5. Audition de M. Patrice Vermeulen, directeur des entreprises commerciales, artisanales et de services auprès du ministre délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (23 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je suis heureux de vous accueillir au nom de la mission
d'information sur la montagne. J'excuse le président de cette mission,
qui a dû se rendre dans le Sud de la France. Je vous reçois en
présence de Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire et de
Pierre Jarlier, sénateur du Cantal.
Le président de cette mission, Jacques Blanc, Pierre Jarlier et
moi-même avons proposé au Sénat la constitution d'une
mission d'information sur la politique de la montagne. La loi de 1985
s'applique déjà depuis quelques années. Depuis, d'autres
textes, portant en particulier sur la ruralité et la montagne, ont
été élaborés. La loi de 1985 est ainsi
corrigée notamment par la loi sur la solidarité et le
renouvellement urbain (SRU), par des lois d'aménagement du territoire,
par nombre d'autres textes relatifs à la forêt ou à
l'agriculture, et par la loi Chevènement dédiée à
l'intercommunalité.
Outre ces textes, un certain nombre d'éléments extérieurs
sont intervenus depuis 1985, touchant aussi bien au droit européen
qu'à des événements climatiques.
Dans ce contexte, nous avons jugé intéressant de nous pencher sur
l'actualité de la loi Montagne, et sur la façon dont ce texte a
été appliqué. Nous avons voulu mettre à profit la
suspension des travaux législatifs du Parlement, qui concerne
directement le Sénat, ainsi que le fait que l'année 2002 soit
l'année internationale des montagnes, pour réfléchir
à ce sujet et tenter de parvenir à des conclusions porteuses,
à l'échéance de l'automne prochain.
Cette mission regroupe des sénateurs appartenant à
différentes familles politiques du Sénat et à quatre de
nos commissions.
Je souhaiterais que votre intervention respecte l'ordre chronologique des
questions que nous vous avons posées. La première d'entre elles
concernait l'article 58 de la loi Montagne du 9 janvier 1985. Cette
loi prévoit qu'un rapport
« rendant compte des mesures
prises par l'Etat en faveur des commerçants et des artisans
installés en zone de montagne »
soit déposé
chaque année. Pourriez-vous nous faire part des cinq derniers rapports
élaborés dans ce cadre ?
M. Auguste Cazalet, sénateur des Pyrénées-Atlantiques
et M. Marcel Lesbros, sénateur des Hautes-Alpes nous rejoignent
à l'instant.
M. Patrice Vermeulen -
Nous avons préparé des
réponses écrites à vos questions. Je vous remettrai donc
un document qui reprendra les éléments dont je vous ferai part
lors de ma présentation, en sachant que l'expression orale est plus
libre que l'expression écrite.
La loi Royer de 1973 a également prévu l'élaboration
annuelle d'un rapport sur le commerce. Ce rapport est élaboré au
nom du Premier ministre et déposé sur les bureaux de
l'Assemblée et du Sénat. Nous pourrons vous remettre un
exemplaire de ces rapports, suffisamment détaillés pour que la
situation des départements couverts par la loi Montagne puisse
être mise en exergue.
M. Jean-Paul Amoudry -
Quel est le bilan, en termes statistiques, du
commerce et de l'artisanat en zone de montagne ? Comment le nombre
d'entreprises a-t-il évolué depuis cinq ans ? Comment les
différentes filières se structurent-elles ?
M. Patrice Vermeulen -
Nous ne disposons pas, concernant le nombre de
commerces et leur évolution, de statistiques fines par zone.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il vous est donc impossible de déterminer
si le nombre d'entreprises a augmenté, diminué, ou s'il s'est
stabilisé.
M. Patrice Vermeulen -
La direction des entreprises commerciales,
artisanales et de services (DECAS) dispose de données nationales, ainsi
que de données portant sur les zones rurales, mais pas de données
spécifiques aux zones de montagne. Le document écrit que nous
vous transmettrons fait état d'une diminution générale des
commerces de détail, mais l'outil statistique utilisé par l'INSEE
n'est pas suffisamment précis pour fournir des indications très
détaillées à ce sujet.
