9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la Fédération française d'économie montagnarde (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le Président Savornin, merci de vous être déplacé des Alpes-de-Haute-Provence pour les besoins de cette mission d'information sur la montagne. Vous connaissez le sens de cette mission et il n'est pas utile que je vous en expose les grandes lignes. Nous mettrons à profit, dans le cadre de nos travaux, la contribution que vous voudrez bien nous apporter. Je vous laisse la parole, puis nous laisserons place à la discussion.

M. Henri Savornin - Mon cher Président, Messieurs les Sénateurs, en préambule, je souhaite dire que j'apporte simplement ici ma vérité, qui n'est pas la vérité, tant il est vrai que les montagnards sont aussi différents les uns des autres que le sont les massifs et les montagnes qui les environnent. Vous aurez, bien entendu, le droit de me contredire. Je précise que je suis non pas un théoricien, comme le sont les représentants du ministère avec qui nous avons travaillé très régulièrement, mais plutôt un praticien. En effet, je suis à l'affût des textes relevant des différents ministères, depuis le 24 octobre 1967, date de la création de la rénovation rurale en montagne, qui m'avait donné l'idée de mettre en pratique une certaine philosophie et de profiter des quelques avantages annoncés par ces dispositions. Ainsi, j'ai trouvé, à l'époque, une commune disposant d'un budget de 2.287 euros et qui dispose aujourd'hui d'un budget de 2,287 millions de francs. A cette époque, 9 enfants fréquentaient l'école de la commune contre 59 aujourd'hui. Nous n'avions aucun service puisque la dernière épicerie avait fermé ses portes en 1967. Or la commune compte aujourd'hui 22 commerces et services et, parallèlement, une association que je préside gère 850 lits de tourisme social, qui font un chiffre d'affaires de 4,878 millions d'euros et qui permettent d'employer 130 personnes. Ainsi, la preuve est apportée que dans notre montagne réputée pauvre et désertique des Alpes du Sud, nous pouvons créer de l'activité et maintenir une population, à condition de rencontrer un partenariat public compréhensif. Néanmoins, il se peut que je sois marqué par ma propre expérience et que je ne puisse donc pas forcément répondre aux interrogations des uns et des autres.

Tout d'abord, la politique de la montagne a connu un certain nombre de chicanes. Ainsi, depuis 1967, puis les discours de Clermont-Ferrand de 1972-73, nous avons commencé à mener des actions très efficaces dans le domaine de la prise en compte des handicaps. Par la suite, nous avons connu une évolution notable avec la décentralisation. En effet, la politique montagne qui avait été conduite par les divers responsables de l'agriculture, en particulier, durant de nombreuses années, avec la FNSEA et le CNJA, est remise en cause au moment de la décentralisation, les accords passés préalablement ayant alors été remis en cause. Ainsi, nous avions obtenu une majoration portant les subventions à 60 % pour les adductions d'eau ou les assainissements contre 40 % pour la plaine. Avec la décentralisation, conduite par un homme certainement très intelligent mais maire d'une commune d'un million d'habitants, ce qui est très loin de la réalité de la plupart des communes de montagne qui comptent environ 200 habitants, du jour au lendemain, ces accords ont été remis en cause par les assemblées régionales qui ont pensé leur politique d'aménagement du territoire de manière forcément plus urbaine que celle que nous avions instaurée. Ensuite, durant cinq ans, nous avons préparé ensemble la loi Montagne, qui aboutira le 9 janvier 1985. Cette loi, que nous avions considérée comme étant une étape dynamique, est rapidement, dans les faits, apparue, au contraire, comme un acquis. En effet, il a été considéré que, du moment que nous avions obtenu la loi Montagne, nous n'avions plus besoin de faire vivre autant les organismes d'animation rurale. Cette loi Montagne, qui est l'objet de notre rencontre aujourd'hui, a donc marqué un arrêt du dynamisme de la part des défenseurs de la montagne. Par la suite, nous avons tenté, année après année, de nous inscrire dans la Politique Agricole Commune et de faire en sorte que la montagne continue à trouver sa place.

