9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la Fédération française d'économie montagnarde (15 mai 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Monsieur le Président Savornin, merci de vous
être déplacé des Alpes-de-Haute-Provence pour les besoins
de cette mission d'information sur la montagne. Vous connaissez le sens de
cette mission et il n'est pas utile que je vous en expose les grandes lignes.
Nous mettrons à profit, dans le cadre de nos travaux, la contribution
que vous voudrez bien nous apporter. Je vous laisse la parole, puis nous
laisserons place à la discussion.
M. Henri Savornin -
Mon cher Président, Messieurs les
Sénateurs, en préambule, je souhaite dire que j'apporte
simplement ici ma vérité, qui n'est pas la vérité,
tant il est vrai que les montagnards sont aussi différents les uns des
autres que le sont les massifs et les montagnes qui les environnent. Vous
aurez, bien entendu, le droit de me contredire. Je précise que je suis
non pas un théoricien, comme le sont les représentants du
ministère avec qui nous avons travaillé très
régulièrement, mais plutôt un praticien. En effet, je suis
à l'affût des textes relevant des différents
ministères, depuis le 24 octobre 1967, date de la
création de la rénovation rurale en montagne, qui m'avait
donné l'idée de mettre en pratique une certaine philosophie et de
profiter des quelques avantages annoncés par ces dispositions. Ainsi,
j'ai trouvé, à l'époque, une commune disposant d'un budget
de 2.287 euros et qui dispose aujourd'hui d'un budget de
2,287 millions de francs. A cette époque, 9 enfants
fréquentaient l'école de la commune contre 59 aujourd'hui.
Nous n'avions aucun service puisque la dernière épicerie avait
fermé ses portes en 1967. Or la commune compte aujourd'hui
22 commerces et services et, parallèlement, une association que je
préside gère 850 lits de tourisme social, qui font un
chiffre d'affaires de 4,878 millions d'euros et qui permettent d'employer
130 personnes. Ainsi, la preuve est apportée que dans notre
montagne réputée pauvre et désertique des Alpes du Sud,
nous pouvons créer de l'activité et maintenir une population,
à condition de rencontrer un partenariat public compréhensif.
Néanmoins, il se peut que je sois marqué par ma propre
expérience et que je ne puisse donc pas forcément répondre
aux interrogations des uns et des autres.
Tout d'abord, la politique de la montagne a connu un certain nombre de
chicanes. Ainsi, depuis 1967, puis les discours de Clermont-Ferrand de 1972-73,
nous avons commencé à mener des actions très efficaces
dans le domaine de la prise en compte des handicaps. Par la suite, nous avons
connu une évolution notable avec la décentralisation. En effet,
la politique montagne qui avait été conduite par les divers
responsables de l'agriculture, en particulier, durant de nombreuses
années, avec la FNSEA et le CNJA, est remise en cause au moment de la
décentralisation, les accords passés préalablement ayant
alors été remis en cause. Ainsi, nous avions obtenu une
majoration portant les subventions à 60 % pour les adductions d'eau
ou les assainissements contre 40 % pour la plaine. Avec la
décentralisation, conduite par un homme certainement très
intelligent mais maire d'une commune d'un million d'habitants, ce qui est
très loin de la réalité de la plupart des communes de
montagne qui comptent environ 200 habitants, du jour au lendemain, ces
accords ont été remis en cause par les assemblées
régionales qui ont pensé leur politique d'aménagement du
territoire de manière forcément plus urbaine que celle que
nous avions instaurée. Ensuite, durant cinq ans, nous avons
préparé ensemble la loi Montagne, qui aboutira le
9 janvier 1985. Cette loi, que nous avions considérée
comme étant une étape dynamique, est rapidement, dans les faits,
apparue, au contraire, comme un acquis. En effet, il a été
considéré que, du moment que nous avions obtenu la loi Montagne,
nous n'avions plus besoin de faire vivre autant les organismes d'animation
rurale. Cette loi Montagne, qui est l'objet de notre rencontre aujourd'hui, a
donc marqué un arrêt du dynamisme de la part des défenseurs
de la montagne. Par la suite, nous avons tenté, année
après année, de nous inscrire dans la Politique Agricole Commune
et de faire en sorte que la montagne continue à trouver sa place.