La stratégie définie s'applique à l'ensemble du
territoire. Elle consiste, d'une part, à aider le commerce traditionnel,
grâce à un certain nombre d'outils, notamment, le fonds
d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce. Elle consiste,
d'autre part, à refuser de faire des zones rurales ou de montagne des
mouroirs. Il importe d'attirer dans ces zones des populations jeunes, en
répondant à leurs attentes. Ces populations souhaitent notamment
disposer de commerçants et d'artisans proposant les mêmes produits
que ceux qu'elles peuvent acheter dans les grandes villes.
Notre politique ne vise pas à maintenir des petites épiceries qui
ne vendraient que quelques boîtes de conserve périmées et
chères ou des commerces non-alimentaires du type quincailleries, mais
à favoriser la venue des jeunes, ainsi que l'implantation
d'activités économiques, notamment touristiques.
Il est important que des touristes venant passer un week-end ou une semaine
dans un village y trouvent un approvisionnement varié en produits de
qualité, et à des prix compétitifs. Ainsi, ils
n'éprouveraient pas le besoin de remplir leur coffre en quittant la
région parisienne ou de se rendre dans la vallée ou dans la
grande ville la plus proche pour faire leurs achats. Corollairement,
l'épicerie locale ne servirait pas uniquement à approvisionner
quelques personnes âgées. Il est préférable d'aider
l'approvisionnement de ces personnes grâce à des systèmes
de tournées, soutenus par le fonds d'intervention pour la sauvegarde de
l'artisanat et du commerce (FISAC), et permettant de répondre au
quotidien à leurs besoins. Il importe par ailleurs que les zones rurales
ou de montagne ne soient pas mises à l'écart du
développement économique. Cela suppose que ces zones mettent
à la disposition des jeunes et des touristes un approvisionnement
correspondant à leurs besoins, dans le domaine du commerce, de
l'artisanat, du bricolage et de la distribution alimentaire.
Nous intégrons donc la politique de la montagne à la politique
générale que nous avons définie pour le territoire autre
que les grandes villes. Cette politique consiste par exemple à inciter
la grande distribution à ce que les supermarchés d'entrée
de ville ou de petite ville s'implantent dans les zones rurales ou de montage,
afin que les populations jeunes ou en transit puissent consommer sur la base
d'un bon rapport qualité-prix.
Cette politique va à l'encontre d'un certain nombre d'idées,
selon lesquelles il importerait de conserver une épicerie et un
débit de tabac dans chaque petit village. Dans certaines configurations,
il est possible de mettre en place un système de multiservices, avec
l'aide du FISAC. Il me semble néanmoins préférable de
développer les systèmes de tournées, notamment en incitant
les supermarchés à organiser ce type de tournées, de telle
sorte que les produits distribués en zone rurale ou de montagne le
soient à des prix compétitifs et de qualité, et de telle
sorte que leur rotation soit suffisante pour qu'ils soient frais. Certains
produits sont portés par un important dynamisme commercial. Le nombre de
boulangeries s'élevait à quelque 50 000 après la
guerre, contre 40 000 aujourd'hui. Les commerces de proximité de ce
type ont réussi leur conversion, et se maintiennent.
La politique des massifs est pertinente pour les zones de montagne.
Néanmoins, la politique des pays mérite d'être
renforcée, dans la mesure où le pays forme une aire
géographique représentative du développement
économique et susceptible de permettre une analyse en termes de zones de
chalandise. Par ailleurs, l'intercommunalité présente nombre
d'avantages, tant dans les zones urbaines que dans les zones de montagne. Cette
organisation permet en effet de mieux répartir la taxe professionnelle.
Corollairement, l'implantation des surfaces alimentaires de plus de
300 mètres carrés, notamment, profite à
plusieurs petites communes. Leur implantation se fait en outre de
manière rationnelle. Il est par exemple possible qu'une supérette
de 300 à 500 mètres carrés, voire un
supermarché de 1 200 mètres carrés,
s'implante dans une zone de montagne, et assure un approvisionnement de
qualité. Toutes les communes de cette zone, si elles sont
organisées sur la base de l'intercommunalité, toucheront une
partie de la taxe professionnelle versée par la supérette ou le
supermarché en question. Par ailleurs, cette grande surface peut
organiser un système de multiservices ou un système de
tournées dans les zones les plus reculées. Le FISAC peut
intervenir pour mettre en place un système autonome de même nature.
