12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Bienvenue au Sénat et merci de votre présence. Vous allez pouvoir apporter des réponses aux attentes exprimées par la mission d'information sur la montagne. Je vous présente les excuses du Président de notre mission, Jacques Blanc, sénateur de Lozère, qui est retenu à l'étranger. Les sénateurs présents, et ceux du Massif central notamment, sont heureux d'accueillir le Président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, qui est un massif important.

Notre mission, créée en février dernier, doit rendre ses travaux en octobre. Vous voyez que nous nous sommes accordé un laps de temps assez court, pour mener à bien notre étude comprenant à la fois le bilan d'application de la loi Montagne et celui des dispositions intervenues, sur le plan européen, depuis son adoption. Nous souhaitons aussi esquisser des correctifs, des améliorations, et des simplifications que nous pourrions proposer au nouveau Gouvernement et au futur législateur que sera l'Assemblée Nationale, prochainement élue.

Nous envisageons de travailler sur trois thèmes :

- l'économie ;

- l'environnement et la protection de la nature ;

- l'aménagement.

M. André Marcon - Je suis Président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central qui regroupe 26 chambres sur 17 départements et 5 régions de programme. Je suis aussi vice-président de l'Association Interconsulaire du Massif central. Je m'exprimerai donc au titre des socioprofessionnels et à celui des CCI, au regard des leurs travaux en matière d'aménagement du territoire. Je suis un « rural des hauteurs », qui vit à 1 130 mètres d'altitude et maire d'une commune de 200 habitants, appelée Saint Bonnet le Froid. Je vous présente Marc Gastambide, qui est directeur général adjoint à l'ACFCI, à Paris, et qui a la charge des réseaux et de l'appui aux entreprises. Il a également été commissaire à l'aménagement du Massif central. Il possède à ce titre, une bonne expérience de la question qui nous intéresse.

J'essayerai d'être rapide et assez synthétique puisque je sais que les contributions que vous avez sur le sujet sont nombreuses. Je reprendrai les questions que vous avez posées, en m'attardant plus sur certaines d'entre elles et en les réorganisant différemment. Nous pourrions parler du bilan de la politique française de la montagne, des forces et des faiblesses de l'économie montagnarde, et du haut débit, sujet sur lequel j'ai rédigé un rapport dans le cadre du Conseil économique et social (CES). Je vous ferai aussi des propositions qui doivent être considérées sous un angle global, ainsi que des propositions qui prendront la forme de petits éclairages sur les mesures qui devraient pouvoir être proposées

Premièrement, je regrette que la loi Montagne apparaisse comme un catalogue de bonnes intentions et qu'elle ne dépasse pas ce stade. Nous pouvons nous en rendre compte en regardant, par exemple, la faiblesse des moyens dédiés. En effet, les outils financiers ne sont pas assez pertinents pour permettre la mise en oeuvre de ces bonnes intentions. Nous constatons, par ailleurs, que la loi Montagne avait la volonté de réussir une péréquation entre les territoires de notre pays, au profit des territoires et des populations de montagne. Cependant, cette péréquation n'a pas eu le succès escompté.

Malgré tout, la loi Montagne a eu certains effets positifs. Elle a permis de redonner de la fierté aux personnes résidant en montagne, ce qui est une avancée remarquable. Elle a aussi permis d'instaurer un dialogue entre les socioprofessionnels. Le plan Massif central, qui était un plan pour gommer les handicaps, n'avait pas eu cette vocation. De ce fait, nous avons, au niveau du Massif central, un excellent dialogue entre l'ensemble des structures consulaires et assistons à l'établissement de projets communs.

Cette loi a aussi permis la mise en place d'inter-régionalités, exercice difficile survenant après une dizaine d'années de décentralisation. La loi a permis d'afficher les richesses et les initiatives, non plus considérées sur le plan individuel, mais en les rassemblant et en leur donnant un effet de masse. La culture et la pratique du partenariat ont permis l'accès aux politiques européennes. Au regard des propositions de partenariat qu'il a formulées dans le cadre d' « interreg », le Massif central est très en avance. Elles ouvriront, en 2006, des perspectives intéressantes, lorsque les fonds traditionnels européens vont s'épuiser.

Le dernier point positif est la création de l'outil « comité de massif » qui a réellement dynamisé la politique conduite au niveau du commissariat à l'aménagement du Massif central. Dans cet ensemble de faiblesses et d'atouts, les CCI et les corps consulaires se sont plutôt bien retrouvés et les élus ont eu à coeur de faire des propositions. Nous avons acquis, depuis une quinzaine d'années maintenant, une culture de la proposition du projet. A cet égard, la loi Montagne a été tout à fait positive.

