4. Audition de M. François Sivardière, directeur de l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) (3 avril 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Monsieur Sivardière, bonjour. Je vous remercie
d'avoir regagné le Sénat pour cette audition que nous avons
souhaitée dans le cadre des travaux de la mission sur
l'évaluation de la politique montagne. Je voulais vous dire en
introduction que cette mission s'est donnée pour objectif
d'évaluer l'implication de la loi montagne de 1985. Nous désirons
remettre de l'ordre dans la vision que l'on porte sur la montagne, mettre
à jour des problématiques et établir des conclusions
destinées au législateur. Nous entendons ainsi déposer des
préconisations, qui prendront pour certaines la forme de
règlements, pour d'autres, la forme d'actes législatifs. Vous
êtes l'un des premiers que nous entendons sur ce sujet, plus particulier
au massif alpin et pyrénéen. Je vous remercie encore de votre
présence et je vous laisse la parole.
M. François Sivardière -
Je vous remercie de bien vouloir
m'auditionner. Mon propos va être essentiellement axé sur les
avalanches, dans la mesure où je suis le directeur de l'Association
nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA).
L'ANENA a été créée en octobre 1971, par
décision du Conseil des ministres d'octobre 1970, suite à
l'avalanche qui entraîna 39 morts à Val d'Isère le 10
février 1970. Cette création avait pour vocation de rassembler
l'ensemble des personnes qui travaillaient sur le risque d'avalanche, de
façon à ce que la dispersion des compétences ne soit pas
un frein à l'amélioration des connaissances en la matière.
Avec le temps, les missions et la composition de l'ANENA ont quelque peu
évolué. En 2002, les membres de l'ANENA sont multiples et
variés.
- les organismes de recherche
:
il s'agit des deux grands
laboratoires français travaillant dans le domaine de la neige et des
avalanches : le Centre d'Etude de la Neige de Météo France
et le CEMAGREF, qui dépend du ministère de la Recherche ;
- les professionnels des stations de ski
: les services de
remontées mécaniques, les services de sécurité des
pistes, les guides, les moniteurs, les accompagnateurs ;
- les représentants des collectivités locales
:
ainsi, trois représentants de l'Association des maires de stations de
sports d'hiver et trois représentants de l'ANEM sont membres du Conseil
d'administration de l'ANENA. Parmi ces maires, un grand nombre est titulaire
d'autres mandats, ce qui permet une bonne représentation des
collectivités locales au sein de l'ANENA ;
- des administrations concernées par la gestion du risque
d'avalanches
:
il s'agit des Eaux et Forêts avec le
service RTM, les directions de l'Equipement, les services publics de secours en
montagne (CRS et gendarmes de Haute Montagne). On retrouve également
l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme, dépendant du ministère
de la Jeunesse et des Sports. Enfin, un certain nombre de ministères
sont membres de droit de l'ANENA : les ministères de
l'Environnement, de la Défense, de l'Intérieur, de l'Agriculture,
des Transports, et le secrétariat d'Etat au Tourisme ;
- les pratiquants de sports d'hiver :
c'est une
particularité de l'ANENA par rapport à d'autres associations
similaires à l'étranger. Sont membres du conseil d'administration
de l'ANENA des représentants du Club alpin français, de la
Fédération Française de Montagne et d'Escalade, de la
Fédération Française de Ski.
L'ANENA dispose également d'autres partenaires, à l'instar de
fabricants de matériels de sécurité, individuelle ou
collective. Enfin, et de plus en plus, l'association est en contact
étroit avec les institutions judiciaires et les médias.
L'ANENA dispose de quatre grandes activités.
- L'information
constitue désormais la principale activité
de l'ANENA, bien qu'historiquement apparue plus tardivement. L'association a
pour mission de vulgariser l'information et les connaissances, de diffuser des
conseils pratiques aux professionnels mais également au grand public.
L'ANENA publie ainsi une revue trimestrielle qui a pour vocation de faire le
point sur l'état des connaissances, des études en cours, du
matériel. Des témoignages d'accidents, riches d'enseignements,
sont également publiés ; une chronique juridique est
également assurée. L'accent est mis sur la vulgarisation pour que
le lecteur n'ait pas besoin de pré-requis pour pouvoir comprendre le
contenu de la revue, tirée à 1700 exemplaires.