Aujourd'hui, nous abordons un virage important, qui nous oblige sans doute
à remettre en cause la politique d'aménagement du territoire et
peut-être également une certaine politique d'aménagement
rural. Votre première question porte sur les forces et faiblesses de
l'économie montagnarde. La France dispose d'une surface montagneuse
exceptionnelle comparée à d' autres pays d'Europe. Elle dispose
d'une montagne qui est convoitée, car elle représente la
liberté des grands espaces, elle bénéficie, le plus
souvent, d'un climat exceptionnel, même si nous sommes parfois
confrontés à la neige ou à la sécheresse. En outre,
cette montagne est encore habitée, cultivée, elle dispose d'un
environnement agréable de par son climat, ses sites
préservés, sa faune et sa flore. Néanmoins, si cette
montagne est convoitée, elle bute sur une culture, une philosophie, une
politique, qui se veulent extrêmement protectionnistes, comme si cette
belle montagne, que nous avons aménagée, était tout d'un
coup menacée par des personnes qui voudraient la mettre à mal. Ce
protectionnisme, tout à fait excessif selon moi, a conduit à un
arrêt des volontés de développement. Or la montagne ne peut
conserver cette force et cette attractivité que si les hommes continuent
à y vivre avec un niveau de vie acceptable. Cela ne peut se penser
seulement dans le cadre de la protection, qui conduit
généralement à la désertification des zones de
montagne, avec des cantons qui ne comptent que de cinq à sept habitants
au km
2
.
Ainsi, l'économie montagnarde dispose d'atouts incontestables puisque
l'agriculture y conserve un dynamisme qui lui assure un avenir
économique, à condition que les hommes et les femmes qui y vivent
puissent avoir une vie sociale et des services en rapport avec la
modernité actuelle. Pour cela, nous devons, dans le cadre d'autres
activités, multiplier les emplois dans ce secteur montagnard. J'irais
jusqu'à dire qu'il vaut mieux souffrir d'un manque de services
plutôt que d'entretenir ces services artificiellement si l'argent qui est
prévu pour cela n'est pas utilisé dans le développement
économique. J'ai moi-même agi dans ce sens puisque nous n'avions
aucun service et que nous comptons aujourd'hui 240 emplois permanents sur
la commune, en partie du fait de la présence de 4 000 lits
touristiques basés sur une station touristique été-hiver.
Ainsi, la force de l'économie montagnarde passe avant tout par le
maintien de l'agriculture, une agriculture qui assure l'entretien de
l'environnement, en même temps qu'elle apporte des produits de
qualité dans une nation qui en est restée assez gourmande.
Concernant les faiblesses de l'économie montagnarde, je dirais que nous
en souffrons d'un certain nombre au niveau du moral et de la philosophie parce
que, au cours de ces dernières années, alors que la politique de
développement du territoire urbain a été dynamique et a
reçu les aides de diverses collectivités publiques, le monde
agricole a été oublié. Pour ne prendre qu'un exemple, il
nous a été dit à Marseille que la multiplication par sept
du budget du chemin de fer était une décision merveilleuse. Or,
nous n'avons, dans notre vallée, - comme c'est le cas de nombreuses
vallées des Alpes de Haute Provence et des Hautes Alpes - aucun chemin
de fer et aucune gare. Pour nous, la solution ne se trouve donc pas là.
Dans le même temps, notre ministre de l'Aménagement du Territoire
a arrêté l'autoroute, faisant ainsi de notre massif le seul massif
enclavé. En effet, nous attendons toujours que 80 kilomètres
d'autoroute soient aménagés pour lier le nord et le sud de
l'Europe, en passant par Grenoble. Ces décisions constituent aujourd'hui
des faiblesses pour l'économie de montagne car lorsque la masse urbaine
se déplace en vacances, elle préfère, en arrivant à
Grenoble, aller vers la Savoie plutôt que de faire trois heures de bus
pour arriver chez nous. Et lorsque les touristes arrivent chez nous, la
première chose qu'ils nous demandent est : « faut-il
vraiment repasser par là pour repartir ? » L'enclavement est
donc catastrophique pour certains massifs, dont celui des Alpes du Sud. Je peux
citer, en comparaison, le cas de Saint Chély d'Apcher, et de son
développement depuis que l'autoroute a été construite dans
le Massif Central. Dans le même sens, je pense que le fait de
bénéficier d'une autoroute constituerait pour nous une chance. A
cela s'ajoutent les problèmes de relations internes, car les routes sont
longues et étroites et qu' il est difficile de développer le
tourisme en l'absence de moyens de circulation.
