10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Bonjour Monsieur Sournia. Nous vous avons
contacté dans le cadre de notre mission d'évaluation de la
politique de la montagne, que le Sénat a décidé de
constituer en février dernier, à la fois pour mettre à
profit la période de cette année internationale de la montagne,
au cours de laquelle des échéances électorales
démocratiques nous ont obligés à suspendre les travaux
législatifs du Sénat, donnant aux sénateurs ici
présents l'occasion de s'arrêter sur la politique de la montagne,
et en particulier sur l'application de la loi de 1985. Sont présents
aujourd'hui les sénateurs de l'Isère, de l'Ain, de la
Haute-Loire, du Cantal, de la Haute-Savoie, qui sont tous membres de cette
mission, dont le Président est Monsieur Jacques Blanc, Sénateur
de Lozère, aujourd'hui excusé, et dont je suis le rapporteur.
Notre projet est de déposer les conclusions de notre mission au
début du mois d'octobre prochain, de rédiger notre rapport dans
le courant du mois de septembre, et donc de travailler par auditions et visites
sur le terrain d'ici à la fin du mois de juillet. Notre mission comporte
trois angles d'investigation : l'aspect aménagement, l'aspect
protection de l'environnement et l'aspect économie et emploi.
Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre du thème de la protection
des Alpes. Vous allez vous présenter à nous et nous vous
proposons d'échanger par la suite avec nous. Vous nous avez
également déposé des contributions écrites et je
pense que votre apport sera très utile à nos travaux.
M. René Sournia -
Je vous remercie de m'avoir invité. Je
suis Président de la Commission internationale pour la protection des
Alpes pour la France. La CIPRA est une ONG très ancienne, puisqu'elle
fête ses 50 ans cette année. Pierre Bontemps est le
Vice-Président de la CIPRA et il a également des
responsabilités au sein du Club Alpin Français. La CIPRA est
à l'origine de la convention alpine, signée par les États
de l'arc alpin, de l'Union Européenne ainsi que par Monaco, qui a
rejoint cette convention plus tard. Mais la CIPRA ne se situe pas uniquement en
tant qu'organisation de défense de l'environnement. Elle prend
également en compte les dimensions économique ou sociale des
dossiers. Dans ce cadre, des conflits peuvent être possibles avec les uns
et les autres, mais ceci permet également des échanges
d'idées, dans le cadre d'un débat démocratique. Notre but
est de parvenir à ce que la convention alpine se concrétise. Nous
avons donc lancé pour la CIPRA un réseau de communes, dans lequel
nous voulons mettre en pratique, avec les élus, le développement
durable en montagne, plutôt que de nous en tenir à de simples
discours.
Souhaitez-vous que nous abordions des sujets particuliers dans le cadre de
cette présentation ?
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous propose de balayer les questions que nous
souhaitions vous poser, concernant notamment le dernier rapport sur
l'état des Alpes.
M. René Sournia -
Nous vous avons fait parvenir un exemplaire de
ce rapport, avec les réponses écrites à vos questions.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous pourriez nous présenter les
principales positions de la CIPRA sur les propositions de protocoles
« transports » et « population et
culture », mais également sur la question des risques et
nuisances dans le secteur du transport interalpin et alpin, ainsi que sur les
enjeux de la politique énergétique pour les Alpes, qui
constituent les trois points essentiels pour une bonne information de la
mission. Vous pourriez, pour commencer, rappeler les principaux axes de la
convention alpine.
M. René Sournia -
Les principaux axes de la convention alpine,
qui a été signée par l'ensemble des états de l'arc
alpin et de l'Union Européenne, sont les suivants : protection de
la nature et entretien des paysages, agriculture de montagne,
aménagement du territoire et développement durable,
forêts de montagne, tourisme, énergie, protection des sols et
transports.
Concernant les problèmes de transport, notre démarche s'inscrit
parfaitement dans l'actualité. En effet, une manifestation a eu lieu
avant-hier à Chamonix pour refuser l'entrée des camions dans le
tunnel du Mont-Blanc. Je précise que ce ne sont pas les riches
Haut-Savoyards de Chamonix qui refusent le passage des camions chez eux pour
éviter la pollution, acceptant ainsi qu'ils soient présents dans
la Vallée de la Maurienne. En effet, il s'agit d'un combat plus global,
pour dire non aux camions dans toute la région. Il est important de
remettre les choses à leur place car certains élus de la
Maurienne avaient tendance à stigmatiser les Chamoniards. Pour notre
part, nous sommes très défavorables à la politique du
« tout routier » actuellement en place et nous souhaitons
que le rail soit préféré à la route.
