IV. LE VOLET SOCIAL : LA PRÉVENTION ET LA RÉINSERTION

En même temps qu'il combat le proxénétisme, l'abolitionnisme cherche à prévenir la prostitution et à réinsérer les prostituées. La Convention du 2 décembre 1949 qu'il a inspirée, comme les ordonnances de 1960 qui ont appliqué cette dernière en France, ont donc une dimension sociale.

Mais force est de constater que l'approche française de la prostitution pèche par son très maigre bilan social .

A. LES BESOINS EN MATIÈRE DE PRÉVENTION DE LA PROSTITUTION ET DE RÉINSERTION DES PROSTITUÉES

Le volet social des politiques publiques à l'égard de la prostitution doit avoir trois objectifs principaux : prévenir le développement du phénomène, garantir l'accès aux soins des prostituées, favoriser leur réinsertion.

1. La prévention

Prévenir la prostitution suppose de s'attaquer à l'ensemble des causes qui font que des hommes, des femmes, deviennent prostitués, "clients" ou proxénètes.

Aussi la prévention relève-t-elle d'abord, globalement, de l'ensemble des politiques publiques : politiques sociales bien sûr, mais aussi politique économique afin d'améliorer la condition générale des femmes, politique de l'éducation, voire de l'information et de la culture, politique étrangère et de coopération car la prévention doit prendre en compte la mondialisation du phénomène de la prostitution et l'impact des différences économiques et culturelles entre Etats.

Toutes les mesures qui visent à améliorer la situation de droit et de fait des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes participent à la prévention de la prostitution .

Il est indispensable d'intervenir dès l'école pour promouvoir une éducation égalitaire, non sexiste (la prostitution n'est qu'un miroir grossissant de la domination des hommes sur les femmes), une éducation centrée sur les droits fondamentaux de la personne humaine, qui apprenne à l'enfant dès le plus jeune âge le respect de son propre corps et de celui des autres, afin que, devenu adulte, il juge toute relation sexuelle vénale inacceptable.

Au collège et au lycée, le problème de la prostitution devrait être abordé comme le sont ceux de la drogue ou du SIDA, d'autant que certains jeunes sont, sans le savoir, devenus vulnérables à la prostitution à la suite de violences sexuelles ou de ruptures familiales.

Certaines associations interviennent auprès des établissements scolaires, mais il s'agit d'actions très sporadiques. Si l'on veut mettre en place une véritable prévention de la prostitution au niveau de l'enseignement secondaire -et l'existence d'une prostitution occasionnelle chez les lycéens et les étudiants y invite-, il est indispensable d' impliquer le ministère de l'Education nationale afin que la question soit abordée dans le cadre du cursus scolaire obligatoire ; elle pourrait l'être, par exemple, en partenariat avec les DDASS et les associations, dans le cadre de l'éducation à la sexualité prévue en classes de quatrième et de troisième. Le module horaire de cette dernière (actuellement de deux heures pour l'ensemble de l'année scolaire) devrait être en conséquence augmenté, et son contenu pourrait aborder de manière générale la question des rapports hommes/femmes afin de contrer la réticence éventuelle de certains parents.

Il serait par ailleurs souhaitable de sensibiliser les personnels éducatifs à la question, notamment lors de leur passage dans les IUFM, comme on le fait actuellement pour la délinquance et les violences scolaires ou encore les problèmes de malnutrition chez certains élèves.

L' information de prévention sur la prostitution concerne ensuite tous les publics, les milieux qui sont considérés " à risques " bien sûr (jeunes délinquants, détenus des deux sexes pour lesquels la prostitution constitue trop souvent une source de revenus à la sortie de prison...), mais pas eux seulement. C'est un changement général des mentalités qu'il faut viser, tâche de longue haleine certes, mais dont l'enjeu est essentiel .

