Table ronde III - Enjeux réglementaires -

Comment organiser l'expertise, comment l'articuler avec la décision publique, quel contrôle ?

M. Le Président -
Je présenterai les différents participants.

Les experts sont, depuis quelques années, au centre d'un certain nombre de controverses en France ou en Europe.

Dans notre domaine, la Commission du génie biomoléculaire a été et est encore très critiquée -son ancien Président est ici présent- dans le domaine de l'action menée en matière d'autorisation d'essais de culture des plantes transgéniques.

Il convient donc d'étudier ce niveau préparatoire à la décision publique, qui se situe en amont de l'intervention proprement politique.

Il est cependant nécessaire de ne pas oublier que nombre d'expertises se situent désormais à un niveau supranational, dans l'enceinte des organisations internationales et notamment de l'Organisation Mondiale du Commerce.

Il semble bien qu'à ce niveau, les pays européens et la France aient une politique de présence tout à fait insuffisante et, en tout cas, ne sont pas à même de faire contrepoids à certains pays comme les Etats-Unis, qui sont très bien représentés, ou à des pays qu'ils influencent très largement.

La composition même de ces Commissions d'expertise doit être discutée car ici se placent des questions importantes comme celles ayant trait à la présence en leur sein de consommateurs, de défenseurs de l'environnement, c'est-à-dire de représentants de ce que l'on appelle parfois la société civile. Ceux-ci ne sont pas en tout cas la plupart du temps des scientifiques.

On pourrait aussi songer à la présence de politiques dans cette sorte de commissions ; y ont-ils vraiment leur place, ou l'intervention de ces derniers ne doit-elle pas plutôt se faire en aval ? Voilà un certain nombre de questions qui sont posées, que l'on a discutées avec vous lors des auditions privées.

Autour de cette table, nous avons :

- Monsieur Guy Riba, directeur de recherche à l'INRA, Directeur des productions végétales,

- Monsieur João Magalhães, conseiller, secrétaire assistant de l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de l'Organisation mondiale du commerce,

- Monsieur Axel Kahn, directeur de recherche à l'INSERM, ancien Président de la Commission du génie biomoléculaire,

- Madame Corinne Lepage, ancien ministre de l'environnement,

- Monsieur Dominique Dormont, médecin, chef du service de neuro-virologie du CEA, qui a beaucoup travaillé, qui a été auditionné par nous sur le problème de l'encéphalite bovine spongiforme,

- Monsieur Marc-William Millereau, administrateur de&nb sp;France Nature Environnement.

Après cette petite introduction, je vous donne la parole.

M. Magalhães - J'avais préparé une petite introduction de cinq minutes. J'essayerai d'en prendre quelques lignes générales,  mais vous avez dit en introduction quelque chose qui m'a fait penser que je devais déjà revoir ma copie.

Vous avez dit que des décisions se prenaient au niveau supranational, notamment à l'OMC. J'aimerais qu'il soit clair qu'à l'OMC, les décisions sont prises par consensus  par les pays membres et que l'OMC n'est certainement pas l'organisation internationale qui dicte ou qui établit des normes scientifiques ou techniques.

Je pense que tout le monde est probablement au courant qu'à ce niveau, les pays membres de l'OMC se sont mis d'accord lors des négociations de l'Uruguay, sur le fait qu'en matière de santé humaine, c'est le Codex à la FAO, qui doit établir les normes internationales.

Au niveau de la santé animale, c'est l'OIE, et je me trouve d'ailleurs actuellement à Paris parce que j'assiste à la session annuelle de la BSE de l'OIE, qui se tient en ce moment.

En matière de protection des végétaux, c'est le Secrétariat de la convention internationale de protection des végétaux.

Ce que fait l'OMC est donc effectivement, dans la mesure où les pays ont négocié dans le cadre de cette négociation de l'Uruguay, un accord sur l'utilisation des mesures sanitaires et phytosanitaires. L'OMC a effectivement un regard dans ces affaires ; elle établit des  règles internationales pour le commerce, mais je répète que les règles sont négociées entre tous les membres.

Monsieur le Président, vous avez indiqué que la France et l'Europe n'étaient pas assez présentes. Il y a eu sept ans de négociations et, étant déjà dans l'agriculture à l'époque, notamment dans les matières sanitaires et phytosanitaires, je peux vous dire que la France et l'Europe étaient très présentes.

A l'heure actuelle, cet accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires couvre un certain nombre de mesures prises pour protéger la santé des humains, des animaux, pour protéger les végétaux.

Dans le cadre de cette commission, on discute des organismes génétiquement modifiés, et c'était un peu sur ce point que j'avais préparé mon introduction. Je souhaiterais qu'il soit au moins clair à la fin de la présente réunion qu'il n'y a pas à ce stade de règles parfaitement claires à l'OMC pour prendre ces affaires en main.

Nous savons tous qu'au niveau des échanges internationaux, les échanges de produits génétiquement modifiés sont très importants. Nous savons aussi qu'il y a des menaces plus ou moins directes ou indirectes de certains pays membres de l'OMC, de présenter ces problèmes à l'OMC et à son organe de règlement des différends. Cela se dit mais, pour l'instant, le problème des organismes génétiquement modifiés n'a encore jamais été discuté à ce jour. Officiellement, dans les enceintes de l'OMC, il n'y a absolument aucune discussion.

Il faut tout de même dire qu'il y a deux approches, qui ne s'excluent d'ailleurs pas nécessairement :

- L'une selon laquelle les règles de l'OMC existent ; on a cet accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ; ce sont des questions de santé, de vie. Les problèmes que nous avons sont très similaires à ceux, par exemple, de la BSE, que vous venez de mentionner.

En ce moment même, une commission à l'OIE planche sur ce sujet.

- En même temps, ces problèmes peuvent être semblables, mais ce sera à tous les pays membres de l'OMC de décider si l'on appliquera ces règles ou pas, si les règles qui sont sur la table sont suffisantes, si elles sont assez sûres, si elles garantissent les droits des pays, notamment si elles maintiennent la souveraineté des pays à prendre leurs décisions dans ce domaine.

Cela peut donc se faire uniquement de deux façons :

- La négociation ; il faut amener le sujet sur la table de négociations de l'OMC et le négocier entre les pays membres

- Une plainte qui pourrait venir d'un membre et qui, pour un cas spécifique, sera éventuellement résolue par ce que l'on appelle un groupe spécial ou un panel, qui devra donner son avis sur la question.

Un panel a récemment donné un avis sur la question de l'utilisation des hormones de croissance pour les animaux.

M. Riba - Pourquoi faut-il une réglementation ? Si l'on répond à cela, on dira que c'est parce qu'elle est attendue, exigée par la société, débattue, médiatisée, parce que les politiques en ont également besoin.

Si je pose maintenant la question : "une réglementation, pour quoi faire ?", la réponse est totalement différente. Elle comprend deux parties : d'une part pour défendre des intérêts, d'autre part pour définir des responsabilités.

1° Défendre des intérêts ; dans le premier cas, lorsque je demandais "pourquoi", c'étaient essentiellement des problèmes de consommateurs et d'environnement qui sortaient. Si je demande maintenant "pour quoi ?", il sort le problème du consommateur, celui de l'environnement, mais aussi celui de l'intérêt national de l'agriculture et de l'économie nationale, celui des agriculteurs, celui de la science et de la communauté scientifique.

C'est totalement différent. Ce que je veux simplement dire par cette première introduction, c'est qu'il faut sortir la réglementation d'une démarche réactive dans laquelle elle est actuellement, pour la positionner dans une démarche proactive, ce qui est à mon avis l'attitude de nos concurrents d'Outre-Atlantique.

2° Définir des responsabilités ; c'est parce qu'à l'heure  actuelle, on est dans un cercle un peu compliqué et vicieux de décisions ; on ne sait plus très bien qui pilote cette situation. Il est important d'éclaircir ce point.

En second lieu, il y a une crise forte de l'expertise et, en troisième lieu, il faut identifier éventuellement des coupables en cas de problème.

Je vais maintenant décliner cela rapidement : où sont les intérêts pour les consommateurs ? C'est ainsi que je pose la question, et je déclinerai en termes de réglementation.

Le consommateur veut voir respecter un peu son droit moral, qui est celui du droit de vote du porte-monnaie. Il veut savoir ce qu'il achète et il veut pouvoir choisir. Cela nous amène à l'étiquetage, mais poser la question de cette façon signifie qu'il n'y a plus qu'une seule réponse possible : il faut d'un côté ce qui est avec OGM et de l'autre, ce qui est sans OGM. Il n'y a pas d'autre alternative.

Cela a un coût, celui de la traçabilité, et cela a une contrainte technique, celle du seuil de détection.

Dans le contexte actuel, je pense qu'il faut distinguer deux grands groupes de production :

- les  filières spécifiques, fruits et légumes par exemple, qui sont déjà très segmentées, et pour lesquelles ce type d'étiquetage ne pose aucun problème particulier,

- toute l'alimentation de base, qui résulte notamment d'importations massives, où il y a un gros problème du fait qu'il y a déjà importation massive de denrées de base contenant des produits transgéniques pour partie.

Qui payera ? Quel est le seuil ? Quelle est la technique que l'on peut exiger derrière cela ? Ce sont des techniques d'ordre moléculaire, et l'on sait qu'à l'heure actuelle, le seuil sur lequel les experts s'entendent est de l'ordre d'une détection de 0,1 %. On peut donc garantir un produit sans OGM à 0,1 % près.

En second lieu, qui payera cela ? Cela aura probablement des incidences sur l'aval, sur le consommateur, et probablement dans ce cas sur les filières sans OGM.

Le deuxième point par rapport au consommateur, c'est de garantir très en amont l'innocuité, la toxicité, la non allergénicité, etc. Qui fait cela ? Je pense que la logique est de rester, au moment des demandes de dépôts de dossiers d'homologation.

Je pense qu'il doit y avoir des tutelles pour le moins françaises (CGB, Comité hygiène, etc.), où l'on peut s'interroger sur une harmonisation au niveau européen de ces approches.

A la charge de qui ces études sont-elles conduites ? A mon sens, c'est logiquement à la charge du pétitionnaire. Dans ce cas, on pourrait se mettre en parallèle avec ce qu'il se passe pour les phytosanitaires.

Posons maintenant la question : "où sont les intérêts pour les agriculteurs et l'agriculture ?"  On entre inexorablement dans un processus de "contractabilisation" ; vous savez d'autre part qu'il y a une concentration des fournisseurs agroalimentaires, que l'Europe est dépendante, par exemple, de 75 % de ces protéines végétales, et que le prix de revient du maïs américain est de 30 dollars de moins la tonne que celui du maïs européen.

Dans ce cas, je dis clairement qu'à mon avis, si l'on entre dans la logique proactive, la réglementation doit favoriser la distinction des produits européens par rapport aux produits outre-Atlantique. Elle doit nous aider.

Dans ce cas, cela signifie que l'on doit s'orienter vers une démarche de qualité, et la réglementation doit donc nous aider à mettre en exergue la qualité des productions françaises ou européennes par rapport à nos concurrents.

Dans le même temps, il faut :

- préserver la multiplicité des systèmes d'exploitation et des types d'agriculture (biologique, etc.) ;

- définir des créneaux, puisque l'on part sur la qualité et la segmentation ;

- favoriser la caractérisation objective des produits ;

- probablement privilégier la baisse des intrants, puisque c'est ce qui peut nous permettre de nous positionner le mieux.

L'exemple type est la vigne. Tout le monde dit que le vin français est le meilleur au monde, mais vous devez savoir que la vigne est la culture dans laquelle on met le plus d'intrants, et que l'Europe est l'endroit où l'on en met le plus, et de très loin. Les Américains, les Australiens, etc. en mettent très peu.

On peut donc se faire attaquer très fortement sur les intrants xénobiotiques phytosanitaires qui sont dans la vigne et le vin en Europe. Si l'on veut contrer cela, peut-être faudra-t-il développer de la transgénèse, mais vous voyez que la manière d'introduire la transgénèse est complètement différente. On fait de la transgénèse pour se positionner par rapport au reste.

Si je pose la question "Où sont les intérêts pour l'environnement ?", il s'agit de préserver les diversités biologiques. Je dis bien "les diversités biologiques" au sens structural et au sens fonctionnel.

Si  l'on pose la question ainsi, cela signifie que ce n'est plus la fréquence de l'événement qui compte, mais les conséquences sur l'environnement des événements que  l'on suppute. Et vous voyez que la manière de raisonner et de traiter le problème est complètement différente.

On se moque que les flux de gènes soient peu nombreux ; même s'ils ont lieu, ce qui compte c'est de savoir quelle est la conséquence de cela pour l'environnement, et c'est une autre manière de poser le problème.

Si on le pose ainsi, on se rend compte que, dans les commissions classiques du type CGB, certains types de questions peuvent être traités. Par exemple, pour le maïs Bt , l'entomofaune, les risques sur l'entomofaune, les flux de gènes dans le sang et dans le tube digestif. C'est du ressort de la CGB.

En revanche, les suivis du risque d'apparition de pyrale résistante, c'est vraiment un problème de biovigilance, car c'est directement lié à la mise sur la culture, à l'espace et au temps.

Où sont les intérêts pour la science ? La génomique est une occasion extraordinaire d'accès à la connaissance. En second lieu, c'est une possibilité incroyable et toute nouvelle d'exploitation et d'amélioration des ressources génétiques.

Dans ce cadre, la réglementation doit préserver cela. Il y a deux aspects :

- la réglementation doit essayer d'empêcher la captation des ressources génétiques par les grands groupes ;

- il faut de façon urgente changer le droit des brevets, notamment sur la protection du vivant et des séquences. Un exemple est très simple : à l'heure actuelle, lorsque les séquences des génomes sont lâchées dans les ordinateurs, lorsque des chercheurs français le font, c'est immédiatement du domaine public, et lorsque les chercheurs américains font la même chose, ils disposent d'un an pour protéger les séquences. Le contexte est complètement différent.

M. Le Président - Merci. Je demande maintenant à Monsieur Dormont, qui a eu l'expérience d'un autre problème, celui de la "vache folle", de nous indiquer la façon dont il a vécu cela.

En alertant les pouvoirs publics, avez-vous eu l'impression d'avoir été suivi à un certain moment ou pas suivi ? Qu'est-ce que le problème qui nous préoccupe aujourd'hui peut-il avoir de commun ? Dans l'esprit des individus, c'est dangereux parce qu'il y a le sang contaminé, la "vache folle", un certain nombre de catastrophes, et l'on prend actuellement des risques.

M. Dormont - Je pense tout d'abord qu'il y a en fait deux parties du domaine scientifique où l'expertise agit en synergie ou en association avec l'administration et le politique, que l'on peut schématiser en problèmes déjà posés par les scientifiques, reconnus par la communauté scientifique, et des problèmes non-posés par la communauté scientifique et qui n'ont pas été reconnus comme tels.

A cela il faut ajouter une deuxième dichotomie : la masse critique scientifique dont le pays dispose sur un sujet donné. En matière d'organismes génétiquement modifiés, la France est très riche en généticiens, en biologistes moléculaires. Il y a une densité d'expertises tout à fait importante, alors que, sur le point particulier de l'encéphalopathie bovine spongiforme, la masse scientifique était quasiment nulle.

Le nombre de laboratoires et même d'individus travaillant sur le sujet se comptait sur les doigts d'une main lorsque le problème a commencé.

Cela peut parfois poser problème au décideur, puisqu'il n'a pas le choix de ses experts ; il est obligé de prendre ce qu'il y a dans le deuxième cas.

L'autre  problème qui m'est apparu au cours de ces quelques mois de crise de la "vache folle", a été d'abord une nécessité très importante d'explication des doutes. C'est probablement le premier message qu'il est important de faire passer, que ce soit à la communauté scientifique  qui se trouve face à un problème nouveau, avec des concepts nouveaux microbiologiques, ou à ceux qui sont chargés de l'administration ou de la décision politique.

Il s'agit d'expliquer les limites précises de la connaissance actuelle, et d'introduire le doute en face de chaque nouvelle information, rumeur ou avancée scientifique, et de bien délimiter le terrain des connaissances de façon à ce que l'on n'extrapole pas, à partir de modèles non-pertinents, des décisions de santé publique.

L'autre point qui me paraît important est la collégialité de l'expertise. C'est une banalité mais je pense qu'il faut le redire : l'expertise doit être collégiale, et ceux qui sont chargés de la décision doivent admettre qu'un avis d'experts puisse ne pas être unanime.

La science a le droit de ne pas être unanime. Les concepts sont différents en fonction de la culture de chacun, selon qu'il est plus proche des disciplines de santé publique ou plus proche de la biologie fondamentale, par exemple.

Il faut donc admettre cette diversité des avis, tout en reconnaissant que, probablement, lorsque les avis sont unanimes, ils sont d'autant plus forts. Mais il faut admettre l'absence d'unanimité et la collégialité.

Surtout, pour la bonne gestion des rapports avec ceux qui sont chargés de la décision et de son application, il faut éviter la confusion des rôles. L'expert scientifique n'est pas un conseiller. Un conseiller, c'est quelqu'un qui est chargé de proposer à un ministre, à un directeur général d'administration, une solution globale à un problème posé.

Le conseiller scientifique apporte l'état actuel des connaissances sur un sujet précis. Il fait donc partie de l'un des facteurs qui amèneront à l'étude et à la décision. Il ne faut donc certainement pas mélanger les deux notions, et ce souci de ne pas les mélanger doit être accompagné d'une grande transparence, et surtout d'un autre souci qui est le mélange des communications.

Il ne faut pas que la communication du scientifique semble être un relais de la communication du politique, et inversement. En effet, il y a alors une certaine conscience de la population d'un parapluie qui s'ouvre sans autre démarche intellectuelle.

Enfin, je voudrais réagir aux propos du premier orateur sur la crise des experts. Vous avez eu raison, Monsieur, de souligner combien les commissions internationales manquaient souvent de Français. Cela peut s'expliquer par plusieurs faits.

En premier lieu, ces commissions sont très "chronophages". Elles prennent beaucoup de temps. Or, plus on passe de temps en commission, moins on en passe dans les laboratoires. Il y a donc un équilibre à trouver entre le maintien de l'expertise scientifique et l'exercice administratif de l'expertise.

En deuxième lieu, il n'existe pas en France de système d'aide aux experts. En d'autres termes, un beau matin, en reconnaissance de la valeur intrinsèque du groupe de recherche que vous animez, on vous envoie dans une commission qui va vous prendre beaucoup de temps et d'énergie, mais rien n'est fait en aval pour vous faciliter le travail dans votre laboratoire, pour vous aider, vous apporter un secours administratif, un simple secours de secrétariat.

Il n'y a donc pas cette politique qu'ont les anglo-saxons, de mettre les moyens logistiques lorsqu'ils désignent un expert à une commission donnée.

M. Millereau - I l ne paraît pas inutile de préciser la position de France Nature Environnement d'un point de vue plus général. Nous entrerons dans le vif du sujet sur les enjeux réglementaires, mais je voudrais rappeler d'une phrase la position associative à ce niveau.

Eu égard aux risques qui semblent déjà prévisibles, eu égard surtout aux insuffisances dans la connaissance, notamment par rapport aux flux de gènes, et aux incertitudes scientifiques qui demeurent et qui en sont la résultante, FNE, avec d'autres organisations groupées au sein d'une plate-forme associative, qui réunissait des agriculteurs, des consommateurs, des environnementalistes, s'est prononcée en faveur d'un moratoire général sur la dissémination des OGM, entendant par "dissémination" mise sur le marché et mise en culture.

Ce moratoire incluait le maïs transgénique et poussait au développement de la recherche, acceptant en cela  le principe de dissémination à titre d'exception à des seules fins expérimentales et de manière très contrôlée.

Telle est la position synthétique de FNE.

Sur les enjeux réglementaires, je réagis à la question posée par Monsieur Riba : pourquoi une réglementation ? Nos interprétations sont sensiblement différentes en termes de priorités.

A cette question, Monsieur Riba opposait deux conceptions qui étaient de se diriger vers une démarche proactive en opposition à ce qu'il jugeait être une démarche réactive. Nous pensons que l'indispensable est d'avoir une démarche préventive.

C'est en cela que le fait de définir des modalités d'expertise, d'évaluation qui soient satisfaisantes passe par la définition de la notion précise de risque biotechnologique, qui doit s'appuyer sur la stricte application d'un principe : le principe de précaution.

Le fait de démarrer d'une définition de la notion de risque biotechnologique signifie lui reconnaître sa spécificité et, pour nous, elle est issue d'une double nature, qui tient d'une part un caractère potentiellement irréversible, et qui a d'autre part cette difficulté d'évaluation.

Concernant le caractère potentiellement irréversible, de fait, une fois libéré, un transgène dans le milieu ouvert connaîtra un devenir difficile à cerner, qui dépendra des caprices de la sélection naturelle mais qui, en tout état de cause, ne sera pas maîtrisé.

S'il est sélectionné, le retour en arrière semble improbable.

Dans le cadre de la difficulté d'évaluation, le contexte est une controverse scientifique quant à l'évaluation précise des risques biotechnologiques. De ce fait, il y a une prise en considération au niveau international, une traduction juridique du risque biotechnologique. C'est inclus dans la convention de Lugano de juin 1993 sur la responsabilité civile due aux dommages de certaines activités considérées comme potentiellement dangereuses pour l'environnement.

La production, la libération, le stockage, toutes les opération mettant en oeuvre des OGM avaient été considérées comme constitutives d'un risque significatif pour l'homme, l'environnement et les biens. Tel est le contexte, la traduction juridique.

Pour revenir à l'évaluation, on peut déjà dire que l'on manque d'approche globale. C'est important parce que, si l'on veut obtenir une appréciation qui soit responsable par rapport à des applications biotechnologiques qui nous sont proposées, il faudrait pouvoir tenir compte de certains risques qui doivent être contenus dans la notion de risque biotechnologique, qui sont par exemple les risques socio-économiques aussi. Il y a un manque d'approche globale à ce niveau.

En second lieu, dans le rapport de l'approche de la nécessité ou de l'utilité d'un modèle biotechnologique proposé, on peut regretter bien souvent qu'on ne lui oppose pas des méthodes alternatives existantes. Par exemple pour la pyrale, on n'a pas assez entendu parler d'un mode alternatif qui était la voie biologique et l'utilisation du trichogramme, par exemple.

Les compare-t-on réellement au moment de l'appréciation ? Au moment de déduire une utilité ou une nécessité, peut-on se poser cette question ?

D'autre part, si l'on focalise vraiment sur les risques écologiques et sanitaires, il nous paraît indispensable d'obtenir une évaluation qui soit transdisciplinaire. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'on se donne le temps d'observer, parce que les interactions entre des OGM libérés et le milieu ouvert ne sont pas de nature à nous apparaître immédiatement.

Si l'on se réfère à un domaine voisin -et il devrait y avoir une référence plus systématique- celui de l'introduction volontaire ou involontaire des espèces non-endémiques dans un milieu, on peut prendre l'exemple des crépidules introduites de manière fortuite lors du débarquement en juin 1944, qui étaient collées au fond des barges américaines et qui posent maintenant un problème pour la production d'huîtres.

Lorsque j'ai parlé de transdisciplinarité, cela appelle quelques propositions, peut-être au niveau de la CGB, qui est chargée de cette évaluation et de cette expertise. Il est urgent que l'on puisse avoir une approche collégiale, comme le disait mon voisin, et j'ajouterai transdisciplinaire.

C'est aux côtés des biochimistes et des biologistes moléculaires que nous devons avoir des écologues, des juristes de l'environnement, des malherbologues. L'approche doit être vraiment transdisciplinaire.

Au niveau de la méthode, elle doit effectivement être contradictoire. Mon voisin disait que la science avait le droit de ne pas être unanime. Dans le cadre d'une appréciation transdisciplinaire, avec des intérêts si divergents, on ne voit pas comment elle serait unanime dans la majorité des cas. Les avis doivent être motivés et les opinions divergentes doivent être mentionnées dans les motivations.

D'un  point de vue plus général, la réglementation doit aussi satisfaire à l'information et à la concertation avec la population. Or, dans la réglementation en vigueur jusqu'alors, ce n'est pas garanti de manière satisfaisante. La loi de 1992, qui intégrait les deux directives, présente des lacunes incroyables au niveau de l'information directe. L'information indirecte est à peu près satisfaite, mais l'information directe l'est beaucoup moins.

Le rapporteur Daniel Chevallier avait préconisé une enquête auprès du public. Au bout du compte, on a une méthode un peu anglo-saxonne de dépôt en mairie, qui n'est pas satisfaisante à cet égard. Il n'y a pas de communication de l'expertise ; même si les citoyens n'ont pas les compétences pour apprécier une expertise, ils pourraient au moins, sur cette base, commander une contre-expertise.

