2.5. la question des quantités transmutables et le problème du tout ou rien
L'intérêt d'un éventuel recours à la
transmutation dépend essentiellement de trois paramètres
physiques.
Le premier est la quantité d'actinides mineurs et de produits de fission
à vie longue que l'on peut introduire dans un réacteur, quel
qu'il soit. On peut à cet égard imaginer l'introduction des ces
déchets dans un réacteur électrogène, les
quantités relatives étant alors limitées par les
contraintes de fonctionnement du réacteur. Au contraire, un
réacteur dédié pourrait épuiser des
quantités plus importantes.
Le deuxième paramètre est constitué par la vitesse de la
réaction de transmutation. Une vitesse de transmutation lente devrait en
effet être compensée par un nombre important d'installations, ce
qui pourrait augmenter le coût de la transmutation et rendre son
acceptabilité difficile.
Le troisième paramètre est celui des quantités
résiduelles éventuelles, quantités qu'il serait impossible
de parvenir à transmuter pour des raisons physiques. Le rendement de la
réaction de transmutation est donc aussi un élément
fondamental de l'option transmutation. Ceci conduit inévitablement
à la question suivante : est-il utile de réduire de x % les
quantités initiales si celles-ci peuvent être stockées sans
danger ?
Des résultats incontestables sont évidemment indispensables sur
toutes ces questions pour résoudre le dilemme transmutation- stockage.
Il semble bien qu'un long chemin reste encore à faire sur cette voie de
recherche.
Mais en réalité, pour ce faire, on distinguera deux cas. Le
premier est celui des résultats expérimentaux, prolongés
par des calculs, obtenus avec les réacteurs à neutrons rapides
Phénix et Superphénix. Le deuxième est celui des
prédictions tirées de la connaissance encore très floue
des réacteurs hybrides.
Les ordres de grandeur des quantités transmutables
Les ordres de grandeur des quantités des divers radioéléments à vie longue ont été donnés plus haut. Rappelons-en les grandes lignes, synthétisées dans le tableau suivant. Le plutonium formé dans les REP exploité dans les conditions actuelles représente environ 1 % du tonnage de combustible irradié. Les actinides mineurs représentent un peu moins de 0,07 % et les produits de fission à vie longue représentent 0,23 % En première approximation, on peut donc dire que les déchets radioactifs de haute activité et à vie longue représentent 0,3 % du combustible irradié.
Tableau 35 : Estimation des quantités de radioéléments présents dans le combustible irradié 74( * ) , 75( * )
quantités en kg |
Uranium |
Plutonium |
Np+Am+Cm |
Prod. fission (PF) total |
dont PF à vie longue |
pour 21,5t de combustible |
20 400,0 |
209,0 |
16,0 |
745,0 |
50,0 |
pour 1t de combustible |
948,8 |
9,7 |
0,7 |
34,7 |
2,3 |
Ceci étant, quelle est la production d'actinides avec le parc EDF actuel ? Le tableau suivant donne des indications détaillées sur les quantités produites.
Tableau 36 : production annuelle de plutonium non séparé et d'actinides mineurs par le parc EDF 76( * )
radioélément |
quantité annuelle produite |
remarques |
plutonium résiduel dans les déchets |
30 kg/an |
il s'agit du plutonium non séparé lors des opérations de retraitement |
neptunium |
800 kg/an |
une partie du neptunium provient du plutonium 241, de l'américium 241 et du curium 245 |
américium : |
|
|
américium 241 |
250 kg/an |
il apparaît par décroissance - du plutonium 241 |
américium 242m |
0,7 kg/an |
|
américium 243 |
150 kg/an |
la source principale provient du plutonium 239 dans les déchets à partir d'un temps compris entre 10 000 et 100 000 ans |
curium : |
|
|
curium 242 |
|
il donne du plutonium 239 |
curium 243 |
|
il donne du plutonium 239 en quantité négligeable par rapport à l'américium |
curium 244 |
|
il donne du plutonium 239 en quantité 5 fois supérieure aux pertes de retraitement |
curium 245 |
|
il donne à terme du neptunium mais en quantités faibles |
Le
neptunium est donc le plus abondant des actinides mineurs avec 800 kg/an,
dont une part non négligeable provient de la décroissance du
plutonium 241, de l'américium 242 et du curium 245. L'américium
total représente en première approximation 400 kg/an, en tenant
compte des phénomènes de décroissance. Quant au curium, on
peut le considérer comme disparaissant dans la durée au profit
des deux autres actinides mineurs. Au total c'est donc plus d'une tonne
d'actinides mineurs qui est formée dans le combustible.
En première approximation, on peut considérer que la
quantité de produits de fission et d'activation à vie longue est
de 2 tonnes.
Par ailleurs, l'on peut se poser la question légitime de savoir si le
recours au Mox augmente ou non la quantité d'actinides mineurs. La
réponse est positive, ainsi que l'indique le tableau
ci-après.
kg/Twhé |
après la sortie du réacteur |
après 3 ans |
après 10 ans |
|||
UOx |
Mox |
UOx |
Mox |
UOx |
Mox |
|
neptunium |
2 |
0,5 |
2 |
0,5 |
2 |
0,5 |
américium |
0,5 |
6,6 |
1,1 |
10 |
2,4 |
17 |
curium |
0,13 |
3,0 |
0,08 |
2,0 |
0,03 |
1,5 |
total |
2,6 |
10 |
3,2 |
13 |
4,4 |
19 |
Mais l'évaluation des quantités produites ne saurait suffire pour avoir une appréciation complète de la réalité. En effet, la radioactivité contenue dans les actinides mineurs et les produits de fission et d'activation à vie longue est phénoménale : ces éléments sont au total responsables de plus de 95 % de la radioactivité totale, quelle soit , et . Le tableau suivant présente la décomposition de la radioactivité totale des déchets issus du retraitement des combustibles, dans le cas de l'usine UP3-800 de La Hague.
