Table ronde III - Enjeux réglementaires -
Comment organiser l'expertise, comment l'articuler avec la
décision publique, quel contrôle ?
M. Le Président
-
Je présenterai les
différents participants.
Les experts sont, depuis quelques années, au centre d'un certain nombre
de controverses en France ou en Europe.
Dans notre domaine, la Commission du génie biomoléculaire a
été et est encore très critiquée -son ancien
Président est ici présent- dans le domaine de l'action
menée en matière d'autorisation d'essais de culture des plantes
transgéniques.
Il convient donc d'étudier ce niveau préparatoire à la
décision publique, qui se situe en amont de l'intervention proprement
politique.
Il est cependant nécessaire de ne pas oublier que nombre d'expertises se
situent désormais à un niveau supranational, dans l'enceinte des
organisations internationales et notamment de l'Organisation Mondiale du
Commerce.
Il semble bien qu'à ce niveau, les pays européens et la France
aient une politique de présence tout à fait insuffisante et, en
tout cas, ne sont pas à même de faire contrepoids à
certains pays comme les Etats-Unis, qui sont très bien
représentés, ou à des pays qu'ils influencent très
largement.
La composition même de ces Commissions d'expertise doit être
discutée car ici se placent des questions importantes comme celles ayant
trait à la présence en leur sein de consommateurs, de
défenseurs de l'environnement, c'est-à-dire de
représentants de ce que l'on appelle parfois la société
civile. Ceux-ci ne sont pas en tout cas la plupart du temps des scientifiques.
On pourrait aussi songer à la présence de politiques dans cette
sorte de commissions ; y ont-ils vraiment leur place, ou l'intervention de
ces derniers ne doit-elle pas plutôt se faire en aval ? Voilà
un certain nombre de questions qui sont posées, que l'on a
discutées avec vous lors des auditions privées.
Autour de cette table, nous avons :
- Monsieur Guy Riba, directeur de recherche à l'INRA,
Directeur des productions végétales,
- Monsieur João Magalhães, conseiller,
secrétaire assistant de l'Accord sur les mesures sanitaires et
phytosanitaires de l'Organisation mondiale du commerce,
- Monsieur Axel Kahn, directeur de recherche à l'INSERM,
ancien Président de la Commission du génie biomoléculaire,
- Madame Corinne Lepage, ancien ministre de l'environnement,
- Monsieur Dominique Dormont, médecin, chef du service de
neuro-virologie du CEA, qui a beaucoup travaillé, qui a
été auditionné par nous sur le problème de
l'encéphalite bovine spongiforme,
- Monsieur Marc-William Millereau, administrateur de&nb
sp;France Nature Environnement.
Après cette petite introduction, je vous donne la parole.
M. Magalhães
-
J'avais préparé une
petite introduction de cinq minutes. J'essayerai d'en prendre quelques lignes
générales, mais vous avez dit en introduction quelque chose
qui m'a fait penser que je devais déjà revoir ma copie.
Vous avez dit que des décisions se prenaient au niveau supranational,
notamment à l'OMC. J'aimerais qu'il soit clair qu'à l'OMC, les
décisions sont prises par consensus par les pays membres et que
l'OMC n'est certainement pas l'organisation internationale qui dicte ou qui
établit des normes scientifiques ou techniques.
Je pense que tout le monde est probablement au courant qu'à ce niveau,
les pays membres de l'OMC se sont mis d'accord lors des négociations de
l'Uruguay, sur le fait qu'en matière de santé humaine, c'est le
Codex
à la FAO, qui doit établir les normes
internationales.
Au niveau de la santé animale, c'est l'OIE, et je me trouve d'ailleurs
actuellement à Paris parce que j'assiste à la session annuelle de
la BSE de l'OIE, qui se tient en ce moment.
En matière de protection des végétaux, c'est le
Secrétariat de la convention internationale de protection des
végétaux.
Ce que fait l'OMC est donc effectivement, dans la mesure où les pays ont
négocié dans le cadre de cette négociation de l'Uruguay,
un accord sur l'utilisation des mesures sanitaires et phytosanitaires. L'OMC a
effectivement un regard dans ces affaires ; elle établit des
règles internationales pour le commerce, mais je
répète que les règles sont négociées entre
tous les membres.
Monsieur le Président, vous avez indiqué que la France et
l'Europe n'étaient pas assez présentes. Il y a eu sept ans
de négociations et, étant déjà dans l'agriculture
à l'époque, notamment dans les matières sanitaires et
phytosanitaires, je peux vous dire que la France et l'Europe étaient
très présentes.
A l'heure actuelle, cet accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires
couvre un certain nombre de mesures prises pour protéger la santé
des humains, des animaux, pour protéger les végétaux.
Dans le cadre de cette commission, on discute des organismes
génétiquement modifiés, et c'était un peu sur ce
point que j'avais préparé mon introduction. Je souhaiterais qu'il
soit au moins clair à la fin de la présente réunion qu'il
n'y a pas à ce stade de règles parfaitement claires à
l'OMC pour prendre ces affaires en main.
Nous savons tous qu'au niveau des échanges internationaux, les
échanges de produits génétiquement modifiés sont
très importants. Nous savons aussi qu'il y a des menaces plus ou moins
directes ou indirectes de certains pays membres de l'OMC, de présenter
ces problèmes à l'OMC et à son organe de règlement
des différends. Cela se dit mais, pour l'instant, le problème des
organismes génétiquement modifiés n'a encore jamais
été discuté à ce jour. Officiellement, dans les
enceintes de l'OMC, il n'y a absolument aucune discussion.
Il faut tout de même dire qu'il y a deux approches, qui ne s'excluent
d'ailleurs pas nécessairement :
- L'une selon laquelle les règles de l'OMC existent ; on a cet
accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ; ce sont des
questions de santé, de vie. Les problèmes que nous avons sont
très similaires à ceux, par exemple, de la BSE, que vous venez de
mentionner.
En ce moment même, une commission à l'OIE planche sur ce sujet.
- En même temps, ces problèmes peuvent être semblables,
mais ce sera à tous les pays membres de l'OMC de décider si l'on
appliquera ces règles ou pas, si les règles qui sont sur la table
sont suffisantes, si elles sont assez sûres, si elles garantissent les
droits des pays, notamment si elles maintiennent la souveraineté des
pays à prendre leurs décisions dans ce domaine.
Cela peut donc se faire uniquement de deux façons :
- La négociation ; il faut amener le sujet sur la table de
négociations de l'OMC et le négocier entre les pays membres
- Une plainte qui pourrait venir d'un membre et qui, pour un cas
spécifique, sera éventuellement résolue par ce que l'on
appelle un groupe spécial ou un panel, qui devra donner son avis sur la
question.
Un panel a récemment donné un avis sur la question de
l'utilisation des hormones de croissance pour les animaux.
M. Riba
-
Pourquoi faut-il une réglementation ?
Si l'on répond à cela, on dira que c'est parce qu'elle est
attendue, exigée par la société, débattue,
médiatisée, parce que les politiques en ont également
besoin.
Si je pose maintenant la question : "une réglementation, pour quoi
faire ?", la réponse est totalement différente. Elle
comprend deux parties : d'une part pour défendre des
intérêts, d'autre part pour définir des
responsabilités.
1° Défendre des intérêts ; dans le premier
cas, lorsque je demandais "pourquoi", c'étaient essentiellement des
problèmes de consommateurs et d'environnement qui sortaient. Si je
demande maintenant "pour quoi ?", il sort le problème du
consommateur, celui de l'environnement, mais aussi celui de
l'intérêt national de l'agriculture et de l'économie
nationale, celui des agriculteurs, celui de la science et de la
communauté scientifique.
C'est totalement différent. Ce que je veux simplement dire par cette
première introduction, c'est qu'il faut sortir la réglementation
d'une démarche réactive dans laquelle elle est actuellement, pour
la positionner dans une démarche proactive, ce qui est à mon avis
l'attitude de nos concurrents d'Outre-Atlantique.
2° Définir des responsabilités ; c'est parce
qu'à l'heure actuelle, on est dans un cercle un peu
compliqué et vicieux de décisions ; on ne sait plus
très bien qui pilote cette situation. Il est important
d'éclaircir ce point.
En second lieu, il y a une crise forte de l'expertise et, en troisième
lieu, il faut identifier éventuellement des coupables en cas de
problème.
Je vais maintenant décliner cela rapidement : où sont les
intérêts pour les consommateurs ? C'est ainsi que je pose la
question, et je déclinerai en termes de réglementation.
Le consommateur veut voir respecter un peu son droit moral, qui est celui du
droit de vote du porte-monnaie. Il veut savoir ce qu'il achète et il
veut pouvoir choisir. Cela nous amène à l'étiquetage, mais
poser la question de cette façon signifie qu'il n'y a plus qu'une seule
réponse possible : il faut d'un côté ce qui est avec
OGM et de l'autre, ce qui est sans OGM. Il n'y a pas d'autre alternative.
Cela a un coût, celui de la traçabilité, et cela a une
contrainte technique, celle du seuil de détection.
Dans le contexte actuel, je pense qu'il faut distinguer deux grands groupes de
production :
- les filières spécifiques, fruits et légumes
par exemple, qui sont déjà très segmentées, et pour
lesquelles ce type d'étiquetage ne pose aucun problème
particulier,
- toute l'alimentation de base, qui résulte notamment
d'importations massives, où il y a un gros problème du fait qu'il
y a déjà importation massive de denrées de base contenant
des produits transgéniques pour partie.
Qui payera ? Quel est le seuil ? Quelle est la technique que l'on
peut exiger derrière cela ? Ce sont des techniques d'ordre
moléculaire, et l'on sait qu'à l'heure actuelle, le seuil sur
lequel les experts s'entendent est de l'ordre d'une détection de
0,1 %. On peut donc garantir un produit sans OGM à 0,1 %
près.
En second lieu, qui payera cela ? Cela aura probablement des incidences
sur l'aval, sur le consommateur, et probablement dans ce cas sur les
filières sans OGM.
Le deuxième point par rapport au consommateur, c'est de garantir
très en amont l'innocuité, la toxicité, la non
allergénicité, etc. Qui fait cela ? Je pense que la logique
est de rester, au moment des demandes de dépôts de dossiers
d'homologation.
Je pense qu'il doit y avoir des tutelles pour le moins françaises (CGB,
Comité hygiène, etc.), où l'on peut s'interroger sur une
harmonisation au niveau européen de ces approches.
A la charge de qui ces études sont-elles conduites ? A mon sens,
c'est logiquement à la charge du pétitionnaire. Dans ce cas, on
pourrait se mettre en parallèle avec ce qu'il se passe pour les
phytosanitaires.
Posons maintenant la question : "où sont les intérêts
pour les agriculteurs et l'agriculture ?" On entre inexorablement
dans un processus de "contractabilisation" ; vous savez d'autre part qu'il
y a une concentration des fournisseurs agroalimentaires, que l'Europe est
dépendante, par exemple, de 75 % de ces protéines
végétales, et que le prix de revient du maïs
américain est de 30 dollars de moins la tonne que celui du
maïs européen.
Dans ce cas, je dis clairement qu'à mon avis, si l'on entre dans la
logique proactive, la réglementation doit favoriser la distinction des
produits européens par rapport aux produits outre-Atlantique. Elle doit
nous aider.