Je passerai rapidement sur les forces et les faiblesse de l'économie montagnarde et ne rappellerai pas un certain nombre de poncifs que vous connaissez déjà très bien. Je citerai une phrase de Gandhi qui disait que « de la pauvreté naît le génie ». En effet, la pauvreté des territoires ruraux leur a permis de développer leur imagination. La force de l'économie montagnarde est d'abord liée à la solidarité des populations, qui travaillent beaucoup plus ensemble qu'ailleurs. La qualité des hommes, des espaces, et du patrimoine est un autre aspect.

Je suis assez sensible à la communauté d'appréhension des problèmes. Les territoires, et notamment les régions, ne raisonnent pas toujours en ces termes. Nous avons réussi à créer, du côté des socioprofessionnels, une communauté d'appréhension des problèmes, chez les habitants du Massif central. Cette communauté d'esprit ne concerne pas la résolution de problèmes localisés. Cependant, l'appréhension des problèmes peut être globalisée. En effet, elle est la même dans l'Aveyron, dans l'Allier, en Haute-Loire, ou en Corrèze. Il faut donc apprendre à appréhender les problèmes liés à la faible démographie, aux grands espaces, et à la dispersion des équipements.

Les territoires de montagne sont marqués par la qualité de l'environnement et la grandeur de l'espace. Concernant ce dernier point, nous nous situons en effet dans des échelles très particulières, beaucoup plus vastes que celles pouvant être rencontrées à Paris, où posséder quelques mètres carrés est synonyme d'espace.

La première faiblesse de l'économie montagnarde est l'accessibilité. Nous devons aussi souligner la faiblesse des services, aux personnes ou aux entreprises. Une autre faiblesse tient à la démographie qui est encore dans une phase stagnante. Nous voyons enfin que les espaces de montagne créent deux sensations. La première est une sensation de désert, qui se traduit par un sentiment de solitude et un manque de communauté. Il existe, en effet, dans l'esprit de l'homme, une certaine réticence à vivre dans le désert. Deuxièmement, il existe aussi une perte de confiance des populations dans le devenir de leur pays. Le plus gros frein au développement de l'économie montagnarde est ce manque de confiance, ressenti par ceux qui n'ont pas quitté la montagne, au moment où les villes ont attiré de nombreux habitants des montagnes. Nous devons donc redonner de la fierté à ces populations, afin de revaloriser les territoires.

Je m'attarderai davantage sur les technologies de l'information et de la communication, qui sont un enjeu capital, pour nos montagnes comme pour le reste du territoire. L'année dernière, j'ai remis un rapport relatif à la desserte des territoires en téléphonie mobile et en haut débit. Il a eu l'avantage de guider les décisions qui ont été prises au niveau du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de Limoges, en juillet 2001. Je vous annonce que je fais un avis de suite de ce rapport, pour le compte du CES.

En reprenant les idées fortes du rapport, nous devons admettre que le marché ne règlera jamais l'équipement du territoire au regard des technologies. En effet, le marché n'est pas fait peut-être pour cela. En conséquence, nous ne pouvons pas lui demander de le faire. En outre, je considère que, concernant ces technologies qui sont relativement compliquées, l'Etat n'a pas suffisamment joué son rôle de chef d'orchestre, d'anticipateur, et de gardien, en charge de l'unicité de nos territoires. Je considère enfin que nous avons laissé partir beaucoup trop de coûts dispersés en nous basant sur l'économie de marché, dont je suis, par ailleurs, un fervent défenseur. Pour moi, l'économie de marché ne fonctionne jamais aussi bien que lorsque les règles du jeu sont clairement établies. Je ne pense pas que la Suède, le Canada, les Etats-Unis, ou l'Angleterre soient des pays où l'économie soit spécialement dirigiste. Or dans ce domaine, ces pays ont été plus dirigistes que nous ne le sommes et les opérateurs s'en portent très bien.

