6. Audition de M. Pierre Radanne, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (23 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Nous vous remercions tout d'abord de votre
coopération à nos travaux. Le Président de la Commission,
Jacques Blanc, vous prie de l'excuser pour son absence. Il m'a chargé de
le remplacer, aussi bien pour présider la séance que rapporter
les travaux. Je suis accompagné de mes collègues Jean Boyer,
Sénateur de la Haute-Loire, de Marcel Lesbros, Sénateur des
Hautes-Alpes, Auguste Cazalet, Sénateur des Pyrénées
Atlantiques et Pierre Jarlier, Sénateur du Cantal et Secrétaire
général des élus de la montagne. Nous sommes ici pour vous
entendre sur les sujets qui intéressent la montagne dans le cadre de la
mission impliquant plusieurs commissions du Sénat et dont le
dépôt de conclusions aura lieu au mois d'octobre prochain.
L'objectif de cette mission est d'établir des propositions à
l'adresse du Parlement qui sortira des urnes dans quelques semaines. Dans cette
optique, nous souhaitons faire le bilan de l'application de la loi de 1985 et
des nombreux textes qui l'ont enrichie ou modifiée. Nous souhaiterions
donc connaître vos positions sur les sujets dont la liste vous a
été transmise.
Je vous propose de nous faire une brève présentation de l'ADEME,
avant d'aborder les questions plus techniques concernant en particulier les
énergies renouvelables et le bois énergie.
M. Pierre Radanne -
Monsieur le Président, Messieurs les
Sénateurs, mon intervention se structurera essentiellement autour de
trois sujets. Un sujet général sera consacré à
l'exposé des modes d'intervention de l'ADEME, afin que nous
précisions les difficultés d'intervention que la montagne nous
pose ; un autre sujet sera consacré à la politique
déchets et aux énergies renouvelables ; enfin, je vous
communiquerai quelques éléments sur le développement
durable.
L'ADEME est forte de 830 personnes et de 30 implantations
territoriales, si l'on inclut les DOM et les TOM. Nos trois sites centraux
d'implantation sont Paris, Angers, qui deviendra à partir de la semaine
prochaine notre siège national, et Sophia Antipolis, à
proximité de Nice. Placée sous la triple tutelle des ministres
chargés de l'environnement, de l'industrie et de la recherche, l'Agence
est un EPIC qui est notamment chargé de coordonner, de faciliter ou de
réaliser les opérations suivantes :
- la prévention et la lutte contre la pollution de l'air ;
- la limitation de la production de déchets, leur élimination,
leur récupération et leur valorisation, la protection des sols et
la remise en état des sites pollués ;
- la réalisation d'économies d'énergie et de
matières premières et le développement des énergies
renouvelables ;
- le développement des technologies propres et économes ;
- la lutte contre les nuisances sonores.
Ces différents secteurs correspondent à l'essentiel des
métiers techniques dans le domaine de l'environnement, en dehors des
métiers de l'eau qui sont traités par d'autres agences.
Dans ces domaines, l'agence exerce des actions d'orientation et d'animation de
la recherche, de formation, de diffusion technique, de soutien aux
études de préparation de projets, d'information et de
sensibilisation.
L'ADEME conduit 20 000 projets par an, pour un budget de
3 milliards de francs par an, soit un peu moins de 500 millions
d'euros. Notre impact en investissements induits atteint 20 milliards
de francs par an, soit 3 milliards d'euros.
Un Conseil d'administration définit la politique de l'ADEME, mais nos
commissions d'attribution des aides sont très ouvertes sur la
société. Des commissions régionales traitent les budgets
de taille modeste, alors que les très gros projets sont
gérés par des commissions nationales. Ces commissions associent
les services de l'Etat, des représentants des élus, dont
notamment l'Association des maires de France, ainsi que l'ensemble des secteurs
de la vie économique et sociale (fédérations
professionnelles ou associations). Au total, environ 500 personnes, en
majorité extérieures aux services de l'Etat sont associées
aux processus de décision de l'ADEME. Le Sénateur Gaudin est
d'ailleurs le représentant du Sénat à notre Conseil
d'Administration.
Pour diriger l'établissement, nous avons conclu avec l'Etat un contrat
de plan sur une période de sept ans (2000-2006). Il ne s'agit pas
seulement d'un contrat d'objectif, puisque des engagements de résultat
quantifiés y figurent.
