11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie de votre présence et d'avoir fait le déplacement depuis Challes-les-Eaux pour vous rendre à Paris et rejoindre le Sénat. La mission sénatoriale d'information sur la montagne a été constituée au mois février dernier et permet aux sénateurs de profiter de la période électorale, qui les prive en quelque sorte du travail législatif habituel, pour se consacrer à ces sujets. Nous profitons également de l'année internationale des montagnes pour faire le point sur l'application de la loi du 9 janvier 1985 et sur les textes ultérieurs, qui ont pu venir corriger cette loi fondamentale. Une fois le bilan dressé, notre second objectif consiste à moderniser cette loi et à déterminer les adaptations à proposer au législateur qui entrera en fonction dans quelques semaines, ainsi qu'à l'actuel et au futur Gouvernement. Je suis heureux que vous puissiez nous faire part de votre expérience et de votre avis sur une partie importante de la loi, à savoir les volets du tourisme et de l'équipement, qui font partie des socles de ce texte. D'avance, je vous remercie de nous faire part de vos avis, à partir de la grille de questions que nous vous avons préalablement adressée.

M. Philippe Martin - Je tiens à signaler que je ne représente pas, dans cette instance, le secrétariat d'état au Tourisme. En effet, mes propos n'ont pu être validés étant donné que je n'ai pas pu les soumettre à une quelconque autorité. Par contre, je veillerai à ce que les réponses écrites au questionnaire, soient validées.

Le service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) a été créé pour concevoir et mener les procédures visant à la création, ex-nihilo , de stations de sport d'hiver. Au cours des dernières années, la mission première du SEATM a beaucoup évolué. Sans perdre la compétence en matière de domaines skiables, de nombreuses évolutions sont intervenues dans le domaine des activités de pleine nature et nous avons fait de gros progrès sur la connaissance des clientèles et de leurs attentes. Depuis deux ou trois ans, nous nous penchons aussi sur un gros dossier qui est celui de la moyenne montagne, mais ce dossier nous laisse assez perplexes.

Mon exposé s'articulera en quatre points et reprendra les principales questions posées dans le questionnaire. Nous étudierons premièrement la question des indicateurs en regardant la fiabilité des mesures qui sont réalisées dans ce domaine. Nous verrons quelle est la représentation de l'activité de tourisme en montagne. Deuxièmement, nous traiterons des extensions de domaines skiables en nous penchant plus particulièrement sur l'avenir des petites stations. Troisièmement, nous aborderons une question fondamentale, qui est celle de l'évolution des attentes de la clientèle et de la nature de ces évolutions. Enfin, nous aborderons les questions de freins ou de blocages et des perspectives de progrès. Selon moi, ces perspectives concernent davantage les textes d'application que la loi Montagne elle-même.

Pour l'instant, nous ne disposons que d'un seul indicateur véritablement fiable. Il porte sur l'activité des remontées mécaniques. Cet indicateur est très fiable et très réactif. Chaque saison hivernale est découpée en cinq périodes (trois périodes de vacances scolaires et deux périodes inter-vacances). Nous connaissons les résultats précis de la situation rencontrée sur chacun des massifs de montagne dans les deux à trois semaines suivant la fin de chaque période. Ce système fonctionne bien dans la mesure où la profession est remarquablement bien organisée, à travers le syndicat national des téléphériques de France (SNTF). Qu'il s'agisse de la conception du système ou du travail de collecte, nous avons à faire à des interlocuteurs fiables et bien organisés. Aujourd'hui, le travail de collecte est informatisé, à travers le serveur du SNTF, dans lequel nous allons directement chercher les informations dont nous avons besoin, et qui sont traitées et re-diffusées.

Même si les circulaires prises de 1994 à 1997, qui traitaient des aides aux stations en difficulté, notamment par manque de neige, ont indiqué que l'activité des remontées mécaniques était représentative du tourisme hivernal en montagne, cela est de moins en moins vrai, et pas seulement en Haute-Savoie. Aujourd'hui, nous manquons cruellement d'indicateurs fiables et représentatifs pour les autres acteurs du tourisme et notamment en ce qui concerne les hébergements (surtout les meublés). Un certain nombre d'acteurs s'est mobilisé pour trouver des palliatifs. C'est notamment le cas de l'Observatoire National du Tourisme (ONT) qui, en partenariat avec l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été, a monté un système d'observation. C'est aussi le cas de l'ANEM qui a créé le bureau d'études Comète. Mais dans le cas de l'ONT, nous sommes confrontés à une fiabilité inégale des sources. Le recul est également insuffisant et la pondération absente. Dans le cas de l'ANEM, la représentativité des territoires est inexistante puisque le nombre de stations suivies très précisément par le bureau d'étude Comète est extrêmement limité. Une piste de progrès pourrait consister à exercer une certaine pression sur la profession, et notamment sur la FNAIM et sur les différents syndicats hôteliers, pour qu'ils acceptent l'instauration d'un dialogue permettant de constituer un panel représentatif, basé sur une approche scientifique, et la mise en place d'un système de collecte. Evidemment, le SEATM pourrait prendre en charge le traitement ultérieur des données recueillies. Pour le moment, nous disposons des méthodes mais nous manquons d'interlocuteurs pour organiser le système.