Le domaine de la montagne s'insère parfaitement dans cette politique,
définie initialement pour le domaine rural, à tel point que
depuis 1997, aucune stratégie spécifique à la montagne n'a
été développée.
M. Jean-Paul Amoudry -
Avant de laisser la parole à mes
collègues, qui représentent des départements
concernés au plus haut point par cette problématique, je
souhaiterais vous demander de quantifier les effets de la politique que vous
avez décrite.
M. Patrice Vermeulen -
Entre 1992 et 2001, le FISAC a aidé
867 opérations portées par des petites entreprises de
moyenne montagne, et 72 opérations portées par des petites
entreprises de haute montagne, pour un total de 30 millions d'euros
environ. Cette contribution du FISAC a représenté environ
20 % des aides qu'il a distribuées au total, et 55 % des
décisions qu'il a prises, mais la tendance est à l'accroissement
de l'aide en faveur des zones de montagne.
M. Auguste Cazalet -
J'ai écouté avec attention
l'intervention de Monsieur Vermeulen.
La politique idéale consiste bien à attirer des jeunes et,
corollairement, des commerces, dans les zones de montagne, mais cette politique
est insuffisante. Il est nécessaire au préalable qu'une vie
économique se développe dans ces zones, afin notamment que les
jeunes qui s'installent puissent gagner leur vie.
Mon département a la chance d'avoir hérité de quelques
usines du Nord de la France, telles que Messier Fonderie, qui ont
été rapatriées dans notre région durant la seconde
guerre mondiale. Ces usines ont permis le développement d'une vie
économique dans notre région.
Un commerce rural ne se pérennise que s'il est viable. Dans ma commune,
un couple de jeunes a tenu un tel commerce, qui a dû être
fermé et qui a été repris par une femme qui vend de
l'épicerie et des produits régionaux. Ce commerce a alors
bénéficié de sa localisation sur un grand axe et de la
construction d'un vaste parking, sur lequel une buvette a été
installée. Cependant, le mari de la gérante de ce commerce occupe
un bon emploi, et cette femme a davantage choisi de reprendre ce commerce pour
avoir une activité que pour gagner sa vie. Autrement dit, ce commerce
n'aurait pu être repris par un couple de jeunes, ceux-ci ayant besoin,
dès lors qu'ils ont des enfants, de les faire vivre et d'assurer leur
avenir.
Il est nécessaire de repenser la politique à mettre en oeuvre
dans les zones qui se désertifient, tels que certains endroits de la
vallée d'Aspe, par exemple. Pour ces zones, l'intercommunalité
est insuffisante. Sans usine ou station de ski, une zone ne se développe
que difficilement.
M. Patrice Vermeulen -
J'utiliserai pour vous répondre la
parabole selon laquelle « on ne fait pas boire un âne qui n'a
pas soif ». Un commerce ne peut assurément pas fonctionner
sans clients. Il faut que l'offre réponde à l'attente de ces
derniers.
Les acteurs en charge du tourisme et de la politique industrielle se doivent de
créer les conditions pour qu'une population vienne dans une zone, y
trouve ce dont elle a besoin, et éprouve l'envie d'y revenir ou d'y
demeurer. Ils doivent notamment assurer des conditions d'approvisionnement
répondant aux besoins de cette population. Les préoccupations des
citadins ne sont pas celles que certains films véhiculent : loin de
la vision poétique de la France à la Marcel Pagnol, les
touristes, lorsqu'ils passent une semaine dans un lieu de location, souhaitent
pouvoir y acheter un paquet de lessive à des prix raisonnables. Si ce
n'est pas le cas, ils auront l'impression que les commerçants qui leur
vendent ce produit sont des voleurs, sans prendre conscience qu'une petite
épicerie ne bénéficie pas de conditions
d'approvisionnement intéressantes comme les grandes surfaces. Les
touristes parisiens risquent alors d'acheter leur paquet de lessive en
région parisienne, plutôt que sur leur lieu de vacances.