La deuxième constatation de fond est la suivante. Nous avons demandé au marché de résoudre ce problème en confondant les infrastructures et les usages. S'agissant des infrastructures, la priorité est que tout le monde soit correctement équipé, afin de pouvoir communiquer. Je vous rappelle l'installation du téléphone en 1974. Dans mon village, nous n'avions pas l'automatique et il fallait attendre deux à trois mois avant d'avoir une installation téléphonique. En quelques années, le plan Téléphone a entraîné le développement de l'usage du téléphone. Cet usage s'est considérablement développé, pour devenir une source de profit très important pour l'Etat. Au regard des nouvelles technologies, la situation est à peu près similaire. Cependant, nous aussi avons demandé au marché de régler la question des infrastructures. Aujourd'hui, nous avons, dans les grandes villes, des infrastructures pléthoriques. Dans le réseau secondaire, les infrastructures sont présentes mais moins nombreuses. Sur ce plan, France Télécom est relativement bien présent. Mais lorsque nous nous situons en dehors de ces réseaux (en matière de chevelu), la situation est plus chaotique et chaque opérateur a tendance à équiper les zones où il existe un fort usage.

Le CIADT a décidé de mesures courageuses. Il a notamment opté pour la mutualisation des pylônes, pour le GSM. Cette mesure semble tout à fait normale. Dans ce cadre, la participation est tripartite, à parts égales entre l'Etat, les opérateurs, et les collectivités. Le problème est que le CIADT s'est tenu le 9 juillet 2001 et que tous les décrets d'application ne sont pas encore sortis. Pour le moment, nous nous trouvons donc en présence d'une simple déclaration de bonnes intentions qui n'a pas encore produit d'effets. Cette situation se traduit par des conséquences pernicieuses. Toute couverture, en termes de GSM est, par exemple, stoppée sur le pays, dans la mesure où les opérateurs attendent que des études soient effectuées par les départements, avant de poser de nouveaux pylônes. Seul Bouygues Télécom pose de nouveaux pylônes, étant donné qu'il avait un retard à combler.

Dans le prochain rapport, nous allons souligner le fait que nous continuons à prendre du retard, alors que ce domaine nécessite d'agir très rapidement. En outre, nous allons souligner la nécessité pour l'Etat de mettre en place des moyens dédiés. Ces moyens ne sont pas colossaux. D'après nos estimations, l'équipement en fibres optiques de toutes les communes de France, qui permettrait de faire le chevelu, représente 10,67 milliards d'euros. Nous pouvons considérer que 3,81 milliards sont déjà investis. Dans ce cas, il me semble que la somme restante (environ 7,62 milliards) n'est pas une somme si importante, pour un pays comme la France. Je vous rappelle, en effet, que, pour la vente des licences UMTS, 3,96 milliards ont été réclamés à chaque opérateur. Si nous comparons les sommes à investir aux recettes dégagées, la somme finale apparaît raisonnable.

Dans le domaine des nouvelles technologies, nous considérons que les territoires ruraux, et notamment les territoires de montagne, doivent exiger la couverture. S'ils ont souvent manqué, en termes d'accessibilité, les grands enjeux des infrastructures autoroutières, de train, ou d'avion, ils ne peuvent plus se permettre de manquer l'ouverture représentée par les hautes technologies de l'information et de la communication.

Au risque d'être un peu iconoclaste, je pense qu'il ne faut pas écouter le discours de France Télécom, qui obéit à une logique d'entreprise, qui est respectable mais dont nous devons nous méfier. Cette entreprise est en train d'équiper le territoire de fibres optiques, son intérêt étant de louer la fibre optique le plus cher possible aux utilisateurs potentiels. Du point de vue de l'entreprise, ce raisonnement est très logique. Par ailleurs, pour que la concurrence n'arrive pas trop vite, France Télécom laisse un peu « traîner » ses affaires, de façon à prendre le temps d'équiper le territoire. De toute façon, France Télécom n'est pas dans une situation financière exceptionnelle, lui permettant d'aller beaucoup plus vite. Le fait que France Télécom soit la seule entreprise qui pourra équiper le territoire en fibres optiques pose le problème de la mise en place du réseau intermédiaire. Je suis un peu circonspect quant à l'installation de la fibre noire par les collectivités locales. En effet, outre l'installation, la fibre noire nécessite d'être activée et entretenue. Dans certains cas, l'usage ne permet pas d'envisager l'installation de la fibre noire sous l'angle de la rentabilité.

Nous insistons aussi beaucoup pour que les territoires utilisent les nouvelles technologies qui vont permettre de résoudre le problème le plus important qui est celui du chevelu. Ces technologies doivent être utilisées jusque dans les plus petits villages ruraux. Grâce à ces technologies, qui ne coûtent rien du tout, nous allons pouvoir « décomplexer » le débat et nous attacher à la sécurité du transport sur le réseau intermédiaire, afin d'arriver dans toutes les communes de France. C'est à cette seule condition que les gens pourront rester dans les territoires de montagne et que d'autres pourront venir s'y installer.