Dans ce cas, cela signifie que l'on doit s'orienter vers une démarche de
qualité, et la réglementation doit donc nous aider à
mettre en exergue la qualité des productions françaises ou
européennes par rapport à nos concurrents.
Dans le même temps, il faut :
- préserver la multiplicité des systèmes
d'exploitation et des types d'agriculture (biologique, etc.) ;
- définir des créneaux, puisque l'on part sur la
qualité et la segmentation ;
- favoriser la caractérisation objective des produits ;
- probablement privilégier la baisse des intrants, puisque c'est ce
qui peut nous permettre de nous positionner le mieux.
L'exemple type est la vigne. Tout le monde dit que le vin français est
le meilleur au monde, mais vous devez savoir que la vigne est la culture dans
laquelle on met le plus d'intrants, et que l'Europe est l'endroit où
l'on en met le plus, et de très loin. Les Américains, les
Australiens, etc. en mettent très peu.
On peut donc se faire attaquer très fortement sur les intrants
xénobiotiques phytosanitaires qui sont dans la vigne et le vin en
Europe. Si l'on veut contrer cela, peut-être faudra-t-il
développer de la transgénèse, mais vous voyez que la
manière d'introduire la transgénèse est
complètement différente. On fait de la transgénèse
pour se positionner par rapport au reste.
Si je pose la question "Où sont les intérêts pour
l'environnement ?", il s'agit de préserver les diversités
biologiques. Je dis bien "les diversités biologiques" au sens structural
et au sens fonctionnel.
Si l'on pose la question ainsi, cela signifie que ce n'est plus la
fréquence de l'événement qui compte, mais les
conséquences sur l'environnement des événements que
l'on suppute. Et vous voyez que la manière de raisonner et de
traiter le problème est complètement différente.
On se moque que les flux de gènes soient peu nombreux ; même
s'ils ont lieu, ce qui compte c'est de savoir quelle est la conséquence
de cela pour l'environnement, et c'est une autre manière de poser le
problème.
Si on le pose ainsi, on se rend compte que, dans les commissions classiques du
type CGB, certains types de questions peuvent être traités. Par
exemple, pour le maïs
Bt
, l'entomofaune, les risques sur
l'entomofaune, les flux de gènes dans le sang et dans le tube digestif.
C'est du ressort de la CGB.
En revanche, les suivis du risque d'apparition de pyrale résistante,
c'est vraiment un problème de biovigilance, car c'est directement
lié à la mise sur la culture, à l'espace et au temps.
Où sont les intérêts pour la science ? La
génomique est une occasion extraordinaire d'accès à la
connaissance. En second lieu, c'est une possibilité incroyable et toute
nouvelle d'exploitation et d'amélioration des ressources
génétiques.
Dans ce cadre, la réglementation doit préserver cela. Il y a deux
aspects :
- la réglementation doit essayer d'empêcher la captation des
ressources génétiques par les grands groupes ;
- il faut de façon urgente changer le droit des brevets, notamment
sur la protection du vivant et des séquences. Un exemple est très
simple : à l'heure actuelle, lorsque les séquences des
génomes sont lâchées dans les ordinateurs, lorsque des
chercheurs français le font, c'est immédiatement du domaine
public, et lorsque les chercheurs américains font la même chose,
ils disposent d'un an pour protéger les séquences. Le contexte
est complètement différent.
M. Le Président
-
Merci. Je demande
maintenant à Monsieur Dormont, qui a eu l'expérience d'un
autre problème, celui de la "vache folle", de nous indiquer la
façon dont il a vécu cela.
En alertant les pouvoirs publics, avez-vous eu l'impression d'avoir
été suivi à un certain moment ou pas suivi ?
Qu'est-ce que le problème qui nous préoccupe aujourd'hui peut-il
avoir de commun ? Dans l'esprit des individus, c'est dangereux parce qu'il
y a le sang contaminé, la "vache folle", un certain nombre de
catastrophes, et l'on prend actuellement des risques.
M. Dormont
-
Je pense tout d'abord qu'il y a en fait deux
parties du domaine scientifique où l'expertise agit en synergie ou en
association avec l'administration et le politique, que l'on peut
schématiser en problèmes déjà posés par les
scientifiques, reconnus par la communauté scientifique, et des
problèmes non-posés par la communauté scientifique et qui
n'ont pas été reconnus comme tels.
A cela il faut ajouter une deuxième dichotomie : la masse critique
scientifique dont le pays dispose sur un sujet donné. En matière
d'organismes génétiquement modifiés, la France est
très riche en généticiens, en biologistes
moléculaires. Il y a une densité d'expertises tout à fait
importante, alors que, sur le point particulier de l'encéphalopathie
bovine spongiforme, la masse scientifique était quasiment nulle.
Le nombre de laboratoires et même d'individus travaillant sur le sujet se
comptait sur les doigts d'une main lorsque le problème a commencé.
Cela peut parfois poser problème au décideur, puisqu'il n'a pas
le choix de ses experts ; il est obligé de prendre ce qu'il y a
dans le deuxième cas.
L'autre problème qui m'est apparu au cours de ces quelques mois de
crise de la "vache folle", a été d'abord une
nécessité très importante d'explication des doutes. C'est
probablement le premier message qu'il est important de faire passer, que ce
soit à la communauté scientifique qui se trouve face
à un problème nouveau, avec des concepts nouveaux
microbiologiques, ou à ceux qui sont chargés de l'administration
ou de la décision politique.
Il s'agit d'expliquer les limites précises de la connaissance actuelle,
et d'introduire le doute en face de chaque nouvelle information, rumeur ou
avancée scientifique, et de bien délimiter le terrain des
connaissances de façon à ce que l'on n'extrapole pas, à
partir de modèles non-pertinents, des décisions de santé
publique.
L'autre point qui me paraît important est la collégialité
de l'expertise. C'est une banalité mais je pense qu'il faut le
redire : l'expertise doit être collégiale, et ceux qui sont
chargés de la décision doivent admettre qu'un avis d'experts
puisse ne pas être unanime.
La science a le droit de ne pas être unanime. Les concepts sont
différents en fonction de la culture de chacun, selon qu'il est plus
proche des disciplines de santé publique ou plus proche de la biologie
fondamentale, par exemple.
Il faut donc admettre cette diversité des avis, tout en reconnaissant
que, probablement, lorsque les avis sont unanimes, ils sont d'autant plus
forts. Mais il faut admettre l'absence d'unanimité et la
collégialité.
Surtout, pour la bonne gestion des rapports avec ceux qui sont chargés
de la décision et de son application, il faut éviter la confusion
des rôles. L'expert scientifique n'est pas un conseiller. Un conseiller,
c'est quelqu'un qui est chargé de proposer à un ministre,
à un directeur général d'administration, une solution
globale à un problème posé.
Le conseiller scientifique apporte l'état actuel des connaissances sur
un sujet précis. Il fait donc partie de l'un des facteurs qui
amèneront à l'étude et à la décision. Il ne
faut donc certainement pas mélanger les deux notions, et ce souci de ne
pas les mélanger doit être accompagné d'une grande
transparence, et surtout d'un autre souci qui est le mélange des
communications.
Il ne faut pas que la communication du scientifique semble être un relais
de la communication du politique, et inversement. En effet, il y a alors une
certaine conscience de la population d'un parapluie qui s'ouvre sans autre
démarche intellectuelle.
Enfin, je voudrais réagir aux propos du premier orateur sur la crise des
experts. Vous avez eu raison, Monsieur, de souligner combien les commissions
internationales manquaient souvent de Français. Cela peut s'expliquer
par plusieurs faits.
En premier lieu, ces commissions sont très "chronophages". Elles
prennent beaucoup de temps. Or, plus on passe de temps en commission, moins on
en passe dans les laboratoires. Il y a donc un équilibre à
trouver entre le maintien de l'expertise scientifique et l'exercice
administratif de l'expertise.
En deuxième lieu, il n'existe pas en France de système d'aide aux
experts. En d'autres termes, un beau matin, en reconnaissance de la valeur
intrinsèque du groupe de recherche que vous animez, on vous envoie dans
une commission qui va vous prendre beaucoup de temps et d'énergie, mais
rien n'est fait en aval pour vous faciliter le travail dans votre laboratoire,
pour vous aider, vous apporter un secours administratif, un simple secours de
secrétariat.
Il n'y a donc pas cette politique qu'ont les anglo-saxons, de mettre les moyens
logistiques lorsqu'ils désignent un expert à une commission
donnée.
M. Millereau
-
I
l ne paraît pas inutile de
préciser la position de France Nature Environnement d'un point de vue
plus général. Nous entrerons dans le vif du sujet sur les enjeux
réglementaires, mais je voudrais rappeler d'une phrase la position
associative à ce niveau.
Eu égard aux risques qui semblent déjà prévisibles,
eu égard surtout aux insuffisances dans la connaissance, notamment par
rapport aux flux de gènes, et aux incertitudes scientifiques qui
demeurent et qui en sont la résultante, FNE, avec d'autres organisations
groupées au sein d'une plate-forme associative, qui réunissait
des agriculteurs, des consommateurs, des environnementalistes, s'est
prononcée en faveur d'un moratoire général sur la
dissémination des OGM, entendant par "dissémination" mise sur le
marché et mise en culture.
Ce moratoire incluait le maïs transgénique et poussait au
développement de la recherche, acceptant en cela le principe de
dissémination à titre d'exception à des seules fins
expérimentales et de manière très contrôlée.
Telle est la position synthétique de FNE.
Sur les enjeux réglementaires, je réagis à la question
posée par Monsieur Riba : pourquoi une
réglementation ? Nos interprétations sont sensiblement
différentes en termes de priorités.
A cette question, Monsieur Riba opposait deux conceptions qui
étaient de se diriger vers une démarche proactive en opposition
à ce qu'il jugeait être une démarche réactive. Nous
pensons que l'indispensable est d'avoir une démarche préventive.
C'est en cela que le fait de définir des modalités d'expertise,
d'évaluation qui soient satisfaisantes passe par la définition de
la notion précise de risque biotechnologique, qui doit s'appuyer sur la
stricte application d'un principe : le principe de précaution.
Le fait de démarrer d'une définition de la notion de risque
biotechnologique signifie lui reconnaître sa spécificité
et, pour nous, elle est issue d'une double nature, qui tient d'une part un
caractère potentiellement irréversible, et qui a d'autre part
cette difficulté d'évaluation.
Concernant le caractère potentiellement irréversible, de fait,
une fois libéré, un transgène dans le milieu ouvert
connaîtra un devenir difficile à cerner, qui dépendra des
caprices de la sélection naturelle mais qui, en tout état de
cause, ne sera pas maîtrisé.
S'il est sélectionné, le retour en arrière semble
improbable.
Dans le cadre de la difficulté d'évaluation, le contexte est une
controverse scientifique quant à l'évaluation précise des
risques biotechnologiques. De ce fait, il y a une prise en considération
au niveau international, une traduction juridique du risque biotechnologique.
C'est inclus dans la convention de Lugano de juin 1993 sur la
responsabilité civile due aux dommages de certaines activités
considérées comme potentiellement dangereuses pour
l'environnement.
La production, la libération, le stockage, toutes les opération
mettant en oeuvre des OGM avaient été considérées
comme constitutives d'un risque significatif pour l'homme, l'environnement et
les biens. Tel est le contexte, la traduction juridique.
