L'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation
LE DRÉAUT (Jean-Yves), Député, Président de l'Office ; REVOL (Henri), Vice-Président
RAPPORT 545 (97-98), Tome 2, Partie 1 - OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
Table des matières
-
AUDITIONS PUBLIQUES DU MERCREDI 27 MAI 1998
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.- Table ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentationTable ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation
- Table ronde II - Enjeux pour la recherche Génomique, relations public/privé, poids de la protection intellectuelle, collaboration avec les pays en voie de développement
- Table ronde III - Enjeux réglementaires -
N° 1054 |
N° 545 |
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE |
SÉNAT PREMIÈRE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1997-1998 |
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 1998 |
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 juillet 1998. |
.
________________________
OFFICE
PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
________________________
RAPPORT
sur
DE LA CONNAISSANCE DES GÈNES A LEUR UTILISATION
Première partie :
L'utilisation des organismes génétiquement modifiés
dans l'agriculture et dans l'alimentation
PAR
M. JEAN-YVES LE DÉAUT,
Député
Tome I : Conclusions du rapporteur
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Henri REVOL, Vice-Président de l'Office. |
Agro-alimentaire.
AUDITIONS PUBLIQUES DU MERCREDI 27 MAI
1998
Présidence de M. Jean-Yves
Le Déaut.
M. Le Président
- Je
souhaite
vous rappeler brièvement le contexte de ces auditions publiques ouvertes
à la presse et la façon dont elles s'insèrent dans une
étude générale sur les organismes
génétiquement modifiés, menée par l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Dans l'ancienne législature, en 1997, l'Office avait été
saisi d'une étude sur "De la connaissance des gènes à leur
utilisation". Il y a eu ensuite la dissolution. Cette saisine a de nouveau
été examinée par le Bureau de l'Assemblée
nationale. Nous avons débuté cette étude vers le mois de
novembre dernier, en nous spécialisant sur les aliments issus des
plantes transgéniques dans l'agriculture et l'alimentation.
Cette étude est venue au moment où plusieurs décisions ont
été prises par le gouvernement français :
- En février 1997, le gouvernement français autorise
l'importation de maïs et de soja issus de plantes
transgéniques ;
- Au même moment, alors qu'il y avait une demande, on n'autorise pas
la culture du maïs d'été ;
- Le 27 novembre 1997, le gouvernement autorise la culture de ce
maïs d'été, avec des conditions ; le Ministre de
l'agriculture étant présent ce soir, il pourra répondre
aux questions à ce sujet.
Pendant cette période, nous avons donc commencé l'étude,
en nous disant qu'elle pouvait être au niveau du Parlement, concomitante
avec des décisions gouvernementales.
Ce sujet est complexe. Avant l'intervention de Madame Lebranchu, j'aurai
l'occasion de lire un petit courrier que j'ai eu sur le forum sur Internet, qui
résume à mon avis très bien la situation du citoyen. On
lui demande, en effet, de répondre de façon simple à des
questions qui sont scientifiquement et technologiquement complexes, et qui
résument assez bien la situation actuelle.
Pendant cette période, nous avons donc eu une étude qui m'a
conduit à auditionner pratiquement tous les acteurs de cette
filière. En même temps, dès novembre 1997, nous avons
souhaité organiser une Conférence de Citoyens -ce sera une
première en France- pour leur demander leur avis, à
côté de l'avis des experts entendus en auditions privées et
publiques.
Ces citoyens ne connaissent pas forcément les techniques de
génie génétique, puisqu'une enquête récemment
publiée dans " Les Echos " indique que seuls 54 %
des Français ont entendu parler des plantes transgéniques
actuellement. En même temps, nous aurons donc l'avis d'un panel de
citoyens.
Certains ont dit que ce n'était pas représentatif de la
population française. C'est évident, puisque cela ne concerne que
quatorze personnes. Mais c'est néanmoins l'avis d'un groupe qui a
été formé par différents intervenants, dont les
noms ont été publiés. C'est l'avis d'un groupe qui a
finalement pris connaissance d'un sujet et dont les membres ont discuté
ensemble, de manière dynamique.
Ce groupe a choisi d'auditionner plusieurs personnes, les 20 et 21 juin,
pendant un week-end, de manière publique.
C'était difficile ; c'était une première, mais je
pense qu'elle a le mérite d'exister.
Pendant cette étude, je me suis entouré d'un comité de
pilotage pour l'étude sur les plantes transgéniques de quatre
personnes, et, pour la conférence de citoyens, s'y sont ajoutées
trois autres personnes venant d'horizons différents.
Le comité de pilotage est composé de
Mme Francine Casse, qui est à l'INRA en biologie
moléculaire végétale, et M. Antoine Messean, qui est
à l'INRA et au CETIOM.
Il y a également Mme Marie-Angèle Hermitte, professeur
de droit à PARIS I, et M. Gérard Pascal,
spécialiste de sécurité alimentaire.
Pour la conférence de citoyens, les trois personnes
supplémentaires sont M. Philippe Roqueplo, sociologue,
présent dans cette salle, ainsi que M. Daniel Boy de Paris I
et Mme Dominique Donet-Kamel de l'INSERM, qui avaient déjà
commencé à travailler sur le processus de conférence de
citoyens pour l'ancien Secrétaire d'état aux universités,
M. François d'Aubert.
Ces trois sociologues, ce juriste et ces trois scientifiques ont donc
formé le Comité de pilotage et ont pris collectivement certaines
décisions concernant la Conférence de citoyens.
L'intérêt de tout ce processus, est de débattre, au travers
des auditions publiques d'aujourd'hui, ouvertes à la presse, avec des
experts qui n'ont pas le même avis sur ce sujet, sur six
thèmes :
1. Les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et
l'alimentation
2. Les enjeux pour la recherche
3. Les enjeux réglementaires, comment organiser l'expertise,
comment l'articuler avec la décision publique
4. L'information du consommateur, problème d'actualité, y
compris cette semaine, avec les problèmes de l'étiquetage, de la
traçabilité et de la sécurité alimentaire
5. Les avantages et les risques des organismes génétiquement
modifiés en matière d'environnement
6. Les avantages et les risques en termes de santé.
Au travers de ces tables rondes et de la Conférence des citoyens,
rassemblant d'un côté des experts, de l'autre des profanes, il est
intéressant de confronter des avis, même si ceux-ci ne
représentent qu'une partie de la population, mais également
de lancer un débat.
Ce débat n'a pas eu lieu alors que certaines décisions ont
déjà été prises. Cela a été
reproché. Lorsqu'une moitié des Français ne sait pas ce
qu'est une plante transformée par ingéniérie
génétique, cela montre bien le décalage qui existe entre
la réalité vécue par le consommateur et le progrès
des sciences et des technologies.
Un travail a été mené par le Sénateur Bizet,
plus spécialement sur la partie économique,
c'est-à-dire les enjeux économiques pour l'agriculture des
plantes transgéniques.
Au travers de tout cela, le Parlement a souhaité que l'on puisse lancer
le débat, que des avis puissent être confrontés, que des
agriculteurs, des industriels, des chercheurs, des consommateurs, des
associations de protection de l'environnement puissent donner leurs avis et les
confronter.
Ce n'est pas un débat à la Guillaume Durand. Cela ne doit
pas donner lieu à des empoignades mais, au contraire, cela doit
être pour nous-mêmes, pour la presse et pour ceux qui relayeront le
débat, l'occasion de réfléchir à des solutions
éventuelles à apporter à des questions éminemment
complexes.
Pour terminer cette présentation, on peut dire que nous avons eu de
manière classique des auditions privées, cadre classique du
travail parlementaire, des auditions publiques aujourd'hui, c'est-à-dire
des expertises collectives et contradictoires, une conférence de
citoyens, c'est-à-dire les avis du citoyen ou d'un panel de citoyens sur
un sujet complexe. De plus, nous avons lancé un forum sur Internet, qui
sera interactif.
Nous étions dans une situation relativement compliquée au niveau
de l'Assemblée nationale, avec un traitement qui était
relativement lent, et une apparition assez lente du forum sur le site
Assemblée nationale. Je donne l'adresse du site :
http://www.assemblee-nat.fr
Un débat sera interactif à partir du 1er juin, et il
appellera des réponses. Il est déjà ouvert, mais il sera
réellement interactif le 1er juin, avec des moteurs de recherche
plus performants qui permettront d'arriver assez rapidement sur ce forum.
J'ai donné l'adresse du site pour la presse, parce que plus on relayera
ce site, plus il y aura d'avis. Ce seront d'autres types d'avis, qui viendront
à côté de ceux des associations et des experts, et de ceux
d'un panel de citoyens. Les internautes nous donneront également leur
avis sur ce sujet, et je pense que c'est opportun.
Nous allons maintenant aborder la Table ronde I.
Table ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentationTable ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation
M.
le Président
-
Pour cette première table ronde, j'ai
à mes côtés :
- Monsieur Emmanuel Jolivet, économiste à l'INRA
- Monsieur Jean-Marie Pelt, botaniste bien connu, qui est
à l'université de Metz
- Monsieur Pierre Pagesse, Président de Limagrain
- Antoine Messean et Francine Casse, que j'ai déjà
présentés
- Monsieur Marcel Cazalé, Président de l'Association
générale des planteurs de maïs
- Monsieur René Riesel, Secrétaire national de la
Confédération paysanne, chargé des OGM.
Dans les auditions privées, nous avons bien sûr vu pratiquement
toutes les associations, sociétés ou entreprises qui sont
à cette table.
De cette première table ronde "Enjeux économiques et
internationaux pour l'agriculture et l'alimentation", je dirai, à titre
de brève présentation, qu'avec les organismes
génétiquement modifiés, on assiste à
l'entrée en force des sciences de la vie dans l'agriculture et dans
l'alimentation.
Bien entendu, cette technique n'était pas absente de ces domaines avec
le développement plurimillénaire des techniques de fermentation
en alimentation et les méthodes de sélection et de croisement des
plantes.
Mais les techniques de transgénèse apparaissent réellement
comme devant révolutionner ces deux secteurs, notamment à cause
de leur très grande efficacité, et à cause de leur
rapidité à obtenir les résultats recherchés.
Les enjeux sont considérables, car celui qui détiendra le pouvoir
de produire des aliments aura un pouvoir politique considérable. Cette
situation doit s'apprécier compte tenu des projections
démographiques, qui font entrevoir une forte croissance de la population
mondiale au cours des vingt prochaines années, et aussi des
problèmes d'environnement entraînés par l'intensification
de l'agriculture.
Les rivalités entre les producteurs de matières premières
alimentaires existent déjà, mais elles vont sans doute s'aviver
dans le futur. Ma récente mission aux Etats-Unis me l'a confirmé,
des contentieux existent déjà sur le point de savoir si l'Europe
autorisera ou non la culture d'un certain nombre de plantes
transgéniques.
Il est bien entendu que cette question se pose dans le cadre des règles
de l'Organisation mondiale du commerce. Le problème sera donc de savoir
notamment si l'Europe peut se désintéresser de ces techniques et
laisser la part du lion du marché agroalimentaire mondial aux
Etats-Unis. Nous en parlerons tout à l'heure avec des chiffres.
Nous avons donc un certain nombre d'enjeux en termes d'environnement, des
enjeux en termes économiques, et je pense qu'autour de cette
première table ronde, nous devons essayer de les cerner.
Je donne le chiffre que j'ai vu cette année et qui m'a
impressionné : 16 millions d'hectares cultivés en
plantes transgéniques en 1998 aux Etats-Unis ; 26 millions
dans le monde. Ces 16 millions d'hectares sont à comparer aux
13 millions d'hectares de grandes cultures françaises. Ce sont
16 millions d'hectares en soja, en maïs, en coton, puis en tabac et
une dizaine d'autres plantes, avec des superficies beaucoup plus faibles.
La règle du jeu est simple : vous commencez par une
présentation de cinq minutes, qui sera suivie d'un débat.
Ensuite, des questions seront posées par la salle. Si certains ont le
temps, on peut les poser. Mais s'il y a beaucoup de questions, ce que je pense,
transmettez-les et nous les poserons à nos intervenants. Des feuilles
circuleront pour que vous puissiez le faire.
M. Cazalé
-
Monsieur le Président, vous
avez débuté par une présentation des
éléments extérieurs, qui font aussi partie des
contraintes. Effectivement, il n'est pas inutile de savoir que largement plus
que la sole des terres cultivables en France est cultivée aux seuls
Etats-Unis en plantes transgéniques.
Mais cela se double d'une autre affaire : le taux de croissance a
été très rapide. Cela implique une question :
pourquoi y a-t-il un tel engouement dans ce pays ? Il faut bien que les
acteurs économiques y trouvent leur compte. Sinon, il y aurait eu une
évolution peut-être négative, en tout cas un retour en
arrière, et non pas une croissance d'une telle rapidité.
Lorsque l'on se rend aux Etats-Unis, il nous est dit que, pour des questions
incidentes, sanitaires en générales, on remarque, outre les
défenses prévues dans les caractéristiques de la plante,
une croissance des rendements telle que l'intérêt
économique existe pour justifier les achats par les agriculteurs,
puisque personne ne les obligera à le faire, de semences plus
coûteuses que les semences non-OGM.
Cela concerne principalement deux cultures : le maïs et le soja, et
nous, Européens, sommes concernés par les deux produits au titre
de la consommation.
Pour le maïs, des conventions signées au moment de
l'adhésion de l'Espagne et du Portugal font l'obligation à
la Communauté d'importer environ 2,5 millions de tonnes de
maïs venant presque exclusivement des Etats-Unis. Après le retard
pris par la Communauté, qui ne s'est pas pressée de remplir ses
obligations, nous aurons l'obligation de le faire, avec des maïs
importés qui contiendront une fraction d'OGM plus importante que
l'année dernière.
Pour le soja, nous nous approvisionnons presque exclusivement aux Etats-Unis en
tourteaux pour l'alimentation animale. Dès maintenant, dans l'aliment du
bétail, des tourteaux de soja ayant pour origine des plantes
transgéniques figurent dans des proportions assez conséquentes.
Nous n'avons pas rencontré de genre de problème en Europe,
d'abord parce que l'origine de la technique est aux Etats-Unis, et que les
firmes américaines ont engagé des sommes considérables et
continuent à le faire de manière fabuleuse. C'est à couper
le souffle de voir les engagements économiques qui sont pris par des
personnes qui doivent tout de même avoir un peu de jugement...
En France, nous avons du retard parce qu'ils n'ont pas été
autorisés, mais aussi parce que l'intérêt immédiat
n'a pas paru évident chez les producteurs. Cela s'explique par le fait
que les premières variétés qui ont fait l'objet de
transgénèse sont un peu anciennes, s'appliquent à quelques
zones et que, par ailleurs, les espaces cultivés qui sont victimes de
l'agression des insectes comme la pyrale ne sont pas très larges dans
notre pays. Les surfaces cultivées sont donc très petites.
Dans l'évolution du progrès, il faut constater que, dans les
propositions qui nous étaient faites l'année dernière,
certaines variétés, soit étaient résistantes aux
insectes, soit supportaient des traitements insecticides nouveaux.
En l'espace d'un an, nous avons des variétés qui supportent
à la fois les insecticides et les désherbants. Une telle
réalisation montre l'évolution très rapide de la
technologie et donne quelques indications sur ce à quoi nous pouvons
nous attendre pour les années qui viennent.
Pour situer les OGM, je considère qu'il est un peu limitatif de parler
d'OGM, parce qu'il ne s'agit finalement que d'une application d'une science
nouvelle, et pas seulement d'une technique nouvelle, la
transgénèse. Ses capacités sont très
élevées, et, comme beaucoup de sciences et comme la langue
d'Esope, peut être la meilleure et la pire des choses.
Nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas en surveiller les applications,
mais il faut faire un tri entre les bonnes et les mauvaises applications.
Je pense donc qu'il est évident que nous nous trouvons là avec
une perspective d'applications multiples et actuellement
insoupçonnées d'une science nouvelle qui est la
transgénèse.
Il faudra bien sûr, notamment sur un secteur dans lequel nous n'avons pas
de compétence, celui de la qualité des produits
élaborés, faire appel à des instances scientifiques.
Celles-ci détermineront le caractère acceptable de ces plantes
nouvelles en vérifiant qu'elles ne présentent pas de
difficultés particulières par rapport aux plantes non
transgéniques.
Je voudrais maintenant terminer par quelques mots sur les
caractéristiques de la plante maïs, au regard des problèmes
soulevés par l'admission, et en particulier par la diffusion.
Il se trouve que nous ne connaissons pas de plante sauvage fécondable
par le maïs, ce qui n'est pas le cas de toutes les plantes. Si elle devait
exister, elle serait en Amérique centrale. C'est donc une garantie qui
n'est pas commune.
En second lieu, on pourrait dire que, depuis cinq cents ans que le maïs
est cultivé en Europe, il a pu se fabriquer des plantes sauvages. Or, le
maïs ne peut pas se multiplier sans l'intervention humaine. Si un
épi tombe au sol, il pousse une touffe de plantes incapables de produire
un grain. La main de l'homme doit donc arracher les grains de la rafle et les
disperser pour que les plantes puissent être assez isolées pour
produire elles-mêmes un épi.
Une autre caractéristique est de création relativement
récente : les surfaces plantées le sont avec du maïs
hybride. Cela présente la caractéristique d'exiger l'achat des
semences chaque année. Cela signifie que si l'on éprouvait par
hasard le besoin de faire marche arrière, on pourrait revenir en
très peu de temps sur des autorisations que l'on aurait données.
Tels sont les propos que je pouvais tenir en guise d'introduction.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Monsieur
le Président.
M. Riesel
-
Comment s'empêcher de penser que
cinq minutes est tellement court pour exposer des positions et, pour ce qui me
concerne, des objections de la Confédération paysanne à la
commercialisation et à la mise en culture d'organismes
génétiquement modifiés, que l'on a peut-être
escompté que personne ne gâcherait de précieuses secondes
à le souligner.
Je le ferai pourtant d'emblée car, pour la Confédération
paysanne, c'est notamment la démocratie, ses formes admises, ou les
progrès qu'apporteraient ces formes génétiquement
modifiées du type conférences de consensus, que pose et auxquels
renvoit la façon dont on entend traiter la question des OGM en
agriculture.
La Confédération paysanne s'élève donc contre un
débat à grande vitesse, où l'innovation technologique
souligne les contours d'une organisation sociale où le
talk-show
médiatique, le radio-crochet prétendent se substituer, une fois
les décisions prises, au débat préalable.
C'est pour cette raison que la Confédération paysanne a choisi,
en janvier de cette année, de refuser cette règle du jeu
détestable en dénaturant un stock de semences de maïs
transgénique Bt de Novartis dans le Lot-et-Garonne, afin d'imposer ainsi
un procès et un véritable débat public sur les plantes
transgéniques.
Nos objections sont globales ; elles portent sur les risques pour la
santé publique, les risques pour l'environnement et la
biodiversité, les risques économiques et sociaux et les risques
pour la démocratie.
Je laisserai aux plus compétents que moi, parmi ceux qui ont consenti
à participer à cette audition, le soin d'exposer les risques pour
la santé humaine et animale, et singulièrement pour ce qui
concerne la résistance à l'ampicilline du maïs Novartis
déjà autorisé et les risques pour l'environnement et la
biodiversité, que ce soit par transmission sexuelle ou par passage aux
bactéries du sol.
Concernant les pollutions induites, j'insisterai seulement sur le fait que
l'imposture joue à guichet ouvert lorsque les "obtenteurs"
prétendent actuellement produire plus propre grâce aux OGM.
Si l'ensemble des grandes cultures devait être un jour OGM, c'est tout au
plus une économie de 15 % des produits phytosanitaires actuellement
utilisés qu'apporterait cette prétendue révolution
technologique, en accroissant les risques de surdosage accidentel routinier,
s'agissant de plantes résistantes.
Mais d'autres risques nous paraissent majeurs, au premier rang desquels
l'aggravation de la dépendance des paysans par rapport aux firmes
pharmaco-chimiques, leur intégration définitive dans un complexe
agro-industriel déresponsabilisant pour eux.
Une telle perspective n'est pas seulement préjudiciable pour les paysans
des pays développés. Elle concourrait à continuer à
détruire les outils d'autosuffisance des agricultures vivrières
des pays en voie de développement, dont nous avons la faiblesse de
penser qu'ils peuvent avoir d'autres ambitions géopolitiques que
d'être nourris par les "farmer's druck on belt" ou les chefs
d'entreprises agricoles performants sur fonds publics des bassins
céréaliers européens.
La Confédération paysanne dénonce, dans l'introduction
précipitée des organismes génétiquement
modifiés en agriculture, l'organisation délibérée
d'une prise de risques de type industriel, au profit exclusif de
l'agro-industrie et de l'agro-fourniture, qui ont seuls intérêt
à la propagation de techniques dont ni les paysans ni les consommateurs
ni la société n'ont besoin.
Prétendre de façon irresponsable que refuser ce risque, c'est
courir celui de voir d'autres pays ou groupes de pays accroître leur
compétitivité par rapport à notre agriculture, c'est
raisonner à courte vue ; c'est admettre que l'on est prêt
à tous les risques pour conforter une agriculture productiviste, dont
l'ensemble de la société ne veut plus et dont nous avions cru
comprendre qu'elle était remise en cause dans la loi d'orientation
agricole dont ce pays devrait se doter prochainement.
Voilà, très rapidement exposée, une toute petite partie
des raisons pour lesquelles la Confédération paysanne continuera
à se battre pour obtenir un moratoire sur la commercialisation et la
mise en culture, ainsi que l'élevage d'organismes
génétiquement modifiés.
Je vous remercie.
M. Le Président
-
Merci,
Monsieur Riesel. C'est effectivement court, mais vous aurez
l'occasion de reparler pendant la table ronde. C'était un exposé
introductif.
Peut-être vais-je vous demander, Monsieur Pagesse de
répondre, parce que vous êtes aussi agriculteur.
Monsieur Riesel vient de dire que c'est l'aggravation de la
dépendance des paysans ; vous êtes paysan et vous êtes
dans une coopérative qui s'est lancée dans les plantes
transgéniques. Qu'en pensez-vous ?
M. Pagesse
-
Merci, Monsieur le Député,
bonjour à tous.
Je souhaite tout d'abord dire que, depuis que l'humanité est
passée de l'économie de cueillette pour se nourrir à
l'agriculture, nous avons fait de l'amélioration des plantes, et nous
avons fait de la transgénèse, à partir bien sûr des
lois de l'hérédité et souvent des lois du hasard.
Mais, bien entendu, nous sommes devant de nouvelles applications du
génie génétique, qui sont au coeur d'une mutation sans
précédent pour l'agriculture et probablement pour la
société tout entière.
A mon avis, l'Europe et, dans l'Europe, la France, doivent participer
activement à cette mutation, sous peine de laisser les Etats-Unis
développer une hégémonie technologique et commerciale qui
risque d'être pour nous complètement irréversible.
Je donne tout d'abord quelques constats -cela a déjà
été dit- : aux Etats-Unis, les plantes
génétiquement modifiées sont en pleine expansion. On peut
dire qu'actuellement, dans le monde, il y a autant de surfaces de plantes
génétiquement modifiées que de SAU (surfaces agricoles
utiles) en Europe, si l'on ajoute la Chine et le Canada.
On peut donc considérer qu'à l'horizon 2005, plus des deux tiers
des grandes cultures américaines seront améliorés par le
génie génétique. Cette amélioration portera bien
entendu sur des applications agronomiques, avec un certain nombre de
résistances (aux insectes, aux virus, aux champignons, aux
différents stress hydriques ou de salinité), mais surtout sur des
applications qualitatives, dans le domaine de l'alimentation, de l'industrie,
et aussi dans celui de la santé.
Des plantes plus résistantes, mieux adaptées aux contraintes
climatiques et aux exigences de la protection de l'environnement,
répondant à toute la diversité des nouveaux besoins
industriels, relégueront les cultures actuelles au rang des produits
dépassés ou au rang de simples matières premières,
au prix des matières premières.
Le dire n'est pas céder au "tout OGM" ; ce n'est pas militer pour
une technologie qui ferait figure de panacée ; c'est simplement
reconnaître qu'avec précaution et responsabilité, principes
intangibles que les industriels s'appliquent quotidiennement à
eux-mêmes, les biotechnologies, et en particulier le génie
génétique, apportent des progrès agronomiques et
qualitatifs indéniables.
Ces progrès ouvriront des marché à plus forte valeur
ajoutée, tant pour l'agriculture que pour l'ensemble des filières
agroalimentaires.
Il est impensable que l'Europe tourne le dos à ces perspectives
d'avenir, à ces perspectives de compétitivité et de
progrès pour tous.
Dans cette mutation sans précédent, les semences occupent bien
entendu une position-clé. Elles sont le vecteur indispensable de ces
nouvelles technologies. C'est en effet à ce stade que les meilleures
combinaisons de gènes particuliers et d'une variété
élite se feront ou ne se feront pas, et les grands agrochimistes
mondiaux comme Monsanto ou Du Pont l'ont bien compris. Ils rivalisent pour
acheter à prix d'or les sociétés semencières et les
meilleurs laboratoires de biotechnologie.
Il n'y a pas une semaine sans que l'on entende l'annonce d'une nouvelle
acquisition. Le résultat, c'est la formation d'immenses
conglomérats, qui se comptent dorénavant sur les doigts d'une
seule main, et qui profitent essentiellement, bien entendu, à
l'économie américaine.
Pour nous, semenciers européens indépendants, qui nous accrochons
à cette indépendance malgré des offres
répétées, ces mouvements de concentration et
d'intégration verticale sont de réels sujets d'inquiétude.
Pour les agriculteurs, la perspective d'un avantage compétitif accru de
l'agriculture américaine par rapport à l'agriculture
européenne est également un vrai sujet de préoccupation,
d'autant plus qu'avec l'Organisation mondiale du commerce, nous entrons dans
une mondialisation des échanges, où seule l'innovation permettra
de faire la différence et d'affronter les nouvelles perspectives du
marché.
Avec les accords de l'OMC, que la France a signés, il n'est plus
possible de se retrancher derrière je ne sais quelle barrière ou
exception européenne. Avec ces accords de l'OMC, la profitabilité
du vivant a été officiellement reconnue.
Cette nouvelle donne fait de la prise de brevets une arme stratégique
pour tous les compétiteurs. Le brevet, c'est avoir le droit d'exploiter,
mais aussi celui d'interdire ; c'est avoir le champ libre pour gagner de
nouveaux marchés.
C'est le coeur de cette nouvelle économie de la connaissance qui
s'impose au plan international. Longtemps, l'agriculture, et
particulièrement l'agriculture française, a construit son
progrès sur une culture de partage et d'échanges. Elle bascule
aujourd'hui dans cette économie internationale, où la valeur
ajoutée n'appartiendra qu'à ceux qui auront su créer,
consolider, protéger et valoriser des innovations majeures.
Mais mesurer ces enjeux, c'est mesurer aussi le poids réel de
l'agriculture française et de ses débouchés. Nous sommes
encore le deuxième exportateur mondial de céréales,
mais pas seulement. L'agriculture et ses filières
représentent, comme aux Etats-Unis, environ 15 % du produit
intérieur brut, soit plus de 750 milliards de francs.
Si nous voulons maintenir ce rang, nous devons impérativement investir
dans ces nouvelles sciences de la vie. Notre niveau de vie, et pas seulement
celui des agriculteurs, en dépend. Faisons donc jouer tous nos atouts,
et vite, car il y a des retards qui ne se rattrapent pas, des atouts, car nous
en avons, et en particulier en matière de recherche.
Vous savez qu'un grand projet national de génomique
végétale est en cours d'élaboration. Il réunit les
principaux semenciers français, avec Rhône-Poulenc et l'INRA.
C'est un projet lourd, qui nécessite un soutien important des pouvoirs
publics.
C'est avec de tels types de programmes fédérateurs que nous
pourrons espérer rivaliser avec nos amis américains et participer
pleinement à la course à l'innovation. Nous sommes bien à
l'heure des choix, des choix de modernité, de progrès et
d'indépendance. Et lorsque je parle d'indépendance, je ne pense
pas seulement à celle des agriculteurs, mais à celle des
filières et, finalement, à celle du consommateur.
Car c'est sa liberté de choix qui est en cause : pouvoir choisir et
non pas subir l'hégémonie programmée des produits
américains.
M. Le Président
-
Merci pour cette
introduction. Je demande maintenant à Jean-Marie Pelt, botaniste,
Président d'honneur d'ECOROPA, association qui est partie prenante
d'"Agir pour l'environnement" et qui s'oppose aux plantes transgéniques,
de donner son avis.
M. Pelt
-
Monsieur le Président, Mesdames et
Messieurs, j'ai été frappé par les orientations nouvelles
qui se dessinent en matière de politique agricole pour notre pays,
lorsqu'il y a peu de temps, et encore maintenant, Bruxelles prétendait
faire entrer notre agriculture de plain pied dans la mondialisation, en
insistant beaucoup sur notre capacité à produire beaucoup,
à être "productivistes", comme on le dit.
On a vu les paysans français réagir dans tous leurs syndicats,
dans toutes leurs formations professionnelles, tout comme le Ministre de
l'Agriculture, en faveur d'une agriculture peut-être moins productiviste
mais plus orientée vers la qualité, vers l'autosuffisance de nos
marchés et des marchés européens, avec l'idée que
si l'on produit de la bonne qualité, on s'ouvrira également sur
les marchés internationaux.
Il y a donc en quelque sorte une tendance quantitative d'un côté,
et plus qualitative de l'autre.
Comment promouvoir une agriculture de qualité ? C'est en fait la
question qui se pose à nous aujourd'hui. On sait que l'on ne peut pas
aller plus loin dans le domaine de la chimie ; c'est la raison pour
laquelle on voit tous les grands organismes agroalimentaires refluer vers les
biotechnologies et les sciences de la vie.
La chimie implique davantage de pesticides, avec les problèmes de
santé que cela pose. Faut-il alors aller dans la direction du "tout
transgénique" ? C'est au fond la question posée dans le
débat de ce matin.
En quelques minutes, je voudrais reprendre le dossier du maïs, que
j'estime tout à fait symbolique. Nous l'avons autorisé en culture
en France, avec un argument qui vient d'être rappelé : le
maïs n'a pas de plante sauvage proche qu'il pourrait contaminer par ses
gènes.
Oui mais, proche du maïs transgénique, il y a le maïs
conventionnel, qui sera évidemment atteint par les gènes venant
du maïs transgénique, ce qui -cela n'a jamais été
dit- rendra rapidement impossible d'avoir sur les marchés de la
consommation des maïs que l'on pourra qualifier de
non-transgéniques, car il y aura des transgènes un peu partout.
Dans la nature, le pollen se diffuse très rapidement pour le maïs,
en peu de temps (environ une heure et demie), et lorsqu'il y aura beaucoup de
maïs transgénique, le maïs non-transgénique sera lui
aussi devenu un maïs transgénique. L'étiquetage sera donc
impossible.
Si l'on piétine, comme on le fait depuis deux ans à Bruxelles, au
Parlement européen et dans tous les Etats membres de la
Communauté européenne, sur l'étiquetage, c'est parce que
l'on n'arrivera pas à étiqueter. En effet, dans la nature tout se
communique ; on n'est pas dans un laboratoire, et les problèmes
dans la nature sont tout à fait différents des problèmes
techniques rencontrés dans un laboratoire.
C'est la raison pour laquelle la dissémination des plantes
transgéniques pose en soi un problème différent du travail
en strict laboratoire.
Ce maïs contient un gène de résistance à
l'ampicilline, qui est un antibiotique. Ce gène de résistance,
par une seule mutation qui ne manquera pas de se produire dans très peu
de temps, deviendra alors un gène de résistance à toutes
les céphalosporines, antibiotiques les plus utilisés actuellement
pour des maladies graves.
On risque donc de voir ce gène passer dans l'intestin des animaux ou des
hommes qui le consomment ou dans le sol, par les racines, sur des
bactéries qui deviendraient ainsi résistantes aux antibiotiques.
Or, créer des bactéries résistantes aux antibiotiques,
c'est à la fois une erreur et une faute, et je dirais même une
faute grave, car l'un des grands problèmes de santé que l'on
rencontre actuellement, est celui de la résistance aux antibiotiques.
Dans les hôpitaux, il y a dix mille morts par an parce que la
résistance aux antibiotiques augmente très rapidement et que nous
n'avons plus les antibiotiques suffisants pour faire face à ces
résistances en progrès.
Il fallait donc évidemment ne pas mettre un gène de
résistance aux antibiotiques dans le maïs. Lorsque l'on sait
qu'aujourd'hui il serait possible de ne pas l'y mettre, il faut alors regretter
que ce maïs ait été autorisé et que l'on n'ait pas
demandé aux producteurs de ne plus mettre ce gène, qui, je crois,
ne se mettra d'ailleurs plus dans les années qui viennent.
Ensuite, il y a un aspect écologique tout à fait curieux, que
l'on ne verra qu'avec un certain temps, car tous ces problèmes ne
viendront qu'avec le temps : le maïs Bt résiste à la
pyrale, qui meurt lorsqu'elle le mange, et à la noctuelle, qui ne meurt
pas lorsqu'elle le mange.
Un troisième insecte mange les noctuelles, donc protège le
maïs. Or, lorsque ce troisième insecte mange les noctuelles qui ont
mangé du maïs BT, il meurt. L'insecte protecteur
disparaîtra donc petit à petit, et il y aura de la part de la
noctuelle une "bonne affaire", car elle deviendra le compétiteur
tranquille du maïs dans quelques années, et on ne l'aura pas
éliminée.
Je parle de quelques années, parce que la pyrale deviendra
également résistante. On a fait des travaux très fins
sur le sujet, et l'on pense que, dans quelques années, la pyrale
sera devenue résistante au maïs BT, qui n'aura plus
d'intérêt, pas plus que le Bt lui-même. On aura fait
ce que l'on fait pour les antibiotiques : on aura créé
de nouvelles résistances dont on ne saura pas se dépêtrer.
Car c'est dans cette direction que l'on s'engage : des résistances
en série que la biologie connaît bien, qui font partie des lois de
la vie, que peut-être les chimistes qui se reconvertissent aux
biotechnologies ne connaissent pas encore mais qu'ils ont peu de temps pour
connaître.
Pour terminer, il y a la question fondamentale : c'est sur le maïs
que l'on a découvert les gènes sauteurs, c'est-à-dire que
les gènes peuvent passer d'un endroit à un autre du
génome, et d'un génome à un autre génome. C'est ce
que l'on appelle les transferts horizontaux.
C'est un domaine immense, dont personne ne connaît rien. C'est la
boîte de Pandore du génie génétique. On ne sait pas
ce que peuvent donner ces gènes lorsqu'ils deviennent sauteurs ou
lorsque le génome est perturbé, comme il l'est par
transgénèse. L'on peut imaginer que de nouvelles recombinaisons
se font -je prends exprès le mot scientifique-, et aboutissent à
de nouveaux agents pathogènes peut-être, qui seraient des
bactéries ou des virus.
L'hypothèse de voir naître de nouvelles maladies dans quelques
années est redoutable ; on ne peut pas l'exclure.
Ce dossier du maïs, que l'on croyait la plante la plus simple à
rendre transgénique, est au départ terriblement
" plombé ", et tout ce que j'évoque ne peut
apparaître que dans quelques années. On va beaucoup trop vite, et
cette précipitation, qui a été soulignée, de passer
brusquement au transgénique pour des avantages immédiats, me
paraît tout à fait redoutable.
C'est la raison pour laquelle nous proposons le fameux principe de
précaution : dans le doute, on s'abstient. Il faudrait travailler
davantage le génie génétique, qui n'est pas une base assez
solide actuellement pour voir se construire sur elle l'immense
cathédrale des plantes transgéniques. Nous n'avons pas les bases
scientifiques suffisantes ; le génie génétique est
trop récent pour que l'on parte à cette vitesse dans la direction
du transgénique.
En conclusion, n'ayons pas trop de complexes à l'égard des
Etats-Unis. Jusqu'à présent, en matière d'alimentation,
ils n'ont pas montré ce qu'ils savent faire. L'obésité
répandue partout, le diabète très fréquent, la
mauvaise alimentation, celle que nous déplorons dans nos restaurants
rapides, ne donnent pas l'impression qu'il faut suivre à tout prix les
Etats-Unis en matière alimentaire.
Nous proposons une agriculture qui serait durable, raisonnée,
biologique, etc. Il n'y a pas ici d'intégrisme en faveur d'une
agriculture particulière, mais en tout cas une faveur pour une
agriculture plus prudente, qui conserve de nombreux agriculteurs à la
terre. C'est d'ailleurs sur ce thème que nous allons réunir au
sein d'ECOROPA, demain, un panel pour évoquer ces points, et très
prochainement à Metz, dans mon institut, "quelle agriculture
voulons-nous vraiment pour demain ?".
On n'exclut pas forcément à perpétuité le
transgénisme, mais nous disons que, maintenant, il n'est pas l'heure
d'aller dans cette direction.
M. Le Président
-
Vous avez posé
beaucoup de questions. Je souhaiterais que l'on se limite au débat
aujourd'hui, car nous verrons demain dans le débat sur la santé
le problème des marqueurs aux antibiotiques, dans le débat sur
l'environnement le problème des résistances d'insectes, et tout
à l'heure dans la table ronde concernant la recherche le problème
des gènes sauteurs.
Néanmoins, dans un exposé liminaire, on peut poser la
totalité de la problématique.
Monsieur Jolivet, vous qui suivez le problème d'un point de vue
économique et qui suivez à l'INRA les personnes qui traitent de
ces questions d'économie, quel est votre avis, à la
question : y a-t-il un enjeu ?
Certains, comme Monsieur Pelt, disent que l'on va trop vite ;
d'autres, comme Monsieur Pagesse, disent que l'on va trop lentement et que
les Américains ne nous attendent pas, que ce sont des " rouleaux
compresseurs " et que la compétitivité de notre
économie, de notre agriculture et de notre agroalimentaire est mise en
jeu. Où est la vérité du côté des
économistes ?
Cela a-t-il modifié l'agriculture ? Finalement, y aura-t-il une
plus grande dépendance de nos agriculteurs dans ce nouveau modèle
économique qui chamboule un peu tout ?
M. Jolivet
-
Merci, Monsieur le Député. Je
vais partir de quelques indications. En 1996, on a cultivé aux
Etats-Unis 750.000 hectares de coton Bt.
Cette culture a
dégagé une variation de surplus d'environ 127 millions
de dollars, soit environ 1000 francs français par hectare.
La répartition de ces 1000 francs entre les différents
acteurs économiques est estimée de la façon suivante :
- 490 francs aux agriculteurs (près de la moitié)
- 400 francs à la firme Monsanto, producteur du gène
- 100 francs à la firme Delta & Pineland, qui
fournit la semence, rachetée depuis par Monsanto
- 10 francs au consommateur.
C'est l'une des rares études économiques existant actuellement
sur l'introduction des plantes transgéniques aux Etats-Unis. Ce
résultat doit donc être pris avec un certain nombre de
précautions, mais il a tout de même l'avantage de mettre en
scène les différents acteurs de la chaîne économique.
Ce qui m'intéresse dans ces données, c'est le 1 % sous forme
de baisse de prix, qui profite aux consommateurs. Je pense que, dans cette
affaire, on l'oublie un peu trop. Il a été peu question de lui
dans les précédents exposés, et c'est à se demander
si les producteurs et les firmes ne négligent pas trop le pouvoir
régulateur des consommateurs sur les marchés.
La question ne se pose pas exactement de la même façon aux
Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, les consommateurs semblent assez
indifférents ; il y a peu de mouvements. En Europe, ils sont assez
opposés ; c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles
nous sommes là aujourd'hui.
On peut dire que c'est lié à toutes les aventures que nous avons
connues récemment (vache folle, amiante, etc.), mais certains
sociologues, et non pas des économistes, pensent qu'il y a là un
mouvement beaucoup plus profond, et que, dans le domaine des choix
technologiques, les citoyens et les consommateurs qui sont des citoyens veulent
être beaucoup plus largement associés, surtout lorsque ces choix
technologiques concernent directement leur santé, leur cadre de vie et
leur alimentation.
Certains sociologues voient dans ce mouvement une restructuration en profondeur
de la société. De façon beaucoup plus concrète, les
consommateurs sont de plus en plus sensibles à des critères
qualitatifs multiples (la santé, l'impact environnemental, les
conditions de production des produits), et à des notions
éthiques.
Ils exigent et ils exigeront de plus en plus que ces attributs soient
clairement énoncés. Ils exigeront de plus en plus d'être
utilement informés, et c'est une question que les différents
acteurs économiques autres qu'eux doivent prendre en compte.
Sur l'agriculture et les agriculteurs, qui sont aussi des acteurs importants,
très peu d'études nous permettent pour l'instant de dire ce que
gagneront les agriculteurs. On observe tout de même des augmentations de
rendement, des diminutions de traitement, puisque pour le moment, les seuls
éléments sont des plantes dont les capacités de
résistances sont intégrées dans leur génome.
Il ne faut tout de même pas négliger le fait qu'il y a un gain. La
diminution du travail et des traitements compense plus ou moins largement le
surcoût des semences et les taxes technologiques que perçoivent
les firmes pour permettre aux agriculteurs d'utiliser leurs semences et leurs
technologies.
Cela étant, si, sous la pression des consommateurs, dont il était
question tout à l'heure, on envisage qu'il y ait une
ségrégation entre les OGM et les cultures
non-génétiquement modifiées, il y aura
nécessairement des changements de systèmes de production induits.
Ces changements seront liés, par exemple pour contrecarrer
l'évolution génétique et l'apparition de
résistances, à l'entretien des chemins et des bordures, à
la maîtrise des repousses et à des pratiques de cultures-refuge,
qui permettront de contrôler ces dangers potentiels.
Il n'y a actuellement aucune idée sur les coûts de ces affaires.
D'autre part, je souhaite aborder, toujours pour les agriculteurs et plus
spécifiquement pour les agriculteurs européens, la question des
dangers qu'il pourrait y avoir à ne pas prendre en charge et produire
des plantes transgéniques.
On a déjà évoqué deux notions :
- on peut se faire battre sur le marché mondial, pour les produits
de masse, et de toute façon, le maïs et le soja sont les produits
d'attaque des Etats-Unis ;
- on peut aussi perdre en interne le marché de l'alimentation
animale.
L'Europe peut être soumise à une attaque au sein de l'Organisation
mondiale du commerce, qui considérerait que les procédures
d'homologation plus longues et plus compliquées des organismes
génétiquement modifiés mis en place sont des
barrières non-tarifaires.
Cela étant dit, certains économistes s'occupant justement de ces
problèmes de barrières non-tarifaires à l'OMC, pensent
que, dans un tel combat, l'Union européenne pourrait gagner en se
fondant sur le refus ou sur la résistance des consommateurs à
l'introduction des OGM.
Un autre problème a déjà été un peu
évoqué : celui du progrès technique, de la
capacité des agriculteurs à s'en emparer, et du fossé qui
pourrait se creuser entre les agriculteurs d'outre-Atlantique et les
agriculteurs européens.
Là aussi, les économistes ont un avis. Ils pensent que ce n'est
pas tellement sur les cultures de masse que se fera la différence, mais
sur celles des productions différenciées, c'est-à-dire
celles sur lesquelles on travaille plus sur les avantages qualitatifs en termes
de transformation ou de qualité organoleptique, etc., que sur les
produits de masse comme le maïs.
Effectivement, on peut imaginer que, si les agriculteurs européens
prennent beaucoup de retard, il y a de nombreux phénomènes
d'apprentissages (techniques, organisationnels ou de commercialisation) qu'ils
feront beaucoup plus tard que leurs compétiteurs d'outre-Atlantique.
C'est aussi un danger pour eux.
M. Le Président
-
Merci beaucoup. Vous avez
parlé du problème des consommateurs ; là aussi, nous
aurons une table ronde consacrée uniquement à cela, mais c'est le
lot d'une table ronde qui démarre : on pose des problèmes
qui seront traités sur deux jours.
Je souhaite donc maintenant que nous nous limitions au thème de cette
table ronde, sachant que les autres thèmes seront abordés durant
ces deux journées.
Plusieurs questions ont été posés par les uns ou les
autres, sur lesquelles il y a eu des déclarations liminaires mais
pas de réponses. Je vais essayer d'en poser quelques-unes et
évoquer quelques-unes qui n'ont pas été posées.
Tout d'abord, y a-t-il un avantage économique à l'utilisation de
plantes génétiquement transformées, ou y a-t-il une
nouvelle dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes
agrochimiques ? Cela a été posé de manière
très claire, et je souhaiterais que l'on réponde à cette
question.
La deuxième question que vous avez abordée sans y répondre
est la suivante : la surface en terre arable par habitant est en train de
diminuer. C'est un argument donné très largement par ceux qui
sont pour. Elle était de 0,5 hectare par habitant en 1950 sur notre
planète, elle est actuellement de 0,3 hectare par habitant, et l'on
pense qu'elle va diminuer.
Dès l'instant où l'on veut traiter cette question, cela implique
un développement de ces technologies dans les pays en voie de
développement ; est-ce la priorité actuelle des grands
groupes industriels ? Est-ce vers les pays en voie de développement
qu'ils ont centré leurs efforts ? On peut en douter, mais je
souhaiterais une réponse à cette question.
Devait-on commencer par ce qui est le plus rentable, des gènes de
résistance à des herbicides, ce qui a été fait, ou
plutôt agir sur les qualités nutritionnelles, le goût ou
d'autres critères que l'on aurait pu privilégier ?
Les pertes pour cultures, notamment au niveau économique, sont
très fortes dans le riz, malgré les traitements, et sont encore
plus fortes en absence de traitements sanitaires. Pour le riz, en absence de
traitement il y a 82 % de perte au niveau mondial, mais pour le blé
aussi et pour le maïs, il y a plus de 35 % de perte malgré les
traitements, et 60 % sans traitements.
Finalement, cette technique permettra-t-elle d'augmenter la
productivité ? Si oui, à quoi cela servira-t-il, puisque
l'on a des problèmes de stocks, de quotas, de gel de terres, des
problèmes économiques à régler ?
Vous n'avez pas parlé d'une question qui me paraît très
importante : faut-il séparer les filières ? Dès
l'instant où l'on réclame le moratoire -j'ai bien entendu,
Monsieur Riesel, que vous le demandiez-, et où certains demandent
en tout cas des séparations de filières et de l'étiquetage
au niveau du consommateur final, faut-il séparer les
filières ?
A-t-on le moyen de le faire actuellement dans l'agriculture s'il n'y a pas
valeur ajoutée nouvelle ? Si oui, qui paiera le coût de la
séparation de ces filières ?
Enfin, vous avez parlé du moratoire ; l'Europe peut-elle refuser
les plantes transgéniques ? Comme Monsieur Jolivet vient d'en
parler, peut-elle les refuser dans le cadre de l'Organisation mondiale du
commerce ? Cela a été abordé par
Monsieur Jolivet mais pas par les agriculteurs qui sont autour de cette
table.
Voici les premières questions ; si vous voulez en poser d'autres,
des feuilles circulent pour vous permettre de le faire, et nous les soumettrons
à nos interlocuteurs.
Qui veut réagir sur ces questions ? Monsieur Cazalé et
Monsieur Riesel, vous aurez la parole l'un après l'autre.
