10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Bonjour Monsieur Sournia. Nous vous avons contacté dans le cadre de notre mission d'évaluation de la politique de la montagne, que le Sénat a décidé de constituer en février dernier, à la fois pour mettre à profit la période de cette année internationale de la montagne, au cours de laquelle des échéances électorales démocratiques nous ont obligés à suspendre les travaux législatifs du Sénat, donnant aux sénateurs ici présents l'occasion de s'arrêter sur la politique de la montagne, et en particulier sur l'application de la loi de 1985. Sont présents aujourd'hui les sénateurs de l'Isère, de l'Ain, de la Haute-Loire, du Cantal, de la Haute-Savoie, qui sont tous membres de cette mission, dont le Président est Monsieur Jacques Blanc, Sénateur de Lozère, aujourd'hui excusé, et dont je suis le rapporteur. Notre projet est de déposer les conclusions de notre mission au début du mois d'octobre prochain, de rédiger notre rapport dans le courant du mois de septembre, et donc de travailler par auditions et visites sur le terrain d'ici à la fin du mois de juillet. Notre mission comporte trois angles d'investigation : l'aspect aménagement, l'aspect protection de l'environnement et l'aspect économie et emploi.

Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre du thème de la protection des Alpes. Vous allez vous présenter à nous et nous vous proposons d'échanger par la suite avec nous. Vous nous avez également déposé des contributions écrites et je pense que votre apport sera très utile à nos travaux.

M. René Sournia - Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis Président de la Commission internationale pour la protection des Alpes pour la France. La CIPRA est une ONG très ancienne, puisqu'elle fête ses 50 ans cette année. Pierre Bontemps est le Vice-Président de la CIPRA et il a également des responsabilités au sein du Club Alpin Français. La CIPRA est à l'origine de la convention alpine, signée par les États de l'arc alpin, de l'Union Européenne ainsi que par Monaco, qui a rejoint cette convention plus tard. Mais la CIPRA ne se situe pas uniquement en tant qu'organisation de défense de l'environnement. Elle prend également en compte les dimensions économique ou sociale des dossiers. Dans ce cadre, des conflits peuvent être possibles avec les uns et les autres, mais ceci permet également des échanges d'idées, dans le cadre d'un débat démocratique. Notre but est de parvenir à ce que la convention alpine se concrétise. Nous avons donc lancé pour la CIPRA un réseau de communes, dans lequel nous voulons mettre en pratique, avec les élus, le développement durable en montagne, plutôt que de nous en tenir à de simples discours.

Souhaitez-vous que nous abordions des sujets particuliers dans le cadre de cette présentation ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous propose de balayer les questions que nous souhaitions vous poser, concernant notamment le dernier rapport sur l'état des Alpes.

M. René Sournia - Nous vous avons fait parvenir un exemplaire de ce rapport, avec les réponses écrites à vos questions.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous pourriez nous présenter les principales positions de la CIPRA sur les propositions de protocoles « transports » et « population et culture », mais également sur la question des risques et nuisances dans le secteur du transport interalpin et alpin, ainsi que sur les enjeux de la politique énergétique pour les Alpes, qui constituent les trois points essentiels pour une bonne information de la mission. Vous pourriez, pour commencer, rappeler les principaux axes de la convention alpine.

M. René Sournia - Les principaux axes de la convention alpine, qui a été signée par l'ensemble des états de l'arc alpin et de l'Union Européenne, sont les suivants : protection de la nature et entretien des paysages, agriculture de montagne, aménagement du territoire et développement durable, forêts de montagne, tourisme, énergie, protection des sols et transports.