Pour revenir à l'évaluation, on peut déjà dire que
l'on manque d'approche globale. C'est important parce que, si l'on veut obtenir
une appréciation qui soit responsable par rapport à des
applications biotechnologiques qui nous sont proposées, il faudrait
pouvoir tenir compte de certains risques qui doivent être contenus dans
la notion de risque biotechnologique, qui sont par exemple les risques
socio-économiques aussi. Il y a un manque d'approche globale à ce
niveau.
En second lieu, dans le rapport de l'approche de la nécessité ou
de l'utilité d'un modèle biotechnologique proposé, on peut
regretter bien souvent qu'on ne lui oppose pas des méthodes alternatives
existantes. Par exemple pour la pyrale, on n'a pas assez entendu parler d'un
mode alternatif qui était la voie biologique et l'utilisation du
trichogramme, par exemple.
Les compare-t-on réellement au moment de l'appréciation ? Au
moment de déduire une utilité ou une nécessité,
peut-on se poser cette question ?
D'autre part, si l'on focalise vraiment sur les risques écologiques et
sanitaires, il nous paraît indispensable d'obtenir une évaluation
qui soit transdisciplinaire. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'on se
donne le temps d'observer, parce que les interactions entre des OGM
libérés et le milieu ouvert ne sont pas de nature à nous
apparaître immédiatement.
Si l'on se réfère à un domaine voisin -et il devrait y
avoir une référence plus systématique- celui de
l'introduction volontaire ou involontaire des espèces
non-endémiques dans un milieu, on peut prendre l'exemple des
crépidules introduites de manière fortuite lors du
débarquement en juin 1944, qui étaient collées au
fond des barges américaines et qui posent maintenant un problème
pour la production d'huîtres.
Lorsque j'ai parlé de transdisciplinarité, cela appelle quelques
propositions, peut-être au niveau de la CGB, qui est chargée de
cette évaluation et de cette expertise. Il est urgent que l'on puisse
avoir une approche collégiale, comme le disait mon voisin, et
j'ajouterai transdisciplinaire.
C'est aux côtés des biochimistes et des biologistes
moléculaires que nous devons avoir des écologues, des juristes de
l'environnement, des malherbologues. L'approche doit être vraiment
transdisciplinaire.
Au niveau de la méthode, elle doit effectivement être
contradictoire. Mon voisin disait que la science avait le droit de ne pas
être unanime. Dans le cadre d'une appréciation transdisciplinaire,
avec des intérêts si divergents, on ne voit pas comment elle
serait unanime dans la majorité des cas. Les avis doivent être
motivés et les opinions divergentes doivent être
mentionnées dans les motivations.
D'un point de vue plus général, la réglementation
doit aussi satisfaire à l'information et à la concertation avec
la population. Or, dans la réglementation en vigueur jusqu'alors, ce
n'est pas garanti de manière satisfaisante. La loi de 1992, qui
intégrait les deux directives, présente des lacunes incroyables
au niveau de l'information directe. L'information indirecte est à peu
près satisfaite, mais l'information directe l'est beaucoup moins.
Le rapporteur Daniel Chevallier avait préconisé une
enquête auprès du public. Au bout du compte, on a une
méthode un peu anglo-saxonne de dépôt en mairie, qui n'est
pas satisfaisante à cet égard. Il n'y a pas de communication de
l'expertise ; même si les citoyens n'ont pas les compétences
pour apprécier une expertise, ils pourraient au moins, sur cette base,
commander une contre-expertise.
Cela appelle aussi à d'autres propositions, celle de l'utilité de
la création d'un Comité permanent contradictoire de
contre-expertise. La réflexion avait été entamée au
niveau du CNPN ; nous nous y sommes attachés.
Au niveau de la biovigilance, il est important de définir des protocoles
qui soient satisfaisants, et de s'interroger sur le fonctionnement du
Comité de biovigilance. Selon certaines sources, le comité ne
serait pas pour l'instant en mesure de fournir un inventaire des sites de
dissémination en France, par exemple.
Il y a de nombreuses questions, et nous y reviendrons.
M. Le Président
-
Madame Lepage, vous
qui avez été Ministre de l'environnement, qui avez pris des
décisions concernant l'importation et la mise en culture des plantes
transgéniques, qui avez vu le système fonctionner, que
pensez-vous de l'organisation de l'expertise ?
Comment l'articuler avec la décision publique ? Quel
contrôle ? Faut-il le changer ? Pensiez-vous le faire ?
Mme Lepage
-
Monsieur le Président, à
l'écoute de tout ce qui vient d'être dit, j'ai deux observations
préliminaires.
Tout d'abord, je vous remercie d'avoir organisé ces auditions publiques
et cette Conférence de Citoyens, même si elle arrive un peu tard.
Je pense que c'est un progrès considérable pour notre
fonctionnement à tous, et je souhaitais le dire.
En second lieu et sur la même ligne, certains demandaient s'il fallait de
la réglementation ; j'allais dire "peut-on encore en faire ?"
Autrement dit, je me donne parfois l'impression que nous sommes des coureurs
à pied derrière un TGV, que nous avons non pas une guerre mais
dix guerres de retard, et que les choses sont déjà tellement
avancées qu'en définitive, que pouvons-nous encore faire ?
Par exemple, on peut se réjouir de la décision qui a
été prise au niveau de l'Union européenne sur les
conditions d'étiquetage des OGM, mais cette décision aurait
dû être prise bien avant que l'on accepte l'importation des OGM. En
effet, en attendant, nous avons tous allègrement consommé depuis
des mois des OGM sans le savoir et sans pouvoir décider de les consommer
ou pas.
Tout cela arrive tard. Je pense que ce n'est pas une raison suffisante pour ne
pas agir, et le sujet de l'expertise m'apparaît central, tant au niveau
de la prise de décision publique qu'au niveau de l'information
complète du public.
Ce que vous disiez il y a un instant, Monsieur, sur l'impossibilité pour
les citoyens de pouvoir disposer d'une expertise et d'une contre-expertise est
très important. La question de l'information du public est tout de
même très importante.
J'ai écouté Monsieur le représentant de l'OMC avec grand
intérêt, mais je ne puis pas cacher ma très grande
inquiétude lorsque j'apprends dans la presse qu'actuellement, des
efforts considérables sont faits auprès du
Codex
Alimentarius
, l'organisme chargé d'élaborer les règles
en matière alimentaire, pour interdire l'étiquetage au niveau de
l'OMC pour les OGM. C'est donc tout de même un problème
très important.
Je m'inquiète en constatant que quatorze états américains
ont voté une loi pour interdire la diffusion d'informations
erronées ou préjudiciables en matière d'alimentation.
Sachant que nous courons bien souvent derrière des
réglementations qui ont été prises aux Etats-Unis, un
certain nombre d'années avant d'intervenir nous-mêmes, je suis
inquiète.
Je pense que le combat sur l'information du public est absolument central.
En second lieu, concernant la prise de décision publique, je partage
tout à fait les propos du professeur Dormont. Je dois dire ici
combien le travail qu'a fait sa commission nous a été d'une
très grande utilité et d'un très grand secours dans la
gestion a posteriori de la question de l'ESB, car ce qui est important en
réalité, c'est d'intervenir en amont.
A la suite des propos de Monsieur Riba, je dirai qu'à
l'extrême, si l'on a bien travaillé, on ne devrait pas se poser la
question de la responsabilité. Le problème de la
responsabilité ne se pose que parce que, depuis des années, nous
avons eu une manière de faire telle que toute une série de
questions ne s'est pas posée, que nous sommes arrivés à
une succession de catastrophes et qu'ensuite la question des
responsabilités s'est posée.
Maintenant, nous apprenons à nous poser la question de la
responsabilité. Le problème, c'est de savoir comment faire en
sorte que la procédure et l'expertise soient organisées de telle
manière qu'en amont, les bonnes décisions puissent être
prises.
La première condition, me semble-t-il, est incontestablement celle de
l'expertise dont le professeur Dormont disait qu'elle devait être
collégiale. En utilisant un terme à la mode, on pourrait dire
qu'elle devrait être plurielle.
Je veux dire que le temps de l'expertise unique m'apparaît devoir
être totalement révolu. L'expertise lénifiante, sur le
thème "circulez, il n'y a rien à voir" m'apparaît nous
avoir conduits à assez de catastrophes pour devoir désormais
être complètement évitée.
Si l'on reprend les rapports qui ont pu être faits depuis un certain
nombre d'années, que ce soit sur l'amiante, sur les dioxines (sujet
actuellement sur la place publique) ou sur d'autres thèmes, on peut y
lire que tout va très bien et qu'il n'y a rien à faire. Je peux
vous sortir, Monsieur le Président, une série de rapports dont
j'ai eu connaissance, dans lesquels on trouve ce genre de conclusion.
Je pense donc que ce qui est très important, c'est de mélanger
des expériences diverses au sein de l'organisme expertal. Non seulement,
comme vous le disiez tout à l'heure Monsieur le professeur Dormont,
il faut admettre pour les décideurs qu'il ne peut pas y avoir d'avis
unique, mais l'avis unique est à mon sens dangereux.
En effet, si des experts venus d'horizons très différents disent
tous exactement la même chose, je me pose des questions. Au contraire, je
pense qu'il y a une légitimité aux débats et à des
présentations diverses d'un sujet.
Précisément, le propre du décideur -et c'est la grande
différence avec l'expert ou le conseiller-, c'est de devoir trancher
entre des avis qui peuvent être différents. Là où la
difficulté est très grande, c'est lorsque l'avis est unique et
que la procédure est organisée de telle sorte que l'on n'a pas le
choix de recourir à des avis différents.
D'où la nécessité d'une expertise multiple, de
l'organisation de contre-expertises, sous une forme ou sous une autre, et de la
légitimation des avis divergents. Comment ? Je crois tout
simplement -peut-être est-ce une déformation professionnelle- au
travers de ce que l'on appelle un débat contradictoire,
c'est-à-dire que l'on considère comme tout à fait normal
qu'il y ait des opinions divergentes et qu'elles puissent s'exprimer selon la
règle du contradictoire.
Il en sort alors quelque chose avec des opinions minoritaires, qui doivent
être prises en compte, et c'est ensuite au décideur de trancher,
au regard de ces opinions minoritaires.
Donc collégialité, débats contradictoires dans
l'organisation de l'expertise, et expression systématique de toutes les
opinions divergentes et minoritaires de manière à ce que le
décideur ne puisse pas dire qu'il ne savait pas. Il doit avoir eu toutes
les cartes en main et, à partir de ces cartes, il doit avoir eu la
responsabilité qui est la sienne. C'est justement la dignité du
politique, la noblesse de la chose, de décider et de prendre la
responsabilité de cette décision.
Cela nous conduit bien sûr aux conditions de la composition des
commissions qui, à mon sens, devrait être revue, de manière
à assurer la diversité de l'expression scientifique et, d'autre
part, à assurer la diversité, non pas forcément des
intérêts car je crois que là aussi il y aurait un
débat à mener, mais des intérêts
généraux qui sont à prendre en compte.
Pour conclure, je dirai que, dans la procédure, le moment du choix et
celui du recours à l'expertise sont absolument essentiels.