M. Cazalé
-
Je vais d'abord essayer de ne pas
réagir uniquement en producteur mais comme quelqu'un qui
considère les choses de l'extérieur, et de poser une question en
guise de réponse.
Dans l'histoire des hommes, une découverte sur des capacités
nouvelles du même ordre que la transgénèse a-t-elle
été inutilisée, même lorsqu'elle comportait des
risques ? Cela ouvre des perspectives ; cela signifie qu'il faut
aménager le déroulement des choses, mais on n'a pas d'exemple, y
compris lorsque les savants qui les ont découvertes ont eu peur,
où elles n'aient pas été mises en oeuvre.
En second lieu, je voudrais réagir comme producteur à l'analyse
de Monsieur Jolivet, que je reconnais exacte mais qui doit se situer dans
le contexte.
Le prix du maïs pour l'utilisateur a baissé en valeur constante de
plus de quatre fois en l'espace de quarante ans.
Mais si on considère la tendance, il est clair que les progrès
ont profité au consommateur et, heureusement, en ces matières,
l'offre est supérieure à la demande et l'on voit bien comment les
pressions s'exercent.
Ensuite, il y a le fait important qu'il faut des produits de haute valeur
ajoutée. Il faut trouver des acheteurs et, quand il y en a, c'est
très bien, mais que signifie un produit à haute valeur
ajoutée en dehors des vins et des alcools, qui représentent tout
de même 42,6 milliards de francs sur 53 milliards
de francs de produits transformés ?
Généralement, ce sont des appellations où l'on remonte
pour la qualité au producteur et non pas au transformateur. Cela veut
dire un peu le contenu des produits transformés.
Il est clair que, selon une carte, publiée par une firme il n'y a pas
très longtemps, des terres favorables à la culture sous des
climats favorables, on voit la place que prennent l'Amérique du Nord et
l'Europe, y compris dans sa pénétration en Asie, sur l'ensemble
de la planète.
On peut alors très bien imaginer sur quels équilibres se feront
les marchés dans l'avenir, si c'est sur les produits de base, qui sont
l'expression la moins coûteuse du sol et du climat, car la valeur
ajoutée pourra se faire dans les pays qui ont une nombreuse main
d'oeuvre inemployée, la plupart du temps.
Par exemple, pour le bassin méditerranéen, avec sa population, sa
croissance de population, dites-moi où sont les terres favorables sous
un climat favorable qui existent pour nourrir cette population, qui est aux
portes de l'Europe.
Le problème qui se pose est un problème de peur, et je pense que
l'on a raison. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut redoubler de
précautions, mais ce n'est pas une raison pour refuser d'agir.
Les peurs engendrent un certain nombre de choses, par exemple les
séparations entre les bons et les méchants, ceux qui font du
quantitatif et ceux qui font du qualitatif. Je rappelle que la part du revenu
des ménages consacrée à l'alimentation était, au
sortir du dernier conflit mondial, de 50 % et qu'elle est maintenant de
16 %.
Même parmi les peureux, qui se déclare prêt à revenir
à l'affectation de 50 % de ses revenus à l'alimentation
animale au nom de la recréation d'une agriculture paysanne que
j'assimile assez facilement à la restauration historique du
siècle dernier ?
Dans cette affaire, on a besoin de certaines choses ; pas d'exemples de
démocratie que mon voisin de droite nous a donnés, parce que,
pour présenter l'action menée contre Novartis comme un exemple de
démocratie, il faut tout de même avoir une certaine
élasticité...
Pour résoudre les problèmes, on a davantage besoin d'hommes
savants que d'hommes inspirés. En effet, si nous ne devions agir qu'avec
des hommes inspirés, les hommes ne quitteraient un obscurantisme que
pour en rencontrer un autre.
Je vous remercie.
M. Riesel
-
C'est donc un peureux, et quelqu'un qui est
allé chez Novartis et qui a été condamné pour cela,
qui va répondre.
Quelque chose d'intéressant se passe ici ; j'en prends acte :
les positions évoluent un peu. D'ordinaire, on assiste à un
dialogue de sourds. Avant d'aller chez Novartis, nous avions nous-mêmes
invité M. Philippe Gay, qui est un chantre-maison du
transgénique, à venir débattre avec nous et, pendant une
journée, des opinions s'étaient croisées sans jamais se
rencontrer.
Néanmoins, il faut tout de même essayer de mettre un peu les
points sur certains "i". On a dit tout à l'heure que celui qui a le
pouvoir alimentaire a le pouvoir tout court. C'est donc bien de cela qu'il
s'agit, et derrière toutes les belles déclarations que nous
entendons ici, il n'y a pas de débat entre intégristes de la
non-productivité façon XIXème siècle et
progressistes purs et durs, chevaliers blancs du progrès.
Lorsque l'on parle de compétitivité de l'agriculture
française, il serait intéressant de voir ce que serait cette
compétitivité, notamment en grande culture, si l'agriculture
n'était pas soutenue comme elle l'est.
Si ce type d'agriculture n'était pas soutenu comme il l'est, ce que la
prochaine réforme de la Politique agricole commune entend de toutes les
manières continuer, il faudrait aussi parvenir à établir
un solde positif véritable de la balance commerciale agricole, et voir
ce qui resterait de positif lorsque l'on aurait retiré les importations
de carburants, de produits phytosanitaires, de pesticides, de matériels
agricoles. J'imagine que l'on se trouverait fort loin derrière le
tourisme, du côté des articles de Paris.
On a souligné qu'il n'y avait pas de risque de transmission des
caractéristiques du maïs transgénique, et
Jean-Marie Pelt a dit qu'il y avait néanmoins un risque pour le
maïs conventionnel ; c'est tout de même raisonner avec une
certaine légèreté, puisque ce risque de transmission
à une autre plante n'existe pas en Europe, mais qu'en est-il aux
Etats-Unis ? Considère-t-on que la frontière entre les
Etats-Unis et le Mexique est étanche ?
On dira que ce n'est pas notre affaire mais, si la transgénèse
devait pénétrer dans le bassin d'origine du maïs, comme elle
le fera inévitablement, cela signifierait que les seules ressources
semencières de la planète en matière de maïs se
retrouveraient dans les coffres des multinationales semencières.
Elles y sont déjà.
C'est évidemment à rattacher à l'ambition explicite et en
voie de réalisation, y compris au niveau européen, sur la
brevetabilité du vivant, sachant que d'autres ambitions sont à
l'oeuvre actuellement, notamment aux Etats-Unis dans la recherche, où le
nec plus ultra
des recherches en génie génétique
est d'obtenir des graines qui soient stériles à la seconde
génération. Ce n'est pas comme un maïs hybride, qui perd
simplement ses qualités mais qui est reproductible.
Il s'agit donc bien d'une ambition universelle de main-mise sur les ressources
alimentaires et la possibilité d'y avoir accès pour les
paysanneries, et par voie de conséquence pour les consommateurs.
M. Jolivet
-
Je souhaite d'abord indiquer que, si j'ai
mis en scène le consommateur tout à l'heure, c'était parce
que je suis convaincu que c'est une force économique de premier plan.
J'ai bien noté qu'une autre table ronde était consacrée
à cet aspect, mais j'insiste néanmoins sur ce point.
Je souhaite donner quelques indications concernant l'une des questions
posées : la nouvelle dépendance des agriculteurs
vis-à-vis des firmes. On a parlé du mouvement de concentration de
l'agro-fourniture : il se met très nettement en place une situation
oligopolistique qui aura un très fort pouvoir de marché.
Cette configuration oligopolistique est potentiellement un frein à la
concurrence ; il ne faut pas se le cacher. Elle représente donc
malgré tout un danger pour un partage équitable de la rente.
Un article du Courrier International était intitulé "Monsanto, le
Microsoft de l'alimentaire" ; il ne faut pas être naïf ;
il y a un réel danger vis-à-vis de cela, même si nous
n'avons pas de données actuellement et si les chiffres que je vous ai
cités au début montrent que, sur le partage de la rente, les
agriculteurs ont récupéré la moitié de la mise sur
le coton Bt aux Etats-Unis en 1996.
Mais que se passera-t-il dans le futur ? Ce n'est pas clair.
De plus, ces firmes (Monsanto, Du Pont, etc.) sont en position de
déterminer très largement l'évolution du changement
technique dans l'agriculture. C'est tout à fait clair. En 1996 et 1997,
Monsanto et Du Pont ont dépensé pour l'acquisition
d'entreprises semencières autant d'argent que l'ensemble du budget de la
recherche agronomique publique aux Etats-Unis en 1996. Cela vous donne des
ordres de grandeur des efforts consentis.
Je pense qu'il faut être vigilant sur une question importante :
veiller à ce que la question de l'innovation en agriculture ne soit pas
confinée au domaine des biotechnologies.
A mon sens, il y a des connaissances tout aussi considérables à
produire sur les systèmes sociaux et techniques de production, sur
l'organisation du travail, par exemple. Ce sont des domaines tout à fait
importants, et je pense que le fait de prendre ces deux aspects en compte
est en particulier du rôle de la recherche publique.
C'est à la fois monter en France avec des partenaires privés un
fort pôle de génie génétique végétal,
mais c'est aussi consentir beaucoup d'efforts dans ces domaines des
systèmes de production et des systèmes sociaux.
M. Pagesse
-
Je souhaite essayer de répondre
à quelques-unes des grandes questions que vous avez posées. Je ne
sais pas trop dans quel ordre les prendre.
Je suis de ceux qui considèrent que la qualité sera bien, demain,
vis-à-vis de la segmentation du marché, obtenue à partir
de sélections qui feront entrer les technologies des sciences de la vie.
Si l'on veut construire un acide gras pour faire de la matière plastique
à partir d'un oléagineux, ou si l'on veut faire de
l'oléique pour faire les frites ou faire du Diester, nous ne ferons pas
appel à la même combinaison. Il faut donc être vigilant,
parce que les qualités qui correspondent à la segmentation des
marchés, qui seront une débanalisation de nos productions, seront
produites à partir des technologies des sciences du vivant.
Dans le cas contraire, nous serons relégués comme producteurs de
matières premières, alors que tout le discours actuel, y compris
politique, est d'essayer de dire aux agriculteurs et aux transformateurs qu'ils
doivent essayer de déterminer la façon dont ils peuvent apporter
une valeur ajoutée supplémentaire.
C'est donc la démarche, y compris à partir de ces technologies,
qui nous permettra d'essayer d'apporter cette valeur ajoutée, au
bénéfice de tous bien entendu, puisque, comme le rappelait le
Président Cazalé tout à l'heure, la moitié du
budget était consacré à l'alimentation en 1950, et cette
part n'est plus que de 16 %. Je pense donc que la démonstration est
faite que notre productivité, souvent décriée, a tout de
même bien bénéficié à tout le monde.
Sur le sujet de l'inquiétude et de la sécurité, je suis de
ceux qui pensent que l'homme a probablement besoin d'autant de
sécurité que de nourriture, et que le meilleur moyen de lui
apporter la sécurité, c'est de lui permettre de participer
lui-même aux changements qui nous entourent.
Si chacun des citoyens devient un véritable acteur du changement, parce
que le monde autour de nous change, je pense que chacun se sentira
rassuré. Si, dans monde qui change, on reste au bord de la route, cela
impressionne beaucoup.
Quant à la question de l'indépendance, j'ai dit dans mon propos
liminaire qu'elle était très importante. Il y a la
dépendance des agriculteurs, de ceux qui sont dans les filières,
des transformateurs, et j'ai même dit du consommateur. En effet, si le
consommateur n'a que des produits américains, son choix sera restreint.
Mais à mon avis, le meilleur moyen de garder cette indépendance,
c'est de construire nous-mêmes notre propre force, notre propre
propriété intellectuelle, puisque le GATT, en 1992, a
lui-même consolidé cette propriété intellectuelle
dans les accords internationaux ratifiés par 125 pays, et
qu'aujourd'hui, je n'ai pas encore vu la méthode pour pouvoir en sortir.
Je pense donc que notre véritable position pour construire une offre
alternative est de rassembler les moyens des uns et des autres qui veulent
rester indépendants, y compris ceux des agriculteurs. Nous construirons
ainsi cette indépendance ensemble, et c'est à ce prix que demain
nous garderons encore une marge de liberté.
Vous avez aussi posé une question à propos des pays en voie de
développement. Je pense qu'actuellement, le progrès des
technologies, y compris les vaccinations, a bénéficié
à l'ensemble de la planète, mais il y a toujours un
décalage.
Ces technologies coûtent très cher et, lorsque vous
dépensez beaucoup d'argent, ce n'est pas le vôtre ; on vous
l'a prêté. A un certain moment, vous avez donc un souci de
rentabilité, de retour sur investissement, y compris pour payer vos
banquiers ou simplement ceux qui, d'une manière ou d'une autre, par le
biais de la bourse ou des actions, vous ont avancé l'argent.
Il est donc normal que l'on puisse aller chercher les premières
rentabilités sur les marchés de proximité, mais il est
bien évident qu'à terme, les technologies
bénéficient à tout le monde. Je pense que le génie
génétique et les sciences de la vie, sont davantage un
élément de création de biodiversité.
Je pense donc que nous ne devons pas nous tromper de combat. Nous sommes dans
une véritable compétition, et il faut avoir le courage de la
soutenir.
Contrairement à tout ce qui est expliqué, y compris sur la
compétitivité de l'agriculture européenne - je suis
de ceux qui ont participé à une étude de prix de revient
du blé en Europe et aux Etats-Unis- si l'on fait abstraction de
toutes les aides et si l'on prend la parité des coûts de
production Cette étude n'a été faite ni par Pagesse ni par
Unigrains, puisque j'ai participé à une mission d'Unigrains, mais
elle a été calculée par Yves Michaux,
Président de l'Aérospatiale, parce que, pour exporter son Airbus,
il n'a pas pris les mêmes problèmes que nous pour exporter notre
blé, le prix de revient du blé européen est tout à
fait équivalent à celui du blé américain.
Ce n'est pas tout à fait le cas pour le maïs. Il ne faut donc pas
croire que, parce que certains éléments faussent la
compétitivité, nous sommes si maladroits que cela. Je pense que
nous avons là un atout, et que nous devons avoir la capacité de
le jouer.
Bien entendu, nous sommes malheureusement dans un système qui est ce
qu'il est. C'est un choix politique qui nous y a mis, et nous devons l'assumer.
Je ne veux pas revenir sur tout le système de nos compensations, qui ne
sont en fait qu'une compensation supplémentaire pour le consommateur.
Nous sommes une boîte de transferts, rien de plus.
M. Le Président
-
Merci,
Pierre Pagesse. Je vais poser à Jean-Marie Pelt la question de
la limitation des surfaces en terres arables de la planète, puisqu'il
s'intéresse beaucoup aux problèmes des forêts.
Tout à l'heure, je parlais de la baisse de la surface en terre arable
par habitant. C'est l'un des gros arguments produits par ceux qui sont
favorables aux plantes transgéniques. Est-ce un moyen ?
J'ai vu aux Etats-Unis, le vice-Président de la banque mondiale, avec
qui j'ai parlé de ces problèmes. Il m'a dit que, dans un certain
nombre de cas, les Américains étaient pour le
développement de ces techniques dans les pays en voie de
développement, parce que cela pouvait permettre de résoudre
le problème de la faim dans le monde, à condition que des
transferts de technologies se fassent.
Malheureusement, m'a-t-il dit, ces transferts de technologies, y compris pour
les semences fabriquées et disponibles actuellement, se font très
peu.
Est-ce une vraie question ? Nous sommes
5 à 6 milliards d'humains actuellement, et il y aura une
augmentation d'au moins 3 milliards dans les prochaines décennies.
Si l'on ne traite pas le problème de l'augmentation de la
productivité, est-on capable de traiter le problème de la
nourriture de ces personnes sans accroître les surfaces
cultivées ?
Je souhaiterais avoir votre avis à ce sujet.
M. Pelt
-
Il est tout à fait exact que la
surface de terre arable par habitant de la planète a tendance à
se réduire, d'une part parce que le nombre d'habitants augmente, et
d'autre part parce que l'on jardine très mal la terre.
L'un des grands problèmes de l'écologie est le mauvais entretien
de la terre sur l'ensemble de la planète. Nous avons ici parfois des
débats sur la manière dont l'agriculture devrait aussi entretenir
l'environnement -c'est l'un de ses objectifs- ; c'est mille fois plus vrai
dans les pays en voie de développement, où les terres ont
été massivement abandonnées pour les
favelas
des
grandes mégalopoles, et où l'entretien de la terre et de la
nature ne se fait plus.
Dans le bassin méditerranéen, dont on parlait tout à
l'heure, on a également perdu des terres de manière tout à
fait significative. La première urgence est donc de reconquérir
des terres. Bien avant d'imaginer comment on pourra cultiver ce qu'il reste, il
faut arriver à reconquérir des sols.
A propos des plantes transgéniques dans les pays en voie de
développement, je pense que cet argument est peu recevable pour la
simple raison qu'avec le transgénisme, on n'augmente pas de
manière significative la productivité biologique globale. Pour
augmenter par exemple les rythmes de croissance, la taille des
végétaux, la biomasse, il faudrait y introduire un nombre de
gènes importants. On a dit vingt gènes ; je ne sais pas si
c'est vingt ou plus, mais c'est le chiffre que j'ai rencontré plusieurs
fois, et on n'est pas encore capable de le faire. Cet aspect ne peut donc pas
se poser.
L'aspect qui pourrait être envisagé est de rendre des plantes plus
tolérantes au sel, par exemple -problème se posant dans de
nombreux pays en voie de développement-, ou plus tolérantes
à la sécheresse. Cela supposerait qu'il y ait une
véritable priorité de la part des producteurs de ces plantes
transgéniques en faveur du Tiers-Monde.
Cet intérêt pour le Tiers-Monde, je le vois dans les
débats, dans les déclarations de bonnes intentions. Dans la
réalité, c'est une autre affaire, parce que le Tiers-Monde n'est
pas solvable. Et l'on est devant un problème très
particulier : faut-il engager des recherches coûteuses et
considérables pour d'éventuels acheteurs qui ne seront
peut-être pas au rendez-vous des marchés ?
C'est exactement ce qu'il se passe pour les médicaments. On en fait pour
les bien-portants, c'est-à-dire pour ceux qui vieillissent dans les pays
riches, et on n'en fait pratiquement pas pour le Tiers-Monde, qui en aurait
pourtant le plus grand besoin.
Mais c'est l'une des critiques que l'on peut adresser au
néolibéralisme lorsqu'il va à la limite de ses
potentialités et crée alors des déséquilibres comme
ceux que je viens d'évoquer.
M. Le Président
-
Cela signifie que, si
l'on développait -j'ai également utilisé le conditionnel
dans mon exposé- par ces techniques des plantes résistantes au
sel ou à la sécheresse, vous y seriez favorable ?
M. Pelt
-
Oui. En tout cas, j'aurais sûrement
examiné le problème avec un éclairage différent. Je
pense que c'était peut-être par ce bout qu'il aurait fallu
commencer.
M. Le Président
-
Monsieur Cazalé, j'ai posé la question de la
séparation des filières, qui est très importante. En
effet, elle se posera dans les rapports entre les Etats-Unis et l'Europe. Elle
se pose d'ailleurs aujourd'hui ; vous l'avez dit tous les deux tout
à l'heure.
Actuellement, un maïs et un soja sont autorisés à
l'importation en France. Plusieurs ont été acceptés au
niveau de Bruxelles mais la décision n'a pas été prise
dans les pays où les dossiers ont été
présentés. C'est le cas de plusieurs maïs et d'un colza.
En revanche, aux Etats-Unis, en Argentine, en Chine (mais en Chine, il y a peu
d'arrivées pour l'instant ; c'est une consommation locale) et au
Canada, certaines plantes dont on n'a pas demandé la labellisation ou
l'accréditation au niveau de l'Europe sont cultivées. Or, les
Américains mélangent leurs différentes provenances de
maïs et de soja.
Cela signifie donc que, pour le maïs et le soja, il y a actuellement des
mélanges d'espèces autorisées en importation et
d'espèces non-autorisées. Les Américains disent qu'ils ne
peuvent pas séparer les filières, et qu'ils sont contre
l'étiquetage. Lors de mon voyage aux Etats-Unis, ils l'ont dit de
manière très claire.
Monsieur Cazalé, est-il possible de séparer les
filières, c'est-à-dire est-il possible d'arriver à trois
filières, ce qui pose le problème de l'agriculture
biologique : une filière agriculture classique sans OGM, une
filière avec OGM et une filière agriculture biologique ?
En second lieu, il y a une autorisation, depuis le 27 novembre, sous
condition de biovigilance, de planter du maïs dont la surface potentielle
était de 20.000 hectares, et j'ai entendu dire que seuls
1000 hectares ont été plantés. A quoi est-ce
dû, Monsieur le Président de l'Association des producteurs de
maïs ?
M. Cazalé
-
Il y a eu peu de semences, et je
pense que tout a été fait pour qu'il en soit ainsi. Il ne faut
donc pas s'en étonner aujourd'hui puisque, jusqu'au dernier moment, on
n'a pas su si l'on pouvait en disposer. Et dans la mesure où les
consommateurs étaient très réticents, les propres vendeurs
parfois des mêmes firmes ont dit : "lorsque nous serons nombreux,
nous ferons ; pour l'instant, si, au niveau de l'opinion qu'ont les
consommateurs de notre produit, nous devons être sanctionnés trop
fort, nous ne faisons pas."
Telle est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation
aujourd'hui. Je pense que l'on n'a su que l'on pouvait disposer de ces produits
qu'au dernier moment.
En second lieu, je tiens depuis hier une information que j'ai lue dans la
presse : la recherche publique ou la recherche universitaire aux
Etats-Unis aurait trouvé le moyen d'introduire les mutations non plus
dans le noyau du gène mais dans une autre partie, et que cela aurait
pour effet que seule la partie femelle de la plante porterait la mutation
génétique et non pas la partie mâle, c'est-à-dire le
pollen. Cela faciliterait beaucoup la séparation, qui est actuellement
assez difficile.
Mais je voudrais dire qu'ayant un peu vécu, une partie des peurs est
arrivée de la même façon au moment où sont
arrivés les hybrides. Cela représentait, à
l'époque, un changement au moins aussi important que celui des plantes
transgéniques, et cela se doublait d'une modification des apparences,
dans la mesure où le maïs denté venait remplacer le
maïs corné.
J'ai entendu, à cette époque, notamment dans ma région des
choses sur la qualité du foie gras, qui pourraient très bien
être transposées aujourd'hui , mais avec une ampleur
différente, dans la mesure où les organisations de consommateurs
et les médias s'en occupent.
Comme je préside l'AGPM et que nous sommes organisés en
filières, il y a une vingtaine d'années il existait treize firmes
qui vendaient des semences hybrides (marché captif, comme ce sera le cas
pour le reste), et nous spéculions en disant que, sept ou huit ans plus
tard, il devrait y en avoir cinq. Or, les firmes qui proposent des semences
sont maintenant au nombre de trente-trois.
Il faut considérer le phénomène fabuleux actuel des
concentrations de capitaux, comme un phénomène nécessaire
lorsqu'il y a une mutation technologique. La mutation technologique exige de
tels moyens que l'on a des concentrations qui n'ont jamais été
connues, et dont les caractéristiques, qui sont très
particulières, ne doivent pas être complètement le fruit du
hasard.
De ce fait, devant la baisse généralisée des prix
agricoles, je pense que ceux qui investissent actuellement doivent savoir que
ce n'est pas en repoussant une partie significative des coûts vers le
producteur agricole qu'ils se payeront. Ils se payeront par les modifications
qu'ils engendreront dans leurs produits élaborés. Et j'imagine
même que ce n'est plus à l'agriculteur qu'ils vendront les
semences, mais à celui qui commandera le produit fini.
Cela étant, il y a des opinions, et en démocratie, on ne peut pas
agir sans opinions. Le seul problème, c'est que la démocratie
suppose aussi qu'on la rationalise un peu, que l'on soit tolérant sinon
aucune société ne peut vivre, et qu'on n'avance pas des chiffres
à la légère.
Par exemple, j'ai vu un sondeur présenter le chiffre que tout le monde
connaît ici, parce qu'il a été largement publié, de
70 % des consommateurs qui sont anti-OGM. Je lui ai dit que, comme
technicien, il pourrait peut-être me dire combien de personnes sauraient
expliquer ce qu'est l'OGM, si nous posions une question ouverte. Il m'a
répondu qu'il n'y en avait pas 5 %.
Mais, aujourd'hui, nous venons d'avoir un chiffre : 50 % des
personnes n'ont pas entendu parler de plantes transgéniques, mais
70 % sont contre les OGM. Je pense qu'entre ce qu'est l'opinion, ce qu'en
est la traduction qui en est donnée par les uns et les autres, il faudra
revenir à une certaine rationalité pour traiter les
problèmes objectivement, sans passion des uns et des autres.
Je me répète : autant, sur la diffusion, on a quelques
données vécues, autant sur la qualité des produits que
l'on va mettre sur le marché, nous faisons appel aux savants qui sont
dans des institutions, parce qu'on leur demandera des comptes sur l'avis qu'ils
auront formulé.
En effet, plusieurs savants s'expriment au nom de savants. On se demande
d'ailleurs souvent de quelle discipline ils sont, et ils sont parfois de
disciplines qui n'ont aucun rapport avec le sujet. Lorsque quelques savants ont
des disciplines en rapport avec le sujet, je pourrais faire état ici de
commentaires sur l'économie de main-d'oeuvre des épandages
d'insecticides qui n'existeront plus, ou sur les palombes qui n'hiberneront
plus dans le sud-ouest parce qu'il n'y aura plus de perte de grains.
Demandons l'avis à des personnes, qui ont des responsabilités, et
ne prenons pas les avis de personnes qui se déclarent scientifiques, et
dont la renommée n'aura d'ailleurs pas à subir de grand tort si
leur avis ne se révélait pas exact.
M. Le Président
-
Il nous reste peu de
temps, mais nous n'avons pas assez abordé le problème de la
séparation de ces filières et du lien entre l'agriculture
biologique et l'agriculture traditionnelle.
J'ai en tête l'affaire de Kochko dans le Tarn-et-Garonne. Je la
résume brièvement car nous l'avons reçu dans nos
auditions. Il s'agit d'un agriculteur biologique du Tarn-et-Garonne qui fait du
soja biologique, avec un cahier des charges. Il vendait son soja à un
exportateur de Poitiers, qui l'a vendu en Allemagne.
Lors d'un contrôle en Allemagne par les techniques PCR, dont nous
parlerons dans l'autre table ronde, avec une très grande
sensibilité puisque l'on amplifie les promoteurs de gènes, on a
découvert que le tofu fabriqué à partir de son soja avait
une "contamination" non-prévue d'un soja
génétiquement modifié.
On remonte la filière et on arrive chez l'agriculteur. Le
problème de la responsabilité se pose. Lorsqu'il s'adresse au
semencier, celui-ci dit que c'est exempt d'OGM. On a fabriqué ces
semences aux Etats-Unis. Lors de la fabrication des semences, certains pollens
sont vraisemblablement venus de champs de sojas génétiquement
modifiés. La contamination était sans doute faible, mais nous
allons arriver à la même chose au niveau de notre pays, et cela
posera le problème de l'étiquetage et de la
traçabilité.
Dès l'instant où l'on a des organismes
génétiquement modifiés, peut-on s'organiser en plusieurs
filières, une filière agriculture sans OGM, une filière
biologique, qui sera sans doute dans le cahier des charges sans OGM (je ne sais
pas s'il y aura une biologique avec OGM ; pour l'instant, elle est sans
OGM) et une filière classique ? Si oui, qui payera ? Que
pensez-vous de ces questions à la Confédération
paysanne ?
Je demanderai également à Monsieur Pagesse de parler aussi
des filières.
M. Riesel
-
Je serais tenté de répondre
que l'agriculture " bio " devra accepter le risque d'être OGM.
Elle ne pourra pas y échapper. Du fait de la dissémination, il
sera impossible de garantir le contraire. De toute façon, la bio
garantit la mise en oeuvre de moyens dans l'état actuel des
choses ; elle ne garantit pas les résultats et, en ce qui concerne
les OGM, il est évident que, du fait de la dissémination, elle ne
pourra pas garantir des produits sans OGM.
Dans le même ordre d'idée, je voudrais revenir sur les avantages
économiques, donc la traçabilité. Cette
traçabilité aura un coût ; qui l'assumera ? Par
exemple, dans le Comité de biovigilance provisoire concernant le
maïs Novartis, sur la question de responsabilité par exemple, si un
paysan cultive un maïs conventionnel à côté d'un
maïs transgénique, c'est à lui qu'incomberait le coût
d'éliminer les rangs qui lui permettraient de se prémunir contre
la transgénèse accidentelle.
Le coût de la biovigilance devrait logiquement être assumé
par ceux qui attendent un profit de la dissémination du
transgénique, donc les firmes ; les industriels semenciers s'y
refusent totalement. On peut imaginer que les surcoûts liés
à la traçabilité se marchanderont de la même
manière, et il nous semblerait totalement scandaleux que ce soit
à des filières non-OGM d'avoir à assumer le coût de
la traçabilité.
Par ailleurs, pour revenir sur les avantages économiques stricts, le
fait que peu d'hectares de maïs Novartis aient été
semés cette année induit sans doute qu'il restera -nous
l'espérons, nous le souhaitons et nous oeuvrerons pour cela- une
considérable méfiance des consommateurs par rapport à ces
produits, donc une moins-value.
Donc, si traçabilité il y a, qui la paiera, si toutefois elle est
possible ?
M. Pagesse
-
Sur la filière bio, je pense
qu'à terme, le véritable bio sera OGM ou n'existera pas. Je vais
peut-être vous choquer mais, actuellement, le bio est une obligation de
parcours, de moyens, mais pas du tout une obligation de résultats. Or,
lorsque l'on fera les tests de salubrité sur les micotoxines, etc., qui
existent et qui sont des facteurs anti-croissance et anti-nutritionnels, on
reparlera de la question.
Sur les filières, je voudrais dire :
- que toutes les filières sont concernées
- et qu'actuellement, on n'a pas de tels investissements aux Etats-Unis
qui seront concentrés uniquement sur la valeur semencière, mais
sur la valeur agricole et probablement la valeur agroalimentaire totale, et
c'est alors le facteur 100 qui sera concerné.
Pour le coût, ma vision est qu'à terme, il y aura une
filière garantie non-OGM, qui s'apparentera à quelques pour cent
de la consommation, pour ceux qui, par idéologie, ne voudront pas
consommer des produits transformés, et le reste, où il sera
inscrit "contient des OGM". Je pense que, lorsque le consommateur aura compris
qu'il y a un gain en termes de prix et d'efficacité dans les
différentes qualité que pourra lui offrir la technologie, les
choses rentreront dans l'ordre.
En attendant, on a une phase transitoire à gérer ;
voyons de quelle manière on peut la gérer au mieux.
M. le Président
-
Si plus personne ne veut
s'exprimer, nous pouvons clôturer cette table ronde, dont je vous
remercie.
Je ne sais pas si les points de vue se sont rapprochés, puisque certains
souhaitent un moratoire et d'autres souhaitent toujours aller plus vite...
Néanmoins, sur la totalité des arguments, nous avons cinq autres
tables rondes et cinq Ministres à auditionner pour essayer de faire
progresser cette question.
Table ronde II - Enjeux pour la recherche Génomique, relations public/privé, poids de la protection intellectuelle, collaboration avec les pays en voie de développement
M.
le Président
-
L'ordre des tables rondes peut
apparaître chaotique, mais il a été prévu en
fonction de la disponibilité d'un certain nombre de nos
interlocuteurs, en tout cas des premiers qui ont indiqué leurs
préférences.
Ces enjeux pour la recherche sont très importants, et nous avons
abordé la question tout à l'heure. Ils sont considérables
dans la mesure où une compétition intense est d'ores et
déjà engagée entre tous les grands pays scientifiques pour
le décryptage des génomes de plusieurs organismes
d'intérêt.
Il y a les génomes de plantes, les génomes animaux et le
génome humain. Pour les plantes, dans ce qui nous intéresse
aujourd'hui, on peut citer l'effort entrepris pour l'étude du
génome
d'arabidopsis thalliana
, une plante à génome
relativement court, plus facile à décrypter. Ce travail a
été engagé depuis quelques années.
On peut dire que les Etats-Unis sont déjà en tête
dans ce secteur. Comme cela a été indiqué tout à
l'heure, ils prévoient d'investir des millions de dollars dans ces
recherches. Celles-ci ont des conséquences bien précises, car les
découvertes sont systématiquement protégées par un
système de brevets qui verrouille ensuite des secteurs de plus en plus
grands de la recherche. Les redevances sont ensuite perçues, y compris
sur les procédés.
Dans la course à la découverte des logiciels de la vie, la France
ne semble pas avoir pris dans l'ensemble un excellent départ. Nous avons
un certain nombre de chercheurs français, que je présenterai ici.
Peut-être pourrez-vous nous rassurer au cours de ces débats, et
nous indiquer quelles initiatives sont prises, quelles réalisation sont
en voie d'accomplissement, quelles suggestions vous semble devoir être
faites afin de participer à cette compétition qui, sans aucun
doute, marquera la fin de ce siècle.
Le système des brevets en vigueur en France ne semble pas donner
satisfaction compte tenu de l'existence du mécanisme américain.
Vos débats pourraient permettre de faire des suggestions de
réforme de ce secteur compte tenu du caractère structurant de ces
technologies.
J'ai inclus dans cette table ronde les problèmes des pays en voie de
développement, car ceux-ci, à l'exception d'un certain nombre,
restent absolument à l'écart de ce grand mouvement de recherche,
alors qu'ils pourraient en être les premiers bénéficiaires
-cela été dit tout à l'heure, y compris par
Jean-Marie Pelt- compte tenu des immenses difficultés que
rencontrent leurs agricultures.
Pour débattre de ces questions, sont présents :
- Daniel Cohen, Directeur général de Genset, que je
remercie de sa présence,
- Antoine Danchin, chef du département de biochimie et de
génétique moléculaire à l'institut Pasteur, dont
vous avez lu un grand nombre d'articles dans "La Recherche ",
- Claude Fauquet, qui travaille sur les pays du sud, puisqu'il est
directeur de recherche à l'ORSTOM, et co-Directeur de l'ILTAB en
Californie. Il expliquera ce qu'est l'ILTAB et sur quel sujet il
travaille ;
- Guy Paillotin, Président de l'INRA
- Georges Santini, Directeur "éthique, environnement,
communication" de Rhône-Poulenc Agro monde.
Messieurs, je vous demande d'être brefs dans votre exposé
liminaire, pour qu'un débat puisse s'instaurer et pour que des questions
puissent être posées.
N'ayant pas de questions écrites, nous répondrons aux
questions de la salle lorsque l'on aura répondu à des questions
que je pourrais poser en tant que rapporteur.
M. Paillotin
-
On parle beaucoup des organismes
génétiquement modifiés, mais le génie
génétique n'a pas été inventé et n'est pas
utilisé exclusivement pour cela. Il est encore actuellement, et pour une
longue période, un outil irremplaçable en recherche fondamentale.
Or, en recherche fondamentale, le génie génétique
intervenant nécessairement en première ligne dans cette
discipline, la génétique est une voie bien souvent incontournable
pour comprendre les lois du vivant, comme vous l'avez rappelé.
Je sais que, dans un débat public certains, qui ne sont pas chercheurs,
peuvent se dire que l'on va trouver beaucoup de choses, mais se vont se
demander à quoi cela sert.
Les lois du vivant auxquelles nous nous intéressons dans la recherche
agronomique visent un certain nombre de fonctions assez utiles comme :
- la fixation de l'azote, pour déterminer si l'on en consomme plus
ou moins,
- la résistance naturelle à telle ou telle maladie ou tel ou
tel ravageur,
- la qualité des aliments (fruits assez sucrés ou pas...),
- la réponse à des signaux ; les plantes vivent dans
l'environnement ; elles ne sont pas aussi autonomes qu'un animal ; il
y a donc des signaux qui jouent sur la régularité des rendements,
ce que l'agriculteur demande le plus actuellement. Il y a aussi des signaux qui
permettent la mise en batterie des réactions de défense des
plantes, etc.
Or, la façon de bien comprendre la façon de fonctionner de tout
cela, qui est souvent un fait d'évidence pour l'agriculteur, mais pas
pour la biologie, c'est de déterminer les gènes qui gouvernent
ces fonctions, qu'il y en ait un ou plusieurs. C'est la méthode la plus
directe ; on a accès au logiciel et on peut alors comprendre la
façon dont les choses se déroulent.
Pour avoir accès à ce logiciel, on utilise constamment le
génie génétique, par exemple pour faire des mutants. Il
s'agit de modifier un gène, de façon éventuellement
aléatoire, et de voir si la plante a toujours ou n'a plus la fonction
que l'on examine. Dès l'instant où l'on a fait cette mutation,
notamment par génie génétique, on peut marquer,
reconnaître le gène changé, le repérer dans le magma
de gènes, l'isoler, le cloner.
Avec la détermination des génomes complets de plantes
modèles, on accélérera ce processus de décodage de
quantités de gènes d'utilité.
Ensuite, on utilisera encore le génie génétique, parce
qu'il faudra déterminer précisément si le gène que
l'on a observé régule bien la fonction que l'on veut
connaître. Pour cela, on réintroduira ce gène dans une
plante déficiente pour voir si l'on restaurera la
propriété.
Lorsque l'on aura fait tout cela, on se trouvera face au problème du
brevet, parce que l'on brevettera un gène dont on connaîtra les
fonctions. C'est tout le problème de la génomique.
J'insiste sur le fait que, dans ce cas, on utilise le génie
génétique comme un outil de détermination de fonctions,
mais que le résultat et la connaissance de ce qui gouverne les fonctions
ne sont pas nécessairement l'utilisation de cette connaissance pour
faire des OGM.
Ce peut être l'utilisation de ces connaissances pour savoir comment
déclencher des signaux de réponse par d'autres méthodes,
par exemple dans de la chimie fine ou autres, et ce sera surtout pour savoir
comment améliorer la sélection de plantes qui répondent
à nos demandes. Dans la mesure où, par exemple, une fonction
serait gouvernée par une dizaine de gènes, on ne s'amusera pas
dans l'immédiat à le faire par génie
génétique, à mettre ces dizaines de gènes dans une
plante.
On a donc un champ de connaissances énorme, qui pose des
problèmes d'appropriation des connaissances par la brevetabilité.
Je souhaite donner un exemple pour être bien clair sur l'utilisation. Il
s'agit du porc corse, qui est excellent. Les généticiens de
l'INRA, qui sont très sensibles au discours que je fais sur sa
qualité, m'ont dit qu'ils allaient faire de la génétique
classique sur la qualité du jambon corse. Je leur ai dit qu'il ne
fallait surtout pas le faire, parce que cette partie était liée
au goût ou à la culture, etc., et qu'ils devaient faire des
recherches sur la rusticité du porc corse.
En effet, l'agriculteur a besoin que son porc se porte assez bien dans la
nature et, si l'on peut simplifier cela, c'est bien, mais le goût et la
qualité ne sont pas déterminés que par des gènes,
mais également par l'idée que l'on s'en fait.
La connaissance des gènes doit donc être assez large, et supposera
ensuite une utilisation pertinente.
M. Danchin
-
Je parlerai d'abord de l'histoire, puisque vous
avez un peu fait allusion à l'histoire et à la position de la
France.
Il a été très difficile de mettre en place des programmes
" génomes " en France.Cela a commencé au milieu des
années 80 et c'est d'ailleurs à cette époque que j'ai
rencontré Daniel Cohen. Il a fallu des combats très longs et
difficiles pour persuader les pouvoirs publics, les différentes
institutions de recherche, que la génomique était le futur de la
génétique.
Je vais vous dire brièvement pourquoi c'est le futur de la
génétique et ce qu'il y a dedans, en vous parlant plutôt
par allégorie qu'en citant des gènes spécifiques, pour
essayer d'illustrer la façon dont les choses se passent à mon
avis.
Tout d'abord, il faudrait que vous essayiez d'oublier l'image mécaniste
du monde. Nous avons toujours une image horlogère, dans laquelle on
pense que les choses sont des rouages qui peuvent être associés
les uns aux autres, et qu'avec ces rouages, on peut prédire ce qu'il se
passera dans l'avenir.
La propriété tout à fait remarquable de ce que l'on
découvre dans les génomes est que l'on peut avoir un
système entièrement déterministe, mais entièrement
imprévisible. La particularité originale des organismes vivants,
ce qui fait qu'ils ont envahi la terre comme systèmes matériels,
c'est qu'ils sont capables, face à un avenir imprévisible, de
produire de l'imprévu.
C'est un point essentiel, qui devrait toujours être présent, quels
que soient les débats que l'on ait à propos de la
génétique. C'est effectivement ce que l'on découvre
dès que l'on commence à étudier les génomes.
Lorsque l'on commence à se rendre compte de ce qu'est un génome
et de ce que sont les gènes qu'il contient, on s'aperçoit que
c'est bien autre chose qu'une collection de gènes.
Tel qu'on l'entend d'habitude, par exemple breveter des gènes, d'une
certaine manière cela me fait rire. Dans certaines cas, il est tout
à fait imaginable de le faire ; je vois d'ailleurs plutôt une
protection de type
" copyrights ".
En revanche, il est en
général impossible de prédire la fonction d'un
gène : je vous en donnerai quelques exemples.
Je pense d'ailleurs qu'il y aurait une activité inventive réelle
qui devrait faire tomber les brevets de séquence pour quelqu'un qui
découvrirait l'activité réelle d'un gène.
Le premier exemple est une image très ancienne : l'une des
questions de l'oracle de Delphes. Il posait des questions aux passants, dont
celle-ci : "j'ai une barque faite de planches, et ces planches s'usent une
à une. Après un certain temps, elles sont toutes
changées ; est-ce la même barque ?"
Le propriétaire répond oui et il a raison.
La biologie est une science des relations entre objets beaucoup plus qu'une
science des objets. Bien entendu, pour comprendre les relations entre objets,
il faut connaître les objets, mais il est essentiel de comprendre cela.
C'est ce qui rend la biologie très abstraite, très difficile
à comprendre.
D'autre part, la biologie dérive d'une science très
différente qui, pendant longtemps, était une science des objets,
la chimie. Elle est d'ailleurs en train de changer. Elle a été
dominée par la biochimie ; on a purifié les objets ; on
a fait ces collections d'objets, et l'on a fait comme si l'on comprenait la vie.
Or, les génomes sont en train de nous montrer que c'est tout à
fait autre chose, quelque chose de beaucoup plus riche, qui compose la vie.
C'est justement de comprendre les relations entre les différents objets,
qui font qu'une cellule est une cellule.
Telle est la découverte de la fonction. Il est très difficile de
découvrir la fonction. Il ne suffit pas d'avoir les gènes. D'une
certaine manière, au cours de l'évolution de la vie, les choses
se passent de la façon suivante : le triplet qui permet à la
matière de produire la vie est : variation, sélection,
amplification.
Dès qu'un système matériel a ces trois
propriétés, il commence à évoluer. Il évolue
tout seul et, en évoluant, il produit des fonctions ; ces fonctions
capturent des structures pour être effectuées, et elles capturent
ce qu'elles ont à leur portée.
Je vous donne un exemple simple : c'est l'été, je suis
à mon bureau, il y a des papiers partout, la fenêtre est ouverte
dans mon dos. Je lis un livre ; le vent se lève ;
immédiatement, je pose le livre sur les papiers pour qu'ils ne soient
pas dispersés. Le livre vient d'acquérir une fonction qui n'a
rien de commun avec ce que j'étais en train d'en faire ; c'est un
parallélépipède lourd, donc un presse-papier.
La biologie, les organismes vivants fonctionnent ainsi. Ils capturent des
structures pour en faire des fonctions au fur et à mesure des
contraintes apportées par l'environnement.
Un exemple est simple : on prend le cristallin de l'oeil, on isole les
protéines qui s'appellent les cristallines, on cherche le gène.
On sait que ce sont des cristallines, donc on connaît leurs fonctions et,
surprise, on découvre que ce gène est celui d'une enzyme.
Si l'on avait uniquement le génome, on aurait dit que c'était une
lactate déshydrogénase qui, en présence de lactate, donne
du pyrumate dans telles circonstances. Vous auriez absolument tort ; cette
protéine a pour fonction d'être transparente lorsqu'elle est
concentrée.
Le fait de breveter des séquences me paraît donc tout à
fait discutable, et je pense que, lié au génome, il est essentiel
d'être capable d'annoter du génome, c'est-à-dire de mettre
des fonctions en face des séquences. Et cela ne peut pas se faire par la
simple analyse par prédiction de structure. La structure ne dit pas la
fonction. La plupart du temps, c'est la fonction qui capture une structure.
Il me semble qu'à ce propos, on devrait réfléchir, en
termes juridiques, à ce que signifierait la propriété
intellectuelle dans le cas de la découverte de fonctions de gènes.
M. Cohen
-
On peut discuter très longtemps du
problème de la brevetabilité du génome et des gènes.
La génomique française, n'a pas mal commencé, au
contraire. Elle a très bien commencé, en 1982. Bien qu'il fut
difficile de convaincre, comme toujours, les autorités scientifiques de
l'importance de ces projets, ils ont pu néanmoins être faits, et
en avance sur les Américains, parce que nous avons été
financés par des fonds privés. On n'a pas demandé la
permission aux institutions de l'époque de créer la
génomique.
Il s'est agi de legs, ou du Téléthon, qui a joué un
rôle extraordinaire dans la position française sur le
génome. Depuis que les fonds privés se sont taris, pour de
multiples raisons, la génomique publique française va moins bien.
Mais il ne faut pas oublier que nous sommes un pays de 60 millions de
personnes et que, si nous nous comparons aux 300 millions
d'Américains, on fera toujours moins en quantité que ce qu'ils
peuvent faire, puisqu'ils peuvent affecter beaucoup plus d'argent au secteur
public.
Mais ce n'est pas grave. Ce qui est plus grave, c'est que, quelles qu'en soient
les définitions, la génomique est passée dans le secteur
privé depuis quatre ou cinq ans ; elle n'est plus tellement dans le
secteur public. Les masses d'argent et les différences de culture sont
telles entre les Etats-Unis et l'Europe, que l'on peut vraiment commencer
à s'inquiéter.
Je pense que le potentiel humain européen n'a rien à envier
à ce qui existe aux Etats-Unis. J'ai toujours été
impressionné par le niveau intellectuel de nos collègues
scientifiques américains, qui sont exactement comme nous. Notre
système d'éducation étant très élitiste en
France, on a parfois des génies, mais qui sont devenus des mendiants
pour capter des capitaux ou des fonds pour travailler.
Ce qui manque pour franchir le pas, c'est un changement culturel drastique pour
que nos chercheurs n'aient plus ce rapport à l'argent très
français, très européen, où l'argent est sale.
Lorsque j'étais étudiant en recherche, et même
après, on m'a appris qu'il ne fallait pas travailler avec l'industrie,
que l'on s'alliait alors avec le méchant capital.
