Table ronde II - Enjeux pour la recherche Génomique, relations public/privé, poids de la protection intellectuelle, collaboration avec les pays en voie de développement
M.
le Président
-
L'ordre des tables rondes peut
apparaître chaotique, mais il a été prévu en
fonction de la disponibilité d'un certain nombre de nos
interlocuteurs, en tout cas des premiers qui ont indiqué leurs
préférences.
Ces enjeux pour la recherche sont très importants, et nous avons
abordé la question tout à l'heure. Ils sont considérables
dans la mesure où une compétition intense est d'ores et
déjà engagée entre tous les grands pays scientifiques pour
le décryptage des génomes de plusieurs organismes
d'intérêt.
Il y a les génomes de plantes, les génomes animaux et le
génome humain. Pour les plantes, dans ce qui nous intéresse
aujourd'hui, on peut citer l'effort entrepris pour l'étude du
génome
d'arabidopsis thalliana
, une plante à génome
relativement court, plus facile à décrypter. Ce travail a
été engagé depuis quelques années.
On peut dire que les Etats-Unis sont déjà en tête
dans ce secteur. Comme cela a été indiqué tout à
l'heure, ils prévoient d'investir des millions de dollars dans ces
recherches. Celles-ci ont des conséquences bien précises, car les
découvertes sont systématiquement protégées par un
système de brevets qui verrouille ensuite des secteurs de plus en plus
grands de la recherche. Les redevances sont ensuite perçues, y compris
sur les procédés.
Dans la course à la découverte des logiciels de la vie, la France
ne semble pas avoir pris dans l'ensemble un excellent départ. Nous avons
un certain nombre de chercheurs français, que je présenterai ici.
Peut-être pourrez-vous nous rassurer au cours de ces débats, et
nous indiquer quelles initiatives sont prises, quelles réalisation sont
en voie d'accomplissement, quelles suggestions vous semble devoir être
faites afin de participer à cette compétition qui, sans aucun
doute, marquera la fin de ce siècle.
Le système des brevets en vigueur en France ne semble pas donner
satisfaction compte tenu de l'existence du mécanisme américain.
Vos débats pourraient permettre de faire des suggestions de
réforme de ce secteur compte tenu du caractère structurant de ces
technologies.
J'ai inclus dans cette table ronde les problèmes des pays en voie de
développement, car ceux-ci, à l'exception d'un certain nombre,
restent absolument à l'écart de ce grand mouvement de recherche,
alors qu'ils pourraient en être les premiers bénéficiaires
-cela été dit tout à l'heure, y compris par
Jean-Marie Pelt- compte tenu des immenses difficultés que
rencontrent leurs agricultures.
Pour débattre de ces questions, sont présents :
- Daniel Cohen, Directeur général de Genset, que je
remercie de sa présence,
- Antoine Danchin, chef du département de biochimie et de
génétique moléculaire à l'institut Pasteur, dont
vous avez lu un grand nombre d'articles dans "La Recherche ",
- Claude Fauquet, qui travaille sur les pays du sud, puisqu'il est
directeur de recherche à l'ORSTOM, et co-Directeur de l'ILTAB en
Californie. Il expliquera ce qu'est l'ILTAB et sur quel sujet il
travaille ;
- Guy Paillotin, Président de l'INRA
- Georges Santini, Directeur "éthique, environnement,
communication" de Rhône-Poulenc Agro monde.
Messieurs, je vous demande d'être brefs dans votre exposé
liminaire, pour qu'un débat puisse s'instaurer et pour que des questions
puissent être posées.
N'ayant pas de questions écrites, nous répondrons aux
questions de la salle lorsque l'on aura répondu à des questions
que je pourrais poser en tant que rapporteur.
M. Paillotin
-
On parle beaucoup des organismes
génétiquement modifiés, mais le génie
génétique n'a pas été inventé et n'est pas
utilisé exclusivement pour cela. Il est encore actuellement, et pour une
longue période, un outil irremplaçable en recherche fondamentale.
Or, en recherche fondamentale, le génie génétique
intervenant nécessairement en première ligne dans cette
discipline, la génétique est une voie bien souvent incontournable
pour comprendre les lois du vivant, comme vous l'avez rappelé.
Je sais que, dans un débat public certains, qui ne sont pas chercheurs,
peuvent se dire que l'on va trouver beaucoup de choses, mais se vont se
demander à quoi cela sert.
Les lois du vivant auxquelles nous nous intéressons dans la recherche
agronomique visent un certain nombre de fonctions assez utiles comme :
- la fixation de l'azote, pour déterminer si l'on en consomme plus
ou moins,
- la résistance naturelle à telle ou telle maladie ou tel ou
tel ravageur,
- la qualité des aliments (fruits assez sucrés ou pas...),
- la réponse à des signaux ; les plantes vivent dans
l'environnement ; elles ne sont pas aussi autonomes qu'un animal ; il
y a donc des signaux qui jouent sur la régularité des rendements,
ce que l'agriculteur demande le plus actuellement. Il y a aussi des signaux qui
permettent la mise en batterie des réactions de défense des
plantes, etc.
Or, la façon de bien comprendre la façon de fonctionner de tout
cela, qui est souvent un fait d'évidence pour l'agriculteur, mais pas
pour la biologie, c'est de déterminer les gènes qui gouvernent
ces fonctions, qu'il y en ait un ou plusieurs. C'est la méthode la plus
directe ; on a accès au logiciel et on peut alors comprendre la
façon dont les choses se déroulent.
Pour avoir accès à ce logiciel, on utilise constamment le
génie génétique, par exemple pour faire des mutants. Il
s'agit de modifier un gène, de façon éventuellement
aléatoire, et de voir si la plante a toujours ou n'a plus la fonction
que l'on examine. Dès l'instant où l'on a fait cette mutation,
notamment par génie génétique, on peut marquer,
reconnaître le gène changé, le repérer dans le magma
de gènes, l'isoler, le cloner.
Avec la détermination des génomes complets de plantes
modèles, on accélérera ce processus de décodage de
quantités de gènes d'utilité.
Ensuite, on utilisera encore le génie génétique, parce
qu'il faudra déterminer précisément si le gène que
l'on a observé régule bien la fonction que l'on veut
connaître. Pour cela, on réintroduira ce gène dans une
plante déficiente pour voir si l'on restaurera la
propriété.
Lorsque l'on aura fait tout cela, on se trouvera face au problème du
brevet, parce que l'on brevettera un gène dont on connaîtra les
fonctions. C'est tout le problème de la génomique.
J'insiste sur le fait que, dans ce cas, on utilise le génie
génétique comme un outil de détermination de fonctions,
mais que le résultat et la connaissance de ce qui gouverne les fonctions
ne sont pas nécessairement l'utilisation de cette connaissance pour
faire des OGM.
Ce peut être l'utilisation de ces connaissances pour savoir comment
déclencher des signaux de réponse par d'autres méthodes,
par exemple dans de la chimie fine ou autres, et ce sera surtout pour savoir
comment améliorer la sélection de plantes qui répondent
à nos demandes. Dans la mesure où, par exemple, une fonction
serait gouvernée par une dizaine de gènes, on ne s'amusera pas
dans l'immédiat à le faire par génie
génétique, à mettre ces dizaines de gènes dans une
plante.
On a donc un champ de connaissances énorme, qui pose des
problèmes d'appropriation des connaissances par la brevetabilité.
Je souhaite donner un exemple pour être bien clair sur l'utilisation. Il
s'agit du porc corse, qui est excellent. Les généticiens de
l'INRA, qui sont très sensibles au discours que je fais sur sa
qualité, m'ont dit qu'ils allaient faire de la génétique
classique sur la qualité du jambon corse. Je leur ai dit qu'il ne
fallait surtout pas le faire, parce que cette partie était liée
au goût ou à la culture, etc., et qu'ils devaient faire des
recherches sur la rusticité du porc corse.
En effet, l'agriculteur a besoin que son porc se porte assez bien dans la
nature et, si l'on peut simplifier cela, c'est bien, mais le goût et la
qualité ne sont pas déterminés que par des gènes,
mais également par l'idée que l'on s'en fait.
La connaissance des gènes doit donc être assez large, et supposera
ensuite une utilisation pertinente.
M. Danchin
-
Je parlerai d'abord de l'histoire, puisque vous
avez un peu fait allusion à l'histoire et à la position de la
France.
Il a été très difficile de mettre en place des programmes
" génomes " en France.Cela a commencé au milieu des
années 80 et c'est d'ailleurs à cette époque que j'ai
rencontré Daniel Cohen. Il a fallu des combats très longs et
difficiles pour persuader les pouvoirs publics, les différentes
institutions de recherche, que la génomique était le futur de la
génétique.
Je vais vous dire brièvement pourquoi c'est le futur de la
génétique et ce qu'il y a dedans, en vous parlant plutôt
par allégorie qu'en citant des gènes spécifiques, pour
essayer d'illustrer la façon dont les choses se passent à mon
avis.
Tout d'abord, il faudrait que vous essayiez d'oublier l'image mécaniste
du monde. Nous avons toujours une image horlogère, dans laquelle on
pense que les choses sont des rouages qui peuvent être associés
les uns aux autres, et qu'avec ces rouages, on peut prédire ce qu'il se
passera dans l'avenir.
La propriété tout à fait remarquable de ce que l'on
découvre dans les génomes est que l'on peut avoir un
système entièrement déterministe, mais entièrement
imprévisible. La particularité originale des organismes vivants,
ce qui fait qu'ils ont envahi la terre comme systèmes matériels,
c'est qu'ils sont capables, face à un avenir imprévisible, de
produire de l'imprévu.
C'est un point essentiel, qui devrait toujours être présent, quels
que soient les débats que l'on ait à propos de la
génétique. C'est effectivement ce que l'on découvre
dès que l'on commence à étudier les génomes.
Lorsque l'on commence à se rendre compte de ce qu'est un génome
et de ce que sont les gènes qu'il contient, on s'aperçoit que
c'est bien autre chose qu'une collection de gènes.
Tel qu'on l'entend d'habitude, par exemple breveter des gènes, d'une
certaine manière cela me fait rire. Dans certaines cas, il est tout
à fait imaginable de le faire ; je vois d'ailleurs plutôt une
protection de type
" copyrights ".
En revanche, il est en
général impossible de prédire la fonction d'un
gène : je vous en donnerai quelques exemples.
Je pense d'ailleurs qu'il y aurait une activité inventive réelle
qui devrait faire tomber les brevets de séquence pour quelqu'un qui
découvrirait l'activité réelle d'un gène.
Le premier exemple est une image très ancienne : l'une des
questions de l'oracle de Delphes. Il posait des questions aux passants, dont
celle-ci : "j'ai une barque faite de planches, et ces planches s'usent une
à une. Après un certain temps, elles sont toutes
changées ; est-ce la même barque ?"
Le propriétaire répond oui et il a raison.
La biologie est une science des relations entre objets beaucoup plus qu'une
science des objets. Bien entendu, pour comprendre les relations entre objets,
il faut connaître les objets, mais il est essentiel de comprendre cela.
C'est ce qui rend la biologie très abstraite, très difficile
à comprendre.
D'autre part, la biologie dérive d'une science très
différente qui, pendant longtemps, était une science des objets,
la chimie. Elle est d'ailleurs en train de changer. Elle a été
dominée par la biochimie ; on a purifié les objets ; on
a fait ces collections d'objets, et l'on a fait comme si l'on comprenait la vie.
Or, les génomes sont en train de nous montrer que c'est tout à
fait autre chose, quelque chose de beaucoup plus riche, qui compose la vie.
C'est justement de comprendre les relations entre les différents objets,
qui font qu'une cellule est une cellule.
Telle est la découverte de la fonction. Il est très difficile de
découvrir la fonction. Il ne suffit pas d'avoir les gènes. D'une
certaine manière, au cours de l'évolution de la vie, les choses
se passent de la façon suivante : le triplet qui permet à la
matière de produire la vie est : variation, sélection,
amplification.