L'ADEME n'a pas pour vocation de fonctionner seule. Notre mode d'intervention
privilégié est le partenariat, notamment avec les
collectivités territoriales. Ainsi, nous sommes associés dans le
cadre de contractualisations annuelles avec un grand nombre de
départements, ainsi qu'avec l'ensemble des 26 régions, dans
le cadre du contrat de plan Etat-région (CPER). Ce type de partenariat
représente le tiers de notre budget et entraîne une contribution
des collectivités territoriales équivalente, soit
140 millions d'euros.
La montagne constitue un espace d'application des politiques nationales. Un
certain nombre de nos actions ont en effet pour cadre le territoire national
dans son ensemble. Il se trouve d'ailleurs que la loi de 1992 sur les
déchets ne comporte pas d'éléments prenant en compte la
nature et les spécificités des territoires, alors que des
difficultés se posent au niveau de la collecte sélective et le
traitement des déchets en montagne. La montagne est évidemment
pour nous un espace à protéger et à valoriser.
J'évoquerai cet aspect au travers du problème spécifique
de la réhabilitation des décharges d'ordures
ménagères et de celui des constructions touristiques. Nous avons
ainsi une collaboration avec le Club Alpin en matière de tourisme
durable, pour réguler l'équipement et la gestion des sites de
montagnes. A ce propos, je vous rappelle que les parcs naturels
régionaux apparaissaient, au moment de leur constitution, comme des
zones protégées. Pourtant, ces zones apparaissent aujourd'hui, du
fait de l'action des syndicats de communes, comme plus dynamiques que des zones
situées en dehors. Il y a là une capacité d'organisation
et de travail que le temps a largement récompensé.
La montagne est également pour nous un espace de solidarité,
notamment à travers des activités créatrices d'emplois. A
cet égard, la filière bois nous apparaît être
l'activité qui reste quand « tout est parti ». A
partir de l'exploitation du bois et du développement de
l'économie locale qui en résulte, il est possible de mettre en
place des capacités de prise en charge collective.
Dans la même logique, nous avons à tenir compte des
difficultés financières des petites communes. Nous avons aussi
à conduire dans les zones de montagne une action particulière en
matière d'information. Ainsi soutenons-nous des associations locales
pour faire de l'information directe auprès des particuliers.
La montagne est aussi à nos yeux un espace de développement dans
lequel nous devons soutenir des stratégies pertinentes, par exemple en
promouvant le Contrat ATEnEE (actions territoriales pour l'environnement et
l'efficacité énergétique) mis en place sous l'égide
du MATE
1(
*
)
, en association avec
la DATAR, afin de proposer à l'ensemble des pays, agglomérations
ou parcs naturels régionaux un contrat d'intervention avec l'ADEME et
ses partenaires.
Après cette présentation générale, je vais exposer
la politique que nous conduisons en montagne en matière de
déchets. Comme vous le savez, le ramassage des ordures en montagne est
particulièrement coûteux. Par ailleurs, l'incinération ne
semble pas adaptée aux communes à la population peu nombreuse. A
cela s'ajoute une difficulté particulière liée à la
présence d'activités saisonnières à forte
variation, avec la nécessité de mettre en place une logistique
supplémentaire. Pour faire face à ce problème de
capacités, nous expérimentons des solutions transitoires de
stockage, afin de pouvoir étaler le traitement des déchets. Nous
vous fournissons sur ce point un dossier consacré aux déchets en
montagne. Il récapitule toutes les préconisations que nous
faisons dans ce domaine aux collectivités locales.
Notre démarche en matière de déchets en montagne se
décline selon deux types. Nous conduisons d'une part des actions de
regroupement de déchets en vue d'amortir certains équipements.
Cela dit, un regroupement trop poussé génère des
camionnages importants, notamment lorsqu'il s'agit de zone difficile
d'accès. Il faut donc développer aussi des solutions locales,
avec des circuits courts.