Changer l'image de la prostitution dans l'opinion publique, imposer dans la conscience de chacun le respect des sexes, bannir l'image de la femme/objet de plaisir sexuel, installer l'idée qu'il n'y a aucune liberté dans la prostitution, qu'il s'agit d'une violation des droits de l'Homme... Tels sont les objectifs.

Certaines associations organisent des journées d'information, mais c'est avant tout un public déjà sensibilisé qui s'y rend. Pour toucher le plus grand nombre, des campagnes nationales d'information régulières sont nécessaires.

La prévention commande aussi de s'intéresser aux " pourtours de la prostitution ".

Il faudrait d'abord apprendre la vigilance face à la banalisation des images du corps : jointe à la sacralisation de l'argent dans une société où tout est ordonné autour de la consommation, cette banalisation peut contribuer à " brouiller " certaines valeurs, en particulier chez les adolescents, et à diminuer la capacité d'indignation que la prostitution devrait tout normalement susciter. Il faut aussi oser dire que la pornographie peut avoir des effets pernicieux sur son public, et rappeler qu'elle constitue pour de nombreuses femmes l' " antichambre " de la prostitution.

Que penser ensuite de l'évolution récente du régime juridique applicable à l'ouverture des peep-shows et salles de strip-tease ? La loi n° 99-198 du 18 mars 1999 portant modification de l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles a en effet globalement assoupli la réglementation en ignorant le problème spécifique posé par ces établissements. Alors même que ceux-ci proliféraient déjà dans certains quartiers, il est désormais possible à leurs exploitants d'ouvrir plusieurs succursales avec une seule licence d'entrepreneur de spectacles, alors qu'auparavant une licence ne donnait droit qu'à l'exploitation d'un seul établissement.

La politique de prévention doit enfin aborder le problème du "client" .

Il est, dans la " triangulaire " de la prostitution (prostituée, proxénète, "client"), celui dont on ne parle pas ; il bénéficie d'une sorte d'indulgence consensuelle de la part de la société. Les études commencent à peine à s'y intéresser.

Contrairement à beaucoup d'idées reçues, le "client", occasionnel ou habituel, est " Monsieur tout le monde " ; on le trouve dans toutes les classes sociales ; il est célibataire ou vit en couple... Le "client" de la prostitution n'est pas uniquement, loin s'en faut, le travailleur immigré, misérable et isolé, des clichés.

En revanche, le "client" est, dans une écrasante majorité des cas, un homme, même quand il s'agit de prostitution masculine. Un homme en mal de relations familiales ou sociales, ou qui cherche à satisfaire une pulsion ou réaliser un fantasme, ou " tout simplement " à avoir un rapport sexuel libéré de toute espèce d'obligation de séduction ou d'engagement. Le fait de payer lui permet de se sentir dégagé de toute responsabilité humaine ou morale à l'égard de la prostituée.

Il est indispensable de l'informer et de le responsabiliser ; il ignorerait, la plupart du temps, en effet, la réalité sordide de la prostitution.

Il faut que le "client" prenne conscience :

- que la prostitution est un échec, non seulement pour la prostituée, mais aussi pour lui ;

- qu'il s'agit peut-être pour lui d'un acte anodin, sans signification, mais que, pour la prostituée, il s'agit d'une violence ;

- qu'en recourant à la prostitution, il a toutes chances d'être complice d'un proxénète, et, le cas échéant, d'un trafiquant d'êtres humains.

Il existe à l'étranger des centres spécifiques d'écoute, et même de soins, pour les "clients" de la prostitution ; certains d'entre eux, qui sont en souffrance forte, y vont spontanément faire un travail sur eux-mêmes ; des médiateurs sociaux tentent de les responsabiliser.