Cela appelle aussi à d'autres propositions, celle de l'utilité de la création d'un Comité permanent contradictoire de contre-expertise. La réflexion avait été entamée au niveau du CNPN ; nous nous y sommes attachés.

Au niveau de la biovigilance, il est important de définir des protocoles qui soient satisfaisants, et de s'interroger sur le fonctionnement du Comité de biovigilance. Selon certaines sources, le comité ne serait pas pour l'instant en mesure de fournir un inventaire des sites de dissémination en France, par exemple.

Il y a de nombreuses questions, et nous y reviendrons.

M. Le Président - Madame Lepage, vous qui avez été Ministre de l'environnement, qui avez pris des décisions concernant l'importation et la mise en culture des plantes transgéniques, qui avez vu le système fonctionner, que pensez-vous de l'organisation de l'expertise ?

Comment l'articuler avec la décision publique ? Quel contrôle ? Faut-il le changer ? Pensiez-vous le faire ?

Mme Lepage - Monsieur le Président, à l'écoute de tout ce qui vient d'être dit, j'ai deux observations préliminaires.

Tout d'abord, je vous remercie d'avoir organisé ces auditions publiques et cette Conférence de Citoyens, même si elle arrive un peu tard. Je pense que c'est un progrès considérable pour notre fonctionnement à tous, et je souhaitais le dire.

En second lieu et sur la même ligne, certains demandaient s'il fallait de la réglementation ; j'allais dire "peut-on encore en faire ?" Autrement dit, je me donne parfois l'impression que nous sommes des coureurs à pied derrière un TGV, que nous avons non pas une guerre mais dix guerres de retard, et que les choses sont déjà tellement avancées qu'en définitive, que pouvons-nous encore faire ?

Par exemple, on peut se réjouir de la décision qui a été prise au niveau de l'Union européenne sur les conditions d'étiquetage des OGM, mais cette décision aurait dû être prise bien avant que l'on accepte l'importation des OGM. En effet, en attendant, nous avons tous allègrement consommé depuis des mois des OGM sans le savoir et sans pouvoir décider de les consommer ou pas.

Tout cela arrive tard. Je pense que ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas agir, et le sujet de l'expertise m'apparaît central, tant au niveau de la prise de décision publique qu'au niveau de l'information complète du public.

Ce que vous disiez il y a un instant, Monsieur, sur l'impossibilité pour les citoyens de pouvoir disposer d'une expertise et d'une contre-expertise est très important. La question de l'information du public est tout de même très importante.

J'ai écouté Monsieur le représentant de l'OMC avec grand intérêt, mais je ne puis pas cacher ma très grande inquiétude lorsque j'apprends dans la presse qu'actuellement, des efforts considérables sont faits auprès du Codex Alimentarius , l'organisme chargé d'élaborer les règles en matière alimentaire, pour interdire l'étiquetage au niveau de l'OMC pour les OGM. C'est donc tout de même un problème très important.

Je m'inquiète en constatant que quatorze états américains ont voté une loi pour interdire la diffusion d'informations erronées ou préjudiciables en matière d'alimentation. Sachant que nous courons bien souvent derrière des réglementations qui ont été prises aux Etats-Unis, un certain nombre d'années avant d'intervenir nous-mêmes, je suis inquiète.

Je pense que le combat sur l'information du public est absolument central.

En second lieu, concernant la prise de décision publique, je partage tout à fait les propos du professeur Dormont. Je dois dire ici combien le travail qu'a fait sa commission nous a été d'une très grande utilité et d'un très grand secours dans la gestion a posteriori de la question de l'ESB, car ce qui est important en réalité, c'est d'intervenir en amont.

A la suite des propos de Monsieur Riba, je dirai qu'à l'extrême, si l'on a bien travaillé, on ne devrait pas se poser la question de la responsabilité. Le problème de la responsabilité ne se pose que parce que, depuis des années, nous avons eu une manière de faire telle que toute une série de questions ne s'est pas posée, que nous sommes arrivés à une succession de catastrophes et qu'ensuite la question des responsabilités s'est posée.

Maintenant, nous apprenons à nous poser la question de la responsabilité. Le problème, c'est de savoir comment faire en sorte que la procédure et l'expertise soient organisées de telle manière qu'en amont, les bonnes décisions puissent être prises.

La première condition, me semble-t-il, est incontestablement celle de l'expertise dont le professeur Dormont disait qu'elle devait être collégiale. En utilisant un terme à la mode, on pourrait dire qu'elle devrait être plurielle.

Je veux dire que le temps de l'expertise unique m'apparaît devoir être totalement révolu. L'expertise lénifiante, sur le thème "circulez, il n'y a rien à voir" m'apparaît nous avoir conduits à assez de catastrophes pour devoir désormais être complètement évitée.

Si l'on reprend les rapports qui ont pu être faits depuis un certain nombre d'années, que ce soit sur l'amiante, sur les dioxines (sujet actuellement sur la place publique) ou sur d'autres thèmes, on peut y lire que tout va très bien et qu'il n'y a rien à faire. Je peux vous sortir, Monsieur le Président, une série de rapports dont j'ai eu connaissance, dans lesquels on trouve ce genre de conclusion.

Je pense donc que ce qui est très important, c'est de mélanger des expériences diverses au sein de l'organisme expertal. Non seulement, comme vous le disiez tout à l'heure Monsieur le professeur Dormont, il faut admettre pour les décideurs qu'il ne peut pas y avoir d'avis  unique, mais l'avis unique est à mon sens dangereux.

En effet, si des experts venus d'horizons très différents disent tous exactement la même chose, je me pose des questions. Au contraire, je pense qu'il y a une légitimité aux débats et à des présentations diverses d'un sujet.

Précisément, le propre du décideur -et c'est la grande différence avec l'expert ou le conseiller-, c'est de devoir trancher entre des avis qui peuvent être différents. Là où la difficulté est très grande, c'est lorsque l'avis est unique et que la procédure est organisée de telle sorte que l'on n'a pas le choix de recourir à des avis différents.

D'où la nécessité d'une expertise multiple, de l'organisation de contre-expertises, sous une forme ou sous une autre, et de la légitimation des avis divergents. Comment ? Je crois tout simplement -peut-être est-ce une déformation professionnelle- au travers de ce que l'on appelle un débat contradictoire, c'est-à-dire que l'on considère comme tout à fait normal qu'il y ait des opinions divergentes et qu'elles puissent s'exprimer selon la règle du contradictoire.

Il en sort alors quelque chose avec des opinions minoritaires, qui doivent être prises en compte, et c'est ensuite au décideur de trancher, au regard de ces opinions minoritaires.

Donc collégialité, débats contradictoires dans l'organisation de l'expertise, et expression systématique de toutes les opinions divergentes et minoritaires de manière à ce que le décideur ne puisse pas dire qu'il ne savait pas. Il doit avoir eu toutes les cartes en main et, à partir de ces cartes, il doit avoir eu la responsabilité qui est la sienne. C'est justement la dignité du politique, la noblesse de la chose, de décider et de prendre la responsabilité de cette décision.

Cela nous conduit bien sûr aux conditions de la composition des commissions qui, à mon sens, devrait être revue, de manière à assurer la diversité de l'expression scientifique et, d'autre part, à assurer la diversité, non pas forcément des intérêts car je crois que là aussi il y aurait un débat à mener, mais des intérêts généraux qui sont à prendre en compte.

Pour conclure, je dirai que, dans la procédure, le moment du choix et celui du recours à l'expertise sont absolument essentiels.

Je terminerai par où j'ai commencé : plus toutes ces expertises peuvent se faire en amont, plus elles peuvent se faire par un procédé itératif permettant aux décideurs d'interroger l'expert sur des éléments dont il n'est pas sûr, quitte à ce que l'expert ou la commission d'expertise lui réponde (je ne sais pas parce que c'est aussi l'une des réponses possibles, et il faut l'admettre en tant que décideur), plus la gestion de l'incertitude peut être organisée au niveau de la décision publique et moins nous commettrons d'erreurs.

Cela est vrai, me semble-t-il au niveau national comme au niveau international.

M. Le Président - Je demande maintenant à Axel Kahn, qui a été président de la Commission de génie biomoléculaire, qui a donc étudié toutes les autorisations d'expérimentation, de nous rappeler comment cela fonctionne et de nous donner son avis.

M. Kahn - J'aborderai le problème général pour lequel vous m'avez demandé de venir ici, c'est-à-dire témoigner sur la place et la nature de l'expertise.

Mon travail a été simplifié par la présentation et les observations de Dominique Dormont, car je partage totalement ce qu'il a dit des conditions dans lesquelles travaillaient les experts, des insuffisances et des confusions qu'il fallait éviter.

Ma première observation est la suivante : dans le processus décisionnel qui va aboutir in fine, dans le domaine qui nous intéresse, à autoriser une consommation, une culture, une mise sur le marché d'un produit, d'un végétal par exemple, plusieurs éléments vont intervenir ; l'expertise scientifique n'est que l'un de ces éléments, et le politique a une responsabilité qui transcende la vie scientifique ; c'est évident. Pour autant, naturellement, il ne peut se passer de l'avis scientifique pour parvenir à sa décision.

Les exemples où les avis scientifiques sont soit très discutés, soit concluent plutôt à une absence de risques d'une procédure qui reste néanmoins interdite en domaine agroalimentaire, sont bien connus et j'en comprends tout à fait les raisons.

En Europe, par exemple, contrairement aux Etats-Unis, il y a le problème de l'utilisation des hormones de croissance, des hormones de lactation chez les animaux.  Il y a également l'utilisation, pour la confection des fromages, de la chymosine recombinante à la place...

Une intervenante - Elle est autorisée.

M. Kahn - En France, c'est sûrement depuis peu !

L'intervenante - Depuis une quinzaine de jours.

M. Kahn - Je vous remercie de l'information. Je ne le savais pas. Pendant très longtemps, la chymosine a été interdite pour des raisons qui étaient particulières, et voici des exemples d'une décision qui est plurielle et qui fera intervenir l'expertise scientifique comme l'un des éléments, et également le sentiment des citoyens, l'intérêt économique, la sensibilité par rapport à ce problème.

Revenons maintenant à l'expertise proprement-dite. Il ne faut pas se tromper sur ce qu'elle est. Je parle de l'expertise a priori et non pas de l'expertise a posteriori dont a très bien parlé Dominique Dormont.

L'expertise a priori n'est pas naturellement la prévoyance de l'avenir. Il faut demander cela à une voyante ; le scientifique ne prévoit pas l'avenir. Tout ce que peut faire le scientifique dans son travail d'expert, c'est comparer deux manières de faire, deux procédures, et dire si, en fonction des expériences qui peuvent être utilisées, des considérations théoriques, avec une approche plurielle, il y a autant de risques, moins de risques, plus de risques représentés par une procédure nouvelle par rapport à une procédure ancienne.

Ce que l'on appelle "risques" doit être rappelé également. Ce que fait l'expert, c'est tenter de parvenir à une notion qui est la combinaison de deux éléments : le niveau de danger d'un phénomène craint, et la fréquence supposée avec laquelle ce phénomène peut survenir.

L'expert va donc tout d'abord évaluer indépendamment ces deux éléments, puis il va donner un avis en disant qu'il lui semble que cette nouvelle procédure est plus risquée qu'une ancienne, plutôt moins risquée qu'une ancienne, ou qu'il ne voit pas de différences entre les deux procédures quant aux risques dont j'ai donné la définition.

Je donne maintenant quelques exemples quant au travail de la CGB, pour marquer ce qu'il en est.

A la Commission du génie biomoléculaire, on va parler de trois dossiers reconnus, qui permettent réellement de discuter.

Pour la résistance à la pyrale avec ce maïs transgénique, la Commission du génie biomoléculaire a considéré que, pour l'environnement et les consommateurs, cette variété ne comportait pas de risques qu'elle puisse déceler, et en tout cas certainement pas de risques a priori supérieurs à ceux des méthodes actuellement admises de lutte contre les parasites du maïs. Notre avis a donc été favorable.

Concernant l'utilisation de gènes de résistance dans une plante comme la betterave, nous avons dit depuis très longtemps qu'il était tout à fait évident qu'à terme, on retrouverait ce gène de résistance à un herbicide dans la betterave, dans toutes les espèces qui échangent librement des gènes avec cette betterave sucrière cultivée, et que l'on trouverait donc des betteraves mauvaises herbes ayant cette résistance à l'herbicide.

Il ne faut pas demander s'il y aura un flux de gènes.  Naturellement, il y en aura. Une plante transgénique est une plante aux cinquante mille gènes à laquelle on a ajouté un gène connu, qui se comportera dès lors exactement comme les cinquante mille autres gènes de la plante.

Dès l'instant où ces deux formes de betteraves échangent des gènes, elles échangeront aussi bien le transgène.

La question est donc de réunir les personnes concernées pour discuter des conséquences réelles de ce phénomène. Si l'on craint les conséquences, il ne faut pas aller de l'avant. Si l'on considère qu'elles sont bénignes et que l'avantage que l'on en attend leur est de loin supérieur, il faut aller de l'avant.

De la même manière, nous avons dit qu'en réalité, pour le problème du colza, tout dépendait probablement de la nature de la résistance à l'herbicide. Nous avons rappelé un phénomène évident : la dissémination d'un gène de résistance à l'herbicide est au départ un risque pour l'industriel qui commercialise l'herbicide, puisque cela pourrait engendrer le fait que cet herbicide ne soit plus utilisé.

Pour autant, si l'herbicide en question est un produit très intéressant pour la pratique agricole, pour les agriculteurs, il ne serait pas bon d'en perdre l'utilisation possible et, là encore, il faut faire discuter les personnes responsables pour décider de ce que l'on désire, dans le cadre d'une confrontation plurielle entre les agriculteurs, les sélectionneurs, etc.

La commission a donc proposé ses expertises, en fonction desquelles le pouvoir politique a à prendre les décisions.

Lorsque des incertitudes étaient relevées, nous avons proposé qu'il y ait deux possibilités -cela se fait actuellement au niveau européen et je m'en réjouis car c'est une proposition française de longue date- :

- décider de stopper un projet qui nous semblait trop incertain

- ou, parce que l'on considérait que le risque était faible en réalité et faible par rapport à l'avantage que l'on en attendait,

. aller de l'avant mais avec la possibilité de revenir sur cette décision,

. dans des conditions où les pétitionnaires précisaient très bien le contrôle qu'ils assuraient à leurs essais, se donner le moyen, par une commission de suivi, de relever des paramètres dont, en fonction des résultats, il pourrait être décidé ultérieurement de cesser cette autorisation, de revenir sur cette décision, ou de la proroger.

Voilà ce qui m'a semblé le travail nécessaire des experts. La Commission de génie biomoléculaire, dont la composition n'a naturellement pas du tout été décidée par ses membres ni par son Président, était et voulait être une commission qui, contrairement à la Commission du génie génétique, par exemple, permette aux représentants des différentes sensibilités de la société de se faire entendre. Peut-être faut-il que ces sensibilités se fassent entendre plus encore.

Par exemple, depuis très longtemps, notamment depuis la loi de 1992, quelqu'un était censé représenter les associations de défense de l'environnement -je crois que c'était un membre de France Nature Environnement- et il y avait un membre des associations de consommateurs. Je ne connais d'ailleurs pas les critères selon lesquels ils étaient choisis.

De la même manière, il y avait des représentants des syndicats de travailleurs, des syndicats patronaux, un représentant du monde politique, etc.

Le dernier point important -je réinsiste avec Dominique Dormont sur ce point- c'est qu'il est malsain et pervers de demander à l'expert d'être un conseiller politique. En fonction de sa conviction plurielle, d'une commission, l'expert dit ce qu'il croit devoir dire à la question qui lui est posée, ce qui peut certes être toujours perfectible. Il ne dit pas si le projet lui est sympathique. C'est un élément qui dépasse l'expertise.

La Commission du génie biomoléculaire n'avait pas à apprécier directement les risques "socio-économiques". Cela dit, contrairement aux autres commissions européennes, elle a toujours attiré l'attention des politiques sur l'éventuel risque "socio-économique", par exemple quant au problème pour l'agriculteur d'une perte d'un produit très important.

Mais il m'est arrivé plusieurs fois, par exemple pour la betterave et le colza, de me trouver dans une situation où, après un avis, le pouvoir politique renvoyait cette question à la Commission : "Votre discours est opaque ; faut-il accepter ? Faut-il refuser ?"  La réponse de la Commission du génie biomoléculaire était qu'elle ne pouvait pas répondre à cela, que c'était vraiment une décision politique dont les éléments décisionnels étaient de natures diverses, que c'était ce que l'on pouvait lui en dire en tant qu'expert.

Il y a parfois une certaine difficulté, me semble-t-il, à vraiment considérer que l'expertise scientifique est l'un des éléments dont on ne peut pas se passer, mais pas le seul élément d'une prise décisionnelle. En aucun cas l'expert scientifique ne peut voir son rôle mélangé avec celui d'un conseiller en matière de prise de décision.

M. Le Président - Merci beaucoup. Beaucoup de problèmes ont été évoqués, et je voudrais poser une première question : Vous avez parlé de l'expert conseiller par rapport aux politiques ; vous avez dit que l'expertise devait être contradictoire, collégiale, que les citoyens devaient être associés, peut-être pas sous la même forme.

On n'a pas parlé de la coordination entre l'expertise nationale et l'expertise européenne. C'est un point important.

C'est assez compliqué. Pour la dissémination volontaire à des fins expérimentales, il y a d'abord une saisine de la CGB, qui donne son avis, qui le transmet au Ministère de l'agriculture, qui informe la Commission européenne, qui informe les Etats-membres.

C'est pour la partie autorisation annuelle d'expérimentation, question que vous posiez tout à l'heure, Monsieur Millereau, en demandant la carte. On les a dans les rapports de la CGB, mais il faudrait effectivement que ce soit public. En tout cas, c'est l'une des propositions que je ferai.

Pour l'autorisation de la mise sur le marché, c'est beaucoup moins clair, parce que c'est encore plus compliqué. Certains ont dit ce matin dans la table ronde qu'il fallait un moratoire, ce que vous avez dit, du groupe "Agir pour l'environnement" ; d'autres ont dit qu'il fallait aller plus vite. Lorsque l'on est entre ces deux demandes, il faut trancher sur l'autorisation de mise sur le marché.

Sont saisis le Comité technique permanent de la sélection, le Comité supérieur de l'hygiène publique française, la saisine de la CGB, ainsi que la Commission des toxiques en cas de problèmes. Cela va au Ministère de l'agriculture, cela part à la Commission européenne s'il y a un avis favorable ; il y a une consultation des Etats-membres pour savoir s'il y a des objections ou pas et, selon la réponse, cela revient au Ministère de l'agriculture et il y a une inscription éventuelle au catalogue des semences.

C'est un labyrinthe ; c'est un système assez long. Certains disent que cela ne va pas assez vite et d'autres  que cela va trop vite. Ce système vous apparaît-il bon ? Je ne prends pas parti. Je pose les questions.

Aux Etats-Unis, on nous a dit que c'était beaucoup trop long dans nos pays, que l'on n'y comprenait rien,  que nous faisions des barrières non tarifaires et que nous nous arrangions bien entre pays européens pour faire traîner les choses parce que cela nous permet, pendant ce temps, de ne pas avoir de compétition internationale.

Cela fonctionne-t-il bien ? Cette coordination compliquée vous paraît-elle bonne ? Peut-on éventuellement la modifier ?

En second lieu, je voudrais m'adresser aux représentants ici présents de l'OMC. Vous avez dit que le problème n'avait jamais été discuté à l'OMC, et c'est bien ce que nous reprochons. On peut très bien être dans des procès internationaux qui viennent des appréciations différentes des gouvernements sur les organismes génétiquement modifiés, et on n'aura jamais discuté de cette question avant.

J'en ai parlé à la banque mondiale, j'en ai parlé avec Mickey Kantor, avec un certain nombre d'interlocuteurs américains ; il ne me paraît pas correct qu'un pays parte dans tous les sujets et qu'au bout du compte, on n'ait pas le système d'arbitrage. Si l'on veut un arbitrage de l'OMC, il faut que l'on en ait discuté avant.

Si des problèmes peuvent se poser et si on ne les aborde pas sous l'angle de la santé ni de l'environnement, on les aborde sous l'angle de problème économique de protection non tarifaire. A mon avis, nous devons donc avoir un lieu pour discuter de ces questions avant. Cette proposition me paraît devoir être faite ; sinon, nous irons immanquablement vers des conflits.

Enfin, lorsque vous dites que les Français sont présents dans les organisations internationales ; après avoir discuté de l'Agence de sécurité sanitaire dans un débat récent au Parlement, je dis que nous n'avons peut-être pas de dossiers assez préparés, comme les Américains.

Lorsqu'ils veulent relever le taux des aflatoxines sur un certain nombre de céréales, parce qu'ils ont un peu plus d'aflatoxines que nous et qu'ils disent qu'il n'y a pas de danger, qu'il faudra prouver le danger, s'ils veulent relever le taux et s'ils viennent avec des dossiers en béton, c'est bien parce qu'à un certain moment, cela servira l'économie.

Dans tous les pays, non seulement les Américains, les Canadiens, les Européens, chacun essaie de jouer avec un certain nombre de règles pour favoriser l'économie de son pays, et, à mon sens, l'OMC ne peut pas se contenter d'être le gendarme après coup, s'il n'a pas prévu les évolutions.

C'est l'un des points importants sur lesquels je souhaiterais que vous nous donniez votre avis. Je m'arrête là, puis je poserai d'autres questions par la suite, notamment à Madame Lepage et à Axel Kahn.

M. Magalhães - Deux ou trois notions me semblent un peu confuses. Tout à l'heure, Madame Lepage a parlé par exemple de règles d'étiquetage du odex qui ne seraient pas appliquées par l'OMC. Sauf si j'ai mal compris, j'avoue que je ne comprends pas ce que cela signifie.

Mme Lepage - Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que j'avais relevé dans la presse internationale (précisément dans un article du Gardian) que des démarches seraient actuellement faites auprès du Codex Alimentarius pour obtenir que soit interdit comme contraire à la liberté des échanges, dans le cadre des règles de l'OMC, l'étiquetage des produits génétiquement modifiés.

Si le Codex Alimentarius entérinait une règle de cette nature, nous nous trouverions en contradiction flagrante au niveau communautaire, avec une règle de cette nature sans l'avoir discutée. On en revient à la question posée par le Président Le Déaut.

M. Magalhães - Merci. Je voulais comprendre, parce qu'il y a plusieurs choses, et je suis assez affolé d'écouter la description du labyrinthe dont vous avez parlé, Monsieur le Président, qui me fait penser à autre chose : où est finalement la transparence ?

On parle beaucoup des intérêts des consommateurs ; on dit beaucoup que les choses devraient être connues, que les consommateurs doivent être informés. Il faut d'abord qu'ils comprennent. C'est l'un des problèmes que nous avons à l'OMC, et il faut que ce soit très clair. Lorsque l'on dit OMC, on dit que c'est un organisme entièrement commandé et piloté par les membres qui en font partie. Ce n'est pas une commission de Bruxelles. Nous n'avons aucun pouvoir de décision ni de proposition.

L'OMC a un secrétariat qui sert administrativement et techniquement les pays membres de l'OMC, donc qui fournit aussi une assistance, notamment en matière de conflits.

Je pense qu'il serait peut-être utile que j'explique brièvement comment on résout un conflit commercial  à l'OMC. Je vais vous parler des hormones, parce que c'est le seul cas concernant directement les problèmes éventuels de santé, qui a été jugé à ce jour par l'OMC.

Je peux vous dire comment nous avons procédé dans ce cas puisque j'étais secrétaire de ce panel et de ce groupe spécial.

Un groupe spécial de l'OMC est formé par trois juristes, qui sont choisis en totale consultation avec les parties au litige. Si l'on n'arrive pas à trouver ces trois juristes par consensus des parties, c'est le directeur général qui est mandaté par les membres de nommer des experts.

Ce n'était pas le cas pour le problème des hormones, où trois juristes ont été choisis par consensus des parties. Il y avait aussi un cas avec le Canada, qui a également déposé une plainte contre la Communauté en matière d'hormones. Cela a été le cas traditionnel du groupe spécial, qui analyse une question de commerce et non pas une question scientifique.

Du fait que, dans le cas des hormones, il y a un problème scientifique, il a été fait appel à des scientifiques. La procédure n'existant pas à l'OMC (vous avez tout à fait raison de souligner qu'il n'y a souvent pas de règle ; dans ce cas, ce n'était pas vraiment un règle, mais une procédure qui manquait), on va vers le consensus et on met les différentes parties au litige les unes devant les autres.

Le panel le fait et, avec l'aide du Codex Alimentarius (parce que c'est l'organisation reconnue par l'OMC, donc par les membres de l'OMC, comme l'organisation internationale de repère pour les questions d'innocuité des aliments), nous avons établi une liste qui dépassait les trente experts internationaux en matière de résidus d'hormones dans la viande.