Je pense que l'impact des nouvelles technologies est considérable et produira, dans les années à venir, un impact sur nos comportements, qui sera bien supérieur à celui provoqué par l'arrivée de l'automobile. Dans le rapport, nous avions mentionné qu'il fallait, d'ici à 2005, arriver à 2 mégabits. Si nous pensions avoir placé la barre un peu haut, force est de constater que la Suède est aujourd'hui équipée d'un gigabit dans tous ses foyers. En termes d'usage, nous voyons que les Suédois utilisent complètement ces nouveaux outils, et ce suite à de nombreuses mesures incitatives. Sur le Massif central, nous lançons une opération « Cyber massif » qui va permettre la « culturation » de toutes les entreprises.

Je ferai deux types de proposition. Je tiens d'abord à souligner que l'accessibilité des territoires de montagne et des territoires ruraux reste la question primordiale. Sur ce point, nous ne devons pas écouter les discours parisiens qui estiment que le nombre d'autoroutes est suffisant. Cela n'est pas vrai et du travail reste à accomplir sur le territoire, en routes, en trains, et en avions. Deuxièmement, je pense que pour être efficace, la politique de la montagne doit être une politique de valeur ajoutée. A l'heure où les nouveaux systèmes et les nouvelles organisations territoriales se mettent en place, les actions engagées au niveau de la montagne doivent amener de la valeur ajoutée aux mesures prises par les départements et les régions.

Pour moi, la mise en place des comités de massif, par la loi Montagne, est une excellente idée. Certains comités fonctionnant mieux que d'autres, je prendrai l'exemple d'un comité qui fonctionne bien, à savoir celui du Massif central. Le comité de massif a été prévu comme une instance devant permettre à tous de débattre des problèmes de développement du massif. Petit à petit, il est devenu un outil davantage opérationnel. En effet, les socioprofessionnels ont pris une place importante au sein de ces comités et font de nombreuses propositions systématiques de développement. Grâce à la contractualisation, l'Etat, qui prend en compte les orientations dégagées au sein des comités de massif, a amené un certain nombre de remèdes aux maux dénoncés et a permis la mise en place de certaines procédures. Pour moi, le mouvement devrait être accéléré du côté des comités de massif. Je considère que les collectivités territoriales locales doivent réinvestir les comités, dans lesquels elles ne sont pas assez présentes. Seul l'investissement des collectivités locales permettra de dégager la valeur ajoutée mentionnée. En effet, les opérations proposées par les seuls socioprofessionnels ne permettraient pas d'atteindre une qualité de travail optimale. Nous devrions également simplifier le système, afin qu'il soit encore davantage opérationnel. Nous l'avons bien vu avec les conventions de Massif qui ont été mises en place parce que le Massif central avait exigé une convention spécifique, qui, par la suite, a été étendue à tous les massifs. Maintenant, nous devons faire des comités de massif, à condition que les régions et les départements remplissent bien leurs rôles, une véritable instance prospective de développement des territoires montagnards. Ces territoires doivent être envisagés comme des territoires d'avenir. En effet, il convient de ne plus penser en termes de handicaps, mais en termes de territoires du futur, qui sont des territoires sécurisés qui donnent envie à la population d'y venir ou d'y revenir.

Le système doit parallèlement être simplifié. Le commissariat, qui appartient à la DATAR, doit devenir totalement l'animateur du Massif central. Il doit être le centre de compétences du Massif central. Nous devons aussi gérer les problèmes financiers qui sont insolubles dans ce type de massif. Dans cette hypothèse, je préconise la mise en place de SGAIR (secrétariat général aux affaires interrégionales), qui devrait permettre de simplifier la gestion des affaires, qui porte sur des enveloppes très petites et très étroites.

Je terminerai par des propositions moins générales et plus ponctuelles. Premièrement, il est important que le phénomène Montagne, qui a été pris en compte en France, ait une reconnaissance au niveau européen. Deuxièmement, nous devons aussi travailler sur la simplification des procédures mises en place dans le cadre des massifs. La loi Montagne n'étant intervenue qu'au début de la décentralisation, les habitudes n'étaient pas encore prises, à cette époque. Cette situation s'est traduite par le développement de jurisprudences totalement différentes d'une région à l'autre. Nous devons aussi travailler sur des aides spécifiques à la localisation, les massifs ne pouvant survivre que dans un contexte engendrant de l'activité économique. Il faut donc inciter les gens à développer l'économie dans ces régions. Les massifs devraient aussi se préoccuper de contribuer à l'harmonie des grands équipements d'accessibilité. Si les régions et les départements sont soucieux de ces sujets, il est regrettable que ces préoccupations ne se recoupent pas davantage. Une plus grande harmonie devrait donc permettre de dégager de la valeur ajoutée. La convention Massif central l'a bien montré, avec ses 114,337 millions d'euros, dont 8,385 millions sont spécifiques au domaine routier.