Aujourd'hui, nous abordons un virage important, qui nous oblige sans doute à remettre en cause la politique d'aménagement du territoire et peut-être également une certaine politique d'aménagement rural. Votre première question porte sur les forces et faiblesses de l'économie montagnarde. La France dispose d'une surface montagneuse exceptionnelle comparée à d' autres pays d'Europe. Elle dispose d'une montagne qui est convoitée, car elle représente la liberté des grands espaces, elle bénéficie, le plus souvent, d'un climat exceptionnel, même si nous sommes parfois confrontés à la neige ou à la sécheresse. En outre, cette montagne est encore habitée, cultivée, elle dispose d'un environnement agréable de par son climat, ses sites préservés, sa faune et sa flore. Néanmoins, si cette montagne est convoitée, elle bute sur une culture, une philosophie, une politique, qui se veulent extrêmement protectionnistes, comme si cette belle montagne, que nous avons aménagée, était tout d'un coup menacée par des personnes qui voudraient la mettre à mal. Ce protectionnisme, tout à fait excessif selon moi, a conduit à un arrêt des volontés de développement. Or la montagne ne peut conserver cette force et cette attractivité que si les hommes continuent à y vivre avec un niveau de vie acceptable. Cela ne peut se penser seulement dans le cadre de la protection, qui conduit généralement à la désertification des zones de montagne, avec des cantons qui ne comptent que de cinq à sept habitants au km 2 .

Ainsi, l'économie montagnarde dispose d'atouts incontestables puisque l'agriculture y conserve un dynamisme qui lui assure un avenir économique, à condition que les hommes et les femmes qui y vivent puissent avoir une vie sociale et des services en rapport avec la modernité actuelle. Pour cela, nous devons, dans le cadre d'autres activités, multiplier les emplois dans ce secteur montagnard. J'irais jusqu'à dire qu'il vaut mieux souffrir d'un manque de services plutôt que d'entretenir ces services artificiellement si l'argent qui est prévu pour cela n'est pas utilisé dans le développement économique. J'ai moi-même agi dans ce sens puisque nous n'avions aucun service et que nous comptons aujourd'hui 240 emplois permanents sur la commune, en partie du fait de la présence de 4 000 lits touristiques basés sur une station touristique été-hiver. Ainsi, la force de l'économie montagnarde passe avant tout par le maintien de l'agriculture, une agriculture qui assure l'entretien de l'environnement, en même temps qu'elle apporte des produits de qualité dans une nation qui en est restée assez gourmande.

Concernant les faiblesses de l'économie montagnarde, je dirais que nous en souffrons d'un certain nombre au niveau du moral et de la philosophie parce que, au cours de ces dernières années, alors que la politique de développement du territoire urbain a été dynamique et a reçu les aides de diverses collectivités publiques, le monde agricole a été oublié. Pour ne prendre qu'un exemple, il nous a été dit à Marseille que la multiplication par sept du budget du chemin de fer était une décision merveilleuse. Or, nous n'avons, dans notre vallée, - comme c'est le cas de nombreuses vallées des Alpes de Haute Provence et des Hautes Alpes - aucun chemin de fer et aucune gare. Pour nous, la solution ne se trouve donc pas là. Dans le même temps, notre ministre de l'Aménagement du Territoire a arrêté l'autoroute, faisant ainsi de notre massif le seul massif enclavé. En effet, nous attendons toujours que 80 kilomètres d'autoroute soient aménagés pour lier le nord et le sud de l'Europe, en passant par Grenoble. Ces décisions constituent aujourd'hui des faiblesses pour l'économie de montagne car lorsque la masse urbaine se déplace en vacances, elle préfère, en arrivant à Grenoble, aller vers la Savoie plutôt que de faire trois heures de bus pour arriver chez nous. Et lorsque les touristes arrivent chez nous, la première chose qu'ils nous demandent est : « faut-il vraiment repasser par là pour repartir ? » L'enclavement est donc catastrophique pour certains massifs, dont celui des Alpes du Sud. Je peux citer, en comparaison, le cas de Saint Chély d'Apcher, et de son développement depuis que l'autoroute a été construite dans le Massif Central. Dans le même sens, je pense que le fait de bénéficier d'une autoroute constituerait pour nous une chance. A cela s'ajoutent les problèmes de relations internes, car les routes sont longues et étroites et qu' il est difficile de développer le tourisme en l'absence de moyens de circulation.