Par ailleurs, le secrétariat d'Etat au Tourisme ne dispose d'aucun indicateur fiable pour appréhender la situation en montagne rencontrée en été. Je rappelle que le chiffre d'affaires touristique global de l'été est supérieur au chiffre d'affaires hivernal, même s'il ne porte pas sur le même territoire. En montagne, l'économique touristique estivale est encore plus importante qu'en hiver (+ 10 %).

Dans le domaine du ski, nous avons la connaissance des chiffres d'affaires réalisés et nous connaissons assez bien la fréquentation de chaque domaine skiable (nombre de journées skieurs), son utilisation par les skieurs (les passages), mais nous ne connaissons pas vraiment le nombre de skieurs. En effet, les exploitants des remontées mécaniques commencent depuis peu à s'intéresser à l'identification de leurs clients. A partir du seul nombre de clients fréquentant le domaine skiable, nous ne pouvons pas déduire précisément le nombre de skieurs. De ce point de vue, nous avons de grandes difficultés à connaître le marché, en termes de nombre de pratiquants des activités de glisse.

A côté des indicateurs concernant les activités économiques, nous disposons d'autres indicateurs, géographiques ou d'équipement, qui sont beaucoup plus précis. Là encore, les remontées mécaniques sont remarquablement instrumentalisées et nous sommes capables de déterminer, à l'unité près et en partenariat avec le STRMTG (service technique des remontées mécaniques et des transports guidés), le nombre de remontées mécaniques, leur nature, leur puissance, et l'ensemble de leurs caractéristiques. Nous avons une connaissance précise de toutes ces données sur la France entière. Ces données sont totalement fiables, mais les remontées non autorisées ne figurent pas dans ce fichier.

Nous connaissons un peu moins bien les pistes. Le travail de recensement des pistes est effectué par le SEATM. Toutes les stations ne sont pas équipées de systèmes d'information géographiques - loin s'en faut - et certaines n'ont même pas de plans des pistes. En France, nous pouvons dire qu'il existe environ 25 000 hectares de pistes, dont environ 3 000 faisant l'objet d'une production de neige de culture. Concernant la description physique de l'offre, la situation se complique lorsque nous parlons de domaines skiables. En effet, personne ne partage la même définition de cette notion, et surtout pas les professionnels, dont les points de vue divergent d'une station à l'autre, et en fonction des enjeux commerciaux spécifiques. Même les maires ne partagent pas la même vision, qui peut varier en fonction des enjeux pénaux (pour les questions relatives à la sécurité). Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire qu'il existe environ 120 000 hectares de domaine skiable, ce qui représente environ 1 % de l'espace de montagne français (11 400 000 hectares). Au regard de ces chiffres, nous voyons que l'activité de tourisme de montagne hivernal est très concentrée. Si l'on inclut les installations induites par l'activité humaine (urbanisme, infrastructures routières, etc.) qui représentent aussi environ 1 % de l'espace de montagne, nous pouvons dire que le ski représente, en France, 2 % de l'espace de montagne. Le chiffre d'affaires réalisé en hiver sur 2 % du territoire est équivalent au chiffre d'affaires réalisé l'été sur 100 % du territoire de montagne. En effet, le tourisme estival est beaucoup plus diffus.

La source première des autres indicateurs d'offre touristique est l'INSEE. Il y a quelques années encore, le SEATM tentait de tenir à jour un recensement de tout ce qui pouvait contribuer à l'offre touristique (les hébergements, les hôtels, les piscines, les équipements de loisirs, etc.). En raison de l'absence d'un système centralisé de collecte d'informations autre que celui de l'INSEE, le SEATM a renoncé puisqu'il ne possède pas les moyens financiers lui permettant d'acheter des fichiers à l'INSEE. Le prix des fichiers pose donc un problème d'accès à l'information.