Je terminerai par où j'ai commencé : plus toutes ces
expertises peuvent se faire en amont, plus elles peuvent se faire par un
procédé itératif permettant aux décideurs
d'interroger l'expert sur des éléments dont il n'est pas
sûr, quitte à ce que l'expert ou la commission d'expertise lui
réponde (je ne sais pas parce que c'est aussi l'une des réponses
possibles, et il faut l'admettre en tant que décideur), plus la gestion
de l'incertitude peut être organisée au niveau de la
décision publique et moins nous commettrons d'erreurs.
Cela est vrai, me semble-t-il au niveau national comme au niveau international.
M. Le Président
-
Je demande maintenant
à Axel Kahn, qui a été président de la
Commission de génie biomoléculaire, qui a donc
étudié toutes les autorisations d'expérimentation, de nous
rappeler comment cela fonctionne et de nous donner son avis.
M. Kahn
-
J'aborderai le problème
général pour lequel vous m'avez demandé de venir ici,
c'est-à-dire témoigner sur la place et la nature de l'expertise.
Mon travail a été simplifié par la présentation et
les observations de Dominique Dormont, car je partage totalement ce qu'il
a dit des conditions dans lesquelles travaillaient les experts, des
insuffisances et des confusions qu'il fallait éviter.
Ma première observation est la suivante : dans le processus
décisionnel qui va aboutir in fine, dans le domaine qui nous
intéresse, à autoriser une consommation, une culture, une mise
sur le marché d'un produit, d'un végétal par exemple,
plusieurs éléments vont intervenir ; l'expertise
scientifique n'est que l'un de ces éléments, et le politique a
une responsabilité qui transcende la vie scientifique ; c'est
évident. Pour autant, naturellement, il ne peut se passer de l'avis
scientifique pour parvenir à sa décision.
Les exemples où les avis scientifiques sont soit très
discutés, soit concluent plutôt à une absence de risques
d'une procédure qui reste néanmoins interdite en domaine
agroalimentaire, sont bien connus et j'en comprends tout à fait les
raisons.
En Europe, par exemple, contrairement aux Etats-Unis, il y a le problème
de l'utilisation des hormones de croissance, des hormones de lactation chez les
animaux. Il y a également l'utilisation, pour la confection des
fromages, de la chymosine recombinante à la place...
Une intervenante
-
Elle est autorisée.
M. Kahn
-
En France, c'est sûrement depuis
peu !
L'intervenante
-
Depuis une quinzaine de jours.
M. Kahn
-
Je vous remercie de l'information. Je ne le
savais pas. Pendant très longtemps, la chymosine a été
interdite pour des raisons qui étaient particulières, et voici
des exemples d'une décision qui est plurielle et qui fera intervenir
l'expertise scientifique comme l'un des éléments, et
également le sentiment des citoyens, l'intérêt
économique, la sensibilité par rapport à ce
problème.
Revenons maintenant à l'expertise proprement-dite. Il ne faut pas se
tromper sur ce qu'elle est. Je parle de l'expertise a priori et non pas de
l'expertise a posteriori dont a très bien parlé
Dominique Dormont.
L'expertise a priori n'est pas naturellement la prévoyance de
l'avenir. Il faut demander cela à une voyante ; le scientifique ne
prévoit pas l'avenir. Tout ce que peut faire le scientifique dans son
travail d'expert, c'est comparer deux manières de faire, deux
procédures, et dire si, en fonction des expériences qui peuvent
être utilisées, des considérations théoriques, avec
une approche plurielle, il y a autant de risques, moins de risques, plus de
risques représentés par une procédure nouvelle par rapport
à une procédure ancienne.
Ce que l'on appelle "risques" doit être rappelé également.
Ce que fait l'expert, c'est tenter de parvenir à une notion qui est la
combinaison de deux éléments : le niveau de danger d'un
phénomène craint, et la fréquence supposée avec
laquelle ce phénomène peut survenir.
L'expert va donc tout d'abord évaluer indépendamment ces deux
éléments, puis il va donner un avis en disant qu'il lui semble
que cette nouvelle procédure est plus risquée qu'une ancienne,
plutôt moins risquée qu'une ancienne, ou qu'il ne voit pas de
différences entre les deux procédures quant aux risques dont j'ai
donné la définition.
Je donne maintenant quelques exemples quant au travail de la CGB, pour marquer
ce qu'il en est.
A la Commission du génie biomoléculaire, on va parler de trois
dossiers reconnus, qui permettent réellement de discuter.
Pour la résistance à la pyrale avec ce maïs
transgénique, la Commission du génie biomoléculaire a
considéré que, pour l'environnement et les consommateurs, cette
variété ne comportait pas de risques qu'elle puisse
déceler, et en tout cas certainement pas de risques a priori
supérieurs à ceux des méthodes actuellement admises de
lutte contre les parasites du maïs. Notre avis a donc été
favorable.
Concernant l'utilisation de gènes de résistance dans une plante
comme la betterave, nous avons dit depuis très longtemps qu'il
était tout à fait évident qu'à terme, on
retrouverait ce gène de résistance à un herbicide dans la
betterave, dans toutes les espèces qui échangent librement des
gènes avec cette betterave sucrière cultivée, et que l'on
trouverait donc des betteraves mauvaises herbes ayant cette résistance
à l'herbicide.
Il ne faut pas demander s'il y aura un flux de gènes.
Naturellement, il y en aura. Une plante transgénique est une
plante aux cinquante mille gènes à laquelle on a ajouté un
gène connu, qui se comportera dès lors exactement comme les
cinquante mille autres gènes de la plante.
Dès l'instant où ces deux formes de betteraves échangent
des gènes, elles échangeront aussi bien le transgène.
La question est donc de réunir les personnes concernées pour
discuter des conséquences réelles de ce phénomène.
Si l'on craint les conséquences, il ne faut pas aller de l'avant. Si
l'on considère qu'elles sont bénignes et que l'avantage que l'on
en attend leur est de loin supérieur, il faut aller de l'avant.
De la même manière, nous avons dit qu'en réalité,
pour le problème du colza, tout dépendait probablement de la
nature de la résistance à l'herbicide. Nous avons rappelé
un phénomène évident : la dissémination d'un
gène de résistance à l'herbicide est au départ un
risque pour l'industriel qui commercialise l'herbicide, puisque cela pourrait
engendrer le fait que cet herbicide ne soit plus utilisé.
Pour autant, si l'herbicide en question est un produit très
intéressant pour la pratique agricole, pour les agriculteurs, il ne
serait pas bon d'en perdre l'utilisation possible et, là encore, il faut
faire discuter les personnes responsables pour décider de ce que l'on
désire, dans le cadre d'une confrontation plurielle entre les
agriculteurs, les sélectionneurs, etc.
La commission a donc proposé ses expertises, en fonction desquelles le
pouvoir politique a à prendre les décisions.
Lorsque des incertitudes étaient relevées, nous avons
proposé qu'il y ait deux possibilités -cela se fait actuellement
au niveau européen et je m'en réjouis car c'est une proposition
française de longue date- :
- décider de stopper un projet qui nous semblait trop incertain
- ou, parce que l'on considérait que le risque était faible
en réalité et faible par rapport à l'avantage que l'on en
attendait,
. aller de l'avant mais avec la possibilité de revenir sur cette
décision,
. dans des conditions où les pétitionnaires
précisaient très bien le contrôle qu'ils assuraient
à leurs essais, se donner le moyen, par une commission de suivi, de
relever des paramètres dont, en fonction des résultats, il
pourrait être décidé ultérieurement de cesser cette
autorisation, de revenir sur cette décision, ou de la proroger.
Voilà ce qui m'a semblé le travail nécessaire des experts.
La Commission de génie biomoléculaire, dont la composition n'a
naturellement pas du tout été décidée par ses
membres ni par son Président, était et voulait être une
commission qui, contrairement à la Commission du génie
génétique, par exemple, permette aux représentants des
différentes sensibilités de la société de se faire
entendre. Peut-être faut-il que ces sensibilités se fassent
entendre plus encore.
Par exemple, depuis très longtemps, notamment depuis la loi de 1992,
quelqu'un était censé représenter les associations de
défense de l'environnement -je crois que c'était un membre de
France Nature Environnement- et il y avait un membre des associations de
consommateurs. Je ne connais d'ailleurs pas les critères selon lesquels
ils étaient choisis.
De la même manière, il y avait des représentants des
syndicats de travailleurs, des syndicats patronaux, un représentant du
monde politique, etc.
Le dernier point important -je réinsiste avec Dominique Dormont sur
ce point- c'est qu'il est malsain et pervers de demander à l'expert
d'être un conseiller politique. En fonction de sa conviction plurielle,
d'une commission, l'expert dit ce qu'il croit devoir dire à la question
qui lui est posée, ce qui peut certes être toujours perfectible.
Il ne dit pas si le projet lui est sympathique. C'est un élément
qui dépasse l'expertise.
La Commission du génie biomoléculaire n'avait pas à
apprécier directement les risques "socio-économiques". Cela dit,
contrairement aux autres commissions européennes, elle a toujours
attiré l'attention des politiques sur l'éventuel risque
"socio-économique", par exemple quant au problème pour
l'agriculteur d'une perte d'un produit très important.
Mais il m'est arrivé plusieurs fois, par exemple pour la betterave et le
colza, de me trouver dans une situation où, après un avis, le
pouvoir politique renvoyait cette question à la Commission : "Votre
discours est opaque ; faut-il accepter ? Faut-il refuser ?"
La réponse de la Commission du génie biomoléculaire
était qu'elle ne pouvait pas répondre à cela, que
c'était vraiment une décision politique dont les
éléments décisionnels étaient de natures diverses,
que c'était ce que l'on pouvait lui en dire en tant qu'expert.
Il y a parfois une certaine difficulté, me semble-t-il, à
vraiment considérer que l'expertise scientifique est l'un des
éléments dont on ne peut pas se passer, mais pas le seul
élément d'une prise décisionnelle. En aucun cas l'expert
scientifique ne peut voir son rôle mélangé avec celui d'un
conseiller en matière de prise de décision.
M. Le Président
-
Merci beaucoup. Beaucoup
de problèmes ont été évoqués, et je voudrais
poser une première question : Vous avez parlé de l'expert
conseiller par rapport aux politiques ; vous avez dit que l'expertise
devait être contradictoire, collégiale, que les citoyens devaient
être associés, peut-être pas sous la même forme.
On n'a pas parlé de la coordination entre l'expertise nationale et
l'expertise européenne. C'est un point important.
C'est assez compliqué. Pour la dissémination volontaire à
des fins expérimentales, il y a d'abord une saisine de la CGB, qui donne
son avis, qui le transmet au Ministère de l'agriculture, qui informe la
Commission européenne, qui informe les Etats-membres.
C'est pour la partie autorisation annuelle d'expérimentation, question
que vous posiez tout à l'heure, Monsieur Millereau, en demandant la
carte. On les a dans les rapports de la CGB, mais il faudrait effectivement que
ce soit public. En tout cas, c'est l'une des propositions que je ferai.
Pour l'autorisation de la mise sur le marché, c'est beaucoup moins
clair, parce que c'est encore plus compliqué. Certains ont dit ce matin
dans la table ronde qu'il fallait un moratoire, ce que vous avez dit, du groupe
"Agir pour l'environnement" ; d'autres ont dit qu'il fallait aller plus
vite. Lorsque l'on est entre ces deux demandes, il faut trancher sur
l'autorisation de mise sur le marché.