Comme je l'ai dit précédemment, la loi de 1992 ne prenait pas en
compte les spécificités territoriales. La constitution d'un
ministère de l'environnement et de l'aménagement du territoire a
permis, grâce à une circulaire signée par Dominique Voynet
en avril 1998, de reconnaître des spécificités
territoriales. Sur la base de cette circulaire, nous avons mis en place un
système de discrimination positive en faveur notamment des zones de
montagne, avec l'application d'un taux d'aide de 10 %
supplémentaire. Dès qu'une zone présente des
difficultés de prise en charge structurelles, nous faisons jouer la
solidarité nationale. D'après des études menées en
commun avec l'AMF (Association des maires de France) portant sur les
écarts de coûts entre traitement des déchets en zones
urbaines denses, périurbaines, le rural profond et les zones
d'accès difficile, il est fait souvent état d'un surcoût
allant jusqu'à 20 %, et cela malgré une fréquence
très basse de ramassage. Au travers de la contractualisation avec les
26 régions et les 99 départements, nous avons pu mettre
en place un système de programmation pluriannuel de la politique des
déchets permettant de planifier des capacités d'intervention.
Cela nous permet également de mobiliser sur la politique déchets
des crédits du FEDER.
Si l'on analyse l'état d'avancement de la politique déchets, il
s'avère que la mise en place des déchetteries sur l'ensemble du
territoire national est pratiquement achevée. Celles-ci sont
désormais au nombre de 3 000, soit pratiquement l'objectif
fixé. La collecte sélective des emballages est
réalisée à 72 %. Les zones de montagne ne sont pas
d'ailleurs pas forcément celles où il y a le plus de retards en
la matière, puisqu'une région comme Rhône-Alpes a toujours
été en avance dans ce domaine. On constate cependant un retard
dans le renouvellement des parcs d'incinérateurs. Cela est dû au
fait que certains départements, à l'image de la Savoie, ont
été contraints de fermer une bonne partie de leurs
incinérateurs en raison de leur vétusté.
Nous avons encore beaucoup à faire dans le domaine de la valorisation
des fermentescibles, c'est-à-dire de la partie biologique des
déchets. Ce dossier est crucial car nous constatons dans notre pays un
appauvrissement régulier des sols. L'agriculture puise dans le sol sans
que l'on réinjecte assez de matière organique. L'ADEME
mène dans ce domaine une politique de la qualité axée sur
la valorisation des déchets agricoles, des déchets verts des
collectivités locales, voire de certains déchets organiques
produits par les ménages. Avec le compost ainsi produit nous parvenons
à un amendement de qualité, adapté au terroir, et qui
vient en complément d'engrais classiques n'apportant rien en termes de
liants structurels sur le sol. Il faut savoir, et cette réalité
est également valable pour la montagne, que 74 % des sols du
pourtour méditerranée sont classés dans des zones ayant
atteint un stade d'appauvrissement, celui qui précède la
désertification. On constate en outre dans les zones de montagne, en
particulier sur le flanc Sud du Massif Central, des problèmes de
ravinement qui conduisent à une dégradation de la qualité
des sols. Nous devons donc nous associer à une politique de
reconstruction des sols.
Les volumes actuels d'investissement de la politique des déchets, en
application de la loi de 1992, avoisinent les 10 milliards de francs, soit
1,5 milliard d'euros par an. La masse de déchets dont on modifie
l'écoulement à travers ces actions est de l'ordre de
2 millions de tonnes de déchets.
En matière d'énergies renouvelables, le bois joue un rôle
central dans les zones de montagne. Le bois reste un secteur de consommation
d'énergie important pour la France, puisque 5 % de l'énergie
qui y est consommée provient du bois. Le bois est la deuxième
énergie de chauffage des ménages. Il est surtout utilisé
dans les maisons individuelles du secteur rural. Ainsi, la consommation du
secteur rural est-elle de 8,5 millions de tonnes équivalent
pétrole. On assiste toutefois aujourd'hui à une certaine tendance
au recul, dans la mesure où le bois est un mode de chauffage qui reste
souvent l'apanage de personnes âgées ou de maison
présentant des standards de confort assez faibles.
Pour le chauffage domestique au bois, l'ADEME a engagé trois actions
majeures. Tout d'abord, nous encourageons le développement de
systèmes de chauffage plus performants, afin que les personnes utilisant
le bois bénéficient d'un standard de confort comparable à
celui des autres modes de chauffage. Dans cet esprit, nous avons lancé,
avec l'ensemble des producteurs de matériel de chauffage existants en
France, le label Flamme Verte. Son objectif est d'améliorer de
10 % le rendement des systèmes de chauffage, ce qui revient
à réduire « la corvée de
bûches ». Le label Flamme Verte progresse bien.