Le récent transfert de compétence (27 février 2002) aux régions des secteurs relevant de la collecte et du traitement des statistiques peut représenter une avancée intéressante et permettre une bonne approche de ces problèmes. Cependant, il sera difficile, dans un grand nombre de régions, de convaincre les partenaires d'identifier ce qui concerne la montagne, qui risque d'être diluée dans une approche globale du tourisme.

En l'état actuel des choses, une extension pure du domaine skiable n'est pas envisageable. Actuellement, l'offre de ski est de plus en plus supérieure à la demande. En effet, l'offre croît fortement, en termes de capacité des équipements. Si le nombre de remontées mécaniques décroît régulièrement, leur puissance et le nombre de skieurs pouvant être transportés augmentent régulièrement. Dans ce contexte, la demande ne justifie pas une extension du domaine skiable. Cependant, deux cas de figures justifient, outre le renouvellement et la modernisation du matériel, l'installation de nouveaux équipements de montagne. Il s'agit premièrement de l'interconnexion des domaines skiables existants. La loi Montagne considère la commune comme étant l'unité de base du développement touristique. Ainsi, de nombreux domaines skiables ont été définis en fonction des limites communales. Si l'on croise cette situation avec les évolutions de la clientèle, nous nous apercevons que certaines stations ayant un domaine skiable réduit à la commune, à l'exception des stations du Massif central où les problèmes d'interconnexion sont extrêmement limités, ont une offre qui n'est pas assez diversifiée, soit trop facile, soit trop difficile. Dans ce contexte, l'interconnexion peut apparaître comme une solution attirante, permettant de faire face aux évolutions des attentes de la clientèle. Tout comme l'extension, l'interconnexion ne doit pas être une fin en soi, et l'attente du client doit toujours prédominer. En effet, une interconnexion qui ferait intervenir un ou deux kilomètres de plat et qui forcerait les skieurs à avancer en poussant sur les bâtons n'est pas utile dans la mesure où elle ne remporterait pas l'adhésion des clients. Les transferts de skieurs sur des télésièges longs de deux ou trois kilomètres ne sont pas non plus satisfaisants. Si l'interconnexion n'est pas une fin en soi, c'est un bon moyen de diversifier l'offre de ski, de mélanger des espaces de ski présentant différents niveaux de difficulté, et de faire en sorte que chaque espace d'urbanisation ait accès à un domaine skiable aussi varié que possible.

Le deuxième cas de figure d'implantation de nouvelles remontées mécaniques peut être lié à la densification des pistes à l'intérieur du domaine skiable existant. Là aussi, il faut être vigilant et tenir compte de l'offre d'hébergement. Il s'agit en effet de savoir s'il convient de laisser se développer davantage l'offre d'hébergement. La question de la fréquentation des domaines skiables se pose aussi. En effet, il convient de veiller à ne pas réduire l'attractivité du produit ski en permettant une densité de pratiquants excessive. Si la question de la densité peut varier de façon importante d'une station à l'autre en fonction du type de clientèle, il convient toutefois de respecter certaines limites.

Si nous densifions le domaine skiable existant, nous n'allons pas améliorer la situation des petites stations de ski, qui risquent de se trouver confrontées à une concurrence accrue. Je pense que deux cas de figure peuvent justifier le désarmement :

- La disparition pure et simple des remontées, qui ont été installées par erreur ou qui ne correspondent plus à un besoin, peut se concevoir si l'offre devient hors marché (téléskis trop raides, situés dans des bois, etc.). En effet, il peut arriver que les installations remettent en cause la sécurité des pratiquants ou que la difficulté de ski proposée soit inadaptée (difficulté trop importante pour des débutants, des classes scolaires, etc.). La situation est appréciée au cas par cas, en fonction de la clientèle visée.

- Le deuxième cas de figure pouvant justifier le désarmement est la situation où l'impact négatif de l'été est supérieur à l'impact positif de l'hiver. En effet, l'existence de remontées mécaniques mal conçues, et présentes dans un paysage agréable en été, peut être repoussante et dissuader certains clients de fréquenter la station pendant les mois d'été. Nous avons déjà fait plusieurs propositions de désarmement, basées sur cette seconde considération. Peu de dossiers aboutissent ; toutefois un dossier concernant la Lozère est en bonne voie. C'est aussi le cas de certains dossiers concernant les Vosges.

