7. Audition de M. Bernard Baudin, président de l'Association nationale des chasseurs de montagne, membre du Conseil national de la montagne (23 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie Monsieur Baudin d'avoir
accepté, à l'invitation du Sénat, le principe de cette
audition en présence de mes collègues Messieurs Jean Boyer,
Sénateur de la Haute-Loire, Marcel Lesbros, Sénateur des
Hautes-Alpes, Auguste Cazalet, Sénateur des Pyrénées
Atlantiques et Pierre Jarlier, Sénateur du Cantal. Nous avons
décidé de conduire une mission d'information sur la politique de
la montagne comportant des auditions et des visites sur le terrain. Nous avons
souhaité vous rencontrer dans le cadre de cette mission, et plus
particulièrement dans celui du volet environnement de la loi montagne.
La chasse en haute montagne et en moyenne montagne est intimement liée
à la vie rurale traditionnelle et à la problématique de la
protection de la nature et de l'environnement.
M. Bernard Baudin -
Il est important qu'une mission parlementaire
s'intéresse à une activité aussi spécifique que
celle de la chasse, puisqu'elle varie autant en fonction des territoires que
des espèces. La chasse en montagne est encore une chasse authentique, ce
qui n'est pas toujours le cas dans d'autres départements français
où l'on assiste à une artificialisation de la chasse visant
à pallier le manque de gibier sauvage. Nous constatons en revanche dans
les zones de montagne une désertification des villages, à
l'exception des sites consacrés aux sports d'hiver. Le tissu social des
communes de montagne a été bouleversé. Alors que la chasse
était auparavant considérée comme une activité
totalement naturelle dans les familles, la disparition des agriculteurs a
laissé le terrain aux vacanciers issus des villes.
Les espèces étaient en diminution du fait des importants
prélèvements effectués après la guerre à des
fins alimentaires et de l'absence de gestion du patrimoine
cynégétique. Une fois la prise de conscience de la
raréfaction des espèces, de grands parcs nationaux ont
été créés : celui des Pyrénées,
le Mercantour, les Ecrins, la Vanoise, les Cévennes.
26 départements de l'hexagone sont concernés par ces parcs
nationaux qui permettent de mettre en réserve des superficies
très importantes. Cela a engendré, en une décennie, une
recolonisation d'espèces telles que le chamois, le chevreuil, le
sanglier, le mouflon ou le cerf. Cette colonisation a bien évidemment
débordé la zone centrale des parcs pour atteindre les zones
périphériques. Une gestion très pointue permet de
prélever chaque espèce en fonction d'un plan de chasse. Celui des
cervidés date de plus de vingt ans, alors que celui du chamois a
été instauré en 1989. Ces plans de chasse permettent de
fixer des objectifs de prélèvement en fonction des effectifs
comptabilisés et de maîtriser ainsi de manière
précise la croissance des populations. Le résultat de tels
dispositifs ne s'est pas fait attendre, puisque l'on constate que les effectifs
des zones concernées sont beaucoup plus importants qu'au début du
siècle. Aujourd'hui, il se prélève dans les
7 départements des Alpes 10 000 chamois,
24 000 chevreuils, 3 000 cerfs, 2 000 mouflons.
Dans les Pyrénées, on prélève
3 000 isards, 15 000 chevreuils, 4 000 cerfs et
300 mouflons. Le sanglier a colonisé tous les départements,
si bien que 5 000 sangliers sont prélevés tous les ans
dans chaque département, soit un prélèvement national de
80 000 à 100 000 sangliers. Je passe sur les
dégâts que les populations de sangliers sont susceptibles de
causer en montagne, et dont l'indemnisation incombe aux chasseurs.
Le petit gibier a moins subi de prédation dans la période
d'après-guerre, de sorte qu'il était en parfaite santé.
Les cultures ont certainement beaucoup contribué au développement
des populations de perdrix et de lièvres. Le phénomène de
désertification des zones rurales a eu une incidence notable puisqu'il a
entraîné une baisse des populations de petits gibiers comme celle
du grand Tétras, du petit Tétras, de la perdrix grise, de la
bartavelle, de la gélinotte, du lièvre variable et de la
marmotte. La chasse est loin d'être la cause principale de la diminution
des populations de galliformes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Le grand Tétras est-il
protégé ?
