parce que le Massif central
avait exigé une convention spécifique, qui, par la suite, a
été étendue à tous les massifs. Maintenant, nous
devons faire des comités de massif, à condition que les
régions et les départements remplissent bien leurs rôles,
une véritable instance prospective de développement des
territoires montagnards. Ces territoires doivent être envisagés
comme des territoires d'avenir. En effet, il convient de ne plus penser en
termes de handicaps, mais en termes de territoires du futur, qui sont des
territoires sécurisés qui donnent envie à la population
d'y venir ou d'y revenir.
Le système doit parallèlement être simplifié. Le
commissariat, qui appartient à la DATAR, doit devenir totalement
l'animateur du Massif central. Il doit être le centre de
compétences du Massif central. Nous devons aussi gérer les
problèmes financiers qui sont insolubles dans ce type de massif. Dans
cette hypothèse, je préconise la mise en place de SGAIR
(secrétariat général aux affaires interrégionales),
qui devrait permettre de simplifier la gestion des affaires, qui porte sur des
enveloppes très petites et très étroites.
Je terminerai par des propositions moins générales et plus
ponctuelles. Premièrement, il est important que le
phénomène Montagne, qui a été pris en compte en
France, ait une reconnaissance au niveau européen. Deuxièmement,
nous devons aussi travailler sur la simplification des procédures mises
en place dans le cadre des massifs. La loi Montagne n'étant intervenue
qu'au début de la décentralisation, les habitudes
n'étaient pas encore prises, à cette époque. Cette
situation s'est traduite par le développement de jurisprudences
totalement différentes d'une région à l'autre. Nous devons
aussi travailler sur des aides spécifiques à la localisation, les
massifs ne pouvant survivre que dans un contexte engendrant de
l'activité économique. Il faut donc inciter les gens à
développer l'économie dans ces régions. Les massifs
devraient aussi se préoccuper de contribuer à l'harmonie des
grands équipements d'accessibilité. Si les régions et les
départements sont soucieux de ces sujets, il est regrettable que ces
préoccupations ne se recoupent pas davantage. Une plus grande harmonie
devrait donc permettre de dégager de la valeur ajoutée. La
convention Massif central l'a bien montré, avec ses
114,337 millions d'euros, dont 8,385 millions sont spécifiques
au domaine routier.
Nous souhaitons aussi mettre en place un véritable SMIC, pour les petits
commerçants. Si nous voulons attirer des habitants dans les
régions montagneuses, celles-ci doivent compter un certain nombre de
petits commerçants. S'il est normal d'aider les agriculteurs pour qu'ils
restent au pays, dans la mesure où ils participent à l'entretien
du paysage, il devrait en être de même pour les commerçants.
Les revenus de ces professions indépendantes devraient être
complétés, avec un contrôle des centres de gestion, pour
que ces personnes puissent continuer à exercer leurs métiers sur
nos territoires. Cela éviterait la fermeture de nombreuses
échoppes et d'augmenter le nombre de chômeurs. Dans ces
régions vastes et faiblement peuplées, la diffusion de la presse
est une autre difficulté.
Nous devons aussi mettre en place une politique très volontariste, dans
le cadre de l'accueil des jeunes actifs. En effet, les régions de
montagne ne pourront se développer que si nous offrons la
possibilité aux jeunes arrivants d'y rester.
Le dernier point concerne l'aspect touristique. Pour répondre à
la question de l'avenir du tourisme dans le Massif central, je citerai la
grande étude IPK, dont le Président fondateur est un des acteurs
incontournables du tourisme mondial. Selon lui, l'avenir est aux territoires
ruraux de moyenne montagne. En effet, ces territoires présentent des
valeurs de qualité, d'authenticité, de terroir, qui sont les
valeurs qui seront les plus demandées par les populations, dans les
vingt prochaines années. Au regard de cet accueil, notre territoire
donne l'impression d'un désert et n'est pas organisé. Nous avons
privilégié l'hébergement locatif de type social. De ce
point de vue, nos populations les plus pauvres ont permis que des populations
encore plus pauvres viennent en vacances. Mais dans la pratique, cette
démarche doit relever de la solidarité nationale et ne doit pas
être supportée par le Massif central. En outre, nous avons aussi
perdu notre tourisme marchand de qualité, qui est créateur de
richesse. Comme l'a fait l'Ecosse, par exemple, nous devons affirmer
l'importance d'investir dans ce type de tourisme, qui est
générateur d'emplois et d'activités.