En outre, de nombreux hommes politiques et de nombreuses administrations, qui
ont souvent encore plus de pouvoir, ne croient pas en l'avenir et au
développement économique et social de la montagne. C'est pourquoi
il est toujours proposé de rechercher les moyens d'attendre. Ainsi, les
études s'ajoutent aux études avant que l'on décide
qu'elles coûtent trop cher et que l'on n'a plus d'argent à
investir. Actuellement, contrairement à l'esprit initial de 1967, on
favorise plus facilement la grande station que la petite station alors que
cette dernière maintient la présence des hommes et des femmes. Il
y a donc un virage important à prendre et le Sénat, qui a un
certain pouvoir en la matière, doit montrer la nécessité
d'aménager le territoire en tenant compte des chances que
représente toute la montagne française.
Je rappelle, dans ce cadre, que nous avions connu une certaine période
d'aménagement du territoire efficace. Le Languedoc-Roussillon a
notamment bénéficié de cet aménagement, la zone
montagne également. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, ce qui
empêche le développement de certaines potentialités. En
effet, nous ne rencontrons pas, aujourd'hui, de problème en termes de
développement du tourisme, puisque ce développement est
évident et que les experts nous annoncent même une
évolution de 600 millions à 1,2 milliard de touristes
en quinze ans. Il est donc possible d'ouvrir, dans nos montagnes, un
marché touristique qui viendrait consolider les économies.
Toutefois, pour développer le tourisme en montagne, avec le retard que
nous avons pris, nous devons obligatoirement bénéficier d'une
aide substantielle des pouvoirs publics, que ce soit l'Europe, l'Etat, ou
encore les régions ou les départements, afin de créer une
nouvelle capacité d'accueil confortable et de réhabiliter
l'habitat de loisir. Cet habitat de loisir a vieilli et n'est ni attractif
ni rentable. Dans ce cadre, il n'y a pas d'autre solution que l'intervention
des caisses publiques dans le cadre de formules de développement
touristique, productrices de services et de vie sociale.
Néanmoins, ceci met en cause le problème fondamental des
responsabilités. Nous avons, depuis la décentralisation, et la
loi du 29 juillet 1982, confié cette responsabilité aux
régions. Mais quel est le rôle de l'Etat qui laisse à la
région le soin de décider des interventions dans le cadre des
contrats de plan, mais également des taux d'intervention ou des choix
essentiels ? Je pense que l'Etat devrait, aujourd'hui, se repositionner
dans ce domaine, pour assurer une certaine cohésion nationale au sein de
la région par rapport à l'Europe. Pour cela, l'Etat doit
conserver un certain nombre de moyens financiers permettant d'établir
des partenariats respectant les volontés et émanant de Paris. Or
ces partenariats n'existent pas. C'est la raison pour laquelle nous assistons
à certaines distorsions dans l'application de cette politique.
Le tourisme constitue donc une chance pour la montagne, à condition que
certains cadres d'action soient établis. Dans ce sens, je souhaite
évoquer le cas de la Vallée de l'Ubaye. En effet, dans un lieu
désertique, j'ai créé un établissement avec mon
association. Nous avons mis en place 300 lits de tourisme social qui ont
représenté cette année 70 000 journées,
en pension complète, et 2,44 millions d'euros de chiffre
d'affaires. La confiance peut donc être accordée à des
régions et à des structures pourvu qu'il existe une
volonté de l'exploiter correctement. Nous avons donc cette chance mais
encore faut-il établir des choix. En effet, le développement du
tourisme rural, des gîtes, est une chose facile. J'en ai moi-même
créé trente dans ma commune. Mais le développement des
gîtes ne représente pas le meilleur emploi de l'argent. La
présence d'une hôtellerie ou de villages de vacances constitue un
meilleur entraînement social ou économique, parce qu'il permet la
création d'emplois, que le tourisme rural, même si ce dernier est
indispensable pour valoriser un secteur. Je pense que l'Etat, l'Europe et les
régions doivent favoriser l'accueil des touristes dans des villages
vacances au sein de nos zones de montagne, grâce à des
financements spécifiques. En effet, pour reprendre l'expérience
de mon village de vacances, il compte 52 employés et permet de ce
fait d'assurer une animation pour les enfants ou pour les personnes du
troisième âge, animation désormais nécessaire pour
attirer le touriste. Cette présence est très précieuse
dans le village où seuls trois ou quatre agriculteurs subsistaient. Mais
cette idée est souvent évacuée par les pouvoirs publics
qui pensent que le tourisme doit vivre par lui-même. Or ce n'est pas mon
avis. Je plaide donc en faveur du développement du tourisme, mais d'un
tourisme maîtrisé et qui s'adapte aux conditions d'existence en
montagne.