Sont saisis le Comité technique permanent de la sélection, le
Comité supérieur de l'hygiène publique française,
la saisine de la CGB, ainsi que la Commission des toxiques en cas de
problèmes. Cela va au Ministère de l'agriculture, cela part
à la Commission européenne s'il y a un avis favorable ; il y
a une consultation des Etats-membres pour savoir s'il y a des objections ou pas
et, selon la réponse, cela revient au Ministère de l'agriculture
et il y a une inscription éventuelle au catalogue des semences.
C'est un labyrinthe ; c'est un système assez long. Certains disent
que cela ne va pas assez vite et d'autres que cela va trop vite. Ce
système vous apparaît-il bon ? Je ne prends pas parti. Je
pose les questions.
Aux Etats-Unis, on nous a dit que c'était beaucoup trop long dans nos
pays, que l'on n'y comprenait rien, que nous faisions des
barrières non tarifaires et que nous nous arrangions bien entre pays
européens pour faire traîner les choses parce que cela nous
permet, pendant ce temps, de ne pas avoir de compétition internationale.
Cela fonctionne-t-il bien ? Cette coordination compliquée vous
paraît-elle bonne ? Peut-on éventuellement la modifier ?
En second lieu, je voudrais m'adresser aux représentants ici
présents de l'OMC. Vous avez dit que le problème n'avait jamais
été discuté à l'OMC, et c'est bien ce que nous
reprochons. On peut très bien être dans des procès
internationaux qui viennent des appréciations différentes des
gouvernements sur les organismes génétiquement modifiés,
et on n'aura jamais discuté de cette question avant.
J'en ai parlé à la banque mondiale, j'en ai parlé avec
Mickey Kantor, avec un certain nombre d'interlocuteurs
américains ; il ne me paraît pas correct qu'un pays parte
dans tous les sujets et qu'au bout du compte, on n'ait pas le système
d'arbitrage. Si l'on veut un arbitrage de l'OMC, il faut que l'on en ait
discuté avant.
Si des problèmes peuvent se poser et si on ne les aborde pas sous
l'angle de la santé ni de l'environnement, on les aborde sous l'angle de
problème économique de protection non tarifaire. A mon avis, nous
devons donc avoir un lieu pour discuter de ces questions avant. Cette
proposition me paraît devoir être faite ; sinon, nous irons
immanquablement vers des conflits.
Enfin, lorsque vous dites que les Français sont présents dans les
organisations internationales ; après avoir discuté de
l'Agence de sécurité sanitaire dans un débat récent
au Parlement, je dis que nous n'avons peut-être pas de dossiers assez
préparés, comme les Américains.
Lorsqu'ils veulent relever le taux des aflatoxines sur un certain nombre de
céréales, parce qu'ils ont un peu plus d'aflatoxines que nous et
qu'ils disent qu'il n'y a pas de danger, qu'il faudra prouver le danger, s'ils
veulent relever le taux et s'ils viennent avec des dossiers en béton,
c'est bien parce qu'à un certain moment, cela servira l'économie.
Dans tous les pays, non seulement les Américains, les Canadiens, les
Européens, chacun essaie de jouer avec un certain nombre de
règles pour favoriser l'économie de son pays, et, à mon
sens, l'OMC ne peut pas se contenter d'être le gendarme après
coup, s'il n'a pas prévu les évolutions.
C'est l'un des points importants sur lesquels je souhaiterais que vous nous
donniez votre avis. Je m'arrête là, puis je poserai d'autres
questions par la suite, notamment à Madame Lepage et à
Axel Kahn.
M. Magalhães
-
Deux ou trois notions me semblent
un peu confuses. Tout à l'heure, Madame Lepage a parlé par
exemple de règles d'étiquetage du
odex
qui ne seraient pas
appliquées par l'OMC. Sauf si j'ai mal compris, j'avoue que je ne
comprends pas ce que cela signifie.
Mme Lepage
-
Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que
j'avais relevé dans la presse internationale (précisément
dans un article du Gardian) que des démarches seraient actuellement
faites auprès du
Codex Alimentarius
pour obtenir que soit
interdit comme contraire à la liberté des échanges, dans
le cadre des règles de l'OMC, l'étiquetage des produits
génétiquement modifiés.
Si le
Codex Alimentarius
entérinait une règle de cette
nature, nous nous trouverions en contradiction flagrante au niveau
communautaire, avec une règle de cette nature sans l'avoir
discutée. On en revient à la question posée par le
Président Le Déaut.
M. Magalhães
-
Merci. Je voulais comprendre,
parce qu'il y a plusieurs choses, et je suis assez affolé
d'écouter la description du labyrinthe dont vous avez parlé,
Monsieur le Président, qui me fait penser à autre chose :
où est finalement la transparence ?
On parle beaucoup des intérêts des consommateurs ; on dit
beaucoup que les choses devraient être connues, que les consommateurs
doivent être informés. Il faut d'abord qu'ils comprennent. C'est
l'un des problèmes que nous avons à l'OMC, et il faut que ce soit
très clair. Lorsque l'on dit OMC, on dit que c'est un organisme
entièrement commandé et piloté par les membres qui en font
partie. Ce n'est pas une commission de Bruxelles. Nous n'avons aucun pouvoir de
décision ni de proposition.
L'OMC a un secrétariat qui sert administrativement et techniquement les
pays membres de l'OMC, donc qui fournit aussi une assistance, notamment en
matière de conflits.
Je pense qu'il serait peut-être utile que j'explique brièvement
comment on résout un conflit commercial à l'OMC. Je vais
vous parler des hormones, parce que c'est le seul cas concernant directement
les problèmes éventuels de santé, qui a été
jugé à ce jour par l'OMC.
Je peux vous dire comment nous avons procédé dans ce cas puisque
j'étais secrétaire de ce panel et de ce groupe spécial.
Un groupe spécial de l'OMC est formé par trois juristes, qui sont
choisis en totale consultation avec les parties au litige. Si l'on n'arrive pas
à trouver ces trois juristes par consensus des parties, c'est le
directeur général qui est mandaté par les membres de
nommer des experts.
Ce n'était pas le cas pour le problème des hormones, où
trois juristes ont été choisis par consensus des parties. Il y
avait aussi un cas avec le Canada, qui a également déposé
une plainte contre la Communauté en matière d'hormones. Cela a
été le cas traditionnel du groupe spécial, qui analyse une
question de commerce et non pas une question scientifique.
Du fait que, dans le cas des hormones, il y a un problème scientifique,
il a été fait appel à des scientifiques. La
procédure n'existant pas à l'OMC (vous avez tout à fait
raison de souligner qu'il n'y a souvent pas de règle ; dans ce cas,
ce n'était pas vraiment un règle, mais une procédure qui
manquait), on va vers le consensus et on met les différentes parties au
litige les unes devant les autres.
Le panel le fait et, avec l'aide du
Codex Alimentarius
(parce que c'est
l'organisation reconnue par l'OMC, donc par les membres de l'OMC, comme
l'organisation internationale de repère pour les questions
d'innocuité des aliments), nous avons établi une liste qui
dépassait les trente experts internationaux en matière de
résidus d'hormones dans la viande.
Cette liste a été soumise aux parties. Elle a été
discutée pendant presque trois mois et finalement, bien que le panel en
voulait trois au départ, on a trouvé cinq experts de toutes les
nationalités, y compris des nationalités des parties au litige.
Il y avait des Français, des Allemands, des Américains et des
Canadiens. Le seul qui n'était pas d'une nationalité des parties
au litige, ce qui est une sorte de principe sacré en tout cas pour les
aspects légaux de ce système, était un Australien.
A partir de l'avis de ces scientifiques, le panel, le groupe spécial
s'est fait sa propre idée de l'endroit où étaient les
problèmes, quelles étaient les implications et quels
étaient les risques, et il a été appelé à
prendre une décision.
Tout cela est parfaitement prévu dans les textes de l'OMC, et nous avons
un système qui a été accepté et
négocié et qui, à la fin, doit être
approuvé par consensus.
Par la suite, ce panel vient avec un rapport. Il émet son jugement et le
jugement est soumis à tous les membres de l'OMC pour approbation,
à moins qu'il y ait recours en appel. L'OMC permettant maintenant un tel
recours, il y a un organe d'appel dont la composition est
négociée et acquise par consensus des 132 pays actuellement
membres de l'OMC.
Cet organe d'appel doit examiner la question d'un point de vue légal,
comme c'est souvent le cas en instance d'appel, et l'on tombe dans une
situation où, dans le cas des hormones, l'organe d'appel de l'OMC a
confirmé certaines des décisions du panel et en a infirmé
d'autres. Toujours est-il que la Communauté européenne doit
procéder, selon son interprétation de ce qui a été
dit par ses experts juridiques, à une analyse des risques en
matière d'utilisation ou pas d'hormones dans les viandes.
Il y a d'ailleurs encore débat, puisqu'en ce moment même, on
attend sous peu une décision d'un arbitre pour déterminer le
temps que la Communauté doit avoir pour procéder à
l'analyse des risques et, si nécessaire, pour ajuster ses
réglementations par rapport au problème des hormones.
Telle est la façon dont cela se passe dans le cadre d'un problème
de mesures sanitaires ou phytosanitaires, pour lequel il y a une règle
claire, évidemment assujettie à l'interprétation, comme
toutes les règles.
Lorsque l'on parle maintenant des OGM, on est effectivement devant une
situation où l'on n'est pas sûr. Certains experts disent que
l'accord sanitaire ou phytosanitaire de l'OMC couvre parfaitement ces
problèmes, qui sont finalement très similaires ; d'autres
disent que ce n'est pas évident.
Il y a aussi au sein de l'OMC -c'est aussi un labyrinthe- un accord sur les
obstacles techniques au commerce, qui couvre éventuellement ces
thèmes si, par hasard, il était estimé que la
définition de l'OGM ne donne pas une définition assez
précise de ce qu'est une mesure sanitaire ou phytosanitaire dans le
cadre de l'accord sanitaire.
En revanche, lorsque l'on parle de cet accord sur les obstacles techniques au
commerce, on a des problèmes et des paradoxes.
Tout d'abord -c'est une question pour les experts-, à la fin d'un
processus de production ou de manipulation génétique,
parle-t-on toujours du même produit ou est-ce un produit
différent ? Si l'on parle exactement du même produit, il n'y
a pas de problème ; des règles pré-établies
peuvent être utilisées pour juger une affaire.
Si l'on parle d'un produit différent -je vous donne une
appréciation personnelle parce qu'aucun des membres de l'OMC ne m'a
mandaté ici pour interpréter leurs droits et leurs obligations
à l'abri des règles de l'OMC- on semble être dans un
certain flou.
En troisième lieu, si l'on parle d'un produit similaire, c'est un long
débat à l'OMC, déjà depuis le temps du GATT.
Qu'est-ce qu'un produit similaire ? Quelles sont les règles qui le
gouvernent ? Je pense que, là encore, il y a un certain vague,
malgré une jurisprudence construite au fil des années dans le
domaine de ce qu'est un produit similaire.
Pour terminer sur le point, par exemple, des aflatoxines, que vous avez
mentionnées, que se passe-t-il quotidiennement à l'OMC ?
Pour les problèmes sanitaires et phytosanitaires, nous avons un
comité qui se réunit trois ou quatre fois par an (il se
réunit dans dix jours à Genève), et qui discute des
problèmes soulevés par les membres.