Dès qu'un système matériel a ces trois
propriétés, il commence à évoluer. Il évolue
tout seul et, en évoluant, il produit des fonctions ; ces fonctions
capturent des structures pour être effectuées, et elles capturent
ce qu'elles ont à leur portée.
Je vous donne un exemple simple : c'est l'été, je suis
à mon bureau, il y a des papiers partout, la fenêtre est ouverte
dans mon dos. Je lis un livre ; le vent se lève ;
immédiatement, je pose le livre sur les papiers pour qu'ils ne soient
pas dispersés. Le livre vient d'acquérir une fonction qui n'a
rien de commun avec ce que j'étais en train d'en faire ; c'est un
parallélépipède lourd, donc un presse-papier.
La biologie, les organismes vivants fonctionnent ainsi. Ils capturent des
structures pour en faire des fonctions au fur et à mesure des
contraintes apportées par l'environnement.
Un exemple est simple : on prend le cristallin de l'oeil, on isole les
protéines qui s'appellent les cristallines, on cherche le gène.
On sait que ce sont des cristallines, donc on connaît leurs fonctions et,
surprise, on découvre que ce gène est celui d'une enzyme.
Si l'on avait uniquement le génome, on aurait dit que c'était une
lactate déshydrogénase qui, en présence de lactate, donne
du pyrumate dans telles circonstances. Vous auriez absolument tort ; cette
protéine a pour fonction d'être transparente lorsqu'elle est
concentrée.
Le fait de breveter des séquences me paraît donc tout à
fait discutable, et je pense que, lié au génome, il est essentiel
d'être capable d'annoter du génome, c'est-à-dire de mettre
des fonctions en face des séquences. Et cela ne peut pas se faire par la
simple analyse par prédiction de structure. La structure ne dit pas la
fonction. La plupart du temps, c'est la fonction qui capture une structure.
Il me semble qu'à ce propos, on devrait réfléchir, en
termes juridiques, à ce que signifierait la propriété
intellectuelle dans le cas de la découverte de fonctions de gènes.
M. Cohen
-
On peut discuter très longtemps du
problème de la brevetabilité du génome et des gènes.
La génomique française, n'a pas mal commencé, au
contraire. Elle a très bien commencé, en 1982. Bien qu'il fut
difficile de convaincre, comme toujours, les autorités scientifiques de
l'importance de ces projets, ils ont pu néanmoins être faits, et
en avance sur les Américains, parce que nous avons été
financés par des fonds privés. On n'a pas demandé la
permission aux institutions de l'époque de créer la
génomique.
Il s'est agi de legs, ou du Téléthon, qui a joué un
rôle extraordinaire dans la position française sur le
génome. Depuis que les fonds privés se sont taris, pour de
multiples raisons, la génomique publique française va moins bien.
Mais il ne faut pas oublier que nous sommes un pays de 60 millions de
personnes et que, si nous nous comparons aux 300 millions
d'Américains, on fera toujours moins en quantité que ce qu'ils
peuvent faire, puisqu'ils peuvent affecter beaucoup plus d'argent au secteur
public.
Mais ce n'est pas grave. Ce qui est plus grave, c'est que, quelles qu'en soient
les définitions, la génomique est passée dans le secteur
privé depuis quatre ou cinq ans ; elle n'est plus tellement dans le
secteur public. Les masses d'argent et les différences de culture sont
telles entre les Etats-Unis et l'Europe, que l'on peut vraiment commencer
à s'inquiéter.
Je pense que le potentiel humain européen n'a rien à envier
à ce qui existe aux Etats-Unis. J'ai toujours été
impressionné par le niveau intellectuel de nos collègues
scientifiques américains, qui sont exactement comme nous. Notre
système d'éducation étant très élitiste en
France, on a parfois des génies, mais qui sont devenus des mendiants
pour capter des capitaux ou des fonds pour travailler.
Ce qui manque pour franchir le pas, c'est un changement culturel drastique pour
que nos chercheurs n'aient plus ce rapport à l'argent très
français, très européen, où l'argent est sale.
Lorsque j'étais étudiant en recherche, et même
après, on m'a appris qu'il ne fallait pas travailler avec l'industrie,
que l'on s'alliait alors avec le méchant capital.
Cette notion existe encore actuellement. J'ai franchi le pas il y a deux ans
dans le privé ; " le Canard enchaîné ",
" le Monde ", " Libération ", " Minute "
ont stigmatisé cette opération. Il faut voir les choses telles
qu'elles sont.
Il faut être imperméable à cela. Je le suis heureusement,
mais je ne suis pas sûr que tout le monde le soit. Certains grands
chercheurs risquent de ne pas vouloir franchir le pas à cause des
critiques potentielles de leurs collègues ou des médias sur
ce genre d'opération. Je pense donc qu'il faut un changement de culture.
En second lieu, ce qui manque terriblement, ce sont non pas des scientifiques,
mais des managers, des personnes capables de diriger des entreprises, qui ne
soient pas scientifiques, qui soient capables de gérer des
opérations de passages en bourse, etc. C'est très
difficile ; on n'a pas ou très peu en France de filières de
création de managers en biotechnologie.
Hormis cela, je pense que tout existe pour que l'on puisse créer en
Europe des structures très compétitives avec celles des
Américains. Rien n'est perdu, parce que le combat ne se joue pas
maintenant mais sur les cinquante ou cent ans qui viennent. Tout est encore
à faire.
Quant aux brevets, je pense qu'Antoine Danchin a bien résumé le
sujet. On ne peut breveter que des inventions, et pas seulement des
gènes. Si je découvre un gène dont je démontre
qu'il est impliqué dans le cancer de la prostate, je ne peux breveter
que cette application, si j'ai démontré qu'il est impliqué
dans le cancer de la prostate, pas seulement au vu de la séquence.
Si quelqu'un d'autre trouve que le même gène a une application
dans la schizophrénie ou dans la dépression, le premier brevet
sur le cancer de la prostate ne protège pas pour ces maladies.
C'est vraiment la découverte de l'application qui conditionne le brevet,
et tout le monde est d'accord sur ce point.
Il faut un peu moins d'émotion vis-à-vis du brevetage. En effet,
breveter des gènes est devenu mal vu ; on le voit dans les
journaux ; dès que l'on parle de brevets de gènes, une sorte
d'hystérie se manifeste.
Rappelez-vous que l'on ne peut breveter que ce que l'on invente, et non pas ce
que l'on lit dans la nature, et qu'en second lieu, les brevets ne durent que
vingt ans. Que sont vingt ans dans l'histoire de l'humanité ?
Rien. Que des investisseurs veuillent protéger leurs investissements
pendant une petite période temps ne me semble pas réellement
répréhensible.
Il s'agit donc beaucoup de problèmes culturels plus que des
problèmes pratiques.
Enfin, notre administration est-elle prête à favoriser ces
transferts du privé vers le public et du public vers le
privé ? Je ne le crois pas. Tous les ministres que j'ai connus ont
voulu le faire et cela a toujours été bloqué par les
administrations qu'ils dirigeaient, notamment par les énarques, pour de
multiples raisons dont je pourrais vous parler longuement.
Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés à nous battre
contre cette couche pour essayer de faire en sorte que les passerelles se
fassent réellement, pour des raisons dont nous pouvons débattre
un peu plus tard.
M. Fauquet
-
Je suis français et, depuis une dizaine
d'années, je travaille aux Etats-Unis, non pas pour une firme
américaine ou un institut américain, mais pour un institut public
de recherche français, l'ORSTOM.
Nous avons monté un laboratoire franco-américain aux Etats-Unis,
pour la simple raison qu'en 1988, lorsque j'ai eu cette idée d'utiliser
le génie génétique pour le Tiers-Monde, je n'ai pas
trouvé en France un environnement me permettant de le faire. Nous
l'avons donc fait aux Etats-Unis.
En second lieu, pour ceux qui ne le connaissent pas, l'ORSTOM est un institut
de recherche public français qui a pour objet de travailler dans le
Tiers-Monde et d'aider, en faisant de la coopération, plusieurs pays du
Tiers-Monde. Nous avons environ 2300 chercheurs et techniciens, qui
travaillent actuellement dans plus de cinquante pays dans le monde.
C'est notre profession que d'aider au transfert de technologies ou
d'améliorer les connaissances pour ces pays, pour qu'ils aient une
chance de mieux s'en sortir.
Tout à l'heure, Monsieur Jean-Marie Pelt dit qu'il n'y avait pas de
possibilité d'augmenter la croissance de la production dans le
Tiers-Monde. A mon sens, cette façon de voir les choses n'est pas
très juste. En effet, à l'heure actuelle, les plantes tropicales
dans le Tiers-Monde ne produisent guère plus qu'une dizaine de pour cent
de leur potentiel.
On pourrait donc multiplier par cinq, six ou dix la production de pratiquement
toutes les plantes du Tiers-Monde. En effet, toutes ces plantes sont soumises
à des problèmes de maladies, d'insectes, de ravageurs qui
limitent cette production, parce que l'on n'a pas les connaissances
nécessaires pour pouvoir exprimer le potentiel de ces plantes.
Enfin, on a mentionné tout à l'heure les problèmes de
salinité de sols, de sécheresse, de limitation en eau, etc. On
pourrait donc multiplier de façon extraordinaire la production des
plantes dans le Tiers-Monde.
En fait, je pense que c'est véritablement dans ce domaine que se
trouvera le "boum" du prochain millénaire. On aura au même endroit
des plantes qui n'auront pas exprimé leur potentiel et une main-d'oeuvre
pléthorique, avec un taux très bas.
Cela m'amène à parler de la relation public/privé. Depuis
vingt-sept ans que je travaille dans ce secteur, nous avons toujours
été les parents pauvres ; nous n'avons jamais d'argent,
jamais de moyens. Très peu de personnes sont concernées, dans les
pays avancés, pour faire le transfert de technologies vers le
Tiers-Monde, parce qu'il n'y a pas de marchés industriels, pas
d'argent.
Cela n'intéresse personne en dehors de la philanthropie d'un certain
nombre de nations comme la France, qui consacrent une partie conséquente
de leur budget à cette aide, peut-être dans certains cas
liée à des occasions de développement industriel, mais
avec une optique a priori philanthropique.
Je pense que cette situation est en train de changer. Depuis deux ou trois ans,
je suis personnellement très surpris de constater que beaucoup de
compagnies, essentiellement mais pas uniquement américaines,
également européennes, qui n'étaient pas du tout
intéressées par le Tiers-Monde, le deviennent de plus en plus.
La raison en est le génie génétique, l'outil
génétique et la biodiversité. Toutes les plantes que l'on
cultive dans les pays avancés viennent en très grande
majorité des pays en voie de développement. Maintenant, avec le
génie génétique, on a la capacité technique d'aller
chercher un gène dans un autre organisme et de le mettre dans la plante
que l'on cultive.
Pour donner un ordre de grandeur, il y a des centaines de milliers
d'espèces de plantes et on en cultive en gros cent cinquante. Il n'est
pas question que l'on revienne en arrière, que l'on remette en cause des
centaines, voire des milliers d'années d'amélioration du
maïs, par exemple.
On va donc continuer à améliorer le maïs, mais on a besoin
de nouveaux gènes, qui sont dans les pays du Tiers-Monde, dans les
plantes sauvages, qui n'ont pas été exploitées de
façon conventionnelle par la sélection, tout simplement du fait
de barrières de croisements qui empêchent de le faire.
Le génie génétique va maintenant nous permettre de le
faire, d'aller chercher des gènes de résistance à des
maladies, à des viroses, des bactérioses, etc. qui se trouvent
dans des plantes sauvages, et de les mettre dans des plantes cultivées.
Je reviens donc sur l'intérêt grandissant des compagnies
privées américaines et européennes, qui se disent
maintenant qu'elles auront besoin de plus en plus de gènes, que la
richesse sera de pouvoir disposer des gènes, les manipuler, les
intégrer où l'on peut en faire quelque chose.
