D. L'URGENCE D'UNE POLITIQUE GLOBALE
Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité reconnaît lui-même que l'Etat s'en remet beaucoup aux associations pour la mise en oeuvre du volet social de la politique menée à l'égard de la prostitution, mais, souligne-t-il dans le même temps, c'est une manière de procéder utilisée dans bien des domaines et qui ne doit pas être nécessairement regardée d'un mauvais oeil.
Il convient de rappeler en outre que l'article 16 de la Convention de 1949 laisse les Etats libres quant aux moyens, publics ou privés, d'intervention :
" Les Parties à la présente Convention conviennent de prendre ou d'encourager, par l'intermédiaire de leurs services sociaux, économiques, d'enseignement, d'hygiène et autres services connexes, qu'ils soient publics ou privés, les mesures propres à prévenir la prostitution et à assurer la rééducation et le reclassement des victimes de la prostitution et des infractions visées par la présente Convention ".
Le fait que l'Etat se défausse de ses responsabilités en matière de prévention et de réinsertion sur le monde associatif constitue un handicap incontestable du point de vue des moyens. Ceux-ci, on l'a vu, sont très insuffisants. De plus, le versement des subventions publiques aux associations est parfois aléatoire et souvent lent ; les problèmes de trésorerie sont monnaie courante. Il faut donc saluer les efforts annoncés en 2000 pour renforcer les partenariats Etat/associations au travers de conventions triennales qui devraient permettre une plus grande pérennité des moyens et accélérer les circuits de versement.
Au-delà de la question des moyens et sur le fond, certains doutent de la pertinence même de l'intervention de l'Etat comparée à celle des associations.
De fait, si l'on doit comparer les mérites respectifs de l'Etat et des associations, celles-ci peuvent paraître mieux à même de répondre à certaines situations.
Tout d'abord, du fait du regard stigmatisant dont elles sont victimes, beaucoup de prostituées hésitent ou refusent de se rendre dans les services sociaux " classiques " : elles répugnent à se confier aux pouvoirs publics, craignent que, leur activité révélée, les services fiscaux les poursuivent ou qu'on leur retire leurs enfants. Les lieux trop stigmatisants peuvent accentuer le sentiment d'exclusion et certains expliquent l'échec des SPRS par une erreur de jugement qui aurait conduit à considérer, étiqueter, les prostituées comme des handicapées sociales, des inadaptées, et à les faire prendre en charge comme telles par les pouvoirs publics.
Ensuite, souvent présentes sur les lieux de prostitution, les associations perçoivent mieux la réalité du problème, et son évolution, avantage majeur dans le contexte actuel. L'action de terrain permet mieux que toute autre de repérer les situations de détresse et d'imaginer des solutions innovantes.
Le constat en a été fait à plusieurs reprises lors du colloque du 15 novembre 2000, non seulement par les services sociaux mais aussi par la police ; il a été notamment souligné que les associations " remplissaient avec le regard de l'humain un rôle très utile d'interface " entre les prostituées et les structures institutionnelles.
Mais, si l'on ne peut nier que les associations constituent un relais précieux dont il serait pour l'Etat non seulement difficile, mais aussi peu souhaitable de se passer, il est tout aussi évident que le rôle des pouvoirs publics devrait être irremplaçable .
Ils ne peuvent abandonner la mission de prévention de la prostitution et de réinsertion des prostituées au seul milieu associatif d'abord parce qu'il est impératif de pouvoir agir là où il n'y a pas d'association . L'absence de l'Etat débouche sur des actions malheureusement sporadiques.
Il faut ensuite assurer la pérennité des politiques menées et, en principe tout du moins, la permanence des pouvoirs publics devrait de ce point de vue offrir une garantie supplémentaire.
Enfin et avant tout, la prévention de la prostitution et la réinsertion des prostituées supposent un engagement de l'Etat qui ne se mesure pas seulement à l'aune des crédits financiers mais doit traduire surtout une réelle volonté politique et une réflexion globale dont on s'est jusqu'à ce jour malheureusement dispensé.