Concernant les problèmes de transport, notre démarche s'inscrit parfaitement dans l'actualité. En effet, une manifestation a eu lieu avant-hier à Chamonix pour refuser l'entrée des camions dans le tunnel du Mont-Blanc. Je précise que ce ne sont pas les riches Haut-Savoyards de Chamonix qui refusent le passage des camions chez eux pour éviter la pollution, acceptant ainsi qu'ils soient présents dans la Vallée de la Maurienne. En effet, il s'agit d'un combat plus global, pour dire non aux camions dans toute la région. Il est important de remettre les choses à leur place car certains élus de la Maurienne avaient tendance à stigmatiser les Chamoniards. Pour notre part, nous sommes très défavorables à la politique du « tout routier » actuellement en place et nous souhaitons que le rail soit préféré à la route. Malheureusement, les gouvernements n'ont pas pris la mesure du drame du tunnel du Mont-Blanc survenu il y a trois ans. En effet, ils n'ont pas exploité, durant ces trois années, les propositions qui ont été faites pour transférer une partie des marchandises sur le rail. Or ce transfert aurait pu avoir lieu en une ou deux années pour 40 % des marchandises, ce qui aurait permis de soulager le trafic de la Maurienne. Ainsi, pour le transport international, nous prônons l'utilisation du rail en ce qui concerne le transport de marchandises.

Le problème du transport local, qui représente 85 % des marchandises, se pose également, de même que celui du transport journalier des individuels, du fait d'un déficit d'offres au point de vue cadencement et confort pour le rail voyageurs. Nous pensons qu'il serait nécessaire de transférer des pouvoirs aux régions, à condition de leur transférer aussi les moyens financiers, afin que, localement, les élus, les usagers, ainsi que les partenaires comme la SNCF ou les compagnies de cars, puissent développer une offre plus importante. Je citerais l'exemple du sillon alpin, où, depuis Chamonix ou Genève jusqu'à Grenoble, nous assistons à un flot continu de voitures du matin au soir, dans le cadre d'une urbanisation outrancière qui rend de plus en plus difficile la relance du rail, d'autant plus qu'il n'existe pas de volonté politique assez forte dans ce sens. Ainsi, les transports TER ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Par ailleurs, nous sommes confrontés au problème du transport des touristes vers les stations. Nous devons faire un effort important dans ce sens. Pour cela, nous pourrions prendre exemple sur le Valais, en Suisse, où l'on peut arriver en train de tous les pays d'Europe, sauf de France, si ce n'est avec le TGV hiver Paris-Lausanne. Or il est anormal que nous ne puissions pas avoir une offre dans ce sens, alors qu'à l'arrivée des trains, dans chaque gare suisse, des cars amènent les touristes vers les stations. Neuf stations du Valais proposent même des remontées mécaniques pour aller directement de la vallée vers la station. Ceci permet d'empêcher la circulation de voitures dans la station. Or il s'agit d'un enjeu économique à venir car les touristes souhaitent de plus en plus sortir de l'urbanisation, qu'ils connaissent durant 11 mois de l'année, pour se rendre dans une zone où ils ne sont pas confrontés aux contraintes des voitures.

Concernant la politique énergétique en montagne, il est évident que nous ne pouvons pas supprimer le nucléaire d'un revers de la main. Nous pouvons envisager de sortir du nucléaire sur trente ans, comme l'ont prévu les Allemands. Néanmoins, nous pouvons travailler sur des économies d'énergie, ce thème étant lié à celui des transports, qui dépensent beaucoup d'énergie. Nous devons travailler sur les énergies renouvelables. En effet, en montagne, nous disposons du soleil, mais également du vent, dans certaines zones, et surtout de surfaces importantes de forêt, que nous pouvons utiliser aussi bien pour le chauffage que pour l'eau chaude. Nous pouvons en cela nous inspirer de l'exemple de l'usine qui développe du chauffage collectif avec du bois, à Faverges ou aux Gets. Nous pouvons également utiliser l'énergie solaire en montagne à partir d'une certaine altitude pour obtenir de l'électricité comme cela se fait dans les refuges. Ainsi, des recherches sont possibles pour développer des énergies renouvelables, afin d'être plus indépendant des énergies fossiles extérieures sur le plan national et européen, et de réduire les pollutions et l'effet de serre.

Vous m'avez également interrogé sur les conditions d'un développement de l'activité touristique en montagne et sur la compatibilité avec la protection de l'environnement. Nous pouvons citer, par exemple, la solution choisie par les Allemands, dans certaines zones, où l'on interdit l'escalade. Toutefois, côté français, nous sommes défavorables à une telle démarche. Même s'il est vrai que l'escalade peut présenter certains risques pour l'environnement montagnard, néanmoins, nous pouvons en discuter avec les grimpeurs afin d'établir des périodes précises d'autorisation de l'escalade, et limiter cette pratique durant les périodes critiques de nidification. En effet, nous pensons que la politique d'interdiction développée en Allemagne repousse simplement le problème, puisque les Allemands viennent désormais pratiquer l'escalade en France, d'où une surpopulation dans certaines zones, et la destruction de certaines falaises. Par ailleurs, la venue de ces personnes en voiture suscite une pollution plus importante. Ainsi, une décision qui semble, à la base, écologique peut susciter des dégâts supplémentaires en termes d'environnement.

