B. DES INADAPTATIONS STRUCTURELLES

1. Une attention insuffisante portée à la qualité et aux attentes des consommateurs

a) Une attention insuffisante portée à la qualité

De manière récurrente, les personnes entendues par le groupe de travail ont affirmé que la viticulture française avait apporté un soin insuffisant à la dimension qualitative des produits mis sur le marché.

Dans le cas des vins de table et de certains vins de pays, l'insatisfaction des consommateurs est illustrée par la diminution des ventes. Cependant, les critiques n'épargnent pas les vins d'appellation d'origine contrôlée, dont il a été dit « qu'ils n'avaient pas tenu leurs promesses ».

Plusieurs facteurs contribuent à l'effritement de la réputation d'excellence qui est au fondement de la production française de vin. Votre rapporteur s'attardera sur trois d'entre eux :

L'existence d'un reliquat de cépages inadaptés

Le constat d'un manque de qualité tient également à la persistance, au sein du vignoble français, de cépages ne correspondant plus au goût actuel des consommateurs.

Les variétés en cause sont connues. Il s'agit du carignan et de l'aramon en Languedoc-Roussillon, de l'ugni blanc dans les Charentes et d'autres cépages moins répandus tels que le cinsault.

Ces cépages occupent encore une part importante des superficies plantées en vigne, à l'instar du carignan qui représente 11 % du vignoble français en 2000.

ENCÉPAGEMENT 2000

Cépages

Pourcentage

Merlot

13 %

Grenache noir

11 %

Carignan

11 %

Ugni Blanc

10 %

Cabernet Sauvignon

6 %

Syrah

6 %

Chardonnay

4 %

Cabernay Franc

4 %

Gamay

4 %

Cinsault

3 %

Pinot noir

3 %

Sauvignon

2 %

Autres

23 %

Source : DGDDI 2000

L'inadaptation de l'encépagement concerne au premier chef le vignoble destiné à la production de vins de table et de vins de pays. Cependant, des superficies AOC mériteraient également d'être restructurées. Il s'agit, par exemple, de certains cépages blancs de Bordeaux, pour lesquels une adaptation variétale est souhaitable.

Certes, la composition du vignoble s'est considérablement améliorée depuis vingt ans sous l'effet de l'arrachage définitif et des mesures de restructuration. Les surfaces plantées en aramon, en carignan ou en cinsault ont déjà beaucoup diminué. Parallèlement, les cépages en vogue sur le plan international, à l'instar de la syrah ou du merlot se sont fortement développés. Le tableau suivant restitue cette évolution.

ÉVOLUTION DE L'ENCÉPAGEMENT DU VIGNOBLE FRANÇAIS
(1979 - 2000)

Cépages

1979

(mHA)

2000

(mHA)

Evolution 1979/2000

Noirs

687,1

615,9

-10,3 %

Merlot

77,7

97,1

+176,31 %

Grenache

77,7

97,1

+25 %

Carignan

207,1

93,5

-54,8 %

Cab. Sauvignon

23,0

55,6

+141,7 %

Syrah

12,3

54,0

+339 %

Cab. Franc

22,6

37,3

+65 %

Gamay

33,9

36,4

+7,4 %

Cinsault

51,6

30,5

-40,9 %

Pinot

17,3

26,7

+54,3 %

Aramon

63,5

9,0

-85,8 %

Blancs

311,2

260,9

-16,21 %

Ugni

127,5

89,5

-29,8 %

Chardonnay

13,1

38,2

+191,6 %

Sauvignon

7,0

20,9

+198 %

Semillion

23,3

13,4

-42,5 %

Melon

9,5

13,3

+40 %

Chenin

9,6

10,0

+4,1 %

Grenache

16,3

6,3

-61,3 %

Macabeu

7,1

5,0

-29,6 %

Terret

9,0

2,6

-71,1 %

Baco

10,7

1,9

-82,2 %

Source : RGA pour 79 et 88, DGDDI pour 99 et 2000

Il reste que cette restructuration n'est pas encore achevée . Les interlocuteurs divers rencontrés par le groupe de travail font état de superficies restant à restructurer comprises entre 30 000 et 100 000 hectares. Votre rapporteur estime, pour sa part, qu'au moins 50 000 hectares sont concernés.