En outre, de nombreux hommes politiques et de nombreuses administrations, qui ont souvent encore plus de pouvoir, ne croient pas en l'avenir et au développement économique et social de la montagne. C'est pourquoi il est toujours proposé de rechercher les moyens d'attendre. Ainsi, les études s'ajoutent aux études avant que l'on décide qu'elles coûtent trop cher et que l'on n'a plus d'argent à investir. Actuellement, contrairement à l'esprit initial de 1967, on favorise plus facilement la grande station que la petite station alors que cette dernière maintient la présence des hommes et des femmes. Il y a donc un virage important à prendre et le Sénat, qui a un certain pouvoir en la matière, doit montrer la nécessité d'aménager le territoire en tenant compte des chances que représente toute la montagne française.

Je rappelle, dans ce cadre, que nous avions connu une certaine période d'aménagement du territoire efficace. Le Languedoc-Roussillon a notamment bénéficié de cet aménagement, la zone montagne également. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, ce qui empêche le développement de certaines potentialités. En effet, nous ne rencontrons pas, aujourd'hui, de problème en termes de développement du tourisme, puisque ce développement est évident et que les experts nous annoncent même une évolution de 600 millions à 1,2 milliard de touristes en quinze ans. Il est donc possible d'ouvrir, dans nos montagnes, un marché touristique qui viendrait consolider les économies. Toutefois, pour développer le tourisme en montagne, avec le retard que nous avons pris, nous devons obligatoirement bénéficier d'une aide substantielle des pouvoirs publics, que ce soit l'Europe, l'Etat, ou encore les régions ou les départements, afin de créer une nouvelle capacité d'accueil confortable et de réhabiliter l'habitat de loisir. Cet habitat de loisir a vieilli et n'est ni attractif ni rentable. Dans ce cadre, il n'y a pas d'autre solution que l'intervention des caisses publiques dans le cadre de formules de développement touristique, productrices de services et de vie sociale.

Néanmoins, ceci met en cause le problème fondamental des responsabilités. Nous avons, depuis la décentralisation, et la loi du 29 juillet 1982, confié cette responsabilité aux régions. Mais quel est le rôle de l'Etat qui laisse à la région le soin de décider des interventions dans le cadre des contrats de plan, mais également des taux d'intervention ou des choix essentiels ? Je pense que l'Etat devrait, aujourd'hui, se repositionner dans ce domaine, pour assurer une certaine cohésion nationale au sein de la région par rapport à l'Europe. Pour cela, l'Etat doit conserver un certain nombre de moyens financiers permettant d'établir des partenariats respectant les volontés et émanant de Paris. Or ces partenariats n'existent pas. C'est la raison pour laquelle nous assistons à certaines distorsions dans l'application de cette politique.

Le tourisme constitue donc une chance pour la montagne, à condition que certains cadres d'action soient établis. Dans ce sens, je souhaite évoquer le cas de la Vallée de l'Ubaye. En effet, dans un lieu désertique, j'ai créé un établissement avec mon association. Nous avons mis en place 300 lits de tourisme social qui ont représenté cette année 70 000 journées, en pension complète, et 2,44 millions d'euros de chiffre d'affaires. La confiance peut donc être accordée à des régions et à des structures pourvu qu'il existe une volonté de l'exploiter correctement. Nous avons donc cette chance mais encore faut-il établir des choix. En effet, le développement du tourisme rural, des gîtes, est une chose facile. J'en ai moi-même créé trente dans ma commune. Mais le développement des gîtes ne représente pas le meilleur emploi de l'argent. La présence d'une hôtellerie ou de villages de vacances constitue un meilleur entraînement social ou économique, parce qu'il permet la création d'emplois, que le tourisme rural, même si ce dernier est indispensable pour valoriser un secteur. Je pense que l'Etat, l'Europe et les régions doivent favoriser l'accueil des touristes dans des villages vacances au sein de nos zones de montagne, grâce à des financements spécifiques. En effet, pour reprendre l'expérience de mon village de vacances, il compte 52 employés et permet de ce fait d'assurer une animation pour les enfants ou pour les personnes du troisième âge, animation désormais nécessaire pour attirer le touriste. Cette présence est très précieuse dans le village où seuls trois ou quatre agriculteurs subsistaient. Mais cette idée est souvent évacuée par les pouvoirs publics qui pensent que le tourisme doit vivre par lui-même. Or ce n'est pas mon avis. Je plaide donc en faveur du développement du tourisme, mais d'un tourisme maîtrisé et qui s'adapte aux conditions d'existence en montagne.