Une fois les conditions créées pour que des touristes viennent
dans une zone et pour que des personnes s'y installent, la DECAS intervient
pour assurer à ces personnes des conditions d'approvisionnement
intéressantes. Notre objectif est de sédentariser le plus
possible ces personnes, et de faire en sorte que la valeur ajoutée se
fasse sur place. Corollairement, notre politique consiste à faire en
sorte qu'elles trouvent sur place des produits correspondant à ce
qu'elles ont l'habitude de consommer,
via
l'implantation de
supérettes et de supermarchés bénéficiant des
conditions d'approvisionnement des groupes auxquels ils seront associés.
Parallèlement, il est parfaitement possible d'assurer la présence
d'un commerce plus traditionnel. Enfin, pour les personnes ne se
déplaçant que difficilement, les personnes âgées
notamment, il importe d'organiser des systèmes de tournées. Pour
cette dernière catégorie de personnes, le fait d'être
approvisionné prime sur le prix d'achat. Le principe sous-jacent
à cette politique consiste à satisfaire toute demande. Cependant,
en l'absence de demande, il est impossible et inutile de pérenniser un
commerce.
Cette politique, qui s'applique plus globalement à toutes les zones
rurales, est coordonnée par la DATAR. Le FISAC s'appuie en outre sur
certains fonds communautaires, ainsi que sur le fonds des collectivités
locales, afin de créer une synergie entre les partenaires et de
développer le commerce en zone rurale.
M. Pierre Jarlier -
Vous indiquez que sans demande, les commerces ne
peuvent se pérenniser. Il importe
a contrario
de souligner
que sans commerces, nombre de personnes refusent de s'installer dans une
commune rurale. Cette constatation pose le problème de
l'aménagement du territoire en matière d'artisanat et de
commerce, ainsi que celui de la qualité des services offerts, en
particulier dans le domaine de la médecine. Il est donc
nécessaire de permettre à des populations de s'installer en
milieu rural, notamment en lui offrant un niveau minimum de services,
vraisemblablement
via
le développement de
l'intercommunalité et de la notion de pays, et
via
la mise en
oeuvre de projets de territoire contractualisés.
L'article 55 de la loi Montagne stipule que
« l'existence en zone
de montagne d'un équipement commercial et d'un artisanat de service est
d'intérêt général »
. Il est ensuite
expliqué qu'il revient à l'Etat de veiller à cet
équilibre en assurant le maintien, sur l'ensemble du territoire
montagnard, d'un réseau commercial de proximité, ou en
améliorant les conditions d'exercice des activités commerciales.
Des actions spécifiques ont-elles été engagées en
ce sens ? Quels types de procédures s'appliquent
spécifiquement à la montagne ? Je précise que le
FISAC n'est pas un fonds spécifiquement dévolu aux zones de
montagne, même si ces zones ont beaucoup bénéficié
de son aide. Quelle a été l'évolution des crédits
du FISAC au cours des cinq dernières années ? Je
souhaiterais connaître votre sentiment sur le frein à
l'installation ou au maintien de l'artisanat que constituent les contraintes
administratives qui pèsent sur les porteurs de projets, ainsi que sur
les commerçants et artisans. En particulier, les gérants de
commerces alimentaires sont confrontés à des problèmes de
mise aux normes, amplifiés par les faibles chiffres d'affaires
fréquemment enregistrés en zone rurale. Les exigences sont les
mêmes pour les secteurs urbains ou ruraux, ce qui met en péril
nombre de commerces localisés en zone de montagne.
M. Patrice Vermeulen -
Concernant l'article 55, nous n'avons pas
conduit, au cours des cinq dernières années, une politique
spécifique aux zones de montagne. En revanche, nous menons une action
particulière pour les zones rurales, qui incluent les zones de montagne.
Cette action a été menée
via
le FISAC.