Malheureusement, les gouvernements n'ont pas pris la mesure du drame du tunnel
du Mont-Blanc survenu il y a trois ans. En effet, ils n'ont pas
exploité, durant ces trois années, les propositions qui ont
été faites pour transférer une partie des marchandises sur
le rail. Or ce transfert aurait pu avoir lieu en une ou deux années pour
40 % des marchandises, ce qui aurait permis de soulager le trafic de la
Maurienne. Ainsi, pour le transport international, nous prônons
l'utilisation du rail en ce qui concerne le transport de marchandises.
Le problème du transport local, qui représente 85 % des
marchandises, se pose également, de même que celui du transport
journalier des individuels, du fait d'un déficit d'offres au point de
vue cadencement et confort pour le rail voyageurs. Nous pensons qu'il serait
nécessaire de transférer des pouvoirs aux régions,
à condition de leur transférer aussi les moyens financiers, afin
que, localement, les élus, les usagers, ainsi que les partenaires comme
la SNCF ou les compagnies de cars, puissent développer une offre plus
importante. Je citerais l'exemple du sillon alpin, où, depuis Chamonix
ou Genève jusqu'à Grenoble, nous assistons à un flot
continu de voitures du matin au soir, dans le cadre d'une urbanisation
outrancière qui rend de plus en plus difficile la relance du rail,
d'autant plus qu'il n'existe pas de volonté politique assez forte dans
ce sens. Ainsi, les transports TER ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Par ailleurs, nous sommes confrontés au problème du transport des
touristes vers les stations. Nous devons faire un effort important dans ce
sens. Pour cela, nous pourrions prendre exemple sur le Valais, en Suisse,
où l'on peut arriver en train de tous les pays d'Europe, sauf de France,
si ce n'est avec le TGV hiver Paris-Lausanne. Or il est anormal que nous ne
puissions pas avoir une offre dans ce sens, alors qu'à l'arrivée
des trains, dans chaque gare suisse, des cars amènent les touristes vers
les stations. Neuf stations du Valais proposent même des remontées
mécaniques pour aller directement de la vallée vers la station.
Ceci permet d'empêcher la circulation de voitures dans la station. Or il
s'agit d'un enjeu économique à venir car les touristes souhaitent
de plus en plus sortir de l'urbanisation, qu'ils connaissent durant
11 mois de l'année, pour se rendre dans une zone où ils ne
sont pas confrontés aux contraintes des voitures.
Concernant la politique énergétique en montagne, il est
évident que nous ne pouvons pas supprimer le nucléaire d'un
revers de la main. Nous pouvons envisager de sortir du nucléaire sur
trente ans, comme l'ont prévu les Allemands. Néanmoins, nous
pouvons travailler sur des économies d'énergie, ce thème
étant lié à celui des transports, qui dépensent
beaucoup d'énergie. Nous devons travailler sur les énergies
renouvelables. En effet, en montagne, nous disposons du soleil, mais
également du vent, dans certaines zones, et surtout de surfaces
importantes de forêt, que nous pouvons utiliser aussi bien pour le
chauffage que pour l'eau chaude. Nous pouvons en cela nous inspirer de
l'exemple de l'usine qui développe du chauffage collectif avec du bois,
à Faverges ou aux Gets. Nous pouvons également utiliser
l'énergie solaire en montagne à partir d'une certaine altitude
pour obtenir de l'électricité comme cela se fait dans les
refuges. Ainsi, des recherches sont possibles pour développer des
énergies renouvelables, afin d'être plus indépendant des
énergies fossiles extérieures sur le plan national et
européen, et de réduire les pollutions et l'effet de serre.
Vous m'avez également interrogé sur les conditions d'un
développement de l'activité touristique en montagne et sur la
compatibilité avec la protection de l'environnement. Nous pouvons citer,
par exemple, la solution choisie par les Allemands, dans certaines zones,
où l'on interdit l'escalade. Toutefois, côté
français, nous sommes défavorables à une telle
démarche. Même s'il est vrai que l'escalade peut présenter
certains risques pour l'environnement montagnard, néanmoins, nous
pouvons en discuter avec les grimpeurs afin d'établir des
périodes précises d'autorisation de l'escalade, et limiter cette
pratique durant les périodes critiques de nidification. En effet, nous
pensons que la politique d'interdiction développée en Allemagne
repousse simplement le problème, puisque les Allemands viennent
désormais pratiquer l'escalade en France, d'où une surpopulation
dans certaines zones, et la destruction de certaines falaises. Par ailleurs, la
venue de ces personnes en voiture suscite une pollution plus importante. Ainsi,
une décision qui semble, à la base, écologique peut
susciter des dégâts supplémentaires en termes
d'environnement.