Cette liste a été soumise aux parties. Elle a été discutée pendant presque trois mois et finalement, bien que le panel en voulait trois au départ, on a trouvé cinq experts de toutes les nationalités, y compris des nationalités des parties au litige. Il y avait des Français, des Allemands, des Américains et des Canadiens. Le seul qui n'était pas d'une nationalité des parties au litige, ce qui est une sorte de principe sacré en tout cas pour les aspects légaux de ce système, était un Australien.

A partir de l'avis de ces scientifiques, le panel, le groupe spécial s'est fait sa propre idée de l'endroit où étaient les problèmes, quelles étaient les implications et quels étaient les risques, et il a été appelé à prendre une décision.

Tout cela est parfaitement prévu dans les textes de l'OMC, et nous avons un système qui a été accepté et négocié  et qui, à la fin, doit être approuvé par consensus.

Par la suite, ce panel vient avec un rapport. Il émet son jugement et le jugement est soumis à tous les membres de l'OMC pour approbation, à moins qu'il y ait recours en appel. L'OMC permettant maintenant un tel recours, il y a un organe d'appel dont la composition est négociée et acquise par consensus des 132 pays actuellement membres de l'OMC.

Cet organe d'appel doit examiner la question d'un point de vue légal, comme c'est souvent le cas en instance d'appel, et l'on tombe dans une situation où, dans le cas des hormones, l'organe d'appel de l'OMC a confirmé certaines des décisions du panel et en a infirmé d'autres. Toujours est-il que la Communauté européenne doit procéder, selon son interprétation de ce qui a été dit par ses experts juridiques, à une analyse des risques en matière d'utilisation ou pas d'hormones dans les viandes.

Il y a d'ailleurs encore débat, puisqu'en ce moment même, on attend sous peu une décision d'un arbitre pour déterminer le temps que la Communauté doit avoir pour procéder à l'analyse des risques et, si nécessaire, pour ajuster ses réglementations par rapport au problème des hormones.

Telle est la façon dont cela se passe dans le cadre d'un problème de mesures sanitaires ou phytosanitaires, pour lequel il y a une règle claire, évidemment assujettie à l'interprétation, comme toutes les règles.

Lorsque l'on parle maintenant des OGM, on est effectivement devant une situation où l'on n'est pas sûr. Certains experts disent que l'accord sanitaire ou phytosanitaire de l'OMC couvre parfaitement ces problèmes, qui sont finalement très similaires ; d'autres disent que ce n'est pas évident.

Il y a aussi au sein de l'OMC -c'est aussi un labyrinthe- un accord sur les obstacles techniques au commerce, qui couvre éventuellement ces thèmes si, par hasard, il était estimé que la définition de l'OGM ne donne pas une définition assez précise de ce qu'est une mesure sanitaire ou phytosanitaire dans le cadre de l'accord sanitaire.

En revanche, lorsque l'on parle de cet accord sur les obstacles techniques au commerce, on a des problèmes et des paradoxes.

Tout d'abord -c'est une question pour les experts-, à la fin d'un processus de production ou de manipulation  génétique, parle-t-on toujours du même produit ou est-ce un produit différent ? Si l'on parle exactement du même produit, il n'y a pas de problème ; des règles pré-établies peuvent être utilisées pour juger une affaire.

Si l'on parle d'un produit différent -je vous donne une appréciation personnelle parce qu'aucun des membres de l'OMC ne m'a mandaté ici pour interpréter leurs droits et leurs obligations à l'abri des règles de l'OMC- on semble être dans un certain flou.

En troisième lieu, si l'on parle d'un produit similaire, c'est un long débat à l'OMC, déjà depuis le temps du GATT. Qu'est-ce qu'un produit similaire ? Quelles sont les règles qui le gouvernent ? Je pense que, là encore, il y a un certain vague, malgré une jurisprudence construite au fil des années dans le domaine de ce qu'est un produit similaire.

Pour terminer sur le point, par exemple, des aflatoxines, que vous avez mentionnées, que se passe-t-il quotidiennement à l'OMC ? Pour les problèmes sanitaires et phytosanitaires, nous avons un comité qui se réunit trois ou quatre fois par an (il se réunit dans dix jours à Genève), et qui discute des problèmes soulevés par les membres.

L'un des problèmes soulevés à la dernière réunion du mois de mars de ce Comité, est une décision prise par la Commission de Bruxelles pour doubler pratiquement le taux d'aflatoxines qu'elle jugeait acceptable dans les cacahuètes.

Cela a soulevé un tollé chez les membres de l'OMC, notamment un large nombre de pays en voie de développement, les Etats-Unis et d'autres pays. Il en est résulté que la Communauté a décidé d'ajourner cette décision. Le jour même où la Communauté discutait cette décision à Genève, un comité du Codex qui travaille depuis dix ans sur la question venait de prendre une décision (qui a été prise lors de cette réunion et qui est toujours en attente du feu vert de la Commission).

Comment peut-on pallier ces choses ? Tous les pays sont membres ; tous les pays peuvent apporter une question à l'OMC, et il faut le faire. Lorsque je rencontre des pays en voie de développement, vous imaginez le problème que j'ai à leur dire de venir à l'OMC soulever le problème... La France peut faire cela au travers, pour l'OMC, des représentants de la Commission.

M. Le Président - Je souhaiterais une rapide intervention de Madame Lepage et de Monsieur Axel Kahn sur la partie coordination Europe, en essayant d'être très synthétiques.

Mme Lepage - Je voudrais réagir sur cette affaire de la viande aux hormones, qui est absolument essentielle  pour la suite. C'est une question fondamentale, parce que la manière dont le panel d'appel terminera cette affaire nous engage très largement sur la manière dont, par la suite, lorsque nous aurons des règlementations sanitaires dans le cadre de l'Union européenne, y compris éventuellement sur les organismes génétiquement  modifiés, les règles de l'OMC auront à jouer.

Si nous avons complètement perdu, nous Européens, la première manche devant le premier panel, qui avait considéré comme incompatible avec les règles de l'OMC l'interdiction de la commercialisation de la viande aux hormones, qui existe pourtant depuis les années 80 en Europe, le panel d'appel a assoupli la position mais, pour ma part, je ne considère pas que ce soit satisfaisant.

En effet, il y a en réalité une inversion de la charge de la preuve, et c'est fondamental. Autrement dit, qui a à faire la preuve du danger ou de l'innocuité ? Et, dans la décision rendue par le panel d'appel, c'est à nous, Européens, de faire la preuve qu'il y a un danger à l'utilisation de l'hormone de croissance, alors que, logiquement, ce devrait être au demandeur de faire la preuve qu'il n'y a pas de danger.

Bien entendu, cette charge de la preuve est très difficile et, de plus -d'où l'importance de la décision attendue-, le délai donné à l'Europe pour faire cette preuve est notoirement insuffisant. Le temps qui nous a été imparti ne permet pas de faire les expertises nécessaires.

Cette question est donc tout à fait centrale, et elle préjuge très lourdement de l'avenir.

En second lieu, concernant la question de la coordination au niveau européen, je dirai, Monsieur le président, que compte tenu de l'expérience de deux ans que j'ai pu avoir, le système arrive encore moins au niveau de la décision politique qu'il n'arrive en France.

Autrement dit, les commissions d'experts bruxelloises rendent des avis qui vont au niveau de la Commission, mais cela s'arrête là. En tant que ministre de l'environnement, je n'ai jamais eu les avis des commissions bruxelloises.

J'ajoute enfin -c'est peut-être un élément important au niveau de la réglementation interne- que le système actuel, qui consiste à demander son avis au Ministère de l'environnement en lui donnant un délai de quatorze jours à compter de l'avis émis par la CGB, à l'issue duquel, s'il ne s'est pas exprimé, il a donné un avis favorable, n'est à mon sens pas valable.

En effet, lorsque l'on connaît un peu l'organisation interne de l'administration, on sait très bien qu'avec un délai de quatorze jours pour que cela arrive éventuellement jusqu'au Ministre et pour qu'il en soit saisi, il n'y a aucune chance que cela puisse fonctionner.

M. Le Président - Internet existe, Madame Lepage.

Mme Lepage - Oui, mais je ne suis pas sûre que, sur Internet, on trouve tous les éléments nécessaires à la prise de décision.

M. Kahn - A propos de la partie coordination Europe en matière de décision Europe-France, il y a trois aspects, que je voudrais commenter rapidement.

En premier lieu, pour revenir sur l'expertise et la différence entre les comportements et la préparation, l'aide au travail des experts dans les différents pays, au sein même de la Commission européenne, ce que l'on a dit de la "deshérence" de l'expertise française par rapport à celle des collègues est tout à fait vrai.

Dans les discussions européennes, on voit nos collègues, notamment anglais ou des Pays-Bas, arriver avec des dossiers très fouillés, pour la préparation desquels ils ont été puissamment aidés par la mise à disposition d'une importante documentation, qui représentent vraiment le point de vue du pays concerné lorsqu'il s'agit de cette représentation.

Or, autant que je le sache -peut-être les choses s'améliorent-elles à l'heure actuelle-, ce type d'effort de coordination est rarement fait au niveau français, ce qui ne donne pas à l'appréciation de notre pays le poids auquel elle pourrait probablement prétendre du fait de la qualité de sa réflexion.

En second lieu, la mécanique européenne de prise de décision est très compliquée ; vous l'avez dit. A l'extrême, elle pourrait fonctionner avec cet élément très caractéristique de la mécanique communautaire -Madame Lepage l'a rappelé- : la mécanique communautaire de la Commission européenne -j'imagine que des règles ont été prises dans ce sens- est tout à fait parallèle à l'expression démocratique des différents pays. En fait on s'est efforcé de faire en sorte qu'elle n'en soit pas dépendante.

La possibilité pour le Parlement européen et pour les représentants politiques des différents pays d'intervenir est à chaque moment limitée par des règles qui fondent réellement cette mécanique particulière. C'est un débat qui dépasse mon intervention.

Mais il y a une logique qui vaut ce qu'elle vaut ; il y a plusieurs systèmes ; c'est très compliqué, et cela pourrait fonctionner. En réalité, ce qui ne fonctionne pas dans les faits, c'est que les rouages mêmes de la Commission européenne ne sont très souvent pas utilisés. Il est très facile pour quiconque, pour un directeur ça et là, de bloquer le système.

Alors même que les décisions n'allaient pas dans ce sens, on a vu plusieurs fois, dans un sens ou dans l'autre, la totalité du système parfaitement bloquée parce qu'il y a plusieurs étapes. Plus il y a d'étapes, plus il est facile de bloquer le bon déroulement d'un processus à l'une de ces étapes.

Quelle que soit la décision que prend l'Europe, elle doit définir une règle du jeu, puis se mettre en état de la faire absolument appliquer. C'est tout à fait essentiel.

M. Magalhães - En jurisprudence, un seul cas ne fait pas jurisprudence. N'importe quel autre groupe spécial pourra donc renverser cette décision. Il est vrai que cela pose tout de même un jalon.

En second lieu, pour l'inversion de la charge de la preuve pour le cas des hormones, je voulais tout simplement souligner que l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, prévoit que lorsqu'un pays applique une norme internationale et lorsque cette norme internationale existe, il est présumé être en accord avec toutes les disciplines de l'accord.

Or, dans le cas des hormones, il existe effectivement des normes internationales, qui ont été à l'époque négociées aussi par la Commission et par la Communauté européenne. La Communauté a donc des normes qui sont beaucoup plus exigeantes avec une interdiction de viande produite aux hormones. Elle a donc pour charge de prouver que, scientifiquement, ces hormones sont dangereuses, peuvent présenter des risques.

Pour cela, elle aurait dû faire une analyse de risques. Je n'ai pas à commenter les décisions du panel ou de l'organe d'appel, mais elle doit effectivement procéder à une analyse des risques, puis on verra la suite des choses.

M. Etienne Vernet - Je souhaite faire deux commentaires et poser une question.

Les fondements de la législation européenne en matière d'évaluations et de contrôles de l'OCDE, dans le livre bleu de 1986 et jusqu'en 1992, stipulaient clairement que les évaluations et les contrôles en matière d'OGM ne devaient pas mettre en place des règles trop contraignantes au commerce.

On oppose dès le départ la liberté de circulation des produits OGM à une sécurité alimentaire, et cela peut nous poser un problème par rapport à l'évaluation future de ces OGM. Cherchera-t-on vraiment à faire toutes les voies de recherche qui déboucheront effectivement sur des hypothèses de travail, qui devront à leur tour être étudiées par les scientifiques nationaux ? On peut se poser cette question dès le départ.

Je souhaite faire une deuxième remarque par rapport à cet étiquetage, et abonder dans le sens des différents orateurs sur cette question : en 1992, alors que ce n'est pas du tout son rôle, la CGB avait rendu un avis sur l'étiquetage des OGM, selon lequel cet étiquetage n'était pas souhaitable parce que les consommateurs pouvaient croire que ces aliments étaient plus dangereux que des aliments naturels.

Peut-on se positionner sur le conseiller scientifique ou l'expert scientifique ? Je laisse au Président de la CGB de juger de son avis. N'est-on pas un peu sorti du mandat de la CGB ?

Dernièrement, la réunion bilatérale entre l'Allemagne et la France demandait clairement la suppression de prescriptions bureaucratiques inutiles dans le domaine du génie génétique, qui avaient en définitive pour objectif de libérer certains organismes appartenant à des niveaux de sécurité, de toute évaluation et de contrôles.

N'est-on pas justement en train d'aller un peu trop vite encore une fois ? Au moment même où, en Europe, on discute sur l'innocuité ou non de ces organismes, tant dans les enceintes démocratiques que dans les enceintes scientifiques, des ministres de la recherche se réunissent et décident de travailler pour libérer des organismes qui devraient normalement être évalués et que l'on n'évalue plus. N'y a-t-il pas un danger ?

Ma question aux politiques est la suivante : n'y a-t-il pas un danger de voir cette évaluation scientifique, que tout le monde appelle de ses voeux, être un peu mise en deçà de la décision politique ?

Je m'adresse maintenant directement à Monsieur Axel Kahn : par rapport à la procédure nationale, dans le cas d'une fiche d'information, lorsqu'il y a un numéro d'enregistrement à la CGB, la date du numéro d'enregistrement fait-elle valeur de loi par rapport à la décision, par exemple, d'autoriser l'expérimentation d'une plante transgénique ?

M. Le Président - Merci Monsieur Vernet, mais c'est mon rôle de poser des questions, en tant que rapporteur. Je souhaite que l'expertise d'un rapporteur soit plus secrète et confidentielle et soit ouverte. J'ouvre donc les questions.

Cela étant dit, Axel Kahn a demandé la parole, et je voudrais ensuite poser une ou deux questions supplémentaires. On n'a pas parlé de biovigilance, et cela me paraît très important.

M. Kahn - A propos de l'étiquetage, la Commission du génie biomoléculaire, sur des sujets différents, a donné deux types d'avis.

Le premier avis a été le suivant : s'il s'agit d'évaluer un risque particulier, nous pensons que les plantes transgéniques par rapport aux autres variétés ne comportent pas en elles-mêmes un risque particulier, parce que l'on a utilisé cette méthode -c'est toujours ma conviction tout à fait intime-, et qu'il n'y a pas à faire cet étiquetage de risques.

Sinon, -et nous l'avons également souligné dans cette réponse-, il faut indiquer très largement pour des plantes, que l'on a utilisé lors de leur culture tels pesticides, tels engrais, avec telle fréquence, à telles doses,  que l'on a utilisé l'irradiation, l'ionisation, etc.

Le fait de sortir une méthode particulière par rapport à toutes ces pratiques agricoles n'a pas de justification s'il s'agit d'identifier un risque.

Quelques années après, nous avons dit sur un autre point que l'étiquetage ne concernait pas simplement le risque, qu'il concernait également la réponse positive à une demande démocratique. Lorsque, par exemple, on indique quelle est la provenance d'un kilo de cerises (Afrique du Sud, Chili ou Italie), on ne veut pas dire qu'elles sont dangereuses lorsqu'elles en viennent.

Et, dès l'instant où il y a une demande démocratique d'une information, parce que les citoyens considèrent qu'il leur importe de savoir si l'on a utilisé cette technique, qui correspond à une valeur symbolique particulière, il n'y a strictement aucune raison de ne pas donner cette information.

Voilà très exactement ce qu'a été notre attitude et, aujourd'hui, si l'on me demandait de répondre à cette question, je reprendrais tout à fait cette attitude ; j'en suis complètement solidaire.

Le travail des experts en matière d'OGM est toujours incertain, avec les éléments d'incertitude sur lesquels j'ai insisté tout à l'heure, qui débouchent sur la nécessité parfois d'accompagner une décision de mesure de suivi.

Mais le travail est facilité par la nature même de ce qui se fait, et par la disparité internationale. En d'autres termes, si l'on me demande actuellement de rajouter à la pomme de terre un gène de résistance à la teigne, ma difficulté pour prédire le comportement sera bien moindre que celle à laquelle j'aurais été confronté il y a quelques siècles, si l'on m'avait demandé, du temps de Monsieur Parmentier, quel était le danger écologique d'introduire la pomme de terre en Europe, alors que je ne savais absolument pas comment elle se comporterait dans ce nouvel écosystème.

J'aurais eu du mal à dire si l'on pouvait ou pas introduire cette variété exotique, comme cela a été fait sans aucun ménagement, avec beaucoup d'imprudence, pendant des siècles.

Après tout, peut-être est-il bon d'attendre. En second lieu, actuellement, plusieurs centaines de millions de  personnes dans le monde mangent quotidiennement des OGM. En 1998, aux Etats-Unis d'Amérique, les surfaces cultivées en OGM représentent 34 millions d'hectares, plus 2 millions d'hectares environ au Canada, un peu plus de 2 millions d'hectares en Australie. On doit donc se trouver dans le monde entier avec 40 à 45 millions d'hectares cultivés en OGM, donc des populations entières qui les consomment.

Cela permet d'avoir un élément d'expertise quant au comportement écologique et à la santé de ces populations, qui s'ajoutent à notre réflexion.

M. Joël Chenais (Responsable de la Commission environnement des Verts) - Concernant les problèmes d'expertise, quelqu'un a évoqué le manque de données, d'informations, le fait que les dossiers des experts français étaient souvent faibles.

Récemment, on a créé au Parlement deux agences de sécurité sanitaire ; la création d'une troisième agence de sécurité sanitaire portant sur les problèmes santé environnement ne serait-elle pas pertinente pour justement coordonner, développer tous les outils qui permettraient d'accumuler toutes les informations nécessaires pour permettre aux politiques d'avoir des jugements un peu plus étayés ?

D'autre part, concernant la CGB et la place des associations, actuellement il y a un représentant unique des organisations d'agriculteurs et un représentant unique des associations de consommateurs. Or, chacun sait que les associations de consommateurs ne sont pas forcément toutes exactement sur la même ligne, tout comme les organisations d'agriculteurs.

Ne serait-il pas utile d'élargir ? A quel niveau ? Est-ce au niveau de la CGB telle qu'elle existe, ou éventuellement au niveau d'un chapeau plus large qui couvrirait la CGB, la Commission des toxiques et éventuellement un autre comité, pour prendre en compte les problèmes qu'il peut y avoir entre différents groupes ?

M. Le Président - Vous posez une bonne question. Je demande à tous ceux qui ont une réponse à ce sujet de nous la faire parvenir, parce que je pense qu'au niveau du rapport, j'aurai à trancher sur cette question. C'est une vraie question de participation des citoyens dans la décision publique, et vous posez là un vrai problème : comment organiser le système ?

Je souhaite poser une question complémentaire à celle-là, la question de la biovigilance, et je demande à tous ceux qui ont des avis en la matière de nous les transmettre.

Il y a eu une autorisation de mise en culture le 27 novembre 1997, à un certain nombre de conditions qui étaient :

- l'évolution de l'efficacité des variétés considérées contre les populations-cible de ravageurs du maïs,

- l'apparition éventuelle de tout effet non-intentionnel sur les populations de ravageurs ou d'auxiliaires hébergés par le maïs -cela répond d'ailleurs à la question de Monsieur Pelt, ce matin-,

- les effets éventuels de l'entomofaune,

- les effets éventuels sur l'évolution des populations bactériennes du sol,

- les effets éventuels sur l'évolution des populations bactériennes de la flore digestive des animaux consommant du maïs.

L'harmonisation de cette Commission de biovigilance est-elle bonne avec la CGB ? Certains en font partie autour de cette table, et ils peuvent répondre.

Le système de décision que je vous ai décrit tout à l'heure (décisions au niveau de la France, décisions européennes) est-il bien harmonisé avec la Commission de biovigilance ? Les deux ne vont-ils pas se recouper ?

S'il y a déjà eu une autorisation de mise en culture expérimentale, puis une autorisation de mise sur le marché, la Commission de biovigilance doit-elle traiter des mêmes sujets ? Y a-t-il une bonne harmonisation à ce niveau ?

Enfin, je pose une question personnelle à Madame Lepage, parce qu'on me l'a posée très souvent, et les membres du Comité de pilotage l'ont entendue. Beaucoup de personnes nous ont dit qu'elles n'avaient pas compris la décision que vous aviez prise, et vous pouvez peut-être nous l'expliquer publiquement.

En février 1997, pourquoi autoriser finalement les importations de maïs et de soja, et pourquoi avoir refusé la mise en culture en février 1997 ? Cette question nous a été posée très souvent.

Mme Lepage - Je peux répondre sur ce point, en deux temps.

La question de l'importation du maïs a été réglée, comme le texte le prévoit, au niveau du Ministère de l'agriculture. Je ne peux pas dire qu'il y ait eu un vrai débat global gouvernemental sur la question de l'importation, d'autant plus que cette décision d'importation venait après celle qui avait été prise au niveau communautaire en décembre 1996, qui avait admis le principe de l'importation du maïs transgénique.

J'ajoute qu'il y avait une pression gigantesque puisque, lorsque le Conseil des Ministres de l'environnement a siégé, à Noël 1996, les ports européens étaient pleins de bateaux attendant pour décharger du maïs que, d'autre part, nous étions en pleine discussion de Singapour de l'OMC, sur le thème environnement/commerce, et que cette question a dû être réglée avec beaucoup d'autres à cette époque.

Cette décision s'inscrivait dans ce qui avait été décidé au niveau communautaire.

Cela étant, la question de la mise sur le marché et celle de la mise en culture ne m'apparaissent pas pouvoir être totalement assimilées. En effet, la question de la mise en culture soulève des problèmes de nature écologique, de nature environnementale, qui ne se pose pas au niveau français, au stade de l'importation de maïs produit ailleurs.

Nous n'avons pas, nous Français, la capacité de nous interroger sur les conditions dans lesquelles aux Etats-Unis, on surveille ou pas, et s'il y aura ou pas des conséquences suite à la mise en culture de maïs transgénique.

En revanche, cela nous intéresse directement sur le sol français et, par voie de conséquence, la question de la mise en culture posait des problèmes différents, notamment ceux des effets au niveau des transmissions bactériennes, qui commencent maintenant à être largement soulevés et discutés, des effets particuliers liés à ce maïs, qui utilisait, même de manière passive, un marqueur de résistance à l'ampicilline. Tout cela posait un problème.

De manière plus générale, la question me paraît différente pour la raison suivante : si, demain matin, l'Europe décide que l'on ne commercialise plus le maïs transgénique en Europe, que l'on arrête tout, ceux qui l'auront absorbé l'auront absorbé et nous verrons dans cinq, dix ou quinze ans si cela a eu des conséquences ou pas.

En effet, je pense qu'il faut tout de même être assez prudent en la matière. Lorsqu'actuellement, on voit des maladies ou des récurrences chez certains types de populations, je pense que le minimum est d'avoir une certaine modestie et une certaine prudence.

En revanche, si demain matin, on décide que l'on arrête la mise en culture du maïs transgénique, on l'arrêtera mais, si des mutations ont été induites, s'il y a eu des transferts bactériens, on ne les arrêtera pas, parce qu'ils sont déjà passés. Il y a donc une question d'irréversibilité qui se pose au niveau de la mise en culture, qui, à mon sens, ne se pose pas dans les mêmes termes au niveau de la commercialisation.

Je veux donc bien, Monsieur le Président, que l'on dise qu'il y a une contradiction entre les deux ; à l'extrême, je dirai de manière très ouverte que, si j'avais eu à prendre la décision des deux, je n'aurais pas autorisé la commercialisation mais, cela étant, les deux questions ne m'apparaissent pas strictement identiques.

M. Riba - Je fais partie du Comité de biovigilance ; je peux témoigner qu'il est très ouvert. Il comprend des représentants de différentes associations de producteurs, de sociétés d'environnement, etc. Il fonctionne bien ; le dialogue est bon ; les protocoles ont été validés et le financement a été acté. La réunion avait lieu ce matin.