Ensuite, nous réalisons des documents, allant du dépliant -
fourni par exemple lors de l'achat d'une paire de raquettes - aux ouvrages
très complets qui traitent de l'ensemble des problèmes
liés aux avalanches, en passant par des brochures plus simples, des
documents destinés aux enfants, des produits audiovisuels (cassettes
vidéo, diapositives). L'objectif de ces documents est double : il
s'agit à la fois de sensibiliser le grand public, mais aussi de lui
permettre de se former lui-même. Cette documentation est essentiellement
vendue par correspondance, ou au siège de l'association, à
Grenoble.
Nous disposons également d'un centre de documentation pour des
requêtes plus précises et plus ciblées ; d'un site
Internet fournissant des données générales sur la neige,
les avalanches, des conseils pratiques mais aussi des articles de fond. L'ANENA
intervient également beaucoup auprès des médias, à
travers des entretiens, la relecture d'articles. L'association est
fréquemment sollicitée par les médias pour apporter des
éclairages sur des questions ayant trait aux avalanches.
- La formation professionnelle
L'ANENA assure deux formations spécifiques, dont elle a
l'exclusivité :
- la formation de spécialistes en déclenchement d'avalanches,
sous forme de stages d'une dizaine de jours (quatre stages du 15 novembre au 15
décembre). 120 personnes sont ainsi formées chaque année
au déclenchement des avalanches par explosif.
- la formation des maîtres-chiens d'avalanche. L'ANENA est
agréée par le ministère de l'Intérieur pour cette
formation, hors gendarmes et CRS, qui disposent de leurs propres structures
d'enseignement. L'ANENA forme ainsi une vingtaine d'équipes cynophiles
chaque année.
En outre, l'ANENA assure des formations à la demande, à
destination des guides, des moniteurs, des agents de l'ONF, des vendeurs de
matériel de ski désireux d'approfondir leurs connaissances sur la
neige et la formation des avalanches.
-
L'ANENA est un organisme de concertation
Regroupant la quasi-totalité des personnes physiques, morales ;
publiques ou privées, concernées par le risque d'avalanche,
l'association est un lieu d'échanges et de concertation. Ainsi, chaque
solution retenue et mise en place sur le terrain fait préalablement
l'objet d'une discussion et d'un accord de la totalité des parties qui
seront ensuite chargées de sa mise en oeuvre.
A titre d'exemple, cette plate-forme de discussion, de partage
d'expériences, a ainsi contribué à mettre en place
l'échelle européenne de risque d'avalanche à l'hiver
1993-1994. En effet, Météo France était en discussion avec
ses homologues dans les autres pays européens, mais rendait compte, via
l'ANENA, aux futurs utilisateurs français de l'état d'avancement
des travaux. Les différents utilisateurs potentiels comme les services
de sécurité des stations de ski, les guides et moniteurs, les
pratiquants, ont ainsi pu donner leur avis sur les différentes
orientations envisagées.
En outre, des groupes de travail ont également été
institués, traitant des problèmes liés à la
prévision du risque d'avalanche, aux secours, à l'information des
pratiquants, aux aspects juridiques. De manière plus
générale, l'association organise des colloques nationaux ;
le dernier en date s'est tenu en novembre 2001 sur le thème de la
gestion du risque d'avalanche en France depuis 1970.
- Les études
Initialement, l'ANENA était très axée sur la recherche et
la production d'études destinées à améliorer les
connaissances en matière d'avalanches. Néanmoins, il n'y a jamais
eu à l'association de chercheurs au sens classique du terme. En effet,
l'ANENA est surtout un organisme fédérateur, un gestionnaire
financier, porteur de projets. Elle fait réaliser les études
techniques par le Centre d'Etude de la Neige, le CEMAGREF ou d'autres
laboratoires comme le Centre d'Etudes nucléaires de Grenoble, qui a
notamment travaillé sur les techniques de déclenchement
d'avalanches.
