8. Audition de M. Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagné de M. Jean-Claude Tarty, chef de bureau de la montagne et du pastoralisme (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Bonjour, et merci d'être présent pour cette mission commune d'information sur la montagne. Je suis le rapporteur de cette mission, à laquelle travaille activement Monsieur Jean Boyer, qui est à mes côtés, ainsi que Monsieur Pierre Jarlier, Secrétaire Général de l'ANEM. Nous avons parfois constaté, en cette période printanière, l'absence de certains de nos représentants, liée à une période de vacances, mais également au contexte de travaux en tout genre, tels que ceux de la commission des affaires économiques, qui se tiendront dans quelques instants. Mais je laisse la parole à notre Président, qui vient d'arriver.

M. Jacques Blanc - Je souhaite simplement la bienvenue aux représentants de la mission commune sur la montagne, et je vous demande, Monsieur le Rapporteur, de poursuivre ce que vous avez si bien commencé, en saluant les personnes qui nous font l'honneur de répondre à notre invitation.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur le Président. Monsieur Dubreuil, si vous le voulez bien, après nous avoir rappelé vos qualités, nous allons vous entendre sur la base de la grille de questions que nous vous avons communiquée. Nos collègues pourront demander des précisions et des éclaircissements au cours de votre présentation. Je vous remercie encore pour votre contribution.

M. Christian Dubreuil - Monsieur le Rapporteur de la mission d'information, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de bien vouloir m'auditionner dans le cadre de vos travaux. Je suis Christian Dubreuil, Directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi depuis janvier 1998 au ministère désormais dénommé de l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, et en charge de la politique agricole de la montagne. Je suis accompagné de Monsieur Jean-Claude Tarty, qui est chef du bureau de la montagne et du pastoralisme dans ma direction. Je vous propose, à partir de vos douze questions, qui m'ont été communiquées fin avril, de survoler les réponses afin d'éviter un exposé trop long, tout en vous indiquant que je vous remettrai une réponse écrite permettant de vous aider dans la rédaction de votre rapport, qui sera remis à l'automne. Par ailleurs, je tiens à votre disposition tout document que vous souhaiteriez vous voir communiquer, permettant d'évaluer la politique agricole de la montagne.

Je vous propose de partir de votre première question, qui est certainement la plus pertinente et la plus accrocheuse : « est-ce que l'agriculture de montagne de demain est une agriculture économique, s'appuyant sur la production d'un certain nombre de produits agricoles, ou une agriculture que nos concitoyens, la puissance publique, décident d'aider, en contrepartie de son rôle environnemental ? » Il s'agit donc de la question de l'économique versus l'environnemental. Le sentiment du Ministère de l'Agriculture est que cette approche binaire doit être dépassée, dans le sens où l'agriculture est une activité économique qui doit trouver sa rémunération sur le marché, à travers la valorisation de ses produits. Pour ce qui est de la montagne, comme d'ailleurs pour l'agriculture en général, nous constatons que l'avenir est désormais à la production de produits de qualité, identifiés, à la traçabilité assurée, et issus de territoires dont l'image peut être valorisée. En effet, les consommateurs souhaitent bénéficier de produits de qualité, dont la sécurité est parfaitement assurée, mais qui ont des qualités gustatives et d'apparence, et qui s'identifient bien à une origine géographique. Or, pour proposer ces produits de qualité, la montagne dispose d'atouts incontestables, à travers ses modes de production, ses modes de commercialisation, ses signes de qualité, mais également l'aspect environnemental et la qualité du territoire où ils sont produits, ces deux aspects étant tout à fait liés. Pour utiliser une formule que j'ai connue lorsque j'étais directeur de cabinet du préfet de l'Ain, je citerais M. Blanc, restaurateur à Vonnas, ville dans laquelle une polémique avait éclaté concernant la présence d'un site d'enfouissement des déchets nucléaires en Bresse. En effet, ce dernier disait : « on n'attire pas les touristes avec une poubelle dans sa vitrine ». Ainsi, la qualité environnementale de la production agricole fait partie de cette qualité globale. Je pense que nos concitoyens sont prêts à soutenir leur agriculture de montagne à la fois parce qu'elle produit des produits de qualité et parce qu'elle joue un rôle fondamental dans le maintien de paysages, dans une action sur l'environnement, qu'elle respecte, et qui, finalement, fait partie intrinsèque de la qualité du produit. Lorsque nous parlerons du contrat territorial d'exploitation, prévu par la loi d'orientation agricole, nous verrons qu'une telle loi nous permet d'établir un lien entre l'économique et l'environnemental dans un soutien global à l'agriculture. Cela permet de prouver qu'il existe bien un lien entre l'économique et l'environnemental et que nous n'avons pas intérêt à les séparer, car il s'agit d'une voie de légitimation des aides de soutien à l'agriculture, et notamment à l'agriculture de montagne.

Dans la seconde question que vous avez formulée, le seul terme que je récuserais est celui de « modèle d'une agriculture autonome ». M'adressant à vous, sénateurs de montagne, je peux dire qu' a fortiori en montagne, l'agriculture ne peut pas se penser comme autonome, c'est-à-dire comme une activité unique ne prenant pas en compte les autres activités de ses espaces ruraux. En effet, vous connaissez mieux que moi les liens qui existent entre l'activité agricole, qui est fondamentale dans le maintien de ces espaces, l'activité touristique, qui s'appuie sur cette activité agricole, et les différents services rendus à la société. Il s'agit bien d'une agriculture dans son espace rural d'une part et dans le lien avec les villes importantes qui se trouvent dans les zones de montagne d'autre part. Dans ce sens, je pense que le nouveau ministre, qui est un montagnard, a souhaité ajouter le terme d' « affaires rurales » au nom du ministère de l'Agriculture et de la Pêche pour bien rappeler non seulement que les agriculteurs sont des acteurs essentiels du monde rural mais également que le monde rural doit être pris en compte dans sa globalité.

Pour résumer ce premier point, je ferai un lien entre, d'une part, produit de qualité, qui est l'avenir de l'agriculture de montagne, et respect de l'environnement, ces deux aspects suscitant des soutiens légitimes de la part de la puissance publique, et, d'autre part, une agriculture qui se pense bien comme élément essentiel de la montagne, mais qui se vit aussi en lien avec les autres acteurs du monde rural.

Cela permet de faire le lien avec la question posée concernant les aides aux agriculteurs de montagne : « les agriculteurs sont-ils suffisamment aidés, les rapports d'évaluation ayant montré dans le passé que les revenus des agriculteurs de montagne étaient plus faibles que ceux de la moyenne nationale ? » Il est certain que les aides à l'agriculture, notamment les aides dites du premier pilier de la PAC, à savoir les aides directes, qui ont appuyé l'agriculture moderne et exportatrice en France, ont soutenu et continuent à soutenir toute une série de filières de production qui, pour certaines, sont peu représentées dans l'agriculture de montagne. Il est exact que ces très volumineux soutiens accordés aux céréales et aux oléoprotéagineux concernent très marginalement l'agriculture de montagne. En revanche, l'agriculture de montagne est aidée par les aides animales, avec des majorations, notamment sur la prime au maintien du troupeau des vaches allaitantes, mais peu sur les aides surfaces aux grandes cultures, au titre du premier pilier sur les aides aux productions animales, notamment pour la production de viande bovine. Par ailleurs, pour les aides du deuxième pilier de la PAC, qui sont en voie d'augmentation depuis les accords de Berlin de 1999, certaines de ces aides sont ciblées sur des soutiens à la montagne, notamment pour les soutiens à la compensation du handicap. D'autre part, ces aides sont certainement beaucoup plus mobilisables par l'agriculture de montagne.

