RECOMMANDATIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION
- Considérant que les prostituées sont des victimes et doivent être traitées comme telles par l'ensemble des services de l'Etat,
- Considérant qu'il est primordial de s'attaquer à la prostitution en tant que telle, car faute de l'avoir fait suffisamment on a alimenté le phénomène de la traite, ce " mal qui l'accompagne ", selon les termes de la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949,
- Considérant que la France apporte la preuve de son attachement et de sa fidélité à sa position abolitionniste tant dans la lutte contre le proxénétisme que dans les débats internationaux sur la traite des êtres humains,
- Mais considérant aussi que la dimension sociale de sa politique, autrement dit la prévention de la prostitution et la réinsertion des personnes prostituées, est loin d'avoir mobilisé l'énergie des pouvoirs publics, au point d'apparaître à ce jour comme un échec,
- Et considérant enfin que notre pays ne peut différer davantage la réflexion globale sur la prostitution dont elle s'est jusqu'à aujourd'hui dispensée et qui pourtant s'imposait,
La délégation a adopté les recommandations suivantes :
1.- Il est en tout premier lieu impératif de doter la politique de lutte contre la prostitution des structures qui lui manquent et qui devraient la rendre plus cohérente.
La création d'un observatoire, comité ou haut conseil -peu importe son appellation- permettrait de disposer tout à la fois d'un réel outil statistique, d'un instrument de recensement et de diffusion des actions mises en oeuvre qui serait utile tant aux pouvoirs publics qu'aux associations, et d'une capacité d'expertise des besoins.
Afin de faciliter l'échange d'informations sur la traite des femmes, suite devrait par ailleurs être donnée à la recommandation de la récente Conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue à New-York en juin 2000 (" Pékin plus cinq "), de nommer dans chaque pays un rapporteur national.
2.- Il est nécessaire que les politiques publiques ne restent pas cantonnées à la prostitution de rue et s'intéressent à l'ensemble des formes d'activité prostitutionnelle, y compris les moins visibles (salons de massages, bars à hôtesses).
3.- En ce qui concerne l'approche de la police et de la justice, il est indispensable :
a)- d'augmenter les moyens de l'OCRTEH : il existe en effet un fossé important entre les possibilités offertes à la lutte contre le proxénétisme par notre droit et les capacités opérationnelles de mise en oeuvre ;
b)- de faire de la lutte contre le proxénétisme une priorité de la police : les textes et les équipes sont performants, mais trop souvent encore le combat est considéré comme secondaire par rapport à d'autres ;
c)- de renforcer la politique de coopération afin de parvenir à une collaboration dynamique entre les différents pays, de mobiliser les maires des capitales et grandes villes européennes qui sont tous confrontés aux mêmes problèmes, de favoriser les échanges d'informations quant aux expériences menées, de faciliter l'accueil, d'un pays à l'autre, des victimes des réseaux afin qu'elles puissent entamer leur " reconstruction " à l'abri des représailles.
4.- En ce qui concerne la prévention et la réinsertion, points faibles de la politique française :
a)- il faut d'abord agir au niveau des politiques générales : la prévention de la prostitution passe par l'amélioration de la situation de droit et de fait des femmes et l'égalité des chances entre hommes et femmes ;
b)- l'accent doit être mis sur l'information : la prostitution prospère sur un fond général d'ignorance et d'indifférence. Il faut travailler sur le long terme au changement des mentalités.
Des campagnes nationales et régulières de sensibilisation doivent être entreprises et une mise en garde des jeunes doit être assurée dans le cadre de l'enseignement scolaire. Les personnels éducatifs devraient eux-mêmes être informés, notamment pour attirer leur attention sur la prostitution occasionnelle à laquelle certains jeunes en situation de précarité sont exposés ;
c)- il convient d'intégrer l'approche de la prostitution dans la formation des travailleurs sociaux et des agents des services publics qui ont en charge l'application de la législation et de la réglementation en la matière (police, justice, notamment) ;
d)- l'Etat doit cesser de compter aussi chichement son soutien aux associations qui oeuvrent dans le domaine de la prostitution et font un travail souvent remarquable. L'augmentation et la pérennisation des crédits budgétaires accordés au milieu associatif s'imposent, tout comme le contrôle a posteriori de leur utilisation ;
e)- les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités en matière de prévention et de réinsertion où ils ont à jouer un rôle d'impulsion et de cohésion. Les commissions départementales prévues par la circulaire du 25 août 1970 doivent être mises en place partout. Par ailleurs, directement ou par voie conventionnelle, l'Etat doit être un acteur " social " de la lutte contre la prostitution dans tous les départements.
f)- tout doit être fait pour aider les prostituées à quitter la prostitution. Le nombre des foyers susceptibles de les accueillir, spécifiquement, doit être augmenté. Un numéro vert largement diffusé devrait les diriger vers les organismes publics et privés susceptibles de les aider dans leurs démarches de réinsertion. Des dispositifs de formation adaptés devraient être mis sur pied. Un moratoire devrait être systématiquement accordé s'agissant des poursuites fiscales, dès lors que la volonté d'abandonner la prostitution a été manifestée, à charge pour les services fiscaux de vérifier a posteriori la réalité de la démarche. Les prostituées qui amorcent une réinsertion devraient pouvoir bénéficier sans délai des minima sociaux et d'un logement ;
g)- au même chapitre de la fiscalisation, le problème de l'opportunité de l'imposition des revenus de la prostitution mérite débat ; cependant, le danger qu'emporterait la suppression de cette dernière en termes d'incitation à la prostitution suggère la prudence. Il est à tout le moins impératif, si l'on ne tranche pas aujourd'hui la question, de ne pas présumer sur le plan fiscal que la prostitution est une profession ; il est en conséquence souhaitable de " sortir " ses revenus de la catégorie des bénéfices non commerciaux, voire de celle des traitements et salaires -et le produit du proxénétisme de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux- et de les imposer dans une nouvelle catégorie qui accueillerait les gains de nature indéterminée étrangers aux notions de bénéfices ou de revenus professionnels. On ne peut s'accommoder par ailleurs de la perception choquante de la TVA sur les revenus du proxénétisme pour la raison évidente que la valeur ajoutée est, dans le cas d'espèce, l'exploitation de la prostitution d'autrui... On doit en revanche condamner systématiquement les proxénètes à verser des dommages-intérêts aux prostituées.
5.- La France doit ratifier au plus vite la Convention sur la criminalité transnationale organisée et ses protocoles additionnels, en premier chef le protocole relatif à la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, afin de donner une expression complète à la détermination dont elle a fait preuve lors des négociations de Vienne.
6.- Deux problèmes méritent une réflexion approfondie.
Celui du "client" d'abord. Faut-il le responsabiliser par l'éducation ou la pénalisation ? Il ne saurait en tout cas être plus longtemps ignoré.
Celui de la protection des victimes de la traite ensuite. Faut-il leur accorder des titres de séjour provisoire ? Faut-il le faire sans condition, à titre humanitaire, ou doit-on le faire en échange d'une collaboration avec les services de police pour démanteler les réseaux ? Notre position abolitionniste nous commande en tout état de cause de prendre des mesures en faveur de ces victimes et les textes internationaux nous le recommandent désormais.