En ce qui concerne la pluri-activité, les propositions de la FFEM sont les suivantes : lorsque nous disposons d'une agriculture moderne, avec la possibilité de réaliser rapidement des travaux, nos agriculteurs ont du temps. Toutefois, il faut pouvoir valoriser ce temps, grâce à la pluri-activité. Pour continuer l'expérience de Montclar, 44 emplois ont été créés aux remontées mécaniques et ces personnes ont toutes du travail durant l'été. Inversement, les personnes qui travaillent durant la saison d'été bénéficient d'une activité durant l'hiver, du fait d'une pluri-activité organisée. Cette solution s'inscrit dans le cadre du groupement d'employeurs, qui permet une entente entre les divers employeurs. Nous avions envisagé de constituer un groupement assurant du travail toute l'année, avec un seul et même contrat ; malheureusement, nous avons buté dans la dernière phase de ce projet car il n'était pas admis que nous puissions intégrer, et ce pour des questions de TVA, les employés des remontées mécaniques à une régie directe. Or, nous disposions déjà de 25 employés et nous devions en regrouper une quarantaine pour que la gestion ne coûte rien à celui qui en profiterait. Peut-être faudrait-il reprendre les textes concernant la pluri-activité afin que les régies puissent y participer.

Par ailleurs, aucune avancée n'a été observée sur cette question de pluri-activité. Ainsi, il y a cinq ans, suite aux rapports de la Fédération française de l'économie montagnarde, Hervé Gaymard alors secrétaire d'Etat aux Affaires sociales, avait réalisé un rapport. Or, nous attendons toujours la caisse unique, la caisse pivot, qui devait permettre de réduire à une seule déclaration et à une seule cotisation le travail des employeurs, mais qui devait également assurer la pérennité de la situation de la pluri-activité. Il est temps qu'un texte de loi permette aux pluri-actifs de ne pas être confrontés à ces problèmes.

Quant à l'importance des services de proximité, ma philosophie est la suivante : chaque fois que nous pouvons investir pour créer des emplois et maintenir des hommes et des femmes à la montagne, nous justifions la présence des services et nous donnons, par ailleurs, les moyens de les utiliser. C'est ce que nous avons fait au sein de notre commune. En effet, notre école devait fermer ses portes, mais, du fait du développement économique, nous accueillons aujourd'hui 59 enfants et nous avons créé trois classes. Le problème du ramassage scolaire se posant, nous avons mis en place un bus, qui fonctionne très bien aujourd'hui. Les relations avec la gare la plus proche --45 kms - pour l'acheminement des touristes venus en train, posaient également de sérieux problèmes. Notre budget, qui est passé de 2 287 euros à 2,287 millions d'euros, nous permet désormais de développer un service de taxi à la carte, qui depuis la gare, nous amène la clientèle. Ces services de proximité peuvent donc se développer dès lors qu'il y a une activité économique et une population suffisante. Ceci n'empêche pas que, dans notre France dépeuplée, il existe de nombreux lieux dans lesquels nous devons maintenir les services publics minimums afin de satisfaire la population.

Par ailleurs, de nombreuses initiatives peuvent être développées pour permettre de faire vivre les communes de montagne. Nous avons, par exemple, dans notre département, mis en place les « bistrots de pays ». Ainsi, alors que, durant une centaine d'années, nous avons lutté contre les licences pour diminuer le nombre de bars (car on trouvait que les Français buvaient trop), aujourd'hui, nous subventionnons la création des bistrots de pays comme lieu d'animation de la vie locale.