M. Bernard Baudin -
L'adoption des plans de chasse concourt même
à ramener à zéro les attributions de cette espèce
qui reste encore chassable. Par ailleurs, 1 200 petits Tétras
sont prélevés dans les Alpes, ainsi que 1 600 perdrix
grises dans les Pyrénées, 600 lièvres variables et
150 bartavelles. Ces populations sont suivies de très près
par des comptages au printemps et à l'été. Le grand gibier
est beaucoup plus facilement suivi que le petit gibier qui évolue
souvent sur des territoires qui ne sont pas spécifiquement
aménagés par les associations de chasse. Le petit gibier, et
notamment les galliformes de montagne, est constitué d'espèces
très sensibles à la fréquentation, et notamment à
la fréquentation touristique. Le ski de randonnée comme la
pratique des raquettes posent des problèmes croissants de partage de
l'espace. Il y a seulement une dizaine d'années, une station avait
procédé à une extension de site sans exiger une
étude d'impact, ce qui a entraîné la disparition d'une
population de 65 tétras tués dans les collisions avec les
câbles.
Nous observons actuellement une nouvelle incidence liée à
l'impact des populations de sangliers sur la nidification, puisque ces animaux
dévorent les oeufs des oiseaux qui nichent à terre. Ce
phénomène a même amené le Parc national des
Cévennes à donner une autorisation de prélèvement
portant sur 3 500 sangliers dans sa zone centrale.
Vous le constatez, il ne faut pas s'attacher seulement, en matière de
chasse, à la relation chasseurs/gibier. La sensibilité des
écosystèmes nous porte à réfléchir de
manière beaucoup plus large.
M. Jean-Paul Amoudry -
Pouvez-vous nous préciser ce qu'est un
tétras ?
M. Bernard Baudin -
Le tétras lyre appartient au genre
tétras qui comprend trois autres espèces : le grand
tétras (tétras urogalle), le tétras lyre du Caucase et le
grand tétras à bec noir. Le tétras lyre ou petit coq de
bruyère peuple le massif alpin et le nord des Ardennes. Dans les Alpes,
son aire de répartition s'étend sur près de
12 000 km². Le grand tétras habite les montagnes de l'est
de la France, Vosges, Jura, et dans les Pyrénées. Il a
pratiquement disparu dans les Alpes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous nous intéressons
particulièrement, dans le cadre de notre mission, à
l'articulation entre l'activité de la montagne, avec d'une part les
activités sportives et de loisirs, et d'autre part les
préoccupations environnementales. Pouvez-vous nous parler à
présent de la présence de l'ours dans les Pyrénées
ou du loup dans les Alpes. Quel est l'impact de ces espèces de grands
prédateurs ?
M. Bernard Baudin -
On compte en France trois grands
prédateurs : le lynx, l'ours et le loup. L'introduction de l'ours a
été précédée par une phase de
réflexion dans laquelle se sont impliqués tous les partenaires
(chasseurs, agriculteurs, éleveurs, élus). Il n'en a pas
été de même pour le loup à propos duquel
l'Assemblée Nationale a créé une mission qui s'est
traduite par un rapport concluant que le loup est incompatible avec le
pastoralisme. Le loup est arrivé de manière incidente,
c'est-à-dire sans introduction officielle, dans les Alpes-Maritimes, de
sorte qu'il a toujours été contesté, notamment par les
élus, les agriculteurs et les chasseurs. J'affirme qu'il n'y a jamais eu
au ministère de l'Environnement, de projet spécifique concernant
l'introduction du loup. En 1986, le parc national du Mercantour s'est plaint de
prédations importantes dont il s'est avéré par la suite
qu'elles étaient le fait d'un loup d'élevage ; en effet,
rien n'interdisait à quiconque de posséder un loup. Lors de cette
découverte, le ministère de l'Environnement nous a assuré
qu'il faudrait au moins une décennie au loup pour se développer.
Résultat : quatre à cinq ans plus tard, nous comptions une
trentaine de loups dans le département des Alpes maritimes, avec une
colonisation systématique de toutes les vallées.