Il ne faut pas se voiler la face : les vins produits à partir de ces cépages n'ont plus d'autres débouchés que la distillation. Ils pèsent sur le marché, donc sur les cours, et décrédibilisent les investissements qualitatifs réalisés par la profession.

Une insuffisante maîtrise des rendements

L'augmentation sur le long terme des rendements des vignes s'est également sans doute traduite par l'obtention de vins de moindre qualité.

En viticulture, la qualité des vins exige une production fondée sur de faibles rendements. Cette relation est scientifiquement prouvée . Des rendements élevés favorisent, en effet, une diminution de la teneur en sucre des raisins, un affaiblissement du caractère aromatique, de la typicité ainsi qu'une baisse du taux de polyphénols, qui contribuent à la qualité du vin.

L'augmentation des rendements est, avant tout, le fait de conditions agronomiques rendues plus favorables par le recours à des traitements phytosanitaires, à des engrais ou encore à la sélection végétale.

Elle s'est accompagnée d'une élévation des rendements-limites définis par la réglementation.

Ainsi, depuis trente ans, les rendements de base des AOC auraient été relevés de 10 % en moyenne, soit environ 5 hectolitres par hectare.

En vin de pays, les textes ont toléré un certain dépassement des rendements à l'hectare, en vue de permettre la fabrication de produits « non-vins », tels que le jus de raisin.

En outre, le fait que le contrôle du respect de ces limites réglementaires ne porte, jusqu'à présent, que sur le rendement déclaré lors de la déclaration de récolte ne permet pas de prendre en compte les quantités de raisin réellement produites sur une parcelle.

Ainsi, cette réglementation n'a pas encouragé la maîtrise des rendements.

Un agrément qui n'a pas joué son rôle de filtre

Dans la branche des vins AOC, les conditions de délivrance de l'agrément se sont avérées insuffisamment rigoureuses pour garantir la qualité des vins mis sur le marché.

Les viticulteurs qui souhaitent utiliser pour leur vin une appellation d'origine contrôlée sont tenus, pour la commercialisation de chaque nouvelle récolte, d'obtenir un certificat d'agrément auprès de l'Institut national des appellations d'origine (INAO).

Aux termes d'une réglementation 9 ( * ) de 1974, la délivrance de cet agrément implique que les vins soient, au préalable, soumis à deux examens.

Le premier, dénommé examen analytique , porte sur l'acidité, le titre alcoolémique, la densité et la quantité d'extrait sec. Réalisé par un laboratoire agréé par la DGCCRF, il vise à garantir que la composition du vin correspond aux critères qui sont définis dans le décret relatif à l'AOC visée.

Le deuxième examen, dit organoleptique , relève d'une commission de dégustation désignée chaque année par l'INAO sur la proposition du syndicat de défense de l'appellation.

A l'issue de cet examen, la commission de dégustation délivre ou refuse l'agrément. Cependant, le viticulteur auquel l'agrément a été refusé peut demander un nouvel examen du lot en cause par la commission de dégustation, puis un troisième examen en appel devant une commission régionale de dégustation.

Les textes comportent des dispositions visant à garantir la rigueur de la procédure, en particulier s'agissant de l'anonymat des échantillons prélevés.

Les prélèvements doivent, en outre, porter sur la totalité du volume des vins susceptibles de bénéficier d'un certificat d'agrément, le fractionnement en plusieurs lots étant cependant admis à condition qu chaque lot fasse l'objet d'un prélèvement distinct.

Un dispositif de bouclage inviolable et une étiquette dont la partie relative à l'identification du lot est détachable doivent être apposés sur chaque échantillon.

Enfin, les échantillons doivent être apposés dans un local clos, mis à disposition de l'INAO par le syndicat viticole.

Cette réglementation apparemment stricte s'est, en pratique, rapidement révélée inadaptée.

Un audit 10 ( * ) commandé en 1997 par l'INAO et la CNAOC au cabinet Arthur Andersen classe les insuffisances des textes de 1974 en deux catégories.

La première rassemble les anomalies liées aux lacunes du cadre réglementaire lui-même.

Ainsi, en ce qui concerne le prélèvement, la réglementation ne précise pas les règles à observer dans les caves regroupant plusieurs appellations. Tout se passe comme si un chai ne pouvait produire qu'une seule appellation. Cela contredit bien évidemment la réalité, puisque l'on trouve par exemple dans la vallée du Rhône des viticulteurs produisant à la fois des Châteauneuf-du-Pape et des Côtes-du-Rhône.

