2. « Catalogues » et « ping-pong », un système illisible et inefficace
Exemple non-exhaustif de la
prolifération des axes, des outils et des acteurs
Axes prévention |
Outils |
Acteurs |
Métiers |
Sécurité-toxicomanie |
- CLS - GLTD (disparus) - Contrats ville - BPDJ |
- Police - Justice - Collectivités locales - Etat - HLM - Transports |
- ALMS - Adjoint sécurité - Correspondants de nuit |
Animation |
- Contrat ville - VVV - BPDJ - Ecole ouverte - Classe de ville |
- Etat - Collectivités locales - Police - Associations - Education nationale - HLM |
- Animateurs - Correspondants de nuit |
Médiation sociale,
Citoyenneté,
|
- GELD - 114 - CODAC - Maison Justice Droit - Centres sociaux - REAAP - ENS - Contrat ville |
- Etat - Collectivités locales - Justice - Associations - Education nationale - FAS - CNAR |
- Animateurs - Adultes relais - ALMS - Correspondants de nuit |
Insertion Echec scolaire |
- Missions locales - PAIO - CAPS - Contrats ville |
- Etat - Collectivités locales - Associations - Education nationale |
- ALMS - EEI - Adultes relais |
a) Une source de chevauchement, de lacunes et de concurrence
La confusion entre les orientations et les objectifs de la politique de la ville rend le système à bien des égards inopérant. Les thématiques liées à la prévention reviennent d'un dispositif à l'autre, et figurent dans la plupart des contrats. Dans certains quartiers, on peut compter jusqu'à une dizaine de contrats aux finalités communes, sans pour autant que ceux-ci ne s'emboîtent correctement les uns dans les autres, ni qu'une coordination véritable ne soit assurée . Ainsi, les mêmes objectifs sont censés être atteints par des programmes divers rassemblant parfois les mêmes acteurs sur des territoires non homogènes.
La multiplication de contrats imparfaitement cohérents est lourde à porter. Elle suppose l'élaboration de diagnostics coûteux à réaliser et exige, après leur négociation, un pilotage et une évaluation fine pour porter des fruits. La Cour des comptes constate en plus que ce phénomène « concerne des territoires de taille souvent réduite dont le pivot central est fréquemment constitué par des communes dont les moyens administratifs, techniques et financiers ne sont pas à la mesure du dispositif à mettre en oeuvre » .
En l'absence de rationalisation, la production d'actions de prévention reste erratique, surabondante à certains endroits, trop limitée ailleurs. Le ciblage est incertain : si une grande partie des jeunes seront probablement touchés par un programme de prévention, le faible calibrage de ces derniers rend très aléatoire l'adéquation des réponses aux besoins. L'écueil du saupoudrage n'est souvent pas évité.
Dans le pire des cas, le défaut d'une coordination efficace entraîne la faille du système et « des méconnaissances dans la chaîne du traitement des mineurs délinquants tout en créant des processus d'évitement de la part des adolescents les plus difficiles » 57 ( * ) .
L'empilement des mesures n'évite pas par ailleurs une concurrence exacerbée dans la production de l'offre, engendrée par les modes de financement, mais également par des enjeux de pouvoir et de responsabilité entre les différents acteurs.
Dans ce magma, l'effort de simplification qui est parfois mené révèle rapidement ses limites et aboutit même à une surcomplexification. Le cas de l'activité contractuelle de l'Education nationale est, à cet égard, parlant. Le contrat éducatif local (CEL) avait pour objet de simplifier, en les rassemblant, un certain nombre d'expériences (contrat local d'accompagnement scolaire et contrat d'aménagement du temps libre, opération école ouverte, etc.). Malheureusement, ainsi que le souligne la Cour des comptes « les relations entre les démarches mises en oeuvre dans le cadre de l'éducation prioritaire et celles des CEL sont souvent lâches, ce qui a conduit à l'émergence du nouveau concept de " plan éducatif local " (PEL), qui vise à assurer l'existence d'un projet d'ensemble entre les actions éducatives et les activités extra et péri-scolaires. »
Et la Cour de confirmer :
« Ainsi la recherche d'une plus grande cohérence des procédures et des dispositifs conduit-elle à une complexification progressive de l'architecture contractuelle, malgré la volonté affichée de simplification ».