En second lieu, concernant les liens par rapport à la CGB tel que cela a été posé, je dirai que nous prenons le train en marche. Il y a certainement des progrès à faire, notamment dans une distinction entre les évaluations de risques plus génériques qui, à mon avis, sont davantage du ressort de la CGB, et les évaluations des risques de la mise en culture et de suivi des événements, comme cela a été discuté, qui sont du ressort typique du Comité de biovigilance.

Quant au lien avec l'échelle européenne, je dirai personnellement que tout ce qui peut procéder à la simplification administrative est prioritaire. Il est inutile de créer davantage de comités si c'est pour se retrouver avec plus de paperasse et une estimation des risques pas forcément améliorée.

Par rapport à Bruxelles, je considère qu'il y a aussi du générique qui peut être fait à Bruxelles -Axel Kahn l'a mentionné et je partage cet avis-, à la condition que ce soit simplifié administrativement.

M. Kahn - Monsieur le Président, je réponds brièvement aux questions que vous avez posées concernant ce que je pense être souhaitable pour l'organisation des futures commissions.

Tout d'abord, fort de mon expérience d'un peu plus de dix ans à la Commission de génie biomoléculaire, je pense qu'il faudrait certainement augmenter la compétence scientifique en s'adjoignant des malherbologues, des spécialistes des flux de gènes, des écologistes scientifiques. C'est tout à fait important.

Il faudrait peut-être trouver un moyen de disjoindre deux niveaux d'évaluation, le niveau purement technico-scientifique et le niveau de réceptivité, de sensibilité, parce qu'en réalité, ce sont effectivement deux niveaux de l'appréciation.

Enfin, il est absolument impératif que la CGB et la Commission de biovigilance soient tout à fait séparées.

M. Le Président - Merci beaucoup, Madame la Ministre et Messieurs, d'avoir participé à cette table ronde.  Des propos intéressants ont été tenus, y compris sur notre future organisation du contrôle et de l'expertise.

Audition de M. Louis Le Pensec, Ministre de l'agriculture et de la pêche

M. Le Président
-
Je remercie Monsieur le Ministre de l'agriculture et de la pêche, Monsieur Louis Le Pensec, d'être présent pour ces auditions sur les utilisations des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation.

Nous avons déjà eu trois tables rondes :

- une première sur les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

- une deuxième sur les enjeux pour la recherche

- une troisième sur les enjeux réglementaires - Comment organiser l'expertise ? Quel contrôle ?

Elles se sont bien passées, avec des propositions qui ont été à mon sens très constructives.

Monsieur le ministre, nous allons vous laisser faire une déclaration, et je vous poserai un certain nombre de questions. Nous n'avons qu'une heure et trois ministres doivent intervenir ; ceux qui souhaitent poser des questions sont priés de les inscrire sur les feuilles prévues à cet effet. Je les transmettrai, tout comme plusieurs questions posées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et le Comité de pilotage.

Auparavant, je voudrais vous lire une lettre. Ce matin, je disais que nous avions un forum interactif sur Internet, qui sera réellement interactif et qui commence à être plus rapide au niveau des moyens de recherche, sur le site : www.assemblee-nat.fr

Dans ce forum, une lettre récente indiquait :

" Réflexion naïve sur les OGM :

Comment de simples citoyens peuvent-ils avoir un avis sur cette question éminemment complexe qui, pourtant, les touche au premier chef ?

Entre d'une part les réactions épidermiques des uns à tout ce qui est nouveau et hautement suspect, et pourquoi pas l'oeuvre du diable, les Américains en l'occurrence, et de leur outil, l'argent, et les réactions économistes des autres -le train est en marche ; il ne faut pas le rater sous peine d'être déclassé-, qui ne se posent apparemment pas la question de savoir quelles sont les conséquences des OGM sur la santé et l'environnement, il est difficile de se faire une opinion.

Cependant, à mon avis, et bien que spontanément je ne sois pas très enthousiaste à l'idée de manger des OGM, il me paraît difficile de faire l'impasse sur des centaines de millions de personnes qui, par le monde, ont faim.

Les OGM peuvent-ils apporter une contribution significative à l'autonomie alimentaire des pays pauvres, ou bien resteront-ils l'apanage des pays riches, qui sont déjà largement excédentaires ?

Enfin, de toute façon, ce débat n'est-il pas stérile ? A-t-on déjà vu des percées scientifiques rester inutilisées ? L'homme n'a-t-il pas toujours manipulé son environnement ? Tout ce que l'on peut espérer, c'est d'y mettre des règles.

Pour en terminer de façon pratique, l'étiquetage des OGM me paraît indispensable, pour que les consommateurs aient le libre choix de leurs achats. Le contraire serait inacceptable.
"

C'est le dernier courrier sur notre site, que j'ai retiré et que je voulais vous lire en introduction.

Monsieur le Ministre, je vous laisse maintenant la parole.

M. Le Pensec - Mesdames et Messieurs,

Merci tout d'abord pour votre invitation. Cette participation, la première dans l'ordre, d'un membre du gouvernement, est un temps fort dans la réflexion, dans l'action.

Il est de fait que les possibilités ouvertes par les progrès du génie génétique posent à notre société des questions essentielles pour son avenir. Les scientifiques doivent naturellement prendre une part importante à ce débat, mais il ne leur revient pas de décider seuls des réponses qui doivent être apportées à des questions aussi fondamentales.

Il est donc normal que l'utilisation du génie génétique soit au coeur des réflexions du gouvernement, et que vous entendiez l'avis des membres du gouvernement principalement concernés, du fait de leur domaine de compétence, par les organismes génétiquement modifiés.

Comme le disait Monsieur Le Déaut, je suis Ministre de l'agriculture et de la pêche, responsable d'un secteur pour lequel les applications du génie génétique sont particulièrement importantes. Les principales applications dans ce domaine concernent les plantes et, dans une moindre mesure, les animaux. Mais les applications sont déjà sorties des laboratoires pour connaître d'importantes applications industrielles.

Le débat est complexe car le génie génétique est multiple.

Appliqué à la fabrication de médicaments ou même à des bactéries, il ne suscite pas de réticences de la part du grand public. Ainsi, les enzymes dans le domaine alimentaire ou des protéines comme la lysine sont fabriquées et utilisées depuis de nombreuses années sans craintes particulières.

Les réticences, parfois d'ordre éthique, apparaissent lorsque l'on touche aux êtres supérieurs comme les plantes et plus encore les animaux.

Le développement des OGM en agriculture est à la croisée des chemins, et c'est aujourd'hui que les décisions que l'on doit prendre peuvent changer la physionomie de l'agriculture de demain.

C'est pourquoi, avant de prendre des décisions qui engagent l'avenir, le gouvernement a souhaité qu'un large débat ait lieu. Il sera donc attentif au rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que prépare son Président, Monsieur Le Déaut, tout comme il sera attentif aux résultats de la Conférence citoyenne de consensus, qui aura lieu à la fin du mois de juin.

Je ferai un rapide état des lieux.

Actuellement, les dossiers examinés en France portent sur des demandes d'autorisation de dissémination à des fins de recherche et développement de plantes modifiées pour acquérir des résistances aux herbicides dans la plupart des cas. Ces plantes modifiées sont en majorité des plantes de grandes cultures comme le maïs, le colza, la betterave.

Douze plantes bénéficient d'autorisations de mise sur le marché au niveau communautaire. Six font l'objet d'une mise sur le marché effective : le maïs, le colza, le soja, la chicorée, le tabac et l'oeillet.

Seuls le maïs et le soja sont autorisés pour un usage alimentaire.

Les six autres plantes, avant d'être effectivement commercialisées, doivent faire l'objet de mesures de transposition dans chaque état membre. Il s'agit de lignées de maïs, de colza et de soja.

Les dossiers relatifs à ces six plantes comportent des usages alimentaires.

J'ai moi-même signé un arrêté d'autorisation de mise en culture d'une lignée de maïs génétiquement modifié mise au point par la firme Novartis. Je l'ai fait après que toutes les instances scientifiques associées aux procédures d'examen mais aussi de décision se soient prononcées en faveur d'une possible autorisation.

Le gouvernement a aussi voulu mettre fin à une situation qu'il jugeait incohérente, qui avait été créée par le gouvernement de Monsieur Juppé, au terme de laquelle était autorisée l'importation de ce type de maïs, donc sa consommation, mais pas sa mise en culture. Seul un risque pour l'environnement pouvait motiver une décision de cette nature. Or, l'examen du dossier n'en faisait apparaître aucun.

Neuf dossiers ont été transmis à la Commission européenne et sont en attente d'un avis des comités scientifiques communautaires. Il s'agit de lignées de maïs, de colza, de betterave, de coton, de chicorée, de pomme de terre et de tomate.

Pour la quasi-totalité de ces dossiers, la modification génétique a pour objectif d'introduire un gène d'intérêt agronomique, notamment de résistance à des insectes, à des virus ou à un herbicide. Seuls les dossiers d'oeillets (coloration florale modifiée), de tomate (maturation retardée) et de pomme de terre (amidon modifié) peuvent avoir un intérêt direct pour l'industrie de transformation ou pour le consommateur.

Je souligne qu'aucun dossier de dissémination dans l'environnement -c'est l'appellation consacrée- ne concerne des animaux transgéniques. En effet, les modifications effectuées sur des mammifères restent, en France, au niveau des laboratoires. Ces applications visent par exemple la production de protéines intéressantes en thérapeutique humaine, excrétées dans la plupart des cas dans le lait.

D'autres applications sont du domaine de la recherche fondamentale et ont pour objet de comprendre les mécanismes cellulaires, en particulier la différenciation des cellules. C'est ainsi par exemple que le veau Marguerite est né.

Les problèmes posés par les animaux transgéniques ont une dimension éthique spécifique, qu'il faut prendre en compte. Les projets de recherche qui ont été entrepris dans ce domaine devraient être rigoureusement encadrés, et leur objet précisément défini par des instances de contrôle spécifique au sein des organismes de recherche.

Si l'on peut comprendre leur intérêt pour la recherche médicale, appliquer les résultats de ce type de recherches à l'amélioration génétique des animaux ne me semble pas souhaitable. Je me suis exprimé en ce sens lors de la naissance que je viens d'évoquer. En effet, ce que l'on sait faire et ce que l'on peut faire sur un animal, un mammifère en particulier, est directement applicable à l'homme, avec toutes les dérives que l'on peut imaginer.

En tout état de cause, la dissémination des animaux transgéniques ne pourrait être opérée sans autorisation au cas par cas du gouvernement, qui conserve ainsi son pouvoir d'orientation et de contrôle.

Parlons des risques spécifiques liés au développement du génie génétique.

A l'heure de l'arrivée des premières plantes transgéniques sur le marché mondial, il m'apparaît important de rappeler que, même s'il représente une rupture qualitative importante, cet événement s'inscrit dans un long mouvement continu lié à l'essence même de l'agriculture, celui de la maîtrise du vivant et de l'amélioration des plantes cultivées.

Le principe de sélection des plantes cultivées est connu empiriquement depuis dix mille ans. Ce principe consiste à croiser des individus mâles et femelles d'une espèce donnée et à choisir parmi les descendants, les individus ayant bénéficié des caractères avantageux.

Le génie génétique permet d'identifier les gènes conférant le caractère recherché, et de les transférer à la plante qu'il s'agit d'améliorer.

La principale différence, à mon sens, entre la sélection classique et l'amélioration végétale par transgénèse est que cette dernière permet de transgresser les barrières d'espèces en permettant le choix d'un gène chez n'importe quel être vivant, qu'il s'agisse de végétaux, d'animaux ou de bactéries, pour l'introduire dans le génome d'une autre être vivant.

De ce point de vue, les dossiers actuellement soumis à examen, tant dans une perspective de recherche et développement qu'en vue de leur mise en marché, dont je viens très rapidement de faire le bilan, ne sont qu'un pâle reflet des potentialités qu'offre le génie génétique.

Il y a en effet dans l'application de cette technologie aux plantes un potentiel important d'amélioration en termes de qualité, tant sur le plan nutritionnel que technologique ou agronomique, notamment par la résistance aux insectes et aux maladies. Il y a aussi dans l'application de ces techniques un potentiel fort en termes de réduction de l'impact de l'agriculture sur l'environnement et de développement durable.

Toute nouvelle technologie, si elle présente des avantages, peut présenter aussi des risques. L'avancée des sciences mais aussi des techniques nous a montré que le risque zéro n'existait pas, et le génie génétique n'échappe pas à cette règle.

J'ai évoqué tout à l'heure les problèmes éthiques soulevés par les manipulations génétiques sur les animaux ; je n'y reviendrai pas, et je centrerai la suite de mon exposé sur les risques liés aux plantes génétiquement modifiées.

Ces risques sont, à mon avis, de trois ordres : alimentaire, environnemental et économique.

- Le risque alimentaire

L'évaluation de la salubrité, qui comporte à la fois les aspects nutritionnels mais aussi toxicologiques des aliments issus des plantes transgéniques, est fondée sur le concept "d'équivalence en substance". Il s'agit de comparer ces nouveaux aliments issus de manipulations génétiques à des aliments courants de référence, consommés traditionnellement sans effets indésirables.

La difficulté de l'exercice concerne surtout la prédiction du caractère allergène d'une protéine. Le seul moyen efficace de répondre à cette préoccupation réside dans une surveillance alimentaire renforcée, et je pense que, sur ce point, M. Kouchner, que vous auditionnerez, fera aussi allusion à cette question.

Si le caractère allergène d'une protéine introduite dans une plante est avéré, il me semble évident que l'aliment issu de cette plante ne doit pas être autorisé. A mon sens, il n'est pas acceptable que le génie génétique multiplie les sources d'allergènes potentiels.

- Le risque environnemental

La diffusion dans l'environnement de plantes transgéniques entraîne parallèlement celle des caractères transgéniques, parfois à d'autres variétés qu'aux variétés d'origine. Le croisement de différentes variétés et d'espèces sauvages apparentées peut faire apparaître des plantes se comportant comme des mauvaises herbes, qui peuvent par exemple résister à plusieurs herbicides.

La possibilité de transfert de gènes vers des bactéries est improbable mais elle est possible, et cette possibilité doit être précisément évaluée lorsque l'on considère par exemple des gènes de résistance aux antibiotiques.

De façon générale, ces gènes de résistance aux antibiotiques, qui étaient nécessaires comme gènes marqueurs lors des premières constructions génétiques, ne sont plus aujourd'hui utiles. C'est pourquoi je pense préférable que, pour la prochaine génération de plantes transgéniques, ces gènes ne figurent plus dans les constructions génétiques.

- Les risques économiques

Ils doivent être pris en considération, car il est évident que la mise en marché de plantes transgéniques va engendrer au niveau mondial des mutations profondes dans les relations entre les agriculteurs et les industries semencières.

En effet, si seules quelques plantes transgéniques sont autorisées en Europe, une soixantaine d'espèces différentes a fait l'objet de dissémination expérimentale dans le monde, et la mise en culture des plantes transgéniques, qui ne concerne en France pour 1998 que quelques milliers d'hectares, approche trente millions d'hectares dans le monde, dont les trois quarts aux Etats-Unis.

Par ailleurs, les règles actuelles de l'Organisation Mondiale du Commerce ne permettent vraisemblablement pas d'interdire les importations de plantes transgéniques reconnues sans danger pour l'homme et l'environnement. Les Européens seraient alors contraints soit à consommer des aliments issus de plantes transgéniques en provenance des Etats-Unis, soit à payer des pénalités très importantes et difficilement acceptables économiquement.

C'est l'un des enjeux des négociations à venir que de faire accepter que les règles du commerce mondial prennent aussi en compte les aspects environnementaux et sociaux dans les relations commerciales entre Etats. C'est ce que l'on baptise à Genève le "quatrième critère", déjà évoqué  sans succès lors du précédent cycle de négociations.

A titre indicatif, le gouvernement américain a d'ores et déjà fait savoir au gouvernement français qu'il estimait le préjudice actuel, dû au simple retard de décision sur le maïs, à environ 200 millions de dollars.

L'autre aspect du risque économique concerne les enjeux liés à la connaissance du génome des plantes. C'est la maîtrise du vivant au service de l'homme qui est recherchée, mais aussi, par le biais de la brevetabilité des gènes, son appropriation.

Le secteur semencier en France, avec un chiffre d'affaires de 10,5 milliards de francs, est actuellement le premier en Europe et le troisième au niveau mondial. Il faut éviter que ce secteur perde sa place de leader et se trouve à l'écart de l'innovation biotechnologique. Il faut également éviter de le placer en situation de dépendance face aux sociétés agrochimiques américaines, qui disposent d'ores et déjà de nombreux brevets sur des gènes d'intérêt agronomique majeur.

Comment, dès lors, maîtriser ces risques ?

- Par la recherche

Le risque le plus difficile à évaluer est, je pense, le risque économique. Mais, quelles que soient nos décisions à l'égard des OGM, il faut essayer de se prémunir et de ne pas se laisser déposséder de nos connaissances sur les variétés végétales. C'est pourquoi il me semble urgent de renforcer ces connaissances.

Le gouvernement a décidé d'accompagner le développement de la recherche dans ce domaine, dans le cadre de grands programmes de recherche et de coopération visant à explorer le génome végétal.

La recherche et le développement en matière de biotechnologie sont des secteurs prioritaires du gouvernement pour la mise en place de réseaux thématiques de recherche, et Monsieur Allègre, lors de son audition, vous développera, je n'en doute pas, ce point.

- Par des procédures adaptées

Concernant les risques alimentaires et environnementaux, des comités d'experts sont capables de les évaluer. En effet, une plante transgénique est le résultat d'une construction dont les éléments sont parfaitement caractérisés, et l'on dispose ainsi de bases rationnelles sur lesquelles on peut bâtir une évaluation scientifique.

Le risque alimentaire est actuellement évalué par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, sous la tutelle du Ministère de la santé. Il le sera dans l'avenir par l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, qui sera mise en place avant la fin de cette année. Cette agence fédérera et renforcera l'expertise existante en matière de sécurité alimentaire, et devra assurer que cette expertise est réalisée avec transparence.

L'évaluation du risque environnemental est assurée par la Commission du génie biomoléculaire sous la tutelle du Ministère de l'agriculture et de l'environnement. Cette commission, essentiellement composée de scientifiques, est ouverte à des représentants de la société civile, notamment d'associations de consommateurs et de protection de l'environnement.

Pour les dossiers de mise sur le marché, ces évaluations sont réalisées par l'ensemble des comités existants dans les différents Etats-membres, relayés en général par des comités scientifiques européens. Ces évaluations des comités scientifiques, qui fondent les décisions ministérielles, doivent être les plus transparentes possible, et je souhaite que leurs avis soient rendus systématiquement publics.

Les interrogations principales concernant l'utilisation des OGM concernent les effets à long terme susceptibles par exemple de menacer la biodiversité.

La réponse n'est pas simple, et ce qu'il faut absolument garantir, c'est la réversibilité d'éventuelles décisions,  par un suivi précis des autorisations accordées.

Les avis des comités scientifiques ne sont toutefois pas les seuls éléments à prendre en compte dans les décisions. Les attentes des consommateurs sont également à considérer.

Les études réalisées auprès d'échantillons de consommateurs montrent toutes une large méfiance à l'égard des organismes génétiquement modifiés. Plus des trois quarts y sont a priori défavorables.

Toute technologie nouvelle génère de l'angoisse, puisqu'elle explore un territoire inconnu du consommateur, et il n'est ni anormal ni étonnant que les consommateurs soient inquiets. Cette inquiétude est d'ailleurs renforcée par le manque de connaissance de la population à l'égard de la génétique.

Pour qu'un risque soit acceptable par le consommateur, il faut un certain nombre de conditions, qui ne sont pas réunies actuellement.

La première condition est que ce risque doit avoir pour contrepartie un bénéfice tangible. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de bénéfice perçu par le consommateur, dans la mesure où les raisons de la modification sont ignorées. C'est pourquoi il me semble essentiel que les innovations issues des biotechnologies participent à l'amélioration des qualités nutritionnelles ou gustatives des produits, et pas uniquement à une augmentation de la productivité.

Une autre condition importante est la liberté de choisir. En effet, un risque imposé, même théorique, est inacceptable. En l'absence d'étiquetage, le consommateur a le sentiment qu'on lui impose un risque en modifiant son alimentation à son insu.

Le Conseil des Ministres de l'agriculture vient, hier, de clarifier la proposition de la Commission européenne sur le sujet et d'adopter des mesures relatives à l'étiquetage des aliments issus d'OGM.

Ces mesures prévoient un étiquetage large des aliments issus d'OGM sur la base de la présence de protéines nouvelles ou d'ADN issus de la modification génétique, mais aussi l'utilisation claire et non ambiguë du caractère génétiquement modifié d'un produit. Il est à souligner que la mention "peut contenir des OGM", réfutée à la fois par les associations de consommateurs et les opérateurs économiques, n'a pas été retenue.

En conclusion, Monsieur le Président, je pense qu'il faut réellement garantir le choix aux citoyens de ne pas utiliser ou de ne pas consommer des OGM.

La réponse aux demandes d'autorisation de dissémination de plantes transgéniques doit, me semble-t-il, être apportée dans le cadre d'un examen au cas par cas du bilan coûts/avantages présenté par la lignée impliquée. Lorsque, par exemple, le seul avantage que présenterait la mise en culture d'espèces végétales transgéniques est leur résistance aux herbicides, je ne trouve pas cela suffisant. Ni le consommateur, ni le citoyen préoccupé d'environnement n'y trouveraient d'avantage susceptible de compenser les inconvénients possibles.

Ensuite, c'est le respect du principe de précaution qui guidera les décisions du gouvernement.

Enfin, comme je l'ai déjà dit, le gouvernement tiendra également le plus grand compte de tous les avis qui lui seront exprimés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ainsi que par la Conférence des citoyens.

Tels sont les propos liminaires que je souhaitais tenir pour situer un peu l'approche du ministre de l'agriculture et, plus largement, celle du gouvernement.

M. Le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, d'abord de participer à ce débat, qui est un débat de rapporteurs, mais ouvert.

Je rappelais tout à l'heure le premier travail de l'Office parlementaire sur les biotechnologies dans l'agriculture et l'agroalimentaire était un rapport de Daniel Chevallier, Député des Hautes-Alpes, ici présent et qu'à l'époque, cela n'avait malheureusement pas suscité le débat qui est réclamé maintenant.

Le Parlement avait donc déjà travaillé sur ce sujet, mais un peu plaidé dans le désert.

Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la même situation. D'abord, je vous remercie d'un certain nombre de précisions.

Vous venez de nous parler de la clarification des règles d'étiquetage, dont nous étions très demandeurs et à laquelle nous étions très attachés.

Vous nous avez également dit qu'après un renvoi la semaine dernière, puisque trois pays avaient voté contre (la Suède, le Danemark et l'Italie), le Conseil des Ministres de l'agriculture venait de prendre une décision, qui est pour nous importante, parce qu'elle permettra de clarifier la situation des consommateurs, ce que ces derniers demandaient.

Le fait d'abandonner l'idée "susceptible de contenir" est pour nous très important. Le fait d'étiqueter est majeur. J'ai eu plusieurs courriers dans ce sens. S'il n'y a pas d'étiquetage, il n'y a pas de transparence, et l'on est en ce sens en désaccord avec la position américaine, qui ne souhaite aucun étiquetage pour l'instant.

Nous parlions tout à l'heure, puisque Monsieur Magalhães, ici présent, est représentant de l'Organisation mondiale du commerce. Nous parlions du rôle de l'OMC qui, finalement, est important et majeur mais qui, paradoxalement, ne traite que des conflits et n'essaie pas de fixer les règles du jeu en amont des problèmes qui pourraient éventuellement se poser.

Nous avons abordé plusieurs problèmes tout à l'heure ; il faut que cela avance, et c'est une demande que je vous ferai et que l'Office fera dans le rapport que je présenterai. Il s'agit de demander à l'OMC qu'il y ait fixation des règles du jeu avant qu'il y ait résolution des litiges, même si les panels essaient de les résoudre au niveau de l'Organisation mondiale du commerce.

Ce point de l'étiquetage est majeur et fait se poser d'autres questions. On n'a pas tout traité lorsque l'on a traité le problème de la détection des protéines et de l'acide désoxyribonucléique (ADN), car se posera le problème des seuils.

Je pose une question importante : le rapport entre l'agriculture biologique et l'agriculture dite "traditionnelle". Il y a une affaire dans le Gers et dans le Tarn-et-Garonne. Je l'ai rappelée ce matin à ceux qui étaient présents. Je serai donc plus bref, mais nous pourrons en parler après les auditions.