Actuellement, la part études et recherches de l'ANENA est minime,
principalement circonscrite depuis trois ans aux sciences humaines, à
l'instar d'une thèse financée par la Fondation MAIF sur les
enjeux de l'information pour la prévention des accidents liés
à la pratique de sports d'hiver. L'ANENA effectue également un
travail sur les problématiques juridiques, à travers notamment le
rassemblement des textes réglementaires - de la loi à
l'arrêté municipal - ayant trait à un titre ou à un
autre à l'avalanche. Ici, il s'agit de rassembler l'ensemble des textes
existants sur une base de données disponible sur le site Internet de
l'association. L'idée est ainsi d'offrir une facilité
d'accès à ces textes, mais également, un certain nombre
d'analyses sur des questions juridiques posant régulièrement
problème. Enfin, l'association s'attache à traiter
l'accidentologie des avalanches, à travers l'établissement d'un
bilan des avalanches. Nous disposons ainsi de données complètes
depuis 1990 sur les accidents mortels afin d'optimiser l'information, en
ciblant mieux les messages.
En résumé, les activités principales de l'ANENA consistent
d'abord à rassembler l'information pour mieux la diffuser, puis à
permettre les rencontres, les échanges, les discussions pour faire
avancer la réflexion sur la sécurité en montagne, à
travers le filtre des avalanches. L'ensemble de ces actions semble d'ailleurs
bien répondre à un réel besoin, à en juger le
nombre croissant de demandes dont l'ANENA est saisie.
L'ANENA est composée de sept permanents et dispose d'un budget de 500
000 euros pour 2002, dont la moitié sert à couvrir les
dépenses de fonctionnement. Nous devons ainsi trouver chaque
année 265 000 euros pour payer les frais de structure et de
fonctionnement. Malheureusement, l'activité de l'association
dépend en grande partie, des moyens qu'elle parvient à
dégager. Ainsi, ces trois dernières années, nous
étions parvenus à disposer de suffisamment de ressources
financières pour éditer des dépliants ; ce n'est
malheureusement pas le cas pour l'exercice 2002. Nous sommes donc
limités par nos moyens. Ces derniers proviennent de différentes
sources :
- des aides de l'Etat : le ministère du Tourisme, la
réserve parlementaire ;
- des aides des conseils généraux ;
- des aides des mairies ;
Nous disposons d'un accord avec l'Association des maires des stations
françaises de sports d'hiver et d'été dont 80 mairies
cotisent à l'ANENA ;
- des cotisations de membres, qu'ils soient personnes physiques ou
morales ;
- des dons.
Cette partie, constituée des subventions, des cotisations et des dons,
représente environ 60 % des revenus nets de l'ANENA. Les 40 % restants
proviennent des prestations de l'association, c'est-à-dire
essentiellement la formation des artificiers et des maîtres-chiens, voire
la vente de la revue et de documentations. Nous arrivons donc à
équilibrer à peu près le budget pour l'exercice 2002, mais
nous demeurons limités dans nos actions par nos ressources
financières.
La prévision du risque d'avalanche à l'échelle d'un
massif, soit 500 kilomètres carrés, est aujourd'hui bien
maîtrisée. Météo France réussit ainsi
à effectuer une prévision du risque d'avalanche fiable sur cette
échelle. En effet, on connaît relativement bien l'influence de
grands paramètres météorologiques sur le risque
d'avalanche : les chutes de neige (le risque est aggravé à
partir de vingt à trente centimètres de neige
fraîche) ; le vent, qui provoque des accumulations de neige ;
le réchauffement, quand il provoque une fonte de neige importante, peut
également être à l'origine d'une fragilisation du manteau
neigeux. A partir de ces paramètres, il est possible d'évaluer le
risque sur plusieurs jours, en le quantifiant sur une échelle comportant
cinq niveaux.
Malheureusement, ce risque est également très influencé
par la topographie des lieux. La grosse difficulté consiste ainsi
à passer de l'échelle du massif à l'échelle de la
pente. Ce changement d'échelle pose de ce fait un problème
très difficile à résoudre, et même les pratiquants,
professionnels de la montagne les plus expérimentés ne sont pas
à l'abri d'un accident, quel que soit leur niveau de compétences.