Un pays comme le Canada a mis en place de telles structures dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles. En Californie 16 ( * ) , un programme communautaire d'aide aux prostituées (programme SAGE ) créé sous l'impulsion de Norma Hotaling, elle-même ancienne prostituée, en collaboration avec le procureur de San Francisco, la police et des médecins du département de la Santé, a prévu une " école des "clients" " (la " John's school ") qui a été créée en 1995 ; les "clients", lorsqu'ils sont interpellés, ont le choix entre une inculpation et des travaux d'intérêt général, ou une amende de 500 dollars et une journée à l' " école des clients " où leur anonymat étant préservé, des ex-prostitueés viennent leur exposer leur parcours et leurs souffrances. Le bilan au bout de quatre ans ferait apparaître un taux de récidive infime. Des formules comparables seraient inaugurées dans d'autres villes américaines.

La Suède est allée beaucoup plus loin. Dans le cadre d'un plan gouvernemental baptisé " Kvinnofrid " (" la paix des femmes "), une révision du Code pénal a prévu, entre autres dispositions, toute une série de peines aggravées pour violences sexuelles, y compris conjugales.

Par 181 voix contre 92, le Parlement suédois a notamment décidé (loi 1998-408 entrée en vigueur le 1 er janvier 1999) de criminaliser " l'achat de services sexuels " . Celui qui, moyennant rémunération, se procure une relation sexuelle, tombe sous le coup d'une peine d'amende ou d'emprisonnement de six mois au plus.

L'objectif affiché est de tarir la prostitution et le raisonnement est le suivant : si l'on veut la supprimer, il faut s'attaquer aux racines, donc à la demande, laquelle précède l'offre.

La Suède a donc fait le choix de la répression du "client" en le désignant comme délinquant. Sa nouvelle législation est encore trop récente pour qu'on en mesure tous les effets ; les uns font valoir que la prostitution de rue a nettement diminué, les autres rétorquent que le problème n'a été que déplacé, rejetant les prostituées dans la clandestinité avec, pour elles, une augmentation des risques de violence et d'insécurité. De fait, il serait recouru à diverses méthodes pour contourner l'interdit (l'Internet d'abord, dans ce pays où la moitié de la population est équipée d'ordinateurs, le téléphone portable, les petites annonces, les cartes de visite...).

La pénalisation est-elle une bonne solution ? Est-il préférable de chercher à responsabiliser le "client" par l'éducation, en considérant que vaincre l'ignorance serait déjà un premier pas ? La délégation n'a pas aujourd'hui la réponse, mais elle souhaite que le débat soit ouvert. Stigmatiser le "client" ou créer pour lui des lieux d'écoute et de parole ne manqueraient pas de paraître à certains bien étrangers à la culture de notre pays, mais c'est précisément toute une révolution culturelle qu'il faut faire ; ses enjeux sont majeurs.

2. L'accès aux soins

En termes de santé physique, mentale et psychologique, les conséquences de la prostitution sont innombrables et douloureuses : meurtres, suicides, automutilations, maladies aiguës ou chroniques, SIDA et autres maladies sexuellement transmissibles, avortements répétés, souffrance psychique (tue la plupart du temps, mais extrêmement destructrice)...

L'état de santé des prostituées qui font l'objet d'un trafic est particulièrement dramatique, certaines associations n'hésitant pas à parler dans leur cas d' " impasse sanitaire " (mais aussi de danger de santé publique), tandis que d'autres dénoncent une violation des droits humains les plus élémentaires justifiant le rapprochement entre prostitution et esclavage.

La santé des prostituées n'est régie par aucun texte particulier , l'article 6 de la Convention du 2 décembre 1949 interdisant de prendre des réglementations spécifiques à ces personnes, réglementations qui les marginaliseraient et contrarieraient leur insertion. Lorsque la France a ratifié cette convention, elle a supprimé (ordonnance du 25 novembre 1960) le contrôle sanitaire et social des prostituées qui avait été maintenu en 1946.

Force est de constater que, dans la période récente, les pouvoirs publics ne se sont intéressés à la prostitution sous l'angle sanitaire que parce qu'elle apparaissait comme un vecteur possible de transmission et de propagation du SIDA.

