N°
250
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 19 février 2002
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation pour l'Union européenne (1) sur l' amélioration des procédures de transposition des directives communautaires en droit français ,
Par M.
Hubert HAENEL,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; M. Denis Badré, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean-Léonce Dupont, Claude Estier, Jean François-Poncet, Lucien Lanier, vice-présidents ; M. Hubert Durand-Chastel, secrétaire ; MM. Bernard Angels, Robert Badinter, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Bizet, Jacques Blanc, Maurice Blin, Gilbert Chabroux, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Mme Michelle Demessine, MM. Marcel Deneux, Jean-Paul Émin, Pierre Fauchon, André Ferrand, Philippe François, Yann Gaillard, Emmanuel Hamel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Simon Sutour, Jean-Marie Vanlerenberghe, Paul Vergès, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.
Union européenne. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
A l'automne 2000, le Gouvernement a demandé au Parlement de l'habiliter
à transposer, par voie d'ordonnances, une cinquantaine de directives
communautaires, dont certaines de grande importance. Beaucoup de
députés et de sénateurs ont découvert à
cette occasion l'ampleur du retard français dans la transposition des
textes communautaires et les graves conséquences de cette
situation :
- la fragilisation de la position de la France dans les
négociations communautaires, notre pays se situant à
l'avant-dernier rang pour les mesures de transposition et détenant le
triste record des procédures contentieuses pour non-transposition ou
transposition insuffisante, avec le risque de se voir condamné au
versement d'amendes ou d'astreintes ;
- une forte insécurité juridique, la jurisprudence
développée par la Cour de justice reconnaissant un effet direct
partiel aux directives communautaires lorsque le délai prévu pour
leur transposition a été dépassé ;
- une atteinte à l'esprit communautaire, car la construction
européenne repose sur la confiance mutuelle entre les Etats membres, qui
ont pour l'essentiel la responsabilité de l'application du droit
communautaire ;
- un mauvais « signal » vis-à-vis des pays
candidats, de qui nous exigeons une reprise intégrale de l'acquis
communautaire sans satisfaire nous-mêmes à cette exigence ;
- finalement, une atteinte au fonctionnement équilibré de
notre démocratie, le recours aux ordonnances conduisant à la
transposition de plusieurs dizaines de textes à caractère
législatif sans les garanties qu'apporte l'examen parlementaire.
Les débats, tant à l'Assemblée nationale qu'au
Sénat, ont montré le profond malaise que suscitait la tentative
de régler le problème en recourant aux ordonnances. Ils ont
logiquement conduit à une interrogation sur les causes du retard
français dans la transposition.
Il s'est avéré, tout d'abord, que contrairement à ce que
suggérait le Gouvernement,
ce retard ne résultait pas
principalement de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées, car
deux tiers des textes non transposés dans les délais avaient un
caractère purement réglementaire et n'appelaient donc aucune
intervention du Parlement.
Ensuite, chacun a dû reconnaître que si, pour quelques textes, la
non-transposition résultait de choix (ou de difficultés)
politiques, le problème ne devait pas être placé sur un
terrain partisan, tous les gouvernements qui se sont succédé au
fil des ans ayant une part de responsabilité dans le
phénomène. Celui-ci n'était pas nouveau, puisque certains
textes européens attendaient depuis quelque vingt années une
transposition complète.
Il fallait donc s'attacher à repérer plus
précisément les causes des dysfonctionnements afin de leur porter
remède. A défaut, le stock des textes à transposer
était condamné à augmenter à nouveau.
Cette conclusion des débats du Sénat est encore confirmée
par le dernier
« tableau d'affichage du marché
intérieur »
publié en novembre 2001 par la
Commission européenne.
La France - dix mois après
l'entrée en vigueur de la loi d'habilitation - reste, avec la
Grèce, le pays dont le déficit de transposition est le plus
important, et conserve de très loin la palme des procédures
d'infraction.
De tels résultats appellent, à l'évidence, non point des
lois de circonstance, mais bien une amélioration durable des
méthodes. Après avoir rappelé les initiatives prises en ce
sens, on en examinera les premiers résultats.
I. LES INITIATIVES
A) LE DIAGNOSTIC DE LA DÉLÉGATION DU SÉNAT
Dès la fin du débat sur la loi d'habilitation, la
délégation pour l'Union européenne du Sénat a
publié un rapport (n° 182, 2000-2001) comportant une analyse
des causes du déficit de transposition.