Nous devons aussi travailler sur l'aide à la pierre, tellement les
investissements sont lourds. Pour avoir créé trois hôtels
et en avoir repris deux autres, je peux vous affirmer que les aides sont
nécessaires, d'autant plus qu'elles permettent souvent d'obtenir de bons
résultats.
Le problème du logement des saisonniers doit aussi être pris en
compte. Il convient aussi de conférer au personnel saisonnier de
réels statuts, afin de donner de la souplesse au système, et de
permettre à ces personnes de passer d'un métier à l'autre,
en conservant une couverture effective. Enfin, nous devons travailler sur
l'aide à la production, pour la mise en marché. En effet, nous
devons passer d'une économie de cueillette à une économie
de production (
package
, forfaitisation). Dans ce dessein, nous devons
favoriser la professionnalisation et l'émergence de nouveaux
marchés. Au niveau du Massif central, nous travaillons dans cette
direction depuis 1992, grâce au comité de massif. Tous les deux
ans, nous favorisons l'arrivée de 100 opérateurs du monde
entier sur le Massif central et ses produits spécifiques.
Actuellement, nous avons trop d'opérateurs et nous manquons d'offreurs
et de propositions.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci pour cet exposé, riche et complet.
Il a retenu toute notre attention, qu'il s'agisse des questions relatives au
Massif central ou des questions plus générales portant sur la
montagne et les régions rurales. Je vous propose que mes
collègues vous posent à présent leurs questions.
M. Jean Boyer -
Dans votre discours, vous avez souligné la
nécessaire évolution d'un état d'esprit. Comme vous l'avez
dit, il est important de ne pas se résigner et d'avoir envie
d'entreprendre. Cet état d'esprit est d'autant plus important dans les
zones de montagne et dans la politique des massifs. Aujourd'hui, les massifs
ont encore peut-être une politique trop passive. Concernant la politique
de la montagne, nous pouvons considérer que cette politique n'est pas
assez offensive et manque d'esprit d'initiative.
J'ajouterai à votre présentation que nous devons aussi prendre en
compte des réalités économiques et réglementaires.
Dans le monde rural, l'implantation des abattoirs, par exemple, se faisait dans
les lieux de production et d'élevage. Aujourd'hui, un audit national a
été fait dans ce domaine. Ses principales conclusions montrent
que, pour des raisons économiques et de pratique, il serait
préférable d'implanter les abattoirs dans les lieux de
consommation. A proximité de Lyon, par exemple, le projet d'implantation
d'un abattoir (en Haute-Loire) suscite beaucoup de réflexions.
En outre, les zones de montagne doivent prendre en compte les dispositions de
la réglementation européenne. En matière d'agroalimentaire
et d'élevage de volailles notamment, il faut savoir que certains
élevages sont remis en cause, au regard des délais de transports
arrêtés. En effet, la stricte application de la législation
européenne et le respect des délais de transport entre les lieux
de production et d'abattage conduisent à remettre en cause l'existence
de certains élevages de volailles, qui sont implantés à
plus de deux heures des abattoirs. Nous voyons que ce contexte
réglementaire et économique est pénalisant. Même si
nous avons la volonté d'entreprendre et de ne pas nous résigner,
nous nous interrogeons sur l'attitude à adopter.
M. André Marcon -
Je suis d'accord avec vous. Cependant, le
discours consistant à mettre en avant notre pauvreté et le fait
que personne ne prenne en compte notre situation n'est plus porteur.