Les crédits alloués par le FISAC sont passés de
45 millions d'euros en 1997 à 65 millions cette année.
Les documents qui vous seront remis présentent des données
chiffrées détaillant l'évolution de l'action du FISAC au
cours des dernières années. L'évolution des crédits
alloués par le FISAC témoigne d'un réel effort pour
soutenir les zones rurales.
Dans le domaine alimentaire, les discussions que j'ai eues avec mes
collègues de la DGCCRF ont confirmé mon avis personnel selon
lequel la France va fréquemment au-delà des dispositions
prévues dans les règlements et directives communautaires. Cette
tendance tient vraisemblablement au fait que par le passé, la France a
très souvent pris des dispositions en avance par rapport aux
règles communautaires, à tel point qu'il arrivait que les
dispositions communautaires soient calquées sur les dispositions prises
au niveau national. Il serait à mon sens préférable de
s'en tenir aux dispositions prévues dans les directives et
règlements communautaires.
Sous l'impulsion de mon département ministériel et de ma
direction, la plupart des prêts bonifiés à l'artisanat, qui
représentaient chaque année quelque 21,4 millions d'euros,
ont été transformés en un système de cautionnement
et de garantie, placé sous l'égide de Sofaris. Nous avons
cependant maintenu les prêts bonifiés dédiés
à des mises aux normes. Les commerçants et les artisans devant
emprunter pour une mise aux normes peuvent donc toujours
bénéficier de prêts bonifiés. Le FISAC porte une
attention particulière à la mise aux normes des commerces
localisés dans des marchés couverts : dans ce domaine, il
mène une action spécifique. Nous pourrons d'ailleurs vous
communiquer les données chiffrées relatives à cette
activité.
M. Jean Boyer -
Nous avons conscience que vous n'êtes pas le
législateur, et que nous le sommes davantage que vous. Soyez donc
très à l'aise vis-à-vis d'observations que nous formulons
parce que nous vivons dans des départements de montagne
confrontés à d'inquiétants problèmes.
Le département de la Haute-Loire compte 35 cantons, dont dix-huit
sont classés « zones de revitalisation rurale ». Ces
dix-huit cantons sont caractérisés par un nombre d'habitants par
kilomètre carré inférieur à trente. Cinq de ces
cantons comptent moins de six habitants au kilomètre carré.
Ces observations ne montrent-elles pas que la politique de la montagne n'a pas
été corrélée à une application suffisamment
courageuse de la loi, notamment les lois Pasqua et Voynet ? La
présence de travail est génératrice de présence
humaine. Nous considérons donc que le commerce et l'artisanat devraient
être considérés, dans les zones rurales, comme des services
publics.
Il semblerait par ailleurs que le nombre d'artisans se maintienne au niveau de
chaque département. Néanmoins, les artisans sont de plus en plus
fréquemment localisés dans les villes ou dans les grands bourgs.
Nous constatons en la matière un manque de courage politique. Certains
cantons en zone de montagne présentent certaines similitudes avec le
Sahara et ses oasis. Ces cantons, localisés pour certains en
Haute-Loire, comportent en effet des villages où il ne reste qu'un ou
deux agriculteurs et des friches agricoles.
Ce débat de fond nous échappe, mais nous inquiète, car
nous nous sentons désarmés face à cette situation.
M. Patrice Vermeulen -
Les zones marquées par la disparition d'un
certain type d'agriculture, ont l'avenir devant elles, du fait de certains
phénomènes de société, notamment les 35 heures
et la manière dont les personnes aménageront leur temps de
travail, d'une part, les départs en retraite des salariés de ma
génération qui interviendront dans les cinq prochaines
années, d'autre part. Les populations concernées par ces deux
phénomènes sont susceptibles d'être attirées par ces
zones.
Notre subconscient à tous abrite le modèle de la France de
Marcel Pagnol, caractérisé par un monde agricole très
peuplé, structuré autour de villages comprenant cafés,
commerces traditionnels et artisans. Vouloir maintenir ou re-constituer ce
modèle pour ce type de zones me semble être une erreur. Il est
préférable de construire un modèle prenant en compte les
attentes des populations susceptibles d'être intéressées
par ces zones.