En ce qui concerne la pluri-activité, les propositions de la FFEM sont
les suivantes : lorsque nous disposons d'une agriculture moderne, avec la
possibilité de réaliser rapidement des travaux, nos agriculteurs
ont du temps. Toutefois, il faut pouvoir valoriser ce temps, grâce
à la pluri-activité. Pour continuer l'expérience de
Montclar, 44 emplois ont été créés aux
remontées mécaniques et ces personnes ont toutes du travail
durant l'été. Inversement, les personnes qui travaillent durant
la saison d'été bénéficient d'une activité
durant l'hiver, du fait d'une pluri-activité organisée. Cette
solution s'inscrit dans le cadre du groupement d'employeurs, qui permet une
entente entre les divers employeurs. Nous avions envisagé de constituer
un groupement assurant du travail toute l'année, avec un seul et
même contrat ; malheureusement, nous avons buté dans la
dernière phase de ce projet car il n'était pas admis que nous
puissions intégrer, et ce pour des questions de TVA, les employés
des remontées mécaniques à une régie directe. Or,
nous disposions déjà de 25 employés et nous devions
en regrouper une quarantaine pour que la gestion ne coûte rien à
celui qui en profiterait. Peut-être faudrait-il reprendre les textes
concernant la pluri-activité afin que les régies puissent y
participer.
Par ailleurs, aucune avancée n'a été observée sur
cette question de pluri-activité. Ainsi, il y a cinq ans, suite aux
rapports de la Fédération française de l'économie
montagnarde, Hervé Gaymard alors secrétaire d'Etat aux Affaires
sociales, avait réalisé un rapport. Or, nous attendons toujours
la caisse unique, la caisse pivot, qui devait permettre de réduire
à une seule déclaration et à une seule cotisation le
travail des employeurs, mais qui devait également assurer la
pérennité de la situation de la pluri-activité. Il est
temps qu'un texte de loi permette aux pluri-actifs de ne pas être
confrontés à ces problèmes.
Quant à l'importance des services de proximité, ma philosophie
est la suivante : chaque fois que nous pouvons investir pour créer
des emplois et maintenir des hommes et des femmes à la montagne, nous
justifions la présence des services et nous donnons, par ailleurs, les
moyens de les utiliser. C'est ce que nous avons fait au sein de notre commune.
En effet, notre école devait fermer ses portes, mais, du fait du
développement économique, nous accueillons aujourd'hui
59 enfants et nous avons créé trois classes. Le
problème du ramassage scolaire se posant, nous avons mis en place un
bus, qui fonctionne très bien aujourd'hui. Les relations avec la gare
la plus proche --45 kms - pour l'acheminement des touristes venus en
train, posaient également de sérieux problèmes. Notre
budget, qui est passé de 2 287 euros à
2,287 millions d'euros, nous permet désormais de
développer un service de taxi à la carte, qui depuis la gare,
nous amène la clientèle. Ces services de proximité peuvent
donc se développer dès lors qu'il y a une activité
économique et une population suffisante. Ceci n'empêche pas que,
dans notre France dépeuplée, il existe de nombreux lieux dans
lesquels nous devons maintenir les services publics minimums afin de satisfaire
la population.
Par ailleurs, de nombreuses initiatives peuvent être
développées pour permettre de faire vivre les communes de
montagne. Nous avons, par exemple, dans notre département, mis en place
les « bistrots de pays ». Ainsi, alors que, durant une
centaine d'années, nous avons lutté contre les licences pour
diminuer le nombre de bars (car on trouvait que les Français buvaient
trop), aujourd'hui, nous subventionnons la création des bistrots de pays
comme lieu d'animation de la vie locale.