Les modes de chauffages classiques tels que le fioul ou le gaz atteignent des
rendements (taux de conversion en chaleur) allant de 80 % à
95 %, alors que les meilleurs poêles à bois atteignent
70 %. Pour mémoire, les poêles de notre enfance avaient un
rendement de 35 % ; une cheminée ouverte a quant à elle
un rendement limité à environ 10 %.
Notre second axe d'action porte sur la caractérisation du bois pour
mieux informer le consommateur. Dans ce cadre, une marque NF doit être
mise en place en partenariat avec des producteurs de bois de chauffage.
Enfin, en vue de soutenir l'utilisation du bois comme énergie d'appoint,
notre action consiste à associer le bois à d'autres
énergies, comme par exemple l'électricité. Ce type de
solution se développe très rapidement, notamment dans les zones
périurbaines et chez des ménages jeunes. Compte tenu de ces
efforts de relance, nous envisageons d'accroître d'ici à 2010 la
consommation de bois dans le chauffage domestique des ménages de plus de
deux millions de tonnes équivalents pétrole, au détriment
de combustibles importés comme le gaz ou le pétrole.
A côté des actions menées dans le domaine de l'habitat
individuel, nous encourageons le développement de petits réseaux
de chaleur, c'est-à-dire adaptés au chauffage de petits
hôpitaux ou de bâtiments communaux (écoles, HLM, etc.). Nous
avons dans notre contrat de plan un objectif de 1 000 chaufferies
collectives et industrielles d'ici à 2006. Le rythme actuel, qui atteint
150 installations par an, devra donc être accru. Les systèmes
mis en place équivalent d'ores et déjà à un
transfert vers le bois d'une consommation annuelle de 50 000 tonnes
d'équivalent pétrole ; ils présentent
l'intérêt de permettre une substitution des importations
d'énergie par du travail dans les zones qui ont le plus besoin
d'emplois. Ces actions portent sur des programmes qui concernent
essentiellement la moyenne montagne : ils connaissent plus de
succès dans les Vosges, le Jura et le Massif central que dans les Alpes
et les Pyrénées. Actuellement, le montage de projets collectifs
bois représente un investissement total de 50 millions d'euros.
Outre le bois, nous intervenons dans le domaine des énergies
renouvelables permettant de produire de l'électricité. Certaines
actions visent à apporter l'électricité dans des zones
reculées hors réseau, grâce notamment à
l'utilisation de cellules photovoltaïques qui captent l'énergie
solaire pour la convertir en électricité. Ces techniques nous
permettent de procéder à l'électrification de refuges et
de bâtiments très isolés.
L'essentiel de l'activité en matière d'énergies
renouvelables est bien évidemment raccordé sur le réseau
EDF. Une directive européenne indiquant des objectifs précis dans
ce domaine a été transcrite dans le droit français
à travers la loi électrique de février 2000, puis dans le
cadre d'une programmation pluriannuelle des investissements. L'objectif
fixé à la France est l'accroissement de 15 % à
21 % de la part des énergies renouvelables. Ce volontarisme
s'explique tout d'abord par le fait que la Commission européenne
voudrait réduire le taux de dépendance énergétique
prévisible de 70 % pour l'ensemble de l'Union à l'horizon
2030. En outre, il s'agit pour la Commission de contribuer à atteindre
la réduction des émissions de gaz à effet de serre,
conformément au protocole de Kyoto dont la ratification conjointe par
les pays de l'Union Européenne devrait intervenir cet
été, avant le sommet de Johannesburg sur le développement
durable. Je tiens à préciser à cet égard que la
consommation de bois n'est pas émettrice de gaz à effet de serre.
En effet, si toute combustion émet du CO2, la combustion du bois dans un
pays qui ne connaît pas de déforestation est absorbée dans
l'atmosphère par les nouvelles générations d'arbres.
Nous devons produire d'ici à 2010 une quantité d'énergie
supplémentaire à partir des énergies renouvelables se
situant, selon les estimations, entre 40 et 46 térawattheures
(TWh), ce qui est considérable. Pour y parvenir, il faut citer avant
tout, en ce qui concerne les zones de montagne, l'énergie hydraulique.
Pour atteindre les objectifs que j'ai cités, il faudra mettre en service
une capacité supplémentaire de 1 000 mégawatts.