Nous souhaitons aussi mettre en place un véritable SMIC, pour les petits commerçants. Si nous voulons attirer des habitants dans les régions montagneuses, celles-ci doivent compter un certain nombre de petits commerçants. S'il est normal d'aider les agriculteurs pour qu'ils restent au pays, dans la mesure où ils participent à l'entretien du paysage, il devrait en être de même pour les commerçants. Les revenus de ces professions indépendantes devraient être complétés, avec un contrôle des centres de gestion, pour que ces personnes puissent continuer à exercer leurs métiers sur nos territoires. Cela éviterait la fermeture de nombreuses échoppes et d'augmenter le nombre de chômeurs. Dans ces régions vastes et faiblement peuplées, la diffusion de la presse est une autre difficulté.

Nous devons aussi mettre en place une politique très volontariste, dans le cadre de l'accueil des jeunes actifs. En effet, les régions de montagne ne pourront se développer que si nous offrons la possibilité aux jeunes arrivants d'y rester.

Le dernier point concerne l'aspect touristique. Pour répondre à la question de l'avenir du tourisme dans le Massif central, je citerai la grande étude IPK, dont le Président fondateur est un des acteurs incontournables du tourisme mondial. Selon lui, l'avenir est aux territoires ruraux de moyenne montagne. En effet, ces territoires présentent des valeurs de qualité, d'authenticité, de terroir, qui sont les valeurs qui seront les plus demandées par les populations, dans les vingt prochaines années. Au regard de cet accueil, notre territoire donne l'impression d'un désert et n'est pas organisé. Nous avons privilégié l'hébergement locatif de type social. De ce point de vue, nos populations les plus pauvres ont permis que des populations encore plus pauvres viennent en vacances. Mais dans la pratique, cette démarche doit relever de la solidarité nationale et ne doit pas être supportée par le Massif central. En outre, nous avons aussi perdu notre tourisme marchand de qualité, qui est créateur de richesse. Comme l'a fait l'Ecosse, par exemple, nous devons affirmer l'importance d'investir dans ce type de tourisme, qui est générateur d'emplois et d'activités.

Nous devons aussi travailler sur l'aide à la pierre, tellement les investissements sont lourds. Pour avoir créé trois hôtels et en avoir repris deux autres, je peux vous affirmer que les aides sont nécessaires, d'autant plus qu'elles permettent souvent d'obtenir de bons résultats.

Le problème du logement des saisonniers doit aussi être pris en compte. Il convient aussi de conférer au personnel saisonnier de réels statuts, afin de donner de la souplesse au système, et de permettre à ces personnes de passer d'un métier à l'autre, en conservant une couverture effective. Enfin, nous devons travailler sur l'aide à la production, pour la mise en marché. En effet, nous devons passer d'une économie de cueillette à une économie de production ( package , forfaitisation). Dans ce dessein, nous devons favoriser la professionnalisation et l'émergence de nouveaux marchés. Au niveau du Massif central, nous travaillons dans cette direction depuis 1992, grâce au comité de massif. Tous les deux ans, nous favorisons l'arrivée de 100 opérateurs du monde entier sur le Massif central et ses produits spécifiques.

Actuellement, nous avons trop d'opérateurs et nous manquons d'offreurs et de propositions.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci pour cet exposé, riche et complet. Il a retenu toute notre attention, qu'il s'agisse des questions relatives au Massif central ou des questions plus générales portant sur la montagne et les régions rurales. Je vous propose que mes collègues vous posent à présent leurs questions.

M. Jean Boyer - Dans votre discours, vous avez souligné la nécessaire évolution d'un état d'esprit. Comme vous l'avez dit, il est important de ne pas se résigner et d'avoir envie d'entreprendre. Cet état d'esprit est d'autant plus important dans les zones de montagne et dans la politique des massifs. Aujourd'hui, les massifs ont encore peut-être une politique trop passive. Concernant la politique de la montagne, nous pouvons considérer que cette politique n'est pas assez offensive et manque d'esprit d'initiative.

