11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie de votre présence et d'avoir
fait le déplacement depuis Challes-les-Eaux pour vous rendre à
Paris et rejoindre le Sénat. La mission sénatoriale d'information
sur la montagne a été constituée au mois février
dernier et permet aux sénateurs de profiter de la période
électorale, qui les prive en quelque sorte du travail législatif
habituel, pour se consacrer à ces sujets. Nous profitons
également de l'année internationale des montagnes pour faire le
point sur l'application de la loi du 9 janvier 1985 et sur les textes
ultérieurs, qui ont pu venir corriger cette loi fondamentale. Une fois
le bilan dressé, notre second objectif consiste à moderniser
cette loi et à déterminer les adaptations à proposer au
législateur qui entrera en fonction dans quelques semaines, ainsi
qu'à l'actuel et au futur Gouvernement. Je suis heureux que vous
puissiez nous faire part de votre expérience et de votre avis sur une
partie importante de la loi, à savoir les volets du tourisme et de
l'équipement, qui font partie des socles de ce texte. D'avance, je vous
remercie de nous faire part de vos avis, à partir de la grille de
questions que nous vous avons préalablement adressée.
M. Philippe Martin
- Je tiens à signaler que je ne
représente pas, dans cette instance, le secrétariat d'état
au Tourisme. En effet, mes propos n'ont pu être validés
étant donné que je n'ai pas pu les soumettre à une
quelconque autorité. Par contre, je veillerai à ce que les
réponses écrites au questionnaire, soient validées.
Le service d'études et d'aménagement touristique de la montagne
(SEATM) a été créé pour concevoir et mener les
procédures visant à la création,
ex-nihilo
, de
stations de sport d'hiver. Au cours des dernières années, la
mission première du SEATM a beaucoup évolué. Sans perdre
la compétence en matière de domaines skiables, de nombreuses
évolutions sont intervenues dans le domaine des activités de
pleine nature et nous avons fait de gros progrès sur la connaissance des
clientèles et de leurs attentes. Depuis deux ou trois ans, nous nous
penchons aussi sur un gros dossier qui est celui de la moyenne montagne, mais
ce dossier nous laisse assez perplexes.
Mon exposé s'articulera en quatre points et reprendra les principales
questions posées dans le questionnaire. Nous étudierons
premièrement la question des indicateurs en regardant la
fiabilité des mesures qui sont réalisées dans ce domaine.
Nous verrons quelle est la représentation de l'activité de
tourisme en montagne. Deuxièmement, nous traiterons des extensions de
domaines skiables en nous penchant plus particulièrement sur l'avenir
des petites stations. Troisièmement, nous aborderons une question
fondamentale, qui est celle de l'évolution des attentes de la
clientèle et de la nature de ces évolutions. Enfin, nous
aborderons les questions de freins ou de blocages et des perspectives de
progrès. Selon moi, ces perspectives concernent davantage les textes
d'application que la loi Montagne elle-même.
Pour l'instant, nous ne disposons que d'un seul indicateur véritablement
fiable. Il porte sur l'activité des remontées mécaniques.
Cet indicateur est très fiable et très réactif. Chaque
saison hivernale est découpée en cinq périodes (trois
périodes de vacances scolaires et deux périodes inter-vacances).
Nous connaissons les résultats précis de la situation
rencontrée sur chacun des massifs de montagne dans les deux à
trois semaines suivant la fin de chaque période. Ce système
fonctionne bien dans la mesure où la profession est remarquablement bien
organisée, à travers le syndicat national des
téléphériques de France (SNTF). Qu'il s'agisse de la
conception du système ou du travail de collecte, nous avons à
faire à des interlocuteurs fiables et bien organisés.
Aujourd'hui, le travail de collecte est informatisé, à travers le
serveur du SNTF, dans lequel nous allons directement chercher les informations
dont nous avons besoin, et qui sont traitées et re-diffusées.
Même si les circulaires prises de 1994 à 1997, qui traitaient des
aides aux stations en difficulté, notamment par manque de neige, ont
indiqué que l'activité des remontées mécaniques
était représentative du tourisme hivernal en montagne, cela est
de moins en moins vrai, et pas seulement en Haute-Savoie. Aujourd'hui, nous
manquons cruellement d'indicateurs fiables et représentatifs pour les
autres acteurs du tourisme et notamment en ce qui concerne les
hébergements (surtout les meublés). Un certain nombre d'acteurs
s'est mobilisé pour trouver des palliatifs. C'est notamment le cas de
l'Observatoire National du Tourisme (ONT) qui, en partenariat avec
l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et
d'été, a monté un système d'observation. C'est
aussi le cas de l'ANEM qui a créé le bureau d'études
Comète. Mais dans le cas de l'ONT, nous sommes confrontés
à une fiabilité inégale des sources. Le recul est
également insuffisant et la pondération absente. Dans le cas de
l'ANEM, la représentativité des territoires est inexistante
puisque le nombre de stations suivies très précisément par
le bureau d'étude Comète est extrêmement limité. Une
piste de progrès pourrait consister à exercer une certaine
pression sur la profession, et notamment sur la FNAIM et sur les
différents syndicats hôteliers, pour qu'ils acceptent
l'instauration d'un dialogue permettant de constituer un panel
représentatif, basé sur une approche scientifique, et la mise en
place d'un système de collecte. Evidemment, le SEATM pourrait prendre en
charge le traitement ultérieur des données recueillies. Pour le
moment, nous disposons des méthodes mais nous manquons d'interlocuteurs
pour organiser le système.