Ces zones évoquent les loisirs et l'inactivité. Or les
retraités peuvent avoir envie de passer une partie de l'année
dans de telles zones, et ce, d'autant plus si elles sont situées
à deux ou quatre heures de route d'un grand pôle urbain. Par
ailleurs, les 35 heures offriront aux salariés des temps de
vacances beaucoup plus importants. Ces personnes ne disposeront peut-être
pas de suffisamment de moyens pour partir à l'étranger, mais
seront probablement désireuses de se rendre dans des zones qui ne leur
coûteront pas trop cher, et où elles pourront séjourner
dans des maisons.
Dans les zones rurales, la démarche consiste à prendre en compte
les besoins de ce type de population, sans chercher à recréer un
modèle « à la Marcel Pagnol », car un
tel modèle ne fonctionnera pas. Il est préférable que ces
zones s'attachent, en accord avec les grands groupes de la distribution,
à assurer des conditions d'approvisionnement répondant aux
besoins des populations. Il conviendrait en outre qu'elles créent des
groupements d'artisans. Grâce à de tels groupements, les artisans
seront en mesure de garantir aux populations toute prestation en matière
de plomberie, de réparation des toits, etc. Ces groupements pourront
être localisés dans les villes, mais rayonneront sur tous les
villages avoisinants.
Ainsi, les zones rurales doivent adapter leur stratégie à des
comportements nouveaux. Elles ne peuvent plus se baser sur les seuls
agriculteurs producteurs. La loi d'orientation agricole et la loi d'orientation
sur l'artisanat montre que dans les zones rurales, la valeur ajoutée
émanera tant du monde du commerce et de l'artisanat que du monde
agricole. Le Ministère de l'Economie s'attache à
développer un certain nombre de domaines fondamentaux pour les zones
rurales, tels que Internet et le haut débit. Il est en effet essentiel
que dans les zones rurales, les artisans, les commerçants et les
retraités puissent se servir d'Internet et si possible, sur la base d'un
accès à haut débit, de la même manière qu'il
est apparu nécessaire, il y a cinquante ans, que ces zones disposent de
l'eau courante et de l'électricité. Les zones rurales doivent
pouvoir accéder rapidement à des images et échanger
via
Internet.
Une certaine souplesse n'en demeure pas moins nécessaire : par
exemple, la mise en place de multiservices en association avec la
collectivité locale est parfaitement envisageable. En revanche, la
vision du village avec son petit bistrot est sympathique mais
insuffisante : accéder à Internet sur la base d'un
réseau haut débit est davantage attrayant, notamment pour les
jeunes. Un tel réseau peut notamment permettre à un gérant
de PME de se connecter en haut débit depuis sa résidence
secondaire.
Le DECAS s'attache prioritairement à faire en sorte que
l'approvisionnement proposé soit en adéquation avec les besoins
des consommateurs et notamment pour les populations jeunes et les familles. Il
convient certes de prendre en compte l'imagerie du village telle qu'elle est
véhiculée par l'inconscient collectif mais également la
réalité des besoins du consommateur. C'est en associant commerce
traditionnel pour des produits typés et de qualité avec de bonnes
conditions d'approvisionnement pour les produits courants que ces zones
trouveront leur place sur le plan économique. L'objectif prioritaire
réside dans le développement des zones rurales. Or un tel
développement ne peut être basé sur un mythe tout à
fait dépassé.
M. Marcel Lesbros -
Le département que je représente est
entièrement classé en zone de montagne. Il apparaît
nécessaire de désenclaver ce département, grâce
à des autoroutes, des routes, et des aménagements à
destination du tourisme. Je m'incline devant le département de Savoie,
qui constitue déjà un fleuron du tourisme de montagne.
Le département des Hautes-Alpes s'étend depuis la
frontière italienne jusqu'au midi de la France. Sa position
frontalière avec l'Italie représente un avantage certain :
il bénéficie ainsi de la fréquentation d'une
clientèle italienne.
Ce département compte une ville de 15 000 habitants,
Briançon, ainsi qu'une grande ville, Gap, où vivent près
de 40 000 habitants.