L'un des problèmes soulevés à la dernière
réunion du mois de mars de ce Comité, est une décision
prise par la Commission de Bruxelles pour doubler pratiquement le taux
d'aflatoxines qu'elle jugeait acceptable dans les cacahuètes.
Cela a soulevé un tollé chez les membres de l'OMC, notamment un
large nombre de pays en voie de développement, les Etats-Unis et
d'autres pays. Il en est résulté que la Communauté a
décidé d'ajourner cette décision. Le jour même
où la Communauté discutait cette décision à
Genève, un comité du
Codex
qui travaille depuis
dix ans sur la question venait de prendre une décision (qui a
été prise lors de cette réunion et qui est toujours en
attente du feu vert de la Commission).
Comment peut-on pallier ces choses ? Tous les pays sont membres ;
tous les pays peuvent apporter une question à l'OMC, et il faut le
faire. Lorsque je rencontre des pays en voie de développement, vous
imaginez le problème que j'ai à leur dire de venir à l'OMC
soulever le problème... La France peut faire cela au travers, pour
l'OMC, des représentants de la Commission.
M. Le Président
-
Je souhaiterais une
rapide intervention de Madame Lepage et de Monsieur Axel Kahn sur la
partie coordination Europe, en essayant d'être très
synthétiques.
Mme Lepage
-
Je voudrais réagir sur cette
affaire de la viande aux hormones, qui est absolument essentielle pour la
suite. C'est une question fondamentale, parce que la manière dont le
panel d'appel terminera cette affaire nous engage très largement sur la
manière dont, par la suite, lorsque nous aurons des
règlementations sanitaires dans le cadre de l'Union européenne, y
compris éventuellement sur les organismes génétiquement
modifiés, les règles de l'OMC auront à jouer.
Si nous avons complètement perdu, nous Européens, la
première manche devant le premier panel, qui avait
considéré comme incompatible avec les règles de l'OMC
l'interdiction de la commercialisation de la viande aux hormones, qui existe
pourtant depuis les années 80 en Europe, le panel d'appel a assoupli la
position mais, pour ma part, je ne considère pas que ce soit
satisfaisant.
En effet, il y a en réalité une inversion de la charge de la
preuve, et c'est fondamental. Autrement dit, qui a à faire la preuve du
danger ou de l'innocuité ? Et, dans la décision rendue par
le panel d'appel, c'est à nous, Européens, de faire la preuve
qu'il y a un danger à l'utilisation de l'hormone de croissance, alors
que, logiquement, ce devrait être au demandeur de faire la preuve qu'il
n'y a pas de danger.
Bien entendu, cette charge de la preuve est très difficile et, de plus
-d'où l'importance de la décision attendue-, le délai
donné à l'Europe pour faire cette preuve est notoirement
insuffisant. Le temps qui nous a été imparti ne permet pas de
faire les expertises nécessaires.
Cette question est donc tout à fait centrale, et elle préjuge
très lourdement de l'avenir.
En second lieu, concernant la question de la coordination au niveau
européen, je dirai, Monsieur le président, que compte tenu de
l'expérience de deux ans que j'ai pu avoir, le système arrive
encore moins au niveau de la décision politique qu'il n'arrive en
France.
Autrement dit, les commissions d'experts bruxelloises rendent des avis qui vont
au niveau de la Commission, mais cela s'arrête là. En tant que
ministre de l'environnement, je n'ai jamais eu les avis des commissions
bruxelloises.
J'ajoute enfin -c'est peut-être un élément important au
niveau de la réglementation interne- que le système actuel, qui
consiste à demander son avis au Ministère de l'environnement en
lui donnant un délai de quatorze jours à compter de l'avis
émis par la CGB, à l'issue duquel, s'il ne s'est pas
exprimé, il a donné un avis favorable, n'est à mon sens
pas valable.
En effet, lorsque l'on connaît un peu l'organisation interne de
l'administration, on sait très bien qu'avec un délai de quatorze
jours pour que cela arrive éventuellement jusqu'au Ministre et pour
qu'il en soit saisi, il n'y a aucune chance que cela puisse fonctionner.
M. Le Président
-
Internet existe, Madame
Lepage.
Mme Lepage
-
Oui, mais je ne suis pas sûre que,
sur Internet, on trouve tous les éléments nécessaires
à la prise de décision.
M. Kahn
-
A propos de la partie coordination Europe en
matière de décision Europe-France, il y a trois aspects, que je
voudrais commenter rapidement.
En premier lieu, pour revenir sur l'expertise et la différence entre les
comportements et la préparation, l'aide au travail des experts dans les
différents pays, au sein même de la Commission européenne,
ce que l'on a dit de la "deshérence" de l'expertise française par
rapport à celle des collègues est tout à fait vrai.
Dans les discussions européennes, on voit nos collègues,
notamment anglais ou des Pays-Bas, arriver avec des dossiers très
fouillés, pour la préparation desquels ils ont été
puissamment aidés par la mise à disposition d'une importante
documentation, qui représentent vraiment le point de vue du pays
concerné lorsqu'il s'agit de cette représentation.
Or, autant que je le sache -peut-être les choses
s'améliorent-elles à l'heure actuelle-, ce type d'effort de
coordination est rarement fait au niveau français, ce qui ne donne pas
à l'appréciation de notre pays le poids auquel elle pourrait
probablement prétendre du fait de la qualité de sa
réflexion.
En second lieu, la mécanique européenne de prise de
décision est très compliquée ; vous l'avez dit. A
l'extrême, elle pourrait fonctionner avec cet élément
très caractéristique de la mécanique communautaire
-Madame Lepage l'a rappelé- : la mécanique
communautaire de la Commission européenne -j'imagine que des
règles ont été prises dans ce sens- est tout à fait
parallèle à l'expression démocratique des
différents pays. En fait on s'est efforcé de faire en sorte
qu'elle n'en soit pas dépendante.
La possibilité pour le Parlement européen et pour les
représentants politiques des différents pays d'intervenir est
à chaque moment limitée par des règles qui fondent
réellement cette mécanique particulière. C'est un
débat qui dépasse mon intervention.
Mais il y a une logique qui vaut ce qu'elle vaut ; il y a plusieurs
systèmes ; c'est très compliqué, et cela pourrait
fonctionner. En réalité, ce qui ne fonctionne pas dans les faits,
c'est que les rouages mêmes de la Commission européenne ne sont
très souvent pas utilisés. Il est très facile pour
quiconque, pour un directeur ça et là, de bloquer le
système.
Alors même que les décisions n'allaient pas dans ce sens, on a vu
plusieurs fois, dans un sens ou dans l'autre, la totalité du
système parfaitement bloquée parce qu'il y a plusieurs
étapes. Plus il y a d'étapes, plus il est facile de bloquer le
bon déroulement d'un processus à l'une de ces étapes.
Quelle que soit la décision que prend l'Europe, elle doit définir
une règle du jeu, puis se mettre en état de la faire absolument
appliquer. C'est tout à fait essentiel.
M. Magalhães
-
En jurisprudence, un seul cas ne
fait pas jurisprudence. N'importe quel autre groupe spécial pourra donc
renverser cette décision. Il est vrai que cela pose tout de même
un jalon.
En second lieu, pour l'inversion de la charge de la preuve pour le cas des
hormones, je voulais tout simplement souligner que l'accord sur les mesures
sanitaires et phytosanitaires, prévoit que lorsqu'un pays applique une
norme internationale et lorsque cette norme internationale existe, il est
présumé être en accord avec toutes les disciplines de
l'accord.
Or, dans le cas des hormones, il existe effectivement des normes
internationales, qui ont été à l'époque
négociées aussi par la Commission et par la Communauté
européenne. La Communauté a donc des normes qui sont beaucoup
plus exigeantes avec une interdiction de viande produite aux hormones. Elle a
donc pour charge de prouver que, scientifiquement, ces hormones sont
dangereuses, peuvent présenter des risques.
Pour cela, elle aurait dû faire une analyse de risques. Je n'ai pas
à commenter les décisions du panel ou de l'organe d'appel, mais
elle doit effectivement procéder à une analyse des risques, puis
on verra la suite des choses.
M. Etienne Vernet
-
Je souhaite faire deux
commentaires et poser une question.
Les fondements de la législation européenne en matière
d'évaluations et de contrôles de l'OCDE, dans le livre bleu de
1986 et jusqu'en 1992, stipulaient clairement que les évaluations et les
contrôles en matière d'OGM ne devaient pas mettre en place des
règles trop contraignantes au commerce.
On oppose dès le départ la liberté de circulation des
produits OGM à une sécurité alimentaire, et cela peut nous
poser un problème par rapport à l'évaluation future de ces
OGM. Cherchera-t-on vraiment à faire toutes les voies de recherche qui
déboucheront effectivement sur des hypothèses de travail, qui
devront à leur tour être étudiées par les
scientifiques nationaux ? On peut se poser cette question dès le
départ.
Je souhaite faire une deuxième remarque par rapport à cet
étiquetage, et abonder dans le sens des différents orateurs sur
cette question : en 1992, alors que ce n'est pas du tout son rôle,
la CGB avait rendu un avis sur l'étiquetage des OGM, selon lequel cet
étiquetage n'était pas souhaitable parce que les consommateurs
pouvaient croire que ces aliments étaient plus dangereux que des
aliments naturels.
Peut-on se positionner sur le conseiller scientifique ou l'expert
scientifique ? Je laisse au Président de la CGB de juger de son
avis. N'est-on pas un peu sorti du mandat de la CGB ?
Dernièrement, la réunion bilatérale entre l'Allemagne et
la France demandait clairement la suppression de prescriptions bureaucratiques
inutiles dans le domaine du génie génétique, qui avaient
en définitive pour objectif de libérer certains organismes
appartenant à des niveaux de sécurité, de toute
évaluation et de contrôles.
N'est-on pas justement en train d'aller un peu trop vite encore une fois ?
Au moment même où, en Europe, on discute sur l'innocuité ou
non de ces organismes, tant dans les enceintes démocratiques que dans
les enceintes scientifiques, des ministres de la recherche se réunissent
et décident de travailler pour libérer des organismes qui
devraient normalement être évalués et que l'on
n'évalue plus. N'y a-t-il pas un danger ?
Ma question aux politiques est la suivante : n'y a-t-il pas un danger de
voir cette évaluation scientifique, que tout le monde appelle de ses
voeux, être un peu mise en deçà de la décision
politique ?
Je m'adresse maintenant directement à Monsieur Axel Kahn : par
rapport à la procédure nationale, dans le cas d'une fiche
d'information, lorsqu'il y a un numéro d'enregistrement à la CGB,
la date du numéro d'enregistrement fait-elle valeur de loi par rapport
à la décision, par exemple, d'autoriser l'expérimentation
d'une plante transgénique ?
M. Le Président
-
Merci
Monsieur Vernet, mais c'est mon rôle de poser des questions, en tant
que rapporteur. Je souhaite que l'expertise d'un rapporteur soit plus
secrète et confidentielle et soit ouverte. J'ouvre donc les questions.
Cela étant dit, Axel Kahn a demandé la parole, et je voudrais
ensuite poser une ou deux questions supplémentaires. On n'a pas
parlé de biovigilance, et cela me paraît très important.
M. Kahn
-
A propos de l'étiquetage, la
Commission du génie biomoléculaire, sur des sujets
différents, a donné deux types d'avis.