Les différences de revenus perdurent. Je vous donnerai, dans les documents en annexe de ma présentation, des éléments chiffrés qui montrent que, d'après les études réalisées en 2000, ce différentiel demeure, même s'il s'est probablement réduit par rapport aux indications du rapport d'évaluation de 1998. Il semblerait que les écarts de revenus disponibles soient de 16 % pour la montagne et la haute montagne par rapport à la moyenne nationale, et de 19 % par rapport aux agriculteurs de plaine. Je poursuivrai en évoquant l'évolution de la PAC, qui n'est pas encore totalement décidée puisque des discussions vont prochainement avoir lieu, notamment le 10 juillet, date à laquelle le Commissaire Fischler envisage de dévoiler les propositions de la commission pour l'évolution de la PAC au titre de la révision à mi-parcours. Ces propositions seront discutées lors du conseil européen de fin juillet. Or, dans les évolutions en cours nous observons une tendance à favoriser le deuxième pilier de la PAC, mais également à envisager des transferts entre le premier et le deuxième pilier. Ce transfert peut se faire à travers la modulation des aides directes. Il s'agit, dans ce cas, non pas de la modulation facultative actuelle à la française mais de la modulation générale et probablement obligatoire à laquelle pense la Commission Européenne. Il peut se faire à travers la dégressivité des aides directes. Je pense que l'agriculture de montagne a beaucoup à gagner d'une augmentation des soutiens du deuxième pilier de la PAC mais également d'un transfert de soutiens du premier au deuxième pilier de la PAC, notamment à travers un instrument, qui est l'un des outils privilégiés de la politique agricole de la montagne : la politique de compensation des handicaps naturels. Je souhaite vous en dire quelques mots car il s'agit d'un soutien financier important. Cette aide a été inventée par la France dans les années 70 comme ceci est souvent le cas en matière européenne. Il est important de le rappeler, car le rôle de la France doit rester important dans l'avenir, en tant que première puissance agricole européenne. En effet, la France doit être pionnière dans le domaine des idées et des propositions, et votre commission va y contribuer, pour entraîner nos amis européens, d'autant plus que nous sommes l'un des principaux pays montagnards, même si, par bonheur, d'autres pays de l'Union Européenne sont également concernés par ces problèmes comme l'Espagne, l'Italie ou l'Autriche. En revanche, nos partenaires de l'Europe du Nord sont beaucoup moins concernés par les problèmes de la montagne. Ainsi, l'idée de compensation des handicaps naturels est une idée française, qui a été reprise au plan européen, et qui figure de nouveau dans le règlement développement rural de 1999, et qui a été aménagée durant ces dernières années.

Je souhaiterais faire le point avec vous sur la réforme des ICHN, comme je l'ai fait auprès du groupe politique agricole de la montagne, qui se réunit mensuellement depuis janvier 1999, que je préside, et qui regroupe l'ANEM, l'Administration centrale et déconcentrée de l'Etat, les commissariats de massifs et les organisations professionnelles agricoles. L'indemnité compensatoire des handicaps naturels a été maintenue en 1999. Cette indemnité a été modifiée et nous sommes ainsi passés d'un soutien à la tête de bétail à un soutien à l'hectare. Je pense qu'il s'agit d'une bonne idée dans le sens où le soutien à la tête de bétail pouvait laisser penser que ce soutien était corrélé au volume de production. Or, je pense qu'un soutien à la surface garantit mieux que ce type de soutien sera durablement compris dans la boite « verte » des négociations internationales. Ainsi, ce choix réaffirme mieux le fait qu'il s'agit d'un soutien découplé de la production et donc totalement protégé dans le cadre des négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce. D'autre part, l'affirmation selon laquelle ces soutiens devaient être accordés si les agriculteurs respectaient les bonnes pratiques agricoles habituelles est importante. La France a obtenu qu'en montagne on parte, par principe, du postulat suivant : les bonnes pratiques agricoles habituelles sont respectées. Il ne s'agit pas d'une novation majeure mais de l'affirmation d'un principe assez utile. Par ailleurs, il s'agit d'un soutien exprimé à travers un moyen simple puisque sont présumés respecter ces règles les agriculteurs qui ont un chargement, à savoir des animaux sur des hectares, qui évite à la fois le sous-pâturage et le sur-pâturage. Ces mesures ont suscité des débats et des inquiétudes, mais ont finalement été mises en oeuvre, et le bilan qui en a été tiré, dans le cadre d'une analyse objective, réalisée par l'Institut d'Agriculture Méditerranéenne, et que je suis prêt à vous communiquer, a montré qu'avec cette réforme, les grands équilibres avaient été maintenus. En effet, 80 % des soutiens vont à la montagne contre 20 % pour les zones défavorisées et de piémont. Le nombre d'exclus est très minime : 1,4 %. Enfin, 70 % des éleveurs ont un soutien financier en augmentation. Les quelques difficultés concernant les éleveurs en piémont laitier devraient être réglées durant l'année 2002, et l'on cherchera à mieux soutenir les élevages ovins. D'autre part, la puissance publique a décidé d'augmenter les soutiens financiers à l'agriculture de montagne de 18 millions d'euros en 2000, de 47 millions d'euros en 2001 et il est prévu, pour cette année, une augmentation de 30 millions d'euros. Je précise qu'il s'agit d'un engagement pris par le précédent gouvernement en octobre dernier et il est très souhaitable que l'actuel gouvernement confirme cet engagement pour la campagne ICHN, puisque les agriculteurs déposent actuellement leurs dossiers et doivent être payés de leurs indemnités en septembre et octobre prochain. Ainsi, si cette réforme des ICHN a suscité des difficultés, elle permet, selon moi, de conforter la politique de compensation du handicap et de centrer les soutiens sur la montagne. Il s'agit en outre d'un moyen privilégié de soutenir l'agriculture de montagne. Ces aides sont cofinancées par l'Union Européenne. Ainsi, si je souhaitais résumer à l'extrême ma pensée sur ce point, je dirais que l'un des moyens très simples pour aider l'agriculture de montagne consisterait à augmenter les ICHN.

Je poursuivrai en parlant plus brièvement d'un autre mode de soutien par lequel l'agriculture de montagne peut être confortée : la mise en oeuvre, par la loi d'orientation agricole de juillet 1999, du contrat territorial d'exploitation.