Un autre facteur de risque, qui est en revanche modifiable, correspond au
« facteur humain ». En effet, outre les paramètres
météorologiques, le risque d'avalanche dépend
également de la façon dont un groupe de skieurs se comporte sur
une pente. Si les différents membres de ce groupe conservent des
distances respectables lors de la descente d'une pente, la surcharge sera bien
plus faible et le manteau neigeux résistera bien mieux. A l'inverse, si
les skieurs effectuent un passage groupé, les risques de voir ce manteau
céder seront accrues. En terme d'information, le pratiquant ne peut donc
pas être considéré comme un acteur passif puisqu'il se met
en danger de manière délibérée bien que souvent
inconsciente : personne ne l'a forcé à faire du ski ou du
surf en dehors des pistes balisées.
Ceci met à nouveau en exergue la nécessité d'informer le
public. En effet, des précautions peuvent permettre de ne pas
déclencher une avalanche, ou au pire, si elle a lieu, de limiter les
conséquences de l'accident. Le pratiquant, peut donc avoir par son
comportement une action réduisant les probabilités d'accident. Il
s'agit donc d'une particularité par rapport à d'autres risques
naturels : l'individu dispose d'une réelle influence sur le
déclenchement de l'avalanche.
En revanche, étant confronté à un phénomène
naturel d'une ampleur parfois insoupçonnée, je ne pense pas qu'il
soit possible de viser le risque zéro : aussi
expérimentés soient-ils, les pratiquants et professionnels les
mieux formés ne sont jamais à l'abri d'un accident. Les
connaissances actuelles demeurent trop lacunaires pour évaluer à
coup sûr la stabilité d'un manteau neigeux.
Pour ce qui concerne le coût économique de l'avalanche, il me
semble très difficile de répondre, dans la mesure où,
à ma connaissance, il n'existe pas de regroupements d'informations et de
données sur les dommages relatifs aux avalanches. Les assurances, les
RTM disposent peut-être de données éparses, mais celles-ci
ne sont pas réunies dans une base de données globale. La seule
donnée disponible à l'heure actuelle en la matière est le
bilan des accidents effectué par l'ANENA, depuis que l'association
existe, et ce grâce à la collaboration active des pelotons de
gendarmerie de haute montagne, de sections de CRS et de certaines stations de
ski. Ainsi, depuis une trentaine d'années, on estime à trente le
nombre de décès annuels dus à une avalanche, soit
près d'un millier de morts depuis les années soixante-dix.
Les inondations, les tempêtes peuvent occasionner ponctuellement un grand
nombre de victimes, mais sur une longue période, le risque d'avalanche
est considéré comme le risque naturel le plus meurtrier en
France. Il y a donc environ une trentaine de décès par an ;
sur environ cent-cinquante à deux cents personnes accidentées
lors d'un déclenchement d'avalanches. A peu près 90 % de ces
décès sont le fait des victimes elles-mêmes, qui sont
à l'origine des coulées de neige les ayant ensevelies. Les cas
où un pratiquant ou un groupe déclenchent une avalanche emportant
une personne située plus bas dans la pente sont ainsi très rares.
De même, les cas d'avalanches spontanées ensevelissant un skieur
situé en aval sont également très peu fréquents.
Par ailleurs, on estime que 80 % voire la totalité des accidents
concernent des personnes pratiquant une activité de loisir. Il s'agit
essentiellement aujourd'hui du ski hors-piste, alors que jusqu'au début
des années quatre-vingts dix, les randonneurs étaient les plus
exposés. Les cas d'avalanches touchant soit les maisons, soit les routes
ou les pistes de ski ouvertes sont très rares. Ainsi, l'accident de 1999
de Montroc, à côté de Chamonix a certes marqué les
esprits, mais il s'agit d'une exception au regard des statistiques
établies sur les douze dernières années. Il en va de
même pour les routes (une personne en 1990) et les pistes balisées
(quatre ou cinq sur les douze dernières années).
Encore une fois, concernant les données strictement économiques,
il n'existe pas aujourd'hui de procédures de retour d'expérience
mises en oeuvre qui permettraient d'établir un coût
économique des avalanches en France, à l'inverse de la Suisse qui
le pratique.