Cette notion existe encore actuellement. J'ai franchi le pas il y a deux ans
dans le privé ; " le Canard enchaîné ",
" le Monde ", " Libération ", " Minute "
ont stigmatisé cette opération. Il faut voir les choses telles
qu'elles sont.
Il faut être imperméable à cela. Je le suis heureusement,
mais je ne suis pas sûr que tout le monde le soit. Certains grands
chercheurs risquent de ne pas vouloir franchir le pas à cause des
critiques potentielles de leurs collègues ou des médias sur
ce genre d'opération. Je pense donc qu'il faut un changement de culture.
En second lieu, ce qui manque terriblement, ce sont non pas des scientifiques,
mais des managers, des personnes capables de diriger des entreprises, qui ne
soient pas scientifiques, qui soient capables de gérer des
opérations de passages en bourse, etc. C'est très
difficile ; on n'a pas ou très peu en France de filières de
création de managers en biotechnologie.
Hormis cela, je pense que tout existe pour que l'on puisse créer en
Europe des structures très compétitives avec celles des
Américains. Rien n'est perdu, parce que le combat ne se joue pas
maintenant mais sur les cinquante ou cent ans qui viennent. Tout est encore
à faire.
Quant aux brevets, je pense qu'Antoine Danchin a bien résumé le
sujet. On ne peut breveter que des inventions, et pas seulement des
gènes. Si je découvre un gène dont je démontre
qu'il est impliqué dans le cancer de la prostate, je ne peux breveter
que cette application, si j'ai démontré qu'il est impliqué
dans le cancer de la prostate, pas seulement au vu de la séquence.
Si quelqu'un d'autre trouve que le même gène a une application
dans la schizophrénie ou dans la dépression, le premier brevet
sur le cancer de la prostate ne protège pas pour ces maladies.
C'est vraiment la découverte de l'application qui conditionne le brevet,
et tout le monde est d'accord sur ce point.
Il faut un peu moins d'émotion vis-à-vis du brevetage. En effet,
breveter des gènes est devenu mal vu ; on le voit dans les
journaux ; dès que l'on parle de brevets de gènes, une sorte
d'hystérie se manifeste.
Rappelez-vous que l'on ne peut breveter que ce que l'on invente, et non pas ce
que l'on lit dans la nature, et qu'en second lieu, les brevets ne durent que
vingt ans. Que sont vingt ans dans l'histoire de l'humanité ?
Rien. Que des investisseurs veuillent protéger leurs investissements
pendant une petite période temps ne me semble pas réellement
répréhensible.
Il s'agit donc beaucoup de problèmes culturels plus que des
problèmes pratiques.
Enfin, notre administration est-elle prête à favoriser ces
transferts du privé vers le public et du public vers le
privé ? Je ne le crois pas. Tous les ministres que j'ai connus ont
voulu le faire et cela a toujours été bloqué par les
administrations qu'ils dirigeaient, notamment par les énarques, pour de
multiples raisons dont je pourrais vous parler longuement.
Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés à nous battre
contre cette couche pour essayer de faire en sorte que les passerelles se
fassent réellement, pour des raisons dont nous pouvons débattre
un peu plus tard.
M. Fauquet
-
Je suis français et, depuis une dizaine
d'années, je travaille aux Etats-Unis, non pas pour une firme
américaine ou un institut américain, mais pour un institut public
de recherche français, l'ORSTOM.
Nous avons monté un laboratoire franco-américain aux Etats-Unis,
pour la simple raison qu'en 1988, lorsque j'ai eu cette idée d'utiliser
le génie génétique pour le Tiers-Monde, je n'ai pas
trouvé en France un environnement me permettant de le faire. Nous
l'avons donc fait aux Etats-Unis.
En second lieu, pour ceux qui ne le connaissent pas, l'ORSTOM est un institut
de recherche public français qui a pour objet de travailler dans le
Tiers-Monde et d'aider, en faisant de la coopération, plusieurs pays du
Tiers-Monde. Nous avons environ 2300 chercheurs et techniciens, qui
travaillent actuellement dans plus de cinquante pays dans le monde.
C'est notre profession que d'aider au transfert de technologies ou
d'améliorer les connaissances pour ces pays, pour qu'ils aient une
chance de mieux s'en sortir.
Tout à l'heure, Monsieur Jean-Marie Pelt dit qu'il n'y avait pas de
possibilité d'augmenter la croissance de la production dans le
Tiers-Monde. A mon sens, cette façon de voir les choses n'est pas
très juste. En effet, à l'heure actuelle, les plantes tropicales
dans le Tiers-Monde ne produisent guère plus qu'une dizaine de pour cent
de leur potentiel.
On pourrait donc multiplier par cinq, six ou dix la production de pratiquement
toutes les plantes du Tiers-Monde. En effet, toutes ces plantes sont soumises
à des problèmes de maladies, d'insectes, de ravageurs qui
limitent cette production, parce que l'on n'a pas les connaissances
nécessaires pour pouvoir exprimer le potentiel de ces plantes.
Enfin, on a mentionné tout à l'heure les problèmes de
salinité de sols, de sécheresse, de limitation en eau, etc. On
pourrait donc multiplier de façon extraordinaire la production des
plantes dans le Tiers-Monde.
En fait, je pense que c'est véritablement dans ce domaine que se
trouvera le "boum" du prochain millénaire. On aura au même endroit
des plantes qui n'auront pas exprimé leur potentiel et une main-d'oeuvre
pléthorique, avec un taux très bas.
Cela m'amène à parler de la relation public/privé. Depuis
vingt-sept ans que je travaille dans ce secteur, nous avons toujours
été les parents pauvres ; nous n'avons jamais d'argent,
jamais de moyens. Très peu de personnes sont concernées, dans les
pays avancés, pour faire le transfert de technologies vers le
Tiers-Monde, parce qu'il n'y a pas de marchés industriels, pas
d'argent.
Cela n'intéresse personne en dehors de la philanthropie d'un certain
nombre de nations comme la France, qui consacrent une partie conséquente
de leur budget à cette aide, peut-être dans certains cas
liée à des occasions de développement industriel, mais
avec une optique a priori philanthropique.
Je pense que cette situation est en train de changer. Depuis deux ou trois ans,
je suis personnellement très surpris de constater que beaucoup de
compagnies, essentiellement mais pas uniquement américaines,
également européennes, qui n'étaient pas du tout
intéressées par le Tiers-Monde, le deviennent de plus en plus.
La raison en est le génie génétique, l'outil
génétique et la biodiversité. Toutes les plantes que l'on
cultive dans les pays avancés viennent en très grande
majorité des pays en voie de développement. Maintenant, avec le
génie génétique, on a la capacité technique d'aller
chercher un gène dans un autre organisme et de le mettre dans la plante
que l'on cultive.
Pour donner un ordre de grandeur, il y a des centaines de milliers
d'espèces de plantes et on en cultive en gros cent cinquante. Il n'est
pas question que l'on revienne en arrière, que l'on remette en cause des
centaines, voire des milliers d'années d'amélioration du
maïs, par exemple.
On va donc continuer à améliorer le maïs, mais on a besoin
de nouveaux gènes, qui sont dans les pays du Tiers-Monde, dans les
plantes sauvages, qui n'ont pas été exploitées de
façon conventionnelle par la sélection, tout simplement du fait
de barrières de croisements qui empêchent de le faire.
Le génie génétique va maintenant nous permettre de le
faire, d'aller chercher des gènes de résistance à des
maladies, à des viroses, des bactérioses, etc. qui se trouvent
dans des plantes sauvages, et de les mettre dans des plantes cultivées.
Je reviens donc sur l'intérêt grandissant des compagnies
privées américaines et européennes, qui se disent
maintenant qu'elles auront besoin de plus en plus de gènes, que la
richesse sera de pouvoir disposer des gènes, les manipuler, les
intégrer où l'on peut en faire quelque chose.
Pour le riz, par exemple, il y a une douzaine d'années la fondation
Rockefeller a monté un programme de biotechnologie du riz, tout
simplement parce qu'en quantité, c'est la première
céréale produite dans le monde. On a pensé que, si l'on
travaillait sur cette plante, on avait des chances d'avoir un impact sur un
très grand nombre de personnes, donc d'avoir davantage d'impact sur
votre investissement.
Il y a une douzaine d'années, 84 millions de dollars ont
été dépensés sur ce programme et le riz, qui
était une plante très peu connue et peu étudiée,
est maintenant devenue une plante-modèle très
étudiée, qui a de nombreuses possibilités en
matière de recherche.
De ce fait, cette plante-modèle va devenir la deuxième
après
Arabidopsis
, que l'on vous a mentionnée tout
à l'heure. Maintenant, on parle du riz ; il y a un programme
international pour séquencer le riz et, en 2003, on aura probablement
complété la séquence du riz.
Toutes les compagnies privées que je mentionnais tout à l'heure
ont donc soudain vu l'intérêt de cette plante-modèle, mais
également la possibilité de l'utiliser comme l'un des
marchés les plus importants dans le monde dans le prochain
millénaire.
Je voulais simplement vous resituer le contexte. On parle toujours du
Tiers-Monde comme le parent pauvre, en invoquant la philanthropie, l'aide
gratuite pour justifier un certain nombre d'actions, etc... Mais je pense que
ce ne sera plus vrai très prochainement, et que la France, qui a investi
pendant des décades, la plupart du temps de façon
philanthropique, devrait continuer à jouer cette carte.
Il faut absolument que le secteur public, français entre autres, et
européen, ait son mot à dire, que l'on ne laisse pas toutes les
multinationales prendre trop d'avance, encore que l'on aura besoin d'elles
parce que, comme on l'a mentionné tout à l'heure, il est
impossible de travailler sans le privé.
Mais si l'on peut jouer à partenaires égaux, si l'on peut
apporter quelque chose, on doit absolument le faire. Je serai prêt
à répondre à des questions éventuelles plus tard.
M. Le Président
-
Je vais maintenant donner
la parole à Monsieur Santini, qui a eu plusieurs postes de
responsabilité chez Rhône-Poulenc.
Monsieur Cohen disait que, pour 60 millions d'habitants, la recherche
publique et privée fonctionnait plutôt bien dans ces domaines.
Nous reviendrons sur certains points que vous avez indiqués.
Daniel Chevallier est dans la salle et a fait le premier rapport sur les
biotechnologies à l'Assemblée nationale en 1991, à
l'époque où cela n'intéressait pas grand monde.
Aujourd'hui, on réclame le débat, mais il existait
déjà pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques.
Vu de l'extérieur, j'ai tout de même eu l'impression qu'à
l'époque, vous étiez en pointe, et que vous vous êtes
arrêtés un certain nombre d'années, qu'il n'y a
peut-être pas eu la même pression au niveau des recherches chez
Rhône-Poulenc. Pourquoi ? Si oui, est-il très important de
redémarrer maintenant ?
M. Santini
-
Pour compléter la présentation de
Monsieur Le Déaut, je souhaite dire qu'étant
moi-même fils d'un agriculteur corse de montagne qui a fait du porc
pendant plusieurs générations en ignorant tout de la
génomique, je comprends largement les bénéfices de cette
technologie. Je voudrais essayer de la partager avec vous avant de
répondre à la question précise de Monsieur
Le Déaut.
Pour replacer cela dans un contexte un peu plus général et
partant simplement de besoins fondamentaux de nos générations et
des générations passées, qui ont des besoins de se nourrir
et de se soigner, les hommes ont progressivement inventé et
découvert la chimie et la biologie. La génomique s'inscrit dans
une démarche de compréhension où l'on essaie de mettre au
point des modèles pour arriver à mieux satisfaire les besoins
fondamentaux que sont ceux de se soigner et de se nourrir.
En se cantonnant simplement à la nourriture et à tout ce qui a
trait à l'agriculture, les gènes sont très importants
à connaître et à étudier, qu'il s'agisse
d'organismes publics ou d'industries privées, qui ont des
finalités différentes. Les enjeux pour nos sociétés
sont considérables, comme les enjeux de la maîtrise et de la
connaissance des sciences chimiques et physiques.
Ces progrès ont été accomplis et ont permis
d'améliorer considérablement notre niveau et notre
espérance de vie au plan planétaire. Il est donc important de
travailler les gènes et de les connaître.
En effet, cela permet de mieux connaître des modèles. Comme en
chimie et en biologie, on a mis au point des modèles, qui ne sont qu'une
faible représentation de la réalité.
Tout à l'heure, on mettait l'accent sur la différence entre
l'aspect purement mécanistique et la compréhension des fonctions,
qui sont la traduction de l'extrême complexité du milieu dans
lequel nous vivons. Je pense qu'il est absolument important de connaître
ces gènes pour mieux construire petit à petit la
compréhension avancée de la prévision -nous sommes dans le
domaine de l'agriculture-, pour pouvoir mieux produire, mieux prédire,
donc amener ces progrès attendus.
Sans entrer dans les détails techniques de ce que va nous amener la
connaissance des gènes -Monsieur Paillotin les a donnés-, je
voudrais simplement insister sur l'importance de cette démarche. Je
mettrai l'accent sur l'importance de la connaissance, de l'investissement dans
le domaine de la recherche, qui va nous amener à pouvoir mettre au point
des cultures qui répondront mieux à nos besoins et amener ces
progrès attendus.
C'est un plaidoyer pour la recherche, et notamment celle des gènes,
comme on a investi et avancé dans le domaine de la connaissance de la
matière au plan chimique et physique.
Mon deuxième commentaire concerne les investissements en recherche, et
je me rapproche de la question de Monsieur Le Déaut sur l'industrie
privée, sur la façon dont l'industrie privée a parcouru
les temps et la façon dont elle voit la coopération avec les
instituts de recherche publics.
Je pense que, là encore, il est important de bien voir les enjeux
majeurs. Ils sont d'abord économiques, mais ils sont aussi
scientifiques. L'importance de cette description nous amène à
admettre et à reconnaître les bénéfices liés
à une coopération entre les recherches, qu'elles soient
fondamentales ou appliquées.
En disant cela, j'exprime le fait que la compréhension des enjeux
majeurs, qu'ils concernent l'alimentation ou la santé, amène les
scientifiques devant la problématique suivante, soumise par la politique
et la société : quels sont les verrous technologiques qui se
posent pour pouvoir satisfaire ces enjeux ?
Je donne un exemple qu'il n'y a pas dans le domaine de la culture, mais que
l'on comprend facilement : actuellement, on perd près de 40 %
de l'électricité dans son transport. Il y a donc un enjeu
économique associé à un enjeu scientifique, mais qui a une
problématique scientifique claire : trouver un matériau
supra-conducteur.
Dans le domaine des gènes, c'est pareil. Il existe des enjeux qui se
traduisent par des verrous technologiques que le scientifique est capable
d'exprimer avec son langage, derrière lequel des équipes se
mobiliseront pour les résoudre.
C'est toute l'explication et toute la logique qu'il y a derrière
l'importance de la coopération entre les chercheurs dans le domaine
public, qui feront avancer la science et la connaissance, et les chercheurs
dans le domaine de l'industrie ou des organismes plus appliqués, qui
traduiront cette connaissance fondamentale en termes appliqués et lui
donneront une notion et une valeur de progrès pour les
communautés.
Depuis quinze ans, Rhône-Poulenc est dans le domaine des biotechnologies.
Il a investi et continue à investir des sommes importantes dans le
domaine de la recherche dans les technologies nouvelles, et nous voyons les
biotechnologies comme une technologie nouvelle qui a ses potentialités,
qui soulève ses questions.
Nous avons maintenu ces investissements à un niveau constant.
Simplement, dans le cadre des progrès réalisés dans ce
domaine, le chercheur ne programme pas ses découvertes dans le
temps : on cherche mais on trouve également, et chaque
journée apporte ses résultats. Le chercheur a pu produire ses
résultats, mais à un certain moment, les marchés sont
prêts pour les accepter et les développer.
Toute découverte a un avantage si elle arrive à un moment
où elle est acceptée et où les progrès sont
clairement perçus et reçus. Cette mise en phase doit donc
s'opérer, et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles la
perception exprimée par Monsieur Le Déaut existe.
Quant aux brevets, je voudrais au préalable rappeler leur
finalité. Dans l'histoire, les brevets ont été
créés pour inciter les organismes à publier le
résultat de leurs recherche, en échange de quoi on leur
garantissait un droit privilégié vis-à-vis de
l'exploitation. C'est donc une finalité de publication et de partage des
résultats qui, à l'origine, justifie leur existence.
Telle est donc la mécanique, mais il ne faut pas oublier que les brevets
sont des résultats acquis après des investissements en recherche
lourds, et que le retour sur investissement qu'accorde le brevet permet de
réinvestir en recherche.
Il faut donc considérer le brevet comme étant un
élément du moteur global, l'essence de l'ensemble, qui permet
d'alimenter ce moteur de l'innovation qui fait progresser nos
sociétés et qui protège les résultats d'une
société ou d'un organisme public (les brevets ne sont pas
réservés aux sociétés privées mais
également aux organismes publics) en échange de la protection de
l'exploitation de la découverte.
Enfin, la découverte n'est brevetable que si elle apporte quelque chose
de nouveau et si elle apporte un progrès. Et je peux vous garantir que
les organismes officiels de tous les pays qui protègent les
déposants au titre des brevets demandent que ces critères soient
parfaitement respectés.
Si l'on n'apporte pas quelque chose de nouveau et un progrès, la
protection n'est pas assurée, et c'est en cela que l'on retrouve le
moteur de l'innovation et de l'économie, qui justifie que ces sciences
soient développées.
M. Le Président
-
Après tout ce qui
s'est dit, je souhaite poser une question à Monsieur Paillotin.
On vient de dire que, finalement, la recherche est d'un bon niveau, et que les
crédits se sont taris dans le privé. Dans le public, les
crédits sont-ils suffisants ?
A l'INRA, vous êtes en pointe dans ces domaines. Notamment dans de
nouveaux développements comme les puces à ADN, y a-t-il des
développements à l'INRA ou dans d'autres organismes de recherche
français ?
Avez-vous des crédits suffisants en génomique
végétale ? Quels sont les rapports entre le public et le
privé dans ce domaine ?
M. Paillotin
-
Je pense que les crédits de la
recherche publique sont bons en France. Le problème, c'est de pouvoir
donner un coup d'accélérateur dans certains cas, ce qui n'est pas
simple dans des budgets un peu reproductibles.
C'est donc le point que l'on rencontre actuellement, mais de façon
favorable -Monsieur le Député, vous aurez à le voir en fin
d'année- au niveau de la génomique, parce que nous avons de bons
moyens de développer de la génomique végétale et
animale (je ne parle pas de la santé).
Mais il faut donner un coup d'accélérateur et j'ai bon espoir que
les pouvoirs publics aideront la recherche publique et la recherche
privée à donner ce "coup de collier" dans les mois qui viennent.
Je rejoins ce qui a été dit par d'autres : il ne faut faire
de la paranoïa ni sur la génomique ni sur les brevets. L'INRA doit
juger de ses investissements par rapport à l'ensemble de la
filière agro-alimentaire. On parle beaucoup des OGM et des
biotechnologies ; c'est important et cela peut l'être sur un plan
stratégique mais, au départ, sur un plan économique, ce
n'est pas aussi évident.
Je rappelle souvent que les dépenses en produits phytosanitaires en
France sont de 15 milliards de francs et que le chiffre d'affaires de
l'industrie agro-alimentaire est de 750 milliards de francs. Il faut
donc cibler ces recherches.
L'industrie agro-alimentaire, qui n'est pas aussi présente que cela dans
ces débats, dira que ce qui compte pour elle, c'est le génie
agro-industriel. Sur le plan économique global, il faut donc faire
attention. Il faut veiller à l'aspect stratégique que pourrait
avoir la génomique. C'est plus délicat. Le fait de prendre des
gènes à tort et à travers dans tous les sens n'aurait
aucun intérêt.
L'idée est qu'il peut y avoir dans cette connaissance de base des points
de passage un peu obligés qu'il faut pouvoir maîtriser, ou au
moins échanger avec des partenaires. C'est là que l'on est
amené, en agro-alimentaire, à s'associer nécessairement
avec l'industrie.
Un organisme comme l'INRA n'a pas pour mission première de faire de la
génomique un trou noir qui pénaliserait le reste des
activités agro-alimentaires. En second lieu, il n'a pas la
capacité à lui seul d'avoir une stratégie de prise de
brevets qui soit cohérente.
Enfin, l'INRA n'a pas la capacité de faire seul les attaques contre les
breves indus car beaucoup de brevets ne tiendront pas. On le sait bien.
Il est vrai qu'il doit y avoir invention et pas simplement découverte.
D'ores et déjà, beaucoup de brevets sont un peu plus loin que
cela. Ce sont des batailles juridiques, mais l'INRA n'a pas les reins assez
solides pour faire ces batailles juridiques.
Ensuite, dans l'association avec l'industrie, il nous fallait faire deux
choses : maintenir les avantages existants (je parle cette fois-ci de la
génétique française) et protéger l'avenir sur le
plan stratégique.
Les avantages de la génétique française sont connus. Elle
est efficace. Elle est faite majoritairement par des PME innovantes, qui ont la
capacité et la maîtrise des méthodes classiques de la
génétique, et une maîtrise de quantités de
gènes qui nous sont enviés.
L'INRA ne peut pas abandonner cette maîtrise. On ne peut pas dire
que nous oublions cet avantage et que nous allons passer à un avantage
qui favorisera au contraire a priori des grandes firmes, voire des
multinationales. Il y a donc un vrai problème de stratégie
d'équilibre des forces.
L'INRA a un département d'amélioration des plantes qui comporte
mille personnes, ce qui n'est pas négligeable. Il y a une collaboration
totale avec les semenciers français qui sont dans une
problématique PME.
Il fallait que nous nous alliions avec ces firmes pour leur faire comprendre
leur intérêt dans l'avenir. Il fallait que nous ayons le support
d'un industriel, qui est Rhône-Poulenc. Pour pouvoir aborder tous des
problèmes de valorisation et de suivi des brevets, il fallait aussi que
nous nous associions avec les organisations professionnelles d'agriculteurs,
qui sont souvent, par le biais de coopératives, celles qui vont
distribuer ou faire utiliser ce progrès par les agriculteurs.
Ce travail de gestion, qui n'est pas de la science pure, est donc tout à
fait déterminant. Avant de lancer ce projet de génomique
végétale et animale, qui va démarrer quoi qu'il advienne,
nous avons également été amenés à discuter
assez précisément -ce n'est pas terminé- de la
façon dont nous allions gérer la propriété
industrielle, de manière à ce qu'il y ait un avantage pour tout
le monde.
Si nous gérons la propriété industrielle en donnant par
exemple à une firme très importante une main-mise sur des
semences classiques que l'on a développées avec des PME, nous ne
sommes pas dans notre rôle. Il a donc fallu arriver à un consensus
où chacun puisse profiter du système.
J'insiste beaucoup sur ce point, parce que l'on présente souvent les
choses comme étant scientifiques ou pas, mais elles sont aussi humaines,
sociales, etc., et elles sont l'affaire d'un équilibre.
Je ne sais pas si j'ai répondu à l'ensemble de votre question,
mais un projet de génomique en France démarre dans de bonnes
conditions. J'ai bon espoir que le financement public sera suffisant, et nous
ferons l'effort nécessaire, sans pénaliser les industriels de
l'agro-alimentaire dont j'ai rappelé l'importance tout à l'heure.
M. Le Président
-
Nous reviendrons sur un
certain nombre de questions.
Je voudrais maintenant poser une question à Monsieur Danchin, qui a
dit une phrase qui me paraît très importante : les organismes
vivants sont capables de produire de l'imprévu. Finalement, dans ce
domaine, qui est à la fois économique et psychologique -on l'a vu
avec les réactions des consommateurs-, et qui a des dimensions dans tous
les domaines de l'influence du développement des sciences et des
techniques, des conséquences économiques et sociales du
progrès scientifique et technique, l'imprévu ou le prévu
arrivent-ils où on les attend ?
Finalement, dans ce débat sur les OGM, où nous avons des tableaux
fortement contrastés selon les personnes qui parlent, le politique est
là même s'il a quelques capacités de compréhension.
C'est le cas d'un certain nombre de politiques mais, pour d'autres, ce n'est
pas leur formation. Ils entendent des experts ayant des avis totalement
opposés, et l'on est souvent confronté au paradoxe suivant :
prendre des décisions politiques dures sur des certitudes scientifiques
molles.
L'imprévu arrive-t-il où on l'attend ? Vous qui suivez
depuis très longtemps ces questions du développement de la
biologie, pouvez-vous nous dire si, finalement, toutes les peurs
indiquées sont les vraies peur ou s'il y en a d'autres ?
M. Danchin
-
Vous changez fortement le thème de
cette table ronde, mais je peux néanmoins essayer de répondre.
L'une des particularités de la recherche en biologie,
qu'expérimentent tous les jours les chercheurs, et qui trouble beaucoup
les jeunes chercheurs, c'est qu'en général, nous fonctionnons de
manière hypothético-déductive, c'est-à-dire que
nous faisons des hypothèses, nous prévoyons les réponses,
essentiellement par oui ou par non.
Nous construisons donc des organismes vivants ayant des
propriétés particulières, dont nous prédisons les
réponses, et la plupart du temps, au lieu de répondre oui ou non,
l'organisme vivant répond autre chose, qui n'a rien de commun avec ce
que l'on avait imaginé. C'est très éprouvant mais en
même temps tout à fait fascinant.
Il s'agit d'essayer de comprendre quelle est l'intégration des fonctions
qui produit cette innovation systématique. Evidemment, lorsque l'on
parle de cas extraordinairement ponctuels, par exemple la couleur d'une
cellule, ou ce qui va tout à fait à la fin d'un chemin
métabolique, en général mais pas toujours, on peut
prédire ce qui va arriver.
On peut à peu près prédire que, si l'on a touché
telle activité enzymatique à tel endroit parce que l'on
connaît les réactions chimiques, on changera la couleur de telle
ou telle manière. Mais, très souvent, dès que l'on remonte
un peu, on ne peut plus le dire. C'est ce que je vous ai dit à propos du
cristallin de l'oeil tout à l'heure.
C'est un point important, mais il y a un débat derrière :
celui de la certitude scientifique. Autant je pense qu'il ne faut pas
être relativiste, c'est-à-dire qu'il y a progression
systématique en science, qui est fondée sur le passé, la
création du savoir passé, autant je pense que nous
dérivons de deux traditions tout à fait opposées selon
lesquelles les scientifiques jouent souvent un rôle qui n'est pas le leur.
Je m'explique. Georges Dumézil, qui s'était beaucoup
intéressé aux mythes et épopées depuis l'Inde
jusqu'aux pays scandinaves et à l'Irlande, a remarqué que, dans
tous les mythes et épopées, y compris ceux qui sont à la
base de nos civilisations, on trouve trois fonctions principales : le
prêtre, le laboureur et le soldat. Ces trois fonctions sont liées
à une perception de l'environnement très particulière.
Il y a des personnes (les prêtres) qui entendent une vérité
et qui peuvent la donner ; ceux qui appliquent cette vérité,
les laboureurs, sont là pour cela, avec tout le succès que cela a
dans la culture ; si certaines personnes ne veulent pas comprendre, les
soldats sont là pour le leur faire comprendre.
Il y a longtemps, j'ai vu sur le fronton des églises en Algérie
"Deo ense et aratro" ("Par Dieu, par l'épée et par la charrue").
Cela dit explicitement une partie de notre culture, qui est typiquement celle
que l'on trouvait dans l'empire romain et que l'on trouve beaucoup aux
Etats-Unis actuellement, mais ce n'est pas la culture de la science.
Clairement, Dumézil, d'ailleurs avec un peu d'amertume, remarquait que
les mythes grecs, pour la plupart, n'entraient pas dans les trois fonctions. Le
personnage central chez les Grecs, c'est le philosophe, qui serait le savant
actuellement.
Le philosophe, c'est celui qui sait qu'il y a une différence entre la
réalité du monde et les modèles du monde qu'il fait, et
que, même s'il tombait sur la vérité -c'est ce que disait
Xenophane de Colophon il y a 2600 ans-, il ne pourrait pas le savoir.
C'est un dialogue constant entre modèle et réalité qui
fait la science, et aucun savant ne peut donc vous dire autre chose que ce qui
correspond à un modèle de la réalité et non
à la réalité. Dès qu'il se pose autrement, il se
pose en prêtre, et nous sommes dans une logique de pouvoir très
différente, celle du prêtre, du laboureur et du soldat.
Dans le débat des OGM, je me suis préoccupé de cela depuis
l'origine, en fait depuis d'Asilomar, et j'ai été explicitement
contre le moratoire Asilomar, précisément parce que je pensais
que l'on se trompait gravement de cible.
Pour des raisons qui seraient intéressantes à explorer
(peut-être parce que c'est une technologie nouvelle, peut-être
parce que c'était biaisé pour des raisons de pouvoir
économique de certains acteurs, etc.), il me semblait et il me semble
toujours que, dans un grand nombre de cas, les manipulations
génétiques qui se font
in vivo
, dans la nature,
spontanément (notamment dès que l'on utilise un engrais ou un
insecticide, ce que l'on fait chaque jour, ou, plus grave, lorsque l'on utilise
des antibiotiques en médecine vétérinaire, pour faire
grossir des animaux), sont des manipulations génétiques en vraie
grandeur qui, à mon avis, sont bien plus dangereuses que la plupart de
celles dont nous discutons, notamment à propos des
végétaux.
Cela étant, cela ne signifie pas du tout qu'il n'y a pas de
problèmes. Il faut se poser le problème de façon
explicite, mais ce qui me paraît le plus curieux et le plus grave, c'est
que les manipulations génétiques sont envisagées dans deux
domaines : un domaine médical et un domaine agronomique.
Dans le domaine médical, il n'y a curieusement pas de crainte et, dans
le domaine agronomique, il y a de grandes craintes. Or, je pense que l'on
devrait avoir des sentiments contraires.
Il y a un point que je considère comme très grave,
également lié à nos sociétés : nous
craignons systématiquement ce qui est différent et non ce qui est
proche de nous. L'histoire du sang contaminé est typique de cela :
personne ne craignait le sang et on ne craint toujours pas, curieusement, alors
que plus les organismes vivants sont proches de nous, plus ils sont dangereux,
parce qu'ils sont pré-adaptés.
Le peu de changement qu'il faut faire pour produire quelque chose qui
conduirait à une éventuelle catastrophe est presque fait.
Dans ce débat -c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu y
participer-, il me semble que, pour des raisons que je ne comprends pas
vraiment, les dés sont pipés, c'est-à-dire que tout est
entièrement lié à des sentiments, alors que personne ne
regarde les choses en face.
D'abord, à chaque fois que l'on utilise une technique,
c'est-à-dire que l'on met un engrais ou un insecticide, on fait des
manipulations génétiques. De toute façon,
l'amélioration génétique est à la base de
l'agriculture et il est clair qu'elle a altéré le paysage. Les
champs de Beauce sont presque des champs minéraux. On n'y voit plus un
insecte voler, et c'est terrifiant.
Je comprends l'attitude du public face à cette sorte de glissement
progressif vers un monde vivant mais presque minéralisé, dû
à une nécessité tout à fait réelle
d'augmentation de la population. J'ai une grand mère qui a plus de cent
ans, et elle a vu la population de la Terre plus que tripler depuis sa
naissance. Il s'agit d'une révolution extraordinaire, qui a pour
conséquence une altération générale de
l'environnement, sans compter l'urbanisation, et je comprends qu'il y ait de
nombreuses réactions liées à tout cela.
Mais je pense que ce qu'il se passe à propos des OGM est dangereux,
parce que, alors que je pense qu'il y a de réels problèmes (par
exemple le SIDA, où l'on a été capable d'arrêter
quelque chose de très dangereux, un projet lié à la
vaccination), lorsque l'on voit un objectif admis comme particulièrement
valable éthiquement, on ne se préoccupe plus des risques.
Le vrai problème est donc un problème
risques-bénéfices, dont il faudrait vraiment discuter calmement,
sans avoir besoin de "vedettes" qui parlent en public. C'est aussi la raison
pour laquelle, en général, je ne parle pas en public.
M. Le Président
-
Merci. C'est très
lié à la recherche et, comme vous me l'aviez dit en privé,
je souhaitais que vous donniez votre avis publiquement et que nous en
discutions éventuellement.
On revient à certains points abordés tout à l'heure,
notamment par Daniel Cohen, sur les relations public/privé, sur la
relativisation ou la paranoïa sur les brevets. Néanmoins, vous
n'avez pas répondu à ma question : y a-t-il des
différences techniques entre les systèmes de brevetabilité
de l'Europe et des Etats-Unis, qui sont à l'origine de handicaps pour
nous ? Cela intéresse les parlementaires.
En second lieu, vous avez été assez dur, notamment sur la
techno-structure, en disant qu'elle freinait finalement un certain nombre de
choses. Les possibilités actuellement discutées pour des
chercheurs de travailler en partie dans le privé, ou de traitement
fiscal et social des fonds investis dans des sociétés
émergentes sont-elles suffisantes ou pas ? Faut-il les
développer ? Si oui, quelles idées avez-vous pour faire en
sorte de les développer ?
Nous sommes au Parlement, et j'en profite pour dire que, sur cette
étude, on a l'unanimité totale de tous les groupes et de l'Office
parlementaire, Députés et Sénateurs, pour la conduire et
pour essayer de faire des propositions, et c'est important.
L'Office parlementaire est le seul endroit au Parlement où il y a des
Députés et des Sénateurs, et de tous les groupes
politiques. C'est donc l'un des endroits où l'on peut pousser un certain
nombre de choses qui ont des chances ensuite, dans nos assemblées
respectives, de passer les rampes législatives, ce qui est toujours
très compliqué.
En effet, il y a quelquefois des fonds de commerce qui ne sont pas les
mêmes dans nos différentes assemblées. Nous travaillons en
amont de la législation, et c'est un peu nouveau.
Vous dites que nous sommes bons ; je dis oui ; pour vous, c'est
certain. Pour le développement d'Evry, c'est certain ; pour des
collaborations en végétal avec Evry, c'est certain. Y a-t-il un
maillage ?
Je reviens d'universités américaines ; j'en ai vu plusieurs
dans le Middle-West américain. J'ai vu des développements dans
beaucoup d'autres universités. A-t-on le même type de
développements en dehors de Paris ?
Ces questions ne sont pas les seules que nous ayons à résoudre au
niveau de l'agriculture, comme le disait Guy Paillotin tout à
l'heure, mais elles sont importantes.
C'est d'autant plus important -et je le dis à ceux qui n'ont pas la
même perception- que la difficulté pour le Parlementaire
actuellement est de traiter à la fois du problème du
débat public qui n'a pas eu lieu et des enjeux au niveau de la recherche
et au niveau économique.
Nous sommes sur deux débats différents ; lorsque l'on traite
des enjeux ou de la recherche, on pense que l'on est en avance, que l'on a
déjà choisi, mais, en même temps, on a ces deux notions
à traiter de manière parallèle, et c'est difficile.
Monsieur Cohen, quelles sont vos positions sur toutes ces questions ?
Quelles suggestions feriez-vous ? Demain, nous auditionnerons le Ministre
de la recherche sur ces questions.
M. Cohen
-
Je n'ai pas dit que nous étions bons.
J'ai dit que nous avions pu être bons à un certain moment. Nous
avons été efficaces en génomique à un certain
moment et, les fonds privés s'étant taris, l'activité
s'est un peu essoufflée.
Lorsque l'on considère les publications sortant de France depuis trois
ou quatre ans, on constate que ce n'est plus du tout compétitif par
rapport à ce qu'il se passe ailleurs.
Je disais en revanche que le potentiel de formation en France était
extraordinaire. Le niveau des chercheurs est excellent.
Ce sont essentiellement les financements qui se sont taris, quoi que l'on en
dise.
Le deuxième point consiste à savoir s'il y a des
différences qui confèrent des avantages aux Etats-Unis en
matière de brevets, simplement par leur système de brevets.
Avant de parler de la qualité des brevets, déjà dans les
systèmes de brevetage américain, le secteur public
brevète-t-il ?
Les chercheurs académiques des universités américaines ont
été les premiers à breveter, depuis très longtemps,
parce qu'il s'agissait d'universités privées, qui recevaient
très peu de fonds publics, et que cela a été le moyen,
dans les universités comme Stanford, de continuer à vivre. Les
revenus de Stanford viennent pour la plupart des licences sur les brevets. Du
fait qu'ils en ont fait moins, cela commence à aller mal
financièrement.
De ce fait, les organismes vraiment publics comme le NIH ont commencé
à breveter, mais il y a très peu de temps (une dizaine
d'années), et pour avoir vécu cela, une chose est
extraordinaire : il y a vis-à-vis des brevets déposés
par les organismes publics américains, une préférence
nationale très forte. Lorsqu'une société français
essaie d'avoir une licence d'un brevet du NIH, on lui dit toujours que, si un
Américain veut ce brevet, il est prioritaire.
Je ne suis pas sûr que ce soit une stratégie adoptée en
France, d'abord parce que peu de brevets sont déposés, donc le
problème ne se pose pas tellement. Mais, s'il se posait, il n'y a pas
dans les textes de mention de préférence nationale. Je ne sais
pas si elle est bonne ou mauvaise, mais c'est assez difficile à
gérer parce qu'en réalité, les sociétés
françaises comme Rhône-Poulenc ou même ma compagnie sont
toutes multinationales et ont des intérêts aux Etats-Unis.
Il y a une réflexion à avoir sur la façon dont les
organismes publics français attribueront les droit d'exploitation
lorsqu'ils brevètent. C'est une vraie question.
Existe-t-il des différences entre les natures des brevets existant aux
Etats-Unis et en Europe ? Il y en a encore quelques-unes. Certaines
choses, comme certains organismes transgéniques, sont brevetables aux
Etats-Unis et ne le sont pas en Europe. Il y a certainement une
égalisation à faire. Je ne veux pas entrer dans le détail
de tout ce qui est différent, mais ils ont en général des
admissions de brevets qui ne se feraient pas en Europe, que ce soit
justifié ou pas.
En second lieu, il y a une différence dans les publications. Lorsque
l'on brevète, on peut publier. Le brevetage est une source de mise dans
le public de l'information. En revanche aux Etats-Unis, on peut dans certaines
circonstances retarder la publication des données pendant
pratiquement cinq ans après le moment du dépôt. Est-ce
valable ou pas ? C'est également un grand débat.
Dans le domaine concurrentiel dans lequel nous vivons, la publication d'un
brevet peut être à notre désavantage, parce que le
concurrent peut toujours avoir une idée qui, bien qu'utilisant
l'idée du brevet, la contourne. Ce n'est donc pas toujours très
bon, à certains points que l'on évite souvent de breveter. On
préfère garder l'information technologique plutôt que la
breveter, pour garder la priorité pendant plus longtemps.
Quant à la troisième question, le développement potentiel
dans le secteur public en France est possible. Le problème, c'est qu'en
créant le Centre national de séquençage ou le Centre de
génotypage à Evry, on a créé un seul centre qui
diminuera les chances de la province de se développer. Je l'ai toujours
dit. Il valait mieux créer deux ou trois grands centres qu'un seul
centre énorme, mais cela a été fait ainsi.
M. Le Président
-
J'en ai parlé avec
Monsieur Tambourin du Génoscope. L'idée de faire quelques
centres satellites en se basant sur la formation des personnes ne serait-elle
pas la solution ?
M. Cohen
-
Oui, sur la formation et même sur la
production des résultats, tout simplement parce qu'il est dangereux de
confier un développement aussi important à un seul endroit, parce
qu'il peut y avoir des dérives dans un mauvais sens. Les idées
peuvent manquer à un certain moment ; n'importe quoi peut arriver.
En laissant à trois ou quatre centres en France l'occasion, même
d'entrer en compétition les uns avec autres, c'est beaucoup plus
stimulant et beaucoup plus sûr à long terme.
M. Le Président
-
Merci. Je vous donne
quelques chiffres que j'ai extraits d'un document du CNRS, sur les brevets
publiés par zone géographique dans le domaine des plantes
transgéniques :
- Etats-Unis : 49 %
- Europe : 31 %
- Japon : 14 %
- Reste du monde : 6 %
Nous avons l'évolution des brevets, et c'est de loin dans le domaine des
plantes transgéniques que l'évolution des brevets est la plus
importante dans le monde entier, avec une courbe énorme par rapport aux
brevets toutes disciplines confondues, et même aux brevets dans les
biotechnologies.
Un point est tout de même inquiétant -on le connaît et on le
redit dans chaque colloque ou congrès- : lorsque l'on compare les
documents publiés et les brevets publiés, on arrive aux chiffres
suivants :
- Etats-Unis : 40 % et 40,8 %
- Europe : 40,4 % et 31,1 %
- En Europe, c'est la France qui présente les plus mauvais
chiffres : 7,8 % de documents publiés, toutes sciences
confondues, et 2,9 % de brevets publiés.
Cela progresse peu d'année en année. Nous le redisons à
chaque fois, nous le martelons, mais il y a tout de même, ainsi que je
disais au début, une sorte de mal français.
Même si ce n'est pas la même problématique, nous l'avons
liée tout à l'heure ; on a peu parlé des pays du sud.
Monsieur Fauquet peut le développer, et je demanderai ensuite
à Monsieur Santini de répondre à toutes les questions
abordées dans la discussion, puis il y aura des questions dans la salle.
M. Fauquet
-
Avant de parler des pays du sud, je
voudrais simplement revenir sur le public/privé. Il faut se rendre
compte du fait que le privé a la puissance, l'argent. Monsanto peut
acheter 2,5 milliards de dollars de compagnies en un an, mais ce que le
privé n'a pas, c'est la créativité ; c'est un pool de
scientifiques où il se passera des choses.
Cela provient du fait que la créativité ne peut pas se
prédire, se prévoir, se planifier. Or, toutes les compagnies
privées planifient leurs résultats, leurs investissements, etc.
Cela m'amène à la comparaison France-Etats-Unis. Il est vraiment
flagrant qu'aux Etats-Unis, il y a une énorme quantité
d'investissements du secteur privé dans les universités pour
cette simple raison. A l'heure actuelle, on assiste même à des
situation extraordinaires. Dans l'institut où je travaille, des
compagnies viennent proposer d'investir pendant cinq ans 1 million
de dollars par an sur ce que l'on veut, parce que l'on ne peut pas
prédire quels seront les nouveaux développements, les nouvelles
découvertes, etc.
En revanche, on peut prédire la technologie qu'il y a dans un endroit
donné, les compétences, les cerveaux, etc. Il y a donc un
investissement constant du privé dans le public pour alimenter cette
créativité, que l'on traduira ensuite avec des brevets.
Cela m'amène à la discussion que nous avons eue tout à
l'heure : dans le secteur public américain, il y a beaucoup de
dépôts de brevets que l'on offre ensuite au secteur privé,
c'est-à-dire que les universités américaines brevettent
mais ne paient pas les brevets. Dès qu'elles ont déposé un
brevet, elles vont l'offrir au secteur privé, en partant du principe
que, si c'est intéressant, il investira et payera pour les brevets.
Mais l'université restera propriétaire ; elle aura des
royalties et un certain nombre de revenus, comme Stanford. Si l'on examine le
nombre de nouvelles petites compagnies privées ou d'investissements de
grosses compagnies autour des universités, on constate que c'est
concentrique. C'est extraordinaire ; on peut dessiner des centres autour
des universités.
Nous n'avons absolument pas ce mécanisme en France, et il faut
absolument le développer si l'on croit à l'interface
privé/public. Je suis un très fort partisan de cela, parce que je
pense que l'on peut associer la créativité, qui n'est pas
poussée vers des objectifs bien précis, et l'investissement et le
pouvoir financier, etc.
Je voulais faire honneur à mon voisin pour tous les concepts
philosophiques et théoriques qu'il nous apporte, auxquels je concours,
mais je pense qu'en plus du laboureur, du guerrier et du prêtre, nous
devons maintenant associer l'avocat.
Qu'on le veuille ou non, étant public, avec ma formation
française bien publique, etc., je suis confronté depuis dix ans
à ce monde privé, même dans une université publique
où l'avocat est très important. Je me suis rendu compte que, par
exemple, la valeur d'une découverte que nous avons faite en
laboratoire peut aller de zéro à un chiffre extraordinaire selon
que l'on trouvera les clients qu'il faut et un partenaire qui
défendra le brevet.
Cela fait la pluie et le beau temps. De ce fait, une découverte sera
exploitée ou pas, et c'est très important, dans ce monde
d'affaires, d'argent, de développement, etc.
C'est également la raison pour laquelle il doit y avoir une interface
entre le public et le privé. Une université publique, même
américaine, n'a pas les moyens de se payer vingt cinq avocats pour
défendre ses brevets, de dépenser 30.000 à
50.000 dollars par brevet pour le maintenir pendant trois à quatre
ans.
Or, c'est ce qu'il faut. C'est une règle du jeu nationale et maintenant
internationale qui a été mise en place, et qu'on le veuille ou
non, c'est ainsi. On doit donc absolument développer ces
différentes interfaces pour l'ensemble des raisons que j'ai
mentionnées.
Nous pouvons maintenant revenir au débat non plus public/privé,
mais pays avancés et pays en voie de développement. Comme je l'ai
dit tout à l'heure, on a toujours considéré qu'il y avait
d'un côté le sentiment que le Tiers-Monde demandait l'aumône
et de l'autre les pays riches qui donnaient gratuitement les trois quarts du
temps.
Je pense que l'on doit changer cette mentalité, parce que, dans la
réalité, la population ne se trouve pas dans les pays
avancés. La plus grande partie de la population se trouve dans des pays
en voie de développement et, en 2030, 90 % de la population s'y
trouveront. On ne peut pas ignorer cette situation, parce qu'il y a un aspect
masse énorme auquel nous devrons répondre.
Nous devrons aider ces pays à s'en sortir si nous ne voulons pas
nous-mêmes en souffrir. Nous devrons aider ces pays à
arrêter de couper leurs forêts si l'on veut garder la
biodiversité à notre avantage. Il faudra aussi que le secteur
privé, qui commence à investir dans le Tiers-Monde, investisse
davantage. Il faudra donc changer un certain nombre de mentalités.
On ne fera plus l'aumône aux pays en voie de développement. Nous
devons les considérer comme des sources de ressources biologiques
indispensables pour notre développement, et au travers de cela, nous
devons les aider eux-mêmes à s'en sortir et à se
développer.
Dans le secteur privé, plusieurs compagnies multinationales se sont
rendu compte de cet état de choses. Elles se sont rendu compte qu'avec
un milliard de Chinois, si chaque Chinois achète une graine de riz, cela
représente beaucoup de dollars. L'Europe doit absolument avoir la
même évolution. Nous devons récupérer une partie de
l'investissement que les pays européens, et en particulier la France,
ont fait.
Depuis des décades, on a investi sans le vouloir dans plusieurs pays du
Tiers-Monde. On les a aidés. Nous devons continuer à le faire.
Nous devons inciter nos industriels français et européens
à s'associer à cela et à investir dans ces pays, parce que
c'est là qu'il y a la biodiversité, c'est là que l'on va
trouver les milliers de gènes que l'on utilisera dans l'avenir.