M. Jean-Paul Amoudry - Excusez-moi de vous interrompre, mais je souhaiterais avoir une précision. Vous avez parlé de l'engagement du gouvernement d'augmenter de 30 millions d'euros pour 2002 l'enveloppe des ICHN. S'agit-il simplement de la part de l'Etat français, et avez-vous en tête le montant affecté par Bruxelles en parallèle ? En effet, il existe un lien entre l'effort de l'Etat et l'engagement de l'Union Européenne.

M. Christian Dubreuil - Il existe en effet un lien automatique entre les deux puisque l'ICHN est co-financé à 50 % par l'Union Européenne. Ainsi, compte tenu du cofinancement global que nous apporte l'Union Européenne, puisque nous sommes autorisés à mobiliser plus de 760 millions d'euros en moyenne, par an, de cofinancement européen, lorsque la France augmente les ICHN, le cofinancement européen est automatique. Or l'engagement pris à l'automne dernier était d'augmenter les ICHN de 200 millions de francs, soit 30 millions d'euros, cette somme comprenant la part européenne pour 15 millions d'euros.

M. Jean-Claude Tarty - En effet, il s'agit de 100 millions de francs pour l'Etat français et de 100 millions de francs pour l'Union Européenne. Ce cofinancement à 50/50 est automatique.

M. Jacques Blanc - Les classements en zone de montagne sont très importants pour les personnes et pour les collectivités. Or, nous assistons, dans certains lieux, à des situations paradoxales, car les zones amont peuvent ne pas être classées en zone de montagne alors que l'aval bénéficie d'un tel classement. Nous avons tous en tête des exemples précis dans ce sens. Or, existe-t-il des perspectives de révision de ces classements, non pas à la baisse, bien évidemment, mais à la hausse. En effet, ce que nous avons appris sur les coefficients de pente et d'altitude est souvent contredit par de tels exemples. En effet, certaines communes de montagne, plus basses que d'autres en altitude, sont classées en zone de montagne alors que d'autres communes plus élevées en altitude ne le sont pas, ce qui heurte le bon sens. Nous avons beau arguer du fait que les coefficients d'altitude doivent être recoupés avec les coefficients de pente, nous ne sommes pas entendus sur le terrain. Or avons-nous une chance à saisir dans ce cadre et la commission serait-elle bien inspirée en proposant quelque chose pour faire avancer ce problème, tout en ayant le souci des collectivités, qui sont sans doute mieux traitées lorsqu'elles sont en zone de montagne que lorsqu'elles n'y sont pas. Cette question concerne, bien entendu, la basse et la moyenne montagne, et non pas la haute montagne.

M. Christian Dubreuil - Je vais vous présenter une carte, que je vous remettrai, reprenant l'état actuel du classement des zones défavorisées en France, qui comporte les zones de haute montagne, les zones de montagne, les zones de piémont, et les zones défavorisées. Il s'agit d'une construction progressive puisque la France a inventé la compensation du handicap dans les années 70 et a donc délimité ses propres zonages. Or, lorsque cette aide a été reprise au niveau européen, la France a demandé que ces zonages des années 70 soient repris tels quels. Ensuite, ils ont été consolidés à travers des critères objectifs d'altitude et de pente. Si nous observons cette carte, certaines incohérences apparaissent. Néanmoins, comme pour toutes les belles oeuvres anciennes, nous nous posons toujours la question de savoir s'il existe plus ou moins d'inconvénients à les retoucher. Ainsi, nous constatons que le classement en zone défavorisée de tout le Sud Ouest a consisté à considérer, dans les années 70, que l'agriculture du Gers ou celle de la Dordogne, deux départements se trouvant intégralement en zone défavorisée, étaient défavorisés en termes de revenus. Trente ans plus tard, il serait beaucoup plus difficile de démontrer que l'agriculture du Gers souffre d'un déficit économique. Or, les élus et les agriculteurs sont très attachés à ce type de soutien. Tout le zonage a fait l'objet d'une construction par étapes, d'où un certain nombre d'incohérences. Mais ce zonage est évolutif. Ainsi, l'année dernière, nous avons pu faire élargir la zone montagne au Morvan, après 25 ans d'étude de ce dossier. En effet, les élus de ce secteur souhaitaient voir reconnaître et élargir cette zone, qu'ils estimaient être un massif spécifique qui n'était pas le Massif Central. Les changements de zone sont donc possibles. Mais le problème avec l'Union Européenne est le suivant : lorsqu'il lui est demandé de rajouter de nouvelles zones de montagne, elle souhaite que d'autres zones soient retirées de ce classement, dans un souci d'équilibre. Auquel cas, nous répondons toujours que nous ne pouvons rien retirer. Cette révision du zonage est donc possible, mais elle doit être réalisée prudemment. Néanmoins, certains dossiers peuvent être présentés. Ainsi, l'année dernière, nous avons reclassé une partie du Morvan et quelques communes en Isère, en Corse, dans l'Aude et les Pyrénées orientales. Dans le projet de cette année, nous avons prévu quelques reclassements de l'Isère, dans le Rhône et pour quelques communes des Pyrénées, mais cela renvoie à des questions financières. En effet, si nous étendons le zonage, il faut que la puissance publique affecte les crédits nécessaires.

M. Auguste Cazalet - Vous ne parviendrez jamais à satisfaire tout le monde. Je suis moi-même Sénateur des Pyrénées-Atlantiques. Or, je constate que la question de l'altitude ne veut rien dire, exceptée dans la haute montagne. En effet, dans certaines régions, des exploitations agricoles très belles sont situées en altitude et ne sont pas confrontées à des handicaps trop importants, et, en basse altitude, certaines exploitations agricoles requièrent beaucoup de courage pour y travailler avec des tracteurs. Or cette inégalité entraîne la colère des agriculteurs, qui ne comprennent pas que certaines communes soient classées en zone de montagne alors que la leur ne l'est pas, mais qu'ils sont encore contraints de travailler avec des traîneaux et des boeufs. Vous aurez donc toujours affaire à des contestations, d'un côté ou de l'autre, et les élus en savent quelque chose. Ainsi, dans ma commune, les élus se font interpeller à ce sujet. En outre, durant chaque période électorale, et ce pour tous les bords, chacun promet qu'il fera classer les communes concernées en zone de montagne, mais ceci n'est jamais fait. Nous ne parviendrons donc jamais à satisfaire tout le monde.

Par ailleurs, je souhaiterais connaître la position des organisations agricoles au sujet de l'ICHN. En effet, les aides sont octroyées à la surface agricole. Néanmoins, en zone de montagne, il n'est pas toujours facile d'avoir de grosses exploitations. Ainsi, si les éleveurs se débrouillent bien, ils parviennent à vivre en montagne en se faisant livrer des fourrages sur place pour pouvoir y demeurer. Or, dans les zones où se trouvent les belles exploitations, les gens quittent l'agriculture alors qu'en montagne, certains agriculteurs luttent pour rester sur place, malgré les difficultés. A cela s'ajoute le problème des esquives, qui leur permettent de conserver sur place les vaches ou les moutons durant l'été. Ainsi, en termes de chargement par hectare, certaines petites exploitations ont un chargement très important car les agriculteurs laissent les bêtes enfermées tout l'hiver et font arriver sur place du maïs doux et des fourrages, ce qui permet de maintenir la vie en montagne. Dans ce cadre, je souhaitais vous poser une question : les bergers sans terre bénéficient-ils des aides en montagne ? En effet, autrefois, ils ne les touchaient pas.