En revanche, nous avons réfléchi aux conséquences des
activités touristiques en montagne. Nous pensons que nous devons
travailler avec les professionnels du tourisme, depuis le guide de montagne
jusqu'au tour operator, afin de les sensibiliser à l'éducation du
touriste. En effet, le touriste vient en montagne pour se détendre et se
faire plaisir et non pour détruire. Il n'imagine donc pas que, lorsqu'il
pratique le rafting, il détruit les frayères à poisson, ce
qui entraîne des conflits avec les pêcheurs. En effet, ces derniers
se plaignent de la multiplication des lâchers d'eau organisés par
EDF dans le cadre de la pratique de rafting et de canyoning, ce qui
entraîne la destruction des fonds où se trouve la faune
microscopique qui sert de nourriture aux poissons. Néanmoins, il ne
semble pas judicieux d'interdire l'accès à une rivière. Un
travail de sensibilisation est donc nécessaire auprès des
professionnels pour leur expliquer que ces activités peuvent être
acceptées pour certaines périodes de l'année, mais pas
pour d'autres.
Il en est de même pour les utilisateurs de VTT que nous parvenons, petit
à petit, à canaliser, afin qu'ils n'utilisent que des chemins
bien précis. Pour cela, tous les professionnels doivent travailler
ensemble afin d'être formés sur ces problèmes
d'environnement et de transmettre cette information aux touristes. Ainsi,
dans les conclusions d'un travail effectué par le Groupe Montagne de
l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 1998, nous
avons préconisé la présence, dans chaque
département, de conseils lorsque la création d'activités
nouvelles est prévue. Entre temps, la loi de juillet 2000 sur le
sport a créé ces structures. Aujourd'hui, les associations
d'environnement, ou les associations d'activités sportives de plein air,
entrent dans ces structures qui sont sous la coupe du président du
conseil général. Nous sommes très satisfaits de la
présence d'une telle structure qui peut permettre de faire
évoluer ces activités vers un plus grand respect de
l'environnement. En effet, un certain aménagement du territoire est
nécessaire, mais il faut également tenter de maintenir les
populations en montagne pour éviter que la montagne ne devienne une
simple zone permettant aux urbains en mal d'oxygénation de se
défouler.
La CIPRA souhaite qu'il y ait un arrêt des créations de
remontées mécaniques et pistes de ski dans les zones encore non
dénaturées. Nous demandons également un arrêt des
créations de production de neige artificielle. Il nous semble utile et
urgent d'avoir un débat de fond sur ce genre de développement au
vue des nouvelles tendances des souhaits de la clientèle touristique
mais aussi, et surtout, du fait des changements climatiques à venir et
leurs conséquences environnementales, économiques, sociales et en
termes de risques naturels accrus.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur Sournia. Mes chers
collègues, avez-vous des questions à poser à notre
invité ?
M. Jean Boyer -
Je souhaite faire une observation concernant les
énergies renouvelables. Pensez-vous que, sur le plan pratique, nous
pouvons revenir à l'utilisation du bois, dans une société
où nous aspirons tous à plus de facilité, sachant que le
travail en forêt suscite des problèmes importants de main
d'oeuvre ? En effet, nous constatons que les personnes qui ont longtemps
travaillé en forêt, et qui atteignent un certain âge,
partent travailler dans le gaz ou l'électricité.
D'autre part, concernant la maîtrise des transports routiers, il est vrai
que les régions ont la compétence ferroviaire depuis le
1
er
janvier en termes d'acquisition des véhicules.
Toutefois, sur nos routes régionales, circulent les véhicules de
la région, mais également des véhicules étrangers
dans le cadre d'un trafic national et international. Ainsi, il me semble qu'il
serait judicieux de proposer, ceci permettant sans doute d'entrer dans un
débat plus constructif, de mettre sur rail les camions effectuant une
très longue distance. En effet, les régions n'ayant pas la
maîtrise des circuits courts, une telle décision est très
difficile à mettre en pratique dans ce cadre.