Pour les petites stations, le cas de figure le plus fréquent n'est pas celui du désarmement mais d'un repositionnement commercial et touristique. Dans cette optique, le ski peut devenir une des composantes de l'offre touristique et non la composante majeure, si une demande existe notamment pour la promenade ou pour d'autres activités. Il arrive aussi très fréquemment que ce qui a été baptisé « station » ne soit qu'un stade de neige, fréquenté par les habitants d'une grande ville, située à proximité. De mon point de vue, il conviendrait, dans ces cas, de nouer des partenariats originaux entre les villes concernées et les collectivités qui supportent la station « stade de neige ». En effet, il n'est pas choquant qu'une grande ville ayant besoin d'espaces de loisirs noue un tel partenariat avec la collectivité compétente.

S'agissant des évolutions climatiques, nous pouvons dire, après avoir comparé les points de vue des scientifiques français, suisses, et autrichiens, que leur effet est moins prégnant et rapide que l'évolution de la demande, en particulier pour les petites stations. Par ailleurs, l'évolution du climat est négligeable, comparée aux aléas climatiques pouvant intervenir d'une année à l'autre. De la même façon que les agriculteurs supportent de moins en moins les aléas climatiques, ces variations posent aussi des difficultés au niveau des personnels des stations de sports d'hiver qui demandent des emplois stables, avec des dates de prise de poste et de fin d'activité très régulières. D'une année sur l'autre, ces aléas deviennent de plus en plus insupportables pour les employés et les acteurs intervenants dans ce type d'activité. En résumé, je considère que l'évolution des données climatiques doit être prise en compte dans toute décision d'investissement, qu'il s'agisse des remontées mécaniques ou de la neige de culture. En effet, pour produire de la neige dans de bonnes conditions, il ne suffit pas d'avoir de l'eau, mais il faut également avoir du froid.

Avant d'aborder les questions relatives aux attentes de la clientèle, je vais souligner certains éléments majeurs survenus au cours des dernières années, et qui ont marqué l'évolution du tourisme en montagne.

Nous avons assisté, tout d'abord, à la création de PAM (Professionnels Associés de la Montagne) qui s'est traduite par la mise en place d'un lieu de discussion et de débat traitant de la façon de positionner l'image de la montagne. Je regrette seulement qu'aucun hébergeur ne fasse partie des membres composant cette cellule. A une époque, la FNAIM participait aux débats. Aujourd'hui, elle n'est plus présente et personne n'a réellement cherché à la retenir. Il est regrettable que l'hébergement, qui est un aspect fondamental du tourisme, ne participe pas à ces travaux, alors que tous les autres secteurs sont représentés (remontées mécaniques, ski de fond, fabricants de matériels et de vêtements, etc.).

Comme je ne l'ai pas dit en introduction, je précise que le SEATM est un service technique central, à compétence nationale, et rattaché à la direction du Tourisme. De fait, l'essentiel de notre activité (60 %) rentre dans le cadre des missions de l'AFIT (Agence Française d'Ingénierie Touristique). Si le SEATM n'existait pas, c'est l'AFIT qui fournirait cette prestation. A partir d'expériences menées antérieurement, l'AFIT a provoqué la création d'un panel national ski. Il s'agit d'un ensemble de 2 000 à 2 200 foyers qui présentent la caractéristique de comporter au moins une personne pratiquant un sport de glisse. Cet ensemble est représentatif à la fois des lieux de résidence et des destinations choisies, dans les différentes stations de sports d'hiver des massifs. L'échantillonnage a été assez coûteux et compliqué à élaborer. Le panel peut renseigner sur n'importe quelle question concernant la clientèle des stations de sports d'hiver. Nous avons déjà compilé un certain nombre d'idées intéressantes et nouvelles. Ces informations sont à la disposition des professionnels qui ont toutefois de la peine à se les approprier, bien que ce système soit très économique. En effet, la question coûte 760 euros, ce qui n'est pas cher comparé au coût d'un ré-échantillonnage d'un panel représentatif.

Troisièmement, NIVALLIANCE a été mis en place par le syndicat national des téléphériques de France (SNTF). Vous savez que la question du « fonds neige » n'est plus d'actualité et qu'elle a été réglée par une démarche purement professionnelle des exploitants de remontées mécaniques, qui repose sur un système d'assurance mutualisé. Le coût de cotisation est à peu près équivalent à l'ancienne taxe qui portait sur le contrôle des remontées mécaniques. Ce système d'assurance offre un niveau de compensation de perte de chiffre d'affaires qui est tout à fait convenable. Nous pouvons féliciter le SNTF d'avoir mis en place ce système, dans un contexte particulièrement difficile, et dans lequel les assureurs étaient encore échaudés par les drames de septembre 2001. Ce système contribue à protéger un élément de la profession qui est ainsi à l'abri d'un certain nombre de risques économiques qui ne peuvent être imputés aux exploitants de remontées mécaniques (manque de neige, grève des trains, etc.). Nous ne pouvons que souhaiter que d'autres professions adoptent la même démarche, plutôt que d'attendre des compensations financières de la part des pouvoirs publics. Ce système d'assurance présente le mérite d'être en grande partie mutualisé. Ainsi, les cotisations sont davantage fonction de la capacité contributive que du niveau de risque réel encouru par le cotisant. Ce système est remarquable.

Le carnet de route de la montagne a aussi été mis en place. Il s'agit d'un outil méthodologique, à disposition des professionnels ou des territoires, qui leur permettra de réfléchir de manière très objective à leur positionnement touristique.

Le dernier élément concerne les outils qui mettent en place au niveau de l'immobilier de loisir. Nous y reviendrons.

Une des caractéristiques de la montagne est d'avoir pris en compte, sans doute en premier par rapport à d'autres destinations touristiques, les attentes de la clientèle. Une approche sociologique, initiée en 1992, a été mise en place. Cependant, le résultat de cette étude n'a pas été utilisé. En effet, la diffusion de données sociologiques auprès des professionnels du tourisme n'a donné aucun résultat, les professionnels étant habitués à entendre un autre langage. Pour cette raison, l'actualisation intervenue en 1999 n'a pas été diffusée avant la création concrète d'un guide méthodologique. Ce guide a pris la forme du « carnet de route de la montagne » que j'évoquais précédemment, et que vous connaissez déjà.

J'ai été extrêmement étonné par la vitesse de diffusion de ce document, qui témoigne de l'attente qui existait, et de son appropriation. En quelques mois, nous avons assisté à un changement fondamental du contenu des discours, qui révèle une très bonne appropriation de cet outil. Cependant, l'appropriation n'est pas la même à tous les niveaux. Le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est encore un peu en retrait de cette démarche, qui, de toute façon, a apporté beaucoup d'éléments positifs.

J'évoquerai rapidement l'avenir du ski de fond. En 2000, France Ski de Fond (FSF) s'est engagée, dans le cadre de la mise en place et de l'élaboration du carnet de route de la montagne, dans une ambitieuse démarche de réflexion stratégique. Actuellement, beaucoup de fédérations contestent l'opportunité d'une telle démarche et ne sont pas convaincues que la demande a changé et que des pratiquants désirent faire autre chose que du sport, qu'ils peuvent considérer comme un sport dur et ingrat. Certaines fédérations, notamment dans le Cantal, ont du mal à accepter des avis qui recommandent de réduire la longueur totale des pistes, trop importante par rapport à la demande. En effet, beaucoup de pratiquants pensent qu'il vaut mieux avoir moins de kilomètres de pistes, mais mieux entretenues. Pour ces fédérations, qui se sont dévouées au nom d'une éthique sportive, ce type de raisonnement n'est pas toujours facile à admettre. Je pense que nous devons beaucoup soutenir le travail entrepris par FSF.

Je vous donnerai un autre exemple, volontairement provocant. D'autres pays n'ont pas connu l'érosion qui a frappé le ski de fond français, puisqu'ils n'ont pas hésité, quand la demande le justifiait, à placer des fils neige dans les montées (notamment dans les endroits très pratiqués). En France, cette pratique reste encore très choquante pour beaucoup de gestionnaires de ski de fond, qui pensent que la pratique du ski de fond doit se conjuguer avec un effort physique important. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas choqués par une demande consistant à mettre en place du fil neige.

Aujourd'hui, grâce au « carnet de route de la montagne », chaque territoire a les moyens de choisir un équilibre. Néanmoins, il ne faut pas considérer que seules les attentes du client doivent commander aux choix effectués, ce qui aurait des effets très pervers, comme une banalisation de l'offre qui conduirait à trouver les mêmes choses sur la totalité du territoire, qu'il s'agisse de la montagne ou du bord de mer. Inversement, celui qui participe à l'offre touristique d'un territoire (un hôtelier, un exploitant de remontée, etc.) ne doit pas considérer qu'il est le seul à connaître les attentes des touristes. Il appartient donc à chaque territoire de définir, avec les outils mis à sa disposition, le bon équilibre, entre les attentes de la clientèle, qui doivent évidemment être prises en compte, et une offre qui doit rester personnalisée et qui correspond à un savoir-faire et à une rentabilité d'investissement. Sur ce point, il n'y a pas de recette miracle et l'équilibre doit être trouvé, territoire par territoire. Je tiens à votre disposition certains exemples des pratiques à suivre, ou à ne pas suivre, dans la prise en compte des clients (hébergement, restauration, apprentissage du ski).