Le premier avis a été le suivant : s'il s'agit
d'évaluer un risque particulier, nous pensons que les plantes
transgéniques par rapport aux autres variétés ne
comportent pas en elles-mêmes un risque particulier, parce que l'on a
utilisé cette méthode -c'est toujours ma conviction tout à
fait intime-, et qu'il n'y a pas à faire cet étiquetage de
risques.
Sinon, -et nous l'avons également souligné dans cette
réponse-, il faut indiquer très largement pour des plantes, que
l'on a utilisé lors de leur culture tels pesticides, tels engrais, avec
telle fréquence, à telles doses, que l'on a utilisé
l'irradiation, l'ionisation, etc.
Le fait de sortir une méthode particulière par rapport à
toutes ces pratiques agricoles n'a pas de justification s'il s'agit
d'identifier un risque.
Quelques années après, nous avons dit sur un autre point que
l'étiquetage ne concernait pas simplement le risque, qu'il concernait
également la réponse positive à une demande
démocratique. Lorsque, par exemple, on indique quelle est la provenance
d'un kilo de cerises (Afrique du Sud, Chili ou Italie), on ne veut pas dire
qu'elles sont dangereuses lorsqu'elles en viennent.
Et, dès l'instant où il y a une demande démocratique d'une
information, parce que les citoyens considèrent qu'il leur importe de
savoir si l'on a utilisé cette technique, qui correspond à une
valeur symbolique particulière, il n'y a strictement aucune raison de ne
pas donner cette information.
Voilà très exactement ce qu'a été notre attitude
et, aujourd'hui, si l'on me demandait de répondre à cette
question, je reprendrais tout à fait cette attitude ; j'en suis
complètement solidaire.
Le travail des experts en matière d'OGM est toujours incertain, avec les
éléments d'incertitude sur lesquels j'ai insisté tout
à l'heure, qui débouchent sur la nécessité parfois
d'accompagner une décision de mesure de suivi.
Mais le travail est facilité par la nature même de ce qui se fait,
et par la disparité internationale. En d'autres termes, si l'on me
demande actuellement de rajouter à la pomme de terre un gène de
résistance à la teigne, ma difficulté pour prédire
le comportement sera bien moindre que celle à laquelle j'aurais
été confronté il y a quelques siècles, si l'on
m'avait demandé, du temps de Monsieur Parmentier, quel était
le danger écologique d'introduire la pomme de terre en Europe, alors que
je ne savais absolument pas comment elle se comporterait dans ce nouvel
écosystème.
J'aurais eu du mal à dire si l'on pouvait ou pas introduire cette
variété exotique, comme cela a été fait sans aucun
ménagement, avec beaucoup d'imprudence, pendant des siècles.
Après tout, peut-être est-il bon d'attendre. En second lieu,
actuellement, plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde
mangent quotidiennement des OGM. En 1998, aux Etats-Unis d'Amérique, les
surfaces cultivées en OGM représentent 34 millions
d'hectares, plus 2 millions d'hectares environ au Canada, un peu plus de
2 millions d'hectares en Australie. On doit donc se trouver dans le monde
entier avec 40 à 45 millions d'hectares cultivés en OGM,
donc des populations entières qui les consomment.
Cela permet d'avoir un élément d'expertise quant au comportement
écologique et à la santé de ces populations, qui
s'ajoutent à notre réflexion.
M. Joël Chenais
(Responsable de la Commission
environnement des Verts) -
Concernant les problèmes
d'expertise, quelqu'un a évoqué le manque de données,
d'informations, le fait que les dossiers des experts français
étaient souvent faibles.
Récemment, on a créé au Parlement deux agences de
sécurité sanitaire ; la création d'une
troisième agence de sécurité sanitaire portant sur les
problèmes santé environnement ne serait-elle pas pertinente pour
justement coordonner, développer tous les outils qui permettraient
d'accumuler toutes les informations nécessaires pour permettre aux
politiques d'avoir des jugements un peu plus étayés ?
D'autre part, concernant la CGB et la place des associations, actuellement il y
a un représentant unique des organisations d'agriculteurs et un
représentant unique des associations de consommateurs. Or, chacun sait
que les associations de consommateurs ne sont pas forcément toutes
exactement sur la même ligne, tout comme les organisations d'agriculteurs.
Ne serait-il pas utile d'élargir ? A quel niveau ? Est-ce au
niveau de la CGB telle qu'elle existe, ou éventuellement au niveau d'un
chapeau plus large qui couvrirait la CGB, la Commission des toxiques et
éventuellement un autre comité, pour prendre en compte les
problèmes qu'il peut y avoir entre différents groupes ?
M. Le Président
-
Vous posez une bonne
question. Je demande à tous ceux qui ont une réponse à ce
sujet de nous la faire parvenir, parce que je pense qu'au niveau du rapport,
j'aurai à trancher sur cette question. C'est une vraie question de
participation des citoyens dans la décision publique, et vous posez
là un vrai problème : comment organiser le
système ?
Je souhaite poser une question complémentaire à celle-là,
la question de la biovigilance, et je demande à tous ceux qui ont des
avis en la matière de nous les transmettre.
Il y a eu une autorisation de mise en culture le 27 novembre 1997,
à un certain nombre de conditions qui étaient :
- l'évolution de l'efficacité des variétés
considérées contre les populations-cible de ravageurs du
maïs,
- l'apparition éventuelle de tout effet non-intentionnel sur les
populations de ravageurs ou d'auxiliaires hébergés par le
maïs -cela répond d'ailleurs à la question de
Monsieur Pelt, ce matin-,
- les effets éventuels de l'entomofaune,
- les effets éventuels sur l'évolution des populations
bactériennes du sol,
- les effets éventuels sur l'évolution des populations
bactériennes de la flore digestive des animaux consommant du maïs.
L'harmonisation de cette Commission de biovigilance est-elle bonne avec la
CGB ? Certains en font partie autour de cette table, et ils peuvent
répondre.
Le système de décision que je vous ai décrit tout à
l'heure (décisions au niveau de la France, décisions
européennes) est-il bien harmonisé avec la Commission de
biovigilance ? Les deux ne vont-ils pas se recouper ?
S'il y a déjà eu une autorisation de mise en culture
expérimentale, puis une autorisation de mise sur le marché, la
Commission de biovigilance doit-elle traiter des mêmes sujets ? Y
a-t-il une bonne harmonisation à ce niveau ?
Enfin, je pose une question personnelle à Madame Lepage, parce
qu'on me l'a posée très souvent, et les membres du Comité
de pilotage l'ont entendue. Beaucoup de personnes nous ont dit qu'elles
n'avaient pas compris la décision que vous aviez prise, et vous pouvez
peut-être nous l'expliquer publiquement.
En février 1997, pourquoi autoriser finalement les importations de
maïs et de soja, et pourquoi avoir refusé la mise en culture en
février 1997 ? Cette question nous a été
posée très souvent.
Mme Lepage
-
Je peux répondre sur ce point, en
deux temps.
La question de l'importation du maïs a été
réglée, comme le texte le prévoit, au niveau du
Ministère de l'agriculture. Je ne peux pas dire qu'il y ait eu un vrai
débat global gouvernemental sur la question de l'importation, d'autant
plus que cette décision d'importation venait après celle qui
avait été prise au niveau communautaire en décembre 1996,
qui avait admis le principe de l'importation du maïs transgénique.
J'ajoute qu'il y avait une pression gigantesque puisque, lorsque le Conseil des
Ministres de l'environnement a siégé, à
Noël 1996, les ports européens étaient pleins de
bateaux attendant pour décharger du maïs que, d'autre part, nous
étions en pleine discussion de Singapour de l'OMC, sur le thème
environnement/commerce, et que cette question a dû être
réglée avec beaucoup d'autres à cette époque.
Cette décision s'inscrivait dans ce qui avait été
décidé au niveau communautaire.
Cela étant, la question de la mise sur le marché et celle de la
mise en culture ne m'apparaissent pas pouvoir être totalement
assimilées. En effet, la question de la mise en culture soulève
des problèmes de nature écologique, de nature environnementale,
qui ne se pose pas au niveau français, au stade de l'importation de
maïs produit ailleurs.
Nous n'avons pas, nous Français, la capacité de nous interroger
sur les conditions dans lesquelles aux Etats-Unis, on surveille ou pas, et s'il
y aura ou pas des conséquences suite à la mise en culture de
maïs transgénique.
En revanche, cela nous intéresse directement sur le sol français
et, par voie de conséquence, la question de la mise en culture posait
des problèmes différents, notamment ceux des effets au niveau des
transmissions bactériennes, qui commencent maintenant à
être largement soulevés et discutés, des effets
particuliers liés à ce maïs, qui utilisait, même de
manière passive, un marqueur de résistance à
l'ampicilline. Tout cela posait un problème.
De manière plus générale, la question me paraît
différente pour la raison suivante : si, demain matin, l'Europe
décide que l'on ne commercialise plus le maïs transgénique
en Europe, que l'on arrête tout, ceux qui l'auront absorbé
l'auront absorbé et nous verrons dans cinq, dix ou quinze ans si
cela a eu des conséquences ou pas.
En effet, je pense qu'il faut tout de même être assez prudent en la
matière. Lorsqu'actuellement, on voit des maladies ou des
récurrences chez certains types de populations, je pense que le minimum
est d'avoir une certaine modestie et une certaine prudence.
En revanche, si demain matin, on décide que l'on arrête la mise en
culture du maïs transgénique, on l'arrêtera mais, si des
mutations ont été induites, s'il y a eu des transferts
bactériens, on ne les arrêtera pas, parce qu'ils sont
déjà passés. Il y a donc une question
d'irréversibilité qui se pose au niveau de la mise en culture,
qui, à mon sens, ne se pose pas dans les mêmes termes au niveau de
la commercialisation.
Je veux donc bien, Monsieur le Président, que l'on dise qu'il y a une
contradiction entre les deux ; à l'extrême, je dirai de
manière très ouverte que, si j'avais eu à prendre la
décision des deux, je n'aurais pas autorisé la commercialisation
mais, cela étant, les deux questions ne m'apparaissent pas strictement
identiques.
M. Riba
-
Je fais partie du Comité de
biovigilance ; je peux témoigner qu'il est très ouvert. Il
comprend des représentants de différentes associations de
producteurs, de sociétés d'environnement, etc. Il fonctionne
bien ; le dialogue est bon ; les protocoles ont été
validés et le financement a été acté. La
réunion avait lieu ce matin.
En second lieu, concernant les liens par rapport à la CGB tel que cela a
été posé, je dirai que nous prenons le train en marche. Il
y a certainement des progrès à faire, notamment dans une
distinction entre les évaluations de risques plus
génériques qui, à mon avis, sont davantage du ressort de
la CGB, et les évaluations des risques de la mise en culture et de suivi
des événements, comme cela a été discuté,
qui sont du ressort typique du Comité de biovigilance.
Quant au lien avec l'échelle européenne, je dirai personnellement
que tout ce qui peut procéder à la simplification administrative
est prioritaire. Il est inutile de créer davantage de comités si
c'est pour se retrouver avec plus de paperasse et une estimation des risques
pas forcément améliorée.
Par rapport à Bruxelles, je considère qu'il y a aussi du
générique qui peut être fait à Bruxelles
-Axel Kahn l'a mentionné et je partage cet avis-, à la
condition que ce soit simplifié administrativement.