Pour le riz, par exemple, il y a une douzaine d'années la fondation
Rockefeller a monté un programme de biotechnologie du riz, tout
simplement parce qu'en quantité, c'est la première
céréale produite dans le monde. On a pensé que, si l'on
travaillait sur cette plante, on avait des chances d'avoir un impact sur un
très grand nombre de personnes, donc d'avoir davantage d'impact sur
votre investissement.
Il y a une douzaine d'années, 84 millions de dollars ont
été dépensés sur ce programme et le riz, qui
était une plante très peu connue et peu étudiée,
est maintenant devenue une plante-modèle très
étudiée, qui a de nombreuses possibilités en
matière de recherche.
De ce fait, cette plante-modèle va devenir la deuxième
après
Arabidopsis
, que l'on vous a mentionnée tout
à l'heure. Maintenant, on parle du riz ; il y a un programme
international pour séquencer le riz et, en 2003, on aura probablement
complété la séquence du riz.
Toutes les compagnies privées que je mentionnais tout à l'heure
ont donc soudain vu l'intérêt de cette plante-modèle, mais
également la possibilité de l'utiliser comme l'un des
marchés les plus importants dans le monde dans le prochain
millénaire.
Je voulais simplement vous resituer le contexte. On parle toujours du
Tiers-Monde comme le parent pauvre, en invoquant la philanthropie, l'aide
gratuite pour justifier un certain nombre d'actions, etc... Mais je pense que
ce ne sera plus vrai très prochainement, et que la France, qui a investi
pendant des décades, la plupart du temps de façon
philanthropique, devrait continuer à jouer cette carte.
Il faut absolument que le secteur public, français entre autres, et
européen, ait son mot à dire, que l'on ne laisse pas toutes les
multinationales prendre trop d'avance, encore que l'on aura besoin d'elles
parce que, comme on l'a mentionné tout à l'heure, il est
impossible de travailler sans le privé.
Mais si l'on peut jouer à partenaires égaux, si l'on peut
apporter quelque chose, on doit absolument le faire. Je serai prêt
à répondre à des questions éventuelles plus tard.
M. Le Président
-
Je vais maintenant donner
la parole à Monsieur Santini, qui a eu plusieurs postes de
responsabilité chez Rhône-Poulenc.
Monsieur Cohen disait que, pour 60 millions d'habitants, la recherche
publique et privée fonctionnait plutôt bien dans ces domaines.
Nous reviendrons sur certains points que vous avez indiqués.
Daniel Chevallier est dans la salle et a fait le premier rapport sur les
biotechnologies à l'Assemblée nationale en 1991, à
l'époque où cela n'intéressait pas grand monde.
Aujourd'hui, on réclame le débat, mais il existait
déjà pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques.
Vu de l'extérieur, j'ai tout de même eu l'impression qu'à
l'époque, vous étiez en pointe, et que vous vous êtes
arrêtés un certain nombre d'années, qu'il n'y a
peut-être pas eu la même pression au niveau des recherches chez
Rhône-Poulenc. Pourquoi ? Si oui, est-il très important de
redémarrer maintenant ?
M. Santini
-
Pour compléter la présentation de
Monsieur Le Déaut, je souhaite dire qu'étant
moi-même fils d'un agriculteur corse de montagne qui a fait du porc
pendant plusieurs générations en ignorant tout de la
génomique, je comprends largement les bénéfices de cette
technologie. Je voudrais essayer de la partager avec vous avant de
répondre à la question précise de Monsieur
Le Déaut.
Pour replacer cela dans un contexte un peu plus général et
partant simplement de besoins fondamentaux de nos générations et
des générations passées, qui ont des besoins de se nourrir
et de se soigner, les hommes ont progressivement inventé et
découvert la chimie et la biologie. La génomique s'inscrit dans
une démarche de compréhension où l'on essaie de mettre au
point des modèles pour arriver à mieux satisfaire les besoins
fondamentaux que sont ceux de se soigner et de se nourrir.
En se cantonnant simplement à la nourriture et à tout ce qui a
trait à l'agriculture, les gènes sont très importants
à connaître et à étudier, qu'il s'agisse
d'organismes publics ou d'industries privées, qui ont des
finalités différentes. Les enjeux pour nos sociétés
sont considérables, comme les enjeux de la maîtrise et de la
connaissance des sciences chimiques et physiques.
Ces progrès ont été accomplis et ont permis
d'améliorer considérablement notre niveau et notre
espérance de vie au plan planétaire. Il est donc important de
travailler les gènes et de les connaître.
En effet, cela permet de mieux connaître des modèles. Comme en
chimie et en biologie, on a mis au point des modèles, qui ne sont qu'une
faible représentation de la réalité.
Tout à l'heure, on mettait l'accent sur la différence entre
l'aspect purement mécanistique et la compréhension des fonctions,
qui sont la traduction de l'extrême complexité du milieu dans
lequel nous vivons. Je pense qu'il est absolument important de connaître
ces gènes pour mieux construire petit à petit la
compréhension avancée de la prévision -nous sommes dans le
domaine de l'agriculture-, pour pouvoir mieux produire, mieux prédire,
donc amener ces progrès attendus.
Sans entrer dans les détails techniques de ce que va nous amener la
connaissance des gènes -Monsieur Paillotin les a donnés-, je
voudrais simplement insister sur l'importance de cette démarche. Je
mettrai l'accent sur l'importance de la connaissance, de l'investissement dans
le domaine de la recherche, qui va nous amener à pouvoir mettre au point
des cultures qui répondront mieux à nos besoins et amener ces
progrès attendus.
C'est un plaidoyer pour la recherche, et notamment celle des gènes,
comme on a investi et avancé dans le domaine de la connaissance de la
matière au plan chimique et physique.
Mon deuxième commentaire concerne les investissements en recherche, et
je me rapproche de la question de Monsieur Le Déaut sur l'industrie
privée, sur la façon dont l'industrie privée a parcouru
les temps et la façon dont elle voit la coopération avec les
instituts de recherche publics.
Je pense que, là encore, il est important de bien voir les enjeux
majeurs. Ils sont d'abord économiques, mais ils sont aussi
scientifiques. L'importance de cette description nous amène à
admettre et à reconnaître les bénéfices liés
à une coopération entre les recherches, qu'elles soient
fondamentales ou appliquées.
En disant cela, j'exprime le fait que la compréhension des enjeux
majeurs, qu'ils concernent l'alimentation ou la santé, amène les
scientifiques devant la problématique suivante, soumise par la politique
et la société : quels sont les verrous technologiques qui se
posent pour pouvoir satisfaire ces enjeux ?
Je donne un exemple qu'il n'y a pas dans le domaine de la culture, mais que
l'on comprend facilement : actuellement, on perd près de 40 %
de l'électricité dans son transport. Il y a donc un enjeu
économique associé à un enjeu scientifique, mais qui a une
problématique scientifique claire : trouver un matériau
supra-conducteur.
Dans le domaine des gènes, c'est pareil. Il existe des enjeux qui se
traduisent par des verrous technologiques que le scientifique est capable
d'exprimer avec son langage, derrière lequel des équipes se
mobiliseront pour les résoudre.
C'est toute l'explication et toute la logique qu'il y a derrière
l'importance de la coopération entre les chercheurs dans le domaine
public, qui feront avancer la science et la connaissance, et les chercheurs
dans le domaine de l'industrie ou des organismes plus appliqués, qui
traduiront cette connaissance fondamentale en termes appliqués et lui
donneront une notion et une valeur de progrès pour les
communautés.
Depuis quinze ans, Rhône-Poulenc est dans le domaine des biotechnologies.
Il a investi et continue à investir des sommes importantes dans le
domaine de la recherche dans les technologies nouvelles, et nous voyons les
biotechnologies comme une technologie nouvelle qui a ses potentialités,
qui soulève ses questions.
Nous avons maintenu ces investissements à un niveau constant.
Simplement, dans le cadre des progrès réalisés dans ce
domaine, le chercheur ne programme pas ses découvertes dans le
temps : on cherche mais on trouve également, et chaque
journée apporte ses résultats. Le chercheur a pu produire ses
résultats, mais à un certain moment, les marchés sont
prêts pour les accepter et les développer.
Toute découverte a un avantage si elle arrive à un moment
où elle est acceptée et où les progrès sont
clairement perçus et reçus. Cette mise en phase doit donc
s'opérer, et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles la
perception exprimée par Monsieur Le Déaut existe.
Quant aux brevets, je voudrais au préalable rappeler leur
finalité. Dans l'histoire, les brevets ont été
créés pour inciter les organismes à publier le
résultat de leurs recherche, en échange de quoi on leur
garantissait un droit privilégié vis-à-vis de
l'exploitation. C'est donc une finalité de publication et de partage des
résultats qui, à l'origine, justifie leur existence.
Telle est donc la mécanique, mais il ne faut pas oublier que les brevets
sont des résultats acquis après des investissements en recherche
lourds, et que le retour sur investissement qu'accorde le brevet permet de
réinvestir en recherche.
Il faut donc considérer le brevet comme étant un
élément du moteur global, l'essence de l'ensemble, qui permet
d'alimenter ce moteur de l'innovation qui fait progresser nos
sociétés et qui protège les résultats d'une
société ou d'un organisme public (les brevets ne sont pas
réservés aux sociétés privées mais
également aux organismes publics) en échange de la protection de
l'exploitation de la découverte.
Enfin, la découverte n'est brevetable que si elle apporte quelque chose
de nouveau et si elle apporte un progrès. Et je peux vous garantir que
les organismes officiels de tous les pays qui protègent les
déposants au titre des brevets demandent que ces critères soient
parfaitement respectés.
Si l'on n'apporte pas quelque chose de nouveau et un progrès, la
protection n'est pas assurée, et c'est en cela que l'on retrouve le
moteur de l'innovation et de l'économie, qui justifie que ces sciences
soient développées.
M. Le Président
-
Après tout ce qui
s'est dit, je souhaite poser une question à Monsieur Paillotin.
On vient de dire que, finalement, la recherche est d'un bon niveau, et que les
crédits se sont taris dans le privé. Dans le public, les
crédits sont-ils suffisants ?
A l'INRA, vous êtes en pointe dans ces domaines. Notamment dans de
nouveaux développements comme les puces à ADN, y a-t-il des
développements à l'INRA ou dans d'autres organismes de recherche
français ?
Avez-vous des crédits suffisants en génomique
végétale ? Quels sont les rapports entre le public et le
privé dans ce domaine ?
M. Paillotin
-
Je pense que les crédits de la
recherche publique sont bons en France. Le problème, c'est de pouvoir
donner un coup d'accélérateur dans certains cas, ce qui n'est pas
simple dans des budgets un peu reproductibles.
C'est donc le point que l'on rencontre actuellement, mais de façon
favorable -Monsieur le Député, vous aurez à le voir en fin
d'année- au niveau de la génomique, parce que nous avons de bons
moyens de développer de la génomique végétale et
animale (je ne parle pas de la santé).
Mais il faut donner un coup d'accélérateur et j'ai bon espoir que
les pouvoirs publics aideront la recherche publique et la recherche
privée à donner ce "coup de collier" dans les mois qui viennent.
Je rejoins ce qui a été dit par d'autres : il ne faut faire
de la paranoïa ni sur la génomique ni sur les brevets. L'INRA doit
juger de ses investissements par rapport à l'ensemble de la
filière agro-alimentaire. On parle beaucoup des OGM et des
biotechnologies ; c'est important et cela peut l'être sur un plan
stratégique mais, au départ, sur un plan économique, ce
n'est pas aussi évident.
Je rappelle souvent que les dépenses en produits phytosanitaires en
France sont de 15 milliards de francs et que le chiffre d'affaires de
l'industrie agro-alimentaire est de 750 milliards de francs. Il faut
donc cibler ces recherches.
L'industrie agro-alimentaire, qui n'est pas aussi présente que cela dans
ces débats, dira que ce qui compte pour elle, c'est le génie
agro-industriel. Sur le plan économique global, il faut donc faire
attention. Il faut veiller à l'aspect stratégique que pourrait
avoir la génomique. C'est plus délicat. Le fait de prendre des
gènes à tort et à travers dans tous les sens n'aurait
aucun intérêt.