En matière d'immobilier, vous savez mieux que moi combien les mesures intervenues l'année passée se sont fait attendre. Le décalage entre les promesses et les réalisations a posé des difficultés à de nombreux acteurs. Nous manquons encore aujourd'hui d'un guide technico-administratif. En effet, les différents textes (décrets et arrêtés) sont insuffisants et sont de nature à conduire à des interprétations extrêmement différentes d'un territoire à un autre, en fonction du préfet ou du service de contrôle de légalité qui intervient. Grâce à l'ANEM notamment, le guide technico-administratif devrait sortir à la fin du mois de mai.

La grande difficulté consiste à convaincre les propriétaires à consentir des baux de longue durée. Une autre difficulté consiste à faire comprendre aux propriétaires qu'ils n'ont pas forcément le meilleur goût pour choisir la façon dont les logements doivent être aménagés. A trop respecter les exigences des propriétaires, nous pouvons arriver à des situations se traduisant par une désertion rapide des clients. En matière d'hébergements collectifs, l'intégration des attentes des clients est vraiment fondamentale. Cependant, nous ne disposons pas encore de véritables outils, de véritables méthodes, ni de maîtres d'oeuvre véritablement formés à cette question, d'autant plus que la chaîne entre le concepteur et le client est relativement longue.

Le dernier point porte sur les besoins de subventions. Un département des Pyrénées s'est notamment lancé dans cette démarche, en finançant des travaux à hauteur de 60 %. Si les conventions interrégionales de massifs prévoient des dispositions aidant à la réalisation des études d'ingénierie, je suis un peu inquiet quant à l'efficacité de ces mesures, en l'absence d'une aide lourde prévue pour les travaux. Dans le même temps, la réhabilitation des espaces collectifs me paraît aussi fondamentale.

En ce qui concerne les freins et les perspectives de progrès, la principale difficulté de la loi Montagne est qu'elle considère la commune comme l'autorité organisatrice du développement touristique, alors que le périmètre communal tend à ne plus être le périmètre le plus pertinent, de nature à permettre un développement touristique optimal. Les textes fondateurs de la République étant fortement attachés à la liberté d'association des communes, personne ne peut, pour le moment, contraindre à l'intercommunalité, sauf à commettre un chantage ou un abus de droit. La question de l'intercommunalité est pourtant fondamentale. En effet, le fait que la compétence de l'autorité organisatrice du développement touristique reste basée au niveau de la commune me semble être un frein très important.

Les autres points sont moins gênants et suscitent peut-être davantage de débat. Je ne m'attarderai pas sur la question des servitudes que vous connaissez bien. Sur ce point, je pense que la loi Montagne doit être remise à jour. En effet, en vingt ans, les technologies ont évolué et la loi n'est plus exhaustive. Même si la loi est complétée aujourd'hui, le problème de son exhaustivité se reposera forcément dans dix ou vingt ans. Nous ne devons pas rajouter un article de loi, mais, au contraire, supprimer certains passages de la loi afin de nous en tenir au principe suivant : peut faire l'objet de servitudes tout ce qui concourt à l'exploitation d'un domaine skiable.

La question de l'utilisation estivale des domaines skiables est problématique. Si les agriculteurs ne sont pas opposés à l'industrie touristique hivernale, dans laquelle ils trouvent souvent une source de revenus complémentaires, la situation est différente en été. En effet, les conflits d'usage risquent de croître fortement si nous imposons, par des servitudes, des activités touristiques sur des territoires qui ont d'autres vocations agricoles pendant la saison estivale. Un équilibre reste donc à trouver territoire par territoire.

La dernière question concernant la loi Montagne porte sur les redevances. Si la question suscite un peu moins de polémiques, les débats pourraient rapidement reprendre, de façon assez dure. Il existe une population d'« urbains montagnards » (les Grenoblois, par exemple) qui ont l'habitude de fréquenter les espaces de montagne situés à proximité, sans avoir à débourser la moindre somme d'argent. Cette situation est problématique dans la mesure où l'aménagement et la sécurisation des espaces de montagne a un coût, qu'il est tentant de couvrir par l'instauration d'une redevance. Actuellement, la redevance n'est possible que pour le ski alpin ou le ski de fond. Cependant, la question d'une extension de la redevance, même si elle est conflictuelle, devra être posée. Il existe des espaces, comme le plateau de Beille, dans les Pyrénées, où la mise en place d'une redevance a été assez aisée. En effet, cet espace de nature n'offre quasiment qu'un seul accès, où on peut matérialiser une porte. Une fois la redevance payée, les visiteurs sont libres de pratiquer l'activité de leur choix. Cependant, tous les espaces ne permettent pas ce type d'organisation. A côté de la loi, d'autres outils, comme la délégation de service public par exemple, permettraient de résoudre le problème. Cependant, je pense que le législateur va continuer à être interpellé sur la question de la redevance, pour les activités de pleine nature.