Par ailleurs, le secrétariat d'Etat au Tourisme ne dispose d'aucun
indicateur fiable pour appréhender la situation en montagne
rencontrée en été. Je rappelle que le chiffre d'affaires
touristique global de l'été est supérieur au chiffre
d'affaires hivernal, même s'il ne porte pas sur le même territoire.
En montagne, l'économique touristique estivale est encore plus
importante qu'en hiver (+ 10 %).
Dans le domaine du ski, nous avons la connaissance des chiffres d'affaires
réalisés et nous connaissons assez bien la fréquentation
de chaque domaine skiable (nombre de journées skieurs), son utilisation
par les skieurs (les passages), mais nous ne connaissons pas vraiment le nombre
de skieurs. En effet, les exploitants des remontées mécaniques
commencent depuis peu à s'intéresser à l'identification de
leurs clients. A partir du seul nombre de clients fréquentant le domaine
skiable, nous ne pouvons pas déduire précisément le nombre
de skieurs. De ce point de vue, nous avons de grandes difficultés
à connaître le marché, en termes de nombre de pratiquants
des activités de glisse.
A côté des indicateurs concernant les activités
économiques, nous disposons d'autres indicateurs, géographiques
ou d'équipement, qui sont beaucoup plus précis. Là encore,
les remontées mécaniques sont remarquablement
instrumentalisées et nous sommes capables de déterminer, à
l'unité près et en partenariat avec le STRMTG (service technique
des remontées mécaniques et des transports guidés), le
nombre de remontées mécaniques, leur nature, leur puissance, et
l'ensemble de leurs caractéristiques. Nous avons une connaissance
précise de toutes ces données sur la France entière. Ces
données sont totalement fiables, mais les remontées non
autorisées ne figurent pas dans ce fichier.
Nous connaissons un peu moins bien les pistes. Le travail de recensement des
pistes est effectué par le SEATM. Toutes les stations ne sont pas
équipées de systèmes d'information géographiques -
loin s'en faut - et certaines n'ont même pas de plans des pistes. En
France, nous pouvons dire qu'il existe environ 25 000 hectares de
pistes, dont environ 3 000 faisant l'objet d'une production de neige de
culture. Concernant la description physique de l'offre, la situation se
complique lorsque nous parlons de domaines skiables. En effet, personne ne
partage la même définition de cette notion, et surtout pas les
professionnels, dont les points de vue divergent d'une station à
l'autre, et en fonction des enjeux commerciaux spécifiques. Même
les maires ne partagent pas la même vision, qui peut varier en fonction
des enjeux pénaux (pour les questions relatives à la
sécurité). Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire qu'il existe
environ 120 000 hectares de domaine skiable, ce qui représente
environ 1 % de l'espace de montagne français
(11 400 000 hectares). Au regard de ces chiffres, nous voyons
que l'activité de tourisme de montagne hivernal est très
concentrée. Si l'on inclut les installations induites par
l'activité humaine (urbanisme, infrastructures routières, etc.)
qui représentent aussi environ 1 % de l'espace de montagne, nous
pouvons dire que le ski représente, en France, 2 % de l'espace de
montagne. Le chiffre d'affaires réalisé en hiver sur 2 % du
territoire est équivalent au chiffre d'affaires réalisé
l'été sur 100 % du territoire de montagne. En effet, le
tourisme estival est beaucoup plus diffus.
La source première des autres indicateurs d'offre touristique est
l'INSEE. Il y a quelques années encore, le SEATM tentait de tenir
à jour un recensement de tout ce qui pouvait contribuer à l'offre
touristique (les hébergements, les hôtels, les piscines, les
équipements de loisirs, etc.). En raison de l'absence d'un
système centralisé de collecte d'informations autre que celui de
l'INSEE, le SEATM a renoncé puisqu'il ne possède pas les moyens
financiers lui permettant d'acheter des fichiers à l'INSEE. Le prix des
fichiers pose donc un problème d'accès à l'information.