Il ne suffit pas de faire de la montagne pour faire de la montagne : il
importe qu'un ensemble prenne corps, d'un point de vue financier, pour que les
personnes se rendant à la montagne y trouvent les aménagements
dont ils disposent dans les villes de moyenne importance.
La politique de la montagne a évolué au cours des vingt ou trente
dernières années. Actuellement le département des
Hautes-Alpes, à l'instar d'autres départements, vit uniquement du
tourisme, et notamment, du tourisme de montagne. Ce département offre
notamment aux touristes de passage un air pur. En outre, sa proximité
avec Marseille, métropole régionale, et Grenoble
représente un avantage certain. Il se situe ainsi entre deux
départements qui bénéficient de pôles de
développement, ce qui favorise son propre développement.
L'exploitation des richesses de la montagne est nécessaire. Elle s'est
faite jusqu'à présent
via
l'implantation de stations de
sports d'hiver. J'ai présidé le
Conseil général pendant dix-huit ans et j'ai durant
cette période endetté le département au maximum, afin de
favoriser l'implantation de stations de sports d'hiver, puis je me suis
attaché à renflouer leurs dettes financières. Le
département compte désormais plusieurs grandes stations, telles
que Serre-Chevalier et Orcières Merlette, ainsi que des stations de
moyenne importance. Ces stations représentent un potentiel
économique tout à fait conséquent, mais ont
contribué à endetter le département.
Par ailleurs, les personnes vivant dans les zones de montagne n'exercent pas
toutes un travail saisonnier. En outre, une fois la pleine saison
passée, la question de l'emploi des saisonniers se pose. La question de
l'emploi s'avère primordiale. Pendant longtemps, la bivalence a
été développée, avec comme modèle un couple
dont le mari est moniteur de ski et dont la femme tient un café, un
tabac ou un hôtel.
Les gouvernements qui se sont succédés ont mené des
actions en faveur de la montagne, mais ces actions s'avèrent
insuffisantes. Les zones de montagne sont en effet confrontées à
plusieurs difficultés. D'une part, les investissements qui y
réalisés sont deux fois plus lourds financièrement que les
investissements réalisés dans d'autres zones. En outre, la
clientèle est difficile à gérer, car saisonnière.
Malgré cela, ses exigences sont les mêmes que celles des
populations autochtones.
Gap et Briançon représentent des pôles de
développement qui permettent d'irradier les villages avoisinants.
Les autres départements de montagne sont confrontés à des
problèmes similaires, même si la Savoie bénéficie
d'une certaine avance, ayant engagé une politique touristique une
vingtaine ou une trentaine d'année avant les autres départements.
Nous souhaiterions essayer de mener une politique de tourisme durable, qui
complèterait les différents pôles attractifs dont les zones
de montagne disposent.
Le département des Hautes-Alpes ne compte que
120 000 habitants. Or il est conduit à accueillir quelque
500 000 habitants pendant la période
d'été : le lac de Serre-Ponçon, notamment,
représente un pôle attractif très important. Les touristes,
bien que seulement de passage, exigent des routes en parfait état, ce
qui oblige le département à engager d'importantes dépenses.
En tant que directeur des entreprises commerciales, votre rôle ne se
situe pas seulement sur le plan de l'aide aux investissements : vous
endossez également un rôle éducatif. Dans une logique
similaire, il m'arrive de conseiller à certains maires de ne pas trop
investir, en leur rappelant que les dépenses qu'ils engagent devront
être remboursées. Orcières Merlette, très belle
station du département, n'avait pas de dette au moment où j'ai
quitté le Conseil général. Tout maire souhaite
réaliser des investissements, mais une certaine prudence est
nécessaire en la matière, et il ne m'a pas paru raisonnable de
mettre en place 3 000 lits supplémentaires à
Orcières Merlette, ce que j'ai fait savoir. Inviter les élus
à une certaine prudence relève également de votre
rôle.
Les personnes qui habitent dans les zones de montagne doivent exercer un double
métier : elles ne peuvent se contenter de travailler pendant la
saison. Il importe donc de développer un tourisme durable.