En revanche, nous avons réfléchi aux conséquences des activités touristiques en montagne. Nous pensons que nous devons travailler avec les professionnels du tourisme, depuis le guide de montagne jusqu'au tour operator, afin de les sensibiliser à l'éducation du touriste. En effet, le touriste vient en montagne pour se détendre et se faire plaisir et non pour détruire. Il n'imagine donc pas que, lorsqu'il pratique le rafting, il détruit les frayères à poisson, ce qui entraîne des conflits avec les pêcheurs. En effet, ces derniers se plaignent de la multiplication des lâchers d'eau organisés par EDF dans le cadre de la pratique de rafting et de canyoning, ce qui entraîne la destruction des fonds où se trouve la faune microscopique qui sert de nourriture aux poissons. Néanmoins, il ne semble pas judicieux d'interdire l'accès à une rivière. Un travail de sensibilisation est donc nécessaire auprès des professionnels pour leur expliquer que ces activités peuvent être acceptées pour certaines périodes de l'année, mais pas pour d'autres.

Il en est de même pour les utilisateurs de VTT que nous parvenons, petit à petit, à canaliser, afin qu'ils n'utilisent que des chemins bien précis. Pour cela, tous les professionnels doivent travailler ensemble afin d'être formés sur ces problèmes d'environnement et de transmettre cette information aux touristes. Ainsi, dans les conclusions d'un travail effectué par le Groupe Montagne de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 1998, nous avons préconisé la présence, dans chaque département, de conseils lorsque la création d'activités nouvelles est prévue. Entre temps, la loi de juillet 2000 sur le sport a créé ces structures. Aujourd'hui, les associations d'environnement, ou les associations d'activités sportives de plein air, entrent dans ces structures qui sont sous la coupe du président du conseil général. Nous sommes très satisfaits de la présence d'une telle structure qui peut permettre de faire évoluer ces activités vers un plus grand respect de l'environnement. En effet, un certain aménagement du territoire est nécessaire, mais il faut également tenter de maintenir les populations en montagne pour éviter que la montagne ne devienne une simple zone permettant aux urbains en mal d'oxygénation de se défouler.

La CIPRA souhaite qu'il y ait un arrêt des créations de remontées mécaniques et pistes de ski dans les zones encore non dénaturées. Nous demandons également un arrêt des créations de production de neige artificielle. Il nous semble utile et urgent d'avoir un débat de fond sur ce genre de développement au vue des nouvelles tendances des souhaits de la clientèle touristique mais aussi, et surtout, du fait des changements climatiques à venir et leurs conséquences environnementales, économiques, sociales et en termes de risques naturels accrus.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur Sournia. Mes chers collègues, avez-vous des questions à poser à notre invité ?

M. Jean Boyer - Je souhaite faire une observation concernant les énergies renouvelables. Pensez-vous que, sur le plan pratique, nous pouvons revenir à l'utilisation du bois, dans une société où nous aspirons tous à plus de facilité, sachant que le travail en forêt suscite des problèmes importants de main d'oeuvre ? En effet, nous constatons que les personnes qui ont longtemps travaillé en forêt, et qui atteignent un certain âge, partent travailler dans le gaz ou l'électricité.

D'autre part, concernant la maîtrise des transports routiers, il est vrai que les régions ont la compétence ferroviaire depuis le 1 er janvier en termes d'acquisition des véhicules. Toutefois, sur nos routes régionales, circulent les véhicules de la région, mais également des véhicules étrangers dans le cadre d'un trafic national et international. Ainsi, il me semble qu'il serait judicieux de proposer, ceci permettant sans doute d'entrer dans un débat plus constructif, de mettre sur rail les camions effectuant une très longue distance. En effet, les régions n'ayant pas la maîtrise des circuits courts, une telle décision est très difficile à mettre en pratique dans ce cadre.