Une volonté politique est nécessaire, et suffisante, par exemple pour " exhumer " les commissions départementales prévues par la circulaire de 1970 . Tous les interlocuteurs de la délégation l'ont souligné. La mesure ne coûte rien, elle serait un premier témoignage d'une détermination nouvelle des pouvoirs publics. Elle permettrait de donner plus de cohérence à l'action sur le terrain en réunissant autour d'une même table tous les acteurs concernés.
Dans son prolongement, le voeu a été exprimé devant votre délégation de voir, du côté des pouvoirs publics, préférer l'intervention non pas de structures spécialisées mais de " personnes ressources " désignées au sein des différents services publics (santé, emploi, logement, éducation notamment pour prévenir la prostitution occasionnelle chez les jeunes...), afin de tisser un réseau de partenaires qui puisse agir de manière conjointe et coordonnée avec les associations. Il est impératif que les différents acteurs, lesquels aujourd'hui se connaissent parfois à peine, s'informent réciproquement de leurs possibilités d'intervention et travaillent en liaison. La mise en réseau des moyens est réclamée, moyens humains mais aussi financiers si l'on veut pouvoir mener des actions significatives.
La circulaire du 30 mai 1997 traduisait ce souci, mais peut-être trop timidement, en demandant aux préfets d'identifier les actions menées et les acteurs qui les mettent en oeuvre, de repérer les financeurs autres que l'aide sociale de l'Etat (conseils généraux, conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance, crédits RMI...) susceptibles de prendre part au traitement du problème de la prostitution, et d'examiner, dans le cas où aucune action n'aurait pu être entreprise, si les partenaires réunis seraient prêts à développer des actions de prévention et de réinsertion.
Il paraît en outre nécessaire, comme certains départements commencent à le percevoir, de donner une plus grande cohérence à la prise en charge du problème de la prostitution au sein des divers dispositifs départementaux qui ont été créés par des lois successives et qui se superposent parfois sans logique alors qu'y participent les mêmes personnes (comité départemental de prévention et de lutte contre les exclusions, commission départementale de prévention de la délinquance, commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes, etc...).
Il revient aux pouvoirs publics de mettre du " liant " dans la politique de prévention de la prostitution et de réinsertion des prostituées. La création d'un numéro vert qui orienterait les intéressées vers les services et associations susceptibles de les aider dans leurs démarches pourrait avoir cet avantage. On peut même imaginer que l'Etat réserve son appui aux structures associatives qui seraient reliées à ce numéro vert et en assureraient une large publicité.
La réflexion globale qui s'impose devra notamment aborder le problème de l'information et de la formation des travailleurs sociaux .
Beaucoup d'entre eux ignorent le cadre législatif et réglementaire de la prostitution, la Convention de 1949 et les ordonnances de 1960 ; cette ignorance explique que les prostituées sont encore parfois traitées comme des délinquantes alors que leur activité est légale. De même, des bénévoles s'engagent dans le milieu associatif sans réelle information préalable, et a fortiori sans formation.
Le phénomène prostitutionnel est rarement abordé dans le cursus de formation des acteurs sociaux. Or, il faut tout un savoir pour écouter les prostituées sans les juger, pour comprendre leur parcours et " décoder " leurs souffrances. A cet égard, on peut saluer l'action de formation des travailleurs sociaux et bénévoles qui a été mise en place dans la Loire-Atlantique après qu'un diagnostic du phénomène de la prostitution dans ce département eut été effectué. Financée par la DDASS en partenariat avec la Délégation régionale aux droits des femmes et réalisée par l'Association " Metanoya ", elle a été accompagnée par l'édition d'une brochure sur " L'accès au droit commun des personnes prostituées ". Cette brochure, conçue comme un support de travail pour les intervenants sociaux, mentionne la liste et les coordonnées des services publics et associations utiles pour faciliter les démarches.
Les actions de formation ne devraient pas être réservées aux seuls travailleurs sociaux. Si l'on veut en effet renforcer la cohérence des politiques publiques face à la prostitution, l'accent devrait être mis sur la pluridisciplinarité . Ainsi les services de police devraient être concernés et, soucieux d'avoir au-delà de leur rôle répressif une approche humaine de la prostitution, ils sont d'ailleurs " demandeurs ", d'après les informations recueillies par la délégation lors de ses auditions. De même, les infirmières scolaires devraient-elles être associées aux actions de formation.