Dans le texte de présentation de votre rapport, il serait
intéressant de mettre en évidence, afin que tous les
Français le sachent, l'idée selon laquelle la montagne constitue
une chance pour la nation toute entière. Nous plaidons, certes, pour la
chance des montagnards dans le cadre de notre activité, mais, par
ailleurs, pour les 10 millions de parisiens, nous devons faire
apparaître l'intérêt de la montagne. Il ne s'agit pas de la
montagne protégée, dans laquelle on trouve, depuis quelques
années le loup et la vipère ! En effet, si nous
écoutons les discours actuels, de type « Natura
2000 », nous constatons que si, auparavant, la vipère
était chez nous, nous sommes aujourd'hui chez la vipère ! De
plus, nous nous étions passé du loup pendant
97 années, et nous avons aujourd'hui « la
chance », nous dit-on, que le loup revienne et qu'il mange non plus
les chiens mais les agneaux, présents sur l'ensemble de nos
pâturages. En effet, si, autrefois, nos pâturages étaient
peuplés de troupeaux de 100 têtes,
2 000 têtes sont désormais nécessaires pour payer
un berger, et nous voilà obligés d'accepter que de nombreuses
têtes soient dévorées régulièrement par le
loup. Autrement dit, autrefois, on protégeait l'agneau, aujourd'hui, on
protège le loup..... !
La montagne doit donc apparaître comme une chance pour tous, permettant,
certes, de se détendre, mais également de retrouver ses racines,
à condition que nous l'entretenions.
Par ailleurs, la loi Montagne nous laisse espérer le
développement d'un droit à la différence. Pour cela il
faudrait que, si l'Etat a son mot à dire lors de l'établissement
d'un contrat de plan, les priorités données dans un coin des
Alpes ou du Massif Central soient respectées, et non pas purement et
simplement abandonnées à la décision de ceux qui ont le
pouvoir local.
Ainsi, au moment du vote de la loi, nous avions espéré que la
création des comités de massifs supprimerait le besoin de toute
autre structure, notamment d'une fédération française
d'économie montagnarde, et permettrait de développer notre
pensée et de la défendre auprès des puissances qui
investissent en notre faveur , ceci n'a pas été le cas. Nous
avons donc pensé que la présidence de ces comités par un
préfet de région, qui vit dans une ville
d'un million d'habitants, que ce soit à Lyon ou à
Marseille, n'était pas la solution, puisque ces comités de
massifs n'ont été d'aucun effet. En outre, se sont
créées entre temps les commissions permanentes du conseil
national de la montagne et les commissions permanentes des comités de
massifs. Néanmoins, à partir du moment où la commission
permanente propose des thèmes de débat et des orientations qui,
de toute façon, ne parviennent jamais à ceux qui décident,
ces conseils ne servent à rien. D'où la
nécessité de mettre en place soit une double présidence,
qui serait la solution idéale, soit une présidence d'élu,
qui serait plus dynamique et plus respectueuse de l'esprit et des actions que
nous engageons. Or, le comité de massif est aujourd'hui une simple
chambre d'enregistrement dans laquelle il nous est demandé chaque
année ce que nous avons fait de l'argent qui nous a été
octroyé. Nous souhaitons que le changement de ministre permette de faire
évoluer les choses dans ce sens. Cela dit, le comité de massif a
tout de même mené une bonne action, en décidant de la
décentralisation des unités touristiques nouvelles (UTN). En
effet, jusqu'en 1981, pour l'UTN qui concernait ma commune, c'est à
Paris que les décisions se prenaient. Or je pense qu'il est plus facile
de discuter du développement d'une vallée d'un coin de notre
Provence à Marseille que d'en discuter à Paris, même si ce
n'est pas systématique. Quoi qu'il en soit, la formule de type UTN me
paraît être une bonne formule car elle permet d'évacuer des
affaires bloquées par la loi et les directeurs départementaux de
l'urbanisme. Je pense que nous devons maintenir ce principe, une certaine
souplesse étant souhaitable. En outre, les critères
d'intervention doivent pouvoir évoluer.