M. René Sournia - Effectivement, sur le plan régional, je ne vois pas comment nous pourrions développer le transport ferroviaire. Or ce transport régional représente 85 % du transport. En revanche, pour le transport sur longue distance, nous pouvons faire évoluer les choses, mais, pour cela, une volonté politique est nécessaire. Or, aujourd'hui, nous constatons qu'entre 30 et 40 % des camions roulent à vide, ce qui pose le problème des flux tendus en termes de circulation des marchandises. Nous devons donc parvenir à établir une vérité des coûts afin de faire évoluer cette politique de transports. Par ailleurs, l'externalisation des coûts doit être réalisée au niveau européen, en bloquant l'arrivée des chauffeurs routiers venant de l'Europe de l'Est, qui sont souvent payés à l'heure roulée. Ainsi, lorsque ces chauffeurs se voient infliger des amendes par les gendarmes pour avoir dépassé le quota d'heures autorisées, ils les paient de leur poche et ils en arrivent ainsi à devoir de l'argent au patron. C'est la raison pour laquelle le patronat routier est d'accord pour généraliser le rail et pour externaliser les coûts, à condition que ceci soit régulé au niveau européen afin d'éviter la concurrence sauvage des chauffeurs routiers d'Europe de l'Est. En effet, lorsque ces chauffeurs sont payés 305 euros, ils sont satisfaits, en comparaison de ce qu'ils gagnent chez eux. Tout ce système doit donc être revu, ce qui suppose un travail de fond qui dépasse le simple cadre de la montagne.

Concernant la question du bois en termes d'énergie de chauffage, nous sommes confrontés au problème du prix du bois. En effet, nous manquons de main d'oeuvre dans ce domaine. Or nous pouvons nous demander pourquoi l'Education Nationale, au lieu d'amener 80 % d'une classe d'âge au bac, n'oriente pas certains élèves vers le travail manuel, qui n'est pas dévalorisant. En effet, un département comme la Haute-Savoie manque cruellement d'apprentis menuisiers et charpentiers, et les rares jeunes qui se lancent dans ce domaine sont attendus par des patrons dès la fin de leurs études. Par ailleurs se pose le problème du transport du bois, puisque nous constatons que le bois qui vient de Scandinavie est moins cher que le bois qui est exploité en France. Il s'agit donc d'un problème de régulation, lié au problème du coût des transports, qui n'est pas totalement internalisé. Enfin, un autre problème se pose : celui de l'habitat proprement dit. Or, dans la construction, le bois est beaucoup moins cher en consommation d'énergie que le béton. Nous pouvons donc utiliser ce bois pour faire de la construction, et nous devons tenter de travailler dans ce sens. En effet, il est anormal que de nombreuses communes qui disposaient de ressources très importantes grâce au bois, aient vu ces ressources diminuer de 80 % parce que le bois ne leur rapportait plus, alors que des forêts envahissent ces communes, en l'absence de pâturages. Une réflexion de fond semble donc devoir être menée dans ce sens.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaitais vous poser deux questions. La première est la suivante : avez-vous un point de vue ou un avis comparé sur les deux formules de protection que sont d'une part la formule centralisée du parc naturel, et d'autre part la formule décentralisée de type espace Mont-Blanc ? Pourriez-vous nous présenter les avantages et les inconvénients de ces ceux formules ?

Ma deuxième question est la suivante : nous avons été un certain nombre au Sénat à émettre l'idée d'une action préventive et de responsabilisation de tous les praticiens de la montagne, qui courent des risques de façon irréfléchie et qui font multiplier les opérations de secours de toutes sortes. En effet, certaines personnes vont se défouler au sommet d'une montagne et, lorsqu'elles sont trop fatiguées pour redescendre, elles appellent les secours depuis leur téléphone portable. Or ceci coûte très cher à la nation. Il est vrai que cette pratique concerne essentiellement une certaine partie de la montagne, notamment les Alpes ou les Pyrénées et qu'elle se rencontre peut-être moins dans le Massif Central ou les Vosges, mais il s'agit d'une tendance forte. Seriez-vous, en tant que protecteur, favorable à l'avancée d'une telle pratique, encadrée et gérée sous l'autorité des communes, vue sous un angle préventif, afin de responsabiliser les gens ?