Enfin, au sujet de la cartographie des accidents d'avalanche, on observe que
ces derniers interviennent au deux tiers dans les trois départements des
Alpes du Nord : Savoie (qui représente à elle seule le tiers
de ces accidents), Haute-Savoie et Isère. Les Alpes du Sud
(essentiellement le département des Hautes-Alpes) et les
Pyrénées (Hautes-Pyrénées) représentent
respectivement 20 % et 10 % de ces accidents. Ceci ne signifie pas
pour autant que certains départements soient plus dangereux que
d'autres ; le taux est tout simplement lié à la
fréquentation des massifs. Les autres montagnes, Vosges, Jura, Massif
central sont également touchées, mais de manière beaucoup
plus ponctuelle.
La gestion du risque d'avalanche fait intervenir un grand nombre d'acteurs qui
sont quasiment tous représentés au sein de l'ANENA. Concernant le
traitement du risque, il est loisible de distinguer deux grandes
catégories : la gestion collective du risque, où l'objectif
consiste à protéger un grand nombre de personnes ; la
gestion ou sécurité individuelle.
La gestion collective du risque est la plupart du temps de la
responsabilité du maire sur sa commune. L'autre part de la
responsabilité est dévolue à l'Etat, notamment en ce qui
concerne les plans de prévention des risques. Pour gérer le
risque, le maire peut faire appel à un certain nombre d'acteurs. Pour
les risques liés à l'urbanisme et aux infrastructures de
transport (protection des routes, des bâtiments), il s'appuie
essentiellement sur les compétences des services RTM, qui interviennent
sur les chantiers de génie paravalanche, sur la cartographie
réglementaire et le plan de prévention des risques.
Le deuxième aspect auquel est confronté le maire dans sa gestion
du risque a trait au domaine skiable. Ici, il ne peut mettre en oeuvre une
protection permanente, comme des systèmes de digues, d'ouvrages retenant
la neige dans les zones de départ. L'élu s'appuie sur le travail
de Météo France, en termes de prévision du risque, les
mesures qu'il édicte dépendant de l'intensité du risque
déterminé par Météo France.
Les mesures les plus régulièrement prises concernent le
déclenchement volontaire des avalanches, mesures
réglementées par le Plan d'intervention et de
déclenchement des avalanches (PIDA), ce dernier faisant l'objet d'un
contrôle de légalité par le Préfet. Ces
déclenchements sont mis en oeuvre par le service des pistes de la
station.
Les autres principales mesures prises par le maire ont trait à la
réglementation. La plupart du temps, il va s'agir d'interdire
l'accès à des routes, des pistes de ski par voie
d'arrêtés. Le maire peut également soit évacuer des
bâtiments, soit demander le confinement.
Enfin, l'information constitue le dernier outil à la disposition du
premier magistrat de la commune. Une des grandes difficultés dans la
gestion du risque réside dans l'arrivée massive d'une population
touristique qui dispose rarement de connaissances pointues en matière de
nivologie. En matière d'information, la principale mesure, outre
différentes brochures distribuées, est le drapeau d'avalanche
(trois couleurs en fonction de l'acuité du risque), qui constitue un
premier niveau d'information, information qui peut être
complétée par les services de secours, trop rarement
sollicités par les pratiquants.
Le maire porte ainsi l'essentiel de la responsabilité en cas d'accident.
Il dispose, comme outils, de la cartographie réglementaire
réalisée par les services de l'Etat. Cette cartographie fait
souvent l'objet de négociations, parfois vives, avec la population
locale concernée. En effet, le souci de prévention, qui peut
conduire à déclarer des zones inconstructibles, est parfois
confronté aux pressions économiques, liées notamment au
développement de l'activité touristique sur la commune.
Certains problèmes peuvent voir le jour. Ainsi, au sujet du
déclenchement des avalanches par explosif, les répartitions de
responsabilité sont partagées entre le maire, responsable
juridiquement et le directeur du service des pistes, responsable de la mise en
oeuvre du déclenchement et bien souvent de la décision
elle-même, tant il est vrai que l'élu ne dispose pas souvent des
compétences en la matière. En outre, les arrêtés
pris pour évacuer ou interdire les pistes souffrent fréquemment
d'une trop grande généralisation (par exemple, l'interdiction
d'un secteur pour tout l'hiver, dès qu'il neige) et pourraient se voir
sanctionner par le contrôle de légalité.