Je termine par une remarque générale : je pensais que je
venais à un débat où on allait parler des organismes
génétiquement modifiés, les pour, les contre, les
avantages et les inconvénients ; je m'aperçois que nous
avons largement dépassé le débat, et je m'en
félicite pour plusieurs raisons :
- Tout à l'heure, lorsque je me suis assis, à
9 heures 30, j'ai eu l'impression de revenir dix ans en
arrière parce qu'il y a dix ans, j'ai participé à de
tels débats aux Etats-Unis, où la question était de savoir
si l'on était pour ou contre les OGM, etc.
Maintenant, ce n'est plus du tout la question. Il s'agit de déterminer
la façon dont on peut utiliser un certain nombre de gènes
à bon escient ou le mieux possible, en sachant qu'il y a des risques,
que l'on va faire des erreurs, qu'il y aura peut-être des catastrophes.
Mais c'est inéluctable ; c'est l'avancement de la science et l'on
n'y peut rien.
Essayons de le faire le mieux possible, de développer des recherches
nous permettant d'éviter les catastrophes et de se limiter simplement
à quelques faux-pas.
Il faut tout de même replacer les choses dans un contexte
général : dans une plante, il y a de 30.000
à 50.000 gènes ; jusqu'à présent, on
a étudié les gènes un par un, avec toutes sortes de
technologies, et cela peut demander trois, quatre, cinq, dix ans ou plus.
Parfois, on n'arrive pas à comprendre exactement la façon dont
cela fonctionne.
En ce moment, on passe la vitesse supérieure. On a des technologies qui
permettent d'étudier non plus un gène mais des milliers de
gènes en même temps. C'est ce que l'on appelle la "technologie des
puces à A.D.N.", et il faut que les compagnies européennes, que
le secteur public européen investisse dans ces nouvelles technologies.
On ne doit pas rater le train de ces nouvelles technologies, parce que l'on
pourra maintenant étudier des ensembles de gènes.
Les produits des gènes ne fonctionnent pas à l'unité. Ce
ne sont pas comme des petits individus placés les uns à
côté des autres ; il y a des interactions constantes dans les
cellules, où des milliers de protéines interagissent les unes
avec les autres, et c'est très compliqué.
C'est la raison pour laquelle la séquence elle-même ne nous
donnera pas la solution, ne nous donnera peut-être pas un certain nombre
de brevets, mais nous ne devons pas rater le train de la génomique.
Tel est le véritable débat d'aujourd'hui. C'est plus que le
génie génétique ; c'est de déterminer la
façon dont on va étudier tous ces gènes et
l'investissement nécessaire pour que l'on ne rate pas ce nouveau
train de la science, de façon à pouvoir mieux comprendre la
façon dont fonctionnent ces organismes et à mieux utiliser
certains de ces gènes qui, dans leur très grande majorité,
ne sont pas dans nos pays mais sont dans les pays du Tiers-Monde.
M. Le Président
-
Monsieur Santini,
voulez-vous vous exprimer ? Y a-t-il déjà des
questions dans la salle ?
M. Bernard Convent
(PGS) -
Je voudrais
demander à la table ronde, et plus particulièrement à
Monsieur Paillotin, comment on envisage la collaboration en matière
de recherche génomique végétale au niveau de l'Europe.
M. Paillotin
-
Au niveau de l'Europe, sur des parties
amont de la génomique, il y a des collaborations entre laboratoires
universitaires (j'entends recherche fondamentale) et l'INRA. Il n'y a donc
aucun problème.
Pour simplifier, certaines cartes génétiques ne peuvent
être obtenues que par la collaboration internationale. On citait tout
à l'heure le programme riz ; ce programme est très en amont
et est international.
Ensuite, c'est la partie où l'on commence à coupler une
recherche. Il ne faut pas "tourner autour du pot" : dans l'intitulé
de cette table ronde, on voit bien que c'est la partie qui reste recherche
cognitive amont, mais très liée à une valorisation
industrielle.
Il n'y a donc pas de raison de ne pas forger l'Europe mais, pour l'instant, on
n'y est pas tout à fait, et c'est le moins que l'on puisse dire. En tant
qu'INRA, nous restons donc pour l'instant assez nationaux ; pour
être clair, nous restons auprès de firmes qui paient des
impôts en France.
Il nous arrive donc de collaborer, même étroitement, avec des
firmes "étrangères", mais ayant une filiale en France, parce que
nous pensons que, pour l'instant, c'est malgré tout le contribuable
français qui nous alimente, et c'est parfois le contribuable
européen qui en a les bénéfices sans trop alimenter.
Nous essayerons de traiter ce problème dans les cinq ans à venir.
Au niveau du projet français, j'ai oublié de citer une grande
firme semencière qui est associée, dont le Président est
présent : Limagrain ; je vous prie de m'en excuser. Nous
partons avec des partenaires qui sont mondiaux, aussi bien Limagrain que
Rhône-Poulenc, mais nous ne sommes pas encore partis dans une optique
européenne.
Mais pourquoi pas ? Je sais que vous-mêmes, avez en Allemagne les
mêmes types de dispositifs. Comme l'a dit Monsieur Cohen, nous
sommes 60 millions d'habitants en France mais, en Europe, nous avons
davantage d'habitants que les Etats-Unis. Dans les parties fortement
concurrentielles au niveau mondial, nous aurons donc intérêt
à nous fédérer un peu plus sur les parties cognitives qui
sont très liées aux applications industrielles.
Je n'ai pas répondu à l'évocation des puces à
A.D.N. ; nous n'avons pas maîtrisé cette technique ;
elle est faite ailleurs et elle n'est effectivement pas aussi disponible que
cela. C'est donc un cas typique où il peut y avoir un verrou technique
qui vienne perturber notre "compétitivité intellectuelle", si
vous me passez cette expression.
Mais la France a réagi. Certaines organismes s'en préoccupent,
notamment le CEA et le CNRS, qui sont davantage dans leur métier pour
rattraper ce retard. On me dit que tout n'est pas encore bloqué par les
brevets, mais je ne suis pas spécialiste en la matière. C'est
tout de même un bon exemple de technique qui peut être
bloquée et il y a une possibilité pour la France, et pourquoi pas
l'Europe, de figurer dans la compétition.
M. Le Président
-
Sur le
développement des puces à ADN, Monsieur Cohen veut
peut-être dire un mot. Je rappelle en quelques mots que le
développement industriel des puces repose sur plusieurs
technologies : la combinaison de techniques de micro-électronique,
de chimie, de biologie moléculaire, d'informatique.
C'est un point important, parce que cela permettra de faire des percées
rapides dans le domaine du diagnostic et de la connaissance des gènes.
Lorsque l'on visite des laboratoires américains dans plusieurs villes,
on voit qu'il y a un développement de ces secteurs.
M. Cohen
-
Les puces à A.D.N. ont
été inventées en Europe, et non pas aux Etats-Unis. Elles
ont été inventées à Oxford par un collègue,
Ed Savlern, qui a déposé un brevet qui fait toujours souffrir les
industriels américains ayant commencé à développer.
Mais je pense qu'il faut être très à l'aise et tranquille
pour ces problèmes de puces, parce que l'on en développe en
France, en particulier au CEA, et en Europe. Je crois qu'il y a eu une
publication la semaine dernière dans "Science", où un groupe
allemand a créé de nouvelles puces encore plus performantes que
celles que l'on voit aux Etats-Unis.
Mais en tout état de cause, ces technologies sont faites, non pas pour
être gardées par les industriels, mais pour être vendues par
eux. Autrement dit, tous les chercheurs, publics ou privés, auront
accès à ces technologies parce qu'ils achèteront ces
puces.
Il ne faut donc pas trop s'inquiéter. La puce est un outil de
recherche, et il est tellement universel qu'il ne pourra pas être
monopolisé par un ou deux industriels. Ce n'est pas possible parce qu'il
y a la concurrence.
Il existait une compagnie de puces à A.D.N. il y a quatre ou cinq
ans ; il en existe maintenant une quinzaine. Ce qu'elles veulent faire,
c'est tout simplement vendre de la puce.
M. Le Président
-
Je souhaite poser une
question à tous ceux qui sont autour de cette table ronde :
finalement, les Suisses organisent une "votation", c'est-à-dire un
référendum, le 7 juin ; j'ai d'ailleurs eu un texte
très clair de l'Académie des sciences et de l'Académie de
médecine à ce sujet.
Ce référendum précise en modifiant la Constitution
suisse :
"
Sont interdits la production, l'acquisition et la remise d'animaux
génétiquement modifiés, la dissémination
d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement,
l'octroi de brevets pour des animaux et des plantes génétiquement
modifiés ou des parties de ces organismes, pour les
procédés utilisés à cet effet et pour les produits
en résultant.
D'autre part, la législation établit des dispositions concernant
la production, l'acquisition et la remise de plantes
génétiquement modifiées, la production industrielle de
substances résultant de l'utilisation d'organismes
génétiquement modifiés, et enfin la recherche utilisant
des organismes génétiquement modifiés susceptibles de
créer des risques pour la santé humaine ou pour
l'environnement.
"
Tel est le texte de la "votation". J'étais en Suisse dans le cadre de
mon étude. Je suis allé en Autriche, en Suisse, aux Etats-Unis,
et je vais continuer dans le temps qu'il me reste. Que pensez-vous de cela en
tant que chercheurs ?
M. Cohen
-
Ils ont parlé du droit de vote des
femmes, qui était encore pratiquement interdit il y a quelques mois et
qui vient d'être pratiquement rétabli.
C'est tout à fait exagéré. Je pense que la grande erreur
d'avoir une attitude anti-science et anti-technologies, ce que l'on voit
apparaître dans une couche d'intellectuels en Europe, en France et en
Allemagne en particulier, c'est que sur le plan philosophique :
- quoi que l'on veuille, la terre disparaîtra dans quelques
milliards d'années, donc que notre population disparaîtra ;
- quoi que l'on veuille, on ne sait pas quels risques nous guettent ;
n'importe quelle maladie peut arriver à n'importe quel moment ; le
SIDA en est un exemple. La grippe de HongKong a tué
quatre personnes sur dix-neuf, soit 20 %. Si des personnes de
HongKong n'avaient pas réagi de façon très rapide et
très efficace pour tuer tous les poulets, l'épidémie se
serait peut-être étendue, et 20 % de l'humanité aurait
été en danger.
A de telles histoires, à des météorites qui tombent, ou
à la disparition de la terre dans quelques milliards d'années, la
seule réponse est "encore plus de connaissances et encore plus de
technologies". Je ne vois pas d'autre façon de répondre, sauf si
l'on admet que tout peut disparaître et que cela ne nous pose aucun
problème.
Une attitude de ce type est donc irresponsable face à nos enfants.
M. Danchin
-
Autant je suis d'accord avec
Daniel Cohen sur le fait que la "votation" suisse est fondée sur un
certain nombre d'absurdités, autant je pense que l'on peut difficilement
faire une réponse du genre de celle qu'il a faite.
Le fait de dire que les choses peuvent être catastrophiques, donc que
l'on peut faire n'importe quoi, me paraît franchement discutable. Je
pense que c'est l'une des raisons qui sont précisément à
la base du texte suisse. Si les savants répondent ainsi, je comprends
très bien le public, qui a l'impression que l'on se moque de lui, et qui
a raison.
M. Cohen
-
Je n'ai pas dit qu'il fallait faire
n'importe quoi. J'ai simplement dit qu'il ne fallait pas ne rien faire au nom
de la peur de faire n'importe quoi. Or, c'est ce qu'il se passe très
souvent maintenant. Au nom des idéologies politiques ou autres, on ne
doit plus rien faire.
C'est l'excès inverse qui ne me paraît pas acceptable.
M. Joël Chenais
(Responsable de la Commission
environnement des Verts, généticien de formation) -
Je
pense que le débat d'aujourd'hui n'est effectivement pas simplement
"pour ou contre les OGM" mais qu'il est "que fait-on des connaissances ?",
dont le développement était bien évidemment une
nécessité absolue. Si l'on prend conscience des problèmes
d'effets de serre, c'est bien parce que certains travaillent sur le climat et
sur d'autres problèmes.
La question est "Comment décide-t-on de l'usage de ces
connaissances ? Quelle place au débat public ? Quelle place
à la prise de décisions collectives ? Quelle place pour les
hommes politiques dans ces processus de décision de développement
des technologies ?"
Ne croyez-vous pas que le financement des chercheurs publics (mais aussi des
recherches qui sont à la frontière recherche fondamentale
recherche appliquée) par des intérêts privés,
conduit justement à court-circuiter ces processus de décision
collectifs, qui devraient avoir lieu dans le cadre de l'utilisation des
connaissances ?
Je souhaite également poser une question directement à Monsieur
Le Déaut : ne croyez-vous pas, d'une certaine façon,
que la place des politiques est court-circuitée, lorsque justement des
intérêts privés prennent des brevets et décident de
développer des technologies à partir de connaissances qui doivent
être développées ?
M. Paillotin
-
J'avais commencé ma
première intervention en disant qu'il ne fallait pas "tourner autour du
pot", que les individus se demandaient pourquoi on faisait tout cela et
à quoi cela servirait. C'est l'une des questions très importantes.
Je suis d'accord avec les propos de l'intervenant, sauf sur un point. Il y a
une notion importante : ne pas limiter la capacité d'acquisition de
connaissances, à condition, en retour, d'expliquer ensuite ce que l'on
peut en faire.
J'ai écrit quelque chose à ce sujet, en indiquant, au moins pour
l'agroalimentaire -c'est moins évident pour la santé-, que l'on
devait envisager une phase de co-responsabilité entre le citoyen et le
chercheur, sur les applications de la biologie à l'agroalimentaire,
parce que le consommateur a le droit de nous dire ce qu'il veut manger. Le
citoyen a le droit de dire comment il veut voir l'environnement.
Ensuite, comment faire ? C'est une excellente question. Le point sur
lequel je ne suis pas d'accord est le suivant : je ne pense pas que ce
soit le problème du lien avec l'industrie qui pose cette question.
Malheureusement, beaucoup de chercheurs, avec beaucoup de naïveté,
pensent savoir à la place des individus. Ils pensent parfois même
mieux savoir que les industriels qui, connaissant le marché en
agroalimentaire, savent que certaines choses ne passeront pas. Il y a une
sanction assez claire.
Il faut donc trouver des méthodes de discussion pour que les chercheurs
s'ouvrent et parlent avec des panels, comme vous le faites maintenant.
A l'INRA, nous essayerons -c'est un peu laborieux- de créer de tels
panels en interne. Je peux dire ici que je vais en créer un qui n'est
pas si simple à monter, en tout cas sur les questions de vigilance par
rapport à l'éthique en matière de biotechnologies ou de
clonages.
En général, dès que l'on parle de cela au chercheur, il
n'y a non seulement pas de résistance, mais il y a plutôt un
intérêt. Cette situation contraire à la
co-responsabilité, qui s'appelle l'abstention, est plutôt due
à un manque d'éveil d'esprit sur les questions.
Je dissocierais cela complètement des contrats avec l'industrie, qui
sont un autre problème. Il s'agit de savoir comment mettre un
contrôle de qualité au sein d'un organisme, entre ceux qui
travaillent avec des contrats industriels et ceux qui viennent en aide à
la décision publique, par exemple sur la sécurité des
organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.
Il est très clair que, dans ce cas, il faut séparer par des
contrôles de qualité ceux qui travaillent avec l'industriel pour
faire éventuellement des organismes génétiquement
modifiés et ceux qui vont modifier sur le terrain.
C'est faisable.
M. Le Président
-
Avant que je donne la
parole à Philippe Roqueplo, écoutons la réponse de
l'industriel qui est interpellé, et je terminerai en conclusion par la
réponse du politique.
M. Santini
-
Vous posez les bonnes questions, mais je
voudrais tout de même dire qu'il faut bien voir que l'industrie
n'exploite pas ses découvertes et ses produits, et ne répond pas
aux demandes des marchés de manière totalement libre.
Je souhaite simplement citer trois critères :
1° un critère stratégique où, compte tenu du
niveau très important des sommes investies dans le développement
des produits, on ne peut pas faire n'importe quoi, premièrement parce
que l'on veut être là demain, et aujourd'hui il y a une
nécessité de participer à la compétition dans les
années futures.
Cela signifie qu'il faut faire les bons investissements et les choix. On ne
fait donc pas n'importe quoi.
En second lieu, il y a nécessité d'avoir une vision globale -et
par "globale", j'entends planétaire- sur les technologies qui sont
développées et proposées sur les marchés, parce
qu'actuellement, la compétition se déroule au plan international.
Il faut donc également participer sur ce plan.
2° La réglementation. Sans entrer dans le détail
technique des différentes réglementations en place, les
industries qui ont investi dans le domaine des biotechnologies et du
génie génétique sont pour une bonne partie des
industries issues de la protection des cultures.
Or, l'industrie de la protection des cultures est, avec le nucléaire,
l'une des industries les plus réglementées. Ces
réglementations sont mises en place par des experts indépendants,
bien entendu assises par des décisions politiques, et alimentées,
en matière de choix techniques et scientifiques, par tous les organismes
de recherche publics qui apportent leurs connaissances dans ces domaines.
De nombreuses études sont donc demandées et faites pour
pouvoir répondre à ces questions. Je pense donc que le contexte
réglementaire donne, non pas une garantie, mais une base sérieuse
d'évaluation des risques et des bénéfices lorsqu'une
nouvelle technologie est proposée.
3° Un critère que j'essaie de regrouper sur une
considération éthique (même si c'est un peu
prétentieux mais je pense que c'est pour faire comprendre), en disant
que l'industrie a une responsabilité vis-à-vis de la
société et de ses actionnaires (pour l'actionnaire, on y
répond par le premier critère), mais aussi vis-à-vis des
marchés, c'est-à-dire que les marchés ne vont pas accepter
n'importe quoi. Je crois que le débat qui se déroule ici est une
preuve de la réaction des marchés.
Il ne faut donc pas stigmatiser l'industrie comme voulant faire entrer de toute
force des techniques dont on n'a pas évalué les risques ni les
bénéfices, et qui pourraient être mal acceptées par
les sociétés ou le public.
M. Philippe Roqueplo
-
Je souhaite ajouter un mot
aux propos de Messieurs Cohen et Danchin, et attirer l'attention sur le
fait que nous sommes précisément à un moment où la
signification de la science dans la société est en train de
changer profondément.
Jusqu'à présent, la science avait essentiellement partie
liée avec l'innovation, avec le marché, c'est-à-dire avec
ce qu'il allait se passer au début du produit qu'elle a lancé.
Or, c'est de plus en plus la fin des produits qui a un poids dans la
société, et nos oeuvres nous quittent, c'est-à-dire que,
tant que nous les lançons, que nous les maintenons en main, elles sont
comme des projectiles qui sortent du canon, mais lorsqu'elles sont sorties du
canon, il y a des vents et autre chose.
Monsieur Danchin disait lui-même que la biologie réagit de
façon imprévue à des situations imprévisibles.
C'est ce qui fait le problème de la société. Comme pour
les gaz à effet de serre, il y aura des situations imprévues, et
nous n'avons aucune idée de la fin des produits et de leurs
retombées sur la société.
Placer le débat au moment de l'innovation et du marché est
évidemment quasi-scandaleux pour la société, parce que
cela nous retombe sur la tête. Ce qu'elle demande aux scientifiques,
c'est si, lorsque nos produits sont abandonnés, ont quitté nos
mains et sont gérés par les lois de la nature, ils sont capables
de nous dire quelle sera leur trajectoire.
Sur les organismes génétiquement modifiés, que cela
augmente le rendement en ce moment et que, par conséquent, cela
légitime les entreprises qui veulent conquérir les
marchés, nous en sommes, hélas, bien trop d'accord.
Mais qu'en sera-t-il après les disséminations, dans cent
ans ? Si, dans cent ans, cela pulvérise complètement le
système agricole, la société dit que ce qui compte, ce
n'est peut-être pas ce que l'on sait mais c'est ce que l'on ignore. Par
conséquent, le politique est obligé de porter une jugement tenant
compte de la marge d'ignorance et de ce que l'on appelle le principe de
précaution.
Et l'on ne peut pas dire que le principe de précaution, dans ce domaine,
est de la dogmatique, de la fumisterie ou de la mythologie.
Il est évident que les gens ont actuellement peur de la science, non pas
par elle-même, mais parce qu'elle ne maîtrise les
conséquences de ses actes que sur une durée très courte et
dans un angle très étroit.
J'ai par exemple travaillé sur le problème des micro-ondes. Il
est évident que les micro-ondes faites pour diriger les avions sont
fatalement perturbées par les micro-ondes faites pour chauffer le
plâtre. Si l'on ne fait pas attention à leurs
interférences, les tours de contrôle font d'énormes
erreurs, ce qui s'est produit.
On ne se rend pas bien compte de ce que peuvent donner les interférences
de nos initiatives technologiques, la combinatoire de tout cela. Je pense que
telle est la forme d'inquiétude ambiante dans la société.
M. Cohen
-
Je suis tout à fait d'accord avec vos
propos. Je comprends tout à fait qu'il y ait une peur. Moi-même
j'ai peur quelque part, mais je me pose une question : celui qui a
découvert le fer, il y a très longtemps, devait-il avoir peur ou
pas ?
Toute acquisition de connaissances nous expose à des risques depuis le
début de l'humanité. Au moment de la découverte du fer,
a-t-on pu mesurer réellement l'impact que cela aurait sur les milliers
d'années ? C'est une question à laquelle on ne peut pas
répondre.
Antoire Danchin a bien illustré que tout est tellement complexe
qu'en réalité, rien n'est prévisible.
M. Le Président
-
J'interviens
brièvement sur ce sujet, parce que l'on pose le problème de
l'échelle des risques dans nos sociétés, et
l'échelle des risques est liée aux débats, et aux
débats publics.
Je pense que les politiques sont à un certain moment coupables de ne pas
avoir organisé le débat, parce que la science savait, et
qu'à partir de la science qui tenait la vérité, des
développements s'imposaient.
Un sociologue américain, Monsieur Hoban, à la North Carolina
State University, a posé plusieurs questions intéressantes. Je
vous en indique une. Il a posé aux Etats-Unis, au Canada, dans tous les
pays européens la question suivante : la tomate ordinaire ne
contient pas de gènes alors que les tomates génétiquement
modifiées en contiennent. C'est une question posée, sur laquelle
les gens doivent se déterminer.
Les meilleurs sont les Canadiens, parce que 52 % ont dit que
c'était faux (réponse correcte). Viennent ensuite les Pays-Bas et
les Etats-Unis, et les Français sont en queue de peloton, à
32 %. Nous avons plus mauvais que nous (les Espagnols à 28 %
et les Autrichiens à peu près comme nous).
Il y a de nombreuses autres questions de ce genre en sociologie et en
échelle du risque, et l'on parlera de l'échelle du risque dans
l'une des tables rondes. L'échelle du risque est une notion très
importante, parce qu'il y a des risques que l'on accepte et des risques que
l'on refuse.
Aujourd'hui, on a parlé à la fois de recherche, de relations
public/privé et de la perception du développement des sciences et
des techniques, et de telles questions vous montrent bien que la perception du
risque est mal comprise.
Comment peut-on décider, lorsque, finalement, il y a dans nos
sociétés des individus qui ne perçoivent pas les risques
de la même manière ? Aux Etats-Unis, ce sont les
contaminations alimentaires qui sont perçues comme le plus grand
risque ; les biotechnologies ou le génie génétique
arrivent très loin dans la perception du risque. En Autriche, c'est
l'inverse.
Cela signifie donc à mon avis que le débat n'a pas
été mené de la même manière. Si les
politiques ne mènent pas le débat, il ne faut pas ensuite
s'étonner que certaines décisions soient prises ou que des
référendums soient faits comme en Suisse.
M. Paillotin
-
Je réagis aux propos de notre ami
Daniel Cohen, peut-être parce que, dans sa discipline, les choses ne
se présentent pas de la même façon, ce dont je suis
convaincu.
Un débat n'est pas possible : laisser entendre -ce que n'a pas fait
Philippe Roqueplo- que l'on ne sait pas aborder la précaution que
l'on souhaite parce que personne ne sait l'aborder, ou dire à l'inverse
qu'il n'y a pas de précautions à prendre parce que l'on a
peur de tout.
Ce n'est pas possible en agroalimentaire parce que, même au-delà
du risque, il y a le plaisir, et le consommateur n'a pas envie de prendre le
moindre risque pour ses aliments, ce qui peut se comprendre. Il peut avoir une
idée très différente si c'est pour le guérir d'un
cancer.
Pour ses aliment, il est libre. C'est le dernier élément de
liberté dont nous disposons ; il faut le conserver, et le
consommateur dit ce qu'il aime ou ce qu'il n'aime pas. Ensuite, les
scientifiques doivent être capables -et nous sommes en partie capables-,
et effectivement dans un débat avec les utilisateurs, de rendre
rationnel le débat sur le risque.
Ce dont vous parlez sur la durée est une excellente question, que posent
d'ailleurs les physiciens ou biologistes, qui ne vivent pas dans la
durée. Lorsque l'on se pose la question des transferts de gènes,
par exemple de résistance aux herbicides que l'on étudie à
l'INRA, j'ai tout de suite posé la question, puisque l'on m'a dit
ensuite que c'étaient des hybrides qui étaient un peu des
avortons et qui disparaissaient : disparaissent-ils parce que ce sont des
avortons qui meurent, ou disparaissent-ils par dilution avec d'autres
plantes ?
Voilà des questions qu'il faut se poser, et auxquelles la biologie peut
répondre dès l'instant où l'on y travaille. Je tiens
à dire que, si le principe de précaution est bon, la
précaution absolue n'est plus le principe de précaution, la
précaution nulle n'est pas le principe de précaution, et qu'il
est possible et nécessaire d'aborder scientifiquement ces questions et
de faire des recherches scientifiques de haut niveau sur ces questions, ce que
nous essayons de faire.
M. Cohen
-
Je suis tout à fait d'accord avec
Monsieur Paillotin. Personnellement, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait
pas prendre de précautions. Il faut prendre toutes les
précautions possibles. La seule chose que je dis, c'est que
l'évaluation du risque nul n'existe pas. Il n'y a pas de risque nul et,
pour lutter contre le moindre risque inconnu, la meilleure réponse est
la connaissance.
Ne bloquons pas la connaissance, parce que, justement, le risque nul n'existe
pas.
M. Richard Lapujade
(Association action santé
et environnement) -
Je pense que les plantes transgéniques sont
essayées en champs, sous la supervision de la firme elle-même qui
a mis ces plantes au point. Cela pose donc un problème, et je pense que
c'est partout pareil au niveau de l'agroalimentaire, c'est-à-dire que
les évaluations des risques de diffusion dans l'environnement et dans la
santé sont toujours, avec peu de contrôles au niveau national
étatique, le fait des industriels privés.
Je pense que cela pose un problème, et on le voit en particulier dans
l'exemple cité par M. Jean-Marie Pelt ce matin, lorsque, sur
la base d'évaluations de maïs Novartis qui avait été
testé par un laboratoire dans lequel étaient inscrits, je crois,
des chercheurs suisses et français, il s'est avéré que
certains insectes étaient favorables au maïs, mais que le
laboratoire Novartis s'était gardé la possibilité de
contrôler la démarche de recherche, donc qu'il avait retiré
ces plantes de leur évaluation lorsqu'il s'était
avéré qu'elles pouvaient avoir des éléments
contraires à ses intérêts.
Sur le problème des plantes transgéniques, personne au niveau des
consommateurs n'a donc une attente quelconque par rapport à ces plantes.
Elles sont mises sur le marché sur l'initiative d'industriels qui ont
besoin d'un retour sur investissements. Il y a donc une sorte de pression
énorme au niveau des instances politiques et des décideurs, pour
que ces plantes soient mises sur le marché, en tout cas dans les pays
européens. Dans les pays américains, il n'y a apparemment pas
d'opposition particulière.
En Europe, toujours est-il que les consommateurs n'attendent absolument rien,
n'ont aucune demande par rapport à ces plantes. Lorsque j'entends qu'il
y aura des accidents, des problèmes, etc., mais que, finalement, dans
toute technologie ou dans toute nouvelle découverte, il y a une
potentialité de risques non-évaluée, surtout sur les
plantes transgéniques.
Monsieur Santini a parlé d'organismes de tests
particulièrement fiables pour vérifier cela ; il semblerait
qu'actuellement, la commission de génie biomoléculaire soit sur
le point d'être réformée parce qu'il y a des lacunes au
niveau de ses évaluations.
Je pense donc que le problème n'est pas simplement de dire que, dans
toute action humaine il y a un risque. Au niveau de la consommation, nous ne
voulons absolument aucun risque sur ce que nous avons dans notre assiette,
surtout si c'est pour l'intérêt des industriels des
biotechnologies.
M. Cohen
-
Si vous ne voulez pas de risques, ne mangez
rien du tout. Vous pouvez attraper une diarrhée n'importe comment et en
mourir, sans organismes génétiquement modifiés. Dans la
vie, le risque nul n'existe pas.
M. Le Président
-
Il va falloir conclure
sur ce point, en disant que le consommateur a demandé les techniques de
sélection, qu'il n'a pas demandé les hybrides. Il demande d'avoir
une alimentation qui soit saine et d'avoir un gain au niveau de ce qui lui est
proposé, soit de qualité, soit de prix. C'était la
question dans l'autre table ronde.
Les questions ne sont donc pas aussi simples. En effet, dans un certain nombre
de plantes transgéniques -ce qui n'a pas été fait pour
l'instant mais ce qui est fait du domaine de la recherchede la part d'un
certain nombre de firmes ou de laboratoires-, est-ce que des qualités
nutritionnelles nouvelles seront données par certains types de
plantes ?
Par exemple, est-ce que des acides gras poly-insaturés, que l'on trouve
dans des huiles et qui sont mauvais au niveau de la santé, seront
éliminés ? Dans ces cas, on peut dire qu'il peut y avoir un
gain en matière de santé pour le consommateur.
En revanche, si un gène de marqueur de résistance à des
antibiotiques est transféré, il y a un risque potentiel, et il ne
faut pas forcément prendre ce risque. Nous en discuterons demain. Le
consommateur demande d'avoir un aliment qui soit sain et qui soit le moins cher
possible. Il demande d'avoir un bénéfice avec une nouvelle
technique.
Or, on ne lui a jamais demandé son avis dans le développement de
l'agriculture. On ne lui a malheureusement jamais demandé son avis
lorsque l'on mettait les pesticides. Il faut lui demander son avis.
Pour terminer, je voudrais dire que des propos très intéressants
ont été tenus sur le fait que les organismes vivants sont
capables de produire de l'imprévu, même si certains le savaient,
que la meilleure réponse est la connaissance, et que, finalement, il
faut développer les liens avec les pays du sud.
On a même dit qu'il fallait supprimer les énarques, mais je ne
sais pas si c'est dans mon rapport que je pourrai résoudre cette
difficile question, que Monsieur Cohen a abordée tout à
l'heure !
En tout cas, je vous remercie tous d'avoir participé à cette
table ronde intéressante. Ce n'est que le deuxième sujet de tous
ceux que nous allons aborder, et cet après-midi, nous avons, en plus
d'une nouvelle table ronde, l'audition de trois Ministres,
Louis Le Pensec, M. Kouchner et
Marylise Lebranchu.
Table ronde III - Enjeux réglementaires -
Comment organiser l'expertise, comment l'articuler avec la
décision publique, quel contrôle ?
M. Le Président
-
Je présenterai les
différents participants.
Les experts sont, depuis quelques années, au centre d'un certain nombre
de controverses en France ou en Europe.
Dans notre domaine, la Commission du génie biomoléculaire a
été et est encore très critiquée -son ancien
Président est ici présent- dans le domaine de l'action
menée en matière d'autorisation d'essais de culture des plantes
transgéniques.
Il convient donc d'étudier ce niveau préparatoire à la
décision publique, qui se situe en amont de l'intervention proprement
politique.
Il est cependant nécessaire de ne pas oublier que nombre d'expertises se
situent désormais à un niveau supranational, dans l'enceinte des
organisations internationales et notamment de l'Organisation Mondiale du
Commerce.
Il semble bien qu'à ce niveau, les pays européens et la France
aient une politique de présence tout à fait insuffisante et, en
tout cas, ne sont pas à même de faire contrepoids à
certains pays comme les Etats-Unis, qui sont très bien
représentés, ou à des pays qu'ils influencent très
largement.
La composition même de ces Commissions d'expertise doit être
discutée car ici se placent des questions importantes comme celles ayant
trait à la présence en leur sein de consommateurs, de
défenseurs de l'environnement, c'est-à-dire de
représentants de ce que l'on appelle parfois la société
civile. Ceux-ci ne sont pas en tout cas la plupart du temps des scientifiques.
On pourrait aussi songer à la présence de politiques dans cette
sorte de commissions ; y ont-ils vraiment leur place, ou l'intervention de
ces derniers ne doit-elle pas plutôt se faire en aval ? Voilà
un certain nombre de questions qui sont posées, que l'on a
discutées avec vous lors des auditions privées.
Autour de cette table, nous avons :
- Monsieur Guy Riba, directeur de recherche à l'INRA,
Directeur des productions végétales,
- Monsieur João Magalhães, conseiller,
secrétaire assistant de l'Accord sur les mesures sanitaires et
phytosanitaires de l'Organisation mondiale du commerce,
- Monsieur Axel Kahn, directeur de recherche à l'INSERM,
ancien Président de la Commission du génie biomoléculaire,
- Madame Corinne Lepage, ancien ministre de l'environnement,
- Monsieur Dominique Dormont, médecin, chef du service de
neuro-virologie du CEA, qui a beaucoup travaillé, qui a
été auditionné par nous sur le problème de
l'encéphalite bovine spongiforme,
- Monsieur Marc-William Millereau, administrateur de&nb
sp;France Nature Environnement.
Après cette petite introduction, je vous donne la parole.
M. Magalhães
-
J'avais préparé une
petite introduction de cinq minutes. J'essayerai d'en prendre quelques lignes
générales, mais vous avez dit en introduction quelque chose
qui m'a fait penser que je devais déjà revoir ma copie.
Vous avez dit que des décisions se prenaient au niveau supranational,
notamment à l'OMC. J'aimerais qu'il soit clair qu'à l'OMC, les
décisions sont prises par consensus par les pays membres et que
l'OMC n'est certainement pas l'organisation internationale qui dicte ou qui
établit des normes scientifiques ou techniques.
Je pense que tout le monde est probablement au courant qu'à ce niveau,
les pays membres de l'OMC se sont mis d'accord lors des négociations de
l'Uruguay, sur le fait qu'en matière de santé humaine, c'est le
Codex
à la FAO, qui doit établir les normes
internationales.
Au niveau de la santé animale, c'est l'OIE, et je me trouve d'ailleurs
actuellement à Paris parce que j'assiste à la session annuelle de
la BSE de l'OIE, qui se tient en ce moment.
En matière de protection des végétaux, c'est le
Secrétariat de la convention internationale de protection des
végétaux.
Ce que fait l'OMC est donc effectivement, dans la mesure où les pays ont
négocié dans le cadre de cette négociation de l'Uruguay,
un accord sur l'utilisation des mesures sanitaires et phytosanitaires. L'OMC a
effectivement un regard dans ces affaires ; elle établit des
règles internationales pour le commerce, mais je
répète que les règles sont négociées entre
tous les membres.
Monsieur le Président, vous avez indiqué que la France et
l'Europe n'étaient pas assez présentes. Il y a eu sept ans
de négociations et, étant déjà dans l'agriculture
à l'époque, notamment dans les matières sanitaires et
phytosanitaires, je peux vous dire que la France et l'Europe étaient
très présentes.
A l'heure actuelle, cet accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires
couvre un certain nombre de mesures prises pour protéger la santé
des humains, des animaux, pour protéger les végétaux.
Dans le cadre de cette commission, on discute des organismes
génétiquement modifiés, et c'était un peu sur ce
point que j'avais préparé mon introduction. Je souhaiterais qu'il
soit au moins clair à la fin de la présente réunion qu'il
n'y a pas à ce stade de règles parfaitement claires à
l'OMC pour prendre ces affaires en main.
Nous savons tous qu'au niveau des échanges internationaux, les
échanges de produits génétiquement modifiés sont
très importants. Nous savons aussi qu'il y a des menaces plus ou moins
directes ou indirectes de certains pays membres de l'OMC, de présenter
ces problèmes à l'OMC et à son organe de règlement
des différends. Cela se dit mais, pour l'instant, le problème des
organismes génétiquement modifiés n'a encore jamais
été discuté à ce jour. Officiellement, dans les
enceintes de l'OMC, il n'y a absolument aucune discussion.
Il faut tout de même dire qu'il y a deux approches, qui ne s'excluent
d'ailleurs pas nécessairement :
- L'une selon laquelle les règles de l'OMC existent ; on a cet
accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ; ce sont des
questions de santé, de vie. Les problèmes que nous avons sont
très similaires à ceux, par exemple, de la BSE, que vous venez de
mentionner.
En ce moment même, une commission à l'OIE planche sur ce sujet.
- En même temps, ces problèmes peuvent être semblables,
mais ce sera à tous les pays membres de l'OMC de décider si l'on
appliquera ces règles ou pas, si les règles qui sont sur la table
sont suffisantes, si elles sont assez sûres, si elles garantissent les
droits des pays, notamment si elles maintiennent la souveraineté des
pays à prendre leurs décisions dans ce domaine.
Cela peut donc se faire uniquement de deux façons :
- La négociation ; il faut amener le sujet sur la table de
négociations de l'OMC et le négocier entre les pays membres
- Une plainte qui pourrait venir d'un membre et qui, pour un cas
spécifique, sera éventuellement résolue par ce que l'on
appelle un groupe spécial ou un panel, qui devra donner son avis sur la
question.
Un panel a récemment donné un avis sur la question de
l'utilisation des hormones de croissance pour les animaux.
M. Riba
-
Pourquoi faut-il une réglementation ?
Si l'on répond à cela, on dira que c'est parce qu'elle est
attendue, exigée par la société, débattue,
médiatisée, parce que les politiques en ont également
besoin.
Si je pose maintenant la question : "une réglementation, pour quoi
faire ?", la réponse est totalement différente. Elle
comprend deux parties : d'une part pour défendre des
intérêts, d'autre part pour définir des
responsabilités.
1° Défendre des intérêts ; dans le premier
cas, lorsque je demandais "pourquoi", c'étaient essentiellement des
problèmes de consommateurs et d'environnement qui sortaient. Si je
demande maintenant "pour quoi ?", il sort le problème du
consommateur, celui de l'environnement, mais aussi celui de
l'intérêt national de l'agriculture et de l'économie
nationale, celui des agriculteurs, celui de la science et de la
communauté scientifique.
C'est totalement différent. Ce que je veux simplement dire par cette
première introduction, c'est qu'il faut sortir la réglementation
d'une démarche réactive dans laquelle elle est actuellement, pour
la positionner dans une démarche proactive, ce qui est à mon avis
l'attitude de nos concurrents d'Outre-Atlantique.
2° Définir des responsabilités ; c'est parce
qu'à l'heure actuelle, on est dans un cercle un peu
compliqué et vicieux de décisions ; on ne sait plus
très bien qui pilote cette situation. Il est important
d'éclaircir ce point.
En second lieu, il y a une crise forte de l'expertise et, en troisième
lieu, il faut identifier éventuellement des coupables en cas de
problème.
Je vais maintenant décliner cela rapidement : où sont les
intérêts pour les consommateurs ? C'est ainsi que je pose la
question, et je déclinerai en termes de réglementation.
Le consommateur veut voir respecter un peu son droit moral, qui est celui du
droit de vote du porte-monnaie. Il veut savoir ce qu'il achète et il
veut pouvoir choisir. Cela nous amène à l'étiquetage, mais
poser la question de cette façon signifie qu'il n'y a plus qu'une seule
réponse possible : il faut d'un côté ce qui est avec
OGM et de l'autre, ce qui est sans OGM. Il n'y a pas d'autre alternative.
Cela a un coût, celui de la traçabilité, et cela a une
contrainte technique, celle du seuil de détection.
Dans le contexte actuel, je pense qu'il faut distinguer deux grands groupes de
production :
- les filières spécifiques, fruits et légumes
par exemple, qui sont déjà très segmentées, et pour
lesquelles ce type d'étiquetage ne pose aucun problème
particulier,
- toute l'alimentation de base, qui résulte notamment
d'importations massives, où il y a un gros problème du fait qu'il
y a déjà importation massive de denrées de base contenant
des produits transgéniques pour partie.
Qui payera ? Quel est le seuil ? Quelle est la technique que l'on
peut exiger derrière cela ? Ce sont des techniques d'ordre
moléculaire, et l'on sait qu'à l'heure actuelle, le seuil sur
lequel les experts s'entendent est de l'ordre d'une détection de
0,1 %. On peut donc garantir un produit sans OGM à 0,1 %
près.
En second lieu, qui payera cela ? Cela aura probablement des incidences
sur l'aval, sur le consommateur, et probablement dans ce cas sur les
filières sans OGM.
Le deuxième point par rapport au consommateur, c'est de garantir
très en amont l'innocuité, la toxicité, la non
allergénicité, etc. Qui fait cela ? Je pense que la logique
est de rester, au moment des demandes de dépôts de dossiers
d'homologation.
Je pense qu'il doit y avoir des tutelles pour le moins françaises (CGB,
Comité hygiène, etc.), où l'on peut s'interroger sur une
harmonisation au niveau européen de ces approches.
A la charge de qui ces études sont-elles conduites ? A mon sens,
c'est logiquement à la charge du pétitionnaire. Dans ce cas, on
pourrait se mettre en parallèle avec ce qu'il se passe pour les
phytosanitaires.
Posons maintenant la question : "où sont les intérêts
pour les agriculteurs et l'agriculture ?" On entre inexorablement
dans un processus de "contractabilisation" ; vous savez d'autre part qu'il
y a une concentration des fournisseurs agroalimentaires, que l'Europe est
dépendante, par exemple, de 75 % de ces protéines
végétales, et que le prix de revient du maïs
américain est de 30 dollars de moins la tonne que celui du
maïs européen.
Dans ce cas, je dis clairement qu'à mon avis, si l'on entre dans la
logique proactive, la réglementation doit favoriser la distinction des
produits européens par rapport aux produits outre-Atlantique. Elle doit
nous aider.
Dans ce cas, cela signifie que l'on doit s'orienter vers une démarche de
qualité, et la réglementation doit donc nous aider à
mettre en exergue la qualité des productions françaises ou
européennes par rapport à nos concurrents.
Dans le même temps, il faut :
- préserver la multiplicité des systèmes
d'exploitation et des types d'agriculture (biologique, etc.) ;
- définir des créneaux, puisque l'on part sur la
qualité et la segmentation ;
- favoriser la caractérisation objective des produits ;
- probablement privilégier la baisse des intrants, puisque c'est ce
qui peut nous permettre de nous positionner le mieux.
L'exemple type est la vigne. Tout le monde dit que le vin français est
le meilleur au monde, mais vous devez savoir que la vigne est la culture dans
laquelle on met le plus d'intrants, et que l'Europe est l'endroit où
l'on en met le plus, et de très loin. Les Américains, les
Australiens, etc. en mettent très peu.
On peut donc se faire attaquer très fortement sur les intrants
xénobiotiques phytosanitaires qui sont dans la vigne et le vin en
Europe. Si l'on veut contrer cela, peut-être faudra-t-il
développer de la transgénèse, mais vous voyez que la
manière d'introduire la transgénèse est
complètement différente. On fait de la transgénèse
pour se positionner par rapport au reste.
Si je pose la question "Où sont les intérêts pour
l'environnement ?", il s'agit de préserver les diversités
biologiques. Je dis bien "les diversités biologiques" au sens structural
et au sens fonctionnel.
Si l'on pose la question ainsi, cela signifie que ce n'est plus la
fréquence de l'événement qui compte, mais les
conséquences sur l'environnement des événements que
l'on suppute. Et vous voyez que la manière de raisonner et de
traiter le problème est complètement différente.
On se moque que les flux de gènes soient peu nombreux ; même
s'ils ont lieu, ce qui compte c'est de savoir quelle est la conséquence
de cela pour l'environnement, et c'est une autre manière de poser le
problème.
Si on le pose ainsi, on se rend compte que, dans les commissions classiques du
type CGB, certains types de questions peuvent être traités. Par
exemple, pour le maïs
Bt
, l'entomofaune, les risques sur
l'entomofaune, les flux de gènes dans le sang et dans le tube digestif.
C'est du ressort de la CGB.
En revanche, les suivis du risque d'apparition de pyrale résistante,
c'est vraiment un problème de biovigilance, car c'est directement
lié à la mise sur la culture, à l'espace et au temps.
Où sont les intérêts pour la science ? La
génomique est une occasion extraordinaire d'accès à la
connaissance. En second lieu, c'est une possibilité incroyable et toute
nouvelle d'exploitation et d'amélioration des ressources
génétiques.
Dans ce cadre, la réglementation doit préserver cela. Il y a deux
aspects :
- la réglementation doit essayer d'empêcher la captation des
ressources génétiques par les grands groupes ;
- il faut de façon urgente changer le droit des brevets, notamment
sur la protection du vivant et des séquences. Un exemple est très
simple : à l'heure actuelle, lorsque les séquences des
génomes sont lâchées dans les ordinateurs, lorsque des
chercheurs français le font, c'est immédiatement du domaine
public, et lorsque les chercheurs américains font la même chose,
ils disposent d'un an pour protéger les séquences. Le contexte
est complètement différent.
M. Le Président
-
Merci. Je demande
maintenant à Monsieur Dormont, qui a eu l'expérience d'un
autre problème, celui de la "vache folle", de nous indiquer la
façon dont il a vécu cela.
En alertant les pouvoirs publics, avez-vous eu l'impression d'avoir
été suivi à un certain moment ou pas suivi ?
Qu'est-ce que le problème qui nous préoccupe aujourd'hui peut-il
avoir de commun ? Dans l'esprit des individus, c'est dangereux parce qu'il
y a le sang contaminé, la "vache folle", un certain nombre de
catastrophes, et l'on prend actuellement des risques.
M. Dormont
-
Je pense tout d'abord qu'il y a en fait deux
parties du domaine scientifique où l'expertise agit en synergie ou en
association avec l'administration et le politique, que l'on peut
schématiser en problèmes déjà posés par les
scientifiques, reconnus par la communauté scientifique, et des
problèmes non-posés par la communauté scientifique et qui
n'ont pas été reconnus comme tels.
A cela il faut ajouter une deuxième dichotomie : la masse critique
scientifique dont le pays dispose sur un sujet donné. En matière
d'organismes génétiquement modifiés, la France est
très riche en généticiens, en biologistes
moléculaires. Il y a une densité d'expertises tout à fait
importante, alors que, sur le point particulier de l'encéphalopathie
bovine spongiforme, la masse scientifique était quasiment nulle.
Le nombre de laboratoires et même d'individus travaillant sur le sujet se
comptait sur les doigts d'une main lorsque le problème a commencé.
Cela peut parfois poser problème au décideur, puisqu'il n'a pas
le choix de ses experts ; il est obligé de prendre ce qu'il y a
dans le deuxième cas.
L'autre problème qui m'est apparu au cours de ces quelques mois de
crise de la "vache folle", a été d'abord une
nécessité très importante d'explication des doutes. C'est
probablement le premier message qu'il est important de faire passer, que ce
soit à la communauté scientifique qui se trouve face
à un problème nouveau, avec des concepts nouveaux
microbiologiques, ou à ceux qui sont chargés de l'administration
ou de la décision politique.