J'ajouterai à votre présentation que nous devons aussi prendre en compte des réalités économiques et réglementaires. Dans le monde rural, l'implantation des abattoirs, par exemple, se faisait dans les lieux de production et d'élevage. Aujourd'hui, un audit national a été fait dans ce domaine. Ses principales conclusions montrent que, pour des raisons économiques et de pratique, il serait préférable d'implanter les abattoirs dans les lieux de consommation. A proximité de Lyon, par exemple, le projet d'implantation d'un abattoir (en Haute-Loire) suscite beaucoup de réflexions.

En outre, les zones de montagne doivent prendre en compte les dispositions de la réglementation européenne. En matière d'agroalimentaire et d'élevage de volailles notamment, il faut savoir que certains élevages sont remis en cause, au regard des délais de transports arrêtés. En effet, la stricte application de la législation européenne et le respect des délais de transport entre les lieux de production et d'abattage conduisent à remettre en cause l'existence de certains élevages de volailles, qui sont implantés à plus de deux heures des abattoirs. Nous voyons que ce contexte réglementaire et économique est pénalisant. Même si nous avons la volonté d'entreprendre et de ne pas nous résigner, nous nous interrogeons sur l'attitude à adopter.

M. André Marcon - Je suis d'accord avec vous. Cependant, le discours consistant à mettre en avant notre pauvreté et le fait que personne ne prenne en compte notre situation n'est plus porteur. Aujourd'hui, le problème doit être pris dans l'autre sens et les agriculteurs et les transformateurs doivent se prendre en main et réfléchir à la manière de mettre en place une agriculture différente, basée sur la qualité. Nous devons effectivement être capables d'empêcher l'entrée, dans nos abattoirs, de marchandises qui ne correspondent pas à la qualité existant au niveau du Massif central. Ainsi, nos abattoirs seront en mesure d'offrir les meilleurs produits et la situation sera réglée par le marché. En effet, si l'abattoir de Saint Paulien est celui qui propose les meilleurs bêtes, il ne sera plus utile de se rendre à l'abattoir de Lyon. Au niveau du Massif central, les agriculteurs sont en train de se battre pour arriver à imposer une agriculture de qualité. Ainsi, le problème des abattoirs et de la volaille sera réglé. Comme en matière de tourisme, je pense que nous devons jouer la politique des niches, de la valeur ajoutée, et de la grande qualité, si nous voulons mettre en place des équipements et apparaître sur le marché avec une proposition différente.

Mme Michèle André - La situation de la filière viande et celle des ses acteurs conduisent actuellement à se poser un certain nombre de questions. Si l'on regarde la situation curieuse de l'abattoir de Clermont-Ferrand, nous nous apercevons que malgré la volonté du Conseil général de trouver une solution, nous sommes encore tiraillés entre deux options ; abattre à l'endroit où se trouvent les bêtes, ou à l'endroit où sont les clients. L'attentisme de ceux qui mènent actuellement cette réflexion et qui devraient être les premiers financeurs, est tel qu'il compromet le maintien d'un abattoir de qualité dans la région de Clermont-Ferrand. Je tenais à attirer votre attention sur ce point.

Dans votre présentation, vous avez souligné la nécessité d'une meilleure présence des collectivités locales au sein des comités de massif. Pouvez-vous nous préciser quels types de collectivités vous manquent. Toutes les collectivités ne connaîtraient-elles pas un niveau d'engagement équivalent ?

Je terminerai par une remarque. Je suis une infatigable défenderesse du travail des femmes, qui est porteur de richesses, et d'avenir. N'ayant pas été pris en compte depuis un certain nombre d'années, le travail féminin a connu un déclin qui s'est traduit par la disparition d'une population qui serait volontiers restée au pays si le travail féminin était rémunéré par un vrai salaire, et non par un salaire d'appoint ou secondaire. J'apporte une attention particulière à cette question, afin que la présence des femmes puisse permette la réouverture de services, qui pourraient être de nature à attirer les jeunes sur les territoires de montagne.

M. André Marcon - S'agissant de la place des collectivités territoriales dans le comité de massif, vous avez compris que les socioprofessionnels sont très présents et très actifs. Je vais passer la parole à Marc Gastambide, qui a été commissaire à l'aménagement du Massif central. Il vous expliquera comment il a ressenti les choses et combien, à son sens, le comité a souffert de la non-présence des hommes politiques, qu'ils soient des élus départementaux ou régionaux. En matière d'emploi, il pourra vous présenter les dispositions mises en place dans le cadre de l'accueil des jeunes actifs.