Une telle propagation n'a pas manqué de nous intriguer, d'autant que les
prédations n'ont pas été observées sur le versant
italien des Alpes. Sont concernées les Alpes de Haute Provence, les
Hautes Alpes, les deux Savoies, l'Isère et même la Drôme,
avec une incursion dans le Var. Pour mémoire, je vous rappelle que le
programme Life pour le loup atteignait 3,66 millions d'euros en
4 ans, soit une somme considérable par individu. On compte cette
année dans les six départements concernés, plus de 450
constats officiels, dont 277 pour les seules Alpes-Maritimes. S'y ajoute
l'ensemble des sommes dévolues à la protection en vue de la
construction de cabanes pastorales, du recrutement d'aides aux bergers et de
l'acquisition de chiens spécialisés dits « chiens
Patou ». Ces derniers, dont l'achat est onéreux, ont permis de
limiter les prédations, mais ils présentent l'inconvénient
de poser quelques problèmes ce qui occasionne de nombreuses plaintes
auprès des mairies. D'autre part, il est difficile de trouver des chiens
Patou en nombre suffisant, dans la mesure où il en faut un pour cent ou
cent cinquante bêtes, alors que certains troupeaux comptent
2 000 bêtes. Enfin, ces chiens agressifs ont un impact sur la
petite faune. Le fait que la réglementation concernant les zones
centrales de parcs stipule clairement qu'il est interdit d'y
pénétrer avec un chien, achève de cristalliser le
mécontentement de la population.
Le loup peut être un facteur de développement économique
pour les parcs. Des milliers de personnes se rendent chaque année dans
le Centre du loup de Lozère. Si l'on met à part ces
expériences marginales, le loup ne suscite aucun attrait touristique
puisqu'il est pour ainsi dire impossible d'en voir, compte tenu de sa
discrétion.
Les agriculteurs et les éleveurs demandent une éradication totale
du loup. Ils considèrent qu'il leur est impossible d'exercer leur
activité professionnelle. Il est clair qu'ils sont placés dans
une situation difficile, puisque la transhumance suppose de faire monter depuis
la plaine des troupeaux de plusieurs centaines de bêtes et de les faire
stationner plusieurs mois malgré les agressions constantes. Au
début, le système d'indemnisation a engendré certaines
dérives, mais cela n'a pas duré longtemps. Désormais, les
éleveurs sont excédés, ne serait-ce que parce qu'il est
déprimant de voir des bêtes être dévorées.
Le problème de la chasse tient au fait qu'il ne s'agit pas d'une
activité professionnelle, mais d'un loisir. Lorsque nous critiquons la
présence du loup, on nous objecte, sans doute avec raison, que le plus
gros prédateur d'un département de montagne, c'est le chasseur.
Il reste que le chasseur ne voit aucun intérêt à
l'arrivée du loup. Ce qui nous gêne, c'est que cet animal
s'attaque à toutes les espèces. Tous les ongulés sont
touchés, à commencer par les mouflons, dont la population est
passée de 1 500 individus à 250 dans les Alpes
maritimes, notamment sous l'effet de deux hivers très enneigés.
Le chamois, du fait de sa méfiance, de son agilité et du fait
qu'il va dans des endroits escarpés et découverts, résiste
mieux. Le cerf paie en revanche un lourd tribut.
Les élus ne sont pas favorables au loup, puisqu'ils craignent un abandon
de la location des terrains communaux de transhumance. A ce problème
économique, s'ajoute le fait que les troupeaux de moutons jouent un
rôle environnemental, puisqu'ils assurent lors de leur stabulation en
altitude, un nettoyage des pâturages.
M. Auguste Cazalet -
Le recul de la transhumance crée
également des problèmes d'avalanches.
M. Bernard Baudin -
En effet, l'herbe qui n'est pas mangée
constitue un facteur d'avalanches favorable à leur déclenchement
naturel.
M. Jean-Paul Amoudry-
Pouvez-vous nous donner l'analyse de votre
fédération au sujet du lynx ?
M. Bernard Baudin -
La présence du lynx dans les Alpes
françaises est due à une extension de l'espèce depuis la
Suisse. En effet, entre 1971 et 1976 ce pays a procédé à
des lâchers de réintroduction qui sont à l'origine de la
colonisation des départements de l'Ain, du Doubs, du Jura, de la Savoie
et de la Haute Savoie. Depuis, le lynx a étendu son aire de
répartition vers le sud en gagnant progressivement les
départements de l'Isère, des Hautes Alpes, des Alpes de Haute
Provence et des Alpes Maritimes. A la limite de ces deux départements,
des indices de présence ainsi que des observations de l'espèce se
sont révélés depuis quelques années.