Il s'agit d'expliquer les limites précises de la connaissance actuelle,
et d'introduire le doute en face de chaque nouvelle information, rumeur ou
avancée scientifique, et de bien délimiter le terrain des
connaissances de façon à ce que l'on n'extrapole pas, à
partir de modèles non-pertinents, des décisions de santé
publique.
L'autre point qui me paraît important est la collégialité
de l'expertise. C'est une banalité mais je pense qu'il faut le
redire : l'expertise doit être collégiale, et ceux qui sont
chargés de la décision doivent admettre qu'un avis d'experts
puisse ne pas être unanime.
La science a le droit de ne pas être unanime. Les concepts sont
différents en fonction de la culture de chacun, selon qu'il est plus
proche des disciplines de santé publique ou plus proche de la biologie
fondamentale, par exemple.
Il faut donc admettre cette diversité des avis, tout en reconnaissant
que, probablement, lorsque les avis sont unanimes, ils sont d'autant plus
forts. Mais il faut admettre l'absence d'unanimité et la
collégialité.
Surtout, pour la bonne gestion des rapports avec ceux qui sont chargés
de la décision et de son application, il faut éviter la confusion
des rôles. L'expert scientifique n'est pas un conseiller. Un conseiller,
c'est quelqu'un qui est chargé de proposer à un ministre,
à un directeur général d'administration, une solution
globale à un problème posé.
Le conseiller scientifique apporte l'état actuel des connaissances sur
un sujet précis. Il fait donc partie de l'un des facteurs qui
amèneront à l'étude et à la décision. Il ne
faut donc certainement pas mélanger les deux notions, et ce souci de ne
pas les mélanger doit être accompagné d'une grande
transparence, et surtout d'un autre souci qui est le mélange des
communications.
Il ne faut pas que la communication du scientifique semble être un relais
de la communication du politique, et inversement. En effet, il y a alors une
certaine conscience de la population d'un parapluie qui s'ouvre sans autre
démarche intellectuelle.
Enfin, je voudrais réagir aux propos du premier orateur sur la crise des
experts. Vous avez eu raison, Monsieur, de souligner combien les commissions
internationales manquaient souvent de Français. Cela peut s'expliquer
par plusieurs faits.
En premier lieu, ces commissions sont très "chronophages". Elles
prennent beaucoup de temps. Or, plus on passe de temps en commission, moins on
en passe dans les laboratoires. Il y a donc un équilibre à
trouver entre le maintien de l'expertise scientifique et l'exercice
administratif de l'expertise.
En deuxième lieu, il n'existe pas en France de système d'aide aux
experts. En d'autres termes, un beau matin, en reconnaissance de la valeur
intrinsèque du groupe de recherche que vous animez, on vous envoie dans
une commission qui va vous prendre beaucoup de temps et d'énergie, mais
rien n'est fait en aval pour vous faciliter le travail dans votre laboratoire,
pour vous aider, vous apporter un secours administratif, un simple secours de
secrétariat.
Il n'y a donc pas cette politique qu'ont les anglo-saxons, de mettre les moyens
logistiques lorsqu'ils désignent un expert à une commission
donnée.
M. Millereau
-
I
l ne paraît pas inutile de
préciser la position de France Nature Environnement d'un point de vue
plus général. Nous entrerons dans le vif du sujet sur les enjeux
réglementaires, mais je voudrais rappeler d'une phrase la position
associative à ce niveau.
Eu égard aux risques qui semblent déjà prévisibles,
eu égard surtout aux insuffisances dans la connaissance, notamment par
rapport aux flux de gènes, et aux incertitudes scientifiques qui
demeurent et qui en sont la résultante, FNE, avec d'autres organisations
groupées au sein d'une plate-forme associative, qui réunissait
des agriculteurs, des consommateurs, des environnementalistes, s'est
prononcée en faveur d'un moratoire général sur la
dissémination des OGM, entendant par "dissémination" mise sur le
marché et mise en culture.
Ce moratoire incluait le maïs transgénique et poussait au
développement de la recherche, acceptant en cela le principe de
dissémination à titre d'exception à des seules fins
expérimentales et de manière très contrôlée.
Telle est la position synthétique de FNE.
Sur les enjeux réglementaires, je réagis à la question
posée par Monsieur Riba : pourquoi une
réglementation ? Nos interprétations sont sensiblement
différentes en termes de priorités.
A cette question, Monsieur Riba opposait deux conceptions qui
étaient de se diriger vers une démarche proactive en opposition
à ce qu'il jugeait être une démarche réactive. Nous
pensons que l'indispensable est d'avoir une démarche préventive.
C'est en cela que le fait de définir des modalités d'expertise,
d'évaluation qui soient satisfaisantes passe par la définition de
la notion précise de risque biotechnologique, qui doit s'appuyer sur la
stricte application d'un principe : le principe de précaution.
Le fait de démarrer d'une définition de la notion de risque
biotechnologique signifie lui reconnaître sa spécificité
et, pour nous, elle est issue d'une double nature, qui tient d'une part un
caractère potentiellement irréversible, et qui a d'autre part
cette difficulté d'évaluation.
Concernant le caractère potentiellement irréversible, de fait,
une fois libéré, un transgène dans le milieu ouvert
connaîtra un devenir difficile à cerner, qui dépendra des
caprices de la sélection naturelle mais qui, en tout état de
cause, ne sera pas maîtrisé.
S'il est sélectionné, le retour en arrière semble
improbable.
Dans le cadre de la difficulté d'évaluation, le contexte est une
controverse scientifique quant à l'évaluation précise des
risques biotechnologiques. De ce fait, il y a une prise en considération
au niveau international, une traduction juridique du risque biotechnologique.
C'est inclus dans la convention de Lugano de juin 1993 sur la
responsabilité civile due aux dommages de certaines activités
considérées comme potentiellement dangereuses pour
l'environnement.
La production, la libération, le stockage, toutes les opération
mettant en oeuvre des OGM avaient été considérées
comme constitutives d'un risque significatif pour l'homme, l'environnement et
les biens. Tel est le contexte, la traduction juridique.
Pour revenir à l'évaluation, on peut déjà dire que
l'on manque d'approche globale. C'est important parce que, si l'on veut obtenir
une appréciation qui soit responsable par rapport à des
applications biotechnologiques qui nous sont proposées, il faudrait
pouvoir tenir compte de certains risques qui doivent être contenus dans
la notion de risque biotechnologique, qui sont par exemple les risques
socio-économiques aussi. Il y a un manque d'approche globale à ce
niveau.
En second lieu, dans le rapport de l'approche de la nécessité ou
de l'utilité d'un modèle biotechnologique proposé, on peut
regretter bien souvent qu'on ne lui oppose pas des méthodes alternatives
existantes. Par exemple pour la pyrale, on n'a pas assez entendu parler d'un
mode alternatif qui était la voie biologique et l'utilisation du
trichogramme, par exemple.
Les compare-t-on réellement au moment de l'appréciation ? Au
moment de déduire une utilité ou une nécessité,
peut-on se poser cette question ?
D'autre part, si l'on focalise vraiment sur les risques écologiques et
sanitaires, il nous paraît indispensable d'obtenir une évaluation
qui soit transdisciplinaire. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'on se
donne le temps d'observer, parce que les interactions entre des OGM
libérés et le milieu ouvert ne sont pas de nature à nous
apparaître immédiatement.
Si l'on se réfère à un domaine voisin -et il devrait y
avoir une référence plus systématique- celui de
l'introduction volontaire ou involontaire des espèces
non-endémiques dans un milieu, on peut prendre l'exemple des
crépidules introduites de manière fortuite lors du
débarquement en juin 1944, qui étaient collées au
fond des barges américaines et qui posent maintenant un problème
pour la production d'huîtres.
Lorsque j'ai parlé de transdisciplinarité, cela appelle quelques
propositions, peut-être au niveau de la CGB, qui est chargée de
cette évaluation et de cette expertise. Il est urgent que l'on puisse
avoir une approche collégiale, comme le disait mon voisin, et
j'ajouterai transdisciplinaire.
C'est aux côtés des biochimistes et des biologistes
moléculaires que nous devons avoir des écologues, des juristes de
l'environnement, des malherbologues. L'approche doit être vraiment
transdisciplinaire.
Au niveau de la méthode, elle doit effectivement être
contradictoire. Mon voisin disait que la science avait le droit de ne pas
être unanime. Dans le cadre d'une appréciation transdisciplinaire,
avec des intérêts si divergents, on ne voit pas comment elle
serait unanime dans la majorité des cas. Les avis doivent être
motivés et les opinions divergentes doivent être
mentionnées dans les motivations.
D'un point de vue plus général, la réglementation
doit aussi satisfaire à l'information et à la concertation avec
la population. Or, dans la réglementation en vigueur jusqu'alors, ce
n'est pas garanti de manière satisfaisante. La loi de 1992, qui
intégrait les deux directives, présente des lacunes incroyables
au niveau de l'information directe. L'information indirecte est à peu
près satisfaite, mais l'information directe l'est beaucoup moins.
Le rapporteur Daniel Chevallier avait préconisé une
enquête auprès du public. Au bout du compte, on a une
méthode un peu anglo-saxonne de dépôt en mairie, qui n'est
pas satisfaisante à cet égard. Il n'y a pas de communication de
l'expertise ; même si les citoyens n'ont pas les compétences
pour apprécier une expertise, ils pourraient au moins, sur cette base,
commander une contre-expertise.
Cela appelle aussi à d'autres propositions, celle de l'utilité de
la création d'un Comité permanent contradictoire de
contre-expertise. La réflexion avait été entamée au
niveau du CNPN ; nous nous y sommes attachés.
Au niveau de la biovigilance, il est important de définir des protocoles
qui soient satisfaisants, et de s'interroger sur le fonctionnement du
Comité de biovigilance. Selon certaines sources, le comité ne
serait pas pour l'instant en mesure de fournir un inventaire des sites de
dissémination en France, par exemple.
Il y a de nombreuses questions, et nous y reviendrons.
M. Le Président
-
Madame Lepage, vous
qui avez été Ministre de l'environnement, qui avez pris des
décisions concernant l'importation et la mise en culture des plantes
transgéniques, qui avez vu le système fonctionner, que
pensez-vous de l'organisation de l'expertise ?
Comment l'articuler avec la décision publique ? Quel
contrôle ? Faut-il le changer ? Pensiez-vous le faire ?
Mme Lepage
-
Monsieur le Président, à
l'écoute de tout ce qui vient d'être dit, j'ai deux observations
préliminaires.
Tout d'abord, je vous remercie d'avoir organisé ces auditions publiques
et cette Conférence de Citoyens, même si elle arrive un peu tard.
Je pense que c'est un progrès considérable pour notre
fonctionnement à tous, et je souhaitais le dire.
En second lieu et sur la même ligne, certains demandaient s'il fallait de
la réglementation ; j'allais dire "peut-on encore en faire ?"
Autrement dit, je me donne parfois l'impression que nous sommes des coureurs
à pied derrière un TGV, que nous avons non pas une guerre mais
dix guerres de retard, et que les choses sont déjà tellement
avancées qu'en définitive, que pouvons-nous encore faire ?
Par exemple, on peut se réjouir de la décision qui a
été prise au niveau de l'Union européenne sur les
conditions d'étiquetage des OGM, mais cette décision aurait
dû être prise bien avant que l'on accepte l'importation des OGM. En
effet, en attendant, nous avons tous allègrement consommé depuis
des mois des OGM sans le savoir et sans pouvoir décider de les consommer
ou pas.
Tout cela arrive tard. Je pense que ce n'est pas une raison suffisante pour ne
pas agir, et le sujet de l'expertise m'apparaît central, tant au niveau
de la prise de décision publique qu'au niveau de l'information
complète du public.
Ce que vous disiez il y a un instant, Monsieur, sur l'impossibilité pour
les citoyens de pouvoir disposer d'une expertise et d'une contre-expertise est
très important. La question de l'information du public est tout de
même très importante.
J'ai écouté Monsieur le représentant de l'OMC avec grand
intérêt, mais je ne puis pas cacher ma très grande
inquiétude lorsque j'apprends dans la presse qu'actuellement, des
efforts considérables sont faits auprès du
Codex
Alimentarius
, l'organisme chargé d'élaborer les règles
en matière alimentaire, pour interdire l'étiquetage au niveau de
l'OMC pour les OGM. C'est donc tout de même un problème
très important.
Je m'inquiète en constatant que quatorze états américains
ont voté une loi pour interdire la diffusion d'informations
erronées ou préjudiciables en matière d'alimentation.
Sachant que nous courons bien souvent derrière des
réglementations qui ont été prises aux Etats-Unis, un
certain nombre d'années avant d'intervenir nous-mêmes, je suis
inquiète.
Je pense que le combat sur l'information du public est absolument central.
En second lieu, concernant la prise de décision publique, je partage
tout à fait les propos du professeur Dormont. Je dois dire ici
combien le travail qu'a fait sa commission nous a été d'une
très grande utilité et d'un très grand secours dans la
gestion a posteriori de la question de l'ESB, car ce qui est important en
réalité, c'est d'intervenir en amont.
A la suite des propos de Monsieur Riba, je dirai qu'à
l'extrême, si l'on a bien travaillé, on ne devrait pas se poser la
question de la responsabilité. Le problème de la
responsabilité ne se pose que parce que, depuis des années, nous
avons eu une manière de faire telle que toute une série de
questions ne s'est pas posée, que nous sommes arrivés à
une succession de catastrophes et qu'ensuite la question des
responsabilités s'est posée.
Maintenant, nous apprenons à nous poser la question de la
responsabilité. Le problème, c'est de savoir comment faire en
sorte que la procédure et l'expertise soient organisées de telle
manière qu'en amont, les bonnes décisions puissent être
prises.
La première condition, me semble-t-il, est incontestablement celle de
l'expertise dont le professeur Dormont disait qu'elle devait être
collégiale. En utilisant un terme à la mode, on pourrait dire
qu'elle devrait être plurielle.
Je veux dire que le temps de l'expertise unique m'apparaît devoir
être totalement révolu. L'expertise lénifiante, sur le
thème "circulez, il n'y a rien à voir" m'apparaît nous
avoir conduits à assez de catastrophes pour devoir désormais
être complètement évitée.
Si l'on reprend les rapports qui ont pu être faits depuis un certain
nombre d'années, que ce soit sur l'amiante, sur les dioxines (sujet
actuellement sur la place publique) ou sur d'autres thèmes, on peut y
lire que tout va très bien et qu'il n'y a rien à faire. Je peux
vous sortir, Monsieur le Président, une série de rapports dont
j'ai eu connaissance, dans lesquels on trouve ce genre de conclusion.
Je pense donc que ce qui est très important, c'est de mélanger
des expériences diverses au sein de l'organisme expertal. Non seulement,
comme vous le disiez tout à l'heure Monsieur le professeur Dormont,
il faut admettre pour les décideurs qu'il ne peut pas y avoir d'avis
unique, mais l'avis unique est à mon sens dangereux.
En effet, si des experts venus d'horizons très différents disent
tous exactement la même chose, je me pose des questions. Au contraire, je
pense qu'il y a une légitimité aux débats et à des
présentations diverses d'un sujet.
Précisément, le propre du décideur -et c'est la grande
différence avec l'expert ou le conseiller-, c'est de devoir trancher
entre des avis qui peuvent être différents. Là où la
difficulté est très grande, c'est lorsque l'avis est unique et
que la procédure est organisée de telle sorte que l'on n'a pas le
choix de recourir à des avis différents.
D'où la nécessité d'une expertise multiple, de
l'organisation de contre-expertises, sous une forme ou sous une autre, et de la
légitimation des avis divergents. Comment ? Je crois tout
simplement -peut-être est-ce une déformation professionnelle- au
travers de ce que l'on appelle un débat contradictoire,
c'est-à-dire que l'on considère comme tout à fait normal
qu'il y ait des opinions divergentes et qu'elles puissent s'exprimer selon la
règle du contradictoire.
Il en sort alors quelque chose avec des opinions minoritaires, qui doivent
être prises en compte, et c'est ensuite au décideur de trancher,
au regard de ces opinions minoritaires.
Donc collégialité, débats contradictoires dans
l'organisation de l'expertise, et expression systématique de toutes les
opinions divergentes et minoritaires de manière à ce que le
décideur ne puisse pas dire qu'il ne savait pas. Il doit avoir eu toutes
les cartes en main et, à partir de ces cartes, il doit avoir eu la
responsabilité qui est la sienne. C'est justement la dignité du
politique, la noblesse de la chose, de décider et de prendre la
responsabilité de cette décision.
Cela nous conduit bien sûr aux conditions de la composition des
commissions qui, à mon sens, devrait être revue, de manière
à assurer la diversité de l'expression scientifique et, d'autre
part, à assurer la diversité, non pas forcément des
intérêts car je crois que là aussi il y aurait un
débat à mener, mais des intérêts
généraux qui sont à prendre en compte.
Pour conclure, je dirai que, dans la procédure, le moment du choix et
celui du recours à l'expertise sont absolument essentiels.
Je terminerai par où j'ai commencé : plus toutes ces
expertises peuvent se faire en amont, plus elles peuvent se faire par un
procédé itératif permettant aux décideurs
d'interroger l'expert sur des éléments dont il n'est pas
sûr, quitte à ce que l'expert ou la commission d'expertise lui
réponde (je ne sais pas parce que c'est aussi l'une des réponses
possibles, et il faut l'admettre en tant que décideur), plus la gestion
de l'incertitude peut être organisée au niveau de la
décision publique et moins nous commettrons d'erreurs.
Cela est vrai, me semble-t-il au niveau national comme au niveau international.
M. Le Président
-
Je demande maintenant
à Axel Kahn, qui a été président de la
Commission de génie biomoléculaire, qui a donc
étudié toutes les autorisations d'expérimentation, de nous
rappeler comment cela fonctionne et de nous donner son avis.
M. Kahn
-
J'aborderai le problème
général pour lequel vous m'avez demandé de venir ici,
c'est-à-dire témoigner sur la place et la nature de l'expertise.
Mon travail a été simplifié par la présentation et
les observations de Dominique Dormont, car je partage totalement ce qu'il
a dit des conditions dans lesquelles travaillaient les experts, des
insuffisances et des confusions qu'il fallait éviter.
Ma première observation est la suivante : dans le processus
décisionnel qui va aboutir in fine, dans le domaine qui nous
intéresse, à autoriser une consommation, une culture, une mise
sur le marché d'un produit, d'un végétal par exemple,
plusieurs éléments vont intervenir ; l'expertise
scientifique n'est que l'un de ces éléments, et le politique a
une responsabilité qui transcende la vie scientifique ; c'est
évident. Pour autant, naturellement, il ne peut se passer de l'avis
scientifique pour parvenir à sa décision.
Les exemples où les avis scientifiques sont soit très
discutés, soit concluent plutôt à une absence de risques
d'une procédure qui reste néanmoins interdite en domaine
agroalimentaire, sont bien connus et j'en comprends tout à fait les
raisons.
En Europe, par exemple, contrairement aux Etats-Unis, il y a le problème
de l'utilisation des hormones de croissance, des hormones de lactation chez les
animaux. Il y a également l'utilisation, pour la confection des
fromages, de la chymosine recombinante à la place...
Une intervenante
-
Elle est autorisée.
M. Kahn
-
En France, c'est sûrement depuis
peu !
L'intervenante
-
Depuis une quinzaine de jours.
M. Kahn
-
Je vous remercie de l'information. Je ne le
savais pas. Pendant très longtemps, la chymosine a été
interdite pour des raisons qui étaient particulières, et voici
des exemples d'une décision qui est plurielle et qui fera intervenir
l'expertise scientifique comme l'un des éléments, et
également le sentiment des citoyens, l'intérêt
économique, la sensibilité par rapport à ce
problème.
Revenons maintenant à l'expertise proprement-dite. Il ne faut pas se
tromper sur ce qu'elle est. Je parle de l'expertise a priori et non pas de
l'expertise a posteriori dont a très bien parlé
Dominique Dormont.
L'expertise a priori n'est pas naturellement la prévoyance de
l'avenir. Il faut demander cela à une voyante ; le scientifique ne
prévoit pas l'avenir. Tout ce que peut faire le scientifique dans son
travail d'expert, c'est comparer deux manières de faire, deux
procédures, et dire si, en fonction des expériences qui peuvent
être utilisées, des considérations théoriques, avec
une approche plurielle, il y a autant de risques, moins de risques, plus de
risques représentés par une procédure nouvelle par rapport
à une procédure ancienne.
Ce que l'on appelle "risques" doit être rappelé également.
Ce que fait l'expert, c'est tenter de parvenir à une notion qui est la
combinaison de deux éléments : le niveau de danger d'un
phénomène craint, et la fréquence supposée avec
laquelle ce phénomène peut survenir.
L'expert va donc tout d'abord évaluer indépendamment ces deux
éléments, puis il va donner un avis en disant qu'il lui semble
que cette nouvelle procédure est plus risquée qu'une ancienne,
plutôt moins risquée qu'une ancienne, ou qu'il ne voit pas de
différences entre les deux procédures quant aux risques dont j'ai
donné la définition.
Je donne maintenant quelques exemples quant au travail de la CGB, pour marquer
ce qu'il en est.
A la Commission du génie biomoléculaire, on va parler de trois
dossiers reconnus, qui permettent réellement de discuter.
Pour la résistance à la pyrale avec ce maïs
transgénique, la Commission du génie biomoléculaire a
considéré que, pour l'environnement et les consommateurs, cette
variété ne comportait pas de risques qu'elle puisse
déceler, et en tout cas certainement pas de risques a priori
supérieurs à ceux des méthodes actuellement admises de
lutte contre les parasites du maïs. Notre avis a donc été
favorable.
Concernant l'utilisation de gènes de résistance dans une plante
comme la betterave, nous avons dit depuis très longtemps qu'il
était tout à fait évident qu'à terme, on
retrouverait ce gène de résistance à un herbicide dans la
betterave, dans toutes les espèces qui échangent librement des
gènes avec cette betterave sucrière cultivée, et que l'on
trouverait donc des betteraves mauvaises herbes ayant cette résistance
à l'herbicide.
Il ne faut pas demander s'il y aura un flux de gènes.
Naturellement, il y en aura. Une plante transgénique est une
plante aux cinquante mille gènes à laquelle on a ajouté un
gène connu, qui se comportera dès lors exactement comme les
cinquante mille autres gènes de la plante.
Dès l'instant où ces deux formes de betteraves échangent
des gènes, elles échangeront aussi bien le transgène.
La question est donc de réunir les personnes concernées pour
discuter des conséquences réelles de ce phénomène.
Si l'on craint les conséquences, il ne faut pas aller de l'avant. Si
l'on considère qu'elles sont bénignes et que l'avantage que l'on
en attend leur est de loin supérieur, il faut aller de l'avant.
De la même manière, nous avons dit qu'en réalité,
pour le problème du colza, tout dépendait probablement de la
nature de la résistance à l'herbicide. Nous avons rappelé
un phénomène évident : la dissémination d'un
gène de résistance à l'herbicide est au départ un
risque pour l'industriel qui commercialise l'herbicide, puisque cela pourrait
engendrer le fait que cet herbicide ne soit plus utilisé.
Pour autant, si l'herbicide en question est un produit très
intéressant pour la pratique agricole, pour les agriculteurs, il ne
serait pas bon d'en perdre l'utilisation possible et, là encore, il faut
faire discuter les personnes responsables pour décider de ce que l'on
désire, dans le cadre d'une confrontation plurielle entre les
agriculteurs, les sélectionneurs, etc.
La commission a donc proposé ses expertises, en fonction desquelles le
pouvoir politique a à prendre les décisions.
Lorsque des incertitudes étaient relevées, nous avons
proposé qu'il y ait deux possibilités -cela se fait actuellement
au niveau européen et je m'en réjouis car c'est une proposition
française de longue date- :
- décider de stopper un projet qui nous semblait trop incertain
- ou, parce que l'on considérait que le risque était faible
en réalité et faible par rapport à l'avantage que l'on en
attendait,
. aller de l'avant mais avec la possibilité de revenir sur cette
décision,
. dans des conditions où les pétitionnaires
précisaient très bien le contrôle qu'ils assuraient
à leurs essais, se donner le moyen, par une commission de suivi, de
relever des paramètres dont, en fonction des résultats, il
pourrait être décidé ultérieurement de cesser cette
autorisation, de revenir sur cette décision, ou de la proroger.
Voilà ce qui m'a semblé le travail nécessaire des experts.
La Commission de génie biomoléculaire, dont la composition n'a
naturellement pas du tout été décidée par ses
membres ni par son Président, était et voulait être une
commission qui, contrairement à la Commission du génie
génétique, par exemple, permette aux représentants des
différentes sensibilités de la société de se faire
entendre. Peut-être faut-il que ces sensibilités se fassent
entendre plus encore.
Par exemple, depuis très longtemps, notamment depuis la loi de 1992,
quelqu'un était censé représenter les associations de
défense de l'environnement -je crois que c'était un membre de
France Nature Environnement- et il y avait un membre des associations de
consommateurs. Je ne connais d'ailleurs pas les critères selon lesquels
ils étaient choisis.
De la même manière, il y avait des représentants des
syndicats de travailleurs, des syndicats patronaux, un représentant du
monde politique, etc.
Le dernier point important -je réinsiste avec Dominique Dormont sur
ce point- c'est qu'il est malsain et pervers de demander à l'expert
d'être un conseiller politique. En fonction de sa conviction plurielle,
d'une commission, l'expert dit ce qu'il croit devoir dire à la question
qui lui est posée, ce qui peut certes être toujours perfectible.
Il ne dit pas si le projet lui est sympathique. C'est un élément
qui dépasse l'expertise.
La Commission du génie biomoléculaire n'avait pas à
apprécier directement les risques "socio-économiques". Cela dit,
contrairement aux autres commissions européennes, elle a toujours
attiré l'attention des politiques sur l'éventuel risque
"socio-économique", par exemple quant au problème pour
l'agriculteur d'une perte d'un produit très important.
Mais il m'est arrivé plusieurs fois, par exemple pour la betterave et le
colza, de me trouver dans une situation où, après un avis, le
pouvoir politique renvoyait cette question à la Commission : "Votre
discours est opaque ; faut-il accepter ? Faut-il refuser ?"
La réponse de la Commission du génie biomoléculaire
était qu'elle ne pouvait pas répondre à cela, que
c'était vraiment une décision politique dont les
éléments décisionnels étaient de natures diverses,
que c'était ce que l'on pouvait lui en dire en tant qu'expert.
Il y a parfois une certaine difficulté, me semble-t-il, à
vraiment considérer que l'expertise scientifique est l'un des
éléments dont on ne peut pas se passer, mais pas le seul
élément d'une prise décisionnelle. En aucun cas l'expert
scientifique ne peut voir son rôle mélangé avec celui d'un
conseiller en matière de prise de décision.
M. Le Président
-
Merci beaucoup. Beaucoup
de problèmes ont été évoqués, et je voudrais
poser une première question : Vous avez parlé de l'expert
conseiller par rapport aux politiques ; vous avez dit que l'expertise
devait être contradictoire, collégiale, que les citoyens devaient
être associés, peut-être pas sous la même forme.
On n'a pas parlé de la coordination entre l'expertise nationale et
l'expertise européenne. C'est un point important.
C'est assez compliqué. Pour la dissémination volontaire à
des fins expérimentales, il y a d'abord une saisine de la CGB, qui donne
son avis, qui le transmet au Ministère de l'agriculture, qui informe la
Commission européenne, qui informe les Etats-membres.
C'est pour la partie autorisation annuelle d'expérimentation, question
que vous posiez tout à l'heure, Monsieur Millereau, en demandant la
carte. On les a dans les rapports de la CGB, mais il faudrait effectivement que
ce soit public. En tout cas, c'est l'une des propositions que je ferai.
Pour l'autorisation de la mise sur le marché, c'est beaucoup moins
clair, parce que c'est encore plus compliqué. Certains ont dit ce matin
dans la table ronde qu'il fallait un moratoire, ce que vous avez dit, du groupe
"Agir pour l'environnement" ; d'autres ont dit qu'il fallait aller plus
vite. Lorsque l'on est entre ces deux demandes, il faut trancher sur
l'autorisation de mise sur le marché.
Sont saisis le Comité technique permanent de la sélection, le
Comité supérieur de l'hygiène publique française,
la saisine de la CGB, ainsi que la Commission des toxiques en cas de
problèmes. Cela va au Ministère de l'agriculture, cela part
à la Commission européenne s'il y a un avis favorable ; il y
a une consultation des Etats-membres pour savoir s'il y a des objections ou pas
et, selon la réponse, cela revient au Ministère de l'agriculture
et il y a une inscription éventuelle au catalogue des semences.
C'est un labyrinthe ; c'est un système assez long. Certains disent
que cela ne va pas assez vite et d'autres que cela va trop vite. Ce
système vous apparaît-il bon ? Je ne prends pas parti. Je
pose les questions.
Aux Etats-Unis, on nous a dit que c'était beaucoup trop long dans nos
pays, que l'on n'y comprenait rien, que nous faisions des
barrières non tarifaires et que nous nous arrangions bien entre pays
européens pour faire traîner les choses parce que cela nous
permet, pendant ce temps, de ne pas avoir de compétition internationale.
Cela fonctionne-t-il bien ? Cette coordination compliquée vous
paraît-elle bonne ? Peut-on éventuellement la modifier ?
En second lieu, je voudrais m'adresser aux représentants ici
présents de l'OMC. Vous avez dit que le problème n'avait jamais
été discuté à l'OMC, et c'est bien ce que nous
reprochons. On peut très bien être dans des procès
internationaux qui viennent des appréciations différentes des
gouvernements sur les organismes génétiquement modifiés,
et on n'aura jamais discuté de cette question avant.
J'en ai parlé à la banque mondiale, j'en ai parlé avec
Mickey Kantor, avec un certain nombre d'interlocuteurs
américains ; il ne me paraît pas correct qu'un pays parte
dans tous les sujets et qu'au bout du compte, on n'ait pas le système
d'arbitrage. Si l'on veut un arbitrage de l'OMC, il faut que l'on en ait
discuté avant.
Si des problèmes peuvent se poser et si on ne les aborde pas sous
l'angle de la santé ni de l'environnement, on les aborde sous l'angle de
problème économique de protection non tarifaire. A mon avis, nous
devons donc avoir un lieu pour discuter de ces questions avant. Cette
proposition me paraît devoir être faite ; sinon, nous irons
immanquablement vers des conflits.
Enfin, lorsque vous dites que les Français sont présents dans les
organisations internationales ; après avoir discuté de
l'Agence de sécurité sanitaire dans un débat récent
au Parlement, je dis que nous n'avons peut-être pas de dossiers assez
préparés, comme les Américains.
Lorsqu'ils veulent relever le taux des aflatoxines sur un certain nombre de
céréales, parce qu'ils ont un peu plus d'aflatoxines que nous et
qu'ils disent qu'il n'y a pas de danger, qu'il faudra prouver le danger, s'ils
veulent relever le taux et s'ils viennent avec des dossiers en béton,
c'est bien parce qu'à un certain moment, cela servira l'économie.
Dans tous les pays, non seulement les Américains, les Canadiens, les
Européens, chacun essaie de jouer avec un certain nombre de
règles pour favoriser l'économie de son pays, et, à mon
sens, l'OMC ne peut pas se contenter d'être le gendarme après
coup, s'il n'a pas prévu les évolutions.
C'est l'un des points importants sur lesquels je souhaiterais que vous nous
donniez votre avis. Je m'arrête là, puis je poserai d'autres
questions par la suite, notamment à Madame Lepage et à
Axel Kahn.
M. Magalhães
-
Deux ou trois notions me semblent
un peu confuses. Tout à l'heure, Madame Lepage a parlé par
exemple de règles d'étiquetage du
odex
qui ne seraient pas
appliquées par l'OMC. Sauf si j'ai mal compris, j'avoue que je ne
comprends pas ce que cela signifie.
Mme Lepage
-
Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que
j'avais relevé dans la presse internationale (précisément
dans un article du Gardian) que des démarches seraient actuellement
faites auprès du
Codex Alimentarius
pour obtenir que soit
interdit comme contraire à la liberté des échanges, dans
le cadre des règles de l'OMC, l'étiquetage des produits
génétiquement modifiés.
Si le
Codex Alimentarius
entérinait une règle de cette
nature, nous nous trouverions en contradiction flagrante au niveau
communautaire, avec une règle de cette nature sans l'avoir
discutée. On en revient à la question posée par le
Président Le Déaut.
M. Magalhães
-
Merci. Je voulais comprendre,
parce qu'il y a plusieurs choses, et je suis assez affolé
d'écouter la description du labyrinthe dont vous avez parlé,
Monsieur le Président, qui me fait penser à autre chose :
où est finalement la transparence ?
On parle beaucoup des intérêts des consommateurs ; on dit
beaucoup que les choses devraient être connues, que les consommateurs
doivent être informés. Il faut d'abord qu'ils comprennent. C'est
l'un des problèmes que nous avons à l'OMC, et il faut que ce soit
très clair. Lorsque l'on dit OMC, on dit que c'est un organisme
entièrement commandé et piloté par les membres qui en font
partie. Ce n'est pas une commission de Bruxelles. Nous n'avons aucun pouvoir de
décision ni de proposition.
L'OMC a un secrétariat qui sert administrativement et techniquement les
pays membres de l'OMC, donc qui fournit aussi une assistance, notamment en
matière de conflits.
Je pense qu'il serait peut-être utile que j'explique brièvement
comment on résout un conflit commercial à l'OMC. Je vais
vous parler des hormones, parce que c'est le seul cas concernant directement
les problèmes éventuels de santé, qui a été
jugé à ce jour par l'OMC.
Je peux vous dire comment nous avons procédé dans ce cas puisque
j'étais secrétaire de ce panel et de ce groupe spécial.
Un groupe spécial de l'OMC est formé par trois juristes, qui sont
choisis en totale consultation avec les parties au litige. Si l'on n'arrive pas
à trouver ces trois juristes par consensus des parties, c'est le
directeur général qui est mandaté par les membres de
nommer des experts.
Ce n'était pas le cas pour le problème des hormones, où
trois juristes ont été choisis par consensus des parties. Il y
avait aussi un cas avec le Canada, qui a également déposé
une plainte contre la Communauté en matière d'hormones. Cela a
été le cas traditionnel du groupe spécial, qui analyse une
question de commerce et non pas une question scientifique.
Du fait que, dans le cas des hormones, il y a un problème scientifique,
il a été fait appel à des scientifiques. La
procédure n'existant pas à l'OMC (vous avez tout à fait
raison de souligner qu'il n'y a souvent pas de règle ; dans ce cas,
ce n'était pas vraiment un règle, mais une procédure qui
manquait), on va vers le consensus et on met les différentes parties au
litige les unes devant les autres.
Le panel le fait et, avec l'aide du
Codex Alimentarius
(parce que c'est
l'organisation reconnue par l'OMC, donc par les membres de l'OMC, comme
l'organisation internationale de repère pour les questions
d'innocuité des aliments), nous avons établi une liste qui
dépassait les trente experts internationaux en matière de
résidus d'hormones dans la viande.
Cette liste a été soumise aux parties. Elle a été
discutée pendant presque trois mois et finalement, bien que le panel en
voulait trois au départ, on a trouvé cinq experts de toutes les
nationalités, y compris des nationalités des parties au litige.
Il y avait des Français, des Allemands, des Américains et des
Canadiens. Le seul qui n'était pas d'une nationalité des parties
au litige, ce qui est une sorte de principe sacré en tout cas pour les
aspects légaux de ce système, était un Australien.
A partir de l'avis de ces scientifiques, le panel, le groupe spécial
s'est fait sa propre idée de l'endroit où étaient les
problèmes, quelles étaient les implications et quels
étaient les risques, et il a été appelé à
prendre une décision.
Tout cela est parfaitement prévu dans les textes de l'OMC, et nous avons
un système qui a été accepté et
négocié et qui, à la fin, doit être
approuvé par consensus.
Par la suite, ce panel vient avec un rapport. Il émet son jugement et le
jugement est soumis à tous les membres de l'OMC pour approbation,
à moins qu'il y ait recours en appel. L'OMC permettant maintenant un tel
recours, il y a un organe d'appel dont la composition est
négociée et acquise par consensus des 132 pays actuellement
membres de l'OMC.
Cet organe d'appel doit examiner la question d'un point de vue légal,
comme c'est souvent le cas en instance d'appel, et l'on tombe dans une
situation où, dans le cas des hormones, l'organe d'appel de l'OMC a
confirmé certaines des décisions du panel et en a infirmé
d'autres. Toujours est-il que la Communauté européenne doit
procéder, selon son interprétation de ce qui a été
dit par ses experts juridiques, à une analyse des risques en
matière d'utilisation ou pas d'hormones dans les viandes.
Il y a d'ailleurs encore débat, puisqu'en ce moment même, on
attend sous peu une décision d'un arbitre pour déterminer le
temps que la Communauté doit avoir pour procéder à
l'analyse des risques et, si nécessaire, pour ajuster ses
réglementations par rapport au problème des hormones.
Telle est la façon dont cela se passe dans le cadre d'un problème
de mesures sanitaires ou phytosanitaires, pour lequel il y a une règle
claire, évidemment assujettie à l'interprétation, comme
toutes les règles.
Lorsque l'on parle maintenant des OGM, on est effectivement devant une
situation où l'on n'est pas sûr. Certains experts disent que
l'accord sanitaire ou phytosanitaire de l'OMC couvre parfaitement ces
problèmes, qui sont finalement très similaires ; d'autres
disent que ce n'est pas évident.
Il y a aussi au sein de l'OMC -c'est aussi un labyrinthe- un accord sur les
obstacles techniques au commerce, qui couvre éventuellement ces
thèmes si, par hasard, il était estimé que la
définition de l'OGM ne donne pas une définition assez
précise de ce qu'est une mesure sanitaire ou phytosanitaire dans le
cadre de l'accord sanitaire.
En revanche, lorsque l'on parle de cet accord sur les obstacles techniques au
commerce, on a des problèmes et des paradoxes.
Tout d'abord -c'est une question pour les experts-, à la fin d'un
processus de production ou de manipulation génétique,
parle-t-on toujours du même produit ou est-ce un produit
différent ? Si l'on parle exactement du même produit, il n'y
a pas de problème ; des règles pré-établies
peuvent être utilisées pour juger une affaire.
Si l'on parle d'un produit différent -je vous donne une
appréciation personnelle parce qu'aucun des membres de l'OMC ne m'a
mandaté ici pour interpréter leurs droits et leurs obligations
à l'abri des règles de l'OMC- on semble être dans un
certain flou.
En troisième lieu, si l'on parle d'un produit similaire, c'est un long
débat à l'OMC, déjà depuis le temps du GATT.
Qu'est-ce qu'un produit similaire ? Quelles sont les règles qui le
gouvernent ? Je pense que, là encore, il y a un certain vague,
malgré une jurisprudence construite au fil des années dans le
domaine de ce qu'est un produit similaire.
Pour terminer sur le point, par exemple, des aflatoxines, que vous avez
mentionnées, que se passe-t-il quotidiennement à l'OMC ?
Pour les problèmes sanitaires et phytosanitaires, nous avons un
comité qui se réunit trois ou quatre fois par an (il se
réunit dans dix jours à Genève), et qui discute des
problèmes soulevés par les membres.
L'un des problèmes soulevés à la dernière
réunion du mois de mars de ce Comité, est une décision
prise par la Commission de Bruxelles pour doubler pratiquement le taux
d'aflatoxines qu'elle jugeait acceptable dans les cacahuètes.
Cela a soulevé un tollé chez les membres de l'OMC, notamment un
large nombre de pays en voie de développement, les Etats-Unis et
d'autres pays. Il en est résulté que la Communauté a
décidé d'ajourner cette décision. Le jour même
où la Communauté discutait cette décision à
Genève, un comité du
Codex
qui travaille depuis
dix ans sur la question venait de prendre une décision (qui a
été prise lors de cette réunion et qui est toujours en
attente du feu vert de la Commission).
Comment peut-on pallier ces choses ? Tous les pays sont membres ;
tous les pays peuvent apporter une question à l'OMC, et il faut le
faire. Lorsque je rencontre des pays en voie de développement, vous
imaginez le problème que j'ai à leur dire de venir à l'OMC
soulever le problème... La France peut faire cela au travers, pour
l'OMC, des représentants de la Commission.
M. Le Président
-
Je souhaiterais une
rapide intervention de Madame Lepage et de Monsieur Axel Kahn sur la
partie coordination Europe, en essayant d'être très
synthétiques.
Mme Lepage
-
Je voudrais réagir sur cette
affaire de la viande aux hormones, qui est absolument essentielle pour la
suite. C'est une question fondamentale, parce que la manière dont le
panel d'appel terminera cette affaire nous engage très largement sur la
manière dont, par la suite, lorsque nous aurons des
règlementations sanitaires dans le cadre de l'Union européenne, y
compris éventuellement sur les organismes génétiquement
modifiés, les règles de l'OMC auront à jouer.
Si nous avons complètement perdu, nous Européens, la
première manche devant le premier panel, qui avait
considéré comme incompatible avec les règles de l'OMC
l'interdiction de la commercialisation de la viande aux hormones, qui existe
pourtant depuis les années 80 en Europe, le panel d'appel a assoupli la
position mais, pour ma part, je ne considère pas que ce soit
satisfaisant.
En effet, il y a en réalité une inversion de la charge de la
preuve, et c'est fondamental. Autrement dit, qui a à faire la preuve du
danger ou de l'innocuité ? Et, dans la décision rendue par
le panel d'appel, c'est à nous, Européens, de faire la preuve
qu'il y a un danger à l'utilisation de l'hormone de croissance, alors
que, logiquement, ce devrait être au demandeur de faire la preuve qu'il
n'y a pas de danger.
Bien entendu, cette charge de la preuve est très difficile et, de plus
-d'où l'importance de la décision attendue-, le délai
donné à l'Europe pour faire cette preuve est notoirement
insuffisant. Le temps qui nous a été imparti ne permet pas de
faire les expertises nécessaires.
Cette question est donc tout à fait centrale, et elle préjuge
très lourdement de l'avenir.
En second lieu, concernant la question de la coordination au niveau
européen, je dirai, Monsieur le président, que compte tenu de
l'expérience de deux ans que j'ai pu avoir, le système arrive
encore moins au niveau de la décision politique qu'il n'arrive en
France.
Autrement dit, les commissions d'experts bruxelloises rendent des avis qui vont
au niveau de la Commission, mais cela s'arrête là. En tant que
ministre de l'environnement, je n'ai jamais eu les avis des commissions
bruxelloises.
J'ajoute enfin -c'est peut-être un élément important au
niveau de la réglementation interne- que le système actuel, qui
consiste à demander son avis au Ministère de l'environnement en
lui donnant un délai de quatorze jours à compter de l'avis
émis par la CGB, à l'issue duquel, s'il ne s'est pas
exprimé, il a donné un avis favorable, n'est à mon sens
pas valable.
En effet, lorsque l'on connaît un peu l'organisation interne de
l'administration, on sait très bien qu'avec un délai de quatorze
jours pour que cela arrive éventuellement jusqu'au Ministre et pour
qu'il en soit saisi, il n'y a aucune chance que cela puisse fonctionner.
M. Le Président
-
Internet existe, Madame
Lepage.
Mme Lepage
-
Oui, mais je ne suis pas sûre que,
sur Internet, on trouve tous les éléments nécessaires
à la prise de décision.
M. Kahn
-
A propos de la partie coordination Europe en
matière de décision Europe-France, il y a trois aspects, que je
voudrais commenter rapidement.
En premier lieu, pour revenir sur l'expertise et la différence entre les
comportements et la préparation, l'aide au travail des experts dans les
différents pays, au sein même de la Commission européenne,
ce que l'on a dit de la "deshérence" de l'expertise française par
rapport à celle des collègues est tout à fait vrai.
Dans les discussions européennes, on voit nos collègues,
notamment anglais ou des Pays-Bas, arriver avec des dossiers très
fouillés, pour la préparation desquels ils ont été
puissamment aidés par la mise à disposition d'une importante
documentation, qui représentent vraiment le point de vue du pays
concerné lorsqu'il s'agit de cette représentation.
Or, autant que je le sache -peut-être les choses
s'améliorent-elles à l'heure actuelle-, ce type d'effort de
coordination est rarement fait au niveau français, ce qui ne donne pas
à l'appréciation de notre pays le poids auquel elle pourrait
probablement prétendre du fait de la qualité de sa
réflexion.
En second lieu, la mécanique européenne de prise de
décision est très compliquée ; vous l'avez dit. A
l'extrême, elle pourrait fonctionner avec cet élément
très caractéristique de la mécanique communautaire
-Madame Lepage l'a rappelé- : la mécanique
communautaire de la Commission européenne -j'imagine que des
règles ont été prises dans ce sens- est tout à fait
parallèle à l'expression démocratique des
différents pays. En fait on s'est efforcé de faire en sorte
qu'elle n'en soit pas dépendante.
La possibilité pour le Parlement européen et pour les
représentants politiques des différents pays d'intervenir est
à chaque moment limitée par des règles qui fondent
réellement cette mécanique particulière. C'est un
débat qui dépasse mon intervention.
Mais il y a une logique qui vaut ce qu'elle vaut ; il y a plusieurs
systèmes ; c'est très compliqué, et cela pourrait
fonctionner. En réalité, ce qui ne fonctionne pas dans les faits,
c'est que les rouages mêmes de la Commission européenne ne sont
très souvent pas utilisés. Il est très facile pour
quiconque, pour un directeur ça et là, de bloquer le
système.
Alors même que les décisions n'allaient pas dans ce sens, on a vu
plusieurs fois, dans un sens ou dans l'autre, la totalité du
système parfaitement bloquée parce qu'il y a plusieurs
étapes. Plus il y a d'étapes, plus il est facile de bloquer le
bon déroulement d'un processus à l'une de ces étapes.
Quelle que soit la décision que prend l'Europe, elle doit définir
une règle du jeu, puis se mettre en état de la faire absolument
appliquer. C'est tout à fait essentiel.
M. Magalhães
-
En jurisprudence, un seul cas ne
fait pas jurisprudence. N'importe quel autre groupe spécial pourra donc
renverser cette décision. Il est vrai que cela pose tout de même
un jalon.
En second lieu, pour l'inversion de la charge de la preuve pour le cas des
hormones, je voulais tout simplement souligner que l'accord sur les mesures
sanitaires et phytosanitaires, prévoit que lorsqu'un pays applique une
norme internationale et lorsque cette norme internationale existe, il est
présumé être en accord avec toutes les disciplines de
l'accord.
Or, dans le cas des hormones, il existe effectivement des normes
internationales, qui ont été à l'époque
négociées aussi par la Commission et par la Communauté
européenne. La Communauté a donc des normes qui sont beaucoup
plus exigeantes avec une interdiction de viande produite aux hormones. Elle a
donc pour charge de prouver que, scientifiquement, ces hormones sont
dangereuses, peuvent présenter des risques.
Pour cela, elle aurait dû faire une analyse de risques. Je n'ai pas
à commenter les décisions du panel ou de l'organe d'appel, mais
elle doit effectivement procéder à une analyse des risques, puis
on verra la suite des choses.