Pour ce qui concerne la sécurité individuelle, comme je l'ai
évoqué précédemment, les pratiquants sont les
premiers concernés par le déclenchement des avalanches. Un
premier recours consiste à se faire encadrer par des
professionnels : guides, moniteurs, accompagnateurs mettant leur formation
et leur expérience sur le terrain à la disposition du grand
public. Il ne s'agit toutefois pas d'une garantie totale contre la survenue de
l'accident, mais plutôt d'un facteur de réduction des risques.
Le pratiquant doit également faire la démarche de s'informer, de
se former, par le biais de clubs de montagne tels que le Club alpin
français, la fédération française de montagne et
d'escalade qui jouent un rôle essentiel pour la responsabilisation des
pratiquants. Il demeure cependant très difficile de toucher le grand
public qui n'appartient pas à des structures associatives et se sent
rarement concerné bien qu'il représente l'essentiel des victimes.
Lorsque qu'un accident survient, deux grands types de services assurent les
secours. En premier lieu, les services publics qui interviennent
systématiquement en montagne, loin des domaines skiables :
gendarmes, CRS, médecins des SAMU spécialisés, voire
pompiers. Dans les autres cas de figure, lorsque les accidents ont lieu
à proximité des domaines skiables, les pisteurs secouristes
interviennent. Là encore, pour que le secours soit efficace, les
pratiquants doivent pouvoir être leurs premiers secouristes : les
chances de survie décroissent considérablement après
quinze minutes. Ceci pose un problème en terme d'équipement, dans
la mesure où un appareillage efficace existe certes (petites balises
émettrices, pelles, sondes) mais coûte relativement cher, environ
382 €.
Au sujet des avalanches et de l'urbanisme, une idée fausse serait de
considérer qu'en mettant le prix, on pourrait sécuriser toutes
les zones perçues comme dangereuses. En réalité, les
ouvrages paravalanches sont construits en référence à un
certain type d'événements ; mais ceci ne constitue pas une
garantie définitive, dans la mesure où des
phénomènes encore plus violents peuvent survenir. Dans certaines
vallées, il n'est plus possible de construire ailleurs que dans des
zones menacées par les avalanches. En conséquence, la
prévention des risques peut se trouver confrontée dans certains
cas avec une volonté de développement touristique.
Cependant, et même si des progrès doivent être faits en la
matière, on peut prévoir le risque dans une certaine mesure et
donc ne pas se voir obligés de supprimer des activités sur de
grands domaines suite à une chute massive de neige. D'une manière
générale, les professionnels peuvent maintenant affiner leurs
prévisions et un développement économique raisonné,
qui prend en compte les conditions météorologiques, ne se trouve
pas menacé par le risque d'avalanche. En résumé, le risque
d'avalanche demeure certes une contrainte à prendre en compte mais cela
ne m'apparaît pas comme étant un frein à une
activité économique et touristique.
Les réformes souhaitables concernent plusieurs aspects.
Les connaissances :
il demeure nécessaire d'approfondir les
connaissances dans certains domaines. Je pense en particulier aux effets des
explosifs, aux manteaux neigeux stables, fréquemment skiés. En
effet, si les manteaux neigeux instables sont plutôt bien
répertoriés, il n'en va pas de même pour ceux
considérés comme stables.
Un meilleur retour d'expérience :
Au niveau de l'ANENA, nous
essayons d'obtenir un maximum d'informations sur les accidents d'avalanche,
compte tenu de nos moyens limités. D'une manière
générale, beaucoup d'enseignements restent à tirer en la
matière et malheureusement nous ne disposons pas de suffisamment de
moyens tant humains que financiers pour pouvoir exploiter toutes les
informations disponibles.
La prévision des avalanches à l'échelle
locale :
la prévision au niveau d'une station de ski demeure
difficile à établir. En outre, les prévisions locales
effectuées par les professionnels des stations ne sont pas toujours
considérées à leur juste valeur, par les juges en
particulier. Ceci est dommageable, tant le savoir-faire local est pertinent
pour appréhender les phénomènes d'avalanche, compte tenu
de la diversité des topographies.
Une réactualisation des textes réglementaires :
cette
réactualisation s'impose tout particulièrement concernant le
déclenchement des avalanches. Dans ce domaine, les textes datent du
début des années quatre-vingts et ne prennent pas en compte
certaines techniques apparues entre-temps.