Certaines actions nous ont été soumises dans les communes
classées en secteur de montagne. Je pense qu'il est nécessaire,
dans ces affaires, d'introduire une possibilité
« d'exception ». Je citerai le cas de Paille et de Paillon,
deux communes situées près de Nice. En effet, lorsque les
délimitations du domaine montagneux, qui remontent, pour une partie,
à 1961, ont été mises en place, Paille et Paillon
comportaient encore quelques agriculteurs. Il était donc normal que la
règle soit appliquée dans cette zone comme ailleurs. Aujourd'hui,
ces villes sont soumises à un autre problème, comme un bon nombre
de villes françaises. En effet, Nice s'agrandit, mais il est impossible
de construire car il s'agit d'une zone de montagne, que cette zone a
été vidée de ses agriculteurs, et que la ville ne peut pas
profiter de ces territoires, qui sont superbement bien situés, face
à la mer. Une exception devrait donc pouvoir être apportée
dans les textes régissant les UTN.
Ainsi, la loi Montagne a constitué une chance. Elle doit passer
aujourd'hui par un certain nombre de modifications, car elle existe depuis
17 ans, même si tous les décrets d'application ne sont pas
encore parus. Reste aujourd'hui, avec les perspectives d'évolutions de
l'Europe, à se poser des questions, car, étant donné le
nombre de pays pauvres qui vont entrer dans l'Union Européenne, la
montagne française pourrait paraître riche à
côté de celle des pays entrant et si le peu d'aides dont elle
bénéficie disparaissait, nous aurions sûrement à
craindre la fin des exploitations agricoles. Il est important que soit
donnée, dans les nouveaux textes à paraître, la certitude
aux jeunes agriculteurs que, demain, la rémunération de
l'agriculteur pour l'entretien de la végétation, du paysage, qui
constitue un véritable patrimoine, sera assurée. Dans le cas
contraire, plus personne ne voudra s'engager dans ces zones de montagne.
Pour conclure, je rappellerai un discours qui avait lieu à
l'époque du Président François Mitterrand, consistant
à dire que l'agriculture de montagne nécessitait des sommes
d'argent si importantes qu'il reviendrait moins cher de confier les
exploitations à des fonctionnaires. On voit, aujourd'hui, qu'une telle
solution est à rejeter : elle nous coûterait trop cher, en
particulier dans le cadre des 35 heures : il est infiniment
préférable de laisser aux agriculteurs le soin de faire ce qu'il
savent faire, ce qu'ils aiment faire, la seule solution consiste donc à
les aider à se maintenir.
Je vous laisse à présent le soin de me poser des questions, voire
de me contredire, si je suis passé à côté de vos
pensées intimes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur le Président, je ne pense
pas que vous soyez passé très loin de nos pensées intimes.
En revanche, vous n'avez pas évoqué la question des nouvelles
technologies de l'information et de la communication. Puis-je vous demander si,
que ce soit à l'échelon local de votre département, ou
à l'échelon de la Fédération française
d'économie montagnarde, ces pratiques sont encadrées ?
M. Henri Savornin -
Je me suis un peu désintéressé,
à tort, de ces nouvelles technologies, car d'autres sujets me semblaient
plus urgents, en termes d'investissements routiers ou économiques, pour
créer de l'activité. Mais effectivement, nous avons cette
épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Ainsi,
alors que chacun a accès au téléphone portable, nous
constatons encore, dans nos montagnes, que certaines zones en sont
privées. Or, du point de vue de l'égalité des chances,
nous devrions pouvoir utiliser le téléphone mobile dans nos
montagnes, d'autant plus qu'il s'agit d'un élément
sécurisant pour les promeneurs, qui leur permettrait de se situer en cas
de problème. En tant que parlementaires, vous pourriez plaider en faveur
d'une égalité de service et donc d'une intervention dans ce sens.
En effet, il existe, en montagne, un risque de remise en cause du service pour
tous, y compris en ce qui concerne l'électricité. Heureusement,
nous disposons d'énergies non polluantes, notamment avec les
éoliennes. Il semble difficile, cependant, d'utiliser des
éoliennes de manière discrète dans notre paysage, comme
nous le demandent les partisans des solutions alternatives, tout au moins
s'agissant de grandes quantités d'énergie.