M. Kahn
-
Monsieur le Président, je
réponds brièvement aux questions que vous avez posées
concernant ce que je pense être souhaitable pour l'organisation des
futures commissions.
Tout d'abord, fort de mon expérience d'un peu plus de dix ans
à la Commission de génie biomoléculaire, je pense qu'il
faudrait certainement augmenter la compétence scientifique en
s'adjoignant des malherbologues, des spécialistes des flux de
gènes, des écologistes scientifiques. C'est tout à fait
important.
Il faudrait peut-être trouver un moyen de disjoindre deux niveaux
d'évaluation, le niveau purement technico-scientifique et le niveau de
réceptivité, de sensibilité, parce qu'en
réalité, ce sont effectivement deux niveaux de
l'appréciation.
Enfin, il est absolument impératif que la CGB et la Commission de
biovigilance soient tout à fait séparées.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Madame la
Ministre et Messieurs, d'avoir participé à cette table ronde.
Des propos intéressants ont été tenus, y compris sur
notre future organisation du contrôle et de l'expertise.
Audition de M. Louis Le Pensec, Ministre de l'agriculture et de
la pêche
M. Le Président
-
Je remercie Monsieur le
Ministre de l'agriculture et de la pêche, Monsieur
Louis Le Pensec, d'être présent pour ces auditions sur
les utilisations des organismes génétiquement modifiés
dans l'agriculture et dans l'alimentation.
Nous avons déjà eu trois tables rondes :
- une première sur les enjeux économiques et internationaux
pour l'agriculture et l'alimentation
- une deuxième sur les enjeux pour la recherche
- une troisième sur les enjeux réglementaires - Comment
organiser l'expertise ? Quel contrôle ?
Elles se sont bien passées, avec des propositions qui ont
été à mon sens très constructives.
Monsieur le ministre, nous allons vous laisser faire une déclaration, et
je vous poserai un certain nombre de questions. Nous n'avons qu'une heure et
trois ministres doivent intervenir ; ceux qui souhaitent poser des
questions sont priés de les inscrire sur les feuilles prévues
à cet effet. Je les transmettrai, tout comme plusieurs questions
posées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques et le Comité de pilotage.
Auparavant, je voudrais vous lire une lettre. Ce matin, je disais que nous
avions un forum interactif sur Internet, qui sera réellement interactif
et qui commence à être plus rapide au niveau des moyens de
recherche, sur le site :
www.assemblee-nat.fr
Dans ce forum, une lettre récente indiquait :
"
Réflexion naïve sur les OGM :
Comment de simples citoyens peuvent-ils avoir un avis sur cette question
éminemment complexe qui, pourtant, les touche au premier chef ?
Entre d'une part les réactions épidermiques des uns à tout
ce qui est nouveau et hautement suspect, et pourquoi pas l'oeuvre du diable,
les Américains en l'occurrence, et de leur outil, l'argent, et les
réactions économistes des autres -le train est en marche ;
il ne faut pas le rater sous peine d'être déclassé-, qui ne
se posent apparemment pas la question de savoir quelles sont les
conséquences des OGM sur la santé et l'environnement, il est
difficile de se faire une opinion.
Cependant, à mon avis, et bien que spontanément je ne sois pas
très enthousiaste à l'idée de manger des OGM, il me
paraît difficile de faire l'impasse sur des centaines de millions de
personnes qui, par le monde, ont faim.
Les OGM peuvent-ils apporter une contribution significative à
l'autonomie alimentaire des pays pauvres, ou bien resteront-ils l'apanage des
pays riches, qui sont déjà largement excédentaires ?
Enfin, de toute façon, ce débat n'est-il pas
stérile ? A-t-on déjà vu des percées
scientifiques rester inutilisées ? L'homme n'a-t-il pas toujours
manipulé son environnement ? Tout ce que l'on peut espérer,
c'est d'y mettre des règles.
Pour en terminer de façon pratique, l'étiquetage des OGM me
paraît indispensable, pour que les consommateurs aient le libre choix de
leurs achats. Le contraire serait inacceptable.
"
C'est le dernier courrier sur notre site, que j'ai retiré et que je
voulais vous lire en introduction.
Monsieur le Ministre, je vous laisse maintenant la parole.
M. Le Pensec
- Mesdames et Messieurs,
Merci tout d'abord pour votre invitation. Cette participation, la
première dans l'ordre, d'un membre du gouvernement, est un temps fort
dans la réflexion, dans l'action.
Il est de fait que les possibilités ouvertes par les progrès du
génie génétique posent à notre
société des questions essentielles pour son avenir. Les
scientifiques doivent naturellement prendre une part importante à ce
débat, mais il ne leur revient pas de décider seuls des
réponses qui doivent être apportées à des questions
aussi fondamentales.
Il est donc normal que l'utilisation du génie génétique
soit au coeur des réflexions du gouvernement, et que vous entendiez
l'avis des membres du gouvernement principalement concernés, du fait de
leur domaine de compétence, par les organismes
génétiquement modifiés.
Comme le disait Monsieur Le Déaut, je suis Ministre de
l'agriculture et de la pêche, responsable d'un secteur pour lequel les
applications du génie génétique sont
particulièrement importantes. Les principales applications dans ce
domaine concernent les plantes et, dans une moindre mesure, les animaux. Mais
les applications sont déjà sorties des laboratoires pour
connaître d'importantes applications industrielles.
Le débat est complexe car le génie génétique est
multiple.
Appliqué à la fabrication de médicaments ou même
à des bactéries, il ne suscite pas de réticences de la
part du grand public. Ainsi, les enzymes dans le domaine alimentaire ou des
protéines comme la lysine sont fabriquées et utilisées
depuis de nombreuses années sans craintes particulières.
Les réticences, parfois d'ordre éthique, apparaissent lorsque
l'on touche aux êtres supérieurs comme les plantes et plus encore
les animaux.
Le développement des OGM en agriculture est à la croisée
des chemins, et c'est aujourd'hui que les décisions que l'on doit
prendre peuvent changer la physionomie de l'agriculture de demain.
C'est pourquoi, avant de prendre des décisions qui engagent l'avenir, le
gouvernement a souhaité qu'un large débat ait lieu. Il sera donc
attentif au rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques, que prépare son Président,
Monsieur Le Déaut, tout comme il sera attentif aux résultats
de la Conférence citoyenne de consensus, qui aura lieu à la fin
du mois de juin.
Je ferai un rapide état des lieux.
Actuellement, les dossiers examinés en France portent sur des demandes
d'autorisation de dissémination à des fins de recherche et
développement de plantes modifiées pour acquérir des
résistances aux herbicides dans la plupart des cas. Ces plantes
modifiées sont en majorité des plantes de grandes cultures comme
le maïs, le colza, la betterave.
Douze plantes bénéficient d'autorisations de mise sur le
marché au niveau communautaire. Six font l'objet d'une mise sur le
marché effective : le maïs, le colza, le soja, la
chicorée, le tabac et l'oeillet.
Seuls le maïs et le soja sont autorisés pour un usage alimentaire.
Les six autres plantes, avant d'être effectivement
commercialisées, doivent faire l'objet de mesures de transposition dans
chaque état membre. Il s'agit de lignées de maïs, de colza
et de soja.
Les dossiers relatifs à ces six plantes comportent des usages
alimentaires.
J'ai moi-même signé un arrêté d'autorisation de mise
en culture d'une lignée de maïs génétiquement
modifié mise au point par la firme Novartis. Je l'ai fait après
que toutes les instances scientifiques associées aux procédures
d'examen mais aussi de décision se soient prononcées en faveur
d'une possible autorisation.
Le gouvernement a aussi voulu mettre fin à une situation qu'il jugeait
incohérente, qui avait été créée par le
gouvernement de Monsieur Juppé, au terme de laquelle était
autorisée l'importation de ce type de maïs, donc sa consommation,
mais pas sa mise en culture. Seul un risque pour l'environnement pouvait
motiver une décision de cette nature. Or, l'examen du dossier n'en
faisait apparaître aucun.
Neuf dossiers ont été transmis à la Commission
européenne et sont en attente d'un avis des comités scientifiques
communautaires. Il s'agit de lignées de maïs, de colza, de
betterave, de coton, de chicorée, de pomme de terre et de tomate.
Pour la quasi-totalité de ces dossiers, la modification
génétique a pour objectif d'introduire un gène
d'intérêt agronomique, notamment de résistance à des
insectes, à des virus ou à un herbicide. Seuls les dossiers
d'oeillets (coloration florale modifiée), de tomate (maturation
retardée) et de pomme de terre (amidon modifié) peuvent avoir un
intérêt direct pour l'industrie de transformation ou pour le
consommateur.
Je souligne qu'aucun dossier de dissémination dans l'environnement
-c'est l'appellation consacrée- ne concerne des animaux
transgéniques. En effet, les modifications effectuées sur des
mammifères restent, en France, au niveau des laboratoires. Ces
applications visent par exemple la production de protéines
intéressantes en thérapeutique humaine, excrétées
dans la plupart des cas dans le lait.
D'autres applications sont du domaine de la recherche fondamentale et ont pour
objet de comprendre les mécanismes cellulaires, en particulier la
différenciation des cellules. C'est ainsi par exemple que le veau
Marguerite est né.
Les problèmes posés par les animaux transgéniques ont une
dimension éthique spécifique, qu'il faut prendre en compte. Les
projets de recherche qui ont été entrepris dans ce domaine
devraient être rigoureusement encadrés, et leur objet
précisément défini par des instances de contrôle
spécifique au sein des organismes de recherche.
Si l'on peut comprendre leur intérêt pour la recherche
médicale, appliquer les résultats de ce type de recherches
à l'amélioration génétique des animaux ne me semble
pas souhaitable. Je me suis exprimé en ce sens lors de la naissance que
je viens d'évoquer. En effet, ce que l'on sait faire et ce que l'on peut
faire sur un animal, un mammifère en particulier, est directement
applicable à l'homme, avec toutes les dérives que l'on peut
imaginer.
En tout état de cause, la dissémination des animaux
transgéniques ne pourrait être opérée sans
autorisation au cas par cas du gouvernement, qui conserve ainsi son pouvoir
d'orientation et de contrôle.
Parlons des risques spécifiques liés au développement du
génie génétique.
A l'heure de l'arrivée des premières plantes transgéniques
sur le marché mondial, il m'apparaît important de rappeler que,
même s'il représente une rupture qualitative importante, cet
événement s'inscrit dans un long mouvement continu lié
à l'essence même de l'agriculture, celui de la maîtrise du
vivant et de l'amélioration des plantes cultivées.
Le principe de sélection des plantes cultivées est connu
empiriquement depuis dix mille ans. Ce principe consiste à croiser des
individus mâles et femelles d'une espèce donnée et à
choisir parmi les descendants, les individus ayant
bénéficié des caractères avantageux.
Le génie génétique permet d'identifier les gènes
conférant le caractère recherché, et de les
transférer à la plante qu'il s'agit d'améliorer.
La principale différence, à mon sens, entre la sélection
classique et l'amélioration végétale par
transgénèse est que cette dernière permet de transgresser
les barrières d'espèces en permettant le choix d'un gène
chez n'importe quel être vivant, qu'il s'agisse de
végétaux, d'animaux ou de bactéries, pour l'introduire
dans le génome d'une autre être vivant.
De ce point de vue, les dossiers actuellement soumis à examen, tant dans
une perspective de recherche et développement qