Le poids économique du retraitement
Le
chiffre d'affaires de Cogema en 1997 s'est élevé à 32,65
milliards de francs, dont 16,2 milliards de F pour le retraitement
9(
*
)
. Les contrats en cours
d'exécution à La Hague pour des clients étrangers
représentent un chiffre d'affaires de 7 milliards de F par an sur 10
ans. Un autre indicateur du poids économique du retraitement est celui
des provisions passées pour financier le futur
démantèlement des installations. Le démantèlement
des installations de La Hague est estimé à 26 milliards de
francs. Les provisions déjà constituées atteindraient
20,6 milliards de francs et se traduiraient par des prises de
participation conséquentes dans le capital de grandes entreprises
nationales.
Sur le plan local, l'importance économique de l'usine de La Hague est
majeure. Cogema emploie localement 3 000 personnes environ. Avec les personnels
des entreprises sous-traitantes, le total des emplois liés au site
s'élève à 6 - 8 000 personnes. Au total, le site de La
Hague apporte à l'économie du nord Cotentin un quart à un
tiers de son activité. Hier encore l'un des plus grands chantiers jamais
conduits dans l'hexagone, La Hague continue de monter en puissance, même
si la progression s'est fortement ralentie. Les travaux de modernisation de
différents ateliers génèrent aujourd'hui une
activité importante. On citera, à titre d'exemple, l'impact des
deux derniers gros chantiers de La Hague - le nouvel atelier de conditionnement
R4 et l'achèvement de l'atelier de compactage des coques et embouts -
Ces constructions se sont traduites par des contrats de 280 millions de francs
et d'un million d'heures de travail dont 60 % vont aux entreprises
locales.
Les deux faces du retraitement : le recyclage des actinides majeurs - uranium et plutonium - et donc la réduction de la toxicité des déchets,
D'une manière générale, le plutonium suscite l'inquiétude essentiellement par les utilisations militaires qui en ont été faites. Cette inquiétude est renforcée par sa radiotoxicité, la période de ses isotopes les plus abondants étant de surcroît de très longue durée (voir tableau ci-après). Or le plutonium apparaît inévitablement au cours de l'irradiation de l'uranium 238 par capture de neutrons thermiques, dans le combustible nucléaire classique à l'oxyde d'uranium.
Tableau 2 : période des différents isotopes du plutonium 10( * )
isotope |
période |
radioactivité spontanée |
Pu 236 |
2,85 années |
- vers U 232 |
Pu 238 |
86 années |
- vers U 234 |
Pu 239 |
24 400 années |
- vers U 235 |
Pu 240 |
6 580 années |
- vers U 236 |
Pu 241 |
14,4 années |
- |
Pu 242 |
3,79. 10 5 années |
- vers U 238 |
Pu 243 |
4,96 heures |
|
Le
combustible à l'oxyde d'uranium comprend de l'uranium 235 fissile qui,
dans les réacteurs à eau pressurisée, est présent
en moyenne à hauteur de 3,5 %, le reste étant de l'uranium 238.
C'est cet uranium 235 qui donne lieu à la réaction de fission et
à la production d'énergie. Il n'est toutefois pas consommé
en totalité : en moyenne sur 1 000 kg de combustible, on compte 35
kg d'uranium 235 au départ et on en retrouve 8 kg après
l'irradiation
11(
*
)
.
L'isotope uranium 238 fertile quant à lui représente au
départ 96,5 % du total. Lors de l'irradiation, l'uranium 238 se
transforme en partie par capture d'un neutron thermique en uranium 239 instable
qui donne par émission du neptunium de période très
courte et qui par le même processus se transforme en plutonium 239.
Celui-ci peut capturer à son tour un neutron thermique alors qu'il subit
la fission sous l'action de neutrons rapides et ainsi de suite, plusieurs
isotopes du plutonium coexistant au final, selon les réactions
ci-après.
U 238 U
239 Np 239 Pu 239
Pu 240 Pu 241 Pu 242 Am 243
Am 241
L'isotope 239 du plutonium est le plus abondant car il est formé par simple capture d'un neutron par l'uranium 238 12( * ) . Les autres isotopes sont d'autant plus abondants que le taux de combustion est plus élevé, ainsi que le montrent les tableaux suivants. Notons qu'en fin d'irradiation, la totalité de l'uranium fertile n'est pas consommée : pour 1 000 kg de combustible, on retrouve 941 kg d'uranium 238 pour une quantité de 965 kg au départ.