M. Jean Boyer - Je souhaite vous poser, Monsieur Dubreuil, une question d'ordre général. Nous entendons parler d'une part des primes compensatrices et d'autre part des primes compensatoires. Pour être logique, doit-on dire « primes compensatrices des handicaps » ou « primes compensatoires des handicaps » ? Par ailleurs, ma question porte sur les primes à la montagne haute, puisque l'on dit, depuis deux ou trois ans, prime à la montagne haute et non plus prime à la haute montagne. Je suis l'un des élus de Haute-Loire. Or, la référence, pour le classement en haute montagne, est la mairie de la commune. Toutefois, les mairies se trouvent dans les vallées et les agriculteurs sont très contrariés de voir que la référence est la mairie, puisque les terres de culture sont sur le plateau. Or le fait que la mairie se trouve en dessous de l'altitude définie pour les zones de montagne haute, qui est de 1 050 mètres, les pénalise. Ainsi, dans mon département, une pétition a été signée par les habitants de 11 communes, dont la mairie se trouve dans la vallée, et dont les trois quarts des zones cultivées se trouvent au-dessus de la référence prescrite. Dans ce cadre, comment pouvons-nous envisager une adaptation de cette référence à la réalité ?

M. Christian Dubreuil - En reprenant la perspective du classement de zone de votre rapport, je pense qu'avec les organisations professionnelles agricoles, un certain consensus a été trouvé pour dire qu'il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore. En effet, ce classement est important pour la France et il y a peut-être plus de risque à le réexaminer qu'à le maintenir. Le débat consistant à comparer les situations entre elles est sans fin. Néanmoins, le rapport peut rappeler qu'année après année, il est possible de reclasser quelques petites zones qui ont le sentiment d'avoir été maltraitées. Je vous propose cette solution car je pense qu'il serait dangereux, pour l'agriculture de montagne française, de revoir le zonage général, mais que nous pouvons néanmoins procéder à des adaptations chaque année.

Pour ce qui est des aides octroyées à la surface, votre question est de savoir si ces aides sont plus bénéfiques à l'agriculture de montagne. Je parlerai en ce sens sous le contrôle du sénateur Amoudry, qui connaît très bien ces questions. Je pense que, potentiellement, il s'agit d'un excellent moyen de soutien supplémentaire à l'agriculture de montagne. En effet, il fait état de la déprise qu'il faut combattre et de la nécessité d'entretenir, voire de reconquérir des terres. Ce soutien à la surface peut permettre aux agriculteurs, d'une part d'engager des surfaces supplémentaires et d'avoir potentiellement des soutiens plus élevés, et, d'autre part, de mieux rémunérer tous les espaces pastoraux, les estives, les alpages, utilisés tant dans les Pyrénées que dans les Alpes. Ainsi, cette reforme des ICHN est positive, bien qu'elle n'ait pas produit immédiatement les effets escomptés, puisque, lorsqu'elle s'est mise en place, les animaux et les hectares des agriculteurs ont été basculés d'un système à l'autre. Toutefois, vous connaissez tous la capacité d'adaptation des agriculteurs, ce fameux bon sens paysan. Ainsi, aujourd'hui, le soutien étant à la surface, des surfaces complémentaires vont pouvoir être engagées, notamment les terres des groupements pastoraux, qui pourraient être mieux soutenues. Je pense donc que ce changement de critère pourrait être plus favorable, tant dans le domaine des ICHN, qui, d'après les textes, sont des « indemnités compensatoires » et non pas compensatrices des handicaps naturels, que dans le second domaine, que sont les soutiens agro-environnementaux, qu'ils soient inscrits dans ou hors des contrats territoriaux d'exploitation.

Concernant les bergers sans terre, je pense qu'ils bénéficient désormais du soutien. Je vous propose que Monsieur Tarty complète cette réponse et qu'il réponde par ailleurs à la question de l'appréciation du zonage et de la remise en cause éventuelle du référentiel représenté par les mairies.

M. Jean-Claude Tarty - Les bergers sans terre bénéficient effectivement des ICHN depuis une dizaine d'années. Auparavant, cette aide était calculée à la tête de bétail et elle est désormais calculée à l'hectare. Il suffit que le berger sans terre fasse, comme tout agriculteur de France, une déclaration de surface et que la Direction départementale reconnaisse qu'il est l'utilisateur de ces territoires pour qu'il puisse bénéficier des différentes aides sur les terres qu'il exploite.

Concernant le classement en zone de montagne haute, la règle communautaire, qui est reprise dans le règlement développement rural indique qu'il existe en termes communautaires des zones de montagne et des zones défavorisées. En France, nous avions établi une différenciation entre haute montagne et montagne, et entre piémont et zone défavorisée. Cette différenciation continue à exister. Néanmoins, lorsque nous avons négocié le passage de l'unité de gros bétail (UGB) à l'hectare, nous nous sommes rendus compte que le chargement, qui est aujourd'hui le critère essentiel de la totalité de la prime ou d'un certain pourcentage de cette prime, n'était pas forcément le même, même à l'intérieur de la zone montagne d'un département. Par ailleurs, depuis un certain nombre d'années, les organisations départementales agricoles et les directions départementales de l'agriculture avaient déjà établi des sous-zonages, notamment dans le Cantal. Mais cette distinction avait été établie dans la notion de montagne et non pas selon la notion nationale de haute montagne, qui est située au-delà de 1 200 mètres d'altitude. Ces sous-zonages ont été reconduits dans le système actuel. Nous avions ainsi, dans notre système de paiement comportant quatre marches, zone défavorisée, piémont, montagne et haute montagne, créé un escalier avec des marches supplémentaires, de façon à mieux lisser les écarts de paiement entre ce qui est donné à la montagne et ce qui est donné à la haute montagne. Or, il se trouve que certains agriculteurs étaient proches des caractéristiques de handicap de la haute montagne et il était anormal que le pallier soit trop important. Le système d'étagement a donc été reconduit.