M. René Sournia -
Effectivement, sur le plan régional, je
ne vois pas comment nous pourrions développer le transport ferroviaire.
Or ce transport régional représente 85 % du transport. En
revanche, pour le transport sur longue distance, nous pouvons faire
évoluer les choses, mais, pour cela, une volonté politique est
nécessaire. Or, aujourd'hui, nous constatons qu'entre 30 et 40 %
des camions roulent à vide, ce qui pose le problème des flux
tendus en termes de circulation des marchandises. Nous devons donc parvenir
à établir une vérité des coûts afin de faire
évoluer cette politique de transports. Par ailleurs, l'externalisation
des coûts doit être réalisée au niveau
européen, en bloquant l'arrivée des chauffeurs routiers venant de
l'Europe de l'Est, qui sont souvent payés à l'heure
roulée. Ainsi, lorsque ces chauffeurs se voient infliger des amendes par
les gendarmes pour avoir dépassé le quota d'heures
autorisées, ils les paient de leur poche et ils en arrivent ainsi
à devoir de l'argent au patron. C'est la raison pour laquelle le
patronat routier est d'accord pour généraliser le rail et pour
externaliser les coûts, à condition que ceci soit
régulé au niveau européen afin d'éviter la
concurrence sauvage des chauffeurs routiers d'Europe de l'Est. En effet,
lorsque ces chauffeurs sont payés 305 euros, ils sont satisfaits,
en comparaison de ce qu'ils gagnent chez eux. Tout ce système doit donc
être revu, ce qui suppose un travail de fond qui dépasse le simple
cadre de la montagne.
Concernant la question du bois en termes d'énergie de chauffage, nous
sommes confrontés au problème du prix du bois. En effet, nous
manquons de main d'oeuvre dans ce domaine. Or nous pouvons nous demander
pourquoi l'Education Nationale, au lieu d'amener 80 % d'une classe
d'âge au bac, n'oriente pas certains élèves vers le travail
manuel, qui n'est pas dévalorisant. En effet, un département
comme la Haute-Savoie manque cruellement d'apprentis menuisiers et
charpentiers, et les rares jeunes qui se lancent dans ce domaine sont attendus
par des patrons dès la fin de leurs études. Par ailleurs se pose
le problème du transport du bois, puisque nous constatons que le bois
qui vient de Scandinavie est moins cher que le bois qui est exploité en
France. Il s'agit donc d'un problème de régulation, lié au
problème du coût des transports, qui n'est pas totalement
internalisé. Enfin, un autre problème se pose : celui de
l'habitat proprement dit. Or, dans la construction, le bois est beaucoup moins
cher en consommation d'énergie que le béton. Nous pouvons donc
utiliser ce bois pour faire de la construction, et nous devons tenter de
travailler dans ce sens. En effet, il est anormal que de nombreuses communes
qui disposaient de ressources très importantes grâce au bois,
aient vu ces ressources diminuer de 80 % parce que le bois ne leur
rapportait plus, alors que des forêts envahissent ces communes, en
l'absence de pâturages. Une réflexion de fond semble donc devoir
être menée dans ce sens.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je souhaitais vous poser deux questions. La
première est la suivante : avez-vous un point de vue ou un avis
comparé sur les deux formules de protection que sont d'une part la
formule centralisée du parc naturel, et d'autre part la formule
décentralisée de type espace Mont-Blanc ? Pourriez-vous nous
présenter les avantages et les inconvénients de ces ceux
formules ?
Ma deuxième question est la suivante : nous avons été
un certain nombre au Sénat à émettre l'idée d'une
action préventive et de responsabilisation de tous les praticiens de la
montagne, qui courent des risques de façon irréfléchie et
qui font multiplier les opérations de secours de toutes sortes. En
effet, certaines personnes vont se défouler au sommet d'une montagne et,
lorsqu'elles sont trop fatiguées pour redescendre, elles appellent les
secours depuis leur téléphone portable. Or ceci coûte
très cher à la nation. Il est vrai que cette pratique concerne
essentiellement une certaine partie de la montagne, notamment les Alpes ou les
Pyrénées et qu'elle se rencontre peut-être moins dans le
Massif Central ou les Vosges, mais il s'agit d'une tendance forte. Seriez-vous,
en tant que protecteur, favorable à l'avancée d'une telle
pratique, encadrée et gérée sous l'autorité des
communes, vue sous un angle préventif, afin de responsabiliser les
gens ?