Tableau 3 : isotopes du plutonium dans le combustible oxyde d'uranium irradié - taux de combustion : 33 000 MWj/t - après refroidissement de 3 ans 13( * )
kg/TWh(é) |
après irrad.+3ans |
% isotopique |
Pu 238 |
0,6 |
1,6 |
Pu 239 |
22,3 |
58,7 |
Pu 240 |
8,6 |
22,6 |
Pu 241 |
4,6 |
12,1 |
Pu 242 |
1,9 |
5,0 |
total Pu |
38 |
100,0 |
kg/TWh(é) |
après irrad.+3ans |
% isotopique |
Pu 238 |
0,9 |
3,1 |
Pu 239 |
15,4 |
52,4 |
Pu 240 |
7,2 |
24,5 |
Pu 241 |
3,6 |
12,2 |
Pu 242 |
2,3 |
7,8 |
total Pu |
29,4 |
100,0 |
Le
retraitement du combustible irradié se justifie pour deux raisons
essentielles. En premier lieu, l'intérêt de
récupérer les matières énergétiques non
consommées : y figure en effet l'uranium 235 non brûlé
et l'uranium 238 non transformé. En second lieu, se trouve la
matière énergétique formée au cours de la
combustion - le plutonium qui est elle-même une matière fissile -.
Pour 1 000 kg de combustible présents au départ, le plutonium
formé au cours de l'irradiation représente environ 9 kg. Or le
plutonium a lui aussi un contenu énergétique encore plus
élevé que l'uranium 235 en raison du fait que sa fission donne
lieu à la naissance de deux fois plus de neutrons utiles pour la
réaction en chaîne que ce dernier. Il n'est pas faux à cet
égard de constater, en termes simplificateurs mais imagés qu'un
gramme de plutonium équivaut à environ 1 tonne de pétrole.
A cet égard, l'industrie nucléaire propose trois voies pour le
traitement du plutonium. La première est celle de l'utilisation du
plutonium dans des réacteurs à neutrons rapides qui permettent de
le brûler avec efficacité, tout aussi bien que d'en
régénérer. La deuxième voie est celle du recyclage
du plutonium dans les réacteurs à neutrons thermiques par la voie
du Mox (voir plus loin). Une troisième voie consiste à
considérer le plutonium comme un déchet et donc à
envisager son stockage.
Mais, en tout état de cause, en poursuivant un but de valorisation
énergétique, le retraitement atteint aussi un but potentiellement
écologique. En effet, en extrayant l'uranium et le plutonium, on
réduit la radiotoxicité des résidus puisque ces
éléments sont responsables de la part la plus importante de
celle-ci, comme les montrent les graphiques ci-après.
La première constatation que l'on peut faire sur la base de ce graphique, c'est que la radiotoxicité totale du combustible usé décroît progressivement et devient inférieure à 1 Sv/tonne au bout de 1000 ans. La deuxième constatation est que le plutonium joue un rôle prédominant dans la radiotoxicité totale. La figure suivante, qui présente une version normalisée des mêmes résultats, permet d'expliciter le rôle des différents éléments.
Figure 3 : radiotoxicité normalisée du combustible usé
Au bout
de 200 ans environ, la part des produits de fission s'annule presque quasiment.
L'impact du plutonium devient massif de 100 à 50 000 ans environ.
Ensuite l'uranium et les actinides mineurs américium et curium
contribuent plus fortement à la radiotoxicité.
Par ailleurs, il faut signaler que les différents isotopes du plutonium
sont eux-mêmes radioactifs et subissent des dégradations
spontanées selon le tableau suivant.
L'organisation de la filière française de l'aval du cycle
découle directement de deux constats essentiels liés à la
toxicité des éléments contenus dans le combustible
usé.
En premier lieu, il est clair qu'en valorisant par recyclage le contenu
énergétique du combustible à l'uranium, on réduit
aussi la toxicité des déchets. Bien évidemment, pour
apprécier l'intérêt global de l'opération quant
à la protection de l'environnement, la quantité de déchets
intermédiaires générés par le retraitement doit
aussi être prise en compte. Par ailleurs, le devenir des déchets
ultimes (produits de fission à vie longue et actinides mineurs) doit
trouver une solution. Mais le raisonnement à la base de la
stratégie du retraitement doit être gardé en mémoire
pour le cas de l'entreposage direct. En effet, l'entreposage direct du
combustible irradié peut se justifier dès lors que l'on
souhaiterait attendre la mise au point de techniques meilleures pour
neutraliser la radioactivité. Dans ce cas, il y a tout lieu de penser
que le premier objectif serait de résoudre les cas de l'uranium et
surtout du plutonium. Ce qui est très exactement l'apport principal du
procédé Purex qui porte sur la séparation de ces
éléments.
En deuxième lieu, le plutonium est le principal responsable de la
radiotoxicité du combustible usé. Ainsi, au bout de deux cents
ans, sa part dans la radiotoxicité totale atteint 90 %. C'est pour cette
raison que des normes très strictes ont été fixées
pour le retraitement du combustible. Lors de la conception et de la
réalisation de l'usine de La Hague, il a ainsi été
fixé comme contrainte fondamentale l'obtention d'un rendement de 99 %
pour la séparation du plutonium, corollaire d'une épuration
à 99,9 % du plutonium en produits de fission. Les performances
enregistrées ont dépassé les attentes, avec un taux de
séparation de 99,9 %.