M. René Sournia - Je pense qu'au-delà de l'activité en montagne, nous retrouvons de telles pratiques à risque en mer. Or il s'agit d'un problème de fond de refus des responsabilités des individus. J'ai, pour ma part, réalisé des ascensions en solo, mais j'ai toujours dit à ma famille qu'elle ne devrait en aucun cas attaquer une quelconque autorité en cas d'accident. J'ai moi-même perdu ma seconde épouse en montagne mais je ne m'en prends qu'à moi-même en me disant que j'ai dû commettre une erreur au cours de notre ascension.

M. Jean-Paul Amoudry - Malheureusement, tout le monde ne réagit pas comme cela et, même si vous signez une décharge, les secours sont tenus d'intervenir en cas d'accident. Dans notre société, la mécanique de secours est obligatoire et suscite un coût important. Or nous devons trouver un moyen de sensibiliser les personnes en leur indiquant que des frais importants seront occasionnés si elles encourent des risques inconsidérés. Cette démarche n'est pas un frein au secours, que nous ne remettons pas en cause, puisque le secours est inscrit dans la Constitution. Il s'agit simplement d'un moyen préventif.

M. René Sournia - Dans le cadre du club alpin français (CAF), nous sommes confrontés à ce problème. En effet, certains représentants du CAF ont été traînés devant les tribunaux car ils étaient soupçonnés d'avoir pris des risques suite à certains accidents. Nous avons pu récemment lire dans la presse le cas de Polonais qui, alors que le mauvais temps était annoncé, ont décidé de réaliser quand même l'ascension du Mont-Blanc. Or ils ont fait prendre des risques inconsidérés aux secouristes. Nous pouvons également citer l'affaire de la Vanoise, qui a eu lieu il y a quatre ou cinq ans. Pour ma part, j'étais partisan de ne pas intervenir car ces personnes avaient décidé, contre vents et marées, de partir en montagne, alors qu'on leur avait dit que la situation était dangereuse. J'estime que, dans ce cas, les gens doivent prendre leurs responsabilités pour rentrer. Tel est mon point de vue. Par ailleurs, le problème du paiement des secours est très complexe. En effet, nous sommes assurés en cas d'accident en voiture. De la même manière, dans le cadre du CAF, nous proposons une assurance obligatoire qui inclut l'adhésion, mais nous ne nous laissons pas pour autant aller à faire n'importe quoi, même si certaines personnes nous le demandent. Nous tentons d'informer les personnes en demandant des informations à la météo, aux guides... Mais je pense qu'il faut responsabiliser les gens et que ceci ne peut se faire que financièrement.

Concernant la question de la protection de l'environnement, je pense que, dans la mesure où des protections fortes sont instaurées, dans le cadre de parcs nationaux, ou de réserves naturelles, cela signifie que l'homme a échoué. En effet, l'homme n'a pas été capable de gérer suffisamment les ressources naturelles pour ne pas trop en dépenser ou en détruire. Ainsi, je considère que la création d'un parc national ou d'une réserve naturelle constitue la preuve que l'homme a fait des erreurs et qu'il a pris des décisions qui ne sont pas logiques par rapport à l'environnement. Dans ce cadre, je reviendrai sur le cas de l'espace Mont-Blanc. J'ai vu la naissance de cet « Espace Nature Mont-Blanc » avec beaucoup d'espoir en 1992 ou en 1993, mais nous nous sommes vite aperçu qu'il s'agissait simplement d'une « pompe à fric ». En effet, je pense que certains élus n'y ont vu que cela. Par ailleurs, l'Etat n'a pas eu le courage de dire aux élus qu'ils devaient agir dans certaines directions, en donnant une certaine impulsion. Ainsi, l'Etat a trop laissé faire. Au final, cet espace Mont-Blanc n'a accouché d'aucune décision, ce que je regrette profondément. En effet, les différentes associations comme le Club Alpin Français, la CIPRA, ou encore un regroupement d'associations italiennes, suisses et françaises sur le développement durable souhaitaient faire de cet Espace Mont-Blanc transfrontalier un symbole en Europe de ce qu'aurait pu être le développement durable. Or nous avons échoué. Selon moi, aujourd'hui, il n'y a plus rien à faire pour sauver le massif du Mont-Blanc car de nombreuses zones ont été saccagées. Ainsi, le fait de ne plus toucher à cet espace contribue déjà à le protéger.