Concernant la référence à la mairie, si nous lancions le vaste sujet de la révision du classement des zones, nous devrions utiliser un logiciel de calcul qui nous permettrait de travailler à partir de sites géo-référencés tous les 100 mètres. Ainsi, actuellement, le CEMAGREF calcule l'altitude et la pente de chaque point géodésique tous les 100 mètres de la commune en question. Ensuite, on calcule un coefficient, qui doit être supérieur à 2. Ainsi, si le coefficient est supérieur à 2, la zone est classée en montagne, et s'il est inférieur, elle n'est classée qu'en piémont. Or, il est vrai qu'à une certaine époque, nous ne disposions pas d'outils de calcul précis. La référence était donc la mairie. Mais si nous réalisions de nouveaux calculs, avec le risque que certaines zones soient exclues et d'autres incluses, nous pourrions nous abstraire de cette notion. Par ailleurs, dans le cadre de la réflexion menée avec le groupe Montagne, sur le passage de l'UGB à l'hectare, nous avons réfléchi à cette problématique. Longtemps, les organisations professionnelles agricoles nous ont dit que, lorsqu'un agriculteur avait son siège d'exploitation en zone défavorisée et ses animaux en haute montagne, il était payé au taux de la zone défavorisée. Ils considéraient que cette situation était anormale puisque le handicap que subissaient les animaux était un handicap de haute montagne, bien que l'agriculteur habite dans la vallée. Nous avons donc profité du passage de l'UGB à l'hectare pour modifier la règle de calcul. Ainsi, un agriculteur, qui a son siège d'exploitation dans une zone défavorisée, même si cette zone est située en piémont, sera payé au taux montagne si ses surfaces sont situées en montagne. Cette modification, qui a commencé à se mettre en place l'année dernière, doit permettre à un certain nombre d'agriculteurs de bénéficier de primes plus importantes. Monsieur Dubreuil a cité le nombre d'agriculteurs concernés par les ICHN. Or, sur les 115 000 agriculteurs qui ont bénéficié des ICHN en 2001, 70 % ont bénéficié d'une augmentation de ces aides par rapport à 2000. Le système de basculement de l'UGB vers l'hectare a donc été globalement favorable pour une majorité d'agriculteurs en montagne.

M. Christian Dubreuil - Je vous propose de poursuivre sur les questions qui nous ont été posées. Parmi elles, un point fait débat et concerne au premier rang les parlementaires, puisque vous faites la loi et que vous veillez à son application. En effet, je pense que le débat relatif au contrat territorial d'exploitation va de nouveau s'ouvrir. Nous devons nous demander si cet outil de politique agricole est utile ou non, et surtout, s'il est utile à la montagne. Le contrat territorial d'exploitation, prévu par la loi d'orientation agricole de juillet 1999, vise à considérer l'agriculture dans ses différentes fonctions : l'économie, le social, l'emploi, l'environnement, l'aménagement du territoire, et à concevoir un soutien à l'ensemble de ces fonctions, qui agglomère les soutiens traditionnellement accordés aux investissements ou à l'environnement. Les soutiens sont reconnus et cofinancés par l'Union Européenne, tel que le préconisait le règlement développement rural. Par ailleurs, l'idée spécifiquement française d'un contrat global passé avec les exploitants agricoles a été rajoutée. Ce contrat a commencé à se mettre en place durant l'automne 1999. Dans les zones de montagne, à la différence des ICHN, ce contrat n'était pas un soutien spécifique à la montagne. Les agriculteurs de montagne se sont donc demandés si ce soutien pouvait leur être bénéfique. Ainsi, l'inquiétude liée à l'approche globale, ou globalisante des CTE, ayant vocation à rassembler les soutiens, était liée à la question suivante : que vont devenir les soutiens spécifiques aux ICHN ? Dans ce contexte, la sénatrice Jeanine Bardou avait défendu le fait que les ICHN ne soient pas fondues dans les CTE, mais soient préservées, ce qui a été fait. Or elle a eu raison de soutenir cette option malgré les débats de l'époque, consistant à se demander si un outil non spécifique à la montagne pouvait être utile à la montagne, et s'il n'allait pas susciter en échange la perte d'outils anciens auxquels les agriculteurs étaient attachés. Ce débat est aujourd'hui dépassé. Les CTE se sont mis en place plus lentement que prévu car un certain nombre de difficultés se sont présentées. En mai 2002, nous pouvons reposer cette question de manière sereine et pragmatique, au vu de ce qui a été mis en place. A travers ce type de soutien, nous sommes parvenus aux résultats suivants : 25 000 contrats territoriaux ont été signés, 32 000 ont été approuvés dans les commissions départementales d'orientation de l'agriculture, 6 500 dossiers sont en cours d'instruction. Ainsi, 40 000 agriculteurs ont déjà demandé un contrat, un peu plus de 30 000 l'ont vu approuver et un peu plus de 25 000 l'ont vu signer. La part des exploitants agricoles de montagne est de 20 %, ce pourcentage se maintenant depuis la mise en place de cette aide. Ainsi, la part des agriculteurs de montagne et de haute montagne dans les CTE est un peu supérieure au pourcentage que représentent ces exploitants agricoles dans l'ensemble de l'agriculture de notre pays.

Je constate également que ces aides ont permis d'engager 2 millions d'hectares. En effet, les surfaces des 25 000 exploitants ayant signé un CTE représentent 2 millions d'hectares, dont 1,3 million d'hectares qui font l'objet d'engagements. Ainsi, en deux ans de CTE, les surfaces engagées sont supérieures à celles qui l'ont été durant plus de huit ans d'opérations locales agro-environnementales et d'opérations groupées d'aménagement foncier entre 1992 et 1999. Le montant global des contrats signés pour cinq ans représente d'ores et déjà 1 milliard d'euros, et la moyenne des contrats est de 40 000 euros par contrat et de 27 000 euros par exploitant ou associé. Ainsi, après des débuts difficiles, des questions sur le positionnement de ce contrat par rapport à d'autres types de soutiens à l'agriculture, je pense que les agriculteurs et les responsables des organisations professionnelles agricoles considèrent désormais que ce type de soutien est positif. Je pense par ailleurs que ce soutien pourrait être mieux utilisé par l'agriculture de montagne. En effet, on pouvait craindre au départ que les exploitants de plaine s'en saisissent bien avant. Ainsi, en mai 1999 le Président du Conseil Régional du Limousin, proche du gouvernement de l'époque, me demandait si cette aide n'allait pas consister à aider les agriculteurs bretons, qui ont pollué l'environnement, alors que les agriculteurs du Limousin, ayant des pratiques environnementales correctes, n'allaient pas être aidés. Or, si nous regardons la carte des contrats territoriaux d'exploitation, que je vous communiquerai, nous constatons que ceci n'a pas été le cas. En effet, étant donné les problèmes de respect de la réglementation, dont je respecte par ailleurs l'agriculture très performante, le nombre de CTE signés en Bretagne est assez faible. Dans les grandes zones céréalières, pour des raisons liées à la modulation des aides directes, nous avons assisté au même schéma. Ainsi, les régions qui se sont principalement appropriées les contrats territoriaux d'exploitation sont plutôt les régions Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Auvergne, Pays de Loire ou Languedoc-Roussillon, tandis que les régions du Nord de la France ou de la Provence Alpes Côte d'Azur en ont moins profité. Ce type de soutien convient donc bien aux filières qui sont moins soutenues par les organisations communes de marché, notamment l'agriculture de montagne.