Enfin et surtout, un effort considérable reste à effectuer pour
l'information des pratiquants.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je souhaite vous poser deux questions
complémentaires. Ma première question porte sur un aspect
technique et la nivologie en règle générale :
êtes-vous amenés à vous intéresser au lien entre
l'évolution du manteau neigeux et certains phénomènes
climatiques tel que le réchauffement ? Au lien entre la nivologie
et la ressource en eau en montagne ? La deuxième est la
suivante : avez-vous le sentiment que les avis que vous émettez
sont suivis par les juridictions ou les assurances qui font appel à
vous ?
M. François Sivardière -
Concernant votre première
question, je dois préciser que l'ANENA en tant que structure ne s'est
pas intéressée aux conséquences des
phénomènes de réchauffement climatique. Le Centre
d'étude de la neige de Météo France a travaillé sur
cette question et a indiqué qu'un réchauffement de la
température de l'ordre de un à deux degrés se traduirait
par une remontée de la limite inférieure de la neige qui
risquerait de poser un problème aux stations de basse et moyenne
altitude. Ainsi, à 1 500 mètres, la période
d'enneigement ne durerait plus que deux mois ou deux mois et demi. A plus haute
altitude, il n'y aurait guère de différences, si ce n'est
quelques jours en début et fin de saison. En ce qui concerne le risque
d'avalanches, il n'y aurait pas non plus d'incidence particulière, tout
au plus une augmentation des avalanches de type humide, l'humidité
étant directement liée au réchauffement de la
température.
Au sujet des ressources en eau, je ne dispose pas d'informations. A ma
connaissance, je ne crois pas qu'il y ait de grosses variations, dans la mesure
où le réchauffement climatique s'accompagnerait également
de précipitations plus importantes. Il y aurait donc moins de neige
à basse altitude mais plus de neige à haute altitude. Les stocks
seraient donc
a priori
constants. Mais ce ne sont que quelques
hypothèses car je n'ai pas entendu parler d'études à ce
sujet.
En ce qui concerne l'ANENA en tant que personne experte, les assurances ne
m'ont jamais approché depuis ma prise de fonction en 1994. En revanche,
concernant les institutions judiciaires, l'ANENA n'est pas experte en tant que
personne morale auprès des Cours d'appel : les experts dans le domaine
de la neige et des avalanches sont nommés à titre personnel. Un
certain nombre d'experts appartiennent cependant à l'ANENA depuis un
certain temps, mais ils interviennent en leur nom propre auprès des
tribunaux. Pour ma part, j'ai déjà été
sollicité à plusieurs reprises. J'y vois une difficulté
qui est celle de devoir donner raison à une des parties d'un
procès. Or, l'ANENA et son directeur ayant plutôt la vocation
d'être un liant entre différents acteurs, un organisme de
conciliation, cela pourrait contribuer à dégrader des relations
entre l'association et une partie de ses membres.
Néanmoins, il nous est arrivé d'intervenir en tant que
« sachants », notamment lors du procès d'un guide,
suite à l'accident intervenu près de Gap au cours d'une
randonnée de raquettes et qui avait entraîné la mort de
neuf enfants et de deux adultes. A cette occasion, le Procureur de la
République a souhaité que j'effectue un exposé, en
introduction du procès, de façon que toutes les parties
bénéficient des mêmes informations. Pendant plus de deux
heures, j'ai ainsi effectué un exposé, comme je peux le faire
auprès des clubs de pratiquants, en expliquant comment la neige se
modifie, comment se forme une avalanche, quelles sont les conduites à
tenir en cas d'accidents... A deux autres occasions, les compétences de
l'ANENA ont été sollicitées à travers la voix de
son directeur : récemment pour un accident survenu dans le Jura,
où l'on m'a demandé des informations sur les chances de
survie ; une autre fois à la Cour d'appel de Chambéry au
sujet des appareils de recherche des victimes d'avalanches (ARVA).
Enfin, il nous arrive de plus en plus d'intervenir à la demande,
notamment pour la formation de magistrats, soit par le biais de l'Ecole
nationale de magistrature, soit à la demande expresse de juridictions,
comme le Tribunal administratif de Grenoble ou la Cour d'appel de
Chambéry.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie, monsieur le directeur, pour
votre contribution.