En outre, les textes n'imposant aucun suivi des cuves dans le cas de prélèvements échelonnés dans le temps, des dysfonctionnements ont été relevés en matière de traçabilité des produits.

Enfin, la représentativité des membres siégeant dans les commissions de dégustation est apparue insuffisamment encadrée par la réglementation.

Cependant, l'audit relève aussi l'application imparfaite des dispositions réglementaires en vigueur.

Les garanties relatives à l'anonymat des échantillons prélevés semblent ainsi avoir été contournées .

Par ailleurs, a été constaté un fort absentéisme aux commissions de dégustation, imputé à des déficiences dans l'organisation des convocations. Le nombre insuffisant de présents, joint à des échanges oraux qui contribuent à faire de la dégustation un acte collectif, mettent en cause l'objectivité de cette procédure .

En outre, la réglementation laissait une grande marge d'appréciation aux différentes appellations pour leur mise en oeuvre.

Enfin, il semblerait que le caractère sévère et définitif de la sanction encourue en cas de refus d'agrément -le déclassement du vin produit en vin de table- ait fortement dissuadé les dégustateurs de refuser l'attribution de l'agrément .

Ceci expliquerait la forte proportion d'avis favorables émis par les commissions de dégustations. Selon l'INAO, les volumes agréés représentent 96% des volumes présentés en 1996.

Pour l'INAO, les critiques à l'égard de la procédure d'agrément sont excessives dans la mesure où celle-ci ne constitue pas un test de qualité, mais vise simplement à garantir que le vin vendu est sain, loyal et marchand, conformément au code de la consommation.

S'agissant de la qualité, M. René Renou, Président du Comité national des vins et eaux de l'INAO, met davantage en cause l'insuffisante attention portée aux conditions de production , en particulier aux modes de conduite de la vigne, sur lesquels la réglementation est encore très lacunaire.

Si votre rapporteur s'accorde sur ce constat, il estime néanmoins qu'il faut redonner à l'agrément un rôle qui soit à la hauteur de la réputation à laquelle prétendent les vins AOC.

Ainsi l'insatisfaction à l'égard du niveau général de qualité des vins français, très relayée ces derniers temps par les médias, tient-elle à un certain nombre de facteurs bien identifiés.

Mais, elle révèle, plus largement, les limites de la logique d'écoulement de l'offre, sur laquelle est fondé le fonctionnement global de la filière vin en France. Cette situation s'explique par le fait que la filière française s'est historiquement construite autour des producteurs. Emanation des différents syndicats d'appellations, l'INAO a élaboré les règles applicables à ce secteur, qui ont ensuite largement inspiré la réglementation communautaire.

A l'inverse, les secteurs vitivinicoles des nouveaux pays producteurs sont pilotés par de grands groupes de l'aval, qui s'attachent à produire en fonction de la demande du marché . Dans cette organisation, le viticulteur n'est qu'un fournisseur de matière première.

Il n'est pas question ici de remettre en cause notre mode d'organisation, qui garantit aux viticulteurs leur indépendance et donne à la production française une image d'authenticité .

Force est toutefois de constater que la logique qui l'inspire a incité les producteurs à porter peu d'attention aux débouchés de leurs vins.

A titre d'exemple, le paiement à la quantité livrée a longtemps prédominé dans les structures coopératives, même si un paiement différencié en fonction de la qualité des livraisons se généralise aujourd'hui.

En outre, le secteur viticole noue peu de contacts avec les consommateurs finaux , de sorte que les attentes de ces derniers sont mal cernées par la profession, comme les représentants de la Confédération nationale des caves particulières (Vignerons indépendants) l'ont fait observer lors de leur audition au Sénat. Ceux-ci se sont montrés très demandeurs à l'égard de conseils donnés aux viticulteurs pour mieux adapter l'offre à la demande, plaidant notamment en faveur d'un développement des métiers de techniciens pour répondre à ce besoin.

* 9 Décret n° 74-874 du 19 octobre 1974 relatif aux examens analytique et organoleptique des vins à appellation d'origine contrôlée et arrêté du 20 novembre 1974

* 10 Audit de l'organisation des examens analytique et organoleptique, 11 et 12 février 1998, société Arthur Andersen

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page