B. REPENSER L'ENFERMEMENT DES MINEURS
L'enfermement des mineurs délinquants est parfois une nécessité. Il peut être une nécessité à l'égard de la société qui demande une protection vis-à-vis de jeunes particulièrement violents.
Il peut être une nécessité à l'égard du mineur ancré dans un parcours d'auto-destruction.
Aujourd'hui, l'incarcération demeure trop souvent le dernier recours, la fin de toute tentative éducative.
L'enfermement des mineurs doit être repensé afin de revêtir une véritable dimension éducative et de s'inscrire dans un parcours dynamique vers la réinsertion.
1. Créer des établissements spécialisés pour les mineurs
Au terme de ses travaux, la commission ne croit pas que tout travail éducatif soit impossible en milieu fermé comme le lui ont affirmé certains de ses interlocuteurs. Si tel était le cas, à quoi servirait-il de proclamer sans cesse que tout doit être fait pour que la prison facilite la réinsertion des condamnés ?
La commission considère au contraire que, dans certaines situations, la contrainte peut faciliter l'éducation. Elle constate cependant qu'aujourd'hui, le système français de traitement de la délinquance des mineurs est tel qu'il faut choisir entre la contrainte et l'éducation. C'est cette logique qu'il convient de briser pour avancer .
A cet égard, la commission partage le diagnostic de l'Association française des professionnels de l'éducation en lien avec la justice pour qui « Il faut construire un système nouveau où il puisse y avoir de la contention dans l'éducatif et de l'éducation dans l'enfermement. Il faut en finir avec la prison pour les mineurs telle qu'elle existe aujourd'hui et créer des structures entièrement spécialisées où la privation de liberté ne sera pas synonyme d'interruption brutale du suivi éducatif » 70 ( * ) .
Pourquoi un travail éducatif serait-il possible en milieu fermé chez nos voisins européens et pas en France ? Dans de nombreux pays, les mineurs ne vont pas dans les prisons classiques mais dans des établissements spécialisés où une prise en charge intensive et totalement personnalisée est possible. Dans ces pays, le débat français sur l'impossible travail éducatif en milieu fermé n'existe pas.
La France doit être capable d'imaginer de nouvelles solutions de prise en charge pour les mineurs qui, à un moment, ont besoin d'une contention forte. Les quartiers de mineurs actuels ne sont, sauf exception, pas adaptés à une prise en charge intensive. La prison demeure beaucoup trop souvent un temps mort dans le parcours du mineur malgré les efforts de coordination qui sont désormais faits entre les intervenants du milieu ouvert et ceux du milieu fermé.
L'emprisonnement des mineurs doit aujourd'hui être totalement repensé. Il ne doit plus être conçu séparément de toutes les autres actions mises en oeuvre pour un mineur, mais dans le cadre d'un parcours qui doit permettre une réinsertion complète.
Une telle mutation implique des transformations profondes :
- des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs devraient être créés, conçus spécifiquement pour permettre une prise en charge intensive en vue de la réinsertion de ces mineurs. Ces établissements devraient permettre une véritable scolarisation, l'organisation d'activités multiples. Les mineurs accueillis ne devraient plus pouvoir passer des journées entières à regarder la télévision en cellule comme cela arrive encore dans les quartiers pour mineurs des maisons d'arrêt. Ils devraient au contraire être occupés et encadrés tout au long de la journée.
Les nouveaux établissements ne devraient être ni trop grands, la concentration dans un même lieu d'un nombre important de mineurs en grande difficulté pouvant être explosive, ni trop petits, afin que des moyens massifs en personnels de surveillance, d'éducation, de santé, de psychiatrie puissent y être affectés. Ces établissements devraient progressivement remplacer les quartiers des mineurs actuellement intégrés dans les maisons d'arrêt ;
- même si ces établissements devraient logiquement relever de l'administration pénitentiaire, il conviendrait d'y introduire une véritable mixité dans ces établissements entre l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, comme l'a suggéré M. Jean-Louis Daumas 71 ( * ) , directeur du centre pénitentiaire de Caen, devant la commission d'enquête : « Je suis intimement convaincu qu'il reste une grande place pour effectuer un travail en milieu fermé, sans le faire au détriment du milieu ouvert. Mais, pour les jeunes les plus difficiles, les plus violents, les plus abîmés, en plus grande souffrance, il faut introduire la mixité culturelle dans les établissements, accompagner l'action pénitentiaire de celle de la protection judiciaire de la jeunesse, avec l'intervention de deux types de personnels, des surveillants et des éducateurs. Les surveillants n'ont pas à faire le travail de l'éducateur. Les éducateurs n'ont pas à faire le travail des surveillants. Il y a de la place pour les deux métiers (...) . »
* 70 Délinquance des mineurs : manifeste pour une réforme.
* 71 Audition du 15 mai 2002.