Il est souvent moins rentable de faire évoluer un dispositif existant vers une nouvelle mission que de créer une nouvelle structure quitte à laisser l'ancienne dépérir. Les objectifs de communication et les effets d'annonce entraînent l'empilement des dispositifs.
Cette regrettable vérité explique la stratification de mesures dans tous les compartiments de la politique de la ville. Ainsi, la juridiction financière note, à propos des contrats locaux de sécurité qu'ils « ont été créés sans que soit clairement précisée leur relation avec les CCPD, ce qui donne lieu, localement, à des situations variées et à une sédimentation de procédures successives, dont certaines sont « dormantes ». Lors de son audition par la commission, M. Christian Petit, chef du bureau de la police administrative-circulation routière à la sous-direction de la gendarmerie, a partagé ce constat : « On observe un certain nombre de carences, la principale tenant à un évident phénomène d'empilement des dispositifs, avec les CLS, les conseils communaux de prévention de la délinquance, les plans départementaux de sécurité, les plans locaux de sécurité, etc. Cela nuit à la fois à la lisibilité et à l'efficacité » 58 ( * ) .
Au total, l'illisibilité de la politique de la ville n'évite pas le risque « d'angles morts » dans le traitement des questions de délinquance, créant une diminution du contrôle social par la fragmentation des actions.
b) Un système qui épuise ses acteurs...
La multiplicité des programmes et des intervenants épuise les acteurs de la prévention de la délinquance. Ainsi que le note un rapport 59 ( * ) « le partenariat de terrain s'épuise à des rencontres répétées que bien des intervenants finissent d'ailleurs par bouder et ces réunions se bornent souvent, à part la mise au point de quelques happenings spectaculaires et parfois illusoires, à une reconnaissance mutuelle qui montre souvent que, dans leur quotidien, bien des acteurs, en fait, ne se rencontrent pas ».
Ce rapport poursuit en notant que « ce type de réunion se borne parfois à n'être que des réunions de coordinateurs (contrats de ville, CLS, ZEP, REP, bassin de formation, etc.) se coordonnant, c'est-à-dire réaffirmant leur champ de responsabilité » . On comprend dès lors aisément le malaise de la chargée de coordination de la politique de la ville de Vaulx-en-Velin et sa lassitude, confiée à une délégation de la commission d'enquête : « je coordonne du vide ».
En outre, la complexité des procédures, les financements croisés, l'inapplication des engagements pluriannuels et les retards dans le versement des subventions fragilisent beaucoup d'acteurs, notamment dans le tissu associatif. Le financement non pérenne est la plupart du temps la règle obligeant chaque année les structures à « quêter » auprès des donneurs d'ordre potentiels . Le fonctionnement de l'antenne de justice de Bagneux, visitée par la commission, n'est pas assuré à six mois car le secrétariat et les travailleurs sociaux relèvent de ces financements. Malgré ses bons résultats, l'association « Les Quatre Cités » de Thonon-les-Bains, où s'est également rendue la commission d'enquête, doit sans cesse compter sur l'engagement exceptionnel de la mairie.
Cette négociation des crédits « épuise et bureaucratise » des acteurs dont beaucoup viennent du bénévolat. Le diagnostic est, là encore, alarmant puisque le rapport précité constate que la « politique de la ville censée rapprocher les citoyens contribue à les éloigner par lenteur et technocratie » insistant sur le fait que « le suivi de longue durée que nécessitent les actions de prévention est alors bien aléatoire ».
c) ...Et reste difficile à évaluer
L'évaluation reste une faiblesse incontestable de la politique de la ville.
Evoqué par le rapport Sueur, le souci de l'évaluation a donné lieu à de multiples déclarations d'intention. Dans sa circulaire du 31 décembre 1998, M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, qualifiait l'évaluation des contrats de ville de « primordiale ».
Or, cette évaluation n'est, aujourd'hui, que rarement réalisée de manière satisfaisante. La Cour des comptes rappelle que « pour évaluer une politique, il est nécessaire d'avoir défini des objectifs et de s'être donné les moyens de mesurer s'ils sont atteints. Aucune de ces deux conditions n'est actuellement remplie concernant la politique de la ville » , et ce, malgré les différentes initiatives prises par la Délégation interministérielle à la ville (DIV).