Sur initiative du ministère de l'environnement et du WWF,
l'espèce a fait l'objet de lâchers de réintroduction dans
les Vosges à partir de 1983. Le lynx occupe depuis une partie de l'est
de la France.
Dans les Pyrénées, l'espèce est également
mentionnée et semble ne jamais avoir disparu du massif.
S'agissant de l'ours, le problème est moindre dans la mesure où
les moyens mis en amont permettent de le suivre, de sorte que des
prélèvements peuvent être pratiqués sans
difficulté en cas d'incident.
M. Auguste Cazalet -
Quand j'étais enfant, on ne voyait pas de
sangliers, alors qu'aujourd'hui des battues aux sangliers sont
nécessaires. Dans ma région, la prolifération des
chevreuils devient un phénomène nuisible. Et je ne parle pas des
renards... J'ai l'impression que le braconnage permettait auparavant une forme
de régulation.
M. Bernard Baudin -
Ces phénomènes sont tout d'abord la
conséquence de la population des animaux. Je vous rappelle que les
chevreuils ont des fréquences de reproduction rapide, puisqu'une
chevrette donne chaque année naissance à deux, voire trois
petits. Une population de chevreuils quintuple en cinq ans. Face à la
surpopulation, certaines associations de chasseurs n'ont pas souhaité
beaucoup prélever. Dans le cas du sanglier, des
fédérations ont interdit, outre l'abattage de meneuses de hardes,
le fait de tirer sur des individus de plus de 50 kilos. Lorsque l'on sait
que le taux de reproduction du sanglier est de 300 %, on imagine la
croissance de sa population. Face à ces problèmes, nous avons
assisté à une politique d'aménagement du territoire
axée sur des implantations de cultures et de l'agrainage. Il en
découle aujourd'hui que la population de sangliers culmine aujourd'hui
à 350 000 têtes.
Le renard figure depuis toujours dans la liste des 18 espèces
« susceptibles d'être nuisibles ». Cette
classification le rend susceptible d'être piégé. Alors que
cette pratique était développée dans le passé, la
disparition de bon nombre d'agriculteurs l'a raréfiée. La
suppression des décharges sauvages en montagne a permis toutefois d'y
limiter la prolifération des renards. On assiste donc à une
colonisation par ces animaux des zones périurbaines, où il reste
encore des décharges.
M. Auguste Cazalet -
Combien compte-t-on de petits dans une
nichée de renard ?
M. Bernard Baudin -
On en compte rarement plus de deux ou trois.
J'ajoute que les poisons comme la strychnine ont été interdits.
Le renard bénéficie donc d'un contexte très favorable
à sa prolifération.
M. Pierre Jarlier -
Natura 2000 a suscité de nombreuses
interrogations. Pensez-vous que Natura 2000 soit compatible avec la pratique de
la chasse traditionnelle ?
M. Bernard Baudin -
Natura 2000 a été
créé en application de la directive Habitat, Faune, Flore.
L'aménagement des habitats est un point essentiel à nos yeux. Il
se trouve que l'information n'a pas été très bonne. Des
zones de protections spéciales appelées ZPS ont été
mises en place sans que l'on ait connaissance des interdictions de chasse qui
en découlent, si bien que le traumatisme suscité lors du
lancement des parcs nationaux revient dans la mémoire des chasseurs et
des agriculteurs. Alors que la relation conflictuelle existant entre les parcs
et le monde agricole commençait, si l'on omet le problème du
loup, à s'estomper, Natura 2000 risque de raviver les tensions. Cela
dit, on ne peut être que partisan de Natura 2000 si ce programme se
borne à l'aménagement de l'espace.
M. Pierre Jarlier -
Connaissez-vous des cas où l'on ait interdit
la chasse ?
M. Bernard Baudin -
Pour le moment, je n'en connais pas, mais j'ignore
quelles mesures seront prises à l'avenir. Nous avons
apprécié que le préfet de mon département nous
demande de procéder à l'inventaire de la faune, car cela nous a
amenés à formuler des propositions pour les différentes
espèces.
M. Jean-Paul Amoudry -
L'essentiel a été retracé
dans votre intervention. Nous avons maintenant une bonne idée de
l'impact des grands prédateurs que sont le loup, le lynx ou l'ours sur
l'évolution des peuplements de grand et de petit gibier.