L'idée est qu'il peut y avoir dans cette connaissance de base des points
de passage un peu obligés qu'il faut pouvoir maîtriser, ou au
moins échanger avec des partenaires. C'est là que l'on est
amené, en agro-alimentaire, à s'associer nécessairement
avec l'industrie.
Un organisme comme l'INRA n'a pas pour mission première de faire de la
génomique un trou noir qui pénaliserait le reste des
activités agro-alimentaires. En second lieu, il n'a pas la
capacité à lui seul d'avoir une stratégie de prise de
brevets qui soit cohérente.
Enfin, l'INRA n'a pas la capacité de faire seul les attaques contre les
breves indus car beaucoup de brevets ne tiendront pas. On le sait bien.
Il est vrai qu'il doit y avoir invention et pas simplement découverte.
D'ores et déjà, beaucoup de brevets sont un peu plus loin que
cela. Ce sont des batailles juridiques, mais l'INRA n'a pas les reins assez
solides pour faire ces batailles juridiques.
Ensuite, dans l'association avec l'industrie, il nous fallait faire deux
choses : maintenir les avantages existants (je parle cette fois-ci de la
génétique française) et protéger l'avenir sur le
plan stratégique.
Les avantages de la génétique française sont connus. Elle
est efficace. Elle est faite majoritairement par des PME innovantes, qui ont la
capacité et la maîtrise des méthodes classiques de la
génétique, et une maîtrise de quantités de
gènes qui nous sont enviés.
L'INRA ne peut pas abandonner cette maîtrise. On ne peut pas dire
que nous oublions cet avantage et que nous allons passer à un avantage
qui favorisera au contraire a priori des grandes firmes, voire des
multinationales. Il y a donc un vrai problème de stratégie
d'équilibre des forces.
L'INRA a un département d'amélioration des plantes qui comporte
mille personnes, ce qui n'est pas négligeable. Il y a une collaboration
totale avec les semenciers français qui sont dans une
problématique PME.
Il fallait que nous nous alliions avec ces firmes pour leur faire comprendre
leur intérêt dans l'avenir. Il fallait que nous ayons le support
d'un industriel, qui est Rhône-Poulenc. Pour pouvoir aborder tous des
problèmes de valorisation et de suivi des brevets, il fallait aussi que
nous nous associions avec les organisations professionnelles d'agriculteurs,
qui sont souvent, par le biais de coopératives, celles qui vont
distribuer ou faire utiliser ce progrès par les agriculteurs.
Ce travail de gestion, qui n'est pas de la science pure, est donc tout à
fait déterminant. Avant de lancer ce projet de génomique
végétale et animale, qui va démarrer quoi qu'il advienne,
nous avons également été amenés à discuter
assez précisément -ce n'est pas terminé- de la
façon dont nous allions gérer la propriété
industrielle, de manière à ce qu'il y ait un avantage pour tout
le monde.
Si nous gérons la propriété industrielle en donnant par
exemple à une firme très importante une main-mise sur des
semences classiques que l'on a développées avec des PME, nous ne
sommes pas dans notre rôle. Il a donc fallu arriver à un consensus
où chacun puisse profiter du système.
J'insiste beaucoup sur ce point, parce que l'on présente souvent les
choses comme étant scientifiques ou pas, mais elles sont aussi humaines,
sociales, etc., et elles sont l'affaire d'un équilibre.
Je ne sais pas si j'ai répondu à l'ensemble de votre question,
mais un projet de génomique en France démarre dans de bonnes
conditions. J'ai bon espoir que le financement public sera suffisant, et nous
ferons l'effort nécessaire, sans pénaliser les industriels de
l'agro-alimentaire dont j'ai rappelé l'importance tout à l'heure.
M. Le Président
-
Nous reviendrons sur un
certain nombre de questions.
Je voudrais maintenant poser une question à Monsieur Danchin, qui a
dit une phrase qui me paraît très importante : les organismes
vivants sont capables de produire de l'imprévu. Finalement, dans ce
domaine, qui est à la fois économique et psychologique -on l'a vu
avec les réactions des consommateurs-, et qui a des dimensions dans tous
les domaines de l'influence du développement des sciences et des
techniques, des conséquences économiques et sociales du
progrès scientifique et technique, l'imprévu ou le prévu
arrivent-ils où on les attend ?
Finalement, dans ce débat sur les OGM, où nous avons des tableaux
fortement contrastés selon les personnes qui parlent, le politique est
là même s'il a quelques capacités de compréhension.
C'est le cas d'un certain nombre de politiques mais, pour d'autres, ce n'est
pas leur formation. Ils entendent des experts ayant des avis totalement
opposés, et l'on est souvent confronté au paradoxe suivant :
prendre des décisions politiques dures sur des certitudes scientifiques
molles.
L'imprévu arrive-t-il où on l'attend ? Vous qui suivez
depuis très longtemps ces questions du développement de la
biologie, pouvez-vous nous dire si, finalement, toutes les peurs
indiquées sont les vraies peur ou s'il y en a d'autres ?
M. Danchin
-
Vous changez fortement le thème de
cette table ronde, mais je peux néanmoins essayer de répondre.
L'une des particularités de la recherche en biologie,
qu'expérimentent tous les jours les chercheurs, et qui trouble beaucoup
les jeunes chercheurs, c'est qu'en général, nous fonctionnons de
manière hypothético-déductive, c'est-à-dire que
nous faisons des hypothèses, nous prévoyons les réponses,
essentiellement par oui ou par non.
Nous construisons donc des organismes vivants ayant des
propriétés particulières, dont nous prédisons les
réponses, et la plupart du temps, au lieu de répondre oui ou non,
l'organisme vivant répond autre chose, qui n'a rien de commun avec ce
que l'on avait imaginé. C'est très éprouvant mais en
même temps tout à fait fascinant.
Il s'agit d'essayer de comprendre quelle est l'intégration des fonctions
qui produit cette innovation systématique. Evidemment, lorsque l'on
parle de cas extraordinairement ponctuels, par exemple la couleur d'une
cellule, ou ce qui va tout à fait à la fin d'un chemin
métabolique, en général mais pas toujours, on peut
prédire ce qui va arriver.
On peut à peu près prédire que, si l'on a touché
telle activité enzymatique à tel endroit parce que l'on
connaît les réactions chimiques, on changera la couleur de telle
ou telle manière. Mais, très souvent, dès que l'on remonte
un peu, on ne peut plus le dire. C'est ce que je vous ai dit à propos du
cristallin de l'oeil tout à l'heure.
C'est un point important, mais il y a un débat derrière :
celui de la certitude scientifique. Autant je pense qu'il ne faut pas
être relativiste, c'est-à-dire qu'il y a progression
systématique en science, qui est fondée sur le passé, la
création du savoir passé, autant je pense que nous
dérivons de deux traditions tout à fait opposées selon
lesquelles les scientifiques jouent souvent un rôle qui n'est pas le leur.
Je m'explique. Georges Dumézil, qui s'était beaucoup
intéressé aux mythes et épopées depuis l'Inde
jusqu'aux pays scandinaves et à l'Irlande, a remarqué que, dans
tous les mythes et épopées, y compris ceux qui sont à la
base de nos civilisations, on trouve trois fonctions principales : le
prêtre, le laboureur et le soldat. Ces trois fonctions sont liées
à une perception de l'environnement très particulière.
Il y a des personnes (les prêtres) qui entendent une vérité
et qui peuvent la donner ; ceux qui appliquent cette vérité,
les laboureurs, sont là pour cela, avec tout le succès que cela a
dans la culture ; si certaines personnes ne veulent pas comprendre, les
soldats sont là pour le leur faire comprendre.
Il y a longtemps, j'ai vu sur le fronton des églises en Algérie
"Deo ense et aratro" ("Par Dieu, par l'épée et par la charrue").
Cela dit explicitement une partie de notre culture, qui est typiquement celle
que l'on trouvait dans l'empire romain et que l'on trouve beaucoup aux
Etats-Unis actuellement, mais ce n'est pas la culture de la science.
Clairement, Dumézil, d'ailleurs avec un peu d'amertume, remarquait que
les mythes grecs, pour la plupart, n'entraient pas dans les trois fonctions. Le
personnage central chez les Grecs, c'est le philosophe, qui serait le savant
actuellement.
Le philosophe, c'est celui qui sait qu'il y a une différence entre la
réalité du monde et les modèles du monde qu'il fait, et
que, même s'il tombait sur la vérité -c'est ce que disait
Xenophane de Colophon il y a 2600 ans-, il ne pourrait pas le savoir.
C'est un dialogue constant entre modèle et réalité qui
fait la science, et aucun savant ne peut donc vous dire autre chose que ce qui
correspond à un modèle de la réalité et non
à la réalité. Dès qu'il se pose autrement, il se
pose en prêtre, et nous sommes dans une logique de pouvoir très
différente, celle du prêtre, du laboureur et du soldat.
Dans le débat des OGM, je me suis préoccupé de cela depuis
l'origine, en fait depuis d'Asilomar, et j'ai été explicitement
contre le moratoire Asilomar, précisément parce que je pensais
que l'on se trompait gravement de cible.
Pour des raisons qui seraient intéressantes à explorer
(peut-être parce que c'est une technologie nouvelle, peut-être
parce que c'était biaisé pour des raisons de pouvoir
économique de certains acteurs, etc.), il me semblait et il me semble
toujours que, dans un grand nombre de cas, les manipulations
génétiques qui se font
in vivo
, dans la nature,
spontanément (notamment dès que l'on utilise un engrais ou un
insecticide, ce que l'on fait chaque jour, ou, plus grave, lorsque l'on utilise
des antibiotiques en médecine vétérinaire, pour faire
grossir des animaux), sont des manipulations génétiques en vraie
grandeur qui, à mon avis, sont bien plus dangereuses que la plupart de
celles dont nous discutons, notamment à propos des
végétaux.
Cela étant, cela ne signifie pas du tout qu'il n'y a pas de
problèmes. Il faut se poser le problème de façon
explicite, mais ce qui me paraît le plus curieux et le plus grave, c'est
que les manipulations génétiques sont envisagées dans deux
domaines : un domaine médical et un domaine agronomique.
Dans le domaine médical, il n'y a curieusement pas de crainte et, dans
le domaine agronomique, il y a de grandes craintes. Or, je pense que l'on
devrait avoir des sentiments contraires.
Il y a un point que je considère comme très grave,
également lié à nos sociétés : nous
craignons systématiquement ce qui est différent et non ce qui est
proche de nous. L'histoire du sang contaminé est typique de cela :
personne ne craignait le sang et on ne craint toujours pas, curieusement, alors
que plus les organismes vivants sont proches de nous, plus ils sont dangereux,
parce qu'ils sont pré-adaptés.
Le peu de changement qu'il faut faire pour produire quelque chose qui
conduirait à une éventuelle catastrophe est presque fait.
Dans ce débat -c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu y
participer-, il me semble que, pour des raisons que je ne comprends pas
vraiment, les dés sont pipés, c'est-à-dire que tout est
entièrement lié à des sentiments, alors que personne ne
regarde les choses en face.
D'abord, à chaque fois que l'on utilise une technique,
c'est-à-dire que l'on met un engrais ou un insecticide, on fait des
manipulations génétiques. De toute façon,
l'amélioration génétique est à la base de
l'agriculture et il est clair qu'elle a altéré le paysage. Les
champs de Beauce sont presque des champs minéraux. On n'y voit plus un
insecte voler, et c'est terrifiant.
Je comprends l'attitude du public face à cette sorte de glissement
progressif vers un monde vivant mais presque minéralisé, dû
à une nécessité tout à fait réelle
d'augmentation de la population. J'ai une grand mère qui a plus de cent
ans, et elle a vu la population de la Terre plus que tripler depuis sa
naissance. Il s'agit d'une révolution extraordinaire, qui a pour
conséquence une altération générale de
l'environnement, sans compter l'urbanisation, et je comprends qu'il y ait de
nombreuses réactions liées à tout cela.