Le récent transfert de compétence
(27 février 2002) aux régions des secteurs relevant de
la collecte et du traitement des statistiques peut représenter une
avancée intéressante et permettre une bonne approche de ces
problèmes. Cependant, il sera difficile, dans un grand nombre de
régions, de convaincre les partenaires d'identifier ce qui concerne la
montagne, qui risque d'être diluée dans une approche globale du
tourisme.
En l'état actuel des choses, une extension pure du domaine skiable n'est
pas envisageable. Actuellement, l'offre de ski est de plus en plus
supérieure à la demande. En effet, l'offre croît fortement,
en termes de capacité des équipements. Si le nombre de
remontées mécaniques décroît
régulièrement, leur puissance et le nombre de skieurs pouvant
être transportés augmentent régulièrement. Dans ce
contexte, la demande ne justifie pas une extension du domaine skiable.
Cependant, deux cas de figures justifient, outre le renouvellement et la
modernisation du matériel, l'installation de nouveaux équipements
de montagne. Il s'agit premièrement de l'interconnexion des domaines
skiables existants. La loi Montagne considère la commune comme
étant l'unité de base du développement touristique. Ainsi,
de nombreux domaines skiables ont été définis en fonction
des limites communales. Si l'on croise cette situation avec les
évolutions de la clientèle, nous nous apercevons que certaines
stations ayant un domaine skiable réduit à la commune, à
l'exception des stations du Massif central où les problèmes
d'interconnexion sont extrêmement limités, ont une offre qui n'est
pas assez diversifiée, soit trop facile, soit trop difficile. Dans ce
contexte, l'interconnexion peut apparaître comme une solution attirante,
permettant de faire face aux évolutions des attentes de la
clientèle. Tout comme l'extension, l'interconnexion ne doit pas
être une fin en soi, et l'attente du client doit toujours
prédominer. En effet, une interconnexion qui ferait intervenir un ou
deux kilomètres de plat et qui forcerait les skieurs à avancer en
poussant sur les bâtons n'est pas utile dans la mesure où elle ne
remporterait pas l'adhésion des clients. Les transferts de skieurs sur
des télésièges longs de deux ou trois kilomètres ne
sont pas non plus satisfaisants. Si l'interconnexion n'est pas une fin en soi,
c'est un bon moyen de diversifier l'offre de ski, de mélanger des
espaces de ski présentant différents niveaux de
difficulté, et de faire en sorte que chaque espace d'urbanisation ait
accès à un domaine skiable aussi varié que possible.
Le deuxième cas de figure d'implantation de nouvelles remontées
mécaniques peut être lié à la densification des
pistes à l'intérieur du domaine skiable existant. Là
aussi, il faut être vigilant et tenir compte de l'offre
d'hébergement. Il s'agit en effet de savoir s'il convient de laisser se
développer davantage l'offre d'hébergement. La question de la
fréquentation des domaines skiables se pose aussi. En effet, il convient
de veiller à ne pas réduire l'attractivité du produit ski
en permettant une densité de pratiquants excessive. Si la question de la
densité peut varier de façon importante d'une station à
l'autre en fonction du type de clientèle, il convient toutefois de
respecter certaines limites.
Si nous densifions le domaine skiable existant, nous n'allons pas
améliorer la situation des petites stations de ski, qui risquent de se
trouver confrontées à une concurrence accrue. Je pense que deux
cas de figure peuvent justifier le désarmement :
- La disparition pure et simple des remontées, qui ont été
installées par erreur ou qui ne correspondent plus à un besoin,
peut se concevoir si l'offre devient hors marché (téléskis
trop raides, situés dans des bois, etc.). En effet, il peut arriver que
les installations remettent en cause la sécurité des pratiquants
ou que la difficulté de ski proposée soit inadaptée
(difficulté trop importante pour des débutants, des classes
scolaires, etc.). La situation est appréciée au cas par cas, en
fonction de la clientèle visée.
- Le deuxième cas de figure pouvant justifier le désarmement est
la situation où l'impact négatif de l'été est
supérieur à l'impact positif de l'hiver. En effet, l'existence de
remontées mécaniques mal conçues, et présentes dans
un paysage agréable en été, peut être repoussante et
dissuader certains clients de fréquenter la station pendant les mois
d'été. Nous avons déjà fait plusieurs propositions
de désarmement, basées sur cette seconde considération.
Peu de dossiers aboutissent ; toutefois un dossier concernant la
Lozère est en bonne voie. C'est aussi le cas de certains dossiers
concernant les Vosges.
Pour les petites stations, le cas de figure le plus fréquent n'est pas
celui du désarmement mais d'un repositionnement commercial et
touristique. Dans cette optique, le ski peut devenir une des composantes de
l'offre touristique et non la composante majeure, si une demande existe
notamment pour la promenade ou pour d'autres activités. Il arrive aussi
très fréquemment que ce qui a été baptisé
« station » ne soit qu'un stade de neige,
fréquenté par les habitants d'une grande ville, située
à proximité. De mon point de vue, il conviendrait, dans ces cas,
de nouer des partenariats originaux entre les villes concernées et les
collectivités qui supportent la station « stade de
neige ». En effet, il n'est pas choquant qu'une grande ville ayant
besoin d'espaces de loisirs noue un tel partenariat avec la collectivité
compétente.
S'agissant des évolutions climatiques, nous pouvons dire, après
avoir comparé les points de vue des scientifiques français,
suisses, et autrichiens, que leur effet est moins prégnant et rapide que
l'évolution de la demande, en particulier pour les petites stations. Par
ailleurs, l'évolution du climat est négligeable, comparée
aux aléas climatiques pouvant intervenir d'une année à
l'autre. De la même façon que les agriculteurs supportent de moins
en moins les aléas climatiques, ces variations posent aussi des
difficultés au niveau des personnels des stations de sports d'hiver qui
demandent des emplois stables, avec des dates de prise de poste et de fin
d'activité très régulières. D'une année sur
l'autre, ces aléas deviennent de plus en plus insupportables pour les
employés et les acteurs intervenants dans ce type d'activité. En
résumé, je considère que l'évolution des
données climatiques doit être prise en compte dans toute
décision d'investissement, qu'il s'agisse des remontées
mécaniques ou de la neige de culture. En effet, pour produire de la
neige dans de bonnes conditions, il ne suffit pas d'avoir de l'eau, mais il
faut également avoir du froid.
Avant d'aborder les questions relatives aux attentes de la clientèle, je
vais souligner certains éléments majeurs survenus au cours des
dernières années, et qui ont marqué l'évolution du
tourisme en montagne.
Nous avons assisté, tout d'abord, à la création de PAM
(Professionnels Associés de la Montagne) qui s'est traduite par la mise
en place d'un lieu de discussion et de débat traitant de la façon
de positionner l'image de la montagne. Je regrette seulement qu'aucun
hébergeur ne fasse partie des membres composant cette cellule. A une
époque, la FNAIM participait aux débats. Aujourd'hui, elle n'est
plus présente et personne n'a réellement cherché à
la retenir. Il est regrettable que l'hébergement, qui est un aspect
fondamental du tourisme, ne participe pas à ces travaux, alors que tous
les autres secteurs sont représentés (remontées
mécaniques, ski de fond, fabricants de matériels et de
vêtements, etc.).
Comme je ne l'ai pas dit en introduction, je précise que le SEATM est
un service technique central, à compétence nationale, et
rattaché à la direction du Tourisme. De fait, l'essentiel de
notre activité (60 %) rentre dans le cadre des missions de l'AFIT
(Agence Française d'Ingénierie Touristique). Si le SEATM
n'existait pas, c'est l'AFIT qui fournirait cette prestation. A partir
d'expériences menées antérieurement, l'AFIT a
provoqué la création d'un panel national ski. Il s'agit d'un
ensemble de 2 000 à 2 200 foyers qui présentent la
caractéristique de comporter au moins une personne pratiquant un sport
de glisse. Cet ensemble est représentatif à la fois des lieux de
résidence et des destinations choisies, dans les différentes
stations de sports d'hiver des massifs. L'échantillonnage a
été assez coûteux et compliqué à
élaborer. Le panel peut renseigner sur n'importe quelle question
concernant la clientèle des stations de sports d'hiver. Nous avons
déjà compilé un certain nombre d'idées
intéressantes et nouvelles. Ces informations sont à la
disposition des professionnels qui ont toutefois de la peine à se les
approprier, bien que ce système soit très économique. En
effet, la question coûte 760 euros, ce qui n'est pas cher
comparé au coût d'un ré-échantillonnage d'un panel
représentatif.
Troisièmement, NIVALLIANCE a été mis en place par le
syndicat national des téléphériques de France (SNTF). Vous
savez que la question du « fonds neige » n'est plus
d'actualité et qu'elle a été réglée par une
démarche purement professionnelle des exploitants de remontées
mécaniques, qui repose sur un système d'assurance
mutualisé. Le coût de cotisation est à peu près
équivalent à l'ancienne taxe qui portait sur le contrôle
des remontées mécaniques. Ce système d'assurance offre un
niveau de compensation de perte de chiffre d'affaires qui est tout à
fait convenable. Nous pouvons féliciter le SNTF d'avoir mis en place ce
système, dans un contexte particulièrement difficile, et dans
lequel les assureurs étaient encore échaudés par les
drames de septembre 2001. Ce système contribue à protéger
un élément de la profession qui est ainsi à l'abri d'un
certain nombre de risques économiques qui ne peuvent être
imputés aux exploitants de remontées mécaniques (manque de
neige, grève des trains, etc.). Nous ne pouvons que souhaiter que
d'autres professions adoptent la même démarche, plutôt que
d'attendre des compensations financières de la part des pouvoirs
publics. Ce système d'assurance présente le mérite
d'être en grande partie mutualisé. Ainsi, les cotisations sont
davantage fonction de la capacité contributive que du niveau de risque
réel encouru par le cotisant. Ce système est remarquable.
Le carnet de route de la montagne a aussi été mis en place. Il
s'agit d'un outil méthodologique, à disposition des
professionnels ou des territoires, qui leur permettra de
réfléchir de manière très objective à leur
positionnement touristique.
Le dernier élément concerne les outils qui mettent en place au
niveau de l'immobilier de loisir. Nous y reviendrons.
Une des caractéristiques de la montagne est d'avoir pris en compte, sans
doute en premier par rapport à d'autres destinations touristiques, les
attentes de la clientèle. Une approche sociologique, initiée en
1992, a été mise en place. Cependant, le résultat de cette
étude n'a pas été utilisé. En effet, la diffusion
de données sociologiques auprès des professionnels du tourisme
n'a donné aucun résultat, les professionnels étant
habitués à entendre un autre langage. Pour cette raison,
l'actualisation intervenue en 1999 n'a pas été diffusée
avant la création concrète d'un guide méthodologique. Ce
guide a pris la forme du « carnet de route de la montagne »
que j'évoquais précédemment, et que vous connaissez
déjà.
J'ai été extrêmement étonné par la vitesse de
diffusion de ce document, qui témoigne de l'attente qui existait, et de
son appropriation. En quelques mois, nous avons assisté à un
changement fondamental du contenu des discours, qui révèle une
très bonne appropriation de cet outil. Cependant, l'appropriation n'est
pas la même à tous les niveaux. Le secteur de l'hôtellerie
et de la restauration est encore un peu en retrait de cette démarche,
qui, de toute façon, a apporté beaucoup d'éléments
positifs.
J'évoquerai rapidement l'avenir du ski de fond. En 2000, France Ski de
Fond (FSF) s'est engagée, dans le cadre de la mise en place et de
l'élaboration du carnet de route de la montagne, dans une ambitieuse
démarche de réflexion stratégique. Actuellement, beaucoup
de fédérations contestent l'opportunité d'une telle
démarche et ne sont pas convaincues que la demande a changé et
que des pratiquants désirent faire autre chose que du sport, qu'ils
peuvent considérer comme un sport dur et ingrat. Certaines
fédérations, notamment dans le Cantal, ont du mal à
accepter des avis qui recommandent de réduire la longueur totale des
pistes, trop importante par rapport à la demande. En effet, beaucoup de
pratiquants pensent qu'il vaut mieux avoir moins de kilomètres de
pistes, mais mieux entretenues. Pour ces fédérations, qui se sont
dévouées au nom d'une éthique sportive, ce type de
raisonnement n'est pas toujours facile à admettre. Je pense que nous
devons beaucoup soutenir le travail entrepris par FSF.
Je vous donnerai un autre exemple, volontairement provocant. D'autres pays
n'ont pas connu l'érosion qui a frappé le ski de fond
français, puisqu'ils n'ont pas hésité, quand la demande le
justifiait, à placer des fils neige dans les montées (notamment
dans les endroits très pratiqués). En France, cette pratique
reste encore très choquante pour beaucoup de gestionnaires de ski de
fond, qui pensent que la pratique du ski de fond doit se conjuguer avec un
effort physique important. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas
choqués par une demande consistant à mettre en place du fil
neige.
Aujourd'hui, grâce au « carnet de route de la
montagne », chaque territoire a les moyens de choisir un
équilibre. Néanmoins, il ne faut pas considérer que seules
les attentes du client doivent commander aux choix effectués, ce qui
aurait des effets très pervers, comme une banalisation de l'offre qui
conduirait à trouver les mêmes choses sur la totalité du
territoire, qu'il s'agisse de la montagne ou du bord de mer. Inversement, celui
qui participe à l'offre touristique d'un territoire (un hôtelier,
un exploitant de remontée, etc.) ne doit pas considérer qu'il est
le seul à connaître les attentes des touristes. Il appartient donc
à chaque territoire de définir, avec les outils mis à sa
disposition, le bon équilibre, entre les attentes de la
clientèle, qui doivent évidemment être prises en compte, et
une offre qui doit rester personnalisée et qui correspond à un
savoir-faire et à une rentabilité d'investissement. Sur ce point,
il n'y a pas de recette miracle et l'équilibre doit être
trouvé, territoire par territoire. Je tiens à votre disposition
certains exemples des pratiques à suivre, ou à ne pas suivre,
dans la prise en compte des clients (hébergement, restauration,
apprentissage du ski).