Il s'agit de l'affaire de Kochko. Cet agriculteur biologique, qui fabrique du soja dans le sud de la France, a eu des semences provenant des Etats-Unis, bien sûr garanties sans OGM, puisqu'ils respectaient le cahier des charges de l'agriculture biologique.

Il a vendu son soja en Allemagne pour faire du tofu et, à la suite d'un contrôle par des techniques PCR, techniques très précises d'amplification de l'ADN qui permettent de détecter de faibles taux d'ADN, on a détecté des amorces de soja génétiquement modifié.

Qui devient le responsable dans ce cas ? Y a-t-il responsabilité si l'on n'a pas de méthodes quantitatives, ou seulement des méthodes expérimentales pour l'instant, pour savoir combien il y avait d'ADN dans son soja biologique ? Qui est responsable ?

Dans ces cas, cela tombera-t-il sous le coup de la législation européenne ? Quelles seront les règles du droit ? Si l'on met "contient" alors qu'il n'y en a pas, y aura-t-il  un problème ? Si l'on met "ne contient pas" alors  qu'il y en a un peu, y aura-t-il également problème ?

C'est une première question que je pose, non pas en demandant la résolution tout de suite, mais en insistant sur la nécessité de résoudre ces questions au niveau gouvernemental.

On a avancé dans le bon sens -en tout cas c'est ce que nous demandions et c'est ce que certains demandaient-, et l'on souhaite évoluer.

Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé de votre décision du 27 novembre. Elle venait après une décision du 2 février 1997 de Madame Lepage -qui s'est exprimée à ce sujet lorsque je lui ai posé la question-, qui autorisait l'importation de soja et de maïs sans autoriser la mise en culture.

Le 27 novembre, vous avez choisi d'autoriser également la mise en culture ; n'y a-t-il pas un paradoxe dans ces deux décisions gouvernementales, même si ce sont deux gouvernements différents ?

Il nous est fait un reproche. Même si nous auditionnons le gouvernement, le Parlement n'est pas l'organe exécutif ; ce n'est que l'organe législatif qui prépare des lois, et je remercie Monsieur le Ministre de dire qu'il tiendra compte de nos avis avec beaucoup d'attention.

Néanmoins, certain nous ont dit que nous faisions le débat après les prises de décisions.

Y a-t-il donc paradoxe quant à la prise de décision le 27 novembre 1997 qui venait après une décision contradictoire du 2 février ?

Ce débat qui vient après des décisions, est-ce la bonne méthode pour travailler ?

M. Le Pensec - Dans la mesure où j'ai été mêlé directement à ce point, je rappelle, pour l'avoir un peu évoqué tout à l'heure, que le maïs Novartis dont vous parlez avait fait l'objet -vous l'avez dit- d'une autorisation d'importation et de mise sur le marché du gouvernement précédent.

Nous nous trouvions donc dans une situation dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle était paradoxale. Les importateurs pouvaient faire entrer sur le marché du maïs Novartis ; les agriculteurs pouvaient l'utiliser pour nourrir leurs animaux mais il leur était interdit de le cultiver.

Pour justifier une telle position, il aurait fallu, comme je l'évoquais tout à l'heure, pouvoir mettre en avant un risque de dissémination des gènes de cette variété de maïs dans l'environnement, avec des conséquences dommageables qui auraient pu en découler.

La Commission du génie biomoléculaire avait clairement établi que ce risque n'existait pas, compte tenu de l'absence en Europe d'espèces susceptibles de croisements avec le maïs.

Il est évident que celui à qui revient, au sein du gouvernement, en première ligne, de prendre une telle décision se fait communiquer d'emblée cet avis de base. J'étais désireux de connaître cela.

Par ailleurs, il ne m'a pas échappé que toutes les commissions, tant nationales que communautaires, avaient eu à se prononcer sur ce dossier et avaient rendu un avis favorable.

Dans ces conditions, j'en ai fait part au Premier Ministre, qui a considéré qu'il y avait là matière à une décision du gouvernement. Le Premier Ministre a réuni les ministres concernés au premier chef par cette question et nous avons tenu une réunion de ministres sous la présidence du Premier Ministre, pour arrêter ce qui serait la décision du gouvernement.

Il était évident qu'il n'était pas possible de différer plus longtemps l'autorisation de mise en culture du maïs. Je note que cette autorisation, qui a été donnée, a été entourée de précautions à mes yeux suffisantes pour rassurer l'ensemble des citoyens, à savoir :

- autorisation de mise en culture pouvant être retirée -ce que j'appelais tout à l'heure la réversibilité- s'il apparaissait que des conséquences dommageables puissent survenir dans l'environnement ;

- mise en place d'un système de biovigilance pour contrôler l'impact de la mise en oeuvre de la culture du maïs Novartis sur l'environnement.

J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur la mise en place du système de biovigilance, mais tout cela faisait partie intégrante de la décision du gouvernement, qui a été prise après mûre réflexion,

- après que je me sois fait communiquer toutes les données des dossiers qui avaient été produits par toutes les instances légitimement concernées et consultées par cette question,

- et après avoir eu de nombreux entretiens avec des experts dans tel ou tel domaine, non seulement spécialistes scientifiques mais aussi représentants des consommateurs et d'associations de l'environnement.

Tel est, Monsieur le Président, le contexte dans lequel a été prise cette décision dans ce cas particulier, alors qu'il nous apparaissait qu'il était possible de répondre positivement à toutes les interrogations que posait ce dossier.

Mais bien évidemment, il a été fait de cela un cas à part, et, la décision comportant aussi ce point, il a été décidé le même jour du lancement d'un grand débat public.  C'est ce qui nous vaut d'être présents aujourd'hui.

Je confirme que, pour l'avenir, il sera tenu grand compte de ce qui pourra être dit non seulement dans cette instance, mais aussi par la Conférence citoyenne.

M. Le Président - Je pose une autre question, puis nous traiterons du problème de l'étiquetage, sur lequel je suis intervenu parce que vous nous avez annoncé une décision récente.

Un complément de question est posé sur les additifs, en disant que l'on dosera l'ADN et les protéines, mais pas la totalité des additifs. C'est un complément à la question posée sur l'étiquetage, et l'on répondra peut-être de manière globale tout à l'heure, puisque c'est une question importante, qui va dans le bon sens puisqu'on le souhaitait et on le demandait.

M. Le Pensec - Sur la question du seuil de détection, dont vous disiez qu'elle n'est pas complètement résolue, il est de fait que les méthodes actuelles qui permettent la détection de l'ADN ne sont pas encore complètement harmonisées au niveau communautaire.

Actuellement, si l'on met en évidence de l'ADN génétiquement modifié, le produit sera reconnu comme génétiquement modifié, donc étiquetable indépendamment de tout seuil.

M. Le Président - Une question m'a été transmise : tous les comités scientifiques n'ont vu aucun problème à la mise en culture du maïs Novartis (cf. l'avis de septembre 1997 du Comité de la prévention et de la précaution).

J'ai auditionné son Président et je réponds tout de suite : dans le Comité de la prévention et de la précaution, il n'y a pas eu de travail de recherche, mais de la compilation de ce qui existait. Il y a eu une journée de travail, notamment avec une décision dans l'avis qui est conforme à ce qu'a dit Monsieur Le Pensec tout à l'heure : sur des montages qui utilisaient des gènes de résistance aux antibiotiques, il vaudrait mieux éviter d'autres types de montage dans l'avenir.

Ce sera dans le rapport ; nous avons étudié ce point. Je n'ai pas l'intention d'écarter cette question. Je la donne publiquement pour qu'elle soit actée. Nous la discuterons davantage avec le Ministre de l'environnement, parce que je voudrais poser d'autres questions concernant spécifiquement le Ministre de l'agriculture.

Une question nous a été posée dans les auditions, et elle est très importante. Les agriculteurs, y compris de mon département, me l'ont posée :

Comment la mise en culture de plantes transgéniques, qui favoriseront la productivité -il y a eu le débat ce matin de l'augmentation de la productivité dans les pays riches- s'articulera-t-elle avec vos récentes déclarations sur le fait que l'exportation n'est plus un impératif majeur de la politique agricole ?

Si, dans nos pays, qui sont des pays développés, dans lesquels la consommation risque de ne pas augmenter, en tout cas pas de manière exponentielle, on a une augmentation de la productivité, ne faudra-t-il pas se remettre dans le cercle de la vente et de la compétition sur le marché international, ce qui signifie des baisses de prix ?

Cette question importante nous a très souvent été posée par beaucoup d'agriculteurs, et je souhaite vous la poser parce qu'elle est totalement du ressort du Ministère de l'agriculture et de la pêche.

M. Le Pensec - Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, je suis convaincu que, si le seul avantage que les plantes transgéniques présentent est celui de permettre un accroissement de la productivité, nos concitoyens ne considéreront pas cela comme un avantage suffisant pour légitimer et justifier une autorisation de maïs transgénique.

Je considère que le gouvernement ne pourra donner son autorisation à une mise en culture de plantes transgéniques que si le bilan avantages/inconvénients lié à cette autorisation fait apparaître de façon évidente que les avantages l'emportent.

Les gains de productivité sont sans doute importants pour nos agriculteurs mais, s'ils ne s'accompagnent pas d'avantages équivalents pour les consommateurs et pour la protection de l'environnement, je pense qu'ils ne suffisent pas pour légitimer la diffusion de ces espèces végétales.

Ainsi que vous le savez, et comme j'aurai l'occasion de le redire bientôt devant le Parlement en présentant la loi d'orientation agricole, je considère que l'agriculture  doit remplir une triple mission : économique, environnementale et sociale, ou plutôt sociétale.

Il ne s'agit pas de récuser le recours au génie génétique en agriculture, mais les décisions publiques ne pourront pas être justifiées par le seul souci d'amélioration de la productivité de l'agriculture.

Je suis convaincu que la politique devra prendre en compte les autres préoccupations environnementales et territoriales. C'est une conviction que j'espère faire bientôt partager au Parlement.

S'agissant de l'exportation, c'est un autre débat d'actualité. Certains ont peut-être déformé mes propos ou ont voulu me faire dire plus que je n'avais dit, mais j'ai eu l'occasion de dire que j'étais convaincu que notre pays avait les capacités exportatrices, tout en tenant à préciser dans le cadre du débat de la Politique agricole commune, qu'il n'y avait pas à considérer que l'ensemble de l'agriculture européenne devait se donner comme objectif premier d'être présente à l'exportation sur les pays tiers, et que 80 % de son marché était l'Europe, c'est-à-dire un marché à haute valeur ajoutée.

Tel est le lien entre les deux questions.

M. Le Président - Plusieurs autres questions sur l'étiquetage sont arrivées, mais je voulais poser la question de la biovigilance. Madame Lebranchu vient, et nous pourrons également poser ces problèmes d'étiquetage tout à l'heure.

Sur la biovigilance, pouvez-vous nous indiquer comment cela se met en place ? Y a-t-il des problèmes ? Finalement, les différents articles de l'arrêté de février 1998 sont-ils faciles à mettre en place ? Qui sera chargé de la biovigilance ? Comment cela se déroulera-t-il ?

Les questions que j'ai eues pendant les auditions portaient sur cette partie pratique. Sur un décret, c'est bien, cela rassure effectivement, mais comment cela se mettra-t-il en place ?

M. Louis Le Pensec - Cela se met en place très concrètement, puisque ce matin se tenait encore une réunion du Comité de biovigilance et que certaines personnes ici présentes participaient à cette réunion.

Comme je le disais tout à l'heure, des possibilités d'apparition d'événements défavorables existent pour la culture de plantes génétiquement modifiées sur de grandes surfaces. Il nous est donc apparu d'emblée qu'il fallait se donner les moyens de suivre l'apparition possible de tels événements.

Le système de biovigilance a été créé pour les variétés de maïs OGM récemment autorisées, et il est piloté par un Comité de biovigilance, je serais tenté de dire "provisoire".

Ce comité a pour objectif d'assurer une traçabilité des semences de maïs OGM, mais aussi de suivre la possibilité d'événements défavorables sur l'environnement et, d'ores et déjà, des protocoles de suivi ont été mis en place.

Concernant le suivi du gène marqueur de résistance à l'antibiotique, une expérimentation sera mise en oeuvre pour suivre la transmission éventuelle de ce gène dans les bactéries  du sol. D'autres expérimentations sont envisagées. L'une d'entre elles concerne l'étude de la transmission de ce gène au niveau du tube digestif des animaux.

Un bilan de l'utilisation des variétés de maïs OGM et des résultats des protocoles expérimentaux sera présenté au Comité de biovigilance et rendu public. Si des effets jugés indésirables sont mis en évidence, ils seront communiqués pour proposition d'action aux ministres concernés.

L'institution fonctionne donc. Je ne dirai pas qu'elle est pleinement rôdée. Elle a été mise en place. Les dispositifs administratifs sont en place et, aux dires des participants, en tout cas de ceux qui y sont pour mon compte, je pense que de riches constats sont faits et qu'une ambiance de coopération légitime pleinement la mise en place de cette "institution".

M. Le Président - Nous arrivons malheureusement à l'issue de cette heure, mais je voudrais vous poser deux questions.

L'une est directement liée à ce que vous venez de nous indiquer. Dans la conclusion de votre texte, vous dites que si, finalement, une modification de la plante ne concerne qu'un unique gène de résistance à des herbicides, il n'est pas sûr que le gain pour le consommateur soit suffisant. Cela préjuge-t-il d'un certain nombre de décisions futures dans ce domaine ?

Une deuxième question nous a été posée sur l'attitude de Costimex et des sociétés qui regroupent le maïs et les semoules de maïs fabriqués par des agriculteurs ; des agriculteurs nous avaient saisis du fait que, cette année, ils avaient reçu des lettres de Costimex et d'autres, leur indiquant qu'ils ne voulaient pas de maïs génétiquement modifié, alors qu'il y avait une autorisation de mise en culture.

De ce fait, il y a eu beaucoup moins d'hectares mis en culture que de doses disponibles.

Ils nous ont dit que ce n'était pas de leur fait mais de celui des clients. C'est assez intéressant. J'ai ici une lettre de clients asiatiques, ce qui est intéressant pour l'OMC, parce que l'on a exactement dans l'autre sens ce que les Américains nous reprochent.

Ces clients asiatiques indiquent dans le contrat de livraison de semoule de maïs : "garantie libre de toute modification de gènes". Finalement, dans ce cadre, n'y a-t-il pas également barrière non tarifaire ? Ce que l'on ne peut pas retourner, cela existe et cela satisfait d'ailleurs un certain nombre de personnes qui ne souhaitent pas que cela soit mis en culture mais, d'un autre côté, au niveau commercial, c'est exactement ce qui nous est reproché de l'autre côté de l'Atlantique.

Que vous inspire ce type de pratique ?

M. Louis Le Pensec - Comme je le disais dans mon propos, il m'apparaît important que les personnes qui souhaitent ne pas utiliser d'organismes génétiquement modifiés puissent le faire. Nous allons créer les conditions pour que puisse se développer une filière de plantes non-transgéniques. Il faut pouvoir apporter une telle assurance.

C'est la raison pour laquelle, à mes yeux, le comportement des fabricants de semoule m'apparaît non seulement compréhensible, mais totalement acceptable.

Pour la première question, je pense que, sur une question dont j'ai souligné l'ampleur, la difficulté et la complexité, il ne faut pas traiter globalement d'une expérience ou d'une seul caractère. C'est donc à un bilan global coûts/avantages, et prenant en compte toutes les interrogations que j'évoquais tout à l'heure, que le gouvernement sera conduit.

Dans ce bilan, ne seront pas neutres la portée des recommandations, suggestions, avis, critiques de vos auditions, les conclusions que vous formulerez, le rapport d'étape que vous pourrez exprimer, tout comme ceux de la Conférence de Citoyens.

M. Le Président - Merci, Monsieur le Ministre. Au sujet de votre dernière remarque, je tiens à vous dire que :

- La Conférence de Citoyens aura lieu les 21 et 22 juin ; elle présentera son rapport le 22 juin.

- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui vient de se réunir, dont je salue les membres qui viennent d'arriver, se réunira  le 30 juin. Je serai en mesure de rendre un rapport d'étape, s'il est accepté par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le 30 juin, pour vous indiquer les premières conclusions de ce rapport, qui a débuté en novembre 1997.

Ce matin, j'ai entendu quelqu'un dire qu'il s'agissait d'études "TGV". Ceux qui ont dit cela n'ont pas l'habitude de travailler dans cette enceinte. Des rapports où l'on travaille huit mois au niveau du Parlement, où il y a beaucoup d'auditions, du débat public, du travail en amont, c'est peu courant.

Sur des grands textes qui ont été votés, des décisions ont été prises et, trois, quatre ou cinq mois plus tard, les textes sont au niveau de la discussion publique. Nous avons donc pris le temps de la réflexion.

Du fait que ce sera un rapport d'étape, nous profiterons d'abord de l'été pour essayer de faire le bilan de cette campagne, de voir le bilan de la biovigilance, parce que ce sera très intéressant pendant la campagne de culture, et peut-être de réfléchir ensemble -en tout cas, je verrai plusieurs personnes de votre administration- à des dispositions réglementaires et législatives dans ce domaine, qui ont été proposées par certains, notamment dans la table ronde précédente, tout à l'heure.

Tel est, M. le Ministre, le calendrier du Parlement.

Je vous remercie d'être venu, d'avoir répondu à certaines questions, d'avoir donné des précisions. Des décisions nouvelles sur l'étiquetage ont été prise en tout début de semaine à Bruxelles, et il faut sans doute continuer.

Des questions complémentaires ont été posées sur les additifs, sur les enzymes ; beaucoup de questions se posent alors. Je donnerai mon avis personnel sur ce sujet, mais je pense qu'en supprimant la notion "susceptible de contenir", on a fait un grand pas.

M.Le Pensec - Merci, Monsieur le Président, pour cette contribution novatrice que vous apportez au processus de prise de décision politique dans notre pays, telle que cette décision doit être prise dans une république moderne.

Audition de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat

M. Le Président
-
J'ai le plaisir d'accueillir Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'état aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat chargée de la consommation.

Merci beaucoup d'être venue. Notre journée nous a d'abord permis d'entendre trois tables rondes :

- une première sur les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

- une deuxième sur les enjeux pour la recherche

- une troisième, où il y a des problèmes qui nous préoccupent, et qui sont des problèmes communs, sur les enjeux réglementaires, sur l'organisation de l'autorisation et du contrôle de l'expertise sur les organismes génétiquement modifiés.

Nous venons d'entendre Louis Le Pensec sur les problèmes de l'agriculture et, dans le mesure où vous avez, Madame la Ministre, la tutelle de la consommation, nous souhaiterions que vous puissiez nous indiquer, sur ce dossier, quelles sont les parties qui traitent de la consommation.

Nous avons d'ailleurs vu des fonctionnaires de votre Ministère dans les auditions privées. Certains seront également dans la table ronde qui traitera demain de la consommation. Une autre table ronde traitera de la santé et une dernière de l'environnement.

Nous verrons également tout à l'heure M. Kouchner et, demain, Claude Allègre et Dominique Voynet. Nous aurons eu un tableau complet de la situation des OGM dans notre pays.

Certains regrettaient que le débat n'ait pas eu lieu assez tôt. Ce n'est d'ailleurs pas la faute du Parlement. A l'Office, nous avons déjà publié un rapport sur ce thème, mais dans une période où cela intéressait peu de monde.

Aujourd'hui, c'est d'ailleurs encore la même chose, puisqu'une enquête récente montre que 46 % des Français n'ont jamais entendu parler de plantes transgéniques.

Pour ceux qui n'ont pas entendu, je vous donnerai une question posée par un sociologue américain : une tomate normale ne contient pas de gènes et une tomate génétiquement modifiée en contient ; cette affirmation est-elle vraie ? Vous verrez les résultats. Des pays connaissent d'ailleurs mieux la tomate que d'autres.

Je ne vais pas répéter ce que je disais sur la dernière livraison que nous avons eue sur notre forum surInternet,  mais il est intéressant de voir que l'on traite de questions complexes avec des connaissances faibles des consommateurs et de la population, mais c'est à nous d'organiser le débat dans le pays pour que les individus puissent choisir. Je pense que c'est ce qui est important.

Madame la Ministre, je vous laisse la parole.

Mme Lebranchu - Merci, Monsieur le Président.

En tant que ministre chargée de la consommation, je pense qu'il est logique que nous suivions de très près l'évolution de ce dossier et, à ce titre, je dois veiller à la prise en compte des intérêts des consommateurs, qui ne sont d'ailleurs pas antinomiques de ceux des professionnels.

L'ensemble de mes fonctions ministérielles (production, distribution, consommation) me permet d'ailleurs de mieux conduire, je crois, une politique de consommation concertée entre tous les partenaires.

La démarche que l'on a longtemps appelée "de la fourche à la fourchette", de l'amont vers l'aval, a montré ses limites lorsqu'elle néglige les intérêts des consommateurs. La crise européenne de l'ESB l'illustre, et la commission en a tiré les leçons en confiant le pilotage de la politique de sécurité alimentaire aux responsables de la politique de la consommation (Emma Bonino, DG XXIV Direction générale de la politique des consommateurs et protection de leur santé).

Ma position sur les OGM s'est toujours inscrite dans les priorités de ma politique au sein du gouvernement, parce que :

- Une politique de la consommation qui crée ou restaure les conditions de la confiance peut avoir deux axes :

. la sécurité des consommateurs et des garanties sur cette sécurité avec la mise en oeuvre du principe de précaution,

. la transparence de l'information et son accessibilité. C'est la raison pour laquelle ce que vous venez de dire sur le degré d'information des uns et des autres est fondamental.

- Une politique de consommation dans un espace économique élargi (Europe - OMC) nous conduit à encore davantage de vigilance ;

- La politique de consommation se fait avec et pour le consommateur-citoyen.

Il faut donc d'abord asseoir la confiance et répondre à la crise de confiance des consommateurs, après les crises sanitaires ESB, hormones, sang contaminé et d'autres.

Les OGM s'inscrivent totalement dans le prolongement de ces inquiétudes, même si -il faut le souligner- tout le monde s'accorde à reconnaître la qualité de notre alimentation en général.

Ensuite, la maîtrise des risques sanitaires impose plusieurs points :

- une solide évaluation scientifique indépendante ; ce sera le rôle de l'agence de sécurité sanitaire des aliments, qui sera prochainement mise en place. Elle sera un lieu d'expertises scientifiques, avec des experts indépendants. Ses avis seront rendus publics, et nous devrions également avoir un rapport, d'ici à la fin de l'année, sur des propositions en matière d'environnement ; deux parlementaires ont été chargés d'y travailler.

Pour les OGM qui ont été autorisés au cas par cas, cette évaluation a été faite par la Commission du génie biomoléculaire (CGB), le Comité supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) et le Comité scientifique européen, mais sans doute y a-t-il un besoin de transparence.

- Une gestion des risques par les pouvoirs publics sur la base du principe de précaution ; il est difficile de gérer le réel, parce qu'il faut toujours choisir. Je pense comme beaucoup d'autres que, le risque zéro n'existant pas, et les certitudes scientifiques absolues n'ont plus, notre tâche n'est pas simple.

Le principe de précaution y répond. Mal compris, il peut conduire à stériliser toute innovation, à prendre des mesures démagogiques. Bien compris, à l'inverse, il peut engendrer pour nous tous une sécurité des choix. C'est l'intérêt d'un dispositif de suivi (par exemple le système de biovigilance mis en place pour les OGM).

C'est donc à partir du principe de précaution qu'il faut aujourd'hui travailler sur la responsabilité des pouvoirs publics.

- Cette responsabilité est partagée, et des responsabilités sont clairement définies, celles des pouvoirs publics mais aussi celles des professionnels tout au long de la chaîne.

Pour la plupart, les professionnels ont d'ailleurs totalement compris l'intérêt de bien maîtriser leur production et de répondre aux préoccupations des consommateurs. On en veut pour preuve l'attitude des producteurs et de la distribution sur l'étiquetage des OGM, qui a abouti aux recommandations de l'ANIA dès octobre 1997.

Ce sont les semenciers qui n'ont sans doute pas compris d'emblée l'intérêt, non pas de la sécurité mais de la transparence de l'information, qui est le deuxième volet de la confiance.

Nous pouvons donc maintenant parler ensemble de la transparence de l'information.

Il est essentiel d'informer plus et surtout mieux. Les consommateurs veulent savoir ; ils ont le droit de savoir. La question de l'étiquetage des OGM et des produits dérivés d'OGM a catalysé toute cette demande d'information qui va bien au-delà du contenu même de l'étiquette.

Il  faut bien être conscient du fait qu'au travers de cette exigence d'indication sur l'étiquette du produit, s'exprime le droit de refuser ces nouvelles technologies. C'est le débat sur l'autorisation qui se trouve ainsi reposé, et toutes les interrogations qu'elle suscite.