Mais je pense que ce qu'il se passe à propos des OGM est dangereux,
parce que, alors que je pense qu'il y a de réels problèmes (par
exemple le SIDA, où l'on a été capable d'arrêter
quelque chose de très dangereux, un projet lié à la
vaccination), lorsque l'on voit un objectif admis comme particulièrement
valable éthiquement, on ne se préoccupe plus des risques.
Le vrai problème est donc un problème
risques-bénéfices, dont il faudrait vraiment discuter calmement,
sans avoir besoin de "vedettes" qui parlent en public. C'est aussi la raison
pour laquelle, en général, je ne parle pas en public.
M. Le Président
-
Merci. C'est très
lié à la recherche et, comme vous me l'aviez dit en privé,
je souhaitais que vous donniez votre avis publiquement et que nous en
discutions éventuellement.
On revient à certains points abordés tout à l'heure,
notamment par Daniel Cohen, sur les relations public/privé, sur la
relativisation ou la paranoïa sur les brevets. Néanmoins, vous
n'avez pas répondu à ma question : y a-t-il des
différences techniques entre les systèmes de brevetabilité
de l'Europe et des Etats-Unis, qui sont à l'origine de handicaps pour
nous ? Cela intéresse les parlementaires.
En second lieu, vous avez été assez dur, notamment sur la
techno-structure, en disant qu'elle freinait finalement un certain nombre de
choses. Les possibilités actuellement discutées pour des
chercheurs de travailler en partie dans le privé, ou de traitement
fiscal et social des fonds investis dans des sociétés
émergentes sont-elles suffisantes ou pas ? Faut-il les
développer ? Si oui, quelles idées avez-vous pour faire en
sorte de les développer ?
Nous sommes au Parlement, et j'en profite pour dire que, sur cette
étude, on a l'unanimité totale de tous les groupes et de l'Office
parlementaire, Députés et Sénateurs, pour la conduire et
pour essayer de faire des propositions, et c'est important.
L'Office parlementaire est le seul endroit au Parlement où il y a des
Députés et des Sénateurs, et de tous les groupes
politiques. C'est donc l'un des endroits où l'on peut pousser un certain
nombre de choses qui ont des chances ensuite, dans nos assemblées
respectives, de passer les rampes législatives, ce qui est toujours
très compliqué.
En effet, il y a quelquefois des fonds de commerce qui ne sont pas les
mêmes dans nos différentes assemblées. Nous travaillons en
amont de la législation, et c'est un peu nouveau.
Vous dites que nous sommes bons ; je dis oui ; pour vous, c'est
certain. Pour le développement d'Evry, c'est certain ; pour des
collaborations en végétal avec Evry, c'est certain. Y a-t-il un
maillage ?
Je reviens d'universités américaines ; j'en ai vu plusieurs
dans le Middle-West américain. J'ai vu des développements dans
beaucoup d'autres universités. A-t-on le même type de
développements en dehors de Paris ?
Ces questions ne sont pas les seules que nous ayons à résoudre au
niveau de l'agriculture, comme le disait Guy Paillotin tout à
l'heure, mais elles sont importantes.
C'est d'autant plus important -et je le dis à ceux qui n'ont pas la
même perception- que la difficulté pour le Parlementaire
actuellement est de traiter à la fois du problème du
débat public qui n'a pas eu lieu et des enjeux au niveau de la recherche
et au niveau économique.
Nous sommes sur deux débats différents ; lorsque l'on traite
des enjeux ou de la recherche, on pense que l'on est en avance, que l'on a
déjà choisi, mais, en même temps, on a ces deux notions
à traiter de manière parallèle, et c'est difficile.
Monsieur Cohen, quelles sont vos positions sur toutes ces questions ?
Quelles suggestions feriez-vous ? Demain, nous auditionnerons le Ministre
de la recherche sur ces questions.
M. Cohen
-
Je n'ai pas dit que nous étions bons.
J'ai dit que nous avions pu être bons à un certain moment. Nous
avons été efficaces en génomique à un certain
moment et, les fonds privés s'étant taris, l'activité
s'est un peu essoufflée.
Lorsque l'on considère les publications sortant de France depuis trois
ou quatre ans, on constate que ce n'est plus du tout compétitif par
rapport à ce qu'il se passe ailleurs.
Je disais en revanche que le potentiel de formation en France était
extraordinaire. Le niveau des chercheurs est excellent.
Ce sont essentiellement les financements qui se sont taris, quoi que l'on en
dise.
Le deuxième point consiste à savoir s'il y a des
différences qui confèrent des avantages aux Etats-Unis en
matière de brevets, simplement par leur système de brevets.
Avant de parler de la qualité des brevets, déjà dans les
systèmes de brevetage américain, le secteur public
brevète-t-il ?
Les chercheurs académiques des universités américaines ont
été les premiers à breveter, depuis très longtemps,
parce qu'il s'agissait d'universités privées, qui recevaient
très peu de fonds publics, et que cela a été le moyen,
dans les universités comme Stanford, de continuer à vivre. Les
revenus de Stanford viennent pour la plupart des licences sur les brevets. Du
fait qu'ils en ont fait moins, cela commence à aller mal
financièrement.
De ce fait, les organismes vraiment publics comme le NIH ont commencé
à breveter, mais il y a très peu de temps (une dizaine
d'années), et pour avoir vécu cela, une chose est
extraordinaire : il y a vis-à-vis des brevets déposés
par les organismes publics américains, une préférence
nationale très forte. Lorsqu'une société français
essaie d'avoir une licence d'un brevet du NIH, on lui dit toujours que, si un
Américain veut ce brevet, il est prioritaire.
Je ne suis pas sûr que ce soit une stratégie adoptée en
France, d'abord parce que peu de brevets sont déposés, donc le
problème ne se pose pas tellement. Mais, s'il se posait, il n'y a pas
dans les textes de mention de préférence nationale. Je ne sais
pas si elle est bonne ou mauvaise, mais c'est assez difficile à
gérer parce qu'en réalité, les sociétés
françaises comme Rhône-Poulenc ou même ma compagnie sont
toutes multinationales et ont des intérêts aux Etats-Unis.
Il y a une réflexion à avoir sur la façon dont les
organismes publics français attribueront les droit d'exploitation
lorsqu'ils brevètent. C'est une vraie question.
Existe-t-il des différences entre les natures des brevets existant aux
Etats-Unis et en Europe ? Il y en a encore quelques-unes. Certaines
choses, comme certains organismes transgéniques, sont brevetables aux
Etats-Unis et ne le sont pas en Europe. Il y a certainement une
égalisation à faire. Je ne veux pas entrer dans le détail
de tout ce qui est différent, mais ils ont en général des
admissions de brevets qui ne se feraient pas en Europe, que ce soit
justifié ou pas.
En second lieu, il y a une différence dans les publications. Lorsque
l'on brevète, on peut publier. Le brevetage est une source de mise dans
le public de l'information. En revanche aux Etats-Unis, on peut dans certaines
circonstances retarder la publication des données pendant
pratiquement cinq ans après le moment du dépôt. Est-ce
valable ou pas ? C'est également un grand débat.
Dans le domaine concurrentiel dans lequel nous vivons, la publication d'un
brevet peut être à notre désavantage, parce que le
concurrent peut toujours avoir une idée qui, bien qu'utilisant
l'idée du brevet, la contourne. Ce n'est donc pas toujours très
bon, à certains points que l'on évite souvent de breveter. On
préfère garder l'information technologique plutôt que la
breveter, pour garder la priorité pendant plus longtemps.
Quant à la troisième question, le développement potentiel
dans le secteur public en France est possible. Le problème, c'est qu'en
créant le Centre national de séquençage ou le Centre de
génotypage à Evry, on a créé un seul centre qui
diminuera les chances de la province de se développer. Je l'ai toujours
dit. Il valait mieux créer deux ou trois grands centres qu'un seul
centre énorme, mais cela a été fait ainsi.
M. Le Président
-
J'en ai parlé avec
Monsieur Tambourin du Génoscope. L'idée de faire quelques
centres satellites en se basant sur la formation des personnes ne serait-elle
pas la solution ?
M. Cohen
-
Oui, sur la formation et même sur la
production des résultats, tout simplement parce qu'il est dangereux de
confier un développement aussi important à un seul endroit, parce
qu'il peut y avoir des dérives dans un mauvais sens. Les idées
peuvent manquer à un certain moment ; n'importe quoi peut arriver.
En laissant à trois ou quatre centres en France l'occasion, même
d'entrer en compétition les uns avec autres, c'est beaucoup plus
stimulant et beaucoup plus sûr à long terme.
M. Le Président
-
Merci. Je vous donne
quelques chiffres que j'ai extraits d'un document du CNRS, sur les brevets
publiés par zone géographique dans le domaine des plantes
transgéniques :
- Etats-Unis : 49 %
- Europe : 31 %
- Japon : 14 %
- Reste du monde : 6 %
Nous avons l'évolution des brevets, et c'est de loin dans le domaine des
plantes transgéniques que l'évolution des brevets est la plus
importante dans le monde entier, avec une courbe énorme par rapport aux
brevets toutes disciplines confondues, et même aux brevets dans les
biotechnologies.
Un point est tout de même inquiétant -on le connaît et on le
redit dans chaque colloque ou congrès- : lorsque l'on compare les
documents publiés et les brevets publiés, on arrive aux chiffres
suivants :
- Etats-Unis : 40 % et 40,8 %
- Europe : 40,4 % et 31,1 %
- En Europe, c'est la France qui présente les plus mauvais
chiffres : 7,8 % de documents publiés, toutes sciences
confondues, et 2,9 % de brevets publiés.
Cela progresse peu d'année en année. Nous le redisons à
chaque fois, nous le martelons, mais il y a tout de même, ainsi que je
disais au début, une sorte de mal français.
Même si ce n'est pas la même problématique, nous l'avons
liée tout à l'heure ; on a peu parlé des pays du sud.
Monsieur Fauquet peut le développer, et je demanderai ensuite
à Monsieur Santini de répondre à toutes les questions
abordées dans la discussion, puis il y aura des questions dans la salle.
M. Fauquet
-
Avant de parler des pays du sud, je
voudrais simplement revenir sur le public/privé. Il faut se rendre
compte du fait que le privé a la puissance, l'argent. Monsanto peut
acheter 2,5 milliards de dollars de compagnies en un an, mais ce que le
privé n'a pas, c'est la créativité ; c'est un pool de
scientifiques où il se passera des choses.
Cela provient du fait que la créativité ne peut pas se
prédire, se prévoir, se planifier. Or, toutes les compagnies
privées planifient leurs résultats, leurs investissements, etc.
Cela m'amène à la comparaison France-Etats-Unis. Il est vraiment
flagrant qu'aux Etats-Unis, il y a une énorme quantité
d'investissements du secteur privé dans les universités pour
cette simple raison. A l'heure actuelle, on assiste même à des
situation extraordinaires. Dans l'institut où je travaille, des
compagnies viennent proposer d'investir pendant cinq ans 1 million
de dollars par an sur ce que l'on veut, parce que l'on ne peut pas
prédire quels seront les nouveaux développements, les nouvelles
découvertes, etc.
En revanche, on peut prédire la technologie qu'il y a dans un endroit
donné, les compétences, les cerveaux, etc. Il y a donc un
investissement constant du privé dans le public pour alimenter cette
créativité, que l'on traduira ensuite avec des brevets.
Cela m'amène à la discussion que nous avons eue tout à
l'heure : dans le secteur public américain, il y a beaucoup de
dépôts de brevets que l'on offre ensuite au secteur privé,
c'est-à-dire que les universités américaines brevettent
mais ne paient pas les brevets. Dès qu'elles ont déposé un
brevet, elles vont l'offrir au secteur privé, en partant du principe
que, si c'est intéressant, il investira et payera pour les brevets.
