3. M. Jacques Valade, sénateur de la Gironde, président de la commission des Affaires culturelles, vice-président du groupe d'étude de l'Énergie
En réponse à Dominique Ristori, je voudrais d'abord tempérer son optimisme concernant le futur Conseil européen de Barcelone qui devrait, selon lui, trouver une issue rapide aux problèmes énergétiques. Vu les échéances électorales en France, il sera peut-être difficile pour nos représentants de s'affranchir de telles contraintes... même si au niveau particulier du groupe d'étude de l'Énergie du Sénat, il existe une grande homogénéité de pensée.
L'objectif fixé par la Commission européenne d'ouverture totale des marchés de l'électricité et du gaz dès 2005 nous paraît très volontariste au regard du non-respect des engagements initiaux de certains États membres.
L'Europe doit naviguer entre une définition ambitieuse d'objectifs et le réalisme à l'égard des situations nationales, à savoir entre un pari sur l'avenir et un impératif donné.
Le pari est indispensable si on veut avancer sur la voie de la construction d'un marché européen de l'énergie. Les déboires de certains États américains, la faillite d'Enron, laquelle comptait plus de vingt mille salariés, après celle de Pacific Gas and Electric, incite à la prudence plutôt qu'à la précipitation.
L'impératif de diversification et de sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Europe passe par la libéralisation de ce secteur. L'Europe doit définir les objectifs, les États membres se concerter en prenant en compte l'évolution du marché. Cette méthode, ni dogmatique, ni conservatrice, semble être la plus judicieuse. Il faut respecter les délais et les calendriers pour arriver, progressivement, mais réellement, à l'ouverture.
Le respect des délais de transposition des directives
Dans ce domaine, la France ne donne pas le bon exemple ! Une proposition de loi, initiée par un des membres du groupe d'étude de l'Énergie du Sénat, prévoit l'inscription automatique des projets de loi de transposition à l'ordre du jour des assemblées, six mois au moins avant l'expiration du délai fixé pour la transposition.
Sans polémiquer, le grand écart permanent de la majorité plurielle actuelle n'est pas supportable. En voulant transposer la directive gaz sous forme d'un cavalier au détour du projet de loi de finances rectificative, le gouvernement actuel joue l'Arlésienne et illustre tout ce qu'il ne faut pas faire.
L'ouverture effective des marchés de l'Union
Il n'existe pas de corrélation entre le degré théorique d'ouverture et l'exercice réel de la concurrence du marché. De ce point de vue, certains États membres comme l'Italie, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont plus en retard que la France. Si leur degré d'ouverture est théoriquement de 100 %, la réalité est plus proche de 35 % pour le Royaume-Uni, et de 0,5 % pour l'Allemagne !
Malgré une transposition de la directive électricité a minima, la France enregistre un taux d'ouverture de son marché de 8,3 %. Par ailleurs, malgré un avis défavorable du gouvernement, nous nous félicitons de la naissance de Powernext à Paris le 26 novembre 2001. Cette nouvelle bourse de l'électricité devrait contribuer au développement du marché français et rattraper ainsi les écarts creusés par le précurseur nordique (Nord Pool), les bourses anglaise, allemande et néerlandaise.
Le rôle de l'Union
Dans notre rapport sur le Livre Vert de la Commission, nous avons défendu les rôles respectifs de la Commission européenne et des États membres. Ainsi, Bruxelles doit veiller à ce que les règles soient transposées dans leur totalité, dans les délais impartis, et que leur mise en oeuvre permette une ouverture effective des marchés. Par ailleurs, les États membres doivent continuer de jouir d'une certaine marge de manoeuvre dans les modalités d'instauration de la concurrence.
L'Union doit harmoniser les modes de régulation mis en place par les États membres et inciter les régulateurs à mieux coordonner leurs actions avec leurs homologues européens.
L'enjeu majeur demeure la sécurité d'approvisionnement énergétique. La multiplicité des échanges et des acteurs, la fluidité du marché et la diversification des moyens de production y contribuent. Mais trop de libéralisation pourrait à l'inverse menacer la sécurité d'approvisionnement en privilégiant excessivement le court terme au détriment du long terme.
Le Livre Vert pose les vrais problèmes en permettant la définition d'une réelle politique énergétique européenne. Les institutions communautaires avec les États membres doivent veiller à ce que l'offre s'adapte à l'évolution de la demande tant à court terme qu'à long terme. Il appartient aux États d'assurer la diversité des ressources d'approvisionnement et des modes de production, sans perdre de vue l'indispensable solidarité européenne.
Cette diversité, gage de sécurité, suppose que chaque État développe les moyens de production les plus adaptés. La France doit ainsi renouveler son parc nucléaire.
Entre le monopole et la dérégulation sans bornes, l'Union se doit de trouver une troisième voie qui concilie l'ouverture du marché énergétique à la concurrence, la prise en compte des enjeux de long terme et la sécurité d'approvisionnement.