Dans le texte de présentation de votre rapport, il serait intéressant de mettre en évidence, afin que tous les Français le sachent, l'idée selon laquelle la montagne constitue une chance pour la nation toute entière. Nous plaidons, certes, pour la chance des montagnards dans le cadre de notre activité, mais, par ailleurs, pour les 10 millions de parisiens, nous devons faire apparaître l'intérêt de la montagne. Il ne s'agit pas de la montagne protégée, dans laquelle on trouve, depuis quelques années le loup et la vipère ! En effet, si nous écoutons les discours actuels, de type « Natura 2000 », nous constatons que si, auparavant, la vipère était chez nous, nous sommes aujourd'hui chez la vipère ! De plus, nous nous étions passé du loup pendant 97 années, et nous avons aujourd'hui « la chance », nous dit-on, que le loup revienne et qu'il mange non plus les chiens mais les agneaux, présents sur l'ensemble de nos pâturages. En effet, si, autrefois, nos pâturages étaient peuplés de troupeaux de 100 têtes, 2 000 têtes sont désormais nécessaires pour payer un berger, et nous voilà obligés d'accepter que de nombreuses têtes soient dévorées régulièrement par le loup. Autrement dit, autrefois, on protégeait l'agneau, aujourd'hui, on protège le loup..... !

La montagne doit donc apparaître comme une chance pour tous, permettant, certes, de se détendre, mais également de retrouver ses racines, à condition que nous l'entretenions.

Par ailleurs, la loi Montagne nous laisse espérer le développement d'un droit à la différence. Pour cela il faudrait que, si l'Etat a son mot à dire lors de l'établissement d'un contrat de plan, les priorités données dans un coin des Alpes ou du Massif Central soient respectées, et non pas purement et simplement abandonnées à la décision de ceux qui ont le pouvoir local.

Ainsi, au moment du vote de la loi, nous avions espéré que la création des comités de massifs supprimerait le besoin de toute autre structure, notamment d'une fédération française d'économie montagnarde, et permettrait de développer notre pensée et de la défendre auprès des puissances qui investissent en notre faveur , ceci n'a pas été le cas. Nous avons donc pensé que la présidence de ces comités par un préfet de région, qui vit dans une ville d'un million d'habitants, que ce soit à Lyon ou à Marseille, n'était pas la solution, puisque ces comités de massifs n'ont été d'aucun effet. En outre, se sont créées entre temps les commissions permanentes du conseil national de la montagne et les commissions permanentes des comités de massifs. Néanmoins, à partir du moment où la commission permanente propose des thèmes de débat et des orientations qui, de toute façon, ne parviennent jamais à ceux qui décident, ces conseils ne servent à rien. D'où la nécessité de mettre en place soit une double présidence, qui serait la solution idéale, soit une présidence d'élu, qui serait plus dynamique et plus respectueuse de l'esprit et des actions que nous engageons. Or, le comité de massif est aujourd'hui une simple chambre d'enregistrement dans laquelle il nous est demandé chaque année ce que nous avons fait de l'argent qui nous a été octroyé. Nous souhaitons que le changement de ministre permette de faire évoluer les choses dans ce sens. Cela dit, le comité de massif a tout de même mené une bonne action, en décidant de la décentralisation des unités touristiques nouvelles (UTN). En effet, jusqu'en 1981, pour l'UTN qui concernait ma commune, c'est à Paris que les décisions se prenaient. Or je pense qu'il est plus facile de discuter du développement d'une vallée d'un coin de notre Provence à Marseille que d'en discuter à Paris, même si ce n'est pas systématique. Quoi qu'il en soit, la formule de type UTN me paraît être une bonne formule car elle permet d'évacuer des affaires bloquées par la loi et les directeurs départementaux de l'urbanisme. Je pense que nous devons maintenir ce principe, une certaine souplesse étant souhaitable. En outre, les critères d'intervention doivent pouvoir évoluer.