Mais l'université restera propriétaire ; elle aura des
royalties et un certain nombre de revenus, comme Stanford. Si l'on examine le
nombre de nouvelles petites compagnies privées ou d'investissements de
grosses compagnies autour des universités, on constate que c'est
concentrique. C'est extraordinaire ; on peut dessiner des centres autour
des universités.
Nous n'avons absolument pas ce mécanisme en France, et il faut
absolument le développer si l'on croit à l'interface
privé/public. Je suis un très fort partisan de cela, parce que je
pense que l'on peut associer la créativité, qui n'est pas
poussée vers des objectifs bien précis, et l'investissement et le
pouvoir financier, etc.
Je voulais faire honneur à mon voisin pour tous les concepts
philosophiques et théoriques qu'il nous apporte, auxquels je concours,
mais je pense qu'en plus du laboureur, du guerrier et du prêtre, nous
devons maintenant associer l'avocat.
Qu'on le veuille ou non, étant public, avec ma formation
française bien publique, etc., je suis confronté depuis dix ans
à ce monde privé, même dans une université publique
où l'avocat est très important. Je me suis rendu compte que, par
exemple, la valeur d'une découverte que nous avons faite en
laboratoire peut aller de zéro à un chiffre extraordinaire selon
que l'on trouvera les clients qu'il faut et un partenaire qui
défendra le brevet.
Cela fait la pluie et le beau temps. De ce fait, une découverte sera
exploitée ou pas, et c'est très important, dans ce monde
d'affaires, d'argent, de développement, etc.
C'est également la raison pour laquelle il doit y avoir une interface
entre le public et le privé. Une université publique, même
américaine, n'a pas les moyens de se payer vingt cinq avocats pour
défendre ses brevets, de dépenser 30.000 à
50.000 dollars par brevet pour le maintenir pendant trois à quatre
ans.
Or, c'est ce qu'il faut. C'est une règle du jeu nationale et maintenant
internationale qui a été mise en place, et qu'on le veuille ou
non, c'est ainsi. On doit donc absolument développer ces
différentes interfaces pour l'ensemble des raisons que j'ai
mentionnées.
Nous pouvons maintenant revenir au débat non plus public/privé,
mais pays avancés et pays en voie de développement. Comme je l'ai
dit tout à l'heure, on a toujours considéré qu'il y avait
d'un côté le sentiment que le Tiers-Monde demandait l'aumône
et de l'autre les pays riches qui donnaient gratuitement les trois quarts du
temps.
Je pense que l'on doit changer cette mentalité, parce que, dans la
réalité, la population ne se trouve pas dans les pays
avancés. La plus grande partie de la population se trouve dans des pays
en voie de développement et, en 2030, 90 % de la population s'y
trouveront. On ne peut pas ignorer cette situation, parce qu'il y a un aspect
masse énorme auquel nous devrons répondre.
Nous devrons aider ces pays à s'en sortir si nous ne voulons pas
nous-mêmes en souffrir. Nous devrons aider ces pays à
arrêter de couper leurs forêts si l'on veut garder la
biodiversité à notre avantage. Il faudra aussi que le secteur
privé, qui commence à investir dans le Tiers-Monde, investisse
davantage. Il faudra donc changer un certain nombre de mentalités.
On ne fera plus l'aumône aux pays en voie de développement. Nous
devons les considérer comme des sources de ressources biologiques
indispensables pour notre développement, et au travers de cela, nous
devons les aider eux-mêmes à s'en sortir et à se
développer.
Dans le secteur privé, plusieurs compagnies multinationales se sont
rendu compte de cet état de choses. Elles se sont rendu compte qu'avec
un milliard de Chinois, si chaque Chinois achète une graine de riz, cela
représente beaucoup de dollars. L'Europe doit absolument avoir la
même évolution. Nous devons récupérer une partie de
l'investissement que les pays européens, et en particulier la France,
ont fait.
Depuis des décades, on a investi sans le vouloir dans plusieurs pays du
Tiers-Monde. On les a aidés. Nous devons continuer à le faire.
Nous devons inciter nos industriels français et européens
à s'associer à cela et à investir dans ces pays, parce que
c'est là qu'il y a la biodiversité, c'est là que l'on va
trouver les milliers de gènes que l'on utilisera dans l'avenir.
Je termine par une remarque générale : je pensais que je
venais à un débat où on allait parler des organismes
génétiquement modifiés, les pour, les contre, les
avantages et les inconvénients ; je m'aperçois que nous
avons largement dépassé le débat, et je m'en
félicite pour plusieurs raisons :
- Tout à l'heure, lorsque je me suis assis, à
9 heures 30, j'ai eu l'impression de revenir dix ans en
arrière parce qu'il y a dix ans, j'ai participé à de
tels débats aux Etats-Unis, où la question était de savoir
si l'on était pour ou contre les OGM, etc.
Maintenant, ce n'est plus du tout la question. Il s'agit de déterminer
la façon dont on peut utiliser un certain nombre de gènes
à bon escient ou le mieux possible, en sachant qu'il y a des risques,
que l'on va faire des erreurs, qu'il y aura peut-être des catastrophes.
Mais c'est inéluctable ; c'est l'avancement de la science et l'on
n'y peut rien.
Essayons de le faire le mieux possible, de développer des recherches
nous permettant d'éviter les catastrophes et de se limiter simplement
à quelques faux-pas.
Il faut tout de même replacer les choses dans un contexte
général : dans une plante, il y a de 30.000
à 50.000 gènes ; jusqu'à présent, on
a étudié les gènes un par un, avec toutes sortes de
technologies, et cela peut demander trois, quatre, cinq, dix ans ou plus.
Parfois, on n'arrive pas à comprendre exactement la façon dont
cela fonctionne.
En ce moment, on passe la vitesse supérieure. On a des technologies qui
permettent d'étudier non plus un gène mais des milliers de
gènes en même temps. C'est ce que l'on appelle la "technologie des
puces à A.D.N.", et il faut que les compagnies européennes, que
le secteur public européen investisse dans ces nouvelles technologies.
On ne doit pas rater le train de ces nouvelles technologies, parce que l'on
pourra maintenant étudier des ensembles de gènes.
Les produits des gènes ne fonctionnent pas à l'unité. Ce
ne sont pas comme des petits individus placés les uns à
côté des autres ; il y a des interactions constantes dans les
cellules, où des milliers de protéines interagissent les unes
avec les autres, et c'est très compliqué.
C'est la raison pour laquelle la séquence elle-même ne nous
donnera pas la solution, ne nous donnera peut-être pas un certain nombre
de brevets, mais nous ne devons pas rater le train de la génomique.
Tel est le véritable débat d'aujourd'hui. C'est plus que le
génie génétique ; c'est de déterminer la
façon dont on va étudier tous ces gènes et
l'investissement nécessaire pour que l'on ne rate pas ce nouveau
train de la science, de façon à pouvoir mieux comprendre la
façon dont fonctionnent ces organismes et à mieux utiliser
certains de ces gènes qui, dans leur très grande majorité,
ne sont pas dans nos pays mais sont dans les pays du Tiers-Monde.
M. Le Président
-
Monsieur Santini,
voulez-vous vous exprimer ? Y a-t-il déjà des
questions dans la salle ?
M. Bernard Convent
(PGS) -
Je voudrais
demander à la table ronde, et plus particulièrement à
Monsieur Paillotin, comment on envisage la collaboration en matière
de recherche génomique végétale au niveau de l'Europe.
M. Paillotin
-
Au niveau de l'Europe, sur des parties
amont de la génomique, il y a des collaborations entre laboratoires
universitaires (j'entends recherche fondamentale) et l'INRA. Il n'y a donc
aucun problème.
Pour simplifier, certaines cartes génétiques ne peuvent
être obtenues que par la collaboration internationale. On citait tout
à l'heure le programme riz ; ce programme est très en amont
et est international.
Ensuite, c'est la partie où l'on commence à coupler une
recherche. Il ne faut pas "tourner autour du pot" : dans l'intitulé
de cette table ronde, on voit bien que c'est la partie qui reste recherche
cognitive amont, mais très liée à une valorisation
industrielle.
Il n'y a donc pas de raison de ne pas forger l'Europe mais, pour l'instant, on
n'y est pas tout à fait, et c'est le moins que l'on puisse dire. En tant
qu'INRA, nous restons donc pour l'instant assez nationaux ; pour
être clair, nous restons auprès de firmes qui paient des
impôts en France.
Il nous arrive donc de collaborer, même étroitement, avec des
firmes "étrangères", mais ayant une filiale en France, parce que
nous pensons que, pour l'instant, c'est malgré tout le contribuable
français qui nous alimente, et c'est parfois le contribuable
européen qui en a les bénéfices sans trop alimenter.
Nous essayerons de traiter ce problème dans les cinq ans à venir.
Au niveau du projet français, j'ai oublié de citer une grande
firme semencière qui est associée, dont le Président est
présent : Limagrain ; je vous prie de m'en excuser. Nous
partons avec des partenaires qui sont mondiaux, aussi bien Limagrain que
Rhône-Poulenc, mais nous ne sommes pas encore partis dans une optique
européenne.
Mais pourquoi pas ? Je sais que vous-mêmes, avez en Allemagne les
mêmes types de dispositifs. Comme l'a dit Monsieur Cohen, nous
sommes 60 millions d'habitants en France mais, en Europe, nous avons
davantage d'habitants que les Etats-Unis. Dans les parties fortement
concurrentielles au niveau mondial, nous aurons donc intérêt
à nous fédérer un peu plus sur les parties cognitives qui
sont très liées aux applications industrielles.
Je n'ai pas répondu à l'évocation des puces à
A.D.N. ; nous n'avons pas maîtrisé cette technique ;
elle est faite ailleurs et elle n'est effectivement pas aussi disponible que
cela. C'est donc un cas typique où il peut y avoir un verrou technique
qui vienne perturber notre "compétitivité intellectuelle", si
vous me passez cette expression.
Mais la France a réagi. Certaines organismes s'en préoccupent,
notamment le CEA et le CNRS, qui sont davantage dans leur métier pour
rattraper ce retard. On me dit que tout n'est pas encore bloqué par les
brevets, mais je ne suis pas spécialiste en la matière. C'est
tout de même un bon exemple de technique qui peut être
bloquée et il y a une possibilité pour la France, et pourquoi pas
l'Europe, de figurer dans la compétition.
M. Le Président
-
Sur le
développement des puces à ADN, Monsieur Cohen veut
peut-être dire un mot. Je rappelle en quelques mots que le
développement industriel des puces repose sur plusieurs
technologies : la combinaison de techniques de micro-électronique,
de chimie, de biologie moléculaire, d'informatique.
C'est un point important, parce que cela permettra de faire des percées
rapides dans le domaine du diagnostic et de la connaissance des gènes.
Lorsque l'on visite des laboratoires américains dans plusieurs villes,
on voit qu'il y a un développement de ces secteurs.
M. Cohen
-
Les puces à A.D.N. ont
été inventées en Europe, et non pas aux Etats-Unis. Elles
ont été inventées à Oxford par un collègue,
Ed Savlern, qui a déposé un brevet qui fait toujours souffrir les
industriels américains ayant commencé à développer.
Mais je pense qu'il faut être très à l'aise et tranquille
pour ces problèmes de puces, parce que l'on en développe en
France, en particulier au CEA, et en Europe. Je crois qu'il y a eu une
publication la semaine dernière dans "Science", où un groupe
allemand a créé de nouvelles puces encore plus performantes que
celles que l'on voit aux Etats-Unis.
Mais en tout état de cause, ces technologies sont faites, non pas pour
être gardées par les industriels, mais pour être vendues par
eux. Autrement dit, tous les chercheurs, publics ou privés, auront
accès à ces technologies parce qu'ils achèteront ces
puces.
Il ne faut donc pas trop s'inquiéter. La puce est un outil de
recherche, et il est tellement universel qu'il ne pourra pas être
monopolisé par un ou deux industriels. Ce n'est pas possible parce qu'il
y a la concurrence.