Le gouvernement précédent avait beaucoup soutenu le CTE en soi. Mais, plus récemment, un décret permettant de contracter des mesures agro-environnementales en dehors du CTE a été publié. Le nouveau gouvernement dispose donc aujourd'hui de deux outils à sa disposition et pourra choisir en fonction de ses priorités et de ses moyens financiers. Ainsi, nous sortons peut-être de ce débat manichéen consistant à limiter les soutiens aux contrats territoriaux d'exploitation. Désormais, le gouvernement dispose de ces deux outils différents, dont il peut co-régler l'application. Il pourrait ainsi mettre en place des mesures agro-environnementales hors CTE pour les agriculteurs non-éligibles aux CTE, comme les agriculteurs âgés, ou encore pour les estives gérées par des commissions syndicales, comme ceci est le cas dans les Pyrénées atlantiques. Ainsi, cette nouvelle situation doit être intégrée dans l'appréciation de l'avenir des contrats territoriaux d'exploitation. En effet, un soutien bien adapté à l'agriculture de montagne a été trouvé, qui mobilise des moyens financiers importants, et je pense que la fin des CTE ferait plaisir à une seule personne en France : le secrétaire d'Etat au Budget. Pour nous, dans le cadre du ministère de l'Agriculture, pour vous, parlementaires du monde rural, il sera important de répondre aux attentes des organisations professionnelles agricoles, qui souhaitent que le CTE soit simplifié, centré sur ses objectifs, et qu'il ne soit pas l'outil unique de soutien. Toutefois, ils ne souhaitent pas la fin de cette politique. Je pense que la sagesse conduirait à adapter le dispositif sans le briser.

Concernant les questions que vous m'avez posées à propos de la situation des différentes productions qui intéressent la montagne, la viande ou le lait, il me semble que vous allez auditionner, le 17 juin, l'adjointe de mon collègue directeur des politiques économique et internationale, Marie Guittard. Je ne m'attarderai donc pas sur ce sujet, mon propos étant déjà très complet. En revanche, je vous ai fourni des réponses écrites pour vous aider à préparer vos travaux.

J'aborderai ensuite la question suivante : que faire auprès de l'Union Européenne pour aider la montagne ? Cette question est pour moi d'actualité puisque je m'envole dans quelques heures vers Inverness, pour assister aux troisièmes assises de l'agriculture de montagne, en Ecosse, où je vais plaider, avec mes collègues européens, sur le thème « Défense de la montagne au sein de l'Europe ». L'Europe soutient l'agriculture de montagne, mais il n'existe pas une politique européenne de la montagne totalement constituée. Une sorte de plaidoyer permanent est donc nécessaire pour que toutes les actions européennes bénéficient à la montagne. Ainsi, les pays de l'Europe du Sud ou de l'arc alpin sont dans une situation de lobbying par rapport aux pays de l'Europe du Nord, qui sont peu sensibles à cette problématique. Nous devons prouver que les montagnes sont un patrimoine pour l'Europe, et qu'il faut en défendre l'agriculture et la valeur patrimoniale. Par ailleurs, nous devons nous préparer à poursuivre ce combat avec l'élargissement de l'Europe à l'Est. En effet, nous allons nous trouver confrontés au même type de contraste avec l'entrée de grands pays agricoles qui ne sont pas du tout montagnards comme la Pologne ou la Hongrie, et de quelques pays montagnards, qui iront dans le même sens que nous, comme la Slovaquie ou la Slovénie. La même opposition sera donc présente entre ceux que cette politique n'intéresse pas et ceux que cette politique intéresse.

Vous me posez la question : dans quel sens agir ? Je vois plusieurs solutions : le renforcement du deuxième pilier de la PAC, le développement rural, proposé par le commissaire Fischler et la majorité des Etats membres, est une évolution favorable. Il s'agit tout d'abord du soutien aux élevages herbagers avec la fameuse question de l'herbe. En effet, pour aider la montagne dans la politique agricole, il faut défendre des soutiens à base d'herbe, y compris pour nos élevages de viande ou de lait. Nous sommes la principale puissance agricole, avec 28 millions d'hectares de surface agricole utile et de nombreux espaces herbagés. Dans ce contexte, tous les soutiens pouvant être augmentés vis-à-vis de l'herbe seront bons pour l'agriculture de montagne, qui détient ces espaces herbagers. Ainsi, tant la prime dite « à l'herbe », qui va s'achever en 2003, et qui trouvera sa suite dans les actions agro-environnementales, que des réflexions sur l'évolution des soutiens à la viande sont favorables. Ainsi, dans le cadre de la réflexion sur l'évolution de la PAC, qui va avoir lieu au second semestre notamment au sommet de Copenhague de décembre 2002, nous pouvons très bien, en France, aider notre viande bovine à travers des soutiens à la tête de bétail ou à l'herbe. Dans la situation actuelle, la PAC aide davantage les productions céréalières ou le maïs que l'herbe. En effet, la prime à l'herbe s'élève à 46 euros à l'hectare contre 533,6 euros pour les soutiens au maïs. A travers les aides environnementales, nous avons mis en place un soutien supplémentaire. Ainsi, la prime à l'herbe va passer de 68,6 euros à 91,5 euros à l'hectare. Mais tout ce qui conduira à aller plus loin dans ce sens est bon pour l'agriculture de montagne. Vis-à-vis de l'Union Européenne, sensible à la problématique de passage de soutiens à la tête de bétail, qui sont critiqués à l'OMC, à des soutiens à la surface et à l'herbe, qui sont moins menacés à l'OMC, nous devons montrer que cette transition est bénéfique pour notre agriculture de montagne.

Par ailleurs, nous pouvons évoquer un autre dossier important : le soutien au pastoralisme. Il s'agit d'un mode, spécifique à la montagne, de gestion de nos élevages, conforme à des traditions rurales que nous devons maintenir. Or ces soutiens au pastoralisme peuvent être amplifiés car le pastoralisme constitue une bonne pratique agricole, respectueuse des hommes et des territoires, conforme à nos traditions européennes. Ainsi, tout ce qui peut aller vers sa reconnaissance et son soutien est bon pour l'agriculture de montagne. Il faudrait également que nous amenions la Commission Européenne à donner des suites concrètes au travail réalisé par le Parlement Européen en septembre 2001 sur 25 ans d'application de la législation communautaire en faveur de l'agriculture de montagne. En effet, le Parlement a fait des propositions et il serait très utile que nous encouragions la Commission Européenne à passer de l'analyse du Parlement à des propositions concrètes. Enfin, l'action de lobbying des montagnards d'Europe doit être commune et résolue au sein de l'Europe des 15 actuelle et de la future Europe des 25, pour convaincre tout le monde de l'intérêt de l'agriculture de montagne. Dans ce domaine, nous pourrions valoriser des expériences réussies d'agriculture de montagne, notamment le travail réalisé par l'agriculture valaisanne en Suisse, et qui a été étudié par le Groupe Politique Agricole de la Montagne. En effet, à travers des approches scientifiques, ce travail tend à démontrer la multi-fonctionnalité de l'agriculture de montagne dans le Valais en décrivant les services rendus par l'agriculture aux concitoyens de ce territoire. Ce travail permet aussi de savoir ce que les concitoyens attendent de leur agriculture et donc de s'orienter vers une agriculture conforme à ces attentes. Ainsi, il est possible de décider des soutiens publics nécessaires dans ce sens et permet de légitimer des soutiens accrus. Ce travail, qui fait l'objet de travaux poursuivis avec le groupement d'intérêt scientifique Alpes du Nord et le Commissariat du Massif des Alpes, constitue une très bonne perspective d'évolution et de recherche pour l'avenir, car ce type d'approche permet de donner un contenu plus concret à la notion de multi-fonctionnalité de l'agriculture, d'apport de l'agriculture de montagne. Ainsi, en reconnaissant cet apport, il est possible de légitimer les aides en les expliquant mieux à nos concitoyens urbains, qui ont perdu leur culture rurale.