• Relevant que la cause principale de ce déficit est d'ordre
administratif, le rapport observe que le dysfonctionnement administratif en
cause a été repéré depuis longtemps, qu'il a
été autrefois souligné par le Conseil d'Etat, et que pas
moins de quatre circulaires du Premier ministre (une tous les quatre ans de
1986 à 1998 !) ont tenté d'y remédier.
La nature de ce dysfonctionnement est bien connue. D'une part, les
effets
sur le droit interne des projets de directive ne sont pas pris en compte dans
les négociations.
D'autre part,
la coordination
interministérielle n'est pas suffisamment efficace
, de telle sorte
que les désaccords entre administrations aboutissent à des
blocages durables.
Or, les efforts pour améliorer cette situation sont restés lettre
morte. La circulaire du 9 novembre 1998, dernière en date,
précise qu'il est
« nécessaire en particulier de
s'assurer, dès le début de la négociation, que les
formulations ou définitions envisagées ne risquent pas de
soulever des difficultés d'interprétation ou de créer des
incohérences au regard des dispositions existantes en droit
interne ».
Elle prévoit pour cela que chaque proposition
de directive devra faire l'objet d'une
étude d'impact juridique
comprenant :
- la liste des textes de droit interne dont l'élaboration ou la
modification seront nécessaires en cas d'adoption de la directive ;
- un avis sur le principe du texte, sous l'angle juridique et celui de la
subsidiarité ;
- un tableau comparatif des dispositions communautaires et
nationales ;
- si les informations nécessaires sont disponibles, une note de
droit comparé.
La circulaire ajoute que cette étude d'impact juridique
« s'efforcera également d'identifier les difficultés
que pourrait soulever la transposition en droit interne des dispositions de
cette proposition de directive ».
Enfin, le même texte prévoit que la transposition
« préparée, ainsi qu'il a été dit,
dès le stade de la négociation, doit être entreprise
aussitôt que la directive a été adoptée »,
et souligne que
« les difficultés de nature juridique
et administrative traditionnellement rencontrées dans cet exercice sont
principalement dues à des interrogations sur le choix du niveau de texte
adéquat dans la hiérarchie des normes internes ainsi qu'à
des hésitations ou des désaccords sur le rôle qui incombe
à chaque ministère ».
Il est prévu à cet égard que, dans le délai de
trois mois, chaque ministère participant à la transposition
élaborera
« un échéancier d'adoption des
textes relevant de ses attributions accompagné, pour chacun de ces
textes , d'un avant-projet de rédaction et d'un tableau de
concordance permettant d'identifier clairement les dispositions
transposées ».
Or, la délégation a été amenée à
constater que,
plus de deux ans après la publication de cette
circulaire, celle-ci n'avait pas reçu un commencement d'application,
aucune étude d'impact juridique, notamment, n'ayant
été effectuée.
• A côté des causes administratives, le rapport de la
délégation souligne que, dans plusieurs cas, le retard pris dans
la transposition des directives doit être attribué au fait que
les gouvernements se sont constamment dérobés devant certains
arbitrages rendus pourtant nécessaires par les compromis acceptés
à Bruxelles,
et ont mis en avant un prétendu encombrement de
l'ordre du jour des assemblées pour éviter d'avoir à
prendre leurs responsabilités. Et le rapport énumérait les
cas les plus criants :
« Qui nous fera croire que c'est l'encombrement de l'ordre du jour
des assemblées qui a empêché de transposer la directive
« Natura 2000 », alors que chacun sait que ce sont les
protestations que suscitait le projet de créer un réseau
européen écologique qui ont incité à geler
l'application de cette directive ?
« Qui nous fera croire que c'est la durée des débats
parlementaires qui a empêché de transposer plus tôt la
directive de 1976 sur l'égalité de traitement entre les hommes et
les femmes qui autorise celles-ci à travailler la nuit alors que chacun
sait que c'est la peur de mécontenter la CGT et FO qui a fait reculer le
Gouvernement ?
« Qui nous fera croire que c'est la charge de travail du Parlement
qui a retardé la transposition des directives ouvrant le marché
de l'électricité ou du gaz à la
concurrence ? ».
B) LES PROPOSITIONS DE LOI
Le
débat engagé par le rapport de la délégation s'est
prolongé par la discussion par le Sénat, le 14 juin 2001, de deux
propositions de loi qui abordent chacune un des deux volets du
dysfonctionnement observé.