M. Auguste Cazalet -
Je constate, Monsieur Savornin, que vous gardez
toujours un talent et une verdeur extraordinaires. Je suis d'accord avec vous
quant aux forces et aux faiblesses de la montagne. Vous venez d'évoquer
le problème des portables et vous avez évoqué au
préalable le problème des communications en montagne. Or, un pays
qui n'a pas de communication est fichu. Dans les
Pyrénées-Atlantiques, nous disons toujours que « le
malheur des uns fait le bonheur des autres ». Or, durant la seconde
guerre mondiale, nous avons eu la chance de voir des usines comme Messier,
Dassault ou Turbomeca s'implanter dans notre zone, pour fuir le nord de la
France et échapper ainsi aux bombardements. Or ces usines veulent
aujourd'hui quitter la région car elles sont confrontées à
des problèmes de communication. Nous pouvons citer le cas avec la
Vallée d'Aspe, où l'usine japonaise Alcantoyo, qui fonctionne
très bien, avec une main d'oeuvre qualifiée, mais
également Messier Fonderie à Arudy, ou Messier Bidos à
Oloron. Dans le même temps, on évoque la réouverture de la
ligne Pau-Canfranc, sur une voie ferrée locale, alors qu'un bon coureur
cycliste parviendra, en vélo, bien avant le train à Canfranc. Les
usines ne s'intéressent pas à ce type de décision, mais
ont besoin de moyens de communication rapides. Le problème de
l'implantation des réseaux de téléphones mobiles s'inscrit
dans ces difficultés de communication. Or ce sont les écologistes
qui bloquent cette évolution. Lorsqu'un projet de construction de route
est annoncé, ils s'y opposent parce qu'ils trouvent une libellule ou un
ver à protéger. Ainsi, nous gaspillons des millions d'euros sans
pour autant faire évoluer les choses. Dans mon propre secteur, lorsque
je quitte ma commune pour me rendre au chef-lieu de canton, à deux
kilomètres de distance de mon logement, je ne peux plus
téléphoner chez moi car la communication ne passe pas. En effet,
nous ne pouvons pas implanter des relais de téléphonie mobile
parce que les écologistes s'y opposent. Ainsi, faute de communications,
de routes, le pays se vide. Nous avons créé de la vie dans notre
petite commune, mais les habitants ont besoin de services, en plus de la
beauté de la ville, pour demeurer sur place. Or, ils sont souvent
confrontés à des problèmes de transport pour se rendre sur
leur lieu de travail, car les routes ne sont pas aménagées et
qu'aucun moyen de communication n'est mis à leur disposition.
M. Henri Savornin -
Je suis tout à fait d'accord avec vous. En
effet, nos massifs drainent depuis quelques années des RMIstes et des
chômeurs. Ce n'est pas la solution, pour assurer la vie en montagne, et
nous avons besoin d'installer des actifs qui eux-mêmes ont besoin de
moyens de communication. Par ailleurs, je souhaitais aborder la question des
pays. En France, et ceci est assez caractéristique de l'esprit
français, pour pallier tout dysfonctionnement, on crée une
structure. Après avoir constaté que le comité de massif ne
fonctionnait pas, on parle de créer des pays. On déplace donc le
problème et on nous demande de réunir dans des pays 10 000
ou même 60 000 habitants, plutôt que de conserver une
zone qui, dans nos montagnes, est naturellement délimitée , on
nous oblige à passer d'une montagne à l'autre et à
englober dans cette zone une ville. Une fois de plus, le secteur rural n'est
pas écouté. Je me suis moi-même rendu dans l'une des
réunions organisées dans ce cadre. Sur 43 maires
réunis, nous trouvons toujours les agitateurs et les animateurs qui
apportent certains éléments de discussion, mais nous avons
seulement été deux à prendre la parole pour
élucider les problèmes. Cela représente une sacrée
évolution de la démocratie dans nos pays !
Je pense que le fait de créer des hameaux ou des quartiers à
l'intérieur des villes peut permettre d'améliorer la
démocratie locale mais je ne pense pas que ce soit utile dans nos
montagnes. Je voudrais profiter du fait que nous changeons actuellement de
ministres et prochainement de députés pour poser la question de
savoir s'il est préférable de poursuivre cette politique jusqu'en
2003, date à laquelle les contrats de plan seront accrochés
à des pays, ou, pour simplifier la vie des montagnards, s'il ne vaut pas
mieux en rester aux structures intercommunales qui ont été mises
en place et qui ont bâti et exécuté des contrats de plan.