Selon les estimations qui ont pu être faites, les campagnes de prévention qui furent menées semblent d'ailleurs avoir été assez efficaces, puisque le taux d'utilisation du préservatif serait passé dans le milieu de la prostitution de 20 % à 80 %, voire 85 % dans des villes comme Paris, et la prostitution n'apparaîtrait comme un agent de propagation du SIDA que lorsqu'elle est associée à la drogue ; il y a cependant des disparités : les " occasionnelles ", les toxicomanes et les travestis recourraient moins au préservatif que les autres catégories de personnes prostituées ; par ailleurs, il est possible qu'un retournement de tendance peu favorable à la santé publique soit actuellement observé dans le cercle de la prostitution comme dans les autres, en particulier s'agissant des rapports entre hommes.

A condition de satisfaire aux critères d'attribution, les personnes prostituées ont en France les mêmes droits que n'importe quel individu. Rien dans la loi ne leur interdit l'accès aux droits de base auxquels tout citoyen peut prétendre. Cependant, ce principe, qui est conforme à notre position abolitionniste, se heurte dans la pratique quotidienne à la méconnaissance des textes, aux difficultés administratives et à la répugnance des prostituées à entreprendre certaines démarches .

Pour avoir une couverture sociale, les prostituées doivent, comme toute personne qui ne bénéficie pas à un titre ou à un autre d'un régime de sécurité sociale, s'assurer de leur propre initiative .

En matière d'assurance maladie, la couverture maladie universelle (CMU) assure désormais, depuis le 1 er janvier 2000, la prise en charge automatique des prestations en nature (soins médicaux et pharmaceutiques, frais d'hospitalisation) sous réserve, si le revenu dépasse un certain plafond (aujourd'hui 3.600 francs par mois), d'une cotisation de 8 % sur le revenu au-delà du plafond.

Tout en se félicitant de la mise en place de la CMU, on est obligé de constater que, même limitée à trois mois, la condition de résidence qui est posée prive de son bénéfice les prostituées étrangères, parce qu'elles sont contraintes par les réseaux à une très grande mobilité ; or, elles auraient besoin encore plus que d'autres d'être médicalement suivies. Quant aux clandestines, elles hésitent à consulter un médecin de peur d'être repérées et expulsées.

En outre, certaines prostituées n'entreprennent pas les démarches pour accéder à la CMU par crainte d'avoir à révéler leur activité. D'autres, beaucoup trop nombreuses, ignorent tout simplement leurs droits.

Longtemps polémique, la question de leur assujettissement à l'URSSAF, qui était hautement contestable, est en principe aujourd'hui réglée, du moins en pratique .

En théorie, la classification fiscale de leurs revenus dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (cf. infra) entraîne l'assujettissement des personnes prostituées à l'URSSAF. Cette logique, qui n'emportait aucune contrepartie pour les prostituées, avait notamment été mise en avant, en 1987, par le ministre des Affaires sociales et de l'Emploi 17 ( * ) qui avait fait valoir que les personnes prostituées étaient " en droit assujettissables à cotisations sociales en application de l'article R.241-2 du Code de la sécurité sociale, qui précise que la cotisation est due par quiconque exerce une activité non salariée, quelle que soit la nature de cette activité, dès lors qu'elle est imposée à ce titre par l'administration fiscale ". Il évoquait cependant la possibilité d'accorder des délais, comme en matière fiscale, pour payer les arriérés dus par les prostituées en phase de réinsertion sociale. La qualification d'activité non salariée appliquée à la prostitution par la Cour de Cassation (Cass. 18 mai 1995) conduisait au même raisonnement.

Le principe de cet assujettissement a toutefois fait l'objet de décisions de jurisprudence contradictoires 18 ( * ) .

Par une lettre du 4 mars 1999 au directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) , la ministre de l'Emploi et de la Solidarité a invité les URSSAF à ne plus engager de procédures de mise en recouvrement à l'encontre des personnes se livrant à la prostitution en voie de réinsertion. S'agissant des prostituées en activité, les services du ministère font observer qu'ils les " ignorent " pour la simple raison qu'ils ne peuvent généralement pas les " détecter ".

La sécurité sanitaire s'étend à la protection contre les violences, en collaboration étroite avec la police qui intervient non seulement pour réprimer le proxénétisme, mais aussi pour protéger les prostituées.

Les agressions sont fréquentes, de la part des proxénètes mais aussi parfois des "clients" ; elles donnent rarement lieu au dépôt d'une plainte auprès des services de police par peur des représailles mais aussi parce que, dans ce milieu, la violence est sous-estimée car considérée comme inhérente à l'activité prostitutionnelle.

Le Code de procédure pénale prévoit (article 706-3, alinéa premier, 2°) que les victimes d'atteintes à la personne peuvent prétendre à une indemnisation de la collectivité si elles apportent la preuve d'une incapacité permanente ou d'une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois (ou même inférieure à un mois si la victime se trouve dans une situation matérielle ou psychologique grave en raison du préjudice subi et si ses ressources sont inférieures au plafond applicable au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle : article 706-14 du même code). Cette faculté a déjà été utilisée dans le cadre de la prostitution 19 ( * ) . On ne saurait certes refuser à la prostituée cette réparation. Il convient toutefois de noter qu'une telle jurisprudence conduit à admettre que son activité constitue un travail comme un autre, ce qui est peu conforme à la philosophie abolitionniste.

3. La réinsertion

Quitter la prostitution est une aspiration qu'ont toutes les prostituées un jour ou l'autre , quel que soit le discours qu'elles tiennent. Lorsqu'elles donnent l'apparence d'avoir librement choisi leur démarche, il faut regarder de plus près le contexte économique et social et les histoires personnelles : la prostitution, on l'a déjà dit, est toujours le résultat et l'expression d'une souffrance.

Les prostituées sont la plupart du temps enfermées dans " un premier discours de légitimation ", discours dans lequel en particulier toute soumission à d'éventuels proxénètes est occultée. La meilleure preuve de cet enfermement mental est la suivante : quand on demande aux prostituées si elles envisageraient la prostitution pour leurs filles, aucune d'entre elles ne répond par l'affirmative, et l'on sent chez beaucoup que la réponse est " viscérale ".

Le dépassement de ce premier discours, que les interlocuteurs des prostituées cherchent à aider, notamment dans le milieu associatif, constitue la première étape d'un retour à la " vie normale ". Il est parfois extrêmement difficile à obtenir. " La réinsertion, c'est comme vider une baignoire avec une petite cuillère alors que les robinets sont largement ouverts et que les personnes qui les maintiennent ouverts sont considérées comme honnêtes " 20 ( * ) .

La réinsertion est à la fois sociale et professionnelle .

Son processus -il faut souvent une occasion 21 ( * ) pour que le projet mûrisse (incarcération du proxénète, maladie, maternité...)- est long, les aléas nombreux et les " rechutes ", les fausses sorties, fréquentes.

La réinsertion s'apparente à une " reconstruction ", un " réapprentissage ". Les prostituées doivent rompre avec un mode de vie qui par bien des aspects -ses " valeurs ", qu'il s'agisse, par exemple, de la perception de l'argent ou du mode de relations aux autres, son langage, ses horaires qui font vivre la nuit beaucoup plus que le jour, la vie vécue au jour le jour sans projet d'avenir...- les a coupées de la société " normale ", qui en conséquence leur fait peur et où elles retrouveront les problèmes non résolus du passé tout en devant en affronter d'autres (reprendre contact avec la famille et les amis, trouver un logement, un travail...).

Les prostituées sont souvent mal armées pour surmonter toutes ces difficultés : elles ont perdu confiance en elles-mêmes et dans les autres, elles craignent d'être reconnues, démasquées, de manquer d'argent, d'être poursuivies par les services fiscaux. Cette série d'angoisses peut venir altérer leur désir de réinsertion.