Certaines actions nous ont été soumises dans les communes classées en secteur de montagne. Je pense qu'il est nécessaire, dans ces affaires, d'introduire une possibilité « d'exception ». Je citerai le cas de Paille et de Paillon, deux communes situées près de Nice. En effet, lorsque les délimitations du domaine montagneux, qui remontent, pour une partie, à 1961, ont été mises en place, Paille et Paillon comportaient encore quelques agriculteurs. Il était donc normal que la règle soit appliquée dans cette zone comme ailleurs. Aujourd'hui, ces villes sont soumises à un autre problème, comme un bon nombre de villes françaises. En effet, Nice s'agrandit, mais il est impossible de construire car il s'agit d'une zone de montagne, que cette zone a été vidée de ses agriculteurs, et que la ville ne peut pas profiter de ces territoires, qui sont superbement bien situés, face à la mer. Une exception devrait donc pouvoir être apportée dans les textes régissant les UTN.

Ainsi, la loi Montagne a constitué une chance. Elle doit passer aujourd'hui par un certain nombre de modifications, car elle existe depuis 17 ans, même si tous les décrets d'application ne sont pas encore parus. Reste aujourd'hui, avec les perspectives d'évolutions de l'Europe, à se poser des questions, car, étant donné le nombre de pays pauvres qui vont entrer dans l'Union Européenne, la montagne française pourrait paraître riche à côté de celle des pays entrant et si le peu d'aides dont elle bénéficie disparaissait, nous aurions sûrement à craindre la fin des exploitations agricoles. Il est important que soit donnée, dans les nouveaux textes à paraître, la certitude aux jeunes agriculteurs que, demain, la rémunération de l'agriculteur pour l'entretien de la végétation, du paysage, qui constitue un véritable patrimoine, sera assurée. Dans le cas contraire, plus personne ne voudra s'engager dans ces zones de montagne.

Pour conclure, je rappellerai un discours qui avait lieu à l'époque du Président François Mitterrand, consistant à dire que l'agriculture de montagne nécessitait des sommes d'argent si importantes qu'il reviendrait moins cher de confier les exploitations à des fonctionnaires. On voit, aujourd'hui, qu'une telle solution est à rejeter : elle nous coûterait trop cher, en particulier dans le cadre des 35 heures : il est infiniment préférable de laisser aux agriculteurs le soin de faire ce qu'il savent faire, ce qu'ils aiment faire, la seule solution consiste donc à les aider à se maintenir.

Je vous laisse à présent le soin de me poser des questions, voire de me contredire, si je suis passé à côté de vos pensées intimes.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur le Président, je ne pense pas que vous soyez passé très loin de nos pensées intimes. En revanche, vous n'avez pas évoqué la question des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Puis-je vous demander si, que ce soit à l'échelon local de votre département, ou à l'échelon de la Fédération française d'économie montagnarde, ces pratiques sont encadrées ?

M. Henri Savornin - Je me suis un peu désintéressé, à tort, de ces nouvelles technologies, car d'autres sujets me semblaient plus urgents, en termes d'investissements routiers ou économiques, pour créer de l'activité. Mais effectivement, nous avons cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Ainsi, alors que chacun a accès au téléphone portable, nous constatons encore, dans nos montagnes, que certaines zones en sont privées. Or, du point de vue de l'égalité des chances, nous devrions pouvoir utiliser le téléphone mobile dans nos montagnes, d'autant plus qu'il s'agit d'un élément sécurisant pour les promeneurs, qui leur permettrait de se situer en cas de problème. En tant que parlementaires, vous pourriez plaider en faveur d'une égalité de service et donc d'une intervention dans ce sens. En effet, il existe, en montagne, un risque de remise en cause du service pour tous, y compris en ce qui concerne l'électricité. Heureusement, nous disposons d'énergies non polluantes, notamment avec les éoliennes. Il semble difficile, cependant, d'utiliser des éoliennes de manière discrète dans notre paysage, comme nous le demandent les partisans des solutions alternatives, tout au moins s'agissant de grandes quantités d'énergie.