• La première proposition de loi complète l'article 6
bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 en vue de permettre un
contrôle du Parlement sur la transposition des directives communautaires.
Elle a été adoptée à l'unanimité par le
Sénat.
Cette proposition de loi repose sur l'idée que la circulaire du
9 novembre 1998 définit les réponses adéquates aux
difficultés d'ordre administratif qui sont la cause de la plupart des
retards de transposition, et que l'objectif à poursuivre doit donc
être de faire en sorte que le Gouvernement mette effectivement en oeuvre
les obligations qu'il s'est lui-même imposées.
Pour cela, il est prévu de reprendre dans un texte législatif les
principales dispositions de la circulaire, c'est-à-dire la
nécessité de procéder à une
étude
d'impact juridique
sur toute proposition de directive, et de tenir un
échéancier d'adoption des textes législatifs
nécessaires à la transposition des directives communautaires
définitivement adoptées. Pour pouvoir donner à ces
dispositions une valeur d'obligation légale, et pour permettre au
Parlement de mieux exercer son contrôle, le texte prévoit de
rendre les délégations pour l'Union européenne de chaque
assemblée destinataires des études d'impact juridique et des
échéanciers d'adoption.
Le texte de la proposition de loi, telle qu'elle a été
adoptée par le Sénat, est le suivant :
Article unique
Après le deuxième alinéa du IV de
l'article 6
bis
de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au
fonctionnement des assemblées parlementaires, sont insérés
deux alinéas ainsi rédigés :
« Sur tout projet ou proposition d'acte des Communautés
européennes ou de l'Union européenne ayant une incidence sur des
dispositions de nature législative, le gouvernement leur communique,
dans le délai de deux mois à partir de la transmission de ce
projet ou de cette proposition au Conseil de l'Union, une étude d'impact
juridique. Cette étude comprend la liste des textes législatifs
de droit interne dont l'élaboration ou la modification sera
nécessaire en cas d'adoption du texte, un avis sur le principe du texte
sous l'angle juridique et celui de la subsidiarité ainsi qu'un tableau
comparatif des dispositions communautaires et nationales. Elle est
adaptée au vu des évolutions qu'est susceptible de
connaître la proposition ou le projet.
« Dans les trois mois suivant la notification d'une directive, le
Gouvernement leur communique un échéancier d'adoption des textes
législatifs permettant sa transposition en droit interne. »
• La seconde proposition de loi qu'a adoptée le Sénat
- sans opposition - est une proposition de loi constitutionnelle,
dont le texte est le suivant :
Article unique
L'article 48 de la Constitution est complété par
un
alinéa ainsi rédigé :
« Une séance par mois est réservée à la
transposition des directives communautaires et à l'autorisation de
ratification ou d'approbation des conventions internationales. L'ordre du jour
de cette séance est fixé par le gouvernement ou, à
défaut, par chaque assemblée. »
Un tel dispositif préserve les attributions du Gouvernement, qui demeure
libre de choisir les projets de loi de transposition qu'il entend inscrire
à l'ordre du jour des assemblées. Néanmoins, dès
lors qu'une séance par mois ne pourra être consacrée
qu'à la transposition de directives ou à l'autorisation de
ratification de conventions, le Gouvernement aura tout intérêt
à l'utiliser pleinement et ne pourra, en tout état de cause, se
prévaloir de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées
pour repousser sans cesse l'inscription à l'ordre du jour des textes de
transposition.
Si le Gouvernement n'utilisait pas la séance mensuelle
réservée, chaque assemblée pourrait alors décider
d'inscrire des projets ou propositions de loi de transposition de directives ou
des projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation de conventions
internationales, comme le Sénat l'a fait dans le passé pour la
directive « Natura 2000 ».
C) LA CRÉATION D'UN GROUPE DE TRAVAIL
Bien
qu'il ne se soit pas rallié aux solutions proposées par le
Sénat, le Gouvernement a reconnu que les préoccupations
exprimées par notre assemblée étaient légitimes.
Souhaitant que ces questions fassent l'objet d'un examen serein,
dégagé de toute préoccupation partisane, il a
provoqué la création d'un groupe de travail composé de
fonctionnaires relevant de l'exécutif et de fonctionnaires relevant de
chacune des deux assemblées.
Le groupe de travail a tenu sa première réunion le 29 juin 2001
- deux semaines après les délibérations du
Sénat - et terminé ses travaux le 8 octobre.