Nous pouvons donner deux exemples de difficultés d'application de la loi Montagne.

La première difficulté tient à la définition du domaine skiable, qui, comme nous l'avons déjà dit, est extrêmement floue. En effet, le domaine skiable doit-il être considéré comme un espace sur lequel existent des pistes ou comme un espace sur lequel la configuration des remontées mécaniques permet la présence de skieurs, même en l'absence de pistes ? Lors de la démarche de normalisation de la signalisation des pistes, initiée il y a deux ans, nous espérions arriver à une définition du domaine skiable, mais tel n'a pas été le cas. Les professionnels ont refusé de sortir des pistes stricto sensu . Actuellement, le domaine skiable reste défini par une circulaire de janvier 1978. Cette circulaire énonçait expressément que sa validité n'allait que jusqu'à l'ouverture de la prochaine saison. Elle est donc caduque depuis très longtemps. Le ministère de l'intérieur s'est enfin aperçu de ce décalage et a envisagé d'abroger cette circulaire qui ne parlait que des problèmes de sécurité et d'organisation des secours sur les domaines skiables. Ces questions de sécurité, qui sont très contraignantes pour les élus locaux, influent aussi sur les enjeux environnementaux. Si la normalisation est la bonne solution, un décret (ou une autre mesure) devra être pris afin de sortir de cette situation de flou et de mieux définir la notion de domaine skiable.

Un deuxième exemple d'application déviante de la loi Montagne concerne les procédures unités touristiques nouvelles (UTN), pour lesquelles les exigences se multiplient, qu'il s'agisse de l'extension d'un hôtel, de l'installation d'une pissotière sur un circuit automobile existant depuis vingt ans dans le Beaujolais, etc. Si nous surveillons la situation, les procédures UTN sont encore trop souvent utilisées pour contraindre à la révision d'un POS. En effet, lorsqu'un dossier reçoit un agrément au titre des UTN, il convient en effet de réviser le POS afin de permettre à la procédure de s'appliquer.

J'aimerais aborder d'autres points qui ne relèvent pas de l'application de loi Montagne mais qui peuvent être des freins au développement du tourisme.

Un des principaux handicaps de la montagne est qu'elle est perçue comme étant une destination onéreuse, où chaque prestation est chèrement monnayée. Il est donc très important d'afficher du « non marchand ». Aujourd'hui, la carte d'hôte amène une très bonne réponse à cette préoccupation. Il me paraît important de sécuriser, sur le plan juridique, la carte d'hôte, qui permet aux touristes de recevoir des avantages en contrepartie du paiement d'une taxe de séjour. Cependant, des habitants de stations contestent les avantages offerts aux touristes, au moyen de la carte d'hôte. Les habitants de Chamonix, par exemple, ne comprennent pas que les touristes ne paient pas le bus alors que les résidents permanents, qui ne s'acquittent pas de la taxe, doivent payer leur titre de transport. Ces réactions sont des freins importants au développement de la carte d'hôte. Ce problème se pose aussi sur le littoral. Il faudrait donc remédier à la grande insécurité juridique qui existe pour améliorer la situation en ce domaine