Concernant le pastoralisme, je serai assez bref, puisque vous connaissez bien le sujet. Le Conseil National de la Montagne a confié, en février 2001, à Clermont-Ferrand, au ministère de l'Agriculture, un travail sur le pastoralisme. Ce groupe de travail interministériel s'est réuni durant toute cette année sous ma présidence, et il a associé des professionnels agricoles, des élus de la montagne, et des parlementaires, au premier rang desquels le sénateur Amoudry. Je vais vous remettre les résultats de ce travail, sous la forme d'un rapport provisoire, qui a été rédigé en mars. En effet, à cette époque, nous approchions des échéances démocratiques que notre pays est en train de connaître, et le précédent gouvernement, étant dans la période dite de réserve, a estimé qu'il n'était pas pertinent que ce rapport lui soit remis à un mois des élections. J'ai demandé à Hervé Gaymard, nouveau Ministre de l'Agriculture, s'il souhaitait que ce rapport lui soit remis. Il sera remis au ministre au plus tard au mois de juillet. Il s'agit d'un travail très consensuel, qui offre de nombreuses pistes législatives, notamment pour les associations pastorales. En effet, nous souhaitons nous appuyer sur le Parlement, au premier rang desquels le Sénat. Il appartiendra à la douzième législature, qui s'ouvrira à partir du mois de juillet, d'en traiter. Je pense que le Sénat pourrait porter cette évolution législative, organisationnelle et financière afin de soutenir le pastoralisme.

Je terminerai sur un sujet qui constitue un problème, et sur lequel je pense qu'il serait utile que votre rapport se prononce : l'adaptation des bâtiments d'élevage, notamment en montagne, aux nouvelles règles du bien-être animal, de la sécurité sanitaire, de la traçabilité des produits. En effet, il existait dans ce sens un programme global, qui a peu bénéficié à l'agriculture de montagne : le Programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), mis en place en 1993. Or la Commission Européenne a découvert ce programme. Il s'agit là d'un défaut important dans la gestion des politiques agricoles en France, car certaines politiques sont lancées sans être notifiées au niveau européen. Il s'agit, en l'occurrence, d'une politique élaborée dans le cadre d'un accord entre le ministère de l'Agriculture et les organisations professionnelles agricoles, en 1993, par un protocole d'accord signé entre le ministère et la FNSEA, puis repris dans un texte qui n'était qu'une circulaire de ma Direction, et qui a pourtant suscité 915 millions d'euros de dépense. Toutefois, ce programme n'avait pas été notifié à l'Union Européenne. Or, le jour où elle s'en est aperçue, elle a entamé une procédure d'infraction à l'encontre de la France et nous avons dû modifier et justifier ce programme. Ceci a suscité un an de négociations. L'essentiel du programme, à savoir les concours publics qui pouvaient attendre 60 % des coûts, a été admis. Néanmoins, ce programme, qui va s'achever en 2006, est désormais centré sur les zones vulnérables et sur les zones prioritaires en matière environnementale. Ce programme concernait déjà de nombreuses régions, telles que la Bretagne ou les Pays de Loire. Or, a fortiori , ce recentrage sur ces zones prioritaires cible encore plus que par le passé ces zones dans lesquelles se pose un problème de qualité de la ressource en eau. Il est donc important, dans votre rapport, d'examiner l'adaptation des élevages en montagne. Dans ce cadre, nous disposons d'outils spécifiques tels que l'aide au bâtiment des élevages en montagne, l'aide à la mécanisation en montagne, qui sont des outils anciens, mais également les aides aux investissements, notamment le contrat territorial d'exploitation. Toutefois, nous devons concevoir un dispositif de soutien aux investissements d'adaptation des élevages en zone de montagne, hors PMPOA, et dotés de moyens financiers à une hauteur supérieure à celle que nous connaissons. En effet, nos aides aux bâtiments d'élevage ou à la mécanisation ont été augmentées, représentant actuellement 13,720 millions d'euros à 15,25 millions d'euros par an. En outre, le freinage du dispositif PMPOA a favorisé ces investissements. En effet, les moyens financiers étant sur une même ligne budgétaire, j'ai utilisé le fait que des crédits étaient non-dépensés sur le PMPOA pour les bâtiments d'élevage en montagne. Nous avons ainsi résorbé une bonne partie des files d'attente, mais ce problème va se reposer à partir de cette année. La question de l'adaptation des élevages, étant donnée la progression des normes sanitaires, ne sera pas donc réglée avec un soutien du ministère de l'Agriculture à 12,200 millions d'euros par an. Ainsi, votre rapport peut montrer que, puisque le PMPOA est centré sur les zones sensibles du point de vue de l'environnement et de la ressource en eau, et qu'il concerne donc peu la montagne, il existe encore des problèmes d'adaptation de nos élevages. Or ces problèmes peuvent entraîner le départ des agriculteurs de ces zones difficiles, le métier y étant trop contraignant et les normes devenant de plus en plus draconiennes. Une réflexion doit donc être conduite pour déterminer un mode de soutien aux investissements et aux adaptations de l'élevage en zone de montagne. En outre, même si nos partenaires du Budget ont tendance à considérer les aides aux bâtiments d'élevage comme des aides anciennes, datant des années 70, et devant être supprimées, je suis intimement persuadé que ces aides doivent non seulement être maintenues, mais qu'elles doivent aussi être amplifiées, dans le cadre d'un vrai programme d'adaptation des élevages de nos montagnes.

M. Jacques Blanc - Je vous remercie de cet exposé très intéressant et très brillant. Je laisse à présent la parole à mes collègues pour vous poser des questions.

M. Jean Boyer - Monsieur le Directeur, vous avez remarquablement brossé le tableau de la situation de l'agriculture de montagne, y compris pour le PMPOA, dans le cadre duquel nous constatons certaines anomalies. Je souhaiterais très modestement attirer l'attention sur un problème que vous connaissez. Vous avez évoqué la prime à l'herbe de 46 euros. Je voudrais ajouter que certains critères sont, en outre, posés pour accéder à cette prime, avec un pourcentage minimum de 75 % de la surface. Or, dans ce cadre, il semble que les lectures de l'administration manquent d'objectivité. Je peux vous citer deux exemples concrets. Tout d'abord, dans le département de la Haute-Loire, une parcelle a été détruite par des sangliers. L'agriculteur a eu l'honnêteté de dire que cette parcelle n'aurait pas, pour cette année, une vocation de prairie, ce qui a entraîné la suppression de la prime à l'herbe. Un autre agriculteur a vu ses terres faire l'objet d'un boisement progressif. Il a donc considéré que ce qui était en pâture trois ans auparavant ne l'était plus et il a eu l'honnêteté de faire une déclaration dans ce sens. Or, l'interprétation administrative de cette situation a entraîné une remise en cause de sa prime à l'herbe de 46 euros. Ainsi, je pense qu'il faudrait appliquer des règles de bon sens, tout d'abord en augmentant les primes, la somme de 46 euros à l'hectare étant ridicule, mais également en révisant les critères appliqués.