M. René Sournia -
Je pense qu'au-delà de l'activité
en montagne, nous retrouvons de telles pratiques à risque en mer. Or il
s'agit d'un problème de fond de refus des responsabilités des
individus. J'ai, pour ma part, réalisé des ascensions en
solo, mais j'ai toujours dit à ma famille qu'elle ne devrait en aucun
cas attaquer une quelconque autorité en cas d'accident. J'ai
moi-même perdu ma seconde épouse en montagne mais je ne m'en
prends qu'à moi-même en me disant que j'ai dû commettre une
erreur au cours de notre ascension.
M. Jean-Paul Amoudry -
Malheureusement, tout le monde ne réagit
pas comme cela et, même si vous signez une décharge, les secours
sont tenus d'intervenir en cas d'accident. Dans notre société, la
mécanique de secours est obligatoire et suscite un coût important.
Or nous devons trouver un moyen de sensibiliser les personnes en leur indiquant
que des frais importants seront occasionnés si elles encourent des
risques inconsidérés. Cette démarche n'est pas un frein au
secours, que nous ne remettons pas en cause, puisque le secours est inscrit
dans la Constitution. Il s'agit simplement d'un moyen préventif.
M. René Sournia -
Dans le cadre du club alpin français
(CAF), nous sommes confrontés à ce problème. En effet,
certains représentants du CAF ont été traînés
devant les tribunaux car ils étaient soupçonnés d'avoir
pris des risques suite à certains accidents. Nous avons pu
récemment lire dans la presse le cas de Polonais qui, alors que le
mauvais temps était annoncé, ont décidé de
réaliser quand même l'ascension du Mont-Blanc. Or ils ont fait
prendre des risques inconsidérés aux secouristes. Nous pouvons
également citer l'affaire de la Vanoise, qui a eu lieu il y a quatre ou
cinq ans. Pour ma part, j'étais partisan de ne pas intervenir car ces
personnes avaient décidé, contre vents et marées, de
partir en montagne, alors qu'on leur avait dit que la situation était
dangereuse. J'estime que, dans ce cas, les gens doivent prendre leurs
responsabilités pour rentrer. Tel est mon point de vue. Par ailleurs, le
problème du paiement des secours est très complexe. En effet,
nous sommes assurés en cas d'accident en voiture. De la même
manière, dans le cadre du CAF, nous proposons une assurance obligatoire
qui inclut l'adhésion, mais nous ne nous laissons pas pour autant aller
à faire n'importe quoi, même si certaines personnes nous le
demandent. Nous tentons d'informer les personnes en demandant des informations
à la météo, aux guides... Mais je pense qu'il faut
responsabiliser les gens et que ceci ne peut se faire que financièrement.
Concernant la question de la protection de l'environnement, je pense que, dans
la mesure où des protections fortes sont instaurées, dans le
cadre de parcs nationaux, ou de réserves naturelles, cela signifie que
l'homme a échoué. En effet, l'homme n'a pas été
capable de gérer suffisamment les ressources naturelles pour ne pas trop
en dépenser ou en détruire. Ainsi, je considère que la
création d'un parc national ou d'une réserve naturelle constitue
la preuve que l'homme a fait des erreurs et qu'il a pris des décisions
qui ne sont pas logiques par rapport à l'environnement. Dans ce cadre,
je reviendrai sur le cas de l'espace Mont-Blanc. J'ai vu la naissance de cet
« Espace Nature Mont-Blanc » avec beaucoup d'espoir en 1992
ou en 1993, mais nous nous sommes vite aperçu qu'il s'agissait
simplement d'une « pompe à fric ». En effet, je
pense que certains élus n'y ont vu que cela. Par ailleurs, l'Etat n'a
pas eu le courage de dire aux élus qu'ils devaient agir dans certaines
directions, en donnant une certaine impulsion. Ainsi, l'Etat a trop
laissé faire. Au final, cet espace Mont-Blanc n'a accouché
d'aucune décision, ce que je regrette profondément. En effet, les
différentes associations comme le Club Alpin Français, la CIPRA,
ou encore un regroupement d'associations italiennes, suisses et
françaises sur le développement durable souhaitaient faire de cet
Espace Mont-Blanc transfrontalier un symbole en Europe de ce qu'aurait pu
être le développement durable. Or nous avons échoué.