En revanche, le concept de sites décentralisés, comme le sont les parcs régionaux, me semble être une bonne idée, qui a fait ses preuves, notamment dans le Parc des Bauges ou dans le Parc du Queyras. En effet, l'homme a été mis au coeur du projet, et l'on prend le temps de discuter avec tous les acteurs concernés, afin qu'une confrontation ait lieu. Dans ce cadre, de telles structures peuvent déboucher sur un projet intéressant, comme ceci a été le cas pour la Chartreuse ou les Bauges. A l'inverse, l'exemple du parc du Mercantour, qui, dans les années 70, a été imposé à la population, est un très mauvais exemple. Ainsi, 25 ans après, il suscite toujours un rejet de la part de la population locale. Or, au-delà du combat concernant la réintroduction des loups, il s'agit d'un refus de cette intervention étatique autoritaire.

M. Jean-Paul Amoudry - Pour conclure, pouvez-vous nous présenter le réseau de communes « Alliance dans les Alpes » ?

M. René Sournia - Le but de ce réseau est de faire appliquer la convention alpine sur le terrain. Nous ne souhaitons pas expliquer aux élus ce qu'ils doivent faire, mais simplement leur proposer de visiter certains villages pour observer les réalisations qui y sont développées. Nous avons réalisé certaines visites en France durant le mois de mai l'année dernière, puis durant le mois d'octobre. Ainsi, nous avons organisé, pour les élus, la visite d'un village du Valais, Saint-Martin. Les élus de ce village songeaient à mettre en place des remontées mécaniques, puis, après discussion avec la population, et notamment les milieux économiques de la vallée, ils ont décidé de repartir sur d'autres bases en développant l'agriculture et en aidant les agriculteurs à se maintenir en place. Par ailleurs, ils ont transformé des alpages en gîtes d'étape. Cette décision a permis de faire travailler les artisans locaux. Ainsi, la dynamisation du village a été permise simplement à partir du local. Or il s'agit d'un exemple de développement durable très intéressant. Notre but est donc de mettre en réseau ces différentes communes, qui sont au nombre de 130 pour tout l'arc alpin, afin qu'elles voient ce qui se fait ailleurs. En outre, ce réseau permet d'apporter une aide technique à ces communes en termes de secrétariat, d'ouverture de comptes pour des financements, de réalisation d'audits dans le cadre de cabinets conseil, mais il ne s'agit surtout pas de leur donner des directives. Il s'agit simplement d'une aide à la confrontation et à la concertation avec d'autres communes mais ce sont les élus locaux qui doivent développer leur projet concrètement.

Par ailleurs, l'agriculture me semble constituer l'un des maillons importants de la montagne. Or, au sein de la CIPRA, nous pensons que la Politique Agricole Commune doit être revue, pour aller vers des aides à la qualité et pour se tourner vers les jeunes agriculteurs, afin de les maintenir, mais également de les former pour qu'ils viennent à l'agriculture de montagne. En effet, nous nous apercevons que les agriculteurs qui vieillissent quittent la profession sans être remplacés, et que, dans quelques années, nous n'aurons presque plus d'agriculteurs dans nos montagnes, si ce n'est pour faire du folklore dans le paysage. Or ce n'est pas le folklore qui fait vivre la montagne.

Pour conclure, je dirais que, si nous regardons la composition du nouveau gouvernement, nous constatons que Monsieur Gaymard, élu de la Savoie, est, entre autres, Ministre de la Pêche. Or, si je ne pense pas qu'il soit incompétent dans ce domaine, je trouve quelque peu ennuyeux de voir qu'il n'existe jamais un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors que 43 départements en France sont directement touchés par la montagne contre seulement un peu plus de 30 départements touchés par la mer. Il n'est donc pas normal que, dans ce gouvernement, comme dans tous les autres gouvernements précédents, il n'existe pas au moins un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors même que nous avons une loi Montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur Sournia pour votre contribution, qui a enrichi très utilement nos travaux.

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