M. Auguste Cazalet - Je constate, Monsieur Savornin, que vous gardez toujours un talent et une verdeur extraordinaires. Je suis d'accord avec vous quant aux forces et aux faiblesses de la montagne. Vous venez d'évoquer le problème des portables et vous avez évoqué au préalable le problème des communications en montagne. Or, un pays qui n'a pas de communication est fichu. Dans les Pyrénées-Atlantiques, nous disons toujours que « le malheur des uns fait le bonheur des autres ». Or, durant la seconde guerre mondiale, nous avons eu la chance de voir des usines comme Messier, Dassault ou Turbomeca s'implanter dans notre zone, pour fuir le nord de la France et échapper ainsi aux bombardements. Or ces usines veulent aujourd'hui quitter la région car elles sont confrontées à des problèmes de communication. Nous pouvons citer le cas avec la Vallée d'Aspe, où l'usine japonaise Alcantoyo, qui fonctionne très bien, avec une main d'oeuvre qualifiée, mais également Messier Fonderie à Arudy, ou Messier Bidos à Oloron. Dans le même temps, on évoque la réouverture de la ligne Pau-Canfranc, sur une voie ferrée locale, alors qu'un bon coureur cycliste parviendra, en vélo, bien avant le train à Canfranc. Les usines ne s'intéressent pas à ce type de décision, mais ont besoin de moyens de communication rapides. Le problème de l'implantation des réseaux de téléphones mobiles s'inscrit dans ces difficultés de communication. Or ce sont les écologistes qui bloquent cette évolution. Lorsqu'un projet de construction de route est annoncé, ils s'y opposent parce qu'ils trouvent une libellule ou un ver à protéger. Ainsi, nous gaspillons des millions d'euros sans pour autant faire évoluer les choses. Dans mon propre secteur, lorsque je quitte ma commune pour me rendre au chef-lieu de canton, à deux kilomètres de distance de mon logement, je ne peux plus téléphoner chez moi car la communication ne passe pas. En effet, nous ne pouvons pas implanter des relais de téléphonie mobile parce que les écologistes s'y opposent. Ainsi, faute de communications, de routes, le pays se vide. Nous avons créé de la vie dans notre petite commune, mais les habitants ont besoin de services, en plus de la beauté de la ville, pour demeurer sur place. Or, ils sont souvent confrontés à des problèmes de transport pour se rendre sur leur lieu de travail, car les routes ne sont pas aménagées et qu'aucun moyen de communication n'est mis à leur disposition.

M. Henri Savornin - Je suis tout à fait d'accord avec vous. En effet, nos massifs drainent depuis quelques années des RMIstes et des chômeurs. Ce n'est pas la solution, pour assurer la vie en montagne, et nous avons besoin d'installer des actifs qui eux-mêmes ont besoin de moyens de communication. Par ailleurs, je souhaitais aborder la question des pays. En France, et ceci est assez caractéristique de l'esprit français, pour pallier tout dysfonctionnement, on crée une structure. Après avoir constaté que le comité de massif ne fonctionnait pas, on parle de créer des pays. On déplace donc le problème et on nous demande de réunir dans des pays 10 000 ou même 60 000 habitants, plutôt que de conserver une zone qui, dans nos montagnes, est naturellement délimitée , on nous oblige à passer d'une montagne à l'autre et à englober dans cette zone une ville. Une fois de plus, le secteur rural n'est pas écouté. Je me suis moi-même rendu dans l'une des réunions organisées dans ce cadre. Sur 43 maires réunis, nous trouvons toujours les agitateurs et les animateurs qui apportent certains éléments de discussion, mais nous avons seulement été deux à prendre la parole pour élucider les problèmes. Cela représente une sacrée évolution de la démocratie dans nos pays !

Je pense que le fait de créer des hameaux ou des quartiers à l'intérieur des villes peut permettre d'améliorer la démocratie locale mais je ne pense pas que ce soit utile dans nos montagnes. Je voudrais profiter du fait que nous changeons actuellement de ministres et prochainement de députés pour poser la question de savoir s'il est préférable de poursuivre cette politique jusqu'en 2003, date à laquelle les contrats de plan seront accrochés à des pays, ou, pour simplifier la vie des montagnards, s'il ne vaut pas mieux en rester aux structures intercommunales qui ont été mises en place et qui ont bâti et exécuté des contrats de plan. Néanmoins, il s'agit d'une opinion très personnelle.