M. Marc Gastambide - Lorsque les comités de massif ont été mis en place, il a été proposé que ces comités bénéficient de moyens financiers identiques à ceux de l'Agence de l'eau. Gaston Deferre, qui a été l'un de leurs derniers concepteurs, a refusé cette mesure. Pour moi, cette décision a un sens politique très fort et exprime bien la position de nos hommes politiques, en ce qui concerne les territoires fragiles, comme le sont les territoires de montagne.

Les comités de massif ont, pendant longtemps, pris la forme de réunions conviviales, où les participants avaient plaisir à se retrouver. Les actions engagées dans le Massif central sont tout à fait originales. Premièrement, les consulaires se sont engagés très tôt, avec la création de l'UCCIMAC, du COPAMAC SIDAM, pour les chambres d'agriculture, et de l'APAMAC, pour les chambres de métiers. D'autres structures en MAC (comme Massif central) ont suivi ce mouvement, comme l'ADIMAC, qui est structure d'Etat, la SOFIMAC, qui est une structure de financement et de capital-risque, la SOMIVAl, et plus récemment l'IPAMAC, qui réunit les parcs naturels du Massif central, le GIP sur les centres de recherche du Massif central, et les pays. Dans un premier temps, ce mouvement a été l'expression des socioprofessionnels.

Par la suite, ce mouvement a été déterminant pour les élus locaux, pour qui l'engagement des socioprofessionnels a fait office de déclic. Le premier élu à s'engager après le président de la Commission permanente, le député Jean Brianne, a été le Président du Conseil général du Puy de Dôme, qui a pris un réel engagement politique interdépartemental. Le consensus qui s'est mis en place s'est aussi traduit par la convention Massif central, qui a été demandée par le Ministère de l'Aménagement du Territoire de l'époque, sur l'initiative du Massif central. Cette initiative a pu être prise grâce au comité de massif qui avait préalablement pris conscience de la nécessité de mettre en oeuvre une politique interrégionale plus forte.

Aujourd'hui, les collectivités locales s'engagent dans une démarche très nouvelle, qui repose sur un consensus d'une nouvelle nature et qui est, progressivement, en train de faire son chemin. Je pense que ce consensus s'inscrit dans une voie d'avenir. En effet, la rencontre qui est organisée, au niveau du Massif central, entre les socioprofessionnels, d'une part, et les collectivités territoriales, d'autre part, est de nature à faire naître des idées et des concepts de développement totalement inédits. Cette rencontre entre de nouveaux acteurs permet d'envisager le développement futur des massifs.

Le Massif central est un territoire de moyenne montagne qui, par rapport à la haute montagne, ressemble davantage à un territoire de piémont ou de zone rurale qu'à un territoire alpin ou pyrénéen. Ce point devait être précisé puisque l'utilisation du terme de massif renvoie la plupart du temps à l'idée de territoire alpin ou pyrénéen.

Je pense que la problématique des politiques de montagne doit s'impliquer davantage sur les aspects de développement économique au sens large, notamment à travers les TIC et l'emploi.

M. André Marcon - Pour revenir aux comités de massif, je tiens à souligner que les régions et les départements ont eu tendance à envoyer, au sein de ces instances, des « seconds couteaux ». Lorsque les interlocuteurs étaient, au contraire, des personnes de qualité, les choses se sont naturellement mieux déroulées. Il existe donc, en ce domaine, une réelle responsabilité des collectivités territoriales. J'estime qu'il appartient aux présidents des Conseils généraux et aux premiers vice-présidents des Conseils régionaux de siéger dans les comités de massif.

M. Pierre Jarlier - La situation de nos territoires ne doit pas être vécue comme une fatalité. En effet, le discours tenu par monsieur Marcon est de nature à redonner confiance aux différents acteurs implantés dans les territoires. Il est également important d'avoir des ambassadeurs de qualité, pour travailler sur la question des politiques de développement.