M. Etienne Vernet
-
Je souhaite faire deux
commentaires et poser une question.
Les fondements de la législation européenne en matière
d'évaluations et de contrôles de l'OCDE, dans le livre bleu de
1986 et jusqu'en 1992, stipulaient clairement que les évaluations et les
contrôles en matière d'OGM ne devaient pas mettre en place des
règles trop contraignantes au commerce.
On oppose dès le départ la liberté de circulation des
produits OGM à une sécurité alimentaire, et cela peut nous
poser un problème par rapport à l'évaluation future de ces
OGM. Cherchera-t-on vraiment à faire toutes les voies de recherche qui
déboucheront effectivement sur des hypothèses de travail, qui
devront à leur tour être étudiées par les
scientifiques nationaux ? On peut se poser cette question dès le
départ.
Je souhaite faire une deuxième remarque par rapport à cet
étiquetage, et abonder dans le sens des différents orateurs sur
cette question : en 1992, alors que ce n'est pas du tout son rôle,
la CGB avait rendu un avis sur l'étiquetage des OGM, selon lequel cet
étiquetage n'était pas souhaitable parce que les consommateurs
pouvaient croire que ces aliments étaient plus dangereux que des
aliments naturels.
Peut-on se positionner sur le conseiller scientifique ou l'expert
scientifique ? Je laisse au Président de la CGB de juger de son
avis. N'est-on pas un peu sorti du mandat de la CGB ?
Dernièrement, la réunion bilatérale entre l'Allemagne et
la France demandait clairement la suppression de prescriptions bureaucratiques
inutiles dans le domaine du génie génétique, qui avaient
en définitive pour objectif de libérer certains organismes
appartenant à des niveaux de sécurité, de toute
évaluation et de contrôles.
N'est-on pas justement en train d'aller un peu trop vite encore une fois ?
Au moment même où, en Europe, on discute sur l'innocuité ou
non de ces organismes, tant dans les enceintes démocratiques que dans
les enceintes scientifiques, des ministres de la recherche se réunissent
et décident de travailler pour libérer des organismes qui
devraient normalement être évalués et que l'on
n'évalue plus. N'y a-t-il pas un danger ?
Ma question aux politiques est la suivante : n'y a-t-il pas un danger de
voir cette évaluation scientifique, que tout le monde appelle de ses
voeux, être un peu mise en deçà de la décision
politique ?
Je m'adresse maintenant directement à Monsieur Axel Kahn : par
rapport à la procédure nationale, dans le cas d'une fiche
d'information, lorsqu'il y a un numéro d'enregistrement à la CGB,
la date du numéro d'enregistrement fait-elle valeur de loi par rapport
à la décision, par exemple, d'autoriser l'expérimentation
d'une plante transgénique ?
M. Le Président
-
Merci
Monsieur Vernet, mais c'est mon rôle de poser des questions, en tant
que rapporteur. Je souhaite que l'expertise d'un rapporteur soit plus
secrète et confidentielle et soit ouverte. J'ouvre donc les questions.
Cela étant dit, Axel Kahn a demandé la parole, et je voudrais
ensuite poser une ou deux questions supplémentaires. On n'a pas
parlé de biovigilance, et cela me paraît très important.
M. Kahn
-
A propos de l'étiquetage, la
Commission du génie biomoléculaire, sur des sujets
différents, a donné deux types d'avis.
Le premier avis a été le suivant : s'il s'agit
d'évaluer un risque particulier, nous pensons que les plantes
transgéniques par rapport aux autres variétés ne
comportent pas en elles-mêmes un risque particulier, parce que l'on a
utilisé cette méthode -c'est toujours ma conviction tout à
fait intime-, et qu'il n'y a pas à faire cet étiquetage de
risques.
Sinon, -et nous l'avons également souligné dans cette
réponse-, il faut indiquer très largement pour des plantes, que
l'on a utilisé lors de leur culture tels pesticides, tels engrais, avec
telle fréquence, à telles doses, que l'on a utilisé
l'irradiation, l'ionisation, etc.
Le fait de sortir une méthode particulière par rapport à
toutes ces pratiques agricoles n'a pas de justification s'il s'agit
d'identifier un risque.
Quelques années après, nous avons dit sur un autre point que
l'étiquetage ne concernait pas simplement le risque, qu'il concernait
également la réponse positive à une demande
démocratique. Lorsque, par exemple, on indique quelle est la provenance
d'un kilo de cerises (Afrique du Sud, Chili ou Italie), on ne veut pas dire
qu'elles sont dangereuses lorsqu'elles en viennent.
Et, dès l'instant où il y a une demande démocratique d'une
information, parce que les citoyens considèrent qu'il leur importe de
savoir si l'on a utilisé cette technique, qui correspond à une
valeur symbolique particulière, il n'y a strictement aucune raison de ne
pas donner cette information.
Voilà très exactement ce qu'a été notre attitude
et, aujourd'hui, si l'on me demandait de répondre à cette
question, je reprendrais tout à fait cette attitude ; j'en suis
complètement solidaire.
Le travail des experts en matière d'OGM est toujours incertain, avec les
éléments d'incertitude sur lesquels j'ai insisté tout
à l'heure, qui débouchent sur la nécessité parfois
d'accompagner une décision de mesure de suivi.
Mais le travail est facilité par la nature même de ce qui se fait,
et par la disparité internationale. En d'autres termes, si l'on me
demande actuellement de rajouter à la pomme de terre un gène de
résistance à la teigne, ma difficulté pour prédire
le comportement sera bien moindre que celle à laquelle j'aurais
été confronté il y a quelques siècles, si l'on
m'avait demandé, du temps de Monsieur Parmentier, quel était
le danger écologique d'introduire la pomme de terre en Europe, alors que
je ne savais absolument pas comment elle se comporterait dans ce nouvel
écosystème.
J'aurais eu du mal à dire si l'on pouvait ou pas introduire cette
variété exotique, comme cela a été fait sans aucun
ménagement, avec beaucoup d'imprudence, pendant des siècles.
Après tout, peut-être est-il bon d'attendre. En second lieu,
actuellement, plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde
mangent quotidiennement des OGM. En 1998, aux Etats-Unis d'Amérique, les
surfaces cultivées en OGM représentent 34 millions
d'hectares, plus 2 millions d'hectares environ au Canada, un peu plus de
2 millions d'hectares en Australie. On doit donc se trouver dans le monde
entier avec 40 à 45 millions d'hectares cultivés en OGM,
donc des populations entières qui les consomment.
Cela permet d'avoir un élément d'expertise quant au comportement
écologique et à la santé de ces populations, qui
s'ajoutent à notre réflexion.
M. Joël Chenais
(Responsable de la Commission
environnement des Verts) -
Concernant les problèmes
d'expertise, quelqu'un a évoqué le manque de données,
d'informations, le fait que les dossiers des experts français
étaient souvent faibles.
Récemment, on a créé au Parlement deux agences de
sécurité sanitaire ; la création d'une
troisième agence de sécurité sanitaire portant sur les
problèmes santé environnement ne serait-elle pas pertinente pour
justement coordonner, développer tous les outils qui permettraient
d'accumuler toutes les informations nécessaires pour permettre aux
politiques d'avoir des jugements un peu plus étayés ?
D'autre part, concernant la CGB et la place des associations, actuellement il y
a un représentant unique des organisations d'agriculteurs et un
représentant unique des associations de consommateurs. Or, chacun sait
que les associations de consommateurs ne sont pas forcément toutes
exactement sur la même ligne, tout comme les organisations d'agriculteurs.
Ne serait-il pas utile d'élargir ? A quel niveau ? Est-ce au
niveau de la CGB telle qu'elle existe, ou éventuellement au niveau d'un
chapeau plus large qui couvrirait la CGB, la Commission des toxiques et
éventuellement un autre comité, pour prendre en compte les
problèmes qu'il peut y avoir entre différents groupes ?
M. Le Président
-
Vous posez une bonne
question. Je demande à tous ceux qui ont une réponse à ce
sujet de nous la faire parvenir, parce que je pense qu'au niveau du rapport,
j'aurai à trancher sur cette question. C'est une vraie question de
participation des citoyens dans la décision publique, et vous posez
là un vrai problème : comment organiser le
système ?
Je souhaite poser une question complémentaire à celle-là,
la question de la biovigilance, et je demande à tous ceux qui ont des
avis en la matière de nous les transmettre.
Il y a eu une autorisation de mise en culture le 27 novembre 1997,
à un certain nombre de conditions qui étaient :
- l'évolution de l'efficacité des variétés
considérées contre les populations-cible de ravageurs du
maïs,
- l'apparition éventuelle de tout effet non-intentionnel sur les
populations de ravageurs ou d'auxiliaires hébergés par le
maïs -cela répond d'ailleurs à la question de
Monsieur Pelt, ce matin-,
- les effets éventuels de l'entomofaune,
- les effets éventuels sur l'évolution des populations
bactériennes du sol,
- les effets éventuels sur l'évolution des populations
bactériennes de la flore digestive des animaux consommant du maïs.
L'harmonisation de cette Commission de biovigilance est-elle bonne avec la
CGB ? Certains en font partie autour de cette table, et ils peuvent
répondre.
Le système de décision que je vous ai décrit tout à
l'heure (décisions au niveau de la France, décisions
européennes) est-il bien harmonisé avec la Commission de
biovigilance ? Les deux ne vont-ils pas se recouper ?
S'il y a déjà eu une autorisation de mise en culture
expérimentale, puis une autorisation de mise sur le marché, la
Commission de biovigilance doit-elle traiter des mêmes sujets ? Y
a-t-il une bonne harmonisation à ce niveau ?
Enfin, je pose une question personnelle à Madame Lepage, parce
qu'on me l'a posée très souvent, et les membres du Comité
de pilotage l'ont entendue. Beaucoup de personnes nous ont dit qu'elles
n'avaient pas compris la décision que vous aviez prise, et vous pouvez
peut-être nous l'expliquer publiquement.
En février 1997, pourquoi autoriser finalement les importations de
maïs et de soja, et pourquoi avoir refusé la mise en culture en
février 1997 ? Cette question nous a été
posée très souvent.
Mme Lepage
-
Je peux répondre sur ce point, en
deux temps.
La question de l'importation du maïs a été
réglée, comme le texte le prévoit, au niveau du
Ministère de l'agriculture. Je ne peux pas dire qu'il y ait eu un vrai
débat global gouvernemental sur la question de l'importation, d'autant
plus que cette décision d'importation venait après celle qui
avait été prise au niveau communautaire en décembre 1996,
qui avait admis le principe de l'importation du maïs transgénique.
J'ajoute qu'il y avait une pression gigantesque puisque, lorsque le Conseil des
Ministres de l'environnement a siégé, à
Noël 1996, les ports européens étaient pleins de
bateaux attendant pour décharger du maïs que, d'autre part, nous
étions en pleine discussion de Singapour de l'OMC, sur le thème
environnement/commerce, et que cette question a dû être
réglée avec beaucoup d'autres à cette époque.
Cette décision s'inscrivait dans ce qui avait été
décidé au niveau communautaire.
Cela étant, la question de la mise sur le marché et celle de la
mise en culture ne m'apparaissent pas pouvoir être totalement
assimilées. En effet, la question de la mise en culture soulève
des problèmes de nature écologique, de nature environnementale,
qui ne se pose pas au niveau français, au stade de l'importation de
maïs produit ailleurs.
Nous n'avons pas, nous Français, la capacité de nous interroger
sur les conditions dans lesquelles aux Etats-Unis, on surveille ou pas, et s'il
y aura ou pas des conséquences suite à la mise en culture de
maïs transgénique.
En revanche, cela nous intéresse directement sur le sol français
et, par voie de conséquence, la question de la mise en culture posait
des problèmes différents, notamment ceux des effets au niveau des
transmissions bactériennes, qui commencent maintenant à
être largement soulevés et discutés, des effets
particuliers liés à ce maïs, qui utilisait, même de
manière passive, un marqueur de résistance à
l'ampicilline. Tout cela posait un problème.
De manière plus générale, la question me paraît
différente pour la raison suivante : si, demain matin, l'Europe
décide que l'on ne commercialise plus le maïs transgénique
en Europe, que l'on arrête tout, ceux qui l'auront absorbé
l'auront absorbé et nous verrons dans cinq, dix ou quinze ans si
cela a eu des conséquences ou pas.
En effet, je pense qu'il faut tout de même être assez prudent en la
matière. Lorsqu'actuellement, on voit des maladies ou des
récurrences chez certains types de populations, je pense que le minimum
est d'avoir une certaine modestie et une certaine prudence.
En revanche, si demain matin, on décide que l'on arrête la mise en
culture du maïs transgénique, on l'arrêtera mais, si des
mutations ont été induites, s'il y a eu des transferts
bactériens, on ne les arrêtera pas, parce qu'ils sont
déjà passés. Il y a donc une question
d'irréversibilité qui se pose au niveau de la mise en culture,
qui, à mon sens, ne se pose pas dans les mêmes termes au niveau de
la commercialisation.
Je veux donc bien, Monsieur le Président, que l'on dise qu'il y a une
contradiction entre les deux ; à l'extrême, je dirai de
manière très ouverte que, si j'avais eu à prendre la
décision des deux, je n'aurais pas autorisé la commercialisation
mais, cela étant, les deux questions ne m'apparaissent pas strictement
identiques.
M. Riba
-
Je fais partie du Comité de
biovigilance ; je peux témoigner qu'il est très ouvert. Il
comprend des représentants de différentes associations de
producteurs, de sociétés d'environnement, etc. Il fonctionne
bien ; le dialogue est bon ; les protocoles ont été
validés et le financement a été acté. La
réunion avait lieu ce matin.
En second lieu, concernant les liens par rapport à la CGB tel que cela a
été posé, je dirai que nous prenons le train en marche. Il
y a certainement des progrès à faire, notamment dans une
distinction entre les évaluations de risques plus
génériques qui, à mon avis, sont davantage du ressort de
la CGB, et les évaluations des risques de la mise en culture et de suivi
des événements, comme cela a été discuté,
qui sont du ressort typique du Comité de biovigilance.
Quant au lien avec l'échelle européenne, je dirai personnellement
que tout ce qui peut procéder à la simplification administrative
est prioritaire. Il est inutile de créer davantage de comités si
c'est pour se retrouver avec plus de paperasse et une estimation des risques
pas forcément améliorée.
Par rapport à Bruxelles, je considère qu'il y a aussi du
générique qui peut être fait à Bruxelles
-Axel Kahn l'a mentionné et je partage cet avis-, à la
condition que ce soit simplifié administrativement.
M. Kahn
-
Monsieur le Président, je
réponds brièvement aux questions que vous avez posées
concernant ce que je pense être souhaitable pour l'organisation des
futures commissions.
Tout d'abord, fort de mon expérience d'un peu plus de dix ans
à la Commission de génie biomoléculaire, je pense qu'il
faudrait certainement augmenter la compétence scientifique en
s'adjoignant des malherbologues, des spécialistes des flux de
gènes, des écologistes scientifiques. C'est tout à fait
important.
Il faudrait peut-être trouver un moyen de disjoindre deux niveaux
d'évaluation, le niveau purement technico-scientifique et le niveau de
réceptivité, de sensibilité, parce qu'en
réalité, ce sont effectivement deux niveaux de
l'appréciation.
Enfin, il est absolument impératif que la CGB et la Commission de
biovigilance soient tout à fait séparées.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Madame la
Ministre et Messieurs, d'avoir participé à cette table ronde.
Des propos intéressants ont été tenus, y compris sur
notre future organisation du contrôle et de l'expertise.
Audition de M. Louis Le Pensec, Ministre de l'agriculture et de
la pêche
M. Le Président
-
Je remercie Monsieur le
Ministre de l'agriculture et de la pêche, Monsieur
Louis Le Pensec, d'être présent pour ces auditions sur
les utilisations des organismes génétiquement modifiés
dans l'agriculture et dans l'alimentation.
Nous avons déjà eu trois tables rondes :
- une première sur les enjeux économiques et internationaux
pour l'agriculture et l'alimentation
- une deuxième sur les enjeux pour la recherche
- une troisième sur les enjeux réglementaires - Comment
organiser l'expertise ? Quel contrôle ?
Elles se sont bien passées, avec des propositions qui ont
été à mon sens très constructives.
Monsieur le ministre, nous allons vous laisser faire une déclaration, et
je vous poserai un certain nombre de questions. Nous n'avons qu'une heure et
trois ministres doivent intervenir ; ceux qui souhaitent poser des
questions sont priés de les inscrire sur les feuilles prévues
à cet effet. Je les transmettrai, tout comme plusieurs questions
posées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques et le Comité de pilotage.
Auparavant, je voudrais vous lire une lettre. Ce matin, je disais que nous
avions un forum interactif sur Internet, qui sera réellement interactif
et qui commence à être plus rapide au niveau des moyens de
recherche, sur le site :
www.assemblee-nat.fr
Dans ce forum, une lettre récente indiquait :
"
Réflexion naïve sur les OGM :
Comment de simples citoyens peuvent-ils avoir un avis sur cette question
éminemment complexe qui, pourtant, les touche au premier chef ?
Entre d'une part les réactions épidermiques des uns à tout
ce qui est nouveau et hautement suspect, et pourquoi pas l'oeuvre du diable,
les Américains en l'occurrence, et de leur outil, l'argent, et les
réactions économistes des autres -le train est en marche ;
il ne faut pas le rater sous peine d'être déclassé-, qui ne
se posent apparemment pas la question de savoir quelles sont les
conséquences des OGM sur la santé et l'environnement, il est
difficile de se faire une opinion.
Cependant, à mon avis, et bien que spontanément je ne sois pas
très enthousiaste à l'idée de manger des OGM, il me
paraît difficile de faire l'impasse sur des centaines de millions de
personnes qui, par le monde, ont faim.
Les OGM peuvent-ils apporter une contribution significative à
l'autonomie alimentaire des pays pauvres, ou bien resteront-ils l'apanage des
pays riches, qui sont déjà largement excédentaires ?
Enfin, de toute façon, ce débat n'est-il pas
stérile ? A-t-on déjà vu des percées
scientifiques rester inutilisées ? L'homme n'a-t-il pas toujours
manipulé son environnement ? Tout ce que l'on peut espérer,
c'est d'y mettre des règles.
Pour en terminer de façon pratique, l'étiquetage des OGM me
paraît indispensable, pour que les consommateurs aient le libre choix de
leurs achats. Le contraire serait inacceptable.
"
C'est le dernier courrier sur notre site, que j'ai retiré et que je
voulais vous lire en introduction.
Monsieur le Ministre, je vous laisse maintenant la parole.
M. Le Pensec
- Mesdames et Messieurs,
Merci tout d'abord pour votre invitation. Cette participation, la
première dans l'ordre, d'un membre du gouvernement, est un temps fort
dans la réflexion, dans l'action.
Il est de fait que les possibilités ouvertes par les progrès du
génie génétique posent à notre
société des questions essentielles pour son avenir. Les
scientifiques doivent naturellement prendre une part importante à ce
débat, mais il ne leur revient pas de décider seuls des
réponses qui doivent être apportées à des questions
aussi fondamentales.
Il est donc normal que l'utilisation du génie génétique
soit au coeur des réflexions du gouvernement, et que vous entendiez
l'avis des membres du gouvernement principalement concernés, du fait de
leur domaine de compétence, par les organismes
génétiquement modifiés.
Comme le disait Monsieur Le Déaut, je suis Ministre de
l'agriculture et de la pêche, responsable d'un secteur pour lequel les
applications du génie génétique sont
particulièrement importantes. Les principales applications dans ce
domaine concernent les plantes et, dans une moindre mesure, les animaux. Mais
les applications sont déjà sorties des laboratoires pour
connaître d'importantes applications industrielles.
Le débat est complexe car le génie génétique est
multiple.
Appliqué à la fabrication de médicaments ou même
à des bactéries, il ne suscite pas de réticences de la
part du grand public. Ainsi, les enzymes dans le domaine alimentaire ou des
protéines comme la lysine sont fabriquées et utilisées
depuis de nombreuses années sans craintes particulières.
Les réticences, parfois d'ordre éthique, apparaissent lorsque
l'on touche aux êtres supérieurs comme les plantes et plus encore
les animaux.
Le développement des OGM en agriculture est à la croisée
des chemins, et c'est aujourd'hui que les décisions que l'on doit
prendre peuvent changer la physionomie de l'agriculture de demain.
C'est pourquoi, avant de prendre des décisions qui engagent l'avenir, le
gouvernement a souhaité qu'un large débat ait lieu. Il sera donc
attentif au rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, que prépare son Président,
Monsieur Le Déaut, tout comme il sera attentif aux résultats
de la Conférence citoyenne de consensus, qui aura lieu à la fin
du mois de juin.
Je ferai un rapide état des lieux.
Actuellement, les dossiers examinés en France portent sur des demandes
d'autorisation de dissémination à des fins de recherche et
développement de plantes modifiées pour acquérir des
résistances aux herbicides dans la plupart des cas. Ces plantes
modifiées sont en majorité des plantes de grandes cultures comme
le maïs, le colza, la betterave.
Douze plantes bénéficient d'autorisations de mise sur le
marché au niveau communautaire. Six font l'objet d'une mise sur le
marché effective : le maïs, le colza, le soja, la
chicorée, le tabac et l'oeillet.
Seuls le maïs et le soja sont autorisés pour un usage alimentaire.
Les six autres plantes, avant d'être effectivement
commercialisées, doivent faire l'objet de mesures de transposition dans
chaque état membre. Il s'agit de lignées de maïs, de colza
et de soja.
Les dossiers relatifs à ces six plantes comportent des usages
alimentaires.
J'ai moi-même signé un arrêté d'autorisation de mise
en culture d'une lignée de maïs génétiquement
modifié mise au point par la firme Novartis. Je l'ai fait après
que toutes les instances scientifiques associées aux procédures
d'examen mais aussi de décision se soient prononcées en faveur
d'une possible autorisation.
Le gouvernement a aussi voulu mettre fin à une situation qu'il jugeait
incohérente, qui avait été créée par le
gouvernement de Monsieur Juppé, au terme de laquelle était
autorisée l'importation de ce type de maïs, donc sa consommation,
mais pas sa mise en culture. Seul un risque pour l'environnement pouvait
motiver une décision de cette nature. Or, l'examen du dossier n'en
faisait apparaître aucun.
Neuf dossiers ont été transmis à la Commission
européenne et sont en attente d'un avis des comités scientifiques
communautaires. Il s'agit de lignées de maïs, de colza, de
betterave, de coton, de chicorée, de pomme de terre et de tomate.
Pour la quasi-totalité de ces dossiers, la modification
génétique a pour objectif d'introduire un gène
d'intérêt agronomique, notamment de résistance à des
insectes, à des virus ou à un herbicide. Seuls les dossiers
d'oeillets (coloration florale modifiée), de tomate (maturation
retardée) et de pomme de terre (amidon modifié) peuvent avoir un
intérêt direct pour l'industrie de transformation ou pour le
consommateur.
Je souligne qu'aucun dossier de dissémination dans l'environnement
-c'est l'appellation consacrée- ne concerne des animaux
transgéniques. En effet, les modifications effectuées sur des
mammifères restent, en France, au niveau des laboratoires. Ces
applications visent par exemple la production de protéines
intéressantes en thérapeutique humaine, excrétées
dans la plupart des cas dans le lait.
D'autres applications sont du domaine de la recherche fondamentale et ont pour
objet de comprendre les mécanismes cellulaires, en particulier la
différenciation des cellules. C'est ainsi par exemple que le veau
Marguerite est né.
Les problèmes posés par les animaux transgéniques ont une
dimension éthique spécifique, qu'il faut prendre en compte. Les
projets de recherche qui ont été entrepris dans ce domaine
devraient être rigoureusement encadrés, et leur objet
précisément défini par des instances de contrôle
spécifique au sein des organismes de recherche.
Si l'on peut comprendre leur intérêt pour la recherche
médicale, appliquer les résultats de ce type de recherches
à l'amélioration génétique des animaux ne me semble
pas souhaitable. Je me suis exprimé en ce sens lors de la naissance que
je viens d'évoquer. En effet, ce que l'on sait faire et ce que l'on peut
faire sur un animal, un mammifère en particulier, est directement
applicable à l'homme, avec toutes les dérives que l'on peut
imaginer.
En tout état de cause, la dissémination des animaux
transgéniques ne pourrait être opérée sans
autorisation au cas par cas du gouvernement, qui conserve ainsi son pouvoir
d'orientation et de contrôle.
Parlons des risques spécifiques liés au développement du
génie génétique.
A l'heure de l'arrivée des premières plantes transgéniques
sur le marché mondial, il m'apparaît important de rappeler que,
même s'il représente une rupture qualitative importante, cet
événement s'inscrit dans un long mouvement continu lié
à l'essence même de l'agriculture, celui de la maîtrise du
vivant et de l'amélioration des plantes cultivées.
Le principe de sélection des plantes cultivées est connu
empiriquement depuis dix mille ans. Ce principe consiste à croiser des
individus mâles et femelles d'une espèce donnée et à
choisir parmi les descendants, les individus ayant
bénéficié des caractères avantageux.
Le génie génétique permet d'identifier les gènes
conférant le caractère recherché, et de les
transférer à la plante qu'il s'agit d'améliorer.
La principale différence, à mon sens, entre la sélection
classique et l'amélioration végétale par
transgénèse est que cette dernière permet de transgresser
les barrières d'espèces en permettant le choix d'un gène
chez n'importe quel être vivant, qu'il s'agisse de
végétaux, d'animaux ou de bactéries, pour l'introduire
dans le génome d'une autre être vivant.
De ce point de vue, les dossiers actuellement soumis à examen, tant dans
une perspective de recherche et développement qu'en vue de leur mise en
marché, dont je viens très rapidement de faire le bilan, ne sont
qu'un pâle reflet des potentialités qu'offre le génie
génétique.
Il y a en effet dans l'application de cette technologie aux plantes un
potentiel important d'amélioration en termes de qualité, tant sur
le plan nutritionnel que technologique ou agronomique, notamment par la
résistance aux insectes et aux maladies. Il y a aussi dans l'application
de ces techniques un potentiel fort en termes de réduction de l'impact
de l'agriculture sur l'environnement et de développement durable.
Toute nouvelle technologie, si elle présente des avantages, peut
présenter aussi des risques. L'avancée des sciences mais aussi
des techniques nous a montré que le risque zéro n'existait pas,
et le génie génétique n'échappe pas à cette
règle.
J'ai évoqué tout à l'heure les problèmes
éthiques soulevés par les manipulations génétiques
sur les animaux ; je n'y reviendrai pas, et je centrerai la suite de mon
exposé sur les risques liés aux plantes
génétiquement modifiées.
Ces risques sont, à mon avis, de trois ordres : alimentaire,
environnemental et économique.
- Le risque alimentaire
L'évaluation de la salubrité, qui comporte à la fois les
aspects nutritionnels mais aussi toxicologiques des aliments issus des plantes
transgéniques, est fondée sur le concept "d'équivalence en
substance". Il s'agit de comparer ces nouveaux aliments issus de manipulations
génétiques à des aliments courants de
référence, consommés traditionnellement sans effets
indésirables.
La difficulté de l'exercice concerne surtout la prédiction du
caractère allergène d'une protéine. Le seul moyen efficace
de répondre à cette préoccupation réside dans une
surveillance alimentaire renforcée, et je pense que, sur ce point,
M. Kouchner, que vous auditionnerez, fera aussi allusion à cette
question.
Si le caractère allergène d'une protéine introduite dans
une plante est avéré, il me semble évident que l'aliment
issu de cette plante ne doit pas être autorisé. A mon sens, il
n'est pas acceptable que le génie génétique multiplie les
sources d'allergènes potentiels.
- Le risque environnemental
La diffusion dans l'environnement de plantes transgéniques
entraîne parallèlement celle des caractères
transgéniques, parfois à d'autres variétés qu'aux
variétés d'origine. Le croisement de différentes
variétés et d'espèces sauvages apparentées peut
faire apparaître des plantes se comportant comme des mauvaises herbes,
qui peuvent par exemple résister à plusieurs herbicides.
La possibilité de transfert de gènes vers des bactéries
est improbable mais elle est possible, et cette possibilité doit
être précisément évaluée lorsque l'on
considère par exemple des gènes de résistance aux
antibiotiques.
De façon générale, ces gènes de résistance
aux antibiotiques, qui étaient nécessaires comme gènes
marqueurs lors des premières constructions génétiques, ne
sont plus aujourd'hui utiles. C'est pourquoi je pense préférable
que, pour la prochaine génération de plantes
transgéniques, ces gènes ne figurent plus dans les constructions
génétiques.
- Les risques économiques
Ils doivent être pris en considération, car il est évident
que la mise en marché de plantes transgéniques va engendrer au
niveau mondial des mutations profondes dans les relations entre les
agriculteurs et les industries semencières.
En effet, si seules quelques plantes transgéniques sont
autorisées en Europe, une soixantaine d'espèces
différentes a fait l'objet de dissémination expérimentale
dans le monde, et la mise en culture des plantes transgéniques, qui ne
concerne en France pour 1998 que quelques milliers d'hectares, approche trente
millions d'hectares dans le monde, dont les trois quarts aux Etats-Unis.
Par ailleurs, les règles actuelles de l'Organisation Mondiale du
Commerce ne permettent vraisemblablement pas d'interdire les importations de
plantes transgéniques reconnues sans danger pour l'homme et
l'environnement. Les Européens seraient alors contraints soit à
consommer des aliments issus de plantes transgéniques en provenance des
Etats-Unis, soit à payer des pénalités très
importantes et difficilement acceptables économiquement.
C'est l'un des enjeux des négociations à venir que de faire
accepter que les règles du commerce mondial prennent aussi en compte les
aspects environnementaux et sociaux dans les relations commerciales entre
Etats. C'est ce que l'on baptise à Genève le "quatrième
critère", déjà évoqué sans
succès lors du précédent cycle de négociations.
A titre indicatif, le gouvernement américain a d'ores et
déjà fait savoir au gouvernement français qu'il estimait
le préjudice actuel, dû au simple retard de décision sur le
maïs, à environ 200 millions de dollars.
L'autre aspect du risque économique concerne les enjeux liés
à la connaissance du génome des plantes. C'est la maîtrise
du vivant au service de l'homme qui est recherchée, mais aussi, par le
biais de la brevetabilité des gènes, son appropriation.
Le secteur semencier en France, avec un chiffre d'affaires de
10,5 milliards de francs, est actuellement le premier en Europe et le
troisième au niveau mondial. Il faut éviter que ce secteur perde
sa place de leader et se trouve à l'écart de l'innovation
biotechnologique. Il faut également éviter de le placer en
situation de dépendance face aux sociétés agrochimiques
américaines, qui disposent d'ores et déjà de nombreux
brevets sur des gènes d'intérêt agronomique majeur.
Comment, dès lors, maîtriser ces risques ?
- Par la recherche
Le risque le plus difficile à évaluer est, je pense, le risque
économique. Mais, quelles que soient nos décisions à
l'égard des OGM, il faut essayer de se prémunir et de ne pas se
laisser déposséder de nos connaissances sur les
variétés végétales. C'est pourquoi il me semble
urgent de renforcer ces connaissances.
Le gouvernement a décidé d'accompagner le développement de
la recherche dans ce domaine, dans le cadre de grands programmes de recherche
et de coopération visant à explorer le génome
végétal.
La recherche et le développement en matière de biotechnologie
sont des secteurs prioritaires du gouvernement pour la mise en place de
réseaux thématiques de recherche, et
Monsieur Allègre, lors de son audition, vous développera, je
n'en doute pas, ce point.
- Par des procédures adaptées
Concernant les risques alimentaires et environnementaux, des comités
d'experts sont capables de les évaluer. En effet, une plante
transgénique est le résultat d'une construction dont les
éléments sont parfaitement caractérisés, et l'on
dispose ainsi de bases rationnelles sur lesquelles on peut bâtir une
évaluation scientifique.
Le risque alimentaire est actuellement évalué par le Conseil
supérieur d'hygiène publique de France, sous la tutelle du
Ministère de la santé. Il le sera dans l'avenir par l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments, qui sera mise en place avant la
fin de cette année. Cette agence fédérera et renforcera
l'expertise existante en matière de sécurité alimentaire,
et devra assurer que cette expertise est réalisée avec
transparence.
L'évaluation du risque environnemental est assurée par la
Commission du génie biomoléculaire sous la tutelle du
Ministère de l'agriculture et de l'environnement. Cette commission,
essentiellement composée de scientifiques, est ouverte à des
représentants de la société civile, notamment
d'associations de consommateurs et de protection de l'environnement.
Pour les dossiers de mise sur le marché, ces évaluations sont
réalisées par l'ensemble des comités existants dans les
différents Etats-membres, relayés en général par
des comités scientifiques européens. Ces évaluations des
comités scientifiques, qui fondent les décisions
ministérielles, doivent être les plus transparentes possible, et
je souhaite que leurs avis soient rendus systématiquement publics.
Les interrogations principales concernant l'utilisation des OGM concernent les
effets à long terme susceptibles par exemple de menacer la
biodiversité.
La réponse n'est pas simple, et ce qu'il faut absolument garantir, c'est
la réversibilité d'éventuelles décisions, par
un suivi précis des autorisations accordées.
Les avis des comités scientifiques ne sont toutefois pas les seuls
éléments à prendre en compte dans les décisions.
Les attentes des consommateurs sont également à considérer.
Les études réalisées auprès d'échantillons
de consommateurs montrent toutes une large méfiance à
l'égard des organismes génétiquement modifiés. Plus
des trois quarts y sont a priori défavorables.
Toute technologie nouvelle génère de l'angoisse, puisqu'elle
explore un territoire inconnu du consommateur, et il n'est ni anormal ni
étonnant que les consommateurs soient inquiets. Cette inquiétude
est d'ailleurs renforcée par le manque de connaissance de la population
à l'égard de la génétique.
Pour qu'un risque soit acceptable par le consommateur, il faut un certain
nombre de conditions, qui ne sont pas réunies actuellement.
La première condition est que ce risque doit avoir pour contrepartie un
bénéfice tangible. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de
bénéfice perçu par le consommateur, dans la mesure
où les raisons de la modification sont ignorées. C'est pourquoi
il me semble essentiel que les innovations issues des biotechnologies
participent à l'amélioration des qualités nutritionnelles
ou gustatives des produits, et pas uniquement à une augmentation de la
productivité.
Une autre condition importante est la liberté de choisir. En effet, un
risque imposé, même théorique, est inacceptable. En
l'absence d'étiquetage, le consommateur a le sentiment qu'on lui impose
un risque en modifiant son alimentation à son insu.
Le Conseil des Ministres de l'agriculture vient, hier, de clarifier la
proposition de la Commission européenne sur le sujet et d'adopter des
mesures relatives à l'étiquetage des aliments issus d'OGM.
Ces mesures prévoient un étiquetage large des aliments issus
d'OGM sur la base de la présence de protéines nouvelles ou d'ADN
issus de la modification génétique, mais aussi l'utilisation
claire et non ambiguë du caractère génétiquement
modifié d'un produit. Il est à souligner que la mention "peut
contenir des OGM", réfutée à la fois par les associations
de consommateurs et les opérateurs économiques, n'a pas
été retenue.
En conclusion, Monsieur le Président, je pense qu'il faut
réellement garantir le choix aux citoyens de ne pas utiliser ou de ne
pas consommer des OGM.
La réponse aux demandes d'autorisation de dissémination de
plantes transgéniques doit, me semble-t-il, être apportée
dans le cadre d'un examen au cas par cas du bilan coûts/avantages
présenté par la lignée impliquée. Lorsque, par
exemple, le seul avantage que présenterait la mise en culture
d'espèces végétales transgéniques est leur
résistance aux herbicides, je ne trouve pas cela suffisant. Ni le
consommateur, ni le citoyen préoccupé d'environnement n'y
trouveraient d'avantage susceptible de compenser les inconvénients
possibles.
Ensuite, c'est le respect du principe de précaution qui guidera les
décisions du gouvernement.
Enfin, comme je l'ai déjà dit, le gouvernement tiendra
également le plus grand compte de tous les avis qui lui seront
exprimés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques ainsi que par la Conférence des citoyens.
Tels sont les propos liminaires que je souhaitais tenir pour situer un peu
l'approche du ministre de l'agriculture et, plus largement, celle du
gouvernement.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Monsieur
le Ministre, d'abord de participer à ce débat, qui est un
débat de rapporteurs, mais ouvert.
Je rappelais tout à l'heure le premier travail de l'Office parlementaire
sur les biotechnologies dans l'agriculture et l'agroalimentaire était un
rapport de Daniel Chevallier, Député des Hautes-Alpes, ici
présent et qu'à l'époque, cela n'avait malheureusement pas
suscité le débat qui est réclamé maintenant.
Le Parlement avait donc déjà travaillé sur ce sujet, mais
un peu plaidé dans le désert.
Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la même situation. D'abord, je vous
remercie d'un certain nombre de précisions.
Vous venez de nous parler de la clarification des règles
d'étiquetage, dont nous étions très demandeurs et à
laquelle nous étions très attachés.
Vous nous avez également dit qu'après un renvoi la semaine
dernière, puisque trois pays avaient voté contre (la
Suède, le Danemark et l'Italie), le Conseil des Ministres de
l'agriculture venait de prendre une décision, qui est pour nous
importante, parce qu'elle permettra de clarifier la situation des
consommateurs, ce que ces derniers demandaient.
Le fait d'abandonner l'idée "susceptible de contenir" est pour nous
très important. Le fait d'étiqueter est majeur. J'ai eu plusieurs
courriers dans ce sens. S'il n'y a pas d'étiquetage, il n'y a pas de
transparence, et l'on est en ce sens en désaccord avec la position
américaine, qui ne souhaite aucun étiquetage pour l'instant.
Nous parlions tout à l'heure, puisque Monsieur Magalhães,
ici présent, est représentant de l'Organisation mondiale du
commerce. Nous parlions du rôle de l'OMC qui, finalement, est important
et majeur mais qui, paradoxalement, ne traite que des conflits et n'essaie pas
de fixer les règles du jeu en amont des problèmes qui pourraient
éventuellement se poser.
Nous avons abordé plusieurs problèmes tout à
l'heure ; il faut que cela avance, et c'est une demande que je vous ferai
et que l'Office fera dans le rapport que je présenterai. Il s'agit de
demander à l'OMC qu'il y ait fixation des règles du jeu avant
qu'il y ait résolution des litiges, même si les panels essaient de
les résoudre au niveau de l'Organisation mondiale du commerce.
Ce point de l'étiquetage est majeur et fait se poser d'autres questions.
On n'a pas tout traité lorsque l'on a traité le problème
de la détection des protéines et de l'acide
désoxyribonucléique (ADN), car se posera le problème des
seuils.
Je pose une question importante : le rapport entre l'agriculture
biologique et l'agriculture dite "traditionnelle". Il y a une affaire dans le
Gers et dans le Tarn-et-Garonne. Je l'ai rappelée ce matin à ceux
qui étaient présents. Je serai donc plus bref, mais nous pourrons
en parler après les auditions.
Il s'agit de l'affaire de Kochko. Cet agriculteur biologique, qui fabrique du
soja dans le sud de la France, a eu des semences provenant des Etats-Unis, bien
sûr garanties sans OGM, puisqu'ils respectaient le cahier des charges de
l'agriculture biologique.
Il a vendu son soja en Allemagne pour faire du tofu et, à la suite d'un
contrôle par des techniques PCR, techniques très précises
d'amplification de l'ADN qui permettent de détecter de faibles taux
d'ADN, on a détecté des amorces de soja
génétiquement modifié.
Qui devient le responsable dans ce cas ? Y a-t-il responsabilité si
l'on n'a pas de méthodes quantitatives, ou seulement des méthodes
expérimentales pour l'instant, pour savoir combien il y avait d'ADN dans
son soja biologique ? Qui est responsable ?
Dans ces cas, cela tombera-t-il sous le coup de la législation
européenne ? Quelles seront les règles du droit ? Si
l'on met "contient" alors qu'il n'y en a pas, y aura-t-il un
problème ? Si l'on met "ne contient pas" alors qu'il y en a
un peu, y aura-t-il également problème ?
C'est une première question que je pose, non pas en demandant la
résolution tout de suite, mais en insistant sur la
nécessité de résoudre ces questions au niveau
gouvernemental.
On a avancé dans le bon sens -en tout cas c'est ce que nous demandions
et c'est ce que certains demandaient-, et l'on souhaite évoluer.
Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé de
votre décision du 27 novembre. Elle venait après une
décision du 2 février 1997 de Madame Lepage -qui
s'est exprimée à ce sujet lorsque je lui ai posé la
question-, qui autorisait l'importation de soja et de maïs sans autoriser
la mise en culture.
Le 27 novembre, vous avez choisi d'autoriser également la mise en
culture ; n'y a-t-il pas un paradoxe dans ces deux décisions
gouvernementales, même si ce sont deux gouvernements
différents ?
Il nous est fait un reproche. Même si nous auditionnons le gouvernement,
le Parlement n'est pas l'organe exécutif ; ce n'est que l'organe
législatif qui prépare des lois, et je remercie Monsieur le
Ministre de dire qu'il tiendra compte de nos avis avec beaucoup d'attention.
Néanmoins, certain nous ont dit que nous faisions le débat
après les prises de décisions.
Y a-t-il donc paradoxe quant à la prise de décision le
27 novembre 1997 qui venait après une décision
contradictoire du 2 février ?
Ce débat qui vient après des décisions, est-ce la bonne
méthode pour travailler ?
M. Le Pensec
-
Dans la mesure où j'ai
été mêlé directement à ce point, je rappelle,
pour l'avoir un peu évoqué tout à l'heure, que le
maïs Novartis dont vous parlez avait fait l'objet -vous l'avez dit- d'une
autorisation d'importation et de mise sur le marché du gouvernement
précédent.
Nous nous trouvions donc dans une situation dont le moins que l'on puisse dire
est qu'elle était paradoxale. Les importateurs pouvaient faire entrer
sur le marché du maïs Novartis ; les agriculteurs pouvaient
l'utiliser pour nourrir leurs animaux mais il leur était interdit de le
cultiver.
Pour justifier une telle position, il aurait fallu, comme je l'évoquais
tout à l'heure, pouvoir mettre en avant un risque de
dissémination des gènes de cette variété de
maïs dans l'environnement, avec des conséquences dommageables qui
auraient pu en découler.
La Commission du génie biomoléculaire avait clairement
établi que ce risque n'existait pas, compte tenu de l'absence en Europe
d'espèces susceptibles de croisements avec le maïs.
Il est évident que celui à qui revient, au sein du gouvernement,
en première ligne, de prendre une telle décision se fait
communiquer d'emblée cet avis de base. J'étais désireux de
connaître cela.
Par ailleurs, il ne m'a pas échappé que toutes les commissions,
tant nationales que communautaires, avaient eu à se prononcer sur ce
dossier et avaient rendu un avis favorable.
Dans ces conditions, j'en ai fait part au Premier Ministre, qui a
considéré qu'il y avait là matière à une
décision du gouvernement. Le Premier Ministre a réuni les
ministres concernés au premier chef par cette question et nous avons
tenu une réunion de ministres sous la présidence du Premier
Ministre, pour arrêter ce qui serait la décision du gouvernement.
Il était évident qu'il n'était pas possible de
différer plus longtemps l'autorisation de mise en culture du maïs.
Je note que cette autorisation, qui a été donnée, a
été entourée de précautions à mes yeux
suffisantes pour rassurer l'ensemble des citoyens, à savoir :
- autorisation de mise en culture pouvant être retirée -ce
que j'appelais tout à l'heure la réversibilité- s'il
apparaissait que des conséquences dommageables puissent survenir dans
l'environnement ;
- mise en place d'un système de biovigilance pour contrôler
l'impact de la mise en oeuvre de la culture du maïs Novartis sur
l'environnement.
J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur la mise en place du
système de biovigilance, mais tout cela faisait partie intégrante
de la décision du gouvernement, qui a été prise
après mûre réflexion,
- après que je me sois fait communiquer toutes les données
des dossiers qui avaient été produits par toutes les instances
légitimement concernées et consultées par cette question,
- et après avoir eu de nombreux entretiens avec des experts dans
tel ou tel domaine, non seulement spécialistes scientifiques mais aussi
représentants des consommateurs et d'associations de l'environnement.
Tel est, Monsieur le Président, le contexte dans lequel a
été prise cette décision dans ce cas particulier, alors
qu'il nous apparaissait qu'il était possible de répondre
positivement à toutes les interrogations que posait ce dossier.
Mais bien évidemment, il a été fait de cela un cas
à part, et, la décision comportant aussi ce point, il a
été décidé le même jour du lancement d'un
grand débat public. C'est ce qui nous vaut d'être
présents aujourd'hui.
Je confirme que, pour l'avenir, il sera tenu grand compte de ce qui pourra
être dit non seulement dans cette instance, mais aussi par la
Conférence citoyenne.
M. Le Président
-
Je pose une autre
question, puis nous traiterons du problème de l'étiquetage, sur
lequel je suis intervenu parce que vous nous avez annoncé une
décision récente.
Un complément de question est posé sur les additifs, en disant
que l'on dosera l'ADN et les protéines, mais pas la totalité des
additifs. C'est un complément à la question posée sur
l'étiquetage, et l'on répondra peut-être de manière
globale tout à l'heure, puisque c'est une question importante, qui va
dans le bon sens puisqu'on le souhaitait et on le demandait.
M. Le Pensec
-
Sur la question du seuil de
détection, dont vous disiez qu'elle n'est pas complètement
résolue, il est de fait que les méthodes actuelles qui permettent
la détection de l'ADN ne sont pas encore complètement
harmonisées au niveau communautaire.
Actuellement, si l'on met en évidence de l'ADN
génétiquement modifié, le produit sera reconnu comme
génétiquement modifié, donc étiquetable
indépendamment de tout seuil.
M. Le Président
-
Une question m'a
été transmise : tous les comités scientifiques n'ont
vu aucun problème à la mise en culture du maïs Novartis (cf.
l'avis de septembre 1997 du Comité de la prévention et de la
précaution).
J'ai auditionné son Président et je réponds tout de
suite : dans le Comité de la prévention et de la
précaution, il n'y a pas eu de travail de recherche, mais de la
compilation de ce qui existait. Il y a eu une journée de travail,
notamment avec une décision dans l'avis qui est conforme à ce
qu'a dit Monsieur Le Pensec tout à l'heure : sur des
montages qui utilisaient des gènes de résistance aux
antibiotiques, il vaudrait mieux éviter d'autres types de montage dans
l'avenir.
Ce sera dans le rapport ; nous avons étudié ce point. Je
n'ai pas l'intention d'écarter cette question. Je la donne publiquement
pour qu'elle soit actée. Nous la discuterons davantage avec le Ministre
de l'environnement, parce que je voudrais poser d'autres questions concernant
spécifiquement le Ministre de l'agriculture.
Une question nous a été posée dans les auditions, et elle
est très importante. Les agriculteurs, y compris de mon
département, me l'ont posée :
Comment la mise en culture de plantes transgéniques, qui favoriseront la
productivité -il y a eu le débat ce matin de l'augmentation de la
productivité dans les pays riches- s'articulera-t-elle avec vos
récentes déclarations sur le fait que l'exportation n'est plus un
impératif majeur de la politique agricole ?