Toute réinsertion requiert du temps, de la patience et une écoute. Assumer le passé demande pour beaucoup de prostituées une assistance psychologique pendant de longues années.

Les pays anglo-saxons parlent de " survivantes " de la prostitution et non ex-prostituées ; dénuée de toute connotation morale, l'expression met l'accent sur les souffrances qui ont été les leurs.

S'agissant de la dimension concrète de la réinsertion, les prostituées doivent, pour pouvoir gagner leur vie autrement, acquérir ou actualiser des compétences professionnelles, apprendre à rédiger un CV, à se présenter à un employeur ; il leur faut trouver un logement (une adresse fixe est indispensable pour retrouver une identité sociale), savoir gérer un budget.

Aussi les possibilités de réinsertion sont-elles d'abord tributaires des politiques mises en oeuvre dans le domaine de l'emploi, de la formation professionnelle, du logement et de la lutte contre les exclusions.

Le problème de la formation professionnelle est à la fois central et particulièrement aigu s'agissant de personnes qui, comme l'a souligné Mme Nicole Péry elle-même dans son intervention de clôture du colloque du 15 novembre 2000, peuvent avoir été éloignées du monde professionnel pendant très longtemps ; il faut, a reconnu la secrétaire d'Etat, imaginer pour elles des dispositifs de formation suffisamment souples.

La question de l'argent ne saurait être sous-estimée ; même si certains responsables d'associations affirment que lorsque le désir de réinsertion est vraiment installé, le problème de l'argent n'en est pas un -ou que, du moins, il ne se pose pas différemment qu'à toute autre personne en difficulté-, les anciennes prostituées avouent généralement qu'il représente un réel obstacle. Tout le monde s'accorde, en outre, pour souligner l'entrave que constitue pour la réinsertion la fiscalisation des revenus de la prostitution (cf. infra).

Le droit au RMI existe, mais certains acteurs associatifs soulignent qu'il est mal adapté au cas des personnes prostituées et plaident en faveur de la création, sur ce point comme sur d'autres, d'outils sociaux plus appropriés. N'oublie-t-on pas cependant trop souvent que le RMI a le mérite d'exister... ; en outre, pour les anciennes prostituées, avant tout soucieuses de retrouver une place dans la société, le RMI est un argent précieux car " légal ". Il faudrait néanmoins résoudre le problème des délais d'obtention. Ils peuvent être décourageants et donc compromettre la réinsertion. Le versement du RMI devrait être immédiat dès lors qu'une association se porte garante de la démarche entreprise par la prostituée pour se réinsérer.

Il est difficile de quantifier la réinsertion , on manque de statistiques. Les prostituées ne donnent pas toujours de nouvelles quand elles sont sorties de la prostitution, certaines tout simplement parce qu'elles veulent oublier.

Par ailleurs, la réinsertion n'est pas toujours possible : pour les prostituées étrangères qui ne restent que quelques mois, voire quelques semaines, les réseaux les contraignant à une grande mobilité par peur d'être démasqués, l'action en termes de prévention sanitaire est à peu près la seule envisageable.

* 16 " Prohibitionniste " comme la plupart des Etats américains.

* 17 Lettre aux préfets, commissaires de la République de région et au directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale du 15 décembre 1987.

* 18 Les tribunaux des Affaires de sécurité sociale sont partagés. Pour l'assujettissement : Valence, 22 mai 1975 ; contre : Paris, 7 mai 1993, Paris, 9 décembre 1994, Tours, 1 er décembre 1994. Les cours d'appel l'acceptent généralement (Grenoble, 6 février 1990).

* 19 Ainsi, Cass. civ., 7 juillet 1993 - Cour d'appel, Lyon, 2 février 1994.

* 20 Wassila Tamzali, directrice à l'UNESCO citant un travailleur social lors du colloque sur la prostitution organisé en mai 2000 par la Fondation Scelles.

* 21 On parle de " déclic " pour arrêter, comme pour la drogue.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page