Je terminerai par la question relative à la communication sur la sécurité en montagne. Je partirai d'un exemple. En Suisse, chaque année 800 personnes perdent la vie sur les routes (soit l'équivalent d'environ 6 000 morts en France, en proportion de notre population) et cette question attire le plus vif intérêt des pouvoirs publics, qui souhaitent que le nombre de morts diminue. Alors que 400 personnes par an perdent aussi la vie dans les montagnes suisses, aucune mesure n'est prise car les accidents sont considérés comme étant la conséquence d'un risque voulu. En France, environ 120 personnes par an trouvent la mort en montagne, en été ou en hiver, la moitié trouvant la mort au cours de randonnées, par crise cardiaque le plus souvent. Le nombre de morts sur le domaine skiable se limite à quelques unités par an. Cependant, ce type d'activité sportive est le mieux instrumenté, en matière de sécurité. Je pense que cette situation est de nature à produire quelques effets négatifs, notamment en matière d'attractivité.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci pour cet excellent exposé, aussi complet que précis. Vous avez balayé l'ensemble des questions concernant le SEATM, ainsi que les différentes problématiques touristiques, qu'elles soient hivernales ou estivales, et portant sur l'ensemble des massifs. J'aimerais revenir sur la question des délégations de service public et voir notamment quelle suite est réservée à la loi Montagne de 1985, par la loi « Sapin » de 1993. La première loi conduit en effet à donner à la collectivité locale qu'est la commune, la maîtrise de son développement, la seconde obligeant à ouvrir à la concurrence le service de la prestation. Au moment où certains contrats arrivent à échéance, certaines collectivités s'interrogent et craignent que la maîtrise, inscrite dans la loi et voulue localement, échappe aux responsables locaux.

M. Philippe Martin - Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, que je n'ai volontairement pas abordé puisque, dans le cadre de l'organisation précédente des services de l'Etat, une note rédigée par le directeur de cabinet de monsieur Gayssot mentionnait que ce sujet ressortait de la compétence exclusive de la direction des transports terrestres. Appartenant à la direction du Tourisme, je ne me suis pas permis d'aborder ce sujet, qui pourtant me passionne. Je pense qu'un des freins principaux à certains investissements en matière de remontées mécaniques n'est pas le manque d'argent mais la complexité qui existe actuellement au niveau des pratiques. Aujourd'hui, chaque préfet (ou sous-préfet) interprète en effet les lois Montagne et Sapin à sa propre façon. La loi Sapin étant bien ancrée dans le paysage français, je ne pense pas qu'un consensus visant à la remettre en cause se dégage. De mon point de vue, il n'est pas question, lors de l'arrivée à terme d'une délégation de service public, de remettre en cause le principe de la mise en compétition qui précède le renouvellement de la délégation. Certaines situations sont cependant problématiques et notamment lorsqu'un investissement important, qui n'a aucune chance d'être amorti avant la fin de la délégation de service public, doit être réalisé sur un domaine skiable. Je me sens très en phase avec le délégué général du SNTF, mais je pense que le SNTF devrait moins souvent recourir aux termes de « prolongation de délégation de service public », alors que d'autres solutions pourraient être utilisées dans les avenants. Si le contenu de la délégation de service public et les obligations des délégataires sont modifiés, il est logique qu'une contrepartie soit prévue à l'intérieur du contrat.

Le cas de figure le plus grave est celui des investissements intervenant en cours de délégation et rendus nécessaires notamment pour des raisons d'évolution des attentes de la clientèle, et pour lesquels la rédaction des avenants pose des problèmes redoutables. En 2000, un travail a été réalisé avec l'AMSFSHE et le SNTF. Quoi qu'il en soit, ce sujet ne passionne pas les foules au niveau de la direction des transports terrestres. Ce sujet est assimilé à un problème de transport et est considéré à travers la lunette des transports urbains ou régionaux, alors que la problématique est assez différente. Il ne faut pas perdre de vue que l'industrie du ski doit, chaque année, réinvestir 25 % du chiffre d'affaires réalisé pour renouveler les équipements, et que les conventions en application de la loi Montagne ne concernent pas que les remontées mécaniques. En matière d'hébergement, la préoccupation des services de l'Etat quant la cohabitation des lois Montagne et Sapin risque de générer des dérives, à défaut d'une unité au niveau des services centraux de l'Etat. Aussi, je souhaite que les associations d'élus reprennent l'initiative dans ce domaine, afin que nous puissions faire valider, par la direction générale des collectivités locales (DGCL), une sorte de guide technique, contenant quelques exemples d'avenants, pour les principaux cas de figure. Nous ne devons pas nous laisser polluer par des cas d'école, comme celui de Corrençon par exemple, qui passionnent les juristes mais qui ne présentent pas d'enjeux autres que locaux. Les enjeux les plus importants portent sur les très grandes stations pour lesquelles nous devons trouver des solutions juridiques qui soient acceptables par les investisseurs. Nous sommes dans un cas de figure qui est totalement différent de celui des autres délégations de service public, car il n'existe pas de conflit chronique entre les autorités organisatrices et délégataires, qui sont engagées dans le même combat.

M. le Rapporteur - Merci monsieur le Directeur. Nous recevrons avec beaucoup d'intérêt les notes écrites que vous pourrez nous communiquer. D'ores et déjà, vos commentaires nous sont très précieux.

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