Aujourd'hui, le problème doit être pris dans l'autre sens et les
agriculteurs et les transformateurs doivent se prendre en main et
réfléchir à la manière de mettre en place une
agriculture différente, basée sur la qualité. Nous devons
effectivement être capables d'empêcher l'entrée, dans nos
abattoirs, de marchandises qui ne correspondent pas à la qualité
existant au niveau du Massif central. Ainsi, nos abattoirs seront en mesure
d'offrir les meilleurs produits et la situation sera réglée par
le marché. En effet, si l'abattoir de Saint Paulien est celui qui
propose les meilleurs bêtes, il ne sera plus utile de se rendre à
l'abattoir de Lyon. Au niveau du Massif central, les agriculteurs sont en train
de se battre pour arriver à imposer une agriculture de qualité.
Ainsi, le problème des abattoirs et de la volaille sera
réglé. Comme en matière de tourisme, je pense que nous
devons jouer la politique des niches, de la valeur ajoutée, et de la
grande qualité, si nous voulons mettre en place des équipements
et apparaître sur le marché avec une proposition différente.
Mme Michèle André -
La situation de la filière
viande et celle des ses acteurs conduisent actuellement à se poser un
certain nombre de questions. Si l'on regarde la situation curieuse de
l'abattoir de Clermont-Ferrand, nous nous apercevons que malgré la
volonté du Conseil général de trouver une solution, nous
sommes encore tiraillés entre deux options ; abattre à
l'endroit où se trouvent les bêtes, ou à l'endroit
où sont les clients. L'attentisme de ceux qui mènent actuellement
cette réflexion et qui devraient être les premiers financeurs, est
tel qu'il compromet le maintien d'un abattoir de qualité dans la
région de Clermont-Ferrand. Je tenais à attirer votre attention
sur ce point.
Dans votre présentation, vous avez souligné la
nécessité d'une meilleure présence des
collectivités locales au sein des comités de massif. Pouvez-vous
nous préciser quels types de collectivités vous manquent. Toutes
les collectivités ne connaîtraient-elles pas un niveau
d'engagement équivalent ?
Je terminerai par une remarque. Je suis une infatigable défenderesse du
travail des femmes, qui est porteur de richesses, et d'avenir. N'ayant pas
été pris en compte depuis un certain nombre d'années, le
travail féminin a connu un déclin qui s'est traduit par la
disparition d'une population qui serait volontiers restée au pays si le
travail féminin était rémunéré par un vrai
salaire, et non par un salaire d'appoint ou secondaire. J'apporte une attention
particulière à cette question, afin que la présence des
femmes puisse permette la réouverture de services, qui pourraient
être de nature à attirer les jeunes sur les territoires de
montagne.
M. André Marcon -
S'agissant de la place des collectivités
territoriales dans le comité de massif, vous avez compris que les
socioprofessionnels sont très présents et très actifs. Je
vais passer la parole à Marc Gastambide, qui a été
commissaire à l'aménagement du Massif central. Il vous expliquera
comment il a ressenti les choses et combien, à son sens, le
comité a souffert de la non-présence des hommes politiques,
qu'ils soient des élus départementaux ou régionaux. En
matière d'emploi, il pourra vous présenter les dispositions mises
en place dans le cadre de l'accueil des jeunes actifs.
M. Marc Gastambide -
Lorsque les comités de massif ont
été mis en place, il a été proposé que ces
comités bénéficient de moyens financiers identiques
à ceux de l'Agence de l'eau. Gaston Deferre, qui a été
l'un de leurs derniers concepteurs, a refusé cette mesure. Pour moi,
cette décision a un sens politique très fort et exprime bien la
position de nos hommes politiques, en ce qui concerne les territoires
fragiles, comme le sont les territoires de montagne.
Les comités de massif ont, pendant longtemps, pris la forme de
réunions conviviales, où les participants avaient plaisir
à se retrouver. Les actions engagées dans le Massif central sont
tout à fait originales. Premièrement, les consulaires se sont
engagés très tôt, avec la création de l'UCCIMAC, du
COPAMAC SIDAM, pour les chambres d'agriculture, et de l'APAMAC, pour les
chambres de métiers. D'autres structures en MAC (comme Massif central)
ont suivi ce mouvement, comme l'ADIMAC, qui est structure d'Etat, la SOFIMAC,
qui est une structure de financement et de capital-risque, la SOMIVAl, et plus
récemment l'IPAMAC, qui réunit les parcs naturels du Massif
central, le GIP sur les centres de recherche du Massif central, et les pays.