Il existait une compagnie de puces à A.D.N. il y a quatre ou cinq
ans ; il en existe maintenant une quinzaine. Ce qu'elles veulent faire,
c'est tout simplement vendre de la puce.
M. Le Président
-
Je souhaite poser une
question à tous ceux qui sont autour de cette table ronde :
finalement, les Suisses organisent une "votation", c'est-à-dire un
référendum, le 7 juin ; j'ai d'ailleurs eu un texte
très clair de l'Académie des sciences et de l'Académie de
médecine à ce sujet.
Ce référendum précise en modifiant la Constitution
suisse :
"
Sont interdits la production, l'acquisition et la remise d'animaux
génétiquement modifiés, la dissémination
d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement,
l'octroi de brevets pour des animaux et des plantes génétiquement
modifiés ou des parties de ces organismes, pour les
procédés utilisés à cet effet et pour les produits
en résultant.
D'autre part, la législation établit des dispositions concernant
la production, l'acquisition et la remise de plantes
génétiquement modifiées, la production industrielle de
substances résultant de l'utilisation d'organismes
génétiquement modifiés, et enfin la recherche utilisant
des organismes génétiquement modifiés susceptibles de
créer des risques pour la santé humaine ou pour
l'environnement.
"
Tel est le texte de la "votation". J'étais en Suisse dans le cadre de
mon étude. Je suis allé en Autriche, en Suisse, aux Etats-Unis,
et je vais continuer dans le temps qu'il me reste. Que pensez-vous de cela en
tant que chercheurs ?
M. Cohen
-
Ils ont parlé du droit de vote des
femmes, qui était encore pratiquement interdit il y a quelques mois et
qui vient d'être pratiquement rétabli.
C'est tout à fait exagéré. Je pense que la grande erreur
d'avoir une attitude anti-science et anti-technologies, ce que l'on voit
apparaître dans une couche d'intellectuels en Europe, en France et en
Allemagne en particulier, c'est que sur le plan philosophique :
- quoi que l'on veuille, la terre disparaîtra dans quelques
milliards d'années, donc que notre population disparaîtra ;
- quoi que l'on veuille, on ne sait pas quels risques nous guettent ;
n'importe quelle maladie peut arriver à n'importe quel moment ; le
SIDA en est un exemple. La grippe de HongKong a tué
quatre personnes sur dix-neuf, soit 20 %. Si des personnes de
HongKong n'avaient pas réagi de façon très rapide et
très efficace pour tuer tous les poulets, l'épidémie se
serait peut-être étendue, et 20 % de l'humanité aurait
été en danger.
A de telles histoires, à des météorites qui tombent, ou
à la disparition de la terre dans quelques milliards d'années, la
seule réponse est "encore plus de connaissances et encore plus de
technologies". Je ne vois pas d'autre façon de répondre, sauf si
l'on admet que tout peut disparaître et que cela ne nous pose aucun
problème.
Une attitude de ce type est donc irresponsable face à nos enfants.
M. Danchin
-
Autant je suis d'accord avec
Daniel Cohen sur le fait que la "votation" suisse est fondée sur un
certain nombre d'absurdités, autant je pense que l'on peut difficilement
faire une réponse du genre de celle qu'il a faite.
Le fait de dire que les choses peuvent être catastrophiques, donc que
l'on peut faire n'importe quoi, me paraît franchement discutable. Je
pense que c'est l'une des raisons qui sont précisément à
la base du texte suisse. Si les savants répondent ainsi, je comprends
très bien le public, qui a l'impression que l'on se moque de lui, et qui
a raison.
M. Cohen
-
Je n'ai pas dit qu'il fallait faire
n'importe quoi. J'ai simplement dit qu'il ne fallait pas ne rien faire au nom
de la peur de faire n'importe quoi. Or, c'est ce qu'il se passe très
souvent maintenant. Au nom des idéologies politiques ou autres, on ne
doit plus rien faire.
C'est l'excès inverse qui ne me paraît pas acceptable.
M. Joël Chenais
(Responsable de la Commission
environnement des Verts, généticien de formation) -
Je
pense que le débat d'aujourd'hui n'est effectivement pas simplement
"pour ou contre les OGM" mais qu'il est "que fait-on des connaissances ?",
dont le développement était bien évidemment une
nécessité absolue. Si l'on prend conscience des problèmes
d'effets de serre, c'est bien parce que certains travaillent sur le climat et
sur d'autres problèmes.
La question est "Comment décide-t-on de l'usage de ces
connaissances ? Quelle place au débat public ? Quelle place
à la prise de décisions collectives ? Quelle place pour les
hommes politiques dans ces processus de décision de développement
des technologies ?"
Ne croyez-vous pas que le financement des chercheurs publics (mais aussi des
recherches qui sont à la frontière recherche fondamentale
recherche appliquée) par des intérêts privés,
conduit justement à court-circuiter ces processus de décision
collectifs, qui devraient avoir lieu dans le cadre de l'utilisation des
connaissances ?
Je souhaite également poser une question directement à Monsieur
Le Déaut : ne croyez-vous pas, d'une certaine façon,
que la place des politiques est court-circuitée, lorsque justement des
intérêts privés prennent des brevets et décident de
développer des technologies à partir de connaissances qui doivent
être développées ?
M. Paillotin
-
J'avais commencé ma
première intervention en disant qu'il ne fallait pas "tourner autour du
pot", que les individus se demandaient pourquoi on faisait tout cela et
à quoi cela servirait. C'est l'une des questions très importantes.
Je suis d'accord avec les propos de l'intervenant, sauf sur un point. Il y a
une notion importante : ne pas limiter la capacité d'acquisition de
connaissances, à condition, en retour, d'expliquer ensuite ce que l'on
peut en faire.
J'ai écrit quelque chose à ce sujet, en indiquant, au moins pour
l'agroalimentaire -c'est moins évident pour la santé-, que l'on
devait envisager une phase de co-responsabilité entre le citoyen et le
chercheur, sur les applications de la biologie à l'agroalimentaire,
parce que le consommateur a le droit de nous dire ce qu'il veut manger. Le
citoyen a le droit de dire comment il veut voir l'environnement.
Ensuite, comment faire ? C'est une excellente question. Le point sur
lequel je ne suis pas d'accord est le suivant : je ne pense pas que ce
soit le problème du lien avec l'industrie qui pose cette question.
Malheureusement, beaucoup de chercheurs, avec beaucoup de naïveté,
pensent savoir à la place des individus. Ils pensent parfois même
mieux savoir que les industriels qui, connaissant le marché en
agroalimentaire, savent que certaines choses ne passeront pas. Il y a une
sanction assez claire.
Il faut donc trouver des méthodes de discussion pour que les chercheurs
s'ouvrent et parlent avec des panels, comme vous le faites maintenant.
A l'INRA, nous essayerons -c'est un peu laborieux- de créer de tels
panels en interne. Je peux dire ici que je vais en créer un qui n'est
pas si simple à monter, en tout cas sur les questions de vigilance par
rapport à l'éthique en matière de biotechnologies ou de
clonages.
En général, dès que l'on parle de cela au chercheur, il
n'y a non seulement pas de résistance, mais il y a plutôt un
intérêt. Cette situation contraire à la
co-responsabilité, qui s'appelle l'abstention, est plutôt due
à un manque d'éveil d'esprit sur les questions.
Je dissocierais cela complètement des contrats avec l'industrie, qui
sont un autre problème. Il s'agit de savoir comment mettre un
contrôle de qualité au sein d'un organisme, entre ceux qui
travaillent avec des contrats industriels et ceux qui viennent en aide à
la décision publique, par exemple sur la sécurité des
organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
Il est très clair que, dans ce cas, il faut séparer par des
contrôles de qualité ceux qui travaillent avec l'industriel pour
faire éventuellement des organismes génétiquement
modifiés et ceux qui vont modifier sur le terrain.
C'est faisable.
M. Le Président
-
Avant que je donne la
parole à Philippe Roqueplo, écoutons la réponse de
l'industriel qui est interpellé, et je terminerai en conclusion par la
réponse du politique.
M. Santini
-
Vous posez les bonnes questions, mais je
voudrais tout de même dire qu'il faut bien voir que l'industrie
n'exploite pas ses découvertes et ses produits, et ne répond pas
aux demandes des marchés de manière totalement libre.
Je souhaite simplement citer trois critères :
1° un critère stratégique où, compte tenu du
niveau très important des sommes investies dans le développement
des produits, on ne peut pas faire n'importe quoi, premièrement parce
que l'on veut être là demain, et aujourd'hui il y a une
nécessité de participer à la compétition dans les
années futures.
Cela signifie qu'il faut faire les bons investissements et les choix. On ne
fait donc pas n'importe quoi.
En second lieu, il y a nécessité d'avoir une vision globale -et
par "globale", j'entends planétaire- sur les technologies qui sont
développées et proposées sur les marchés, parce
qu'actuellement, la compétition se déroule au plan international.
Il faut donc également participer sur ce plan.
2° La réglementation. Sans entrer dans le détail
technique des différentes réglementations en place, les
industries qui ont investi dans le domaine des biotechnologies et du
génie génétique sont pour une bonne partie des
industries issues de la protection des cultures.
Or, l'industrie de la protection des cultures est, avec le nucléaire,
l'une des industries les plus réglementées. Ces
réglementations sont mises en place par des experts indépendants,
bien entendu assises par des décisions politiques, et alimentées,
en matière de choix techniques et scientifiques, par tous les organismes
de recherche publics qui apportent leurs connaissances dans ces domaines.
De nombreuses études sont donc demandées et faites pour
pouvoir répondre à ces questions. Je pense donc que le contexte
réglementaire donne, non pas une garantie, mais une base sérieuse
d'évaluation des risques et des bénéfices lorsqu'une
nouvelle technologie est proposée.
3° Un critère que j'essaie de regrouper sur une
considération éthique (même si c'est un peu
prétentieux mais je pense que c'est pour faire comprendre), en disant
que l'industrie a une responsabilité vis-à-vis de la
société et de ses actionnaires (pour l'actionnaire, on y
répond par le premier critère), mais aussi vis-à-vis des
marchés, c'est-à-dire que les marchés ne vont pas accepter
n'importe quoi. Je crois que le débat qui se déroule ici est une
preuve de la réaction des marchés.
Il ne faut donc pas stigmatiser l'industrie comme voulant faire entrer de toute
force des techniques dont on n'a pas évalué les risques ni les
bénéfices, et qui pourraient être mal acceptées par
les sociétés ou le public.
M. Philippe Roqueplo
-
Je souhaite ajouter un mot
aux propos de Messieurs Cohen et Danchin, et attirer l'attention sur le
fait que nous sommes précisément à un moment où la
signification de la science dans la société est en train de
changer profondément.
Jusqu'à présent, la science avait essentiellement partie
liée avec l'innovation, avec le marché, c'est-à-dire avec
ce qu'il allait se passer au début du produit qu'elle a lancé.
Or, c'est de plus en plus la fin des produits qui a un poids dans la
société, et nos oeuvres nous quittent, c'est-à-dire que,
tant que nous les lançons, que nous les maintenons en main, elles sont
comme des projectiles qui sortent du canon, mais lorsqu'elles sont sorties du
canon, il y a des vents et autre chose.
Monsieur Danchin disait lui-même que la biologie réagit de
façon imprévue à des situations imprévisibles.
C'est ce qui fait le problème de la société. Comme pour
les gaz à effet de serre, il y aura des situations imprévues, et
nous n'avons aucune idée de la fin des produits et de leurs
retombées sur la société.
Placer le débat au moment de l'innovation et du marché est
évidemment quasi-scandaleux pour la société, parce que
cela nous retombe sur la tête. Ce qu'elle demande aux scientifiques,
c'est si, lorsque nos produits sont abandonnés, ont quitté nos
mains et sont gérés par les lois de la nature, ils sont capables
de nous dire quelle sera leur trajectoire.
Sur les organismes génétiquement modifiés, que cela
augmente le rendement en ce moment et que, par conséquent, cela
légitime les entreprises qui veulent conquérir les
marchés, nous en sommes, hélas, bien trop d'accord.
Mais qu'en sera-t-il après les disséminations, dans cent
ans ? Si, dans cent ans, cela pulvérise complètement le
système agricole, la société dit que ce qui compte, ce
n'est peut-être pas ce que l'on sait mais c'est ce que l'on ignore. Par
conséquent, le politique est obligé de porter une jugement tenant
compte de la marge d'ignorance et de ce que l'on appelle le principe de
précaution.
Et l'on ne peut pas dire que le principe de précaution, dans ce domaine,
est de la dogmatique, de la fumisterie ou de la mythologie.
Il est évident que les gens ont actuellement peur de la science, non pas
par elle-même, mais parce qu'elle ne maîtrise les
conséquences de ses actes que sur une durée très courte et
dans un angle très étroit.
J'ai par exemple travaillé sur le problème des micro-ondes. Il
est évident que les micro-ondes faites pour diriger les avions sont
fatalement perturbées par les micro-ondes faites pour chauffer le
plâtre. Si l'on ne fait pas attention à leurs
interférences, les tours de contrôle font d'énormes
erreurs, ce qui s'est produit.
On ne se rend pas bien compte de ce que peuvent donner les interférences
de nos initiatives technologiques, la combinatoire de tout cela. Je pense que
telle est la forme d'inquiétude ambiante dans la société.
M. Cohen
-
Je suis tout à fait d'accord avec vos
propos. Je comprends tout à fait qu'il y ait une peur. Moi-même
j'ai peur quelque part, mais je me pose une question : celui qui a
découvert le fer, il y a très longtemps, devait-il avoir peur ou
pas ?
Toute acquisition de connaissances nous expose à des risques depuis le
début de l'humanité. Au moment de la découverte du fer,
a-t-on pu mesurer réellement l'impact que cela aurait sur les milliers
d'années ? C'est une question à laquelle on ne peut pas
répondre.
Antoire Danchin a bien illustré que tout est tellement complexe
qu'en réalité, rien n'est prévisible.
M. Le Président
-
J'interviens
brièvement sur ce sujet, parce que l'on pose le problème de
l'échelle des risques dans nos sociétés, et
l'échelle des risques est liée aux débats, et aux
débats publics.
Je pense que les politiques sont à un certain moment coupables de ne pas
avoir organisé le débat, parce que la science savait, et
qu'à partir de la science qui tenait la vérité, des
développements s'imposaient.
Un sociologue américain, Monsieur Hoban, à la North Carolina
State University, a posé plusieurs questions intéressantes. Je
vous en indique une. Il a posé aux Etats-Unis, au Canada, dans tous les
pays européens la question suivante : la tomate ordinaire ne
contient pas de gènes alors que les tomates génétiquement
modifiées en contiennent. C'est une question posée, sur laquelle
les gens doivent se déterminer.
Les meilleurs sont les Canadiens, parce que 52 % ont dit que
c'était faux (réponse correcte). Viennent ensuite les Pays-Bas et
les Etats-Unis, et les Français sont en queue de peloton, à
32 %. Nous avons plus mauvais que nous (les Espagnols à 28 %
et les Autrichiens à peu près comme nous).
Il y a de nombreuses autres questions de ce genre en sociologie et en
échelle du risque, et l'on parlera de l'échelle du risque dans
l'une des tables rondes. L'échelle du risque est une notion très
importante, parce qu'il y a des risques que l'on accepte et des risques que
l'on refuse.
Aujourd'hui, on a parlé à la fois de recherche, de relations
public/privé et de la perception du développement des sciences et
des techniques, et de telles questions vous montrent bien que la perception du
risque est mal comprise.
Comment peut-on décider, lorsque, finalement, il y a dans nos
sociétés des individus qui ne perçoivent pas les risques
de la même manière ? Aux Etats-Unis, ce sont les
contaminations alimentaires qui sont perçues comme le plus grand
risque ; les biotechnologies ou le génie génétique
arrivent très loin dans la perception du risque. En Autriche, c'est
l'inverse.
Cela signifie donc à mon avis que le débat n'a pas
été mené de la même manière. Si les
politiques ne mènent pas le débat, il ne faut pas ensuite
s'étonner que certaines décisions soient prises ou que des
référendums soient faits comme en Suisse.
M. Paillotin
-
Je réagis aux propos de notre ami
Daniel Cohen, peut-être parce que, dans sa discipline, les choses ne
se présentent pas de la même façon, ce dont je suis
convaincu.
Un débat n'est pas possible : laisser entendre -ce que n'a pas fait
Philippe Roqueplo- que l'on ne sait pas aborder la précaution que
l'on souhaite parce que personne ne sait l'aborder, ou dire à l'inverse
qu'il n'y a pas de précautions à prendre parce que l'on a
peur de tout.
Ce n'est pas possible en agroalimentaire parce que, même au-delà
du risque, il y a le plaisir, et le consommateur n'a pas envie de prendre le
moindre risque pour ses aliments, ce qui peut se comprendre. Il peut avoir une
idée très différente si c'est pour le guérir d'un
cancer.
Pour ses aliment, il est libre. C'est le dernier élément de
liberté dont nous disposons ; il faut le conserver, et le
consommateur dit ce qu'il aime ou ce qu'il n'aime pas. Ensuite, les
scientifiques doivent être capables -et nous sommes en partie capables-,
et effectivement dans un débat avec les utilisateurs, de rendre
rationnel le débat sur le risque.
Ce dont vous parlez sur la durée est une excellente question, que posent
d'ailleurs les physiciens ou biologistes, qui ne vivent pas dans la
durée. Lorsque l'on se pose la question des transferts de gènes,
par exemple de résistance aux herbicides que l'on étudie à
l'INRA, j'ai tout de suite posé la question, puisque l'on m'a dit
ensuite que c'étaient des hybrides qui étaient un peu des
avortons et qui disparaissaient : disparaissent-ils parce que ce sont des
avortons qui meurent, ou disparaissent-ils par dilution avec d'autres
plantes ?
Voilà des questions qu'il faut se poser, et auxquelles la biologie peut
répondre dès l'instant où l'on y travaille. Je tiens
à dire que, si le principe de précaution est bon, la
précaution absolue n'est plus le principe de précaution, la
précaution nulle n'est pas le principe de précaution, et qu'il
est possible et nécessaire d'aborder scientifiquement ces questions et
de faire des recherches scientifiques de haut niveau sur ces questions, ce que
nous essayons de faire.
M. Cohen
-
Je suis tout à fait d'accord avec
Monsieur Paillotin. Personnellement, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait
pas prendre de précautions. Il faut prendre toutes les
précautions possibles. La seule chose que je dis, c'est que
l'évaluation du risque nul n'existe pas. Il n'y a pas de risque nul et,
pour lutter contre le moindre risque inconnu, la meilleure réponse est
la connaissance.
Ne bloquons pas la connaissance, parce que, justement, le risque nul n'existe
pas.
M. Richard Lapujade
(Association action santé
et environnement) -
Je pense que les plantes transgéniques sont
essayées en champs, sous la supervision de la firme elle-même qui
a mis ces plantes au point. Cela pose donc un problème, et je pense que
c'est partout pareil au niveau de l'agroalimentaire, c'est-à-dire que
les évaluations des risques de diffusion dans l'environnement et dans la
santé sont toujours, avec peu de contrôles au niveau national
étatique, le fait des industriels privés.
Je pense que cela pose un problème, et on le voit en particulier dans
l'exemple cité par M. Jean-Marie Pelt ce matin, lorsque, sur
la base d'évaluations de maïs Novartis qui avait été
testé par un laboratoire dans lequel étaient inscrits, je crois,
des chercheurs suisses et français, il s'est avéré que
certains insectes étaient favorables au maïs, mais que le
laboratoire Novartis s'était gardé la possibilité de
contrôler la démarche de recherche, donc qu'il avait retiré
ces plantes de leur évaluation lorsqu'il s'était
avéré qu'elles pouvaient avoir des éléments
contraires à ses intérêts.
Sur le problème des plantes transgéniques, personne au niveau des
consommateurs n'a donc une attente quelconque par rapport à ces plantes.
Elles sont mises sur le marché sur l'initiative d'industriels qui ont
besoin d'un retour sur investissements. Il y a donc une sorte de pression
énorme au niveau des instances politiques et des décideurs, pour
que ces plantes soient mises sur le marché, en tout cas dans les pays
européens. Dans les pays américains, il n'y a apparemment pas
d'opposition particulière.
En Europe, toujours est-il que les consommateurs n'attendent absolument rien,
n'ont aucune demande par rapport à ces plantes. Lorsque j'entends qu'il
y aura des accidents, des problèmes, etc., mais que, finalement, dans
toute technologie ou dans toute nouvelle découverte, il y a une
potentialité de risques non-évaluée, surtout sur les
plantes transgéniques.
Monsieur Santini a parlé d'organismes de tests
particulièrement fiables pour vérifier cela ; il semblerait
qu'actuellement, la commission de génie biomoléculaire soit sur
le point d'être réformée parce qu'il y a des lacunes au
niveau de ses évaluations.
Je pense donc que le problème n'est pas simplement de dire que, dans
toute action humaine il y a un risque. Au niveau de la consommation, nous ne
voulons absolument aucun risque sur ce que nous avons dans notre assiette,
surtout si c'est pour l'intérêt des industriels des
biotechnologies.
M. Cohen
-
Si vous ne voulez pas de risques, ne mangez
rien du tout. Vous pouvez attraper une diarrhée n'importe comment et en
mourir, sans organismes génétiquement modifiés. Dans la
vie, le risque nul n'existe pas.
M. Le Président
-
Il va falloir conclure
sur ce point, en disant que le consommateur a demandé les techniques de
sélection, qu'il n'a pas demandé les hybrides. Il demande d'avoir
une alimentation qui soit saine et d'avoir un gain au niveau de ce qui lui est
proposé, soit de qualité, soit de prix. C'était la
question dans l'autre table ronde.
Les questions ne sont donc pas aussi simples. En effet, dans un certain nombre
de plantes transgéniques -ce qui n'a pas été fait pour
l'instant mais ce qui est fait du domaine de la recherchede la part d'un
certain nombre de firmes ou de laboratoires-, est-ce que des qualités
nutritionnelles nouvelles seront données par certains types de
plantes ?
Par exemple, est-ce que des acides gras poly-insaturés, que l'on trouve
dans des huiles et qui sont mauvais au niveau de la santé, seront
éliminés ? Dans ces cas, on peut dire qu'il peut y avoir un
gain en matière de santé pour le consommateur.
En revanche, si un gène de marqueur de résistance à des
antibiotiques est transféré, il y a un risque potentiel, et il ne
faut pas forcément prendre ce risque. Nous en discuterons demain. Le
consommateur demande d'avoir un aliment qui soit sain et qui soit le moins cher
possible. Il demande d'avoir un bénéfice avec une nouvelle
technique.
Or, on ne lui a jamais demandé son avis dans le développement de
l'agriculture. On ne lui a malheureusement jamais demandé son avis
lorsque l'on mettait les pesticides. Il faut lui demander son avis.
Pour terminer, je voudrais dire que des propos très intéressants
ont été tenus sur le fait que les organismes vivants sont
capables de produire de l'imprévu, même si certains le savaient,
que la meilleure réponse est la connaissance, et que, finalement, il
faut développer les liens avec les pays du sud.
On a même dit qu'il fallait supprimer les énarques, mais je ne
sais pas si c'est dans mon rapport que je pourrai résoudre cette
difficile question, que Monsieur Cohen a abordée tout à
l'heure !
En tout cas, je vous remercie tous d'avoir participé à cette
table ronde intéressante. Ce n'est que le deuxième sujet de tous
ceux que nous allons aborder, et cet après-midi, nous avons, en plus
d'une nouvelle table ronde, l'audition de trois Ministres,
Louis Le Pensec, M. Kouchner et Marylise Lebranchu.