En matière d'immobilier, vous savez mieux que moi combien les mesures
intervenues l'année passée se sont fait attendre. Le
décalage entre les promesses et les réalisations a posé
des difficultés à de nombreux acteurs. Nous manquons encore
aujourd'hui d'un guide technico-administratif. En effet, les différents
textes (décrets et arrêtés) sont insuffisants et sont de
nature à conduire à des interprétations extrêmement
différentes d'un territoire à un autre, en fonction du
préfet ou du service de contrôle de légalité qui
intervient. Grâce à l'ANEM notamment, le guide
technico-administratif devrait sortir à la fin du mois de mai.
La grande difficulté consiste à convaincre les
propriétaires à consentir des baux de longue durée. Une
autre difficulté consiste à faire comprendre aux
propriétaires qu'ils n'ont pas forcément le meilleur goût
pour choisir la façon dont les logements doivent être
aménagés. A trop respecter les exigences des
propriétaires, nous pouvons arriver à des situations se
traduisant par une désertion rapide des clients. En matière
d'hébergements collectifs, l'intégration des attentes des clients
est vraiment fondamentale. Cependant, nous ne disposons pas encore de
véritables outils, de véritables méthodes, ni de
maîtres d'oeuvre véritablement formés à cette
question, d'autant plus que la chaîne entre le concepteur et le client
est relativement longue.
Le dernier point porte sur les besoins de subventions. Un département
des Pyrénées s'est notamment lancé dans cette
démarche, en finançant des travaux à hauteur de 60 %.
Si les conventions interrégionales de massifs prévoient des
dispositions aidant à la réalisation des études
d'ingénierie, je suis un peu inquiet quant à l'efficacité
de ces mesures, en l'absence d'une aide lourde prévue pour les travaux.
Dans le même temps, la réhabilitation des espaces collectifs me
paraît aussi fondamentale.
En ce qui concerne les freins et les perspectives de progrès, la
principale difficulté de la loi Montagne est qu'elle considère la
commune comme l'autorité organisatrice du développement
touristique, alors que le périmètre communal tend à ne
plus être le périmètre le plus pertinent, de nature
à permettre un développement touristique optimal. Les textes
fondateurs de la République étant fortement attachés
à la liberté d'association des communes, personne ne peut, pour
le moment, contraindre à l'intercommunalité, sauf à
commettre un chantage ou un abus de droit. La question de
l'intercommunalité est pourtant fondamentale. En effet, le fait que la
compétence de l'autorité organisatrice du développement
touristique reste basée au niveau de la commune me semble être un
frein très important.
Les autres points sont moins gênants et suscitent peut-être
davantage de débat. Je ne m'attarderai pas sur la question des
servitudes que vous connaissez bien. Sur ce point, je pense que la loi Montagne
doit être remise à jour. En effet, en vingt ans, les technologies
ont évolué et la loi n'est plus exhaustive. Même si la loi
est complétée aujourd'hui, le problème de son
exhaustivité se reposera forcément dans dix ou vingt ans. Nous ne
devons pas rajouter un article de loi, mais, au contraire, supprimer certains
passages de la loi afin de nous en tenir au principe suivant : peut faire
l'objet de servitudes tout ce qui concourt à l'exploitation d'un domaine
skiable.
La question de l'utilisation estivale des domaines skiables est
problématique. Si les agriculteurs ne sont pas opposés à
l'industrie touristique hivernale, dans laquelle ils trouvent souvent une
source de revenus complémentaires, la situation est différente en
été. En effet, les conflits d'usage risquent de croître
fortement si nous imposons, par des servitudes, des activités
touristiques sur des territoires qui ont d'autres vocations agricoles pendant
la saison estivale. Un équilibre reste donc à trouver territoire
par territoire.
La dernière question concernant la loi Montagne porte sur les
redevances. Si la question suscite un peu moins de polémiques, les
débats pourraient rapidement reprendre, de façon assez dure. Il
existe une population d'« urbains montagnards » (les
Grenoblois, par exemple) qui ont l'habitude de fréquenter les espaces de
montagne situés à proximité, sans avoir à
débourser la moindre somme d'argent. Cette situation est
problématique dans la mesure où l'aménagement et la
sécurisation des espaces de montagne a un coût, qu'il est tentant
de couvrir par l'instauration d'une redevance. Actuellement, la redevance n'est
possible que pour le ski alpin ou le ski de fond. Cependant, la question d'une
extension de la redevance, même si elle est conflictuelle, devra
être posée. Il existe des espaces, comme le plateau de Beille,
dans les Pyrénées, où la mise en place d'une redevance a
été assez aisée. En effet, cet espace de nature n'offre
quasiment qu'un seul accès, où on peut matérialiser une
porte. Une fois la redevance payée, les visiteurs sont libres de
pratiquer l'activité de leur choix. Cependant, tous les espaces ne
permettent pas ce type d'organisation. A côté de la loi, d'autres
outils, comme la délégation de service public par exemple,
permettraient de résoudre le problème. Cependant, je pense que le
législateur va continuer à être interpellé sur la
question de la redevance, pour les activités de pleine nature.