Dans un premier temps, ce mouvement a été l'expression des
socioprofessionnels.
Par la suite, ce mouvement a été déterminant pour les
élus locaux, pour qui l'engagement des socioprofessionnels a fait office
de déclic. Le premier élu à s'engager après le
président de la Commission permanente, le député Jean
Brianne, a été le Président du Conseil
général du Puy de Dôme, qui a pris un réel
engagement politique interdépartemental. Le consensus qui s'est mis en
place s'est aussi traduit par la convention Massif central, qui a
été demandée par le Ministère de
l'Aménagement du Territoire de l'époque, sur l'initiative du
Massif central. Cette initiative a pu être prise grâce au
comité de massif qui avait préalablement pris conscience de la
nécessité de mettre en oeuvre une politique interrégionale
plus forte.
Aujourd'hui, les collectivités locales s'engagent dans une
démarche très nouvelle, qui repose sur un consensus d'une
nouvelle nature et qui est, progressivement, en train de faire son chemin. Je
pense que ce consensus s'inscrit dans une voie d'avenir. En effet, la rencontre
qui est organisée, au niveau du Massif central, entre les
socioprofessionnels, d'une part, et les collectivités territoriales,
d'autre part, est de nature à faire naître des idées et des
concepts de développement totalement inédits. Cette rencontre
entre de nouveaux acteurs permet d'envisager le développement futur des
massifs.
Le Massif central est un territoire de moyenne montagne qui, par rapport
à la haute montagne, ressemble davantage à un territoire de
piémont ou de zone rurale qu'à un territoire alpin ou
pyrénéen. Ce point devait être précisé
puisque l'utilisation du terme de massif renvoie la plupart du temps à
l'idée de territoire alpin ou pyrénéen.
Je pense que la problématique des politiques de montagne doit
s'impliquer davantage sur les aspects de développement économique
au sens large, notamment à travers les TIC et l'emploi.
M. André Marcon -
Pour revenir aux comités de massif, je
tiens à souligner que les régions et les départements ont
eu tendance à envoyer, au sein de ces instances,
des « seconds couteaux ». Lorsque les interlocuteurs
étaient, au contraire, des personnes de qualité, les choses se
sont naturellement mieux déroulées. Il existe donc, en ce
domaine, une réelle responsabilité des collectivités
territoriales. J'estime qu'il appartient aux présidents des Conseils
généraux et aux premiers vice-présidents des Conseils
régionaux de siéger dans les comités de massif.
M. Pierre Jarlier -
La situation de nos territoires ne doit pas
être vécue comme une fatalité. En effet, le discours tenu
par monsieur Marcon est de nature à redonner confiance aux
différents acteurs implantés dans les territoires. Il est
également important d'avoir des ambassadeurs de qualité, pour
travailler sur la question des politiques de développement.
Vous avez parlé d'accessibilité. Sur ce sujet, je pense que
l'accessibilité routière est effectivement une priorité. A
côté de cela, nous savons que l'accessibilité
numérique aura également un rôle majeur dans le
développement des territoires de montagne. Malheureusement, le
territoire du Massif central, tout comme les autres territoires de montagne,
est en train de prendre un sérieux retard, que l'on peut comparer au
retard qu'il a pris au sein du dispositif routier ou autoroutier. Suite au
CIADT, des espoirs sont apparus, laissant supposer un fort engagement de l'Etat
et des collectivités. Mais outre les investissements
dégagés pour les infrastructures, une autre difficulté se
pose. En effet, l'absence d'interconnexions entre les différents
opérateurs laisse présager un échec assuré,
puisqu'il faudrait, dans ce cas, installer autant de pylônes qu'il y a
d'opérateurs. Cette situation serait aberrante. Nous savons très
bien que la couverture optimale du territoire ne se fera qu'au moyen d'une
interconnexion entre les opérateurs. J'aimerais connaître votre
point de vue sur cette question, tout en rappelant que la couverture des
territoires en installations et lignes haut-débit sera, demain, le
facteur essentiel de développement des territoires reculés.