Les nouvelles installations devront bien entendu respecter les contraintes
environnementales des zones concernées. Une part importante de notre
effort sera par ailleurs consacrée à l'éolien. Des tarifs
de rachat incitatifs ont été décidés par le
ministère de l'Industrie, de sorte que nous avons la possibilité
de développer l'énergie éolienne sur le littoral, dans le
couloir de la vallée du Rhône ou en offshore.
Le dernier domaine de recherche concernant les énergies renouvelables
est le solaire thermique. L'accent avait été mis dans les
années 80 sur l'utilisation du solaire pour produire de l'eau
chaude domestique. Nous avons prolongé cette action par le lancement
d'un programme très actif, à la fois dans les DOM et sur le
territoire métropolitain, notamment dans le Sud du pays. Le Plan Soleil
permet actuellement une très forte augmentation des parts de
marché des capteurs solaires, grâce à des subventions
conjointes de l'ADEME et des conseils généraux. Ces programmes
impliquent bien entendu l'ensemble des régions alpines, la Corse, les
régions pyrénéennes et le Massif central.
Je vous propose à présent d'analyser spécifiquement les
investissements que l'ADEME réalise dans le domaine des énergies
renouvelables en montagne (Alpes du Nord, Alpes du Sud, Vosges, Jura,
Pyrénées, Massif Central). En 2001, nous avons
déclenché à ce titre 17,4 millions d'euros, soit
114 millions de francs, à travers 651 interventions, dont un
peu plus de la moitié concernent le bois combustible (9,7 millions
d'euros).
L'ADEME intervient dans le domaine des transports à un double titre.
Afin de réduire la pollution atmosphérique et l'émission
de gaz à effet de serre, nous soutenons en premier lieu les transports
collectifs en secteur diffus. C'est le cas notamment dans le Massif Central,
avec des opérations d'affrètement de taxis en relais du
réseau ferroviaire pour assurer l'acheminement des populations vers leur
domicile. Nous avons d'autre part soutenu le transfert des déchets par
rail dans la vallée de la Maurienne pour dégager les voies de
communication routière. Le point capital qu'est le passage du transport
routier de marchandises à travers les grands massifs fait l'objet d'une
collaboration avec les autres services de l'Etat en vue de promouvoir les
transports combinés. Nous avons finalisé d'importants projets de
réutilisation du Rhône comme voie de transport fluvial, notamment
dans le cadre des échanges entre l'Italie et la France. La mise en place
d'une liaison de transport combiné fluviale régulière
entre Fos et Châlon-sur-Saône a été
décidé la semaine dernière ; il se substituera
à la circulation de 10 000 camions par an. Nous travaillons
également avec les Italiens et les Espagnols à la mise en place
des liaisons de transports fluviaux-maritimes Barcelone/Marseille/Dijon et
Livourne/Marseille/Dijon, à travers du cabotage et des bateaux
spéciaux permettant de remonter le Rhône. Ces initiatives, dont je
précise qu'elles sont rentables, peuvent paraître marginales, mais
elles démontrent que le transport fluvial permet de réduire des
trafics de biens non périssables. Elles permettent de désengorger
le trafic routier, notamment pour le franchissement des Alpes et des
Pyrénées.
Avec le Contrat ATEnEE, il ne s'agit pas de soutenir une action
particulière. Nous voulons en effet proposer aux collectivités
territoriales des modes de contractualisation avec l'ADEME qui soient communs
à tous nos secteurs d'intervention (déchets, énergie...)
et qui permettent d'apporter une solution dans trois cas de figure.
Tout d'abord, une collectivité territoriale peut vouloir participer
à l'une des politiques de l'Agence, mais ne dispose pas des
capacités suffisantes en personnel ou pour le faire. De fait, les zones
rencontrant le plus de difficultés dans notre pays sont aussi celles qui
disposent du moins de ressources humaines pour monter des projets. Le Contrat
ATEnEE permet dans ce cas d'aider à hauteur de 30 % la mise en
place de chargés de mission dans les structures de gestion des
territoires retenus, afin de mettre en place des politiques de
développement durable.
Il existe d'autre part des collectivités qui, si elles disposent du
personnel adéquat, ont un problème d'accès aux
méthodes. Nous leur proposons alors un soutien de 50 % lors du
recours à des cabinets d'études extérieurs chargés
d'assurer l'animation de la démarche et la mise en place des dispositifs.