M. Jean Boyer - Vous nous avez cité l'exemple d'un développement personnel réussi. Or ceci n'est pas le cas dans toutes les zones de montagne car il n'est pas toujours facile de maintenir le commerce dans ces zones et donc d'y créer de l'emploi. Ne pensez-vous pas, en termes de maintien du commerce ou de l'artisanat, qu'il faudrait mettre en place une politique de la montagne plus offensive ? Ne pensez-vous pas qu'une aide différenciée serait nécessaire pour l'installation des artisans en zone de montagne ? En effet, l'artisanat est devenue la plus grande entreprise de France et le nombre d'artisans, dans mon département, a dépassé celui des agriculteurs. Toutefois, l'artisanat est localisé dans les villes et non dans les campagnes. Or une politique d'installation de l'artisanat en zone rurale permettrait d'y remédier.

M. Henri Savornin - Nous devons tenir compte du coût de l'installation. En effet, le prix du sac de ciment est doublé entre le point le plus bas du département et ma commune. Ainsi, le coût de revient de l'installation est d'environ 30 % plus cher à partir de 1 000 mètres d'altitude. C'est la raison pour laquelle les départements et les régions ont créé des fonds d'intervention qui octroient 30 % d'aide pour ces installations. Il s'agit du seul moyen de diminuer la charge fixe liée à cette installation. Je peux évoquer par ailleurs la question de l'investissement hôtelier ou celle de la réhabilitation des logements. En effet, si, pour cette réhabilitation, nous ne consentons pas 30 à 40 % de fonds publics, nous ne pourrons pas faire évoluer notre parc immobilier, car les avantages fiscaux ne suffisent pas à déclencher l'investissement. Si nous voulons mobiliser l'épargne locale, un apport de l'Etat, de l'Europe ou de la région est nécessaire pour démarrer. Ainsi, dans ma commune, environ 400 logements mériteraient une réhabilitation, mais aucun propriétaire ne prendra le risque d'investir s'il n'est pas substantiellement aidé au départ. Or l'argent placé de cette façon est rentable à court terme car il permet de créer des emplois. Je peux citer l'exemple de l'évolution des aides dans cette commune. En effet, il y a 25 ans, nous lui apportions 2 286 euros chaque année au budget du département ; nous apportons aujourd'hui 228.600 euros, mais le département n'a apporté que 457.200 euros en 25 ans. Ainsi, l'argent placé par le département et l'Etat constitue un investissement productif non seulement en terme de rentabilité mais également en terme d'emploi et d'activité.

M. Jean-Paul Amoudry - Si vous n'avez pas d'autre question, je suggère un échange concernant la dernière question posée à M. Savornin à propos du colloque, organisé en 1997, sur la place et le rôle des femmes dans les communes montagnardes. Ce point mérite-t-il des commentaires ?

M. Henri Savornin - Je vous adresserai le rapport réalisé suite à ce colloque. Ce débat a éveillé le sentiment d'une recherche nécessaire dans ce cadre. Néanmoins, nous avons constaté un certain progrès car les jeunes filles trouvent plus facilement du travail dans nos stations qu'auparavant. Il existe donc une volonté de les faire entrer dans le cadre de la pluri-activité. Ainsi, là où nous avions, en station, une ou deux femmes travaillant aux remontées mécaniques ou à l'accueil, nous en employons aujourd'hui une dizaine, du fait de cette évolution de l'état d'esprit. Nous avons réalisé cette étude sur un certain nombre de cantons et je vous en communiquerai les résultats.

M. Jean-Paul Amoudry- Je vous remercie, M. Savornin, au nom de la mission et en mon nom personnel et nous ne manquerons pas de vous tenir informé de l'état d'avancement de notre mission et, le cas échéant, de lui demander certains éclaircissements.

M. Henri Savornin - Je vous demande de pardonner mes insuffisances et mes vérités personnelles. Nous tenterons de vous montrer, dans notre commune, les applications de la loi Montagne au sein de nos massifs.

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