Vous avez parlé d'accessibilité. Sur ce sujet, je pense que l'accessibilité routière est effectivement une priorité. A côté de cela, nous savons que l'accessibilité numérique aura également un rôle majeur dans le développement des territoires de montagne. Malheureusement, le territoire du Massif central, tout comme les autres territoires de montagne, est en train de prendre un sérieux retard, que l'on peut comparer au retard qu'il a pris au sein du dispositif routier ou autoroutier. Suite au CIADT, des espoirs sont apparus, laissant supposer un fort engagement de l'Etat et des collectivités. Mais outre les investissements dégagés pour les infrastructures, une autre difficulté se pose. En effet, l'absence d'interconnexions entre les différents opérateurs laisse présager un échec assuré, puisqu'il faudrait, dans ce cas, installer autant de pylônes qu'il y a d'opérateurs. Cette situation serait aberrante. Nous savons très bien que la couverture optimale du territoire ne se fera qu'au moyen d'une interconnexion entre les opérateurs. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette question, tout en rappelant que la couverture des territoires en installations et lignes haut-débit sera, demain, le facteur essentiel de développement des territoires reculés. J'insiste beaucoup sur ce sujet qui, pour le moment, est loin d'être réglé.

Ma deuxième question porte sur le comité de massif. L'idée de faire intervenir le SGAIR à la place ou en complément du SGAR me semble très intéressante. Nous nous rendons compte que les politiques interrégionales existent et qu'elles présentent des axes de développement transversaux (le long des axes autoroutiers, d'un bassin versant, etc.). Cependant, la réalisation de ces mesures reste extrêmement complexe. Si les acteurs locaux sont favorables à ces projets, l'absence de coordination rend la gestion de ces dossiers impossible. Même en la présence d'un préfet coordonnateur, ils sont systématiquement renvoyés aux préfets des différentes régions concernés. Ensuite, une fois que les programmes sont contractualisés, chaque dossier de demande de subvention est traité selon le même schéma, qui nécessite d'attendre la réponse au projet et l'avis du préfet pendant plusieurs mois, alors que les projets devraient être traités rapidement, puisqu'ils sont basés sur des considérations d'opportunité.

Dans ce contexte, le comité de massif ne pourrait-il pas avoir un rôle de coordinateur, assimilable à celui d'un SGER, de façon à simplifier les procédures et impulser les programmes régionaux qui sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, je me demande si les comités ne devraient pas bénéficier d'une animation plus forte, et d'une relation encore plus proche avec les commissaires de massif, en renforçant les commissariats de massif. De cette façon, des acteurs plus proches du terrain pourraient impulser, plus efficacement, les politiques de massif.

M. André Marcon - J'abonde complètement dans votre sens. Nous devons simplifier le système et mettre en exergue le rôle d'animation devant être tenu par le commissariat ou par le comité de massif. Nous devons à tout prix dissocier l'outil financer, qui doit être propre, de l'animation. Je suis d'accord avec votre analyse et notamment sur le renforcement du rôle du commissariat.

Je reviendrai rapidement sur la question du haut débit. En matière de téléphonie mobile, la priorité porte sur le GSM, qui est un outil de sécurité et dont toutes les populations ont l'usage. En ce domaine, les trois opérateurs doivent être d'accord pour s'installer sur le même pylône. Je regrette que nous ayons abandonné le roaming , qui permettait, là où il n'existait pas assez de pylônes partagés, de passer d'un opérateur à l'autre, sans que la communication soit coupée. Dans ce domaine, je pense les opérateurs n'ont pas souhaité envisager cette possibilité, qui sur le plan technique était réalisable. Il faut savoir que les opérateurs ne sont pas intéressés pour faire passer de la voix et préfèrent faire passer des services. Il est à regretter que l'Etat, qui avait la possibilité d'imposer le roaming , n'ait pas usé de cette prérogative.

S'agissant du filaire, il est important que les territoires de montagne soient correctement raccordés, étant donné que l'UMTS n'est pas près d'arriver sur ces territoires. Dans ce domaine, la mutualisation est nécessaire et les différents protocoles doivent être coordonnés. En effet, il est inutile que France Télécom pose de la fibre optique avec ses propres protocoles, pendant que d'autres opérateurs posent de la fibre en fonction d'autres protocoles. Nous avons vu les difficultés engendrées par la présence des différents protocoles en matière d'ADSL. Les autocommutateurs de France Télécom ne pouvaient pas être équipés en fonction des besoins des autres opérateurs. Il a donc fallu construire de petites cabanes, pour les autres opérateurs, à côte des premiers autocommutateurs. L'Etat doit donc véritablement jouer son rôle de chef d'orchestre. Il a, en effet, le devoir d'organiser le système pour que tout se passe bien.

M. Marc Gastambide - Je pense que le commissaire de massif devrait être désigné à la fois par le Président de la commission permanente du comité de massif et par le préfet coordinateur du massif.

M. Pierre Jarlier - Nous devons effectivement aller dans le sens d'une plus grande coordination.

Nous vous remercions tous deux de votre contribution. Elle se révèle être un témoignage très précieux.

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