J'insiste beaucoup sur ce sujet qui, pour le moment, est loin d'être
réglé.
Ma deuxième question porte sur le comité de massif. L'idée
de faire intervenir le SGAIR à la place ou en complément du SGAR
me semble très intéressante. Nous nous rendons compte que les
politiques interrégionales existent et qu'elles présentent des
axes de développement transversaux (le long des axes autoroutiers, d'un
bassin versant, etc.). Cependant, la réalisation de ces mesures reste
extrêmement complexe. Si les acteurs locaux sont favorables à ces
projets, l'absence de coordination rend la gestion de ces dossiers impossible.
Même en la présence d'un préfet coordonnateur, ils sont
systématiquement renvoyés aux préfets des
différentes régions concernés. Ensuite, une fois que les
programmes sont contractualisés, chaque dossier de demande de subvention
est traité selon le même schéma, qui nécessite
d'attendre la réponse au projet et l'avis du préfet pendant
plusieurs mois, alors que les projets devraient être traités
rapidement, puisqu'ils sont basés sur des considérations
d'opportunité.
Dans ce contexte, le comité de massif ne pourrait-il pas avoir un
rôle de coordinateur, assimilable à celui d'un SGER, de
façon à simplifier les procédures et impulser les
programmes régionaux qui sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, je
me demande si les comités ne devraient pas bénéficier
d'une animation plus forte, et d'une relation encore plus proche avec les
commissaires de massif, en renforçant les commissariats de massif. De
cette façon, des acteurs plus proches du terrain pourraient impulser,
plus efficacement, les politiques de massif.
M. André Marcon -
J'abonde complètement dans votre sens.
Nous devons simplifier le système et mettre en exergue le rôle
d'animation devant être tenu par le commissariat ou par le comité
de massif. Nous devons à tout prix dissocier l'outil financer, qui doit
être propre, de l'animation. Je suis d'accord avec votre analyse et
notamment sur le renforcement du rôle du commissariat.
Je reviendrai rapidement sur la question du haut débit. En
matière de téléphonie mobile, la priorité porte sur
le GSM, qui est un outil de sécurité et dont toutes les
populations ont l'usage. En ce domaine, les trois opérateurs doivent
être d'accord pour s'installer sur le même pylône. Je
regrette que nous ayons abandonné le
roaming
, qui permettait,
là où il n'existait pas assez de pylônes partagés,
de passer d'un opérateur à l'autre, sans que la communication
soit coupée. Dans ce domaine, je pense les opérateurs n'ont pas
souhaité envisager cette possibilité, qui sur le plan technique
était réalisable. Il faut savoir que les opérateurs ne
sont pas intéressés pour faire passer de la voix et
préfèrent faire passer des services. Il est à regretter
que l'Etat, qui avait la possibilité d'imposer le
roaming
, n'ait
pas usé de cette prérogative.
S'agissant du filaire, il est important que les territoires de montagne soient
correctement raccordés, étant donné que l'UMTS n'est pas
près d'arriver sur ces territoires. Dans ce domaine, la mutualisation
est nécessaire et les différents protocoles doivent être
coordonnés. En effet, il est inutile que France Télécom
pose de la fibre optique avec ses propres protocoles, pendant que d'autres
opérateurs posent de la fibre en fonction d'autres protocoles. Nous
avons vu les difficultés engendrées par la présence des
différents protocoles en matière d'ADSL. Les autocommutateurs de
France Télécom ne pouvaient pas être équipés
en fonction des besoins des autres opérateurs. Il a donc fallu
construire de petites cabanes, pour les autres opérateurs, à
côte des premiers autocommutateurs. L'Etat doit donc véritablement
jouer son rôle de chef d'orchestre. Il a, en effet, le devoir d'organiser
le système pour que tout se passe bien.
M. Marc Gastambide -
Je pense que le commissaire de massif devrait
être désigné à la fois par le Président de la
commission permanente du comité de massif et par le préfet
coordinateur du massif.
M. Pierre Jarlier -
Nous devons effectivement aller dans le sens d'une
plus grande coordination.
Nous vous remercions tous deux de votre contribution. Elle se
révèle être un témoignage très
précieux.