Enfin, nous apportons un soutien aux collectivités disposant de
personnel et d'une expérience en matière de méthodes, mais
désireuses de s'engager dans une activité pluriannuelle, sous la
forme d'un cadre de contractualisation de trois ans grâce auquel les
collectivités identifient leur programme d'intervention. Cet aspect est
pour nous quelque chose de nouveau ayant nécessité un long temps
d'élaboration. Il s'agit d'une structure de contrat territorial, qui
favorise les intercommunalités autour des projets de territoires. Elle
est destinée non seulement aux pays constitués au sens de la loi
sur l'aménagement du territoire, mais aussi aux pays en cours de
constitution. Elle s'adresse également dans le même esprit aux
agglomérations et aux parcs naturels régionaux. Notre
fierté est d'être à la disposition de nos partenaires et de
leur donner la visibilité nécessaire au montage de leurs projets.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour cette présentation
très complète. Vous avez su mettre l'accent sur les
particularités de votre activité qui sont liées à
la spécificité montagne.
M. Pierre Jarlier -
Vous nous avez en effet exposé une vision
très détaillée de ce que fait l'ADEME. La politique de
contractualisation a créé beaucoup d'espoirs au moment où
a été mise en place la collecte sélective des
déchets ménagers. Elles ont créé une dynamique au
sein des territoires intercommunaux. Cependant, force est de constater que les
contractualisations ont connu certaines difficultés, dans la mesure
où certains engagements n'ont pas été tenus. Une fois la
contractualisation lancée, des collectivités ont amorcé
des politiques d'investissement très lourds, au point qu'il ait fallu
faire appel à la DGE pour pallier le fait que l'ADEME n'a pas
été, pour des raisons budgétaires indépendantes de
sa volonté, en mesure d'honorer ses engagements. La contractualisation
n'a donc pas pu servir l'ensemble des investissements envisagés au
départ. Aussi faudrait-il examiner aujourd'hui s'il existe d'autres
modes de contractualisation que le contrat territorial. Vous nous avez
parlé de la valorisation des déchets organiques. Or si des
solutions de valorisation sont trouvées dans le domaine des
fermentescibles, nous nous trouvons confrontés à de grandes
difficultés, en zone de montagne, dans le domaine des boues de stations
d'épuration, en liaison avec l'épandage. Quelles propositions
faites-vous face à ce problème ? Avez-vous établi des
comparatifs de coûts au sujet de l'évolution des modes de
transport de marchandises, notamment sur le réseau fluvial ?
Comment l'ADEME appuie-t-elle l'alternative rail ?
M. Pierre Radanne -
Je vais m'exprimer devant vous très durement
et très franchement. A mon arrivée à l'ADEME, la politique
développée nécessitait un budget de mise en place de plus
de 15 milliards d'euros. La gestion des moyens disponibles nous a
très vite mis dans le mur. Ce problème a été
masqué après 1992 par la phase de constitution des
intercommunalités. A partir des collectivités de 1995, les
collectivités municipales ont commencé à nous faire part
de leurs projets. Or à l'époque, l'ADEME s'était
inquiétée d'une insuffisance de projets, de sorte qu'elle avait,
bien imprudemment, augmenté ses taux d'aides. Je me suis donc
aperçu dans le courant de l'année 1998 que l'ensemble des projets
des années 1999/2001 représentaient un montant de
1,15 milliards d'euros, alors que les recettes que nous pouvions y
affecter ne dépassaient pas 366 millions d'euros. Une rallonge a
donc été demandée à Bercy. Les Finances n'ont
malheureusement apporté que 76 millions d'euros. Par ailleurs les
alliances passées avec les départements et les
régions nous ont permis de bénéficier de concours
d'environ 91,5 millions d'euros par an, ce qui représente un tiers
du soutien public à la politique déchets. Ces concours ont
été absolument décisifs pour nous permettre de passer ce
difficile cap budgétaire. J'ai néanmoins été
contraint d'opérer un arbitrage : nous pouvions soit prévoir
des délais d'attente de plusieurs années, au risque de susciter
une impatience de la part des élus et de leurs électeurs, soit
nous pouvions réduire, comme nous le faisons actuellement, les taux
d'intervention. Cette seconde option a le mérite de nous permettre de
servir tous les projets et de réduire les marges souvent excessives que
s'adjugeaient les professionnels intervenant dans le cadre de la politique
déchets. Une politique de subventions publiques systématique mais
faible a été retenue, j'incite donc les collectivités
à une très grande vigilance en matière d'appels d'offres.