Evaluer les actions de prévention « Il me paraît indispensable que les élus aient connaissance du coût par jeune, par jour, par activité, pour pouvoir prendre les bonnes décisions. « Voici un exemple en matière d'interprétation des chiffres. Prenons l'hypothèse d'une structure de quartier qui pourrait être une association sportive. Du lundi au samedi, elle accueille vingt mêmes jeunes qui participent à toutes les activités mises en place. « Il y a trois façons de présenter le bilan : la version la plus honnête serait d'écrire : « Vingt mêmes jeunes ont participé à toutes les activités proposées du lundi au samedi ». Cette phrase indique que les jeunes en question sont en contact régulier avec la structure et qu'un vrai travail éducatif de fond est mis en place par l'équipe pédagogique. « La deuxième version, plus brève, permet à la structure de se mettre en valeur : « On a touché 120 jeunes par semaine ». Cette présentation laisse entendre que vingt jeunes différents sont venus pendant six jours, soit un total de 120 jeunes sur une semaine. Mais ce n'est pas la réalité de terrain. « Enfin, la troisième version se lirait ainsi : « Vingt jeunes issus de cinq familles ont participé à toutes les activités proposées du lundi au samedi ». Un responsable d'association m'a confié que, s'il présentait un tel bilan, l'association serait contrainte de fermer ses portes. Il existe des associations où la famille est présente au grand complet, du petit de six ans jusqu'au grand frère de quatorze ans. Mais, si l'association communique ces chiffres, la collectivité s'indigne : « Nous avons monté une structure de quartier avec des subventions allouées extraordinaires et vous êtes en train de nous dire qu'on touche cinq familles sur le quartier ! ».
« Si les audits recueillaient les vrais
chiffres, les décisions prises seraient différentes. Les
conseillers ou les agents qui sont chargés de collecter les chiffres
n'ont pas l'expérience de terrain et le recul nécessaire pour
être à même de faire le constat suivant :
« Ce n'est pas vrai ; j'y suis tous les matins ; les gamins
sont les mêmes ».
|
Dans un rapport sur le projet de loi de finances pour 2001, notre ancien collègue M. Alain Joyandet 60 ( * ) parlait de « trop plein d'études et manque d'évaluation » . Les études sectorielles de qualité, mais trop nombreuses sur la politique de la ville gagneraient à être complétées d'une évaluation systématique, nationale et locale, du travail accompli.
*
* *
La politique de la ville reste l'outil indispensable de la prévention d'une délinquance juvénile qui se développe prioritairement dans les cités les moins favorisées.
Après plusieurs constats sévères sur son développement anarchique, l'urgence pour la politique de la ville est de retrouver de la cohérence -avec comme leitmotiv que « tout ne peut pas servir à tout » - et de se réorganiser autour de trois axes -la sécurisation des espaces, l'amélioration de l'environnement des quartiers, le développement de ces quartiers- ayant chacun leurs outils propres.
Cette restructuration passe avant tout par une simplification des objectifs, des méthodes (diagnostic, procédures, financements, évaluation) et des programmes. A ce titre, la commission plaide pour un allégement des procédures contractuelles qui sont devenues dernièrement, dans beaucoup de domaines, des fins en soi .
« Moins de coordination, mieux de coordination » : au-delà du slogan, il est nécessaire de privilégier, autour d'opérations concrètes, des modes de contractualisation allégés qui permettent l'implication de tous et notamment des habitants des quartiers car in fine , la politique de la ville réussira lorsqu'elle sera devenue, de manière incontestée, la propriété de ces derniers.
* 57 Rapport LARSEF sous la direction d'Eric Debarbieux, « L'oppression quotidienne - Recherches sur une délinquance des mineurs », janvier 2002.
* 58 Audition du 17 avril 2002.
* 59 Rapport LARSEF, sous la direction d'Eric Debarbieux, « L'oppression quotidienne - Recherches sur une délinquance des mineurs », janvier 2002.
* 60 M. Alain Joyandet, Rapport spécial, loi de finances pour 2001, Sénat, n° 92, tome III, annexe 19 (ville).