C'est pourquoi il faut des lieux et des outils susceptibles de permettre une information solide et accessible.

Le Conseil National de la Consommation (CNC), lieu de "confrontation" entre professionnels (producteurs-distributeurs) et consommateurs, peut constituer une enceinte pertinente.

Depuis un an on y débat d'ailleurs vivement des aspects scientifiques, économiques, techniques et réglementaires. Des réunions de travail avec la participation d'experts de tous milieux se sont tenues à plusieurs reprises sur les bases scientifiques et les méthodes du génie génétique, les risques sanitaires et environnementaux, les aspects juridiques, le contexte international, l'information des consommateurs, la traçabilité et l'étiquetage des produits.

A la demande de représentants des différents collèges du CNC, j'ai accepté tout récemment d'ailleurs d'instaurer en son sein un groupe permanent sur les OGM.

Il faut également des instruments pédagogiques d'interface entre le scientifique, le technique, le politique et le citoyen ; cela pourrait être l'une des ambition pour l'INC (Institut national de la consommation) et sa revue "60 Millions de consommateurs".

Pour ce qui concerne plus spécifiquement l'étiquetage, je souhaiterais souligner la position que j'ai défendue dans le cadre des négociations européennes et qui vient d'être adoptée, à une nuance près.

C'est le choix de l'obligation générale d'étiquetage qui a finalement été retenu, qu'il y ait présence  d'ADN ou de protéines résultant d'une modification génétique. Cet étiquetage sera clair puisque ce sera la mention positive "génétiquement modifié" qui sera apposée. Ce n'a pas été sans mal que nous avons obtenu ce résultat.

Enfin, des produits pourraient ne pas être étiquetés, mais cette liste de produits non-étiquetés est vide pour l'instant, parce que toute inscription sera négociée en tenant compte des avis scientifiques, et révisée en fonction de l'évolution technologique.

En tout état de cause, ces éventuelles exceptions au principe général d'étiquetage devront rester très limitées et seront clairement expliquées. La vigilance de mes services et la mienne s'attacheront particulièrement à l'élaboration de cette liste.

J'ai toujours plaidé pour un étiquetage le plus large possible, parce que je pense que l'acceptabilité des OGM par les consommateurs, et par suite, le développement des biotechnologies dans le domaine alimentaire, ne peuvent se faire que si nous sommes prêts à mener une politique de transparence et de clarté. C'est pour moi un préalable incontournable.

En tout état de cause, je rappelle le chemin parcouru dans la négociation européenne. Lorsque les négociations européennes ont commencé sur le règlement relatif aux nouveaux aliments (autour de 1995), ni la Commission, ni la majorité des Etats-membres (dont la France),  ne souhaitaient l'étiquetage des produits dérivés.

Un premier infléchissement est intervenu avec l'adoption de l'article 8 du règlement sur les nouveaux aliments. L'inscription de l'obligation d'étiquetage en cas de non-équivalence du produit était un premier pas.

Pour le texte qui vient d'être adopté, nous étions partis d'une proposition avec la mention "peut contenir".

L'adoption du "peut contenir" de la proposition de la Commission (en fait également très débattue dans le collège des Commissaires) aurait créé une situation irréversible au regard d'une information claire du consommateur, et hypothéqué à notre avis toute chance d'obtenir une bonne traçabilité des produits.

C'est la raison pour laquelle les débats ont été longs et difficiles. Mais ils ont eu le mérite d'être clairs, et il faut remercier en cela à la fois la présence française et nos fonctionnaires sur place, que l'on oublie un peu trop souvent, parce que cela n'a pas été simple tous les jours.

Nous avons aussi à prendre en compte, non seulement la dimension européenne mais la complète dimension internationale.

Les réponses sur le marché unique ne peuvent être hexagonales. Sur un marché ouvert, il faut des règles harmonisées sur la base d'un haut niveau de protection des consommateurs. C'est là, je crois, la limite du principe de subsidiarité, que j'avais soulignée lors de mon intervention sur la politique alimentaire devant le Parlement européen, en novembre dernier.

Cette internationalisation du marché implique aussi la nécessité de coopération des services de contrôle et de validation de méthodes communes de détection.

L'étiquetage n'a de valeur que s'il est vérifiable, sans contestation.

A cela s'ajoute le problème du "partage" des coûts du contrôle, puisqu'un seul matériel "Polymerase chain reaction" (PCR), par exemple, coûte actuellement 600.000 Francs. Le problème ne sera donc pas facile à régler.

De plus, l'Europe doit peser sur l'OMC.

La libre-circulation devrait pouvoir avoir pour contrepartie, dans un tel cas, le droit à l'information des consommateurs, appuyé sur des garanties en matière de traçabilité.

J'ai eu récemment une discussion sur ce sujet avec une délégation parlementaire des Etats-Unis, conduite par le Président de la commission agriculture. Je ne puis assurer que j'ai rencontré une totale adhésion, mais je n'ai pas non plus ressenti une position de fermeture totale à une telle approche. L'OMC sera le lieu de ce débat, et l'Europe devra s'y faire entendre.

Enfin, je souligne que la politique de la consommation se fait avec et pour le consommateur-citoyen.

Le consommateur-citoyen veut participer aux décisions qui le concernent. Jusqu'à aujourd'hui, c'est surtout par l'intermédiaire d'associations-relais. Les dix-neuf associations nationales de consommateurs du CNC font actuellement ce travail.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, avec cette "conférence-citoyens",  invente un nouveau mode démocratique plus directement participatif, certes utilisé ailleurs en Europe, mais dans des pays de plus petite dimension. C'est une gageure, mais je pense que vous réussirez.

Les deux sont sans aucun doute complémentaires. J'en vois un signe à travers vous et nos associations de consommateurs, en disant qu'un débat ne pourra qu'enrichir l'autre.

En tout état de cause, cette demande d'une plus grande participation traduit, je crois, le refus d'un pilotage des questions de l'amont vers l'aval.

Le citoyen-consommateur a le sentiment qu'on lui confisque ses intérêts. C'est ce qui explique par exemple, à mon sens, la réaction d'incompréhension et de protestation du CNC face à l'autorisation de mise en culture, en novembre dernier, avant la présentation de son avis.

Le consommateur-citoyen veut pouvoir se prononcer sur les thèmes qui l'intéressent. Les biotechnologies en sont un, avec les limites que vous avez soulignées tout à l'heure.

Le consommateur-citoyen est capable de comprendre que le risque zéro n'existe pas (même s'il ne l'accepte pas toujours), mais il ne comprend pas qu'on le lui cache. De plus, il croit qu'on lui cache quelque chose lorsque l'on n'est pas assez transparent à son égard. La phrase est "si vous ne voulez pas nous dire, c'est que vous avez quelque chose à cacher".

Il faut donc des modes de fonctionnement adaptés à cette demande.

Le débat des OGM a pris, à l'évidence, une dimension sociale et politique. Il suffit de lire la presse et de voir ce qu'il se passe en Suisse par exemple.

Il nous faut -Gouvernement et Parlement- répondre par une écoute attentive des questionnements, et surtout avoir toujours une explication claire de nos choix.

Plus qu'un pari, c'est aujourd'hui une certitude : sans explication claire de nos choix, nous n'aurons pas l'assentiment des consommateurs et, sans l'assentiment des consommateurs, il n'y aura pas de consommation. Je pense que les producteurs sont maintenant parfaitement convaincus de cette nécessité.

Je vous remercie.

M. Le Président - Merci beaucoup, Madame la ministre.

Il  y a plusieurs questions, et vous pouvez me les faire parvenir pour que j'essaie de les regrouper, parce que nous avons moins de temps que dans les tables rondes.

Comme je l'ai déjà indiqué ce matin, le fait d'avoir organisé des auditions de ministres et de responsables politiques, des discussions entre experts, de manière publique et contradictoire, et une Conférence de Citoyens avec un panel de citoyens, a pour objet, pour les responsables politiques et les parlementaires, de prendre des avis à tous les niveaux, celui de la décision et  celui de ceux qui subissent ces décisions, les citoyens.

Les experts n'ont pas le même avis ; le responsable politique a une difficulté : prendre des décisions politiques dures sur ces certitudes scientifiques molles. On le voit dans ce dossier.

Il faut donc confronter tous ces avis. Ensuite, le Parlement, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui regroupe à la fois le Sénat et l'Assemblée nationale, proposera et rendra un rapport, puis le gouvernement décidera. Je pense que c'est une bonne chose.

En second lieu, l'avantage d'organiser de manière concomitante ces différentes auditions d'experts, ces auditions de ministres et cette Conférence de Citoyens, c'est de lancer le débat au niveau du pays. Je pense que c'est très important.

La première question est la suivante : comment, selon vous, la réticence des consommateurs français concernant les aliments issus des plantes transgéniques s'explique-t-elle ? La jugez-vous fondée ou non, et pourquoi ?

Je donne tout de même une explication : j'ai parlé tout à l'heure d'une question amusante, mais j'ai ici une étude, toujours du même sociologue américain, qui a étudié les habitudes des consommateurs européens.

L'échelle des risques indiquée par les Européens est la suivante :

1° les contaminations bactériennes ; 85 % pensent que c'est dangereux

2° les résidus de pesticides (79 %)

3° les hormones et les antibiotiques (76 %)

4° les moisissures (76 %)

5° l'altération des produits (68 %)

6° l'irradiation de la nourriture (65 %)

7° les dates limites dépassées (58 %)

8° le génie génétique (44 %)

9° les colorants artificielles (39 %)

10° les nitrites (38 %)

11° le cholestérol (38 %)

12° le gras dans les aliments (37 %)

13° les additifs et les conservateurs (31 %)

14° le sel (14 %)

15° le sucre (12 %).

C'est assez intéressant. Dans l'échelle européenne, ceux qui pensent qu'il y a le plus de risques sont les Suédois, puis les Autrichiens, les Allemands et les Français. Ce sont les Italiens et les Grecs qui pensent qu'il y a le moins de danger. Pour les Etats-Unis, il y en a 14 % (deux fois moins que celui qui pense en Europe qu'il y a le moins de danger).

C'est intéressant pour commenter la question que je vous pose, que je lie à ce que vous indiquiez tout à l'heure, à savoir que vous voulez une amélioration de la transparence : finalement, n'est-ce pas un certain nombre de problèmes qui se posent en matière d'information du consommateur ? Que compte faire votre ministère à ce sujet ?

Mme Lebranchu - Comme je l'ai dit dans l'exposé -et je le confirme largement, en tout cas dans ce que l'on peut entendre rencontrer, y compris via les associations- le premier élément de crainte est lié aux crises récentes.

Dès l'instant où il y a eu des crises importantes dans un pays où les autorités scientifiques sont de haut niveau, le consommateur-citoyen devient forcément méfiant. Il a l'impression (par exemple pour la crise de la "vache folle") que l'on connaissait le risque et que l'on a tout de même distribué les produits.

La défiance fait partie du fait qu'actuellement, on a, à l'extrême, envie de refuser tout nouveau risque potentiel. Pourquoi y a-t-il un risque potentiel dans l'esprit de beaucoup de consommateurs ? Parce qu'il n'y a pas eu d'expression claire, transparente et très certaine des scientifiques, certains ayant dit qu'à long terme, on ne peut pas savoir.

Dans la mesure où quelqu'un a dit cela, où il y a eu un doute, le doute persiste. C'est la raison pour laquelle le principe de précaution doit toujours répondre au principe qui est en face de nous, celui du doute.

Je pense aussi que les consommateurs considèrent que nous ne sommes pas transparents (je parle de la distribution, collectivement, puisque nous-mêmes sommes toujours responsables) dans l'information qui est donnée aux consommateurs.

Nous ne sommes pas transparents sur l'origine des produits, sur la façon dont ils ont pu être traités, et nous sommes réticents face, par exemple, au fait que l'on n'a pas le droit, dans une publicité, de dire qu'il n'y a pas de nitrates dans un produit, parce que cela signifierait qu'il y en a dans d'autres. Cela nous a été cité hier, dans une autre réunion.

Cela rend le consommateur méfiant.

L'absence d'informations sur les produits, donc l'absence d'étiquetage, est sûrement la première barrière, actuellement, à l'acceptation potentielle des OGM, avec de plus la crainte que l'étiquetage existe sur les produits directement OGM et qu'il n'y en ait pas sur les dérivés.

On retrouve toutes ces raisons, la principale étant : "comme on ne m'a pas assez pris en compte dans un passé récent, peut-être ne me prend-on toujours pas en compte maintenant."

Voilà en tout cas ce que je crois.

M. Le Président - Vous abordez la deuxième question  importante, qui va compléter celles que nous avons posées à Louis Le Pensec tout à l'heure sur l'étiquetage.

La décision prise -et je crois que c'était la France qui se battait pour que l'on écrive de manière claire "contient" ou "ne contient pas"- va dans le bon sens. Nous avons eu une discussion sur ce sujet à l'Office, et il y a eu l'unanimité pour le demander.

Tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet demandaient que ce soit clair, en tout cas en France, même si ce n'est pas la position d'un certain nombre de partenaires économiques. On voulait qu'il y ait étiquetage, dès l'instant où l'on considérait que le consommateur a le droit de choisir.

Néanmoins, Madame la Ministre, cette décision pose plus de nouvelles questions qu'elle n'en résout. Excusez-moi de vous dire cela mais, bien que n'ayant pas encore lu la totalité du texte que je vais étudier, je connais le contenu des principales dispositions.

Tout d'abord, aucun seuil n'est pour l'instant indiqué. Sans seuil, on ne traitera pas le problème dans les prochains temps, parce qu'il pourrait y avoir deux types de procès. S'il est inscrit "contient des OGM" et si l'on réussit à prouver qu'il n'y en a pas, il pourra y avoir procès ; s'il est inscrit "ne contient pas d'OGM" et si l'on réussit à prouver qu'il y en a, il y aura également procès.

Or, avec l'amplification des amorces d'ADN par la technique PCR, les biochimistes et les techniciens savent que l'on peut détecter des concentrations très minimes d'ADN dans un aliment.

On a un bel exemple, que j'ai déjà cité deux fois : l'exemple de Kochko. Il est très intéressant, et je l'avais déjà indiqué à certains de mes interlocuteurs.

Cela signifie que dans "ne contient pas", si l'on ne met pas un seuil, on n'arrivera pas à traiter la question.

Je ne dévoile pas le résultat de mes travaux, mais presque tous ceux que j'ai consultés (y compris en Suisse, où la "votation" aura lieu le 7 juin, et y compris ceux qui sont pour l'interdiction de toute manipulation génétique et de toute recherche en Suisse, c'est-à-dire qui vont très loin, y compris les Verts suisses) sont pour un seuil qui n'est pas du tout le même que celui des industriels.

Il y a un écart de 1 à 50, mais tous sont pour un seuil, car sans seuil, on n'arrivera pas à traiter la question de "ne contient pas".

Il va donc falloir fixer la limite du seuil. Dans quel délai les Européens vont-ils se mettre d'accord sur cette fameuse limite car, tant qu'on n'aura pas fixé cette limite, on sera de nouveau paralysé. Un certain nombre de collecteurs de farine de maïs ou de distributeurs ne se lanceront  pas. Ils veulent tous partir, parce qu'il y a des intérêts économiques, mais ils font tous du sur-place parce qu'ils attendent de savoir lequel va démarrer le premier.

Quelle sera notre position ? C'est l'un des premiers points qu'il faudra résoudre. Je souhaiterais avoir ensuite des précisions sur deux ou trois points qui m'ont d'ailleurs été posés par d'autres dans la salle.

Mme Lebranchu - Au risque de surprendre, y compris certains de mes collègues, je suis contre les seuils depuis le départ. Je ne vois pas pourquoi "ne contient pas" signifierait "ne contient pas, sauf X %", même si c'est un Epsilon pour le consommateur.

Je ne trouve pas l'argument pour défendre le seuil. L'argument que l'on me renvoit, c'est que, dans un silo  à grains, on peut avoir entreposé des céréales non-OGM après des céréales OGM et que, s'il y a cinq grains OGM  par paquet, cela fera un seuil Epsilon. Si cela peut se passer ainsi, cela représentera zéro virgule quelque chose. C'est un seuil mais, a priori, je suis contre les seuils.

Le problème -je ne sais pas quelle sera la position de votre instance- est effectivement le procès qui serait fait à quelqu'un qui, de bonne foi, a utilisé un silo après un autre silo.

Je pense que, pour les autres mélanges ou pour les autres utilisations de produits, puisque l'on va en même temps parler de traçabilité -on doit en parler-, dès l'instant où il est possible d'avoir une traçabilité -on l'a obtenue pour certains produits, et pour beaucoup de produits alimentaires actuellement-, si l'on utilise dans un plat cuisiné des produits non-OGM et si l'on fait la sauce avec des produits issus d'OGM, je ne vois pas pourquoi on ne le dirait pas.

Si on ne le dit pas, c'est que l'on aurait quelque chose à cacher. Or, celui qui met des OGM sur le marché estime qu'il n'y a pas de danger pour la sécurité des consommateurs. S'il n'y en a pas, pourquoi demander ces seuils, dans la mesure où ils sont détectables ?

Telle est ma position aujourd'hui. Je suis prête à entendre des arguments d'impossibilité, mais est-ce que ce sera un, deux ou trois ? Mon souhait est que ce soit zéro.

M. Le Président - Je vous donne mon avis, mais je pense que c'est assez intéressant parce que cela montre, y compris dans le débat public, que l'on traite des questions. Mais cette question est nouvelle, puisque vous avez pris une décision.

Personnellement, je pense qu'il ne faut autoriser un aliment que s'il n'y a pas de danger en matière de sécurité alimentaire. C'est évident. S'il y a un danger, il ne faut pas de seuil ; il ne faut pas l'autoriser.

En second lieu, on a posé ce matin aux agriculteurs le problème de la séparation des filières, qui est très compliqué. Séparer des filières signifie le faire depuis le champ de l'agriculteur jusqu'à la dernière industrie de transformation, et il se passe des dizaines d'étapes dans la chaîne qui va de ce champ à cette dernière industrie.

Il est évident que, si l'on veut le zéro zéro zéro, s'il s'était agi de détection des protéines, il n'y avait pas de problème, sauf par des techniques de radio-immunologie, car, pour qu'il y ait une détection de protéines très sensible, on n'a pas les mêmes techniques de sensibilité qu'avec l'ADN.

Avec l'ADN, on aura des sensibilités très fortes, ce qui signifie qu'à mon sens -ce sera, je pense, l'avis de l'Office-, il faudra déterminer un seuil, qui peut être très bas. Parmi toutes les personnes que j'ai auditionnées, je n'ai pas encore entendu de tenants du seuil zéro. Je vois pourtant des personnes d'avis très différents qui opinent du chef, et je pense qu'il y aura consensus en la matière.

Il n'y aura sans doute pas consensus sur le pourcentage, mais il y en aura sur le niveau. S'il n'y a pas de seuil, c'est à mon avis intenable. Le pire d'un système, c'est qu'il ne soit plus gérable au niveau économique et qu'il génère beaucoup de procès.

Il s'agit là de ma position personnelle.

Mme Lebranchu - Il y a effectivement deux niveaux. Les seuils existent lorsqu'il y a une limite acceptable de quantités de produits dans un aliment pour qu'ils ne portent pas atteinte pas à la santé des individus (limite maximum de nitrates dans l'eau, de pesticides, etc., limites que l'on connaît actuellement, qui sont contestées par ailleurs).

Ces limites sont liées au fait qu'au-delà, on estime qu'il y a danger pour le consommateur.

Dans ce cas, ce n'est plus du tout le même problème. On est sur une question d'information du consommateur. Si l'on met des OGM sur le marché, on est persuadé au départ qu'ils ne sont pas dangereux. Je ne vois donc pas pourquoi on demande un seuil pour de l'information.

M. Le Président - Nous avons échangé des arguments ; nous aurons l'occasion d'en reparler. En tant que biochimiste (je retire ma casquette politique), je dirai que, s'il n'y a plus de seuils, tous les aliments seront OGM ; on mettra donc pour tous "contient des OGM", même pour le bio, ce qui signifie qu'il n'y aura plus d'information pour le consommateur.

Cela signifie que l'on aura tué l'information.

Mme Lebranchu - C'est à mon avis le seul argument qui soit recevable, à savoir que, pour se dégager du seuil ou de l'absence de seuil, tout le monde écrive "contient des OGM".

En revanche, lorsqu'il s'agit d'information, en particulier pour les plats cuisinés, discussion que nous avons eue très longuement avec certains, on doit connaître l'origine des produits parce que, si la traçabilité n'existe pas pour cela, pour quoi existe-t-elle ? Cela signifierait que les individus ont encore raison de craindre les infections par des viandes contaminées.

Ou bien on sait, ou bien on ne sait pas, mais je pense qu'il ne faut pas poser le terme, en tout cas par rapport à nos consommateurs, comme un seuil d'acceptabilité d'OGM dans un produit. Nous devons être vigilants.

M. Le Président - Je pense que nous sommes d'accord sur ce point. Je vous lis tout de même les réactions énormes qui sont arrivées. Je voulais d'ailleurs vous poser certaines questions qui me sont parvenues sur le problème des amorces. Seuil = amorce ; seuil = possibilité de détecter.

Monsieur Riesel, de la confédération paysanne, a évoqué cette question ce matin en disant que, s'il n'y avait pas de seuil, tout serait OGM.

Je lis les questions :

Pensez-vous que le concept d'équivalence en substances soit légitime ?

On sait que, sur les aliments de base, la traçabilité est impossible, alors l'étiquetage ne constitue-t-il pas une pseudo-réponse ?

Il est impossible de démontrer l'absence de la présence de quelque chose. On ne peut aller qu'aussi loin que les méthodes d'analyse le permettent. Comment étiqueter la récolte ou les produits d'un agriculteur sans OGM dont les premiers rangs sont contaminés par la production OGM du voisin ?


C'est le cas bio que j'ai indiqué tout à l'heure.

La transparence de l'information ; lorsque l'on se souvient que la présence des industriels dans le Comité amiante a conduit à bloquer toute diffusion de l'information, tout traitement sérieux de la question, croyez-vous  que l'on puisse avoir une information solide de la part du CNC lorsque lui aussi comprend des industriels ? Une information contradictoire sera-t-elle possible ?

Sur l'amiante, j'ai également fait un rapport pour l'Office. Je pourrai répondre à cette personne. Ce n'est pas aussi simple que ce qui est indiqué. Ce ne sont pas seulement les industriels qui ont bloqué. Tout le monde était au courant, mais à un certain moment, on est condamné à vivre dans des situations difficiles.

Il y a un bon rapport de l'Office sur l'amiante. Vous devriez vous le procurer.

La PCR nécessite la connaissance des séquences que l'on recherchera alors. Sera-t-il toujours aussi possible de connaître ces séquences ?

Cela montre bien qu'il y a des réactions.

Un point est important : les amorces. Pour détecter un soja ou un maïs génétiquement modifié, c'est technique, mais il faut connaître l'amorce qui a permis d'insérer un gène. Or, si des pays étrangers insèrent des gènes, par exemple les Chinois ou les Argentins, si l'on n'a pas les amorces lorsque l'on a une demande, on ne pourra pas le détecter.

Dans le dossier réglementaire, y aura-t-il la nécessité de connaissance d'importation des amorces ?

Mme Lebranchu - C'est ce que nous avons demandé. Il y a eu une longue discussion à ce sujet au niveau européen, et une discussion qui dépassera le niveau européen. Nous avons demandé que l'on aille jusqu'au bout, que ce soit clairement demandé et affiché, puis détecté.

Cela a été vraiment le consensus le plus large que l'on ait obtenu. En tout cas, c'est ainsi que je l'ai vécu.

Concernant les équivalents, on n'est pas sur un débat consistant à savoir si c'est dangereux ou pas, du moins je l'espère. C'est OGM ou ce n'est pas OGM. Si l'on reste sur un débat "pourquoi pas les équivalents", cela signifie que l'on n'est pas sur l'information "OGM ou pas OGM", mais sur l'information "dangereux ou pas dangereux".

Les producteurs eux-mêmes se posent réellement la question, parce qu'à mon avis, s'ils la posent vraiment ainsi, on est parti quelque part en arrière, et déjà cela n'a pas été simple.

On est sur de l'information du consommateur, donc, équivalent ou pas, c'est "OGM ou pas OGM". Nous devons être le plus limpide possible, parce que, dans toutes les défiances de consommation, on a toujours eu d'excellentes raisons pour dire que tel ou tel type de viande, marié à tel ou tel type de bête dans tel ou tel type d'endroit, n'était vraisemblablement pas contaminé pour telle et telle raison, et les individus n'ont plus confiance.

On se trompe peut-être de débat lorsque l'on pose le problème de l'équivalence, en tout cas à mon avis.