Cette façon de procéder est d'ailleurs la seule qui pourra
permettre d'inscrire la politique déchets dans l'économie de
marché. Si la politique déchets est chère, elle ne sera
pas durable. Les taux de subvention doivent donc été
diminués, même si cette attitude est considérée
comme sévère. Il est toutefois prévu une bonification de
10 % dans les zones difficiles de montagne, grâce notamment au
FEDER. Aujourd'hui, le flux d'investissement de la politique déchets
s'élève à 1,5 milliard d'euros d'investissements par
an, mais nous essayons d'en diminuer l'impact budgétaire. Il s'agit d'un
sujet sur lequel le prochain gouvernement devra trancher dès son
arrivée. Il y a en effet concomitance, à une semaine près,
entre l'échéance de la loi de 1992 et le deuxième tour des
législatives.
M. Pierre Jarlier -
Le problème des interventions
nécessaires en zone de montagne tient au fait que le coût de la
collecte des déchets y est beaucoup plus élevé. Les
collectivités ont par ailleurs un pouvoir d'investissement beaucoup plus
faible, dans la mesure où elles se sont organisées la plupart du
temps en régie directe. On débouche sur une situation où
les collectivités n'ont pas le moyen de procéder à une
mise aux normes rendue pourtant obligatoire, et cela malgré une
réelle volonté politique. On comprend donc aisément que la
baisse des interventions ait, dans ce type de situation, un impact très
lourd en montagne.
M. Pierre Radanne -
Je reconnais ces difficultés, mais il se
trouve que j'ai triplé les investissements déchets en trois ans,
afin d'endiguer le flux de dossiers qui nous a été soumis.
J'entends cependant la totalité de vos critiques.
S'agissant des boues, plusieurs hypothèses sont possibles : si les
boues sont polluées, notamment par des métaux lourds, il est
impossible de les mettre sur des champs et elles doivent être
traitées en incinérateur ou stockées dans une
décharge de bassin. Si les boues ne sont pas polluées, nous
essayons de faire des « cocktails » avec les déchets
des collectivités locales et de l'agroalimentaire en formulant un
amendement en fonction des besoins du terroir. Cette politique pose toutefois
une difficulté sanitaire, dans le cadre du débat sur l'ESB. Pour
y répondre, nous avons constitué, avec plusieurs organismes
homologues, sous la houlette du ministère de la Recherche, un groupement
d'intérêt scientifique (GIS) pour tenter de mettre en place une
qualification des procédés de traitement de la matière
organique en fonction de critères de sécurité sanitaire.
Ce GIS sera composé de l'INRA, de l'INSERM, de l'Institut de veille
sanitaire et de l'Ecole nationale de Vétérinaires. Nous allons
tenter ensemble de faire en sorte que les germes contenus dans les
matières fécales que l'on retrouve dans les boues de stations
d'épuration soient neutralisés avant d'être à
nouveau utilisées pour la production alimentaire. Cette
hygiénisation des matières organiques doit en particulier
être menée dans le domaine des lisiers porcins. Nous sommes
engagés dans un processus de fiabilisation de l'ensemble des
procédés organiques, afin de satisfaire nos obligations en
matière de traçabilité et de fiabilité.
En ce qui concerne le coût du transport fluvial, je me propose de vous
apporter une réponse précise par écrit, étant
entendu que les services offerts par les différents modes de transport
ne sont pas équivalents : on met 4 ou 5 heures à aller
de Châlon-sur-Saône à Fos par la route, alors que cela
nécessite 29 heures par voie d'eau. Cela dit, toutes les marchandises
n'ont pas besoin d'aller à grande vitesse. Le transport de granulat que
nous avons organisé ne s'intègre pas dans une logique du
« juste à temps ». Dans le domaine du rail, nous
soutenons, avec le ministère des Transports, l'acquisition de caisses
mobiles par les entreprises, afin de développer le transport
combiné. Notre souci, dans la perspective du percement alpin est de
faire le départ entre les marchandises qui doivent impérativement
passer par le Mont-Blanc et celles qui peuvent transiter ailleurs. A cet
égard, la voie d'eau, le contournement ferroviaire et le canotage
offrent des opportunités de desserrement de contraintes.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous vous remercions, Monsieur le
Président, pour cet exposé très complet.