M. Jean-Paul Amoudry -
Quelles actions ont-elles été
menées en matière de saisonnalité ?
M. Marcel Lesbros -
Les aides accordées aux zones de montagne me
semblent insuffisantes. La priorité est d'orienter ces aides vers la
promotion d'un tourisme durable, et vers des zones porteuses. Par exemple, le
maire de Gap a engagé un projet de développement touristique de
la ville, et il convient en effet de ne pas porter uniquement le
développement des stations de sports d'hiver.
Promouvoir un commerce durable implique de créer des commerces
pérennes et d'assurer la présence d'artisans. L'artisanat semble
d'ailleurs faire l'objet d'un certain engouement, et des artisans s'installent
dans les zones de montagne. En effet, leur activité répond
à un réel besoin.
L'aménagement de la montagne doit être en ligne avec le
développement touristique. Le département des Hautes-Alpes a
connu, à l'instar d'autres départements de montagne, certains
déboires. A une certaine période, le climatisme a
constitué un facteur important de développement, mais ce n'est
plus le cas désormais.
Je suggère que les aides que votre ministère apporte aux
entreprises qui se créent dans le domaine commercial, industriel ou
artisanal soient détaillées. Ces entreprises doivent recevoir le
plus d'aides possible. Le développement durable doit en effet être
solidaire, ainsi que l'indiquait Dominique Voynet, c'est-à-dire
notamment qu'il doit être porté par un certain nombre d'aides. Il
doit également être orienté par les conseils que vous
êtes en mesure de donner aux élus. Aujourd'hui, il est
nécessaire, pour sauver la montagne, de promouvoir un tel
développement. Par-delà les efforts que chacun d'entre nous porte
dans son département, il importe de repenser l'aménagement de la
montagne et son articulation avec le tourisme.
M. Pierre Jarlier -
Le commerce itinérant pourrait constituer une
réponse adaptée à la problématique des zones de
montagne. Comment la mise en place de cette forme de commerce est-elle
soutenue ?
M. Patrice Vermeulen -
Le FISAC finance les camions utilisés dans
les tournées, à hauteur de la moitié de leur prix. Le
système de tournée constitue une réponse parfaitement
adaptée à la situation des zones isolées.
Le dossier que nous vous avons remis comprend une fiche qui s'intitule
« les petites entreprises maillent le territoire ». Nous
avons en effet conduit une étude avec l'INSEE. Cette étude ne
concerne pas spécifiquement les zones de montagne mais, plus
globalement, les zones rurales. Elle a permis de tracer une courbe
décrivant la concentration de la population et des équipements en
1998. Grâce à cette courbe, il est possible de déterminer,
dans les villes de cent, cinq cents ou mille habitants, les types de
commerce implantés, ainsi que le pourcentage de population se trouvant
à telle ou telle distance d'un médecin ou d'un boulanger par
exemple. Cette courbe répond parfaitement à certaines de vos
interrogations. Nous avons déterminé la zone formant ce que nous
avons appelé « une gamme de
proximité » : cette zone comprend entre cinq cents
et mille habitants, et est caractérisée par la
présence de commerces et de services tels qu'un boulanger, un
plâtrier, un coiffeur, un électricien, un infirmier et un
pharmacien. Cette courbe, très éclairante, figure dans le dossier
statistique : elle permet de juger la proximité des commerces et
services par rapport à une population déterminée. Nous
nous sommes aperçus que le point d'attractivité se situait entre
cinq cents et mille habitants. En deçà du seuil de
cinq cents habitants, il apparaît nécessaire de mettre en
oeuvre des systèmes tels que le commerce itinérant.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je ne prolongerai pas cette audition,
Pierre Radanne, notre prochain invité, étant arrivé.
Je vous remercie pour votre présentation. Nous n'avons pas eu le temps
d'aborder les questions relatives à la saisonnalité, aux
groupements d'employeurs, au statut des femmes, au conjoint collaborateur. Je
suppose que ces éléments sont intégrés à la
note que vous nous avez remise et, à nouveau, je vous remercie.