Si, dans nos pays, qui sont des pays développés, dans lesquels la
consommation risque de ne pas augmenter, en tout cas pas de manière
exponentielle, on a une augmentation de la productivité, ne faudra-t-il
pas se remettre dans le cercle de la vente et de la compétition sur le
marché international, ce qui signifie des baisses de prix ?
Cette question importante nous a très souvent été
posée par beaucoup d'agriculteurs, et je souhaite vous la poser parce
qu'elle est totalement du ressort du Ministère de l'agriculture et de la
pêche.
M. Le Pensec
-
Comme je l'ai déjà
dit tout à l'heure, je suis convaincu que, si le seul avantage que les
plantes transgéniques présentent est celui de permettre un
accroissement de la productivité, nos concitoyens ne
considéreront pas cela comme un avantage suffisant pour légitimer
et justifier une autorisation de maïs transgénique.
Je considère que le gouvernement ne pourra donner son autorisation
à une mise en culture de plantes transgéniques que si le bilan
avantages/inconvénients lié à cette autorisation fait
apparaître de façon évidente que les avantages l'emportent.
Les gains de productivité sont sans doute importants pour nos
agriculteurs mais, s'ils ne s'accompagnent pas d'avantages équivalents
pour les consommateurs et pour la protection de l'environnement, je pense
qu'ils ne suffisent pas pour légitimer la diffusion de ces
espèces végétales.
Ainsi que vous le savez, et comme j'aurai l'occasion de le redire bientôt
devant le Parlement en présentant la loi d'orientation agricole, je
considère que l'agriculture doit remplir une triple mission :
économique, environnementale et sociale, ou plutôt
sociétale.
Il ne s'agit pas de récuser le recours au génie
génétique en agriculture, mais les décisions publiques ne
pourront pas être justifiées par le seul souci
d'amélioration de la productivité de l'agriculture.
Je suis convaincu que la politique devra prendre en compte les autres
préoccupations environnementales et territoriales. C'est une conviction
que j'espère faire bientôt partager au Parlement.
S'agissant de l'exportation, c'est un autre débat d'actualité.
Certains ont peut-être déformé mes propos ou ont voulu me
faire dire plus que je n'avais dit, mais j'ai eu l'occasion de dire que
j'étais convaincu que notre pays avait les capacités
exportatrices, tout en tenant à préciser dans le cadre du
débat de la Politique agricole commune, qu'il n'y avait pas à
considérer que l'ensemble de l'agriculture européenne devait se
donner comme objectif premier d'être présente à
l'exportation sur les pays tiers, et que 80 % de son marché
était l'Europe, c'est-à-dire un marché à haute
valeur ajoutée.
Tel est le lien entre les deux questions.
M. Le Président
-
Plusieurs autres
questions sur l'étiquetage sont arrivées, mais je voulais poser
la question de la biovigilance. Madame Lebranchu vient, et nous pourrons
également poser ces problèmes d'étiquetage tout à
l'heure.
Sur la biovigilance, pouvez-vous nous indiquer comment cela se met en
place ? Y a-t-il des problèmes ? Finalement, les
différents articles de l'arrêté de février 1998
sont-ils faciles à mettre en place ? Qui sera chargé de la
biovigilance ? Comment cela se déroulera-t-il ?
Les questions que j'ai eues pendant les auditions portaient sur cette partie
pratique. Sur un décret, c'est bien, cela rassure effectivement, mais
comment cela se mettra-t-il en place ?
M. Louis Le Pensec
-
Cela se met en place
très concrètement, puisque ce matin se tenait encore une
réunion du Comité de biovigilance et que certaines personnes ici
présentes participaient à cette réunion.
Comme je le disais tout à l'heure, des possibilités d'apparition
d'événements défavorables existent pour la culture de
plantes génétiquement modifiées sur de grandes surfaces.
Il nous est donc apparu d'emblée qu'il fallait se donner les moyens de
suivre l'apparition possible de tels événements.
Le système de biovigilance a été créé pour
les variétés de maïs OGM récemment autorisées,
et il est piloté par un Comité de biovigilance, je serais
tenté de dire "provisoire".
Ce comité a pour objectif d'assurer une traçabilité des
semences de maïs OGM, mais aussi de suivre la possibilité
d'événements défavorables sur l'environnement et, d'ores
et déjà, des protocoles de suivi ont été mis en
place.
Concernant le suivi du gène marqueur de résistance à
l'antibiotique, une expérimentation sera mise en oeuvre pour suivre la
transmission éventuelle de ce gène dans les bactéries
du sol. D'autres expérimentations sont envisagées. L'une
d'entre elles concerne l'étude de la transmission de ce gène au
niveau du tube digestif des animaux.
Un bilan de l'utilisation des variétés de maïs OGM et des
résultats des protocoles expérimentaux sera
présenté au Comité de biovigilance et rendu public. Si des
effets jugés indésirables sont mis en évidence, ils seront
communiqués pour proposition d'action aux ministres concernés.
L'institution fonctionne donc. Je ne dirai pas qu'elle est pleinement
rôdée. Elle a été mise en place. Les dispositifs
administratifs sont en place et, aux dires des participants, en tout cas de
ceux qui y sont pour mon compte, je pense que de riches constats sont faits et
qu'une ambiance de coopération légitime pleinement la mise en
place de cette "institution".
M. Le Président
-
Nous arrivons
malheureusement à l'issue de cette heure, mais je voudrais vous poser
deux questions.
L'une est directement liée à ce que vous venez de nous indiquer.
Dans la conclusion de votre texte, vous dites que si, finalement, une
modification de la plante ne concerne qu'un unique gène de
résistance à des herbicides, il n'est pas sûr que le gain
pour le consommateur soit suffisant. Cela préjuge-t-il d'un certain
nombre de décisions futures dans ce domaine ?
Une deuxième question nous a été posée sur
l'attitude de Costimex et des sociétés qui regroupent le
maïs et les semoules de maïs fabriqués par des
agriculteurs ; des agriculteurs nous avaient saisis du fait que, cette
année, ils avaient reçu des lettres de Costimex et d'autres, leur
indiquant qu'ils ne voulaient pas de maïs génétiquement
modifié, alors qu'il y avait une autorisation de mise en culture.
De ce fait, il y a eu beaucoup moins d'hectares mis en culture que de doses
disponibles.
Ils nous ont dit que ce n'était pas de leur fait mais de celui des
clients. C'est assez intéressant. J'ai ici une lettre de clients
asiatiques, ce qui est intéressant pour l'OMC, parce que l'on a
exactement dans l'autre sens ce que les Américains nous reprochent.
Ces clients asiatiques indiquent dans le contrat de livraison de semoule de
maïs : "garantie libre de toute modification de gènes".
Finalement, dans ce cadre, n'y a-t-il pas également barrière non
tarifaire ? Ce que l'on ne peut pas retourner, cela existe et cela
satisfait d'ailleurs un certain nombre de personnes qui ne souhaitent pas que
cela soit mis en culture mais, d'un autre côté, au niveau
commercial, c'est exactement ce qui nous est reproché de l'autre
côté de l'Atlantique.
Que vous inspire ce type de pratique ?
M. Louis Le Pensec
-
Comme je le disais dans
mon propos, il m'apparaît important que les personnes qui souhaitent ne
pas utiliser d'organismes génétiquement modifiés puissent
le faire. Nous allons créer les conditions pour que puisse se
développer une filière de plantes non-transgéniques. Il
faut pouvoir apporter une telle assurance.
C'est la raison pour laquelle, à mes yeux, le comportement des
fabricants de semoule m'apparaît non seulement compréhensible,
mais totalement acceptable.
Pour la première question, je pense que, sur une question dont j'ai
souligné l'ampleur, la difficulté et la complexité, il ne
faut pas traiter globalement d'une expérience ou d'une seul
caractère. C'est donc à un bilan global coûts/avantages, et
prenant en compte toutes les interrogations que j'évoquais tout à
l'heure, que le gouvernement sera conduit.
Dans ce bilan, ne seront pas neutres la portée des recommandations,
suggestions, avis, critiques de vos auditions, les conclusions que vous
formulerez, le rapport d'étape que vous pourrez exprimer, tout comme
ceux de la Conférence de Citoyens.
M. Le Président
-
Merci, Monsieur le
Ministre. Au sujet de votre dernière remarque, je tiens à vous
dire que :
- La Conférence de Citoyens aura lieu les 21
et 22 juin ; elle présentera son rapport le 22 juin.
- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, qui vient de se réunir, dont je salue les membres qui
viennent d'arriver, se réunira le 30 juin. Je serai en mesure
de rendre un rapport d'étape, s'il est accepté par l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le
30 juin, pour vous indiquer les premières conclusions de ce
rapport, qui a débuté en novembre 1997.
Ce matin, j'ai entendu quelqu'un dire qu'il s'agissait d'études "TGV".
Ceux qui ont dit cela n'ont pas l'habitude de travailler dans cette enceinte.
Des rapports où l'on travaille huit mois au niveau du Parlement,
où il y a beaucoup d'auditions, du débat public, du travail en
amont, c'est peu courant.
Sur des grands textes qui ont été votés, des
décisions ont été prises et, trois, quatre ou cinq mois
plus tard, les textes sont au niveau de la discussion publique. Nous avons donc
pris le temps de la réflexion.
Du fait que ce sera un rapport d'étape, nous profiterons d'abord de
l'été pour essayer de faire le bilan de cette campagne, de voir
le bilan de la biovigilance, parce que ce sera très intéressant
pendant la campagne de culture, et peut-être de réfléchir
ensemble -en tout cas, je verrai plusieurs personnes de votre administration-
à des dispositions réglementaires et législatives dans ce
domaine, qui ont été proposées par certains, notamment
dans la table ronde précédente, tout à l'heure.
Tel est, M. le Ministre, le calendrier du Parlement.
Je vous remercie d'être venu, d'avoir répondu à certaines
questions, d'avoir donné des précisions. Des décisions
nouvelles sur l'étiquetage ont été prise en tout
début de semaine à Bruxelles, et il faut sans doute continuer.
Des questions complémentaires ont été posées sur
les additifs, sur les enzymes ; beaucoup de questions se posent alors. Je
donnerai mon avis personnel sur ce sujet, mais je pense qu'en supprimant la
notion "susceptible de contenir", on a fait un grand pas.
M.Le Pensec
-
Merci, Monsieur le Président, pour
cette contribution novatrice que vous apportez au processus de prise de
décision politique dans notre pays, telle que cette décision doit
être prise dans une république moderne.
Audition de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux
petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat
M. Le Président
-
J'ai le plaisir d'accueillir
Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'état aux petites et
moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat chargée de la
consommation.
Merci beaucoup d'être venue. Notre journée nous a d'abord permis
d'entendre trois tables rondes :
- une première sur les enjeux économiques et internationaux
pour l'agriculture et l'alimentation
- une deuxième sur les enjeux pour la recherche
- une troisième, où il y a des problèmes qui nous
préoccupent, et qui sont des problèmes communs, sur les enjeux
réglementaires, sur l'organisation de l'autorisation et du
contrôle de l'expertise sur les organismes génétiquement
modifiés.
Nous venons d'entendre Louis Le Pensec sur les problèmes de
l'agriculture et, dans le mesure où vous avez, Madame la Ministre, la
tutelle de la consommation, nous souhaiterions que vous puissiez nous indiquer,
sur ce dossier, quelles sont les parties qui traitent de la consommation.
Nous avons d'ailleurs vu des fonctionnaires de votre Ministère dans les
auditions privées. Certains seront également dans la table ronde
qui traitera demain de la consommation. Une autre table ronde traitera de la
santé et une dernière de l'environnement.
Nous verrons également tout à l'heure M. Kouchner et,
demain, Claude Allègre et Dominique Voynet. Nous aurons eu un
tableau complet de la situation des OGM dans notre pays.
Certains regrettaient que le débat n'ait pas eu lieu assez tôt. Ce
n'est d'ailleurs pas la faute du Parlement. A l'Office, nous avons
déjà publié un rapport sur ce thème, mais dans une
période où cela intéressait peu de monde.
Aujourd'hui, c'est d'ailleurs encore la même chose, puisqu'une
enquête récente montre que 46 % des Français n'ont
jamais entendu parler de plantes transgéniques.
Pour ceux qui n'ont pas entendu, je vous donnerai une question posée par
un sociologue américain : une tomate normale ne contient pas de
gènes et une tomate génétiquement modifiée en
contient ; cette affirmation est-elle vraie ? Vous verrez les
résultats. Des pays connaissent d'ailleurs mieux la tomate que d'autres.
Je ne vais pas répéter ce que je disais sur la dernière
livraison que nous avons eue sur notre forum surInternet, mais il est
intéressant de voir que l'on traite de questions complexes avec des
connaissances faibles des consommateurs et de la population, mais c'est
à nous d'organiser le débat dans le pays pour que les individus
puissent choisir. Je pense que c'est ce qui est important.
Madame la Ministre, je vous laisse la parole.
Mme Lebranchu
-
Merci, Monsieur le Président.
En tant que ministre chargée de la consommation, je pense qu'il est
logique que nous suivions de très près l'évolution de ce
dossier et, à ce titre, je dois veiller à la prise en compte des
intérêts des consommateurs, qui ne sont d'ailleurs pas
antinomiques de ceux des professionnels.
L'ensemble de mes fonctions ministérielles (production, distribution,
consommation) me permet d'ailleurs de mieux conduire, je crois, une politique
de consommation concertée entre tous les partenaires.
La démarche que l'on a longtemps appelée "de la fourche à
la fourchette", de l'amont vers l'aval, a montré ses limites lorsqu'elle
néglige les intérêts des consommateurs. La crise
européenne de l'ESB l'illustre, et la commission en a tiré les
leçons en confiant le pilotage de la politique de sécurité
alimentaire aux responsables de la politique de la consommation
(Emma Bonino, DG XXIV Direction générale de la
politique des consommateurs et protection de leur santé).
Ma position sur les OGM s'est toujours inscrite dans les priorités de ma
politique au sein du gouvernement, parce que :
- Une politique de la consommation qui crée ou restaure les
conditions de la confiance peut avoir deux axes :
. la sécurité des consommateurs et des garanties sur cette
sécurité avec la mise en oeuvre du principe de précaution,
. la transparence de l'information et son accessibilité. C'est la
raison pour laquelle ce que vous venez de dire sur le degré
d'information des uns et des autres est fondamental.
- Une politique de consommation dans un espace économique
élargi (Europe - OMC) nous conduit à encore davantage de
vigilance ;
- La politique de consommation se fait avec et pour le
consommateur-citoyen.
Il faut donc d'abord asseoir la confiance et répondre à la crise
de confiance des consommateurs, après les crises sanitaires ESB,
hormones, sang contaminé et d'autres.
Les OGM s'inscrivent totalement dans le prolongement de ces inquiétudes,
même si -il faut le souligner- tout le monde s'accorde à
reconnaître la qualité de notre alimentation en
général.
Ensuite, la maîtrise des risques sanitaires impose plusieurs points :
- une solide évaluation scientifique indépendante ; ce
sera le rôle de l'agence de sécurité sanitaire des
aliments, qui sera prochainement mise en place. Elle sera un lieu d'expertises
scientifiques, avec des experts indépendants. Ses avis seront rendus
publics, et nous devrions également avoir un rapport, d'ici à la
fin de l'année, sur des propositions en matière
d'environnement ; deux parlementaires ont été chargés
d'y travailler.
Pour les OGM qui ont été autorisés au cas par cas, cette
évaluation a été faite par la Commission du génie
biomoléculaire (CGB), le Comité supérieur d'hygiène
publique de France (CSHPF) et le Comité scientifique européen,
mais sans doute y a-t-il un besoin de transparence.
- Une gestion des risques par les pouvoirs publics sur la base du principe
de précaution ; il est difficile de gérer le réel,
parce qu'il faut toujours choisir. Je pense comme beaucoup d'autres que, le
risque zéro n'existant pas, et les certitudes scientifiques absolues
n'ont plus, notre tâche n'est pas simple.
Le principe de précaution y répond. Mal compris, il peut conduire
à stériliser toute innovation, à prendre des mesures
démagogiques. Bien compris, à l'inverse, il peut engendrer pour
nous tous une sécurité des choix. C'est l'intérêt
d'un dispositif de suivi (par exemple le système de biovigilance mis en
place pour les OGM).
C'est donc à partir du principe de précaution qu'il faut
aujourd'hui travailler sur la responsabilité des pouvoirs publics.
- Cette responsabilité est partagée, et des
responsabilités sont clairement définies, celles des pouvoirs
publics mais aussi celles des professionnels tout au long de la chaîne.
Pour la plupart, les professionnels ont d'ailleurs totalement compris
l'intérêt de bien maîtriser leur production et de
répondre aux préoccupations des consommateurs. On en veut pour
preuve l'attitude des producteurs et de la distribution sur l'étiquetage
des OGM, qui a abouti aux recommandations de l'ANIA dès
octobre 1997.
Ce sont les semenciers qui n'ont sans doute pas compris d'emblée
l'intérêt, non pas de la sécurité mais de la
transparence de l'information, qui est le deuxième volet de la confiance.
Nous pouvons donc maintenant parler ensemble de la transparence de
l'information.
Il est essentiel d'informer plus et surtout mieux. Les consommateurs veulent
savoir ; ils ont le droit de savoir. La question de l'étiquetage
des OGM et des produits dérivés d'OGM a catalysé toute
cette demande d'information qui va bien au-delà du contenu même de
l'étiquette.
Il faut bien être conscient du fait qu'au travers de cette exigence
d'indication sur l'étiquette du produit, s'exprime le droit de refuser
ces nouvelles technologies. C'est le débat sur l'autorisation qui se
trouve ainsi reposé, et toutes les interrogations qu'elle suscite.
C'est pourquoi il faut des lieux et des outils susceptibles de permettre une
information solide et accessible.
Le Conseil National de la Consommation (CNC), lieu de "confrontation" entre
professionnels (producteurs-distributeurs) et consommateurs, peut constituer
une enceinte pertinente.
Depuis un an on y débat d'ailleurs vivement des aspects scientifiques,
économiques, techniques et réglementaires. Des réunions de
travail avec la participation d'experts de tous milieux se sont tenues à
plusieurs reprises sur les bases scientifiques et les méthodes du
génie génétique, les risques sanitaires et
environnementaux, les aspects juridiques, le contexte international,
l'information des consommateurs, la traçabilité et
l'étiquetage des produits.
A la demande de représentants des différents collèges du
CNC, j'ai accepté tout récemment d'ailleurs d'instaurer en son
sein un groupe permanent sur les OGM.
Il faut également des instruments pédagogiques d'interface entre
le scientifique, le technique, le politique et le citoyen ; cela pourrait
être l'une des ambition pour l'INC (Institut national de la consommation)
et sa revue "60 Millions de consommateurs".
Pour ce qui concerne plus spécifiquement l'étiquetage, je
souhaiterais souligner la position que j'ai défendue dans le cadre des
négociations européennes et qui vient d'être
adoptée, à une nuance près.
C'est le choix de l'obligation générale d'étiquetage qui a
finalement été retenu, qu'il y ait présence d'ADN ou
de protéines résultant d'une modification
génétique. Cet étiquetage sera clair puisque ce sera la
mention positive "génétiquement modifié" qui sera
apposée. Ce n'a pas été sans mal que nous avons obtenu ce
résultat.
Enfin, des produits pourraient ne pas être étiquetés, mais
cette liste de produits non-étiquetés est vide pour l'instant,
parce que toute inscription sera négociée en tenant compte des
avis scientifiques, et révisée en fonction de l'évolution
technologique.
En tout état de cause, ces éventuelles exceptions au principe
général d'étiquetage devront rester très
limitées et seront clairement expliquées. La vigilance de mes
services et la mienne s'attacheront particulièrement à
l'élaboration de cette liste.
J'ai toujours plaidé pour un étiquetage le plus large possible,
parce que je pense que l'acceptabilité des OGM par les consommateurs, et
par suite, le développement des biotechnologies dans le domaine
alimentaire, ne peuvent se faire que si nous sommes prêts à mener
une politique de transparence et de clarté. C'est pour moi un
préalable incontournable.
En tout état de cause, je rappelle le chemin parcouru dans la
négociation européenne. Lorsque les négociations
européennes ont commencé sur le règlement relatif aux
nouveaux aliments (autour de 1995), ni la Commission, ni la majorité des
Etats-membres (dont la France), ne souhaitaient l'étiquetage des
produits dérivés.
Un premier infléchissement est intervenu avec l'adoption de
l'article 8 du règlement sur les nouveaux aliments. L'inscription
de l'obligation d'étiquetage en cas de non-équivalence du produit
était un premier pas.
Pour le texte qui vient d'être adopté, nous étions partis
d'une proposition avec la mention "peut contenir".
L'adoption du "peut contenir" de la proposition de la Commission (en fait
également très débattue dans le collège des
Commissaires) aurait créé une situation irréversible au
regard d'une information claire du consommateur, et hypothéqué
à notre avis toute chance d'obtenir une bonne traçabilité
des produits.
C'est la raison pour laquelle les débats ont été longs et
difficiles. Mais ils ont eu le mérite d'être clairs, et il faut
remercier en cela à la fois la présence française et nos
fonctionnaires sur place, que l'on oublie un peu trop souvent, parce que cela
n'a pas été simple tous les jours.
Nous avons aussi à prendre en compte, non seulement la dimension
européenne mais la complète dimension internationale.
Les réponses sur le marché unique ne peuvent être
hexagonales. Sur un marché ouvert, il faut des règles
harmonisées sur la base d'un haut niveau de protection des
consommateurs. C'est là, je crois, la limite du principe de
subsidiarité, que j'avais soulignée lors de mon intervention sur
la politique alimentaire devant le Parlement européen, en novembre
dernier.
Cette internationalisation du marché implique aussi la
nécessité de coopération des services de contrôle et
de validation de méthodes communes de détection.
L'étiquetage n'a de valeur que s'il est vérifiable, sans
contestation.
A cela s'ajoute le problème du "partage" des coûts du
contrôle, puisqu'un seul matériel "Polymerase chain reaction"
(PCR), par exemple, coûte actuellement 600.000 Francs. Le
problème ne sera donc pas facile à régler.
De plus, l'Europe doit peser sur l'OMC.
La libre-circulation devrait pouvoir avoir pour contrepartie, dans un tel cas,
le droit à l'information des consommateurs, appuyé sur des
garanties en matière de traçabilité.
J'ai eu récemment une discussion sur ce sujet avec une
délégation parlementaire des Etats-Unis, conduite par le
Président de la commission agriculture. Je ne puis assurer que j'ai
rencontré une totale adhésion, mais je n'ai pas non plus ressenti
une position de fermeture totale à une telle approche. L'OMC sera le
lieu de ce débat, et l'Europe devra s'y faire entendre.
Enfin, je souligne que la politique de la consommation se fait avec et pour le
consommateur-citoyen.
Le consommateur-citoyen veut participer aux décisions qui le concernent.
Jusqu'à aujourd'hui, c'est surtout par l'intermédiaire
d'associations-relais. Les dix-neuf associations nationales de consommateurs du
CNC font actuellement ce travail.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, avec cette "conférence-citoyens", invente un
nouveau mode démocratique plus directement participatif, certes
utilisé ailleurs en Europe, mais dans des pays de plus petite dimension.
C'est une gageure, mais je pense que vous réussirez.
Les deux sont sans aucun doute complémentaires. J'en vois un signe
à travers vous et nos associations de consommateurs, en disant qu'un
débat ne pourra qu'enrichir l'autre.
En tout état de cause, cette demande d'une plus grande participation
traduit, je crois, le refus d'un pilotage des questions de l'amont vers l'aval.
Le citoyen-consommateur a le sentiment qu'on lui confisque ses
intérêts. C'est ce qui explique par exemple, à mon sens, la
réaction d'incompréhension et de protestation du CNC face
à l'autorisation de mise en culture, en novembre dernier, avant la
présentation de son avis.
Le consommateur-citoyen veut pouvoir se prononcer sur les thèmes qui
l'intéressent. Les biotechnologies en sont un, avec les limites que vous
avez soulignées tout à l'heure.
Le consommateur-citoyen est capable de comprendre que le risque zéro
n'existe pas (même s'il ne l'accepte pas toujours), mais il ne comprend
pas qu'on le lui cache. De plus, il croit qu'on lui cache quelque chose lorsque
l'on n'est pas assez transparent à son égard. La phrase est "si
vous ne voulez pas nous dire, c'est que vous avez quelque chose à
cacher".
Il faut donc des modes de fonctionnement adaptés à cette demande.
Le débat des OGM a pris, à l'évidence, une dimension
sociale et politique. Il suffit de lire la presse et de voir ce qu'il se passe
en Suisse par exemple.
Il nous faut -Gouvernement et Parlement- répondre par une écoute
attentive des questionnements, et surtout avoir toujours une explication claire
de nos choix.
Plus qu'un pari, c'est aujourd'hui une certitude : sans explication claire
de nos choix, nous n'aurons pas l'assentiment des consommateurs et, sans
l'assentiment des consommateurs, il n'y aura pas de consommation. Je pense que
les producteurs sont maintenant parfaitement convaincus de cette
nécessité.
Je vous remercie.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Madame la
ministre.
Il y a plusieurs questions, et vous pouvez me les faire parvenir pour que
j'essaie de les regrouper, parce que nous avons moins de temps que dans les
tables rondes.
Comme je l'ai déjà indiqué ce matin, le fait d'avoir
organisé des auditions de ministres et de responsables politiques, des
discussions entre experts, de manière publique et contradictoire, et une
Conférence de Citoyens avec un panel de citoyens, a pour objet, pour les
responsables politiques et les parlementaires, de prendre des avis à
tous les niveaux, celui de la décision et celui de ceux qui
subissent ces décisions, les citoyens.
Les experts n'ont pas le même avis ; le responsable politique a une
difficulté : prendre des décisions politiques dures sur ces
certitudes scientifiques molles. On le voit dans ce dossier.
Il faut donc confronter tous ces avis. Ensuite, le Parlement, l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques,
qui regroupe à la fois le Sénat et l'Assemblée nationale,
proposera et rendra un rapport, puis le gouvernement décidera. Je pense
que c'est une bonne chose.
En second lieu, l'avantage d'organiser de manière concomitante ces
différentes auditions d'experts, ces auditions de ministres et cette
Conférence de Citoyens, c'est de lancer le débat au niveau du
pays. Je pense que c'est très important.
La première question est la suivante : comment, selon vous, la
réticence des consommateurs français concernant les aliments
issus des plantes transgéniques s'explique-t-elle ? La jugez-vous
fondée ou non, et pourquoi ?
Je donne tout de même une explication : j'ai parlé tout
à l'heure d'une question amusante, mais j'ai ici une étude,
toujours du même sociologue américain, qui a étudié
les habitudes des consommateurs européens.
L'échelle des risques indiquée par les Européens est la
suivante :
1° les contaminations bactériennes ; 85 % pensent
que c'est dangereux
2° les résidus de pesticides (79 %)
3° les hormones et les antibiotiques (76 %)
4° les moisissures (76 %)
5° l'altération des produits (68 %)
6° l'irradiation de la nourriture (65 %)
7° les dates limites dépassées (58 %)
8° le génie génétique (44 %)
9° les colorants artificielles (39 %)
10° les nitrites (38 %)
11° le cholestérol (38 %)
12° le gras dans les aliments (37 %)
13° les additifs et les conservateurs (31 %)
14° le sel (14 %)
15° le sucre (12 %).
C'est assez intéressant. Dans l'échelle européenne, ceux
qui pensent qu'il y a le plus de risques sont les Suédois, puis les
Autrichiens, les Allemands et les Français. Ce sont les Italiens et les
Grecs qui pensent qu'il y a le moins de danger. Pour les Etats-Unis, il y en a
14 % (deux fois moins que celui qui pense en Europe qu'il y a le moins de
danger).
C'est intéressant pour commenter la question que je vous pose, que je
lie à ce que vous indiquiez tout à l'heure, à savoir que
vous voulez une amélioration de la transparence : finalement,
n'est-ce pas un certain nombre de problèmes qui se posent en
matière d'information du consommateur ? Que compte faire votre
ministère à ce sujet ?
Mme Lebranchu
-
Comme je l'ai dit dans l'exposé
-et je le confirme largement, en tout cas dans ce que l'on peut entendre
rencontrer, y compris via les associations- le premier élément de
crainte est lié aux crises récentes.
Dès l'instant où il y a eu des crises importantes dans un pays
où les autorités scientifiques sont de haut niveau, le
consommateur-citoyen devient forcément méfiant. Il a l'impression
(par exemple pour la crise de la "vache folle") que l'on connaissait le risque
et que l'on a tout de même distribué les produits.
La défiance fait partie du fait qu'actuellement, on a, à
l'extrême, envie de refuser tout nouveau risque potentiel. Pourquoi y
a-t-il un risque potentiel dans l'esprit de beaucoup de consommateurs ?
Parce qu'il n'y a pas eu d'expression claire, transparente et très
certaine des scientifiques, certains ayant dit qu'à long terme, on ne
peut pas savoir.
Dans la mesure où quelqu'un a dit cela, où il y a eu un doute, le
doute persiste. C'est la raison pour laquelle le principe de précaution
doit toujours répondre au principe qui est en face de nous, celui du
doute.
Je pense aussi que les consommateurs considèrent que nous ne sommes pas
transparents (je parle de la distribution, collectivement, puisque
nous-mêmes sommes toujours responsables) dans l'information qui est
donnée aux consommateurs.
Nous ne sommes pas transparents sur l'origine des produits, sur la façon
dont ils ont pu être traités, et nous sommes réticents
face, par exemple, au fait que l'on n'a pas le droit, dans une
publicité, de dire qu'il n'y a pas de nitrates dans un produit, parce
que cela signifierait qu'il y en a dans d'autres. Cela nous a été
cité hier, dans une autre réunion.
Cela rend le consommateur méfiant.
L'absence d'informations sur les produits, donc l'absence d'étiquetage,
est sûrement la première barrière, actuellement, à
l'acceptation potentielle des OGM, avec de plus la crainte que
l'étiquetage existe sur les produits directement OGM et qu'il n'y en ait
pas sur les dérivés.
On retrouve toutes ces raisons, la principale étant : "comme on ne
m'a pas assez pris en compte dans un passé récent,
peut-être ne me prend-on toujours pas en compte maintenant."
Voilà en tout cas ce que je crois.
M. Le Président
-
Vous abordez la
deuxième question importante, qui va compléter celles que
nous avons posées à Louis Le Pensec tout à
l'heure sur l'étiquetage.
La décision prise -et je crois que c'était la France qui se
battait pour que l'on écrive de manière claire "contient" ou "ne
contient pas"- va dans le bon sens. Nous avons eu une discussion sur ce sujet
à l'Office, et il y a eu l'unanimité pour le demander.
Tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet demandaient que ce soit clair,
en tout cas en France, même si ce n'est pas la position d'un certain
nombre de partenaires économiques. On voulait qu'il y ait
étiquetage, dès l'instant où l'on considérait que
le consommateur a le droit de choisir.
Néanmoins, Madame la Ministre, cette décision pose plus de
nouvelles questions qu'elle n'en résout. Excusez-moi de vous dire cela
mais, bien que n'ayant pas encore lu la totalité du texte que je vais
étudier, je connais le contenu des principales dispositions.
Tout d'abord, aucun seuil n'est pour l'instant indiqué. Sans seuil, on
ne traitera pas le problème dans les prochains temps, parce qu'il
pourrait y avoir deux types de procès. S'il est inscrit "contient des
OGM" et si l'on réussit à prouver qu'il n'y en a pas, il pourra y
avoir procès ; s'il est inscrit "ne contient pas d'OGM" et si l'on
réussit à prouver qu'il y en a, il y aura également
procès.
Or, avec l'amplification des amorces d'ADN par la technique PCR, les
biochimistes et les techniciens savent que l'on peut détecter des
concentrations très minimes d'ADN dans un aliment.
On a un bel exemple, que j'ai déjà cité deux fois :
l'exemple de Kochko. Il est très intéressant, et je l'avais
déjà indiqué à certains de mes interlocuteurs.
Cela signifie que dans "ne contient pas", si l'on ne met pas un seuil, on
n'arrivera pas à traiter la question.
Je ne dévoile pas le résultat de mes travaux, mais presque tous
ceux que j'ai consultés (y compris en Suisse, où la "votation"
aura lieu le 7 juin, et y compris ceux qui sont pour l'interdiction de
toute manipulation génétique et de toute recherche en Suisse,
c'est-à-dire qui vont très loin, y compris les Verts suisses)
sont pour un seuil qui n'est pas du tout le même que celui des
industriels.
Il y a un écart de 1 à 50, mais tous sont pour un
seuil, car sans seuil, on n'arrivera pas à traiter la question de "ne
contient pas".
Il va donc falloir fixer la limite du seuil. Dans quel délai les
Européens vont-ils se mettre d'accord sur cette fameuse limite car, tant
qu'on n'aura pas fixé cette limite, on sera de nouveau paralysé.
Un certain nombre de collecteurs de farine de maïs ou de distributeurs ne
se lanceront pas. Ils veulent tous partir, parce qu'il y a des
intérêts économiques, mais ils font tous du sur-place parce
qu'ils attendent de savoir lequel va démarrer le premier.
Quelle sera notre position ? C'est l'un des premiers points qu'il faudra
résoudre. Je souhaiterais avoir ensuite des précisions sur deux
ou trois points qui m'ont d'ailleurs été posés par
d'autres dans la salle.
Mme Lebranchu
-
Au risque de surprendre, y compris
certains de mes collègues, je suis contre les seuils depuis le
départ. Je ne vois pas pourquoi "ne contient pas" signifierait "ne
contient pas, sauf X %", même si c'est un Epsilon pour le
consommateur.
Je ne trouve pas l'argument pour défendre le seuil. L'argument que l'on
me renvoit, c'est que, dans un silo à grains, on peut avoir
entreposé des céréales non-OGM après des
céréales OGM et que, s'il y a cinq grains OGM par paquet,
cela fera un seuil Epsilon. Si cela peut se passer ainsi, cela
représentera zéro virgule quelque chose. C'est un seuil mais,
a priori, je suis contre les seuils.
Le problème -je ne sais pas quelle sera la position de votre instance-
est effectivement le procès qui serait fait à quelqu'un qui, de
bonne foi, a utilisé un silo après un autre silo.
Je pense que, pour les autres mélanges ou pour les autres utilisations
de produits, puisque l'on va en même temps parler de
traçabilité -on doit en parler-, dès l'instant où
il est possible d'avoir une traçabilité -on l'a obtenue pour
certains produits, et pour beaucoup de produits alimentaires actuellement-, si
l'on utilise dans un plat cuisiné des produits non-OGM et si l'on fait
la sauce avec des produits issus d'OGM, je ne vois pas pourquoi on ne le dirait
pas.
Si on ne le dit pas, c'est que l'on aurait quelque chose à cacher. Or,
celui qui met des OGM sur le marché estime qu'il n'y a pas de danger
pour la sécurité des consommateurs. S'il n'y en a pas, pourquoi
demander ces seuils, dans la mesure où ils sont
détectables ?
Telle est ma position aujourd'hui. Je suis prête à entendre des
arguments d'impossibilité, mais est-ce que ce sera un, deux ou
trois ? Mon souhait est que ce soit zéro.
M. Le Président
-
Je vous donne mon avis,
mais je pense que c'est assez intéressant parce que cela montre, y
compris dans le débat public, que l'on traite des questions. Mais cette
question est nouvelle, puisque vous avez pris une décision.
Personnellement, je pense qu'il ne faut autoriser un aliment que s'il n'y a pas
de danger en matière de sécurité alimentaire. C'est
évident. S'il y a un danger, il ne faut pas de seuil ; il ne faut
pas l'autoriser.
En second lieu, on a posé ce matin aux agriculteurs le problème
de la séparation des filières, qui est très
compliqué. Séparer des filières signifie le faire depuis
le champ de l'agriculteur jusqu'à la dernière industrie de
transformation, et il se passe des dizaines d'étapes dans la
chaîne qui va de ce champ à cette dernière industrie.
Il est évident que, si l'on veut le zéro zéro zéro,
s'il s'était agi de détection des protéines, il n'y avait
pas de problème, sauf par des techniques de radio-immunologie, car, pour
qu'il y ait une détection de protéines très sensible, on
n'a pas les mêmes techniques de sensibilité qu'avec l'ADN.
Avec l'ADN, on aura des sensibilités très fortes, ce qui signifie
qu'à mon sens -ce sera, je pense, l'avis de l'Office-, il faudra
déterminer un seuil, qui peut être très bas. Parmi toutes
les personnes que j'ai auditionnées, je n'ai pas encore entendu de
tenants du seuil zéro. Je vois pourtant des personnes d'avis très
différents qui opinent du chef, et je pense qu'il y aura consensus en la
matière.
Il n'y aura sans doute pas consensus sur le pourcentage, mais il y en aura sur
le niveau. S'il n'y a pas de seuil, c'est à mon avis intenable. Le pire
d'un système, c'est qu'il ne soit plus gérable au niveau
économique et qu'il génère beaucoup de procès.
Il s'agit là de ma position personnelle.
Mme Lebranchu
-
Il y a effectivement deux niveaux. Les
seuils existent lorsqu'il y a une limite acceptable de quantités de
produits dans un aliment pour qu'ils ne portent pas atteinte pas à la
santé des individus (limite maximum de nitrates dans l'eau, de
pesticides, etc., limites que l'on connaît actuellement, qui sont
contestées par ailleurs).
Ces limites sont liées au fait qu'au-delà, on estime qu'il y a
danger pour le consommateur.
Dans ce cas, ce n'est plus du tout le même problème. On est sur
une question d'information du consommateur. Si l'on met des OGM sur le
marché, on est persuadé au départ qu'ils ne sont pas
dangereux. Je ne vois donc pas pourquoi on demande un seuil pour de
l'information.
M. Le Président
-
Nous avons
échangé des arguments ; nous aurons l'occasion d'en
reparler. En tant que biochimiste (je retire ma casquette politique), je dirai
que, s'il n'y a plus de seuils, tous les aliments seront OGM ; on mettra
donc pour tous "contient des OGM", même pour le bio, ce qui signifie
qu'il n'y aura plus d'information pour le consommateur.
Cela signifie que l'on aura tué l'information.
Mme
Lebranchu
-
C'est à mon
avis le seul argument qui soit recevable, à savoir que, pour se
dégager du seuil ou de l'absence de seuil, tout le monde écrive
"contient des OGM".
En revanche, lorsqu'il s'agit d'information, en particulier pour les plats
cuisinés, discussion que nous avons eue très longuement avec
certains, on doit connaître l'origine des produits parce que, si la
traçabilité n'existe pas pour cela, pour quoi
existe-t-elle ? Cela signifierait que les individus ont encore raison de
craindre les infections par des viandes contaminées.
Ou bien on sait, ou bien on ne sait pas, mais je pense qu'il ne faut pas poser
le terme, en tout cas par rapport à nos consommateurs, comme un seuil
d'acceptabilité d'OGM dans un produit. Nous devons être vigilants.
M.
Le
Président
-
Je pense que nous sommes d'accord sur ce point. Je vous lis tout de
même les réactions énormes qui sont arrivées. Je
voulais d'ailleurs vous poser certaines questions qui me sont parvenues sur le
problème des amorces. Seuil = amorce ; seuil =
possibilité de détecter.
Monsieur Riesel, de la confédération paysanne, a
évoqué cette question ce matin en disant que, s'il n'y avait pas
de seuil, tout serait OGM.
Je lis les questions :
Pensez-vous que le concept d'équivalence en substances soit
légitime ?
On sait que, sur les aliments de base, la traçabilité est
impossible, alors l'étiquetage ne constitue-t-il pas une
pseudo-réponse ?
Il est impossible de démontrer l'absence de la présence de
quelque chose. On ne peut aller qu'aussi loin que les méthodes d'analyse
le permettent. Comment étiqueter la récolte ou les produits d'un
agriculteur sans OGM dont les premiers rangs sont contaminés par la
production OGM du voisin ?
C'est le cas bio que j'ai indiqué tout à l'heure.
La transparence de l'information ; lorsque l'on se souvient que la
présence des industriels dans le Comité amiante a conduit
à bloquer toute diffusion de l'information, tout traitement
sérieux de la question, croyez-vous que l'on puisse avoir une
information solide de la part du CNC lorsque lui aussi comprend des
industriels ? Une information contradictoire sera-t-elle
possible ?
Sur l'amiante, j'ai également fait un rapport pour l'Office. Je pourrai
répondre à cette personne. Ce n'est pas aussi simple que ce qui
est indiqué. Ce ne sont pas seulement les industriels qui ont
bloqué. Tout le monde était au courant, mais à un certain
moment, on est condamné à vivre dans des situations difficiles.
Il y a un bon rapport de l'Office sur l'amiante. Vous devriez vous le procurer.
La PCR nécessite la connaissance des séquences que l'on
recherchera alors. Sera-t-il toujours aussi possible de connaître ces
séquences ?
Cela montre bien qu'il y a des réactions.
Un point est important : les amorces. Pour détecter un soja ou un
maïs génétiquement modifié, c'est technique, mais il
faut connaître l'amorce qui a permis d'insérer un gène. Or,
si des pays étrangers insèrent des gènes, par exemple les
Chinois ou les Argentins, si l'on n'a pas les amorces lorsque l'on a une
demande, on ne pourra pas le détecter.
Dans le dossier réglementaire, y aura-t-il la nécessité de
connaissance d'importation des amorces ?
Mme
Lebranchu
-
C'est ce que nous
avons demandé. Il y a eu une longue discussion à ce sujet au
niveau européen, et une discussion qui dépassera le niveau
européen. Nous avons demandé que l'on aille jusqu'au bout, que ce
soit clairement demandé et affiché, puis détecté.
Cela a été vraiment le consensus le plus large que l'on ait
obtenu. En tout cas, c'est ainsi que je l'ai vécu.
Concernant les équivalents, on n'est pas sur un débat consistant
à savoir si c'est dangereux ou pas, du moins je l'espère. C'est
OGM ou ce n'est pas OGM. Si l'on reste sur un débat "pourquoi pas les
équivalents", cela signifie que l'on n'est pas sur l'information "OGM ou
pas OGM", mais sur l'information "dangereux ou pas dangereux".
Les producteurs eux-mêmes se posent réellement la question, parce
qu'à mon avis, s'ils la posent vraiment ainsi, on est parti quelque part
en arrière, et déjà cela n'a pas été simple.
On est sur de l'information du consommateur, donc, équivalent ou pas,
c'est "OGM ou pas OGM". Nous devons être le plus limpide possible, parce
que, dans toutes les défiances de consommation, on a toujours eu
d'excellentes raisons pour dire que tel ou tel type de viande, marié
à tel ou tel type de bête dans tel ou tel type d'endroit,
n'était vraisemblablement pas contaminé pour telle et telle
raison, et les individus n'ont plus confiance.
On se trompe peut-être de débat lorsque l'on pose le
problème de l'équivalence, en tout cas à mon avis.
M. Le Président
-
Cela montre bien que,
finalement, cette décision pose de nouvelles questions qu'il faudra
résoudre.
Mme Lebranchu
-
Pour la contamination des premiers
rangs, le problème se pose sur les produits importés, puisqu'en
France, selon les autorisations données, les plantes autorisées
ne peuvent pas se marier aux plantes voisines. Sinon, l'information n'a pas
été bonne au départ.
(Dans la salle : "transgénique vers
non-transgénique").
Mme Lebranchu
-
Ce n'est pas possible.
M. Le Président
-
Si, c'est le
problème des premiers rangs.
Mme Lebranchu
-
Il faudra faire un
"no man's land" entre les deux champs.
M. Le Président
-
C'est un problème
bien connu des semenciers, qui ont exactement le même problème. Je
parle sous le contrôle du directeur de la production
végétale de l'INRA car je ne suis pas semencier, mais je les ai
tous auditionnés. Ils ont un cahier des charges avec des
arrêtés préfectoraux, qui prévoient que, dans une
distance de quatre cents mètres et sur un certain
périmètre, il ne doit pas y avoir de plantes sauvages ni d'autres
espèces.
Madame la Ministre, j'ai quelques autres questions. Il y en a eu beaucoup sur
l'étiquetage. Tout à l'heure, dans la table ronde, on a beaucoup
parlé de l'association des consommateurs au processus d'expertise, de
contrôle. La CGB et la commission de biovigilance, comment voyez-vous
l'association ?
Nous pensons que, plus les associations de consommateurs seront
associées au processus de décision, mieux ce sera. Je ne parle
pas forcément du processus de décision technique, car ce
processus est très complexe, et finalement, on a l'impression que des
gens ne suivent pas la partie technique.
Il faut peut-être que le citoyen et un certain nombre de
représentants des organisations d'associations puissent avoir leur mot
à dire, mais pas forcément en même temps que la Commission
de génie biomoléculaire.
Quel est votre avis à ce sujet ?
Mme Lebranchu
-
Si je vous ai cité le cas du
CNC, je réfute l'argument selon lequel il y a des professionnels, donc
que ces avis ne sont pas bons. Je pense qu'il y a des endroits où l'on
peut avoir des confrontations entre des professionnels, des consommateurs et
des scientifiques.
Ce que demandent nos consommateurs, ce n'est pas de retourner totalement
à l'école pour devenir spécialistes des OGM et pouvoir
comprendre toute décision scientifique. Ils demandent qu'on les informe,
qu'on leur dise, qu'on leur explique.
Les instances dans lesquelles on peut dire et expliquer existent. A partir des
travaux faits et des décisions prises, on a les moyens de l'information.
Si l'on veut informer nos consommateurs, on le peut. On a assez d'instances et
assez de moyens pour le faire.
C'est ce qu'ils nous demandent. Cela signifie que l'information doit aller
jusqu'au consommateur individuel, c'est-à-dire jusqu'à
l'étiquetage. Elle est au moment de la décision via leurs
organisations, et elle est ensuite au moment de la consommation via
l'étiquetage.
M. Le Président
-
Je pense que nous avons
eu un débat passionné et passionnant. Merci beaucoup, Madame la
Ministre d'être venue ; merci pour vos éclaircissements. Je
pense que la décision que vous avez prise va dans le bon sens ; il
faut sans doute aller plus loin encore avec nos partenaires.
Audition de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat
à la santé
M. Le Président
-
Monsieur le Ministre, merci
beaucoup d'être venu pour ces auditions publiques ouvertes à la
presse. Je vais essayer de résumer, parce que certains ont
déjà entendu mes explications liminaires.
Au cours de ces deux journées, l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a choisi
d'auditionner à la fois les responsables politiques, ceux qui sont
chargés de ce dossier sous tous ses aspects, aussi bien sous l'aspect
agricole que sous l'aspect environnement, recherche, santé,
consommation, donc les cinq ministres concernés.
Nous avons organisé cinq tables rondes publiques collectives
contradictoires, avec ce que l'on peut appeler des experts. Cette
démarche s'inscrit en parallèle avec une démarche
d'organisation d'une Conférence de Citoyens qui aura lieu au mois de
juin, où un panel de citoyens, qui ne sont donc pas des experts, a
été formé, à suivi des conférence sur ce
thème, avec un comité de pilotage qui a choisi les
conférenciers.