M. Le Président - Cela montre bien que, finalement, cette décision pose de nouvelles questions qu'il faudra résoudre.

Mme Lebranchu - Pour la contamination des premiers rangs, le problème se pose sur les produits importés, puisqu'en France, selon les autorisations données, les plantes autorisées ne peuvent pas se marier aux plantes voisines. Sinon, l'information n'a pas été bonne au départ.

(Dans la salle : "transgénique vers non-transgénique").

Mme Lebranchu - Ce n'est pas possible.

M. Le Président - Si, c'est le problème des premiers rangs.

Mme Lebranchu - Il faudra faire un "no man's land" entre les deux champs.

M. Le Président - C'est un problème bien connu des semenciers, qui ont exactement le même problème. Je parle sous le contrôle du directeur de la production végétale de l'INRA car je ne suis pas semencier, mais je les ai tous auditionnés. Ils ont un cahier des charges avec des arrêtés préfectoraux, qui prévoient que, dans une distance de quatre cents mètres et sur un certain périmètre, il ne doit pas y avoir de plantes sauvages ni d'autres espèces.

Madame la Ministre, j'ai quelques autres questions. Il y en a eu beaucoup sur l'étiquetage. Tout à l'heure, dans la table ronde, on a beaucoup parlé de l'association des consommateurs au processus d'expertise, de contrôle. La CGB et la commission de biovigilance, comment voyez-vous l'association ?

Nous pensons que, plus les associations de consommateurs seront associées au processus de décision, mieux ce sera. Je ne parle pas forcément du processus de décision technique, car ce processus est très complexe, et finalement, on a l'impression que des gens ne suivent pas la partie technique.

Il faut peut-être que le citoyen et un certain nombre de représentants des organisations d'associations puissent avoir leur mot à dire, mais pas forcément en même temps que la Commission de génie biomoléculaire.

Quel est votre avis à ce sujet ?

Mme Lebranchu - Si je vous ai cité le cas du CNC, je réfute l'argument selon lequel il y a des professionnels, donc que ces avis ne sont pas bons. Je pense qu'il y a des endroits où l'on peut avoir des confrontations entre des professionnels, des consommateurs et des scientifiques.

Ce que demandent nos consommateurs, ce n'est pas de retourner totalement à l'école pour devenir spécialistes des OGM et pouvoir comprendre toute décision scientifique. Ils demandent qu'on les informe, qu'on leur dise, qu'on leur explique.

Les instances dans lesquelles on peut dire et expliquer existent. A partir des travaux faits et des décisions prises, on a les moyens de l'information. Si l'on veut informer nos consommateurs, on le peut. On a assez d'instances et assez de moyens pour le faire.

C'est ce qu'ils nous demandent. Cela signifie que l'information doit aller jusqu'au consommateur individuel, c'est-à-dire jusqu'à l'étiquetage. Elle est au moment de la décision via leurs organisations, et elle est ensuite au moment de la consommation via l'étiquetage.

M. Le Président - Je pense que nous avons eu un débat passionné et passionnant. Merci beaucoup, Madame la Ministre d'être venue ; merci pour vos éclaircissements. Je pense que la décision que vous avez prise va dans le bon sens ; il faut sans doute aller plus loin encore avec nos partenaires.

Audition de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé

M. Le Président
-
Monsieur le Ministre, merci beaucoup d'être venu pour ces auditions publiques ouvertes à la presse. Je vais essayer de résumer, parce que certains ont déjà entendu mes explications liminaires.

Au cours de ces deux journées, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a choisi d'auditionner à la fois les responsables politiques, ceux qui sont chargés de ce dossier sous tous ses aspects, aussi bien sous l'aspect agricole que sous l'aspect environnement, recherche, santé, consommation, donc les cinq ministres concernés.

Nous avons organisé cinq tables rondes publiques collectives contradictoires, avec ce que l'on peut appeler des experts. Cette démarche s'inscrit en parallèle avec une démarche d'organisation d'une Conférence de Citoyens qui aura lieu au mois de juin, où un panel de citoyens, qui ne sont donc pas des experts, a été formé, à suivi des conférence sur ce thème, avec un comité de pilotage qui a choisi les conférenciers.

Il a essayé de le faire par consensus, puisque c'est une conférence de consensus, puis le panel va choisir un certain nombre de personnes qu'il souhaitera auditionner les 20 et 21 juin.

On a donc à la fois des avis d'experts, des avis de citoyens, des avis de responsables politiques et, en fonction de cela, je serai amené à rendre un rapport au Parlement. Bien sûr, vous serez destinataires de ce rapport, comme tous les ministres concernés.

L'une des tables rondes aura lieu demain. Elle concerne les avantages et risques des OGM en matière de santé, avec tous les problèmes. Nous entendrons :

- Patrice Courvalin, de l'institut Pasteur

- Philippe Gay, directeur de biotechnologies à Novartis

- Anne Monneret-Vautrin, professeur à la faculté de médecine de Nancy.

- André Rico, Président de la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et substances assimilées

- Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen, et qui est dans l'association "Agir pour l'environnement".

Comme aujourd'hui, nous aurons des experts qui n'ont pas le même avis.

Sur ce sujet des organismes génétiquement modifiés, nous souhaitions avoir votre avis en termes de santé.

On parlait tout à l'heure des risques perçus par la population, et l'un des risques perçus, lorsque l'on discute avec les consommateurs, est l'éventualité de problèmes en matière de santé.

Des problèmes se sont posés depuis quelques années. On a connu le sang contaminé, l'encéphalite bovine spongiforme, et les gens se demandent si, finalement, le progrès des sciences et techniques dans le domaine des organismes génétiquement modifiés ne conduira pas à de nouvelles catastrophes, si, finalement, l'homme ne joue pas à l'apprenti-sorcier, et s'il est capable de mettre des garde-fous.

Cela s'inscrit dans une décision gouvernementale d'autorisation d'un type de maïs, donnée en novembre 1997, avec la mise en place d'un système de biovigilance. Nous souhaiterions donc connaître aujourd'hui, et le Parlement souhaiterait connaître l'avis du Ministre de la santé sur ces questions, qui sont importantes.

En effet, le citoyen demande que l'on puisse le rassurer et qu'il puisse être confiant dans les explications qui lui sont données, qu'il puisse être un acteur de la construction de notre système de vigilance, de contrôle et d'expertise.

M. Kouchner - Merci, Monsieur le Président.

Je voudrais d'abord vous féliciter de la méthode que vous avez décrite, puisque cette décision de novembre, à laquelle j'avais participé, proposait qu'une conférence de consensus se tienne. Ce que vous venez d'exposer me semble tout à fait conforme à ce que j'en pensais : contradictoire en permanence, écoutant les experts et ouvert le plus possible aux citoyens.

Je me livrerais bien volontiers à de longues digressions sur la peur en santé publique, je devrais dire "sur les risques et sur la peur en santé publique", de nos jours. Vous avez vous-même rappelé le problème gravissime du sang contaminé, de l'encéphalopathie bovine spongiforme, et il y en a bien d'autres.

Tous les jours nous sommes, dans cette manière de crise permanente, de doute permanent, face à ce que vous avez bien défini comme étant une demande des citoyens d'être mieux informés, et capable de connaître, dans les nouvelles disciplines ou dans les avancées scientifiques, les risques encourus.

Je vais vous parler de la position du Ministère de la santé face aux organismes génétiquement modifiés, mais nous aurons en permanence, tout au long de l'année, j'en suis sûr, et des années suivantes, à nous poser ces questions face à l'évaluation des risques et à l'information.

Je voudrais donc vous dire "d'abord la précaution". Le ministre de la santé ne peut pas faire autrement. Je commencerai par cela et je finirai par cela.

Mais rien qui ne soit autre chose que le doute scientifique concernant la science. J'ai été frappé comme vous, par cette page du " Monde ", hier, face au référendum qui va avoir lieu en Suisse.

C'est d'ailleurs assez beau que cela se passe ainsi et que le débat ait eu lieu et ait fait sortir un peu les scientifiques de chez eux.

Mais en même temps, je ne sais pas quelles sont les circonstances qui ont présidé à cet échange très politique, très humain en même temps, il est vrai que les peurs sont agitées et qu'il faut s'en garder.

D'abord la précaution, rien contre la science, rien de rétrograde, rien de cet esprit un peu moyenâgeux que l'on entend parfois, mais toujours la précaution.

Monsieur le Président, le Ministère chargé de la santé a une expérience ancienne des organismes génétiquement modifiés. En effet, l'ingénierie génétique est une technique qui a connu de nombreuses applications dans le domaine sanitaire.

Elle est devenue presque routinière par de nombreux  aspects, même si elle ne cesse d'évoluer. Et c'est cette évolution dont je parlais tout à l'heure. Nous avons presque chaque jour des interrogations qui nous viennent.

En outre, cette technique ne génère pas forcément des situations inédites ou dérangeantes aux plans de l'éthique et de l'émotion, pas plus que d'autres techniques médicales ; je parle de la greffe d'organes. Reportez-vous aux articles concernant les débuts des greffes d'organes ; de nombreuses interrogations aussi pesantes et aussi valables que celles qui se posent maintenant étaient publiées.

Je pense à la moëlle osseuse, aux techniques d'assistance médicale à la procréation avec création d'embryons "surnuméraires", etc. Le débat que j'ai mené dans cette enceinte en 1992-93, qui était un beau et très noble débat, ressemblait à ce qu'il se passe maintenant.

On dispose aujourd'hui de méthodes qui permettent, d'une part, une connaissance de plus en plus fine du génome, une cartographie, grâce en particulier à des chercheurs français, qu'il faut saluer, et, d'autre part, une dissection de plus en plus poussée du génome, laquelle permet à son tour, puisque le code génétique est universel, de faire exprimer un gène spécifique d'une espèce par des cellules d'autres espèces, ce qui, j'en conviens, ouvre des perspectives vertigineuses.

Le domaine des médicaments est sans conteste celui où l'ingénierie génétique est entrée dans les moeurs du fait d'une longue expérience industrielle. L'insuline humaine recombinante est maintenant sur le marché depuis largement plus de dix ans, et cela a été un progrès considérable.

Les médicaments ainsi produits sont des enzymes (facteurs de coagulation) et des vaccins (dont celui contre l'hépatite B, dont nous avons beaucoup parlé) ou des hormones, comme l'hormone de croissance, des facteurs recombinants, des facteurs de greffe, par exemple.

Lorsque l'hormone de croissance est arrivée recombinante, c'est-à-dire produit qui n'était pas extrait du corps humain, cela a rassuré terriblement les familles qui en avaient besoin. Nous avons donc cette expérience.

Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur l'intérêt en termes de sécurité, car nous avons tous en mémoire, ce que je rappelais, les hormones d'origine extractive et la contamination, par exemple, des facteurs anti-hémophiliques.

Si le génie génétique n'a pas été, dans le domaine pharmaceutique, à l'origine de la révolution que certains avaient prédite au début des années 80 (dans la mesure où la chimie de synthèse et la recherche phytopharmacologique ont démontré depuis qu'elles n'avaient pas encore dit leur dernier mot), il est cependant certain, à mon avis, qu'il ne s'agit pas d'un effet de mode passager, et que les applications de cette technique se développeront encore dans l'avenir pour le bien de tous, même s'il faut se méfier, surveiller et évaluer en permanence, et ne jamais être sûr de soi.

Les procédés industriels en la matière ont fait l'objet d'un guide de bonne pratique, élaboré sous l'égide de l'OCDE et publié par l'AFNOR. Le principe de base est de n'utiliser que des micro-organismes non-pathogènes pour l'homme, pour les autres espèces animales et pour l'environnement, et qui ne soient pas susceptibles de le devenir après modification de leur patrimoine génétique.

Les techniques ainsi mises en oeuvre par l'industrie pharmaceutique démontrent la maîtrise de l'expression des gènes sur des supports variés, et de la qualité des procédés de purification.

Certes, même si la pureté du principe actif est contrôlée très minutieusement, il persiste encore au stade final quelques fractions de matériel génétique ou de protéines étrangères dont la réactivité avec l'organisme-hôte est inconnue (elle ne s'exprime pas en tout cas cliniquement, et n'est pas décelable biologiquement avec les moyens dont nous disposons actuellement) mais qui suscitent périodiquement des craintes ou des polémiques, bien que divers groupes d'experts aient estimé à plusieurs reprises que ces craintes ou ces hésitations n'étaient pas fondées.

Des seuils pour ces contaminants ont d'ailleurs été définis à cette occasion.

Si l'emploi d'organismes génétiquement modifiés et des médicaments qui en sont issus est devenu, comme je le disais, routinier, le domaine de la thérapie génique en est par contre à ses débuts et paraît encore plus prometteur dans la mesure où ce sera sans doute le seul moyen de traiter certaines pathologies fatales d'origine génétique, à condition qu'elles soient monogéniques.

Je pense à la mucoviscidose et à certaines maladies neuromusculaires, pour lesquelles on ne dispose actuellement, dans le meilleur des cas, que de traitements temporairement palliatifs.

Une fois définie la nature de l'intervention génique, la difficulté est de trouver le vecteur qui permet l'expression temporaire du gène dans les cellules de l'organisme-hôte. Des essais chez l'animal se sont révélés très encourageants, et certains projets sont en cours d'essai chez l'homme. C'est incontestablement une voie d'avenir majeure.

J'évoquerai à peine le domaine de la recherche, pour indiquer l'apport précieux que constituent les animaux transgéniques exprimant :

- soit une pathologie humaine ou son support biologique : il n'y a pratiquement aucun secteur de la recherche médicale qui, d'une manière ou d'une autre, n'utilise pas les souris transgéniques comme modèles d'affections humaines ;

- soit des molécules à usage thérapeutique, par exemple dans le lait ;

- voire des antigènes (ou l'absence d'antigènes) d'histocompatibilité, qui pourraient à terme servir pour des greffes d'organes. Nous y travaillons, en particulier en France.

Cette question de la recherche thérapeutique nous ramène vers les plantes génétiquement modifiées. En effet, il faut souligner l'intérêt que soulèvent les expériences de plantes transgéniques exprimant un produit thérapeutique. Chacun a entendu parler des espoirs suscités par la production d'hémoglobine à partir de plants de tabac génétiquement modifiés.

Je ne voudrais pas insister sur ce point, mais il est vrai qu'à la fois cela fait rêver et cela engendre cette méfiance naturelle, et la mise en oeuvre de cette précaution. Je ne répéterai pas assez ce mot.

Nous avons par rapport au problème du sang, des attitudes diverses en Europe et dans le monde, dans les pays pauvres et dans les pays riches, mais, même si la consommation de produits sanguins diminue pour des raisons thérapeutiques et de précaution, nous aurons besoin en permanence d'hémoglobine, et nous n'en avons pas assez. Maintenant, le manque se fait souvent sentir.

On ne peut donc pas négliger ce point. On peut au contraire considérer seulement comme un espoir, malgré la nécessité de se méfier, cette production hypothétique d'hémoglobine à partir du tabac génétiquement modifié.

Le sommet du progrès sera atteint lorsque l'on pourra joindre l'utile à l'agréable, lorsque l'aliment deviendra en lui-même une forme galénique raffinée de médicament. Tout cela entraîne également précaution et méfiance.

Cela n'est pas une fiction ; des essais de production de bananes exprimant un antigène vaccinal sont engagés, et vous avez pu voir récemment les résultats prometteurs chez l'homme, de l'immunisation contre les colibacilles entérotoxinogènes.

Il est vrai que la forme galénique n'était sans doute pas parfaitement au point, puisque les volontaires étaient obligés de manger la pomme de terre transgénique crue.

Cependant, il est clair que la "plante-aliment" en tant qu'organisme génétiquement modifié introduit une dimension émotionnelle, et même scientifique et environnementale, tout autre, en raison :

- de la diffusion considérable qu'elle peut connaître à un double point de vue : diffusion dans l'environnement sur de vastes étendues, et introduction dans l'alimentation de populations potentiellement très importantes ; on ne peut pas négliger que la famine demeure et que la production est insuffisante ;

- des perspectives et des enjeux dont elle est l'objet : économiques bien sûr, et à une échelle incomparablement plus importante que celle du médicament, mais aussi humanitaire, car on peut raisonnablement penser que l'amélioration de certaines variétés et leur adaptation à des conditions géographiques particulières améliorera l'état nutritionnel d'une partie de la population mondiale au cours du siècle au seuil duquel nous nous trouvons.

Je pense en particulier à ces plantes dont on nous promet qu'elles résisteront à la sécheresse.

J'en viens maintenant à la mise sur le marché des plantes génétiquement modifiées et à la sécurité alimentaire, mais j'ai voulu -pardon d'avoir été un peu long- vous signifier que, dans le domaine de la santé, nous sommes déjà depuis longtemps devant une expression presque familière et une utilisation de nouveaux médicaments qui proviennent de recombinants ou d'organismes potentiellement modifiés.

Au-delà des inquiétudes que suscitent les manipulations  génétiques, la mise sur le marché des plantes génétiquement modifiées pose le problème de leur sécurité d'emploi et de celle des aliments qui en sont issus.

L'évaluation de leur sécurité d'emploi préalablement à leur dissémination et à leur mise sur le marché est strictement encadrée par des procédures communautaires et nationales. Elles vous sont évidemment connues ; je ne vous les décris pas. La multiplicité des niveaux d'expertise des comités scientifiques européens, d'organismes nationaux d'évaluation concourent à garantir une qualité des évaluations réalisées.

Concernant les plantes, semences et animaux transgéniques, notre dispositif réglementaire ne prévoyait pas jusqu'à présent de consultation systématique du Ministère de la santé sur les autorisations délivrées, qu'il s'agisse d'autorisations de dissémination à des fins de recherche-développement ou de mise sur le marché.

Toutefois, l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, instance d'expertise placée sous l'autorité du Ministère chargé de la santé, est recueilli si le CGB signale l'existence d'un risque éventuel pour la santé publique, lié à la consommation de ces produits. Cette consultation est maintenant systématique ; c'est très nouveau.

Je souhaite attirer votre attention sur le cas des aliments issus d'OGM mais n'en contenant pas eux-mêmes (huile de soja, amidon de maïs), et jugés substantiellement équivalents à des aliments traditionnels de référence dans l'Etat-membre où a été déposé le dossier de demande de mise sur le marché.

La commercialisation de cet aliment fait l'objet d'une simple notification aux autres Etats membres, sans consultation préalable. Cela signifie que, si un Etat membre estime que la mise sur le marché d'un aliment présente un risque pour la santé, il devra invoquer la clause de sauvegarde pour en interdire la commercialisation et apporter la preuve des risques encourus.

Cette procédure, qui aboutit à une mise sur le marché de certains aliments sans ouvrir la possibilité aux Etats-membres d'effectuer une expertise a priori, peut certes paraître contestable. Dans certains domaines, je la conteste. Elle pose par ailleurs au niveau nationale la question du positionnement du Conseil supérieur d'hygiène publique.

Faut-il solliciter son avis sur les notifications, considérant que les dossiers qui sont transmis ne contiennent pas l'ensemble des éléments nécessaires à la conduite d'une véritable contre-expertise ? Cette approche peut paraître souhaitable, et j'envisage de systématiser la consultation du Conseil sur ces notifications.

Avec la loi relative à la sécurité sanitaire, qui est presque votée, qui sera prochainement promulguée, l'expertise organisée par mes services en lien avec le Conseil supérieur d'hygiène publique de France sera transférée à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.

Je pense que mon collègue Le Pensec vous en a parlé. Je tiens à dire à cette occasion que l'amélioration de la sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation ne résultera pas seulement d'un regroupement de capacités d'expertise actuellement dispersées, mais nécessite qu'on lui consacre plus de moyens qu'aujourd'hui, au moins de notre côté santé. C'est très clair dans mon esprit.

Les risques :

La mise sur le marché des plantes transgéniques et des aliments qui en sont issus a fait émerger de nombreuses interrogations et inquiétudes, qui portent à la fois sur les risques écologiques liés à la dissémination d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, et sur les risques sanitaires liés à la consommation de ces produits alimentaires.

Je vous répète une fois de plus que le fait que ces interrogations ne m'irritent pas. Je les trouve naturelles et, si elles n'existaient pas, je les susciterais.

Concernant les risques écologiques liés à la culture à grande échelle, leur évaluation relève de la compétence de la Commission de génie biomoléculaire, et la gestion de ces risques des Ministères de l'agriculture et de l'environnement.

Le principal problème posé est d'éviter que le caractère de résistance introduit (résistance à un herbicide, etc.) ne s'étende en dehors de la variété transgénique et devienne un problème pour l'environnement. Nous sommes conscients de cela, donc suivi et évaluation en permanence : jamais d'arrêt à cette évaluation.

Les plantes résistantes aux herbicides ont acquis une place toute particulière en raison du grand nombre de variétés cultivées en jeu et des surfaces concernées (pas chez nous, mais ailleurs). Si le désherbage de certaines espèces ne trouve pas forcément une solution plus efficace par la voie de la transgenèse, la culture d'autres espèces transgéniques est susceptible de présenter un intérêt certain du fait d'une réduction du nombre de traitements nécessaires.

De la même manière, la mise sur le marché de maïs résistant à la pyrale a donné lieu à l'ouverture d'un débat sur les risques d'une résistance accrue des insectes à la toxine de Bacillus thuringiensis , bactérie employée à travers le monde pour lutter contre certains ravageurs de cultures, et utilisée en lutte antivectorielle.

Dans tous ces cas, quelle que soit la nature du gène introduit, nous mettons en place un dispositif de suivi, de biovigilance pour les variétés agréées, qui permettra d'assurer un suivi des risques éventuels d'apparition d'événements défavorables sur l'environnement, qui pourrait bien sûr conduire à des mesures de retrait aussi immédiates que possible si nécessaire.

Un autre problème évoqué, auquel je suis très sensible, porte sur les risques de la dissémination des gènes de résistance aux antibiotiques, notamment à l'ampicilline, introduits dans les constructions géniques.

L'incorporation de ces gènes de résistance dans le génome des plantes et les risques de transfert de ce gène, suscitent de nombreuses inquiétudes. Je n'ai pas attendu cela pour être sensible à la résistance aux antibiotiques ; peut-être savez-vous que nous en avons fait l'un de nos chevaux de bataille.

Pour que ces gènes puissent s'exprimer, il faudrait toutefois, d'une part que les protéines qui les constituent résistent aux processus de préparation des aliments et de la digestion et, d'autre part, qu'elles puissent se conjuguer à un vecteur susceptible de les introduire dans les bactéries présentes dans la lumière digestive, celles-ci n'étant pas capables de les incorporer naturellement.

Ce danger est considéré comme très improbable par la quasi-totalité des experts. Ce n'est pas une raison pour s'en contenter. En outre, s'agissant du gène de résistance à l'ampicilline, il est déjà répandu chez les espèces présentes dans le tube digestif de l'homme et des animaux et, si le phénomène de transfert se produisait, les experts de nombreux pays ont considéré qu'il n'aurait qu'une incidence négligeable sur l'état des résistances à cet antibiotique. Cela rassure d'une certaine manière.

Le  mésusage de certains antibiotiques en médecine me préoccupe aujourd'hui davantage, comme je viens de vous le dire. Il s'agit néanmoins d'un sujet sensible, d'autant qu'il n'existe pas de réelle justification à l'introduction de tels gènes dans les constructions géniques.

J'ai cherché dans ma tête et nous avons un peu parlé de cela, je ne vois pas l'intérêt. Il me paraît donc souhaitable à l'avenir d'abandonner l'utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques. Cela me paraît hautement nécessaire.

L'expertise a également soulevé l'hypothèse de risques sanitaires pour l'homme.

Tout d'abord -il me paraît important de le rappeler-, la mise sur le marché de plantes transgéniques ou d'aliments qui en sont issus est décidée au cas par cas, après une évaluation scientifique basée sur le concept d'équivalence en substance.

Il s'agit d'un concept unanimement accepté à ce jour, qui consiste à comparer les plantes ou les aliments à des plantes et aliments traditionnels de référence. S'ils sont jugés "substantiellement" équivalents à ces références,  c'est-à-dire lorsque, sous l'angle nutritionnel et toxicologique, leur composition est estimée équivalente, aucune démonstration de leur "salubrité" ne s'impose.

Le cas le plus fréquent est celui où l'équivalence en substance est établie, à l'exception des produits des gènes d'intérêts introduits. Ces gènes sont généralement des protéines intervenant dans les mécanismes de tolérance à un pesticide, ou de résistance à l'agression par une organisme ravageur.

Les risques potentiels des produits de ces gènes sont alors spécifiquement évalués. Il s'agit essentiellement de risques toxiques et allergiques.

Concernant le risque toxique, un examen attentif se justifie, notamment pour les plantes où un gène de résistance à un pesticide a été introduit en raison de la formation de métabolites du pesticide à la suite de son inactivation ou lorsque les gènes transférés codent pour des enzymes qui catalysent des processus biochimiques.