M. Pierre Jarlier - Monsieur le Directeur, je souhaite vous poser une question quant à la fiabilité du label montagne. En effet, nous savons que l'avenir de l'agriculture de montagne passera par une production de qualité. Or se posent aujourd'hui certaines questions quant à ce label. Tout d'abord, n'existe-t-il pas un risque de dérogation sur ce label et quelles sont les garanties que nous pouvons avoir sur ce dispositif ? Par ailleurs, pour que ces produits soient identifiés comme des produits de qualité, comment pouvons-nous augmenter la possibilité de réaliser ces démarches de labélisation dans la mesure où les acteurs de la filière reculent souvent devant une labélisation considérée comme inaccessible en termes de coûts ? Des dispositifs peuvent-ils être envisagés afin de faciliter ces démarches ?

M. Christian Dubreuil - Je souhaite tout d'abord revenir à la remarque de M. Amoudry concernant l'agriculture valaisane. En France, nous disposons d'une agriculture moderne, économiquement impliquée dans les courants d'échanges mondiaux, puisque nous avons beaucoup investi sur les progrès de la génétique. Néanmoins, l'approche valaisane pourrait représenter un apport supplémentaire dans nos travaux puisqu'il s'agit d'une agriculture plus archaïque, que les moyens financiers considérables de la région permettent de sauvegarder.

En effet, la Suisse peut se payer une agriculture qu'elle rémunère à un haut niveau, notamment à travers le prix du lait. Pour notre part, nous sommes la première agriculture européenne et la deuxième mondiale et nous partons de notre qualité pour nous inscrire dans les courants d'échanges mondiaux. Toutefois, l'apport Valaisan peut s'inscrire dans un travail assez fin d'identification des multiples apports de l'agriculture à la société, afin d'ouvrir le dialogue avec nos concitoyens urbains, et ainsi d'améliorer l'image de l'agriculture, pour permettre de légitimer les soutiens apportés à l'agriculture et de demander leur augmentation. J'ai, pour ma part, travaillé dans le cadre de l'Outre-Mer et je fais partie de ceux qui pensent que l'Outre-Mer constitue une chance pour la république. J'ai donc passé mon temps à expliquer l'importance de l'Outre-Mer à des personnes qui me disaient que ces territoires ne servaient à rien et coûtaient très cher. Or il en est de même pour l'agriculture, plusieurs années plus tard, bien qu'il s'agisse d'une activité économique très importante, car nos concitoyens ont le sentiment que l'agriculture coûte très cher, notamment sur le plan européen. L'exemple de l'agriculture valaisanne pourrait donc être intéressant à étudier dans ce contexte.

Concernant la question de l'appellation montagne, je pense qu'il s'agit d'un objectif nécessaire, même si ces labels peuvent apparaître comme des contraintes supplémentaires en termes de financement. Je pense que, dans le cadre d'une politique de qualité, nous devons avant tout expliquer les différents signes utilisés dans ce cadre (AOC, certificats de conformité, labels...), ainsi que leur contenu et la façon dont ils s'articulent. Pour cela, il serait important de donner un véritable contenu à un texte, qui est très bon dans son contenu juridique : l'Appellation montagne, en termes de qualité des produits transformés en zone de montagne. Or nous n'en sommes qu'aux prémisses de l'utilisation de ce texte. Je citerais en cela l'exemple du Cantal. Dans ce département, nous nous trouvons confrontés à un paradoxe total en ce qui concerne la viande porcine. En effet, du fait des problèmes de pollutions de l'élevage porcin intensif de Bretagne, nous ne pouvons plus construire de porcherie, y compris dans le Champsaur, alors que les problèmes d'épandage ne se posent pas du tout de la même façon et que, dans ces régions, il est possible de faire une agriculture locale de qualité. Ainsi, l'appellation « porc montagne », sur laquelle travaillent M. Champeix, et le Groupe de Cahors, réunissant des producteurs d'élevages porcins du Sud, constitue une voie pour dépasser ce balancier par lequel nous sommes passés de l'adage « dans le cochon, tout est bon » à la situation « plus aucune porcherie nulle part ». Ainsi, je pense que le décret Montagne est un bon décret qu'il faut appliquer strictement, même s'il n'a pas encore produit tout ce qu'il avait à produire. Il s'agit d'un véritable appui pour l'agriculture de montagne. Nous devons donc d'une part mieux expliciter les différentes entre les labels.

D'autre part, en termes de soutien, nous avons clarifié dans des textes récents ce que nous entendions par « agriculture raisonnée » ou « qualification des exploitations agricoles ». Ainsi, il existe des outils que nous pouvons mobiliser, notamment le CTE. En effet, la règle européenne est la suivante : au-dessus du niveau réglementaire et des bonnes pratiques agricoles, toutes les démarches peuvent être soutenues par la puissance publique et cofinancées par l'Union Européenne. Je peux citer le cas de l'opération « qualiterre », à savoir la qualification des exploitations agricoles en Picardie, qui est pionnière dans ce domaine. Or, dans le cadre de cette opération, le cahier des charges correspond aux mesures du CTE. Ainsi, l'agriculteur signe un CTE et une partie du coût des investissements en termes de certification de ses exploitations est finançable. Il faudrait donc, sur un certain nombre d'aspects, mieux articuler ce que l'Etat et l'Europe peuvent financer à travers des investissements éligibles, et ce que l'Etat peut continuer à financer à travers son budget 2003, notamment dans le cadre de la politique des CTE qui mobilisent des investissements importants en faveur de l'agriculture ou de l'agro-environnement. D'autre part, les questions sur lesquelles l'Etat peut plus difficilement intervenir pourraient incomber aux collectivités territoriales.

Quoi qu'il en soit, je pense que l'appellation montagne constitue un atout mais qu'il faudrait mieux qualifier les critères de qualité et mieux expliquer ce que sont les contraintes des uns et des autres. Ainsi, le débat entre l'agriculture durable et l'agriculture raisonnée a pu obscurcir les choses. Nous disposons désormais d'un référentiel récent concernant l'agriculture raisonnée. Par ailleurs, le terme « développement durable » doit être clarifié car nous avons intérêt à montrer que notre agriculture va dans le sens de la durabilité. Néanmoins, nos agriculteurs ont du mal à s'y retrouver parmi ces termes. Vous pourrez donc chercher à approfondir cette question avec mes collègues de la Direction des politiques économique et internationale et vous référer aux travaux récents du Conseil supérieur d'orientation de l'économie agricole et agroalimentaire ainsi qu'aux décrets récents sur l'agriculture raisonnée, qui contribuent à montrer quels sont les référentiels. Je pense que votre rapport pourrait contribuer à clarifier cette situation. Les agriculteurs vous en seraient reconnaissants.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, Monsieur le Directeur, pour votre intervention.

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