Nous pouvons donner deux exemples de difficultés d'application de la loi
Montagne.
La première difficulté tient à la définition du
domaine skiable, qui, comme nous l'avons déjà dit, est
extrêmement floue. En effet, le domaine skiable doit-il être
considéré comme un espace sur lequel existent des pistes ou comme
un espace sur lequel la configuration des remontées mécaniques
permet la présence de skieurs, même en l'absence de pistes ?
Lors de la démarche de normalisation de la signalisation des pistes,
initiée il y a deux ans, nous espérions arriver à une
définition du domaine skiable, mais tel n'a pas été le
cas. Les professionnels ont refusé de sortir des pistes
stricto
sensu
. Actuellement, le domaine skiable reste défini par une
circulaire de janvier 1978. Cette circulaire énonçait
expressément que sa validité n'allait que jusqu'à
l'ouverture de la prochaine saison. Elle est donc caduque depuis très
longtemps. Le ministère de l'intérieur s'est enfin aperçu
de ce décalage et a envisagé d'abroger cette circulaire qui ne
parlait que des problèmes de sécurité et d'organisation
des secours sur les domaines skiables. Ces questions de sécurité,
qui sont très contraignantes pour les élus locaux, influent aussi
sur les enjeux environnementaux. Si la normalisation est la bonne solution, un
décret (ou une autre mesure) devra être pris afin de sortir de
cette situation de flou et de mieux définir la notion de domaine
skiable.
Un deuxième exemple d'application déviante de la loi Montagne
concerne les procédures unités touristiques nouvelles (UTN), pour
lesquelles les exigences se multiplient, qu'il s'agisse de l'extension d'un
hôtel, de l'installation d'une pissotière sur un circuit
automobile existant depuis vingt ans dans le Beaujolais, etc. Si nous
surveillons la situation, les procédures UTN sont encore trop souvent
utilisées pour contraindre à la révision d'un POS. En
effet, lorsqu'un dossier reçoit un agrément au titre des UTN, il
convient en effet de réviser le POS afin de permettre à la
procédure de s'appliquer.
J'aimerais aborder d'autres points qui ne relèvent pas de l'application
de loi Montagne mais qui peuvent être des freins au développement
du tourisme.
Un des principaux handicaps de la montagne est qu'elle est perçue comme
étant une destination onéreuse, où chaque prestation est
chèrement monnayée. Il est donc très important d'afficher
du « non marchand ». Aujourd'hui, la carte d'hôte
amène une très bonne réponse à cette
préoccupation. Il me paraît important de sécuriser, sur le
plan juridique, la carte d'hôte, qui permet aux touristes de recevoir des
avantages en contrepartie du paiement d'une taxe de séjour. Cependant,
des habitants de stations contestent les avantages offerts aux touristes, au
moyen de la carte d'hôte. Les habitants de Chamonix, par exemple, ne
comprennent pas que les touristes ne paient pas le bus alors que les
résidents permanents, qui ne s'acquittent pas de la taxe, doivent payer
leur titre de transport. Ces réactions sont des freins importants au
développement de la carte d'hôte. Ce problème se pose aussi
sur le littoral. Il faudrait donc remédier à la grande
insécurité juridique qui existe pour améliorer la
situation en ce domaine
Je terminerai par la question relative à la communication sur la
sécurité en montagne. Je partirai d'un exemple. En Suisse, chaque
année 800 personnes perdent la vie sur les routes (soit
l'équivalent d'environ 6 000 morts en France, en proportion de
notre population) et cette question attire le plus vif intérêt des
pouvoirs publics, qui souhaitent que le nombre de morts diminue. Alors que
400 personnes par an perdent aussi la vie dans les montagnes suisses,
aucune mesure n'est prise car les accidents sont considérés comme
étant la conséquence d'un risque voulu. En France, environ
120 personnes par an trouvent la mort en montagne, en été ou
en hiver, la moitié trouvant la mort au cours de randonnées, par
crise cardiaque le plus souvent. Le nombre de morts sur le domaine skiable se
limite à quelques unités par an. Cependant, ce type
d'activité sportive est le mieux instrumenté, en matière
de sécurité. Je pense que cette situation est de nature à
produire quelques effets négatifs, notamment en matière
d'attractivité.