Néanmoins, il s'agit d'une opinion très personnelle.
M. Jean Boyer -
Vous nous avez cité l'exemple d'un
développement personnel réussi. Or ceci n'est pas le cas dans
toutes les zones de montagne car il n'est pas toujours facile de maintenir le
commerce dans ces zones et donc d'y créer de l'emploi. Ne pensez-vous
pas, en termes de maintien du commerce ou de l'artisanat, qu'il faudrait mettre
en place une politique de la montagne plus offensive ? Ne pensez-vous pas
qu'une aide différenciée serait nécessaire pour
l'installation des artisans en zone de montagne ? En effet, l'artisanat
est devenue la plus grande entreprise de France et le nombre d'artisans, dans
mon département, a dépassé celui des agriculteurs.
Toutefois, l'artisanat est localisé dans les villes et non dans les
campagnes. Or une politique d'installation de l'artisanat en zone rurale
permettrait d'y remédier.
M. Henri Savornin -
Nous devons tenir compte du coût de
l'installation. En effet, le prix du sac de ciment est doublé entre le
point le plus bas du département et ma commune. Ainsi, le coût de
revient de l'installation est d'environ 30 % plus cher à partir de
1 000 mètres d'altitude. C'est la raison pour laquelle les
départements et les régions ont créé des fonds
d'intervention qui octroient 30 % d'aide pour ces installations. Il
s'agit du seul moyen de diminuer la charge fixe liée à cette
installation. Je peux évoquer par ailleurs la question de
l'investissement hôtelier ou celle de la réhabilitation des
logements. En effet, si, pour cette réhabilitation, nous ne consentons
pas 30 à 40 % de fonds publics, nous ne pourrons pas faire
évoluer notre parc immobilier, car les avantages fiscaux ne suffisent
pas à déclencher l'investissement. Si nous voulons mobiliser
l'épargne locale, un apport de l'Etat, de l'Europe ou de la
région est nécessaire pour démarrer. Ainsi, dans ma
commune, environ 400 logements mériteraient une
réhabilitation, mais aucun propriétaire ne prendra le risque
d'investir s'il n'est pas substantiellement aidé au départ. Or
l'argent placé de cette façon est rentable à court terme
car il permet de créer des emplois. Je peux citer l'exemple de
l'évolution des aides dans cette commune. En effet, il y a 25 ans, nous
lui apportions 2 286 euros chaque année au budget du
département ; nous apportons aujourd'hui 228.600 euros, mais le
département n'a apporté que 457.200 euros en 25 ans. Ainsi,
l'argent placé par le département et l'Etat constitue un
investissement productif non seulement en terme de rentabilité mais
également en terme d'emploi et d'activité.
M. Jean-Paul Amoudry -
Si vous n'avez pas d'autre question, je
suggère un échange concernant la dernière question
posée à M. Savornin à propos du colloque, organisé
en 1997, sur la place et le rôle des femmes dans les communes
montagnardes. Ce point mérite-t-il des commentaires ?
M. Henri Savornin -
Je vous adresserai le rapport réalisé
suite à ce colloque. Ce débat a éveillé le
sentiment d'une recherche nécessaire dans ce cadre. Néanmoins,
nous avons constaté un certain progrès car les jeunes filles
trouvent plus facilement du travail dans nos stations qu'auparavant. Il existe
donc une volonté de les faire entrer dans le cadre de la
pluri-activité. Ainsi, là où nous avions, en station, une
ou deux femmes travaillant aux remontées mécaniques ou à
l'accueil, nous en employons aujourd'hui une dizaine, du fait de cette
évolution de l'état d'esprit. Nous avons réalisé
cette étude sur un certain nombre de cantons et je vous en communiquerai
les résultats.
M. Jean-Paul Amoudry-
Je vous remercie, M. Savornin, au nom de la
mission et en mon nom personnel et nous ne manquerons pas de vous tenir
informé de l'état d'avancement de notre mission et, le cas
échéant, de lui demander certains éclaircissements.
M. Henri Savornin -
Je vous demande de pardonner mes insuffisances et
mes vérités personnelles. Nous tenterons de vous montrer, dans
notre commune, les applications de la loi Montagne au sein de nos massifs.