L'évaluation du risque toxique ne bénéficie pas de modèle universel et fait généralement appel à une approche qui conjugue la réalisation de tests de toxicité sur animaux de laboratoire, d'études d'alimentation animale chez des espèces d'intérêt zootechnique qui consomment habituellement le produit, et la comparaison avec des protéines toxiques identifiées dont la séquence figure dans des banques de données.

Il ne s'agit pas d'une approche toxicologique classique. Elle nécessite certes encore le développement d'outils méthodologiques, et les experts français concourent, par leur travail, à ce développement. J'estime que des progrès doivent encore être faits dans cette voie.

Concernant le risque allergique, il est vrai que la prédiction du caractère allergénique reste un exercice délicat.  Il repose sur des méthodes d'évaluation indirecte, comme par exemple les tests de résistance des protéines à la chaleur et aux attaques des enzymes digestives, considérant que l'allergénicité est souvent le fait de protéines absorbées intactes par la muqueuse intestinale.

On fait également appel à la recherche d'homologie de séquences avec des protéines qui sont des allergènes connus et dont la structure est répertoriée dans les banques de données.

Cette dernière approche d'analyse comparative offre l'avantage d'éliminer rapidement des constructions à risques potentiels, mais l'absence d'homologie de séquences ne constitue pas une garantie formelle d'innocuité. Aucune observation ne permet toutefois, à notre connaissance, de considérer les produits issus du génie génétique comme plus ou moins allergéniques que les produits traditionnels de référence.

Il faut néanmoins rester attentif, comme toujours, compte tenu du potentiel allergisant des protéines, d'autant que la mise en évidence d'une allergie alimentaire est une question très complexe et que l'on découvre aujourd'hui encore le rôle de certains aliments pourtant très anciennement introduits dans notre alimentation habituelle.

Au total, il est certain que nous sommes en face d'une innovation devant laquelle les scientifiques ne peuvent nous fournir sur toute la ligne des certitudes absolues. Le débat que vous organisez montrera la perception que nos concitoyens ont de ces avancées combien prometteuses, et je vous en remercie.

La manière dont, Monsieur le Président, vous comptez vous y prendre, me satisfait.

J'aurais, pour ma part, tendance à me reporter quelques siècles en arrière, au temps où les peuples précolombiens avaient réussi le tour de force, à l'époque, de transformer en peu de temps l'épi de maïs sauvage, qui avait la taille de la dernière phalange de mon petit doigt, en un épi très proche de ceux que nous connaissons.

Cette intervention humaine n'était pas moins audacieuse à l'époque et, si certains l'estiment plus "naturelle" que celle devant laquelle nous nous trouvons, je rappellerai, tout près de nous, la création du colza. Il s'agit dans ces deux cas de création d'espèces nouvelles, dont on peut mesurer ce qu'elles nous ont apporté. Je pense qu'aujourd'hui, rester toujours sur ses gardes ne doit pas conduire pour autant à diaboliser systématiquement les espèces génétiquement modifiées par les techniques d'ingénierie modernes qui nous sont proposées.

Cela doit nous entraîner à plus de méfiance encore, mais pas à des certitudes d'avance.

Comment progresser aujourd'hui ? A mon avis :

- en renforçant les expertises scientifiques multiples et contradictoires, car c'est bien un débat et une analyse objective des données factuelles qu'il nous faut mener, plutôt que de se cantonner à un débat d'idées plus ou moins préconçues ;

- en renforçant nos pouvoirs d'investigation et de contrôle ;

- en mettant en place un dispositif de biovigilance agronomique et environnementale des variétés agréées (dispositif permanent) ;

- certains évoquent la nécessité de compléter ce dispositif par un système de vigilance portant sur le risque allergique pour l'homme. Je dis d'emblée que cette question reste ouverte, sans pour autant pouvoir proposer aujourd'hui ne serait-ce que le schéma d'un nouveau dispositif.

C'est une question très complexe ; l'alimentation est un geste très banal, souvent machinal ; elle est aujourd'hui (c'est un fait positif) très diversifiée ; les aliments de base sont très souvent transformés et ils contiennent de très nombreux ingrédients.

De ce fait, l'alimentation en général présente des risques, et le risque allergique, malgré des manifestations parfois spectaculaires, n'en constitue que l'un des aspects.

En outre, les symptômes d'une allergie sont parfois peu évocateurs en eux-mêmes. C'est la plupart du temps l'étude minutieuse de certains tableaux cliniques qui conduit les cliniciens à émettre l'hypothèse d'une manifestation allergique et d'en rechercher la cause, laquelle est très difficile à mettre en évidence en raison même de l'extrême banalité de l'acte alimentaire.

On est donc loin des systèmes de vigilance que nous avons mis en place dans le domaine des soins, où la prescription (ou l'utilisation) d'un produit concentre en quelque sorte l'attention sur ses conséquences pendant une période de temps précise et limitée. Les difficultés rencontrées dans la transposition de ce concept de vigilance à la toxicovigilance me conduisent à être circonspect en matière de vigilance alimentaire.

Progresser ensemble nous conduira à une plus grande transparence des procédures et des décisions d'autorisation. Le gouvernement s'y est d'ailleurs engagé. Transparence en permanence, information toujours.

La meilleur information des consommateurs est à mon avis le déterminant essentiel. Elle conditionne l'acceptabilité de ces nouveaux aliments par nos concitoyens. A cet égard, l'accord finalement trouvé au dernier Conseil des Ministres de l'agriculture sur la question de l'étiquetage, dont vous ont sans doute parlé Marylise Lebranchu et Louis Le Pensec, me paraît un élément de déblocage important.

Le débat que le Premier Ministre vous a demandé d'animer, Monsieur le Président, me paraît également tout à fait essentiel. Il est nécessaire que nos concitoyens puissent apprécier par eux-mêmes la façon dont les scientifiques peuvent répondre aux questions qui leur sont posées, ainsi que la manière dont les pouvoirs publics répondent à leur attente de qualité et de sécurité.

Loin d'esquiver le débat, ce qui aurait été une erreur, le gouvernement l'a provoqué, et vous avez voulu qu'il soit le plus contradictoire possible ; je vous en félicite.

Pour conclure, je voudrais resituer l'enjeu sécuritaire. La sécurité alimentaire doit s'appliquer à tous les aliments. C'est d'ailleurs le sens de la création prochaine de l'agence de sécurité des aliments : surveiller, évaluer, contrôler l'ensemble des aliments, qu'il  s'agisse des produits naturels comme des additifs. Et, sans être trop provocateur, les organismes génétiquement modifiés ne sont-ils pas des additifs particuliers ?

Notre démarche doit toujours être la même, centrée sur le principe de précaution. Je vous avais dit que je conclurai comme j'avais commencé, par ce principe de précaution, qui guide toute notre attitude de santé publique, et qui doit conduire :

- à interdire toute dissémination, toute mise sur le marché, si existent ne serait-ce que des indices de risques significatifs ;

- à surveiller en cas de risque potentiels.

Ma responsabilité première, comme secrétaire d'Etat à la santé, est de veiller à la prise en compte et à l'application de ce principe en ce qui concerne le domaine sanitaire.

Je vous remercie.

M. Le Président - Merci beaucoup, M. le Ministre, de cet exposé clair sur tous les problèmes qui concernent la santé.

Nous aurons demain l'occasion d'aborder un certain nombre de questions que vous avez posées, notamment sur le risque allergique, sur les gènes de résistance aux antibiotiques, sur l'insertion éventuelle de parties de virus ou de capsides virales, dont on n'a pas parlé aujourd'hui, sur les toxiques.

Je crois que vous avez abordé cela de manière très précise, en donnant la position du gouvernement : le principe de précaution, un système de biovigilance.

Quelques questions complémentaires : comment le système de vigilance sur les risques allergiques va-t-il s'articuler éventuellement ? Vous en avez parlé. Je pense, comme vous, qu'il faut surveiller les risques allergiques dans l'alimentation, parce qu'il y en a de plus en plus, mais que, du fait de l'importation d'aliments nouveaux de toutes les parties du monde, en consommant un kiwi ou un fruit que l'on n'a jamais consommé auparavant, on a beaucoup plus de protéines nouvelles en une seule fois que l'on en a avec une gène inséré au niveau du génome et qui produira une protéine.

Il n'empêche que celui qui est inséré peut être allergique. On a un exemple, dans une société américaine, d'un gène de noix de cajou du Brésil qui avait été inséré, et on avait dit qu'il y avait un problème. En réalité, c'était déjà allergique avant de l'insérer. Si l'on insère une protéine qui est allergique, elle sera donc toujours allergique dans le nouveau porteur de gènes.

Il faut aborder ces questions avec le principe de précaution, et vous l'avez bien indiqué.

Comment le principe de vigilance en matière de santé s'articulera-t-il avec l'institut de veille sanitaire ?  Dans l'institut de veille sanitaire, aurez-vous effectivement une surveillance en matière de biovigilance, notamment pour les bactéries intestinales dont vous avez parlé dans les gènes de résistance aux antibiotiques, avec une analyse proche de celle que nous pouvons avoir actuellement dans l'état de nos connaissances ?

M. Kouchner - Je vous rappelle d'abord que, même si elle était cliniquement connue, l'allergie alimentaire était un concept très discuté et pratiquement peu présent dans la clinique et dans l'enseignement. Il est assez récent que l'on s'y intéresse de plus près.

Je crois avoir répondu : l'attention doit être portée en permanence sur les allergies déclenchées. Cela étant, je n'imagine qu'assez mal un système de vigilance particulier en ce qui concerne l'allergie alimentaire.

Il n'empêche que nous avons maintenant ces dispositifs. C'est la deuxième partie de votre question.

Comment l'institut de veille sanitaire va-t-il s'articuler avec l'agence de sécurité alimentaire, par exemple ? Dans le dispositif prévu, qu'il faudra renforcer puisque nous discutons, puisqu'il y a une commission parlementaire qui est chargée de la prochaine agence environnement et santé qui se développera, avec tout ce qui nous arrive en permanence, l'articulation est très difficile entre le nombre formidable d'organismes qui existent déjà et la façon dont on essayera de les regrouper pour être plus actifs.

Ne parlons pas de cette nouvelle agence, d'abord parce que les parlementaires sont à peine au travail, et il faudra certainement de longs mois.

Ce qui existe maintenant, c'est l'institut de veille sanitaire, qui est pour le moment le Réseau national de santé publique. Ce Réseau national de santé publique est chargé de détecter tout ce qui concerne les atteintes ou les modifications ou les alarmes en matière de santé publique, mais cela en aval, loin, comme conséquence d'une pathologie que l'on n'aurait pas découverte.

Ce qui existe maintenant, sous la direction de Jacques Drucker, va se renforcer considérablement avec d'autres missions qui lui seront confiées et un budget relativement coquet pour le développer. Ce qui existe maintenant est donc d'essayer de juger des conséquences, et une alerte sur un point du territoire est mise en parallèle en réseau avec une alerte qui serait passée inaperçue sur un autre point, etc. (technique classiqu

Ce n'est pas suffisant ; nous voulons débusquer au plus près. Ce qui serait intéressant, c'est évidemment d'être en amont, peut-être au déclenchement.

Là, il y a deux agences, l'Agence de sécurité alimentaire  et l'Agence de sécurité sanitaire. L'Agence de sécurité sanitaire, qui sera le renforcement de l'Agence du médicament, est chargée très spécifiquement des produits de santé, des médicaments, des dispositifs, du matériel de la thérapie génique, etc. Il y a un nouveau dispositif.

Il sera évidemment de son ressort, s'il existait, de traiter des organismes génétiquement modifiés, notamment ceux qui concernent la résistance aux antibiotiques. Je ne le souhaite pas ; je l'ai dit très clairement, mais ce serait éventuellement sa mission.

Sinon, c'est l'Agence de sécurité alimentaire, et c'est donc la responsabilité première des services du Ministère de l'agriculture et de la DGCCRF, mais nous y sommes, et c'est une avancée considérable par rapport à la force que représentait ce ministère face à la santé, que nous y soyons complètement associés.

J'ajoute -c'est une avancée que l'on doit au Parlement- qu'il y aura un organisme plutôt scientifique, mais un organisme conjoint, qui mettra ensemble, systématiquement, sous la direction du Ministère de la santé -et je vous remercie- l'Agence des produits alimentaires et l'Agence de sécurité sanitaire.

En permanence, au sommet, experts et décideurs pourront donc relier des événements qui seraient peut-être passés inaperçus.

Tel est le dispositif mais, comme je ne l'ai pas expérimenté puisqu'il n'existe pas encore, je ne sais pas comment cela va se passer.

Il n'empêche à mon avis, pour répondre pleinement à votre question, Monsieur le Président, qu'une attention particulière et qu'une vigilance permanente devraient être portées sur les organismes génétiquement modifiés, malgré l'existence de ce système que je viens de décrire sommairement.

M. Le Président - Vous venez d'indiquer, dans l'exposé liminaire et dans la réponse que vous venez de donner, que notamment sur l'expertise à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, il y aura plus de moyens du côté de la santé.

En second lieu, y aura-t-il des moyens du côté de l'INSERM, pour que l'on développe des projets de recherche sur les thèmes que l'on vient d'aborder, c'est-à-dire les aliments et la santé ?

M. Kouchner - J'en ai parlé aujourd'hui avec Claude Allègre, qui vient demain. Vous savez que c'est une cotutelle entre le ministère de la recherche et le ministère de la santé.

Nous en sommes tous deux tout à fait partisans, mais nous sommes placés pour le moment dans une réforme de l'INSERM qui nous permettra sans doute de promouvoir un certain nombre de moyens mais aussi de projets de recherche, et qui place, avec ses départements horizontaux qui ont été un peu en question, l'organisme dans une meilleure situation pour absorber de genre de projet. C'est indispensable.

Si Claude Allègre et moi-même sommes en accord sur ce point, je pense que cela se fera. Il y a évidemment un problème d'experts et de financement. Je ne vous le cacherai pas plus, et je ne vous cacherai pas plus non plus qu'en ce qui concerne l'INSERM, c'est Claude Allègre qui a l'argent, pas moi. Je m'occupe un peu du personnel et je possède la cotutelle, mais la recherche est la recherche. Cela peut se discuter, mais c'est ainsi.

Dans de nombreux pays, la recherche sur la santé appartient au Ministère de la santé... J'arrive d'un voyage aux Etats-Unis, où notre dispositif fait lever les sourcils, mais cela fonctionne aussi ...

M. Le Président - Pas forcément très bien. C'était justement ma troisième question, sur les contaminations bactériennes aux Etats-Unis, où c'est de loin la peur la plus grande du consommateur, parce qu'il y a eu plusieurs milliers de morts par contamination alimentaire. On le disait dans le débat sur l'institut de sécurité alimentaire.

M. Kouchner - Il y a eu 12.000 morts, y compris avec les problèmes dans les hôpitaux.

M. Le Président - Il ne s'agit pas des contaminations alimentaires. Ils sont à 8000  et nous sommes à quelques dizaines au niveau de la France. Le problème se pose donc effectivement lorsqu'il y a des gènes de résistance à un antibiotique, et je pense qu'il y a une confusion. Quelqu'un me l'a dit tout à l'heure ; il y a beaucoup de spécialistes ici, y compris parmi les journalistes, et j'en profite pour le redire.

Il y a une certaine confusion entre OGM et ADN, y compris ADN avec des gènes de résistance à un antibiotique. Un organisme génétiquement modifié a un gène nouveau inséré par un vecteur, une amorce autorisant l'insertion et permettant de le retrouver. C'est un peu sa carte d'identité.

Ce gène de résistance à un antibiotique était utile ; c'étaient des constructions très anciennes. Nous avons maintenant d'autres moyens. Ce sont des constructions qui ont passé toutes les barrières des autorisations expérimentales des premières plantes transgéniques.

Lorsque ces gènes sont insérés et lorsqu'il y a consommation d'une cellule d'un aliment d'une plante transgénique, il y a des digestions de cette cellule. Et, dans la digestion, où il y a avant transformation du produit, on ne va prendre qu'une partie de l'aliment, et l'on va retrouver soit des traces d'ADN, soit une petite partie d'ADN qui ne sera pas totalement coupée au niveau de la digestion.

Vous venez très bien de dire que certaines protéines ne sont pas totalement digérées, qu'elles peuvent être des protéines allergisantes. De la même manière, certains morceaux d'ADN peuvent ne pas être totalement digérés, qu'ils soient dans le sol ou à d'autres niveaux d'une chaîne.

Et le risque qui est indiqué aujourd'hui, c'est que cela puisse effectivement passer dans des bactéries du sol,  avec un risque certes très faible. On l'a montré, cela peut exister. Tout imprévu est possible dans la nature, disait Antoine Danchin ce matin. La nature est faite d'imprévus, et tout est possible. C'est la fréquence qui  change. Ce risque est donc possible ; cela peut passer.

Lorsque c'est passé, c'est-à-dire lorsque c'est passé dans une bactérie du sol, cela peut passer dans une autre bactérie, dans une bactérie du tractus alimentaire. Il ne faut pas ajouter des risques dans de mauvaises constructions.

Il y a eu un séminaire à Talloires, qui était très intéressant sur le sujet, avec tous les experts dans ce domaine, et des choses ont été dites, qui ne sont pas exactes. Il faut donc mettre les points sur les " i ".

Ce qui est le plus probable, ce sont les conjugaisons entre bactéries. Ce sont des transferts de bactéries qui existent déjà, qui ont déjà des gènes de résistance  à des antibiotiques et qui, chaque jour, peuvent donner des gènes de résistance à des antibiotiques sur des bactéries qui sont pathogènes du tractus intestinal.

Et cela peut malheureusement exister. On voit effectivement un certain nombre de maladies qui se développent, et cela peut exister. La probabilité de l'aliment transgénique est donc beaucoup plus faible dans tous les cas que la probabilité que l'on a malheureusement parce que l'on a mal géré les antibiotiques.

Antoine Danchin a eu raison de le dire. Il a eu une phrase très forte ce matin : parce qu'on l'a mal gérée, elle est beaucoup plus faible, infiniment plus faible que ce que l'on a fait au niveau des antibiotiques et qui a été mal géré.

Je pense que demain, Patrice Courvalin et ceux qui seront présents reprendront cela dans cette enceinte et nous pourrons leur poser des questions.

Je pense que cela a été bien expliqué, et qu'il faut le dire, sinon on a une confusion. Je disais tout à l'heure que la moitié des Français n'avait jamais entendu parler de plantes transgéniques ; si, ensuite, on leur dit qu'il y a des gènes de résistance à des antibiotiques, il y a une confusion totale sur certains sujets.

Des vrais risques existent, et notre rôle est le principe de précaution. Le Parlement y est totalement attaché  et, personnellement, je suis très heureux, Monsieur le ministre, de votre position, parce qu'elle correspond globalement à celle que nous avons au niveau de l'Office.

M. Kouchner - C'est moi qui vous poserais volontiers la question. Je partage entièrement ce que vous venez de dire ; tout d'abord, j'ai fait un lapsus dans les chiffres, parce que j'ai pensé aux 12.000 morts d'infections nosocomiales. Or, on ne peut pas ne pas en parler lorsque l'on parle de résistance aux antibiotiques.

Je suis pour la précaution mille fois plutôt qu'une, mais agiter ce spectre alors que nous sommes devant une résistance majeure aux antibiotiques parce qu'il y a un mésusage des antibiotiques dans notre pays... 57 % des staphylocoques dorés pathogènes des hôpitaux français sont résistants, alors que ce chiffre est de 2 % au Danemark, et qu'il y a ces morts en permanence.

C'est la raison pour laquelle j'ai parlé de 12.000 morts ; vous me pardonnerez, Monsieur le Président, mais vous avez cité des chiffres, notamment à propos des infections alimentaires. Lorsque j'étais ministre de la santé en 1992-93, une seule épidémie de listériose a fait plus de cent morts en 1992.

Ce n'est pas autant qu'aux Etats-Unis, vous avez raison, mais c'est tout de même beaucoup. Mais j'attire votre attention, parce qu'il y a un mécanisme, que je connais mal honnêtement, qui est celui non pas de la résistance d'une bactérie, mais du plasmodium et à propos de la résistance au paludisme.

C'est à travers le monde un sujet majeur d'inquiétude. Il y a 2 millions de morts du paludisme dans le monde. N'agitons pas de faux problèmes. Agitons-les aussi, mais nous en avons devant nous massivement des vrais.

M. Le Président - Toutes les questions préparées comportaient déjà des réponses dans le texte. Je pose tout de même une dernière question : vous n'avez pas parlé des virus. Dans les auditions que nous avons menées, un certain nombre de personnes se sont exprimées, pas sur la totalité des virus, mais sur les rétrovirus, et sur un certain nombre d'insertions.

Certains disent qu'il faut effectivement trouver, notamment dans les pays en voie de développement, la possibilité de lutter contre des virus et, dans certains cas, des phénomènes de transcapsidation, des phénomènes d'insertion de virus pourraient être dangereux. Le principe de précaution doit bien sûr s'appliquer, mais que pensez-vous de cette question précise ?

M. Kouchner - Je pense qu'elle est tout à fait juste et pertinente, et que j'ai eu tort de ne pas en parler. Qu'aurais-je dit face aux virus ? Bien entendu, une attention très particulière y est portée dans notre pays et dans le monde entier. Je ne pense pas seulement à Ebola, hépatite C, hépatite B, etc.

De ce point de vue, je pense que l'effort doit être porté d'abord sur la recherche, et sur la recherche clinique. C'est ce que nous faisons absolument en permanence et, avec Claude Allègre, nous voudrions que soient développées non pas seulement vis-à-vis du VIH -cela a été fait de bonne façon dans notre pays- mais également vers l'hépatite C, des expérimentations cliniques.

Que dire d'autre que d'appliquer en permanence ce principe de précaution ? Il est évident que, dans le siècle qui vient, nous aurons affaire en permanence à de nouveaux virus. Nous sommes très inquiets.

Il y a une épidémie de fièvre jaune de-ci de-là, qui se déplace en Afrique. Il y a au Zaïre une épidémie de variole, qui est circonscrite dans un endroit très précis, que les épidémiologistes connaissent bien, mais souvenez-vous que le virus de la variole a théoriquement été éradiqué.

Vous avez vu ce qui s'est déplacé au Zaïre ces temps-ci. Dans cette salle, j'imagine que l'on en entend d'autres à ce propos, en d'autres séances. Si cette épidémie, par hasard, se déplaçait, il n'est pas du tout inenvisageable que nous ayons à refaire très vite de la vaccination antivariolique. Comment le ferions-nous ? Nous avons posé la question au ministre de la santé, à nos fabricants, etc.

J'ai peut-être eu tort de ne pas en parler, parce que c'était peut-être loin, mais l'introduction du virus lui-même dans cette préoccupation est absolument nécessaire. Et il y aura d'autres espèces que nous ne connaissons pas, les rétrovirus en particulier.

Nous avons également eu à nous féliciter des efforts de recherche et de la façon dont, très vite, des médicaments nouveaux sont trouvés. On ne va pas seulement accabler l'industrie pharmaceutique ; lorsque l'on n'en a pas, on est bien démuni. Il faut vraiment saluer la façon dont, en quinze ans, les antirétroviraux et les antiprotéases ont changé la face de la maladie SIDA et donné de l'espoir à beaucoup.

Je vous rappelle que, dans notre pays, cette année, il y a eu 57 % de mortalité en moins chez les malades du SIDA. Nous devons là aussi développer notre recherche.

Pardon d'être faussement lyrique, mais je pense que la meilleure façon de répondre aux craintes légitimes de nos concitoyens, c'est peut-être de les informer seulement, et de leur faire partager à la fois nos espoirs et un certain nombre de résultats des recherches internationales et des recherches françaises.

Il y a là une façon de considérer l'avenir avec autre chose que de la crainte.

J'ai inauguré au Ministère de la santé ce que l'on appelle les "mercredis de Ségur", et il n'y a eu pour l'instant que deux ou trois séances. Nous avons décidé, à partir de septembre -Monsieur le Président, vous serez d'ailleurs invité- de mettre en oeuvre toute une série sur la peur en santé publique et c'est le sujet ; on devrait peut-être dire "risque et peur", mais pour que chacun des phénomènes soit analysé de façon contradictoire.

Pour la dioxine, c'est arrivé à toute allure et, honnêtement, même si l'on dit qu'il faut prendre cela très au sérieux, l'administration n'a pas été rapide sur cette affaire ;  c'est le moins que l'on puisse dire. Heureusement que des associations privées ont éveillé notre attention.

Nous devons en permanence développer la précaution, mais la précaution n'est pas seulement de nous méfier de ce qui nous arrive. C'est d'être préventifs, et c'est peut-être l'intérêt de cette commission environnement et santé qui se met en place.

M. Le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.

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