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci pour cet excellent exposé, aussi
complet que précis. Vous avez balayé l'ensemble des questions
concernant le SEATM, ainsi que les différentes problématiques
touristiques, qu'elles soient hivernales ou estivales, et portant sur
l'ensemble des massifs. J'aimerais revenir sur la question des
délégations de service public et voir notamment quelle suite est
réservée à la loi Montagne de 1985, par la loi
« Sapin » de 1993. La première loi conduit en effet
à donner à la collectivité locale qu'est la commune, la
maîtrise de son développement, la seconde obligeant à
ouvrir à la concurrence le service de la prestation. Au moment où
certains contrats arrivent à échéance, certaines
collectivités s'interrogent et craignent que la maîtrise, inscrite
dans la loi et voulue localement, échappe aux responsables locaux.
M. Philippe Martin
- Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet,
que je n'ai volontairement pas abordé puisque, dans le cadre de
l'organisation précédente des services de l'Etat, une note
rédigée par le directeur de cabinet de monsieur Gayssot
mentionnait que ce sujet ressortait de la compétence exclusive de la
direction des transports terrestres. Appartenant à la direction du
Tourisme, je ne me suis pas permis d'aborder ce sujet, qui pourtant me
passionne. Je pense qu'un des freins principaux à certains
investissements en matière de remontées mécaniques n'est
pas le manque d'argent mais la complexité qui existe actuellement au
niveau des pratiques. Aujourd'hui, chaque préfet (ou sous-préfet)
interprète en effet les lois Montagne et Sapin à sa propre
façon. La loi Sapin étant bien ancrée dans le paysage
français, je ne pense pas qu'un consensus visant à la remettre en
cause se dégage. De mon point de vue, il n'est pas question, lors de
l'arrivée à terme d'une délégation de service
public, de remettre en cause le principe de la mise en compétition qui
précède le renouvellement de la délégation.
Certaines situations sont cependant problématiques et notamment
lorsqu'un investissement important, qui n'a aucune chance d'être amorti
avant la fin de la délégation de service public, doit être
réalisé sur un domaine skiable. Je me sens très en phase
avec le délégué général du SNTF, mais je
pense que le SNTF devrait moins souvent recourir aux termes de
« prolongation de délégation de service
public », alors que d'autres solutions pourraient être
utilisées dans les avenants. Si le contenu de la
délégation de service public et les obligations des
délégataires sont modifiés, il est logique qu'une
contrepartie soit prévue à l'intérieur du contrat.
Le cas de figure le plus grave est celui des investissements intervenant en
cours de délégation et rendus nécessaires notamment pour
des raisons d'évolution des attentes de la clientèle, et pour
lesquels la rédaction des avenants pose des problèmes
redoutables. En 2000, un travail a été réalisé avec
l'AMSFSHE et le SNTF. Quoi qu'il en soit, ce sujet ne passionne pas les foules
au niveau de la direction des transports terrestres. Ce sujet est
assimilé à un problème de transport et est
considéré à travers la lunette des transports urbains ou
régionaux, alors que la problématique est assez
différente. Il ne faut pas perdre de vue que l'industrie du ski doit,
chaque année, réinvestir 25 % du chiffre d'affaires
réalisé pour renouveler les équipements, et que les
conventions en application de la loi Montagne ne concernent pas que les
remontées mécaniques. En matière d'hébergement, la
préoccupation des services de l'Etat quant la cohabitation des lois
Montagne et Sapin risque de générer des dérives, à
défaut d'une unité au niveau des services centraux de l'Etat.
Aussi, je souhaite que les associations d'élus reprennent l'initiative
dans ce domaine, afin que nous puissions faire valider, par la direction
générale des collectivités locales (DGCL), une sorte de
guide technique, contenant quelques exemples d'avenants, pour les principaux
cas de figure. Nous ne devons pas nous laisser polluer par des cas
d'école, comme celui de Corrençon par exemple, qui passionnent
les juristes mais qui ne présentent pas d'enjeux autres que locaux. Les
enjeux les plus importants portent sur les très grandes stations pour
lesquelles nous devons trouver des solutions juridiques qui soient acceptables
par les investisseurs. Nous sommes dans un cas de figure qui est totalement
différent de celui des autres délégations de service
public, car il n'existe pas de conflit chronique entre les autorités
organisatrices et délégataires, qui sont engagées dans le
même combat.
M. le Rapporteur
- Merci monsieur le Directeur. Nous recevrons avec
beaucoup d'intérêt les notes écrites que vous pourrez nous
communiquer. D'ores et déjà, vos commentaires nous sont
très précieux.