Il a essayé de le faire par consensus, puisque c'est une
conférence de consensus, puis le panel va choisir un certain nombre de
personnes qu'il souhaitera auditionner les 20 et 21 juin.
On a donc à la fois des avis d'experts, des avis de citoyens, des avis
de responsables politiques et, en fonction de cela, je serai amené
à rendre un rapport au Parlement. Bien sûr, vous serez
destinataires de ce rapport, comme tous les ministres concernés.
L'une des tables rondes aura lieu demain. Elle concerne les avantages et
risques des OGM en matière de santé, avec tous les
problèmes. Nous entendrons :
- Patrice Courvalin, de l'institut Pasteur
- Philippe Gay, directeur de biotechnologies à Novartis
- Anne Monneret-Vautrin, professeur à la faculté de
médecine de Nancy.
- André Rico, Président de la commission d'étude
de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et
substances assimilées
- Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie
moléculaire à l'université de Caen, et qui est dans
l'association "Agir pour l'environnement".
Comme aujourd'hui, nous aurons des experts qui n'ont pas le même avis.
Sur ce sujet des organismes génétiquement modifiés, nous
souhaitions avoir votre avis en termes de santé.
On parlait tout à l'heure des risques perçus par la population,
et l'un des risques perçus, lorsque l'on discute avec les consommateurs,
est l'éventualité de problèmes en matière de
santé.
Des problèmes se sont posés depuis quelques années. On a
connu le sang contaminé, l'encéphalite bovine spongiforme, et les
gens se demandent si, finalement, le progrès des sciences et techniques
dans le domaine des organismes génétiquement modifiés ne
conduira pas à de nouvelles catastrophes, si, finalement, l'homme ne
joue pas à l'apprenti-sorcier, et s'il est capable de mettre des
garde-fous.
Cela s'inscrit dans une décision gouvernementale d'autorisation d'un
type de maïs, donnée en novembre 1997, avec la mise en place d'un
système de biovigilance. Nous souhaiterions donc connaître
aujourd'hui, et le Parlement souhaiterait connaître l'avis du Ministre de
la santé sur ces questions, qui sont importantes.
En effet, le citoyen demande que l'on puisse le rassurer et qu'il puisse
être confiant dans les explications qui lui sont données, qu'il
puisse être un acteur de la construction de notre système de
vigilance, de contrôle et d'expertise.
M. Kouchner
-
Merci, Monsieur le Président.
Je voudrais d'abord vous féliciter de la méthode que vous avez
décrite, puisque cette décision de novembre, à laquelle
j'avais participé, proposait qu'une conférence de consensus se
tienne. Ce que vous venez d'exposer me semble tout à fait conforme
à ce que j'en pensais : contradictoire en permanence,
écoutant les experts et ouvert le plus possible aux citoyens.
Je me livrerais bien volontiers à de longues digressions sur la peur en
santé publique, je devrais dire "sur les risques et sur la peur en
santé publique", de nos jours. Vous avez vous-même rappelé
le problème gravissime du sang contaminé, de
l'encéphalopathie bovine spongiforme, et il y en a bien d'autres.
Tous les jours nous sommes, dans cette manière de crise permanente, de
doute permanent, face à ce que vous avez bien défini comme
étant une demande des citoyens d'être mieux informés, et
capable de connaître, dans les nouvelles disciplines ou dans les
avancées scientifiques, les risques encourus.
Je vais vous parler de la position du Ministère de la santé face
aux organismes génétiquement modifiés, mais nous aurons en
permanence, tout au long de l'année, j'en suis sûr, et des
années suivantes, à nous poser ces questions face à
l'évaluation des risques et à l'information.
Je voudrais donc vous dire "d'abord la précaution". Le ministre de la
santé ne peut pas faire autrement. Je commencerai par cela et je finirai
par cela.
Mais rien qui ne soit autre chose que le doute scientifique concernant la
science. J'ai été frappé comme vous, par cette page du
" Monde ", hier, face au référendum qui va avoir lieu
en Suisse.
C'est d'ailleurs assez beau que cela se passe ainsi et que le débat ait
eu lieu et ait fait sortir un peu les scientifiques de chez eux.
Mais en même temps, je ne sais pas quelles sont les circonstances qui ont
présidé à cet échange très politique,
très humain en même temps, il est vrai que les peurs sont
agitées et qu'il faut s'en garder.
D'abord la précaution, rien contre la science, rien de
rétrograde, rien de cet esprit un peu moyenâgeux que l'on entend
parfois, mais toujours la précaution.
Monsieur le Président, le Ministère chargé de la
santé a une expérience ancienne des organismes
génétiquement modifiés. En effet, l'ingénierie
génétique est une technique qui a connu de nombreuses
applications dans le domaine sanitaire.
Elle est devenue presque routinière par de nombreux aspects,
même si elle ne cesse d'évoluer. Et c'est cette évolution
dont je parlais tout à l'heure. Nous avons presque chaque jour des
interrogations qui nous viennent.
En outre, cette technique ne génère pas forcément des
situations inédites ou dérangeantes aux plans de l'éthique
et de l'émotion, pas plus que d'autres techniques
médicales ; je parle de la greffe d'organes. Reportez-vous aux
articles concernant les débuts des greffes d'organes ; de
nombreuses interrogations aussi pesantes et aussi valables que celles qui se
posent maintenant étaient publiées.
Je pense à la moëlle osseuse, aux techniques d'assistance
médicale à la procréation avec création d'embryons
"surnuméraires", etc. Le débat que j'ai mené dans cette
enceinte en 1992-93, qui était un beau et très noble
débat, ressemblait à ce qu'il se passe maintenant.
On dispose aujourd'hui de méthodes qui permettent, d'une part, une
connaissance de plus en plus fine du génome, une cartographie,
grâce en particulier à des chercheurs français, qu'il faut
saluer, et, d'autre part, une dissection de plus en plus poussée du
génome, laquelle permet à son tour, puisque le code
génétique est universel, de faire exprimer un gène
spécifique d'une espèce par des cellules d'autres espèces,
ce qui, j'en conviens, ouvre des perspectives vertigineuses.
Le domaine des médicaments est sans conteste celui où
l'ingénierie génétique est entrée dans les moeurs
du fait d'une longue expérience industrielle. L'insuline humaine
recombinante est maintenant sur le marché depuis largement plus de dix
ans, et cela a été un progrès considérable.
Les médicaments ainsi produits sont des enzymes (facteurs de
coagulation) et des vaccins (dont celui contre l'hépatite B, dont
nous avons beaucoup parlé) ou des hormones, comme l'hormone de
croissance, des facteurs recombinants, des facteurs de greffe, par exemple.
Lorsque l'hormone de croissance est arrivée recombinante,
c'est-à-dire produit qui n'était pas extrait du corps humain,
cela a rassuré terriblement les familles qui en avaient besoin. Nous
avons donc cette expérience.
Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur
l'intérêt en termes de sécurité, car nous avons tous
en mémoire, ce que je rappelais, les hormones d'origine extractive et la
contamination, par exemple, des facteurs anti-hémophiliques.
Si le génie génétique n'a pas été, dans le
domaine pharmaceutique, à l'origine de la révolution que certains
avaient prédite au début des années 80 (dans la mesure
où la chimie de synthèse et la recherche phytopharmacologique ont
démontré depuis qu'elles n'avaient pas encore dit leur dernier
mot), il est cependant certain, à mon avis, qu'il ne s'agit pas d'un
effet de mode passager, et que les applications de cette technique se
développeront encore dans l'avenir pour le bien de tous, même s'il
faut se méfier, surveiller et évaluer en permanence, et ne jamais
être sûr de soi.
Les procédés industriels en la matière ont fait l'objet
d'un guide de bonne pratique, élaboré sous l'égide de
l'OCDE et publié par l'AFNOR. Le principe de base est de n'utiliser que
des micro-organismes non-pathogènes pour l'homme, pour les autres
espèces animales et pour l'environnement, et qui ne soient pas
susceptibles de le devenir après modification de leur patrimoine
génétique.
Les techniques ainsi mises en oeuvre par l'industrie pharmaceutique
démontrent la maîtrise de l'expression des gènes sur des
supports variés, et de la qualité des procédés de
purification.
Certes, même si la pureté du principe actif est
contrôlée très minutieusement, il persiste encore au stade
final quelques fractions de matériel génétique ou de
protéines étrangères dont la réactivité avec
l'organisme-hôte est inconnue (elle ne s'exprime pas en tout cas
cliniquement, et n'est pas décelable biologiquement avec les moyens dont
nous disposons actuellement) mais qui suscitent périodiquement des
craintes ou des polémiques, bien que divers groupes d'experts aient
estimé à plusieurs reprises que ces craintes ou ces
hésitations n'étaient pas fondées.
Des seuils pour ces contaminants ont d'ailleurs été
définis à cette occasion.
Si l'emploi d'organismes génétiquement modifiés et des
médicaments qui en sont issus est devenu, comme je le disais, routinier,
le domaine de la thérapie génique en est par contre à ses
débuts et paraît encore plus prometteur dans la mesure où
ce sera sans doute le seul moyen de traiter certaines pathologies fatales
d'origine génétique, à condition qu'elles soient
monogéniques.
Je pense à la mucoviscidose et à certaines maladies
neuromusculaires, pour lesquelles on ne dispose actuellement, dans le meilleur
des cas, que de traitements temporairement palliatifs.
Une fois définie la nature de l'intervention génique, la
difficulté est de trouver le vecteur qui permet l'expression temporaire
du gène dans les cellules de l'organisme-hôte. Des essais chez
l'animal se sont révélés très encourageants, et
certains projets sont en cours d'essai chez l'homme. C'est incontestablement
une voie d'avenir majeure.
J'évoquerai à peine le domaine de la recherche, pour indiquer
l'apport précieux que constituent les animaux transgéniques
exprimant :
- soit une pathologie humaine ou son support biologique : il n'y a
pratiquement aucun secteur de la recherche médicale qui, d'une
manière ou d'une autre, n'utilise pas les souris transgéniques
comme modèles d'affections humaines ;
- soit des molécules à usage thérapeutique, par
exemple dans le lait ;
- voire des antigènes (ou l'absence d'antigènes)
d'histocompatibilité, qui pourraient à terme servir pour des
greffes d'organes. Nous y travaillons, en particulier en France.
Cette question de la recherche thérapeutique nous ramène vers les
plantes génétiquement modifiées. En effet, il faut
souligner l'intérêt que soulèvent les expériences de
plantes transgéniques exprimant un produit thérapeutique. Chacun
a entendu parler des espoirs suscités par la production
d'hémoglobine à partir de plants de tabac
génétiquement modifiés.
Je ne voudrais pas insister sur ce point, mais il est vrai qu'à la fois
cela fait rêver et cela engendre cette méfiance naturelle, et la
mise en oeuvre de cette précaution. Je ne répéterai pas
assez ce mot.
Nous avons par rapport au problème du sang, des attitudes diverses en
Europe et dans le monde, dans les pays pauvres et dans les pays riches, mais,
même si la consommation de produits sanguins diminue pour des raisons
thérapeutiques et de précaution, nous aurons besoin en permanence
d'hémoglobine, et nous n'en avons pas assez. Maintenant, le manque se
fait souvent sentir.
On ne peut donc pas négliger ce point. On peut au contraire
considérer seulement comme un espoir, malgré la
nécessité de se méfier, cette production
hypothétique d'hémoglobine à partir du tabac
génétiquement modifié.
Le sommet du progrès sera atteint lorsque l'on pourra joindre l'utile
à l'agréable, lorsque l'aliment deviendra en lui-même une
forme galénique raffinée de médicament. Tout cela
entraîne également précaution et méfiance.
Cela n'est pas une fiction ; des essais de production de bananes exprimant
un antigène vaccinal sont engagés, et vous avez pu voir
récemment les résultats prometteurs chez l'homme, de
l'immunisation contre les colibacilles entérotoxinogènes.
Il est vrai que la forme galénique n'était sans doute pas
parfaitement au point, puisque les volontaires étaient obligés de
manger la pomme de terre transgénique crue.
Cependant, il est clair que la "plante-aliment" en tant qu'organisme
génétiquement modifié introduit une dimension
émotionnelle, et même scientifique et environnementale, tout
autre, en raison :
- de la diffusion considérable qu'elle peut connaître
à un double point de vue : diffusion dans l'environnement sur de
vastes étendues, et introduction dans l'alimentation de populations
potentiellement très importantes ; on ne peut pas négliger
que la famine demeure et que la production est insuffisante ;
- des perspectives et des enjeux dont elle est l'objet :
économiques bien sûr, et à une échelle
incomparablement plus importante que celle du médicament, mais aussi
humanitaire, car on peut raisonnablement penser que l'amélioration de
certaines variétés et leur adaptation à des conditions
géographiques particulières améliorera l'état
nutritionnel d'une partie de la population mondiale au cours du siècle
au seuil duquel nous nous trouvons.
Je pense en particulier à ces plantes dont on nous promet qu'elles
résisteront à la sécheresse.
J'en viens maintenant à la mise sur le marché des plantes
génétiquement modifiées et à la
sécurité alimentaire, mais j'ai voulu -pardon d'avoir
été un peu long- vous signifier que, dans le domaine de la
santé, nous sommes déjà depuis longtemps devant une
expression presque familière et une utilisation de nouveaux
médicaments qui proviennent de recombinants ou d'organismes
potentiellement modifiés.
Au-delà des inquiétudes que suscitent les manipulations
génétiques, la mise sur le marché des plantes
génétiquement modifiées pose le problème de leur
sécurité d'emploi et de celle des aliments qui en sont issus.
L'évaluation de leur sécurité d'emploi
préalablement à leur dissémination et à leur mise
sur le marché est strictement encadrée par des procédures
communautaires et nationales. Elles vous sont évidemment connues ;
je ne vous les décris pas. La multiplicité des niveaux
d'expertise des comités scientifiques européens, d'organismes
nationaux d'évaluation concourent à garantir une qualité
des évaluations réalisées.
Concernant les plantes, semences et animaux transgéniques, notre
dispositif réglementaire ne prévoyait pas jusqu'à
présent de consultation systématique du Ministère de la
santé sur les autorisations délivrées, qu'il s'agisse
d'autorisations de dissémination à des fins de
recherche-développement ou de mise sur le marché.
Toutefois, l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de
France, instance d'expertise placée sous l'autorité du
Ministère chargé de la santé, est recueilli si le CGB
signale l'existence d'un risque éventuel pour la santé publique,
lié à la consommation de ces produits. Cette consultation est
maintenant systématique ; c'est très nouveau.
Je souhaite attirer votre attention sur le cas des aliments issus d'OGM mais
n'en contenant pas eux-mêmes (huile de soja, amidon de maïs), et
jugés substantiellement équivalents à des aliments
traditionnels de référence dans l'Etat-membre où a
été déposé le dossier de demande de mise sur le
marché.
La commercialisation de cet aliment fait l'objet d'une simple notification aux
autres Etats membres, sans consultation préalable. Cela signifie que, si
un Etat membre estime que la mise sur le marché d'un aliment
présente un risque pour la santé, il devra invoquer la clause de
sauvegarde pour en interdire la commercialisation et apporter la preuve des
risques encourus.
Cette procédure, qui aboutit à une mise sur le marché de
certains aliments sans ouvrir la possibilité aux Etats-membres
d'effectuer une expertise a priori, peut certes paraître
contestable. Dans certains domaines, je la conteste. Elle pose par ailleurs au
niveau nationale la question du positionnement du Conseil supérieur
d'hygiène publique.
Faut-il solliciter son avis sur les notifications, considérant que les
dossiers qui sont transmis ne contiennent pas l'ensemble des
éléments nécessaires à la conduite d'une
véritable contre-expertise ? Cette approche peut paraître
souhaitable, et j'envisage de systématiser la consultation du Conseil
sur ces notifications.
Avec la loi relative à la sécurité sanitaire, qui est
presque votée, qui sera prochainement promulguée, l'expertise
organisée par mes services en lien avec le Conseil supérieur
d'hygiène publique de France sera transférée à
l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Je pense que mon collègue Le Pensec vous en a parlé. Je
tiens à dire à cette occasion que l'amélioration de la
sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation ne
résultera pas seulement d'un regroupement de capacités
d'expertise actuellement dispersées, mais nécessite qu'on lui
consacre plus de moyens qu'aujourd'hui, au moins de notre côté
santé. C'est très clair dans mon esprit.
Les risques :
La mise sur le marché des plantes transgéniques et des aliments
qui en sont issus a fait émerger de nombreuses interrogations et
inquiétudes, qui portent à la fois sur les risques
écologiques liés à la dissémination d'organismes
génétiquement modifiés dans l'environnement, et sur les
risques sanitaires liés à la consommation de ces produits
alimentaires.
Je vous répète une fois de plus que le fait que ces
interrogations ne m'irritent pas. Je les trouve naturelles et, si elles
n'existaient pas, je les susciterais.
Concernant les risques écologiques liés à la culture
à grande échelle, leur évaluation relève de la
compétence de la Commission de génie biomoléculaire, et la
gestion de ces risques des Ministères de l'agriculture et de
l'environnement.
Le principal problème posé est d'éviter que le
caractère de résistance introduit (résistance à un
herbicide, etc.) ne s'étende en dehors de la variété
transgénique et devienne un problème pour l'environnement. Nous
sommes conscients de cela, donc suivi et évaluation en permanence :
jamais d'arrêt à cette évaluation.
Les plantes résistantes aux herbicides ont acquis une place toute
particulière en raison du grand nombre de variétés
cultivées en jeu et des surfaces concernées (pas chez nous, mais
ailleurs). Si le désherbage de certaines espèces ne trouve pas
forcément une solution plus efficace par la voie de la
transgenèse, la culture d'autres espèces transgéniques est
susceptible de présenter un intérêt certain du fait d'une
réduction du nombre de traitements nécessaires.
De la même manière, la mise sur le marché de maïs
résistant à la pyrale a donné lieu à l'ouverture
d'un débat sur les risques d'une résistance accrue des insectes
à la toxine de
Bacillus
thuringiensis
, bactérie
employée à travers le monde pour lutter contre certains ravageurs
de cultures, et utilisée en lutte antivectorielle.
Dans tous ces cas, quelle que soit la nature du gène introduit, nous
mettons en place un dispositif de suivi, de biovigilance pour les
variétés agréées, qui permettra d'assurer un suivi
des risques éventuels d'apparition d'événements
défavorables sur l'environnement, qui pourrait bien sûr conduire
à des mesures de retrait aussi immédiates que possible si
nécessaire.
Un autre problème évoqué, auquel je suis très
sensible, porte sur les risques de la dissémination des gènes de
résistance aux antibiotiques, notamment à l'ampicilline,
introduits dans les constructions géniques.
L'incorporation de ces gènes de résistance dans le génome
des plantes et les risques de transfert de ce gène, suscitent de
nombreuses inquiétudes. Je n'ai pas attendu cela pour être
sensible à la résistance aux antibiotiques ; peut-être
savez-vous que nous en avons fait l'un de nos chevaux de bataille.
Pour que ces gènes puissent s'exprimer, il faudrait toutefois, d'une
part que les protéines qui les constituent résistent aux
processus de préparation des aliments et de la digestion et, d'autre
part, qu'elles puissent se conjuguer à un vecteur susceptible de les
introduire dans les bactéries présentes dans la lumière
digestive, celles-ci n'étant pas capables de les incorporer
naturellement.
Ce danger est considéré comme très improbable par la
quasi-totalité des experts. Ce n'est pas une raison pour s'en contenter.
En outre, s'agissant du gène de résistance à
l'ampicilline, il est déjà répandu chez les espèces
présentes dans le tube digestif de l'homme et des animaux et, si le
phénomène de transfert se produisait, les experts de nombreux
pays ont considéré qu'il n'aurait qu'une incidence
négligeable sur l'état des résistances à cet
antibiotique. Cela rassure d'une certaine manière.
Le mésusage de certains antibiotiques en médecine me
préoccupe aujourd'hui davantage, comme je viens de vous le dire. Il
s'agit néanmoins d'un sujet sensible, d'autant qu'il n'existe pas de
réelle justification à l'introduction de tels gènes dans
les constructions géniques.
J'ai cherché dans ma tête et nous avons un peu parlé de
cela, je ne vois pas l'intérêt. Il me paraît donc
souhaitable à l'avenir d'abandonner l'utilisation de gènes de
résistance aux antibiotiques. Cela me paraît hautement
nécessaire.
L'expertise a également soulevé l'hypothèse de risques
sanitaires pour l'homme.
Tout d'abord -il me paraît important de le rappeler-, la mise sur le
marché de plantes transgéniques ou d'aliments qui en sont issus
est décidée au cas par cas, après une évaluation
scientifique basée sur le concept d'équivalence en substance.
Il s'agit d'un concept unanimement accepté à ce jour, qui
consiste à comparer les plantes ou les aliments à des plantes et
aliments traditionnels de référence. S'ils sont jugés
"substantiellement" équivalents à ces références,
c'est-à-dire lorsque, sous l'angle nutritionnel et toxicologique,
leur composition est estimée équivalente, aucune
démonstration de leur "salubrité" ne s'impose.
Le cas le plus fréquent est celui où l'équivalence en
substance est établie, à l'exception des produits des
gènes d'intérêts introduits. Ces gènes sont
généralement des protéines intervenant dans les
mécanismes de tolérance à un pesticide, ou de
résistance à l'agression par une organisme ravageur.
Les risques potentiels des produits de ces gènes sont alors
spécifiquement évalués. Il s'agit essentiellement de
risques toxiques et allergiques.
Concernant le risque toxique, un examen attentif se justifie, notamment pour
les plantes où un gène de résistance à un pesticide
a été introduit en raison de la formation de métabolites
du pesticide à la suite de son inactivation ou lorsque les gènes
transférés codent pour des enzymes qui catalysent des processus
biochimiques.
L'évaluation du risque toxique ne bénéficie pas de
modèle universel et fait généralement appel à une
approche qui conjugue la réalisation de tests de toxicité sur
animaux de laboratoire, d'études d'alimentation animale chez des
espèces d'intérêt zootechnique qui consomment
habituellement le produit, et la comparaison avec des protéines toxiques
identifiées dont la séquence figure dans des banques de
données.
Il ne s'agit pas d'une approche toxicologique classique. Elle nécessite
certes encore le développement d'outils méthodologiques, et les
experts français concourent, par leur travail, à ce
développement. J'estime que des progrès doivent encore être
faits dans cette voie.
Concernant le risque allergique, il est vrai que la prédiction du
caractère allergénique reste un exercice délicat. Il
repose sur des méthodes d'évaluation indirecte, comme par exemple
les tests de résistance des protéines à la chaleur et aux
attaques des enzymes digestives, considérant que
l'allergénicité est souvent le fait de protéines
absorbées intactes par la muqueuse intestinale.
On fait également appel à la recherche d'homologie de
séquences avec des protéines qui sont des allergènes
connus et dont la structure est répertoriée dans les banques de
données.
Cette dernière approche d'analyse comparative offre l'avantage
d'éliminer rapidement des constructions à risques potentiels,
mais l'absence d'homologie de séquences ne constitue pas une garantie
formelle d'innocuité. Aucune observation ne permet toutefois, à
notre connaissance, de considérer les produits issus du génie
génétique comme plus ou moins allergéniques que les
produits traditionnels de référence.
Il faut néanmoins rester attentif, comme toujours, compte tenu du
potentiel allergisant des protéines, d'autant que la mise en
évidence d'une allergie alimentaire est une question très
complexe et que l'on découvre aujourd'hui encore le rôle de
certains aliments pourtant très anciennement introduits dans notre
alimentation habituelle.
Au total, il est certain que nous sommes en face d'une innovation devant
laquelle les scientifiques ne peuvent nous fournir sur toute la ligne des
certitudes absolues. Le débat que vous organisez montrera la perception
que nos concitoyens ont de ces avancées combien prometteuses, et je vous
en remercie.
La manière dont, Monsieur le Président, vous comptez vous y
prendre, me satisfait.
J'aurais, pour ma part, tendance à me reporter quelques siècles
en arrière, au temps où les peuples précolombiens avaient
réussi le tour de force, à l'époque, de transformer en peu
de temps l'épi de maïs sauvage, qui avait la taille de la
dernière phalange de mon petit doigt, en un épi très
proche de ceux que nous connaissons.
Cette intervention humaine n'était pas moins audacieuse à
l'époque et, si certains l'estiment plus "naturelle" que celle devant
laquelle nous nous trouvons, je rappellerai, tout près de nous, la
création du colza. Il s'agit dans ces deux cas de création
d'espèces nouvelles, dont on peut mesurer ce qu'elles nous ont
apporté. Je pense qu'aujourd'hui, rester toujours sur ses gardes ne doit
pas conduire pour autant à diaboliser systématiquement les
espèces génétiquement modifiées par les techniques
d'ingénierie modernes qui nous sont proposées.
Cela doit nous entraîner à plus de méfiance encore, mais
pas à des certitudes d'avance.
Comment progresser aujourd'hui ? A mon avis :
- en renforçant les expertises scientifiques multiples et
contradictoires, car c'est bien un débat et une analyse objective des
données factuelles qu'il nous faut mener, plutôt que de se
cantonner à un débat d'idées plus ou moins
préconçues ;
- en renforçant nos pouvoirs d'investigation et de
contrôle ;
- en mettant en place un dispositif de biovigilance agronomique et
environnementale des variétés agréées (dispositif
permanent) ;
- certains évoquent la nécessité de compléter
ce dispositif par un système de vigilance portant sur le risque
allergique pour l'homme. Je dis d'emblée que cette question reste
ouverte, sans pour autant pouvoir proposer aujourd'hui ne serait-ce que le
schéma d'un nouveau dispositif.
C'est une question très complexe ; l'alimentation est un geste
très banal, souvent machinal ; elle est aujourd'hui (c'est un fait
positif) très diversifiée ; les aliments de base sont
très souvent transformés et ils contiennent de très
nombreux ingrédients.
De ce fait, l'alimentation en général présente des
risques, et le risque allergique, malgré des manifestations parfois
spectaculaires, n'en constitue que l'un des aspects.
En outre, les symptômes d'une allergie sont parfois peu évocateurs
en eux-mêmes. C'est la plupart du temps l'étude minutieuse de
certains tableaux cliniques qui conduit les cliniciens à émettre
l'hypothèse d'une manifestation allergique et d'en rechercher la cause,
laquelle est très difficile à mettre en évidence en raison
même de l'extrême banalité de l'acte alimentaire.
On est donc loin des systèmes de vigilance que nous avons mis en place
dans le domaine des soins, où la prescription (ou l'utilisation) d'un
produit concentre en quelque sorte l'attention sur ses conséquences
pendant une période de temps précise et limitée. Les
difficultés rencontrées dans la transposition de ce concept de
vigilance à la toxicovigilance me conduisent à être
circonspect en matière de vigilance alimentaire.
Progresser ensemble nous conduira à une plus grande transparence des
procédures et des décisions d'autorisation. Le gouvernement s'y
est d'ailleurs engagé. Transparence en permanence, information toujours.
La meilleur information des consommateurs est à mon avis le
déterminant essentiel. Elle conditionne l'acceptabilité de ces
nouveaux aliments par nos concitoyens. A cet égard, l'accord finalement
trouvé au dernier Conseil des Ministres de l'agriculture sur la question
de l'étiquetage, dont vous ont sans doute parlé
Marylise Lebranchu et Louis Le Pensec, me paraît un
élément de déblocage important.
Le débat que le Premier Ministre vous a demandé d'animer,
Monsieur le Président, me paraît également tout à
fait essentiel. Il est nécessaire que nos concitoyens puissent
apprécier par eux-mêmes la façon dont les scientifiques
peuvent répondre aux questions qui leur sont posées, ainsi que la
manière dont les pouvoirs publics répondent à leur attente
de qualité et de sécurité.
Loin d'esquiver le débat, ce qui aurait été une erreur, le
gouvernement l'a provoqué, et vous avez voulu qu'il soit le plus
contradictoire possible ; je vous en félicite.
Pour conclure, je voudrais resituer l'enjeu sécuritaire. La
sécurité alimentaire doit s'appliquer à tous les aliments.
C'est d'ailleurs le sens de la création prochaine de l'agence de
sécurité des aliments : surveiller, évaluer,
contrôler l'ensemble des aliments, qu'il s'agisse des produits
naturels comme des additifs. Et, sans être trop provocateur, les
organismes génétiquement modifiés ne sont-ils pas des
additifs particuliers ?
Notre démarche doit toujours être la même, centrée
sur le principe de précaution. Je vous avais dit que je conclurai comme
j'avais commencé, par ce principe de précaution, qui guide toute
notre attitude de santé publique, et qui doit conduire :
- à interdire toute dissémination, toute mise sur le
marché, si existent ne serait-ce que des indices de risques
significatifs ;
- à surveiller en cas de risque potentiels.
Ma responsabilité première, comme secrétaire d'Etat
à la santé, est de veiller à la prise en compte et
à l'application de ce principe en ce qui concerne le domaine sanitaire.
Je vous remercie.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, M. le
Ministre, de cet exposé clair sur tous les problèmes qui
concernent la santé.
Nous aurons demain l'occasion d'aborder un certain nombre de questions que vous
avez posées, notamment sur le risque allergique, sur les gènes de
résistance aux antibiotiques, sur l'insertion éventuelle de
parties de virus ou de capsides virales, dont on n'a pas parlé
aujourd'hui, sur les toxiques.
Je crois que vous avez abordé cela de manière très
précise, en donnant la position du gouvernement : le principe de
précaution, un système de biovigilance.
Quelques questions complémentaires : comment le système de
vigilance sur les risques allergiques va-t-il s'articuler
éventuellement ? Vous en avez parlé. Je pense, comme vous,
qu'il faut surveiller les risques allergiques dans l'alimentation, parce qu'il
y en a de plus en plus, mais que, du fait de l'importation d'aliments nouveaux
de toutes les parties du monde, en consommant un kiwi ou un fruit que l'on n'a
jamais consommé auparavant, on a beaucoup plus de protéines
nouvelles en une seule fois que l'on en a avec une gène
inséré au niveau du génome et qui produira une
protéine.
Il n'empêche que celui qui est inséré peut être
allergique. On a un exemple, dans une société américaine,
d'un gène de noix de cajou du Brésil qui avait été
inséré, et on avait dit qu'il y avait un problème. En
réalité, c'était déjà allergique avant de
l'insérer. Si l'on insère une protéine qui est allergique,
elle sera donc toujours allergique dans le nouveau porteur de gènes.
Il faut aborder ces questions avec le principe de précaution, et vous
l'avez bien indiqué.
Comment le principe de vigilance en matière de santé
s'articulera-t-il avec l'institut de veille sanitaire ? Dans
l'institut de veille sanitaire, aurez-vous effectivement une surveillance en
matière de biovigilance, notamment pour les bactéries
intestinales dont vous avez parlé dans les gènes de
résistance aux antibiotiques, avec une analyse proche de celle que nous
pouvons avoir actuellement dans l'état de nos connaissances ?
M. Kouchner
-
Je vous rappelle d'abord que, même
si elle était cliniquement connue, l'allergie alimentaire était
un concept très discuté et pratiquement peu présent dans
la clinique et dans l'enseignement. Il est assez récent que l'on s'y
intéresse de plus près.
Je crois avoir répondu : l'attention doit être portée
en permanence sur les allergies déclenchées. Cela étant,
je n'imagine qu'assez mal un système de vigilance particulier en ce qui
concerne l'allergie alimentaire.
Il n'empêche que nous avons maintenant ces dispositifs. C'est la
deuxième partie de votre question.
Comment l'institut de veille sanitaire va-t-il s'articuler avec l'agence de
sécurité alimentaire, par exemple ? Dans le dispositif
prévu, qu'il faudra renforcer puisque nous discutons, puisqu'il y a une
commission parlementaire qui est chargée de la prochaine agence
environnement et santé qui se développera, avec tout ce qui nous
arrive en permanence, l'articulation est très difficile entre le nombre
formidable d'organismes qui existent déjà et la façon dont
on essayera de les regrouper pour être plus actifs.
Ne parlons pas de cette nouvelle agence, d'abord parce que les parlementaires
sont à peine au travail, et il faudra certainement de longs mois.
Ce qui existe maintenant, c'est l'institut de veille sanitaire, qui est pour le
moment le Réseau national de santé publique. Ce Réseau
national de santé publique est chargé de détecter tout ce
qui concerne les atteintes ou les modifications ou les alarmes en
matière de santé publique, mais cela en aval, loin, comme
conséquence d'une pathologie que l'on n'aurait pas découverte.
Ce qui existe maintenant, sous la direction de Jacques Drucker, va se
renforcer considérablement avec d'autres missions qui lui seront
confiées et un budget relativement coquet pour le développer. Ce
qui existe maintenant est donc d'essayer de juger des conséquences, et
une alerte sur un point du territoire est mise en parallèle en
réseau avec une alerte qui serait passée inaperçue sur un
autre point, etc. (technique classiqu
Ce n'est pas suffisant ; nous voulons débusquer au plus
près. Ce qui serait intéressant, c'est évidemment
d'être en amont, peut-être au déclenchement.
Là, il y a deux agences, l'Agence de sécurité alimentaire
et l'Agence de sécurité sanitaire. L'Agence de
sécurité sanitaire, qui sera le renforcement de l'Agence du
médicament, est chargée très spécifiquement des
produits de santé, des médicaments, des dispositifs, du
matériel de la thérapie génique, etc. Il y a un nouveau
dispositif.
Il sera évidemment de son ressort, s'il existait, de traiter des
organismes génétiquement modifiés, notamment ceux qui
concernent la résistance aux antibiotiques. Je ne le souhaite pas ;
je l'ai dit très clairement, mais ce serait éventuellement sa
mission.
Sinon, c'est l'Agence de sécurité alimentaire, et c'est donc la
responsabilité première des services du Ministère de
l'agriculture et de la DGCCRF, mais nous y sommes, et c'est une avancée
considérable par rapport à la force que représentait ce
ministère face à la santé, que nous y soyons
complètement associés.
J'ajoute -c'est une avancée que l'on doit au Parlement- qu'il y aura un
organisme plutôt scientifique, mais un organisme conjoint, qui mettra
ensemble, systématiquement, sous la direction du Ministère de la
santé -et je vous remercie- l'Agence des produits alimentaires et
l'Agence de sécurité sanitaire.
En permanence, au sommet, experts et décideurs pourront donc relier des
événements qui seraient peut-être passés
inaperçus.
Tel est le dispositif mais, comme je ne l'ai pas expérimenté
puisqu'il n'existe pas encore, je ne sais pas comment cela va se passer.
Il n'empêche à mon avis, pour répondre pleinement à
votre question, Monsieur le Président, qu'une attention
particulière et qu'une vigilance permanente devraient être
portées sur les organismes génétiquement modifiés,
malgré l'existence de ce système que je viens de décrire
sommairement.
M. Le Président
-
Vous venez d'indiquer,
dans l'exposé liminaire et dans la réponse que vous venez de
donner, que notamment sur l'expertise à l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments, il y aura plus de moyens du
côté de la santé.
En second lieu, y aura-t-il des moyens du côté de l'INSERM, pour
que l'on développe des projets de recherche sur les thèmes que
l'on vient d'aborder, c'est-à-dire les aliments et la
santé ?
M. Kouchner
-
J'en ai parlé aujourd'hui avec
Claude Allègre, qui vient demain. Vous savez que c'est une
cotutelle entre le ministère de la recherche et le ministère de
la santé.
Nous en sommes tous deux tout à fait partisans, mais nous sommes
placés pour le moment dans une réforme de l'INSERM qui nous
permettra sans doute de promouvoir un certain nombre de moyens mais aussi de
projets de recherche, et qui place, avec ses départements horizontaux
qui ont été un peu en question, l'organisme dans une meilleure
situation pour absorber de genre de projet. C'est indispensable.
Si Claude Allègre et moi-même sommes en accord sur ce point, je
pense que cela se fera. Il y a évidemment un problème d'experts
et de financement. Je ne vous le cacherai pas plus, et je ne vous cacherai pas
plus non plus qu'en ce qui concerne l'INSERM, c'est Claude Allègre
qui a l'argent, pas moi. Je m'occupe un peu du personnel et je possède
la cotutelle, mais la recherche est la recherche. Cela peut se discuter, mais
c'est ainsi.
Dans de nombreux pays, la recherche sur la santé appartient au
Ministère de la santé... J'arrive d'un voyage aux Etats-Unis,
où notre dispositif fait lever les sourcils, mais cela fonctionne aussi
...
M. Le Président
-
Pas forcément
très bien. C'était justement ma troisième question, sur
les contaminations bactériennes aux Etats-Unis, où c'est de loin
la peur la plus grande du consommateur, parce qu'il y a eu plusieurs milliers
de morts par contamination alimentaire. On le disait dans le débat sur
l'institut de sécurité alimentaire.
M. Kouchner
-
Il y a eu 12.000 morts, y compris
avec les problèmes dans les hôpitaux.
M. Le Président
-
Il ne s'agit pas des
contaminations alimentaires. Ils sont à 8000 et nous sommes
à quelques dizaines au niveau de la France. Le problème se pose
donc effectivement lorsqu'il y a des gènes de résistance à
un antibiotique, et je pense qu'il y a une confusion. Quelqu'un me l'a dit tout
à l'heure ; il y a beaucoup de spécialistes ici, y compris
parmi les journalistes, et j'en profite pour le redire.
Il y a une certaine confusion entre OGM et ADN, y compris ADN avec des
gènes de résistance à un antibiotique. Un organisme
génétiquement modifié a un gène nouveau
inséré par un vecteur, une amorce autorisant l'insertion et
permettant de le retrouver. C'est un peu sa carte d'identité.
Ce gène de résistance à un antibiotique était
utile ; c'étaient des constructions très anciennes. Nous
avons maintenant d'autres moyens. Ce sont des constructions qui ont
passé toutes les barrières des autorisations
expérimentales des premières plantes transgéniques.
Lorsque ces gènes sont insérés et lorsqu'il y a
consommation d'une cellule d'un aliment d'une plante transgénique, il y
a des digestions de cette cellule. Et, dans la digestion, où il y a
avant transformation du produit, on ne va prendre qu'une partie de l'aliment,
et l'on va retrouver soit des traces d'ADN, soit une petite partie d'ADN qui ne
sera pas totalement coupée au niveau de la digestion.
Vous venez très bien de dire que certaines protéines ne sont pas
totalement digérées, qu'elles peuvent être des
protéines allergisantes. De la même manière, certains
morceaux d'ADN peuvent ne pas être totalement digérés,
qu'ils soient dans le sol ou à d'autres niveaux d'une chaîne.
Et le risque qui est indiqué aujourd'hui, c'est que cela puisse
effectivement passer dans des bactéries du sol, avec un risque
certes très faible. On l'a montré, cela peut exister. Tout
imprévu est possible dans la nature, disait Antoine Danchin ce
matin. La nature est faite d'imprévus, et tout est possible. C'est la
fréquence qui change. Ce risque est donc possible ; cela peut
passer.
Lorsque c'est passé, c'est-à-dire lorsque c'est passé dans
une bactérie du sol, cela peut passer dans une autre bactérie,
dans une bactérie du tractus alimentaire. Il ne faut pas ajouter des
risques dans de mauvaises constructions.
Il y a eu un séminaire à Talloires, qui était très
intéressant sur le sujet, avec tous les experts dans ce domaine, et des
choses ont été dites, qui ne sont pas exactes. Il faut donc
mettre les points sur les " i ".
Ce qui est le plus probable, ce sont les conjugaisons entre bactéries.
Ce sont des transferts de bactéries qui existent déjà, qui
ont déjà des gènes de résistance à des
antibiotiques et qui, chaque jour, peuvent donner des gènes de
résistance à des antibiotiques sur des bactéries qui sont
pathogènes du tractus intestinal.
Et cela peut malheureusement exister. On voit effectivement un certain nombre
de maladies qui se développent, et cela peut exister. La
probabilité de l'aliment transgénique est donc beaucoup plus
faible dans tous les cas que la probabilité que l'on a malheureusement
parce que l'on a mal géré les antibiotiques.
Antoine Danchin a eu raison de le dire. Il a eu une phrase très
forte ce matin : parce qu'on l'a mal gérée, elle est
beaucoup plus faible, infiniment plus faible que ce que l'on a fait au niveau
des antibiotiques et qui a été mal géré.
Je pense que demain, Patrice Courvalin et ceux qui seront présents
reprendront cela dans cette enceinte et nous pourrons leur poser des questions.
Je pense que cela a été bien expliqué, et qu'il faut le
dire, sinon on a une confusion. Je disais tout à l'heure que la
moitié des Français n'avait jamais entendu parler de plantes
transgéniques ; si, ensuite, on leur dit qu'il y a des gènes
de résistance à des antibiotiques, il y a une confusion totale
sur certains sujets.
Des vrais risques existent, et notre rôle est le principe de
précaution. Le Parlement y est totalement attaché et,
personnellement, je suis très heureux, Monsieur le ministre, de votre
position, parce qu'elle correspond globalement à celle que nous avons au
niveau de l'Office.
M. Kouchner
-
C'est moi qui vous poserais volontiers la
question. Je partage entièrement ce que vous venez de dire ; tout
d'abord, j'ai fait un lapsus dans les chiffres, parce que j'ai pensé aux
12.000 morts d'infections nosocomiales. Or, on ne peut pas ne pas en
parler lorsque l'on parle de résistance aux antibiotiques.
Je suis pour la précaution mille fois plutôt qu'une, mais agiter
ce spectre alors que nous sommes devant une résistance majeure aux
antibiotiques parce qu'il y a un mésusage des antibiotiques dans notre
pays... 57 % des staphylocoques dorés pathogènes des
hôpitaux français sont résistants, alors que ce chiffre est
de 2 % au Danemark, et qu'il y a ces morts en permanence.
C'est la raison pour laquelle j'ai parlé de 12.000 morts ;
vous me pardonnerez, Monsieur le Président, mais vous avez cité
des chiffres, notamment à propos des infections alimentaires. Lorsque
j'étais ministre de la santé en 1992-93, une seule
épidémie de listériose a fait plus de cent morts en 1992.
Ce n'est pas autant qu'aux Etats-Unis, vous avez raison, mais c'est tout de
même beaucoup. Mais j'attire votre attention, parce qu'il y a un
mécanisme, que je connais mal honnêtement, qui est celui non pas
de la résistance d'une bactérie, mais du plasmodium et à
propos de la résistance au paludisme.
C'est à travers le monde un sujet majeur d'inquiétude. Il y a
2 millions de morts du paludisme dans le monde. N'agitons pas de faux
problèmes. Agitons-les aussi, mais nous en avons devant nous massivement
des vrais.
M. Le Président
-
Toutes les questions
préparées comportaient déjà des réponses
dans le texte. Je pose tout de même une dernière question :
vous n'avez pas parlé des virus. Dans les auditions que nous avons
menées, un certain nombre de personnes se sont exprimées, pas sur
la totalité des virus, mais sur les rétrovirus, et sur un certain
nombre d'insertions.
Certains disent qu'il faut effectivement trouver, notamment dans les pays en
voie de développement, la possibilité de lutter contre des virus
et, dans certains cas, des phénomènes de transcapsidation, des
phénomènes d'insertion de virus pourraient être dangereux.
Le principe de précaution doit bien sûr s'appliquer, mais que
pensez-vous de cette question précise ?
M. Kouchner
-
Je pense qu'elle est tout à fait
juste et pertinente, et que j'ai eu tort de ne pas en parler. Qu'aurais-je dit
face aux virus ? Bien entendu, une attention très
particulière y est portée dans notre pays et dans le monde
entier. Je ne pense pas seulement à Ebola, hépatite C,
hépatite B, etc.
De ce point de vue, je pense que l'effort doit être porté d'abord
sur la recherche, et sur la recherche clinique. C'est ce que nous faisons
absolument en permanence et, avec Claude Allègre, nous voudrions
que soient développées non pas seulement vis-à-vis du VIH
-cela a été fait de bonne façon dans notre pays- mais
également vers l'hépatite C, des expérimentations
cliniques.
Que dire d'autre que d'appliquer en permanence ce principe de
précaution ? Il est évident que, dans le siècle qui
vient, nous aurons affaire en permanence à de nouveaux virus. Nous
sommes très inquiets.
Il y a une épidémie de fièvre jaune de-ci de-là,
qui se déplace en Afrique. Il y a au Zaïre une
épidémie de variole, qui est circonscrite dans un endroit
très précis, que les épidémiologistes connaissent
bien, mais souvenez-vous que le virus de la variole a théoriquement
été éradiqué.
Vous avez vu ce qui s'est déplacé au Zaïre ces temps-ci.
Dans cette salle, j'imagine que l'on en entend d'autres à ce propos, en
d'autres séances. Si cette épidémie, par hasard, se
déplaçait, il n'est pas du tout inenvisageable que nous ayons
à refaire très vite de la vaccination antivariolique. Comment le
ferions-nous ? Nous avons posé la question au ministre de la
santé, à nos fabricants, etc.
J'ai peut-être eu tort de ne pas en parler, parce que c'était
peut-être loin, mais l'introduction du virus lui-même dans cette
préoccupation est absolument nécessaire. Et il y aura d'autres
espèces que nous ne connaissons pas, les rétrovirus en
particulier.
Nous avons également eu à nous féliciter des efforts de
recherche et de la façon dont, très vite, des médicaments
nouveaux sont trouvés. On ne va pas seulement accabler l'industrie
pharmaceutique ; lorsque l'on n'en a pas, on est bien démuni. Il
faut vraiment saluer la façon dont, en quinze ans, les
antirétroviraux et les antiprotéases ont changé la face de
la maladie SIDA et donné de l'espoir à beaucoup.
Je vous rappelle que, dans notre pays, cette année, il y a eu 57 %
de mortalité en moins chez les malades du SIDA. Nous devons là
aussi développer notre recherche.
Pardon d'être faussement lyrique, mais je pense que la meilleure
façon de répondre aux craintes légitimes de nos
concitoyens, c'est peut-être de les informer seulement, et de leur faire
partager à la fois nos espoirs et un certain nombre de résultats
des recherches internationales et des recherches françaises.
Il y a là une façon de considérer l'avenir avec autre
chose que de la crainte.
J'ai inauguré au Ministère de la santé ce que l'on appelle
les "mercredis de Ségur", et il n'y a eu pour l'instant que deux ou
trois séances. Nous avons décidé, à partir de
septembre -Monsieur le Président, vous serez d'ailleurs invité-
de mettre en oeuvre toute une série sur la peur en santé publique
et c'est le sujet ; on devrait peut-être dire "risque et peur", mais
pour que chacun des phénomènes soit analysé de
façon contradictoire.
Pour la dioxine, c'est arrivé à toute allure et,
honnêtement, même si l'on dit qu'il faut prendre cela très
au sérieux, l'administration n'a pas été rapide sur cette
affaire ; c'est le moins que l'on puisse dire. Heureusement que des
associations privées ont éveillé notre attention.
Nous devons en permanence développer la précaution, mais la
précaution n'est pas seulement de nous méfier de ce qui nous
arrive. C'est d'être préventifs, et c'est peut-être
l'intérêt de cette commission environnement et santé qui se
met en place.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Monsieur
le Ministre.