Selon moi, aujourd'hui, il n'y a plus rien à faire pour sauver le massif
du Mont-Blanc car de nombreuses zones ont été saccagées.
Ainsi, le fait de ne plus toucher à cet espace contribue
déjà à le protéger.
En revanche, le concept de sites décentralisés, comme le sont les
parcs régionaux, me semble être une bonne idée, qui a fait
ses preuves, notamment dans le Parc des Bauges ou dans le Parc du Queyras. En
effet, l'homme a été mis au coeur du projet, et l'on prend le
temps de discuter avec tous les acteurs concernés, afin qu'une
confrontation ait lieu. Dans ce cadre, de telles structures peuvent
déboucher sur un projet intéressant, comme ceci a
été le cas pour la Chartreuse ou les Bauges. A l'inverse,
l'exemple du parc du Mercantour, qui, dans les années 70, a
été imposé à la population, est un très
mauvais exemple. Ainsi, 25 ans après, il suscite toujours un rejet de la
part de la population locale. Or, au-delà du combat concernant la
réintroduction des loups, il s'agit d'un refus de cette intervention
étatique autoritaire.
M. Jean-Paul Amoudry -
Pour conclure, pouvez-vous nous présenter
le réseau de communes « Alliance dans les
Alpes » ?
M. René Sournia -
Le but de ce réseau est de faire
appliquer la convention alpine sur le terrain. Nous ne souhaitons pas expliquer
aux élus ce qu'ils doivent faire, mais simplement leur proposer de
visiter certains villages pour observer les réalisations qui y sont
développées. Nous avons réalisé certaines visites
en France durant le mois de mai l'année dernière, puis durant le
mois d'octobre. Ainsi, nous avons organisé, pour les élus, la
visite d'un village du Valais, Saint-Martin. Les élus de ce village
songeaient à mettre en place des remontées mécaniques,
puis, après discussion avec la population, et notamment les milieux
économiques de la vallée, ils ont décidé de
repartir sur d'autres bases en développant l'agriculture et en aidant
les agriculteurs à se maintenir en place. Par ailleurs, ils ont
transformé des alpages en gîtes d'étape. Cette
décision a permis de faire travailler les artisans locaux. Ainsi, la
dynamisation du village a été permise simplement à partir
du local. Or il s'agit d'un exemple de développement durable très
intéressant. Notre but est donc de mettre en réseau ces
différentes communes, qui sont au nombre de 130 pour tout l'arc
alpin, afin qu'elles voient ce qui se fait ailleurs. En outre, ce réseau
permet d'apporter une aide technique à ces communes en termes de
secrétariat, d'ouverture de comptes pour des financements, de
réalisation d'audits dans le cadre de cabinets conseil, mais il ne
s'agit surtout pas de leur donner des directives. Il s'agit simplement d'une
aide à la confrontation et à la concertation avec d'autres
communes mais ce sont les élus locaux qui doivent développer leur
projet concrètement.
Par ailleurs, l'agriculture me semble constituer l'un des maillons importants
de la montagne. Or, au sein de la CIPRA, nous pensons que la Politique Agricole
Commune doit être revue, pour aller vers des aides à la
qualité et pour se tourner vers les jeunes agriculteurs, afin de les
maintenir, mais également de les former pour qu'ils viennent à
l'agriculture de montagne. En effet, nous nous apercevons que les agriculteurs
qui vieillissent quittent la profession sans être remplacés, et
que, dans quelques années, nous n'aurons presque plus d'agriculteurs
dans nos montagnes, si ce n'est pour faire du folklore dans le paysage. Or ce
n'est pas le folklore qui fait vivre la montagne.
Pour conclure, je dirais que, si nous regardons la composition du nouveau
gouvernement, nous constatons que Monsieur Gaymard, élu de la Savoie,
est, entre autres, Ministre de la Pêche. Or, si je ne pense pas qu'il
soit incompétent dans ce domaine, je trouve quelque peu ennuyeux de voir
qu'il n'existe jamais un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors
que 43 départements en France sont directement touchés par
la montagne contre seulement un peu plus de 30 départements
touchés par la mer. Il n'est donc pas normal que, dans ce gouvernement,
comme dans tous les autres gouvernements précédents, il n'existe
pas au moins un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors
même que nous avons une loi Montagne.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur Sournia pour votre contribution,
qui a enrichi très utilement nos travaux.