Tableau 38 : la radioactivité des différents types de déchets et en particuliers des verres contenant les produits de fission et les actinides mineurs 78( * )
contenu des déchets |
Produits
de
|
Coques et embouts |
Déchets technologiques B |
Boues de précipitation |
Déchets technologiques
|
Forme physique |
verres |
ciments |
blocs de béton |
|
blocs de béton |
Catégorie |
C |
B |
B |
B |
A |
volumes prévus à la conception (en litre par tonne d'uranium après conditionnement mais sans surconteneur) |
30 |
600 |
1700 |
30 |
3800 |
volumes en 1995 (même unité que ligne précédente) |
130 |
600 |
150 |
0 |
? |
volumes prévus en 2000 (même unité que ligne précédente) |
130 |
150 |
150 |
0 |
? |
pertes en uranium dans tous les déchets |
0,12 % |
||||
pertes en plutonium dans tous les déchets |
0,12 % |
||||
% activité |
99,5 |
0,4 |
0,1 |
||
% activité , |
97,6 |
2,3 |
0,1 |
S'agissant de la toxicité, les données sont
claires.
Comme on l'a vu dans le chapitre précédent, la contribution du
plutonium est prépondérante sur toute l'échelle de temps.
Quant à celle des produits de fission à vie longue elle est
très modeste, encore que leur solubilité et leur vitesse de
migration soient considérablement plus élevées que celles
des actinides.
Le tableau suivant indique la radiotoxicité d'un combustible REP
stocké dans l'état, c'est-à-dire dans l'hypothèse
du stockage direct. Les radiotoxicités des différentes
composantes sont indiquées en Sv. Il comprend également les
déchets générés dans le cycle du combustible :
résidus miniers, uranium appauvri issu des opérations
d'enrichissement, uranium issu des opérations de retraitement. Les
chiffres sont données par Twhé, c'est-à-dire qu'ils sont
ramenés à la quantité d'électricité
produite. Pour avoir une évaluation globale, il suffit de se souvenir
que la production annuelle d'électricité est d'environ 400 TWh.
Rappelons à titre indicatif et pour fixer les ordres de grandeur que les
limites de dose annuelle sont actuellement de 50 mSv/an pour les travailleurs
du nucléaire et de 5mSv/ an pour le public. La CIPR dans sa
recommandation 60 souhaite qu'à partir de mai 2000, ces limites passent
à 20 mSv/an en moyenne sur 5 ans pour les travailleurs du
nucléaire et à 1 mSv/an pour le public
79(
*
)
.
Ce tableau, au demeurant
fondamental
, pose toute la question des
priorités dans la gestion des déchets radioactifs.
Sv/Twhé |
1 000 ans |
10 000 ans |
100 000 ans |
1 000 000 ans |
résidus miniers |
720 000 |
660 000 |
260 000 |
65 |
uranium appauvri |
24 000 |
35 000 |
140 000 |
570 000 |
uranium de retraitement |
21 000 |
48 000 |
220 000 |
140 000 |
plutonium, neptunium, américium, curium et produits de fission ensemble |
310 000 000 |
77 000 000 |
4 000 000 |
380 000 |
contribution en % de chacun des éléments à la toxicité de la ligne précédente : |
|
|
|
|
plutonium |
90 % |
97 % |
93,6 % |
69,4 % |
neptunium |
- |
- |
1,4 % |
18,1 % |
américium |
9,2 % |
2,5 % |
2,9 % |
9,4 % |
curium |
0,3 % |
0,4 % |
- |
- |
produits de fission à vie longue |
0,0006 % |
0,0024 % |
0,034 % |
0,13 % |
Plusieurs remarques importantes doivent être faites sur la base de ce tableau.
La
première qui porte sur le plutonium, a déjà
été faite dans ce rapport mais mérite d'être
rappelée. Le plutonium contribuant pour plus de 90 % à la
radiotoxicité totale du combustible irradié, pendant une
période de 100 000 ans, il est absurde de se préoccuper de la
transmutation des actinides mineurs si le plutonium lui-même n'est pas
éliminé dans du Mox ou dans des RNR.
La deuxième remarque est que les produits de fission contribuent
potentiellement très peu à la radiotoxicité, à
condition d'être emprisonnés suffisamment efficacement pour ne pas
être emporté par les eaux souterraines.
La troisième remarque est qu'au-delà d'un million
d'années, la radiotoxicité de l'uranium appauvri issu de
l'enrichissement possède un impact supérieur à celui des
actinides et des produits de fission à vie longue. Si l'on veut, par une
ambition extrême, se préoccuper de cette échéance du
million d'années, alors le cercle des recherches doit s'étendre
à d'autres domaines non encore couverts.
La quatrième remarque est que l'ordre de grandeur de la toxicité
des produits de fission à vie longue est proche de celui des
résidus miniers. Il y a donc lieu de s'interroger sur l'ascension de ces
derniers dans le palmarès des priorités de recherche.