B. UNE ATTENTE EXPRIMÉE ET INEXPRIMÉE
Les contempteurs de la réforme -il en existe- mettent souvent en avant l'argument selon lequel il n'y aurait que peu d'attente parmi nos concitoyens pour la liberté de transmission du nom. D'aucuns ajoutent que la loi précitée du 23 décembre 1985, qui permet d'ajouter, à titre d'usage, le nom de sa mère, n'a été que peu utilisée.
Assurément, il est difficile de se fonder sur des études et des statistiques pour connaître l'exacte étendue des aspirations de nos concitoyens, d'autant plus qu'en la matière les éléments dont on dispose sont épars, voire inexistants. Ainsi, il n'existe pas de données sur le bilan de l'utilisation du « nom d'usage » dont la réforme a pourtant été introduite il y a plus de 15 ans. Il est vrai que par son caractère non contraignant, cette faculté est difficile à appréhender, à l'inverse des noms enregistrés par l'état civil qui font l'objet de l'encadrement administratif et juridictionnel que l'on sait. Toutefois, des chercheurs de l'Institut national d'études démographiques (INED) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) se sont penchés sur la question du nom des femmes mariées dans l'Union européenne (cf. Population et société, avril 2001, n° 367).
Au détour de l'étude, il ressort une très grande diversité de pratiques, elles-mêmes liées à des législations des plus variées. S'agissant du choix du nom et du souhait des femmes de transmettre leur nom de naissance à leurs enfants, la France connaît, semble-t-il, une mutation sensible de l'opinion publique. En 1979, seulement 20 % des personnes interrogées étaient favorables à l'introduction du nom de la mère dans le système de transmission des patronymes, et en 1987, ce chiffre atteignait 43 %. Un nombre important de femmes (47 %) regrettaient de se trouver dans l'impossibilité de transmettre leur nom de naissance alors que les hommes n'étaient que 39 % à le souhaiter. Aujourd'hui, plus de deux Français sur trois (69 %) estiment que pouvoir transmettre à l'enfant le nom de famille de la mère, seul ou accolé à celui du père, est « plutôt une bonne chose » selon un sondage intitulé « les Français et la réforme du patronyme » paru début juin 2001 (dans le Pèlerin Magazine du 8 juin 2001). Ils pensent à 62 % que cette réforme n'affaiblira pas la place du père dans la famille. Les femmes sont toujours un peu plus nombreuses, 71 %, à penser que ce serait une bonne chose, et les jeunes de moins de 25 ans atteignent les 78 %. Les autres tranches d'âge se situent autour de 70 %, à l'exception des plus de 65 ans dont la proportion décroît à 60 %.
Quoi qu'il en soit, et même avec les réserves que de telles études peuvent inspirer, nul ne peut nier une nette évolution de l'opinion publique dans le sens d'une réforme de la dévolution du nom, et que celle-ci va dans le sens d'un mouvement général de notre société où l'état des personnes reflète l'aspiration de nos concitoyens à une plus grande liberté dans tout ce qui relève de la sphère de leur vie privée, qu'il s'agisse des moeurs, des modes de vie, ou des convictions philosophiques.
Le nom, élément emblématique de l'état des personnes, ne peut plus échapper à cette tendance et c'est pourquoi la réforme de sa transmission répond aux exigences de notre époque. Elle confortera aussi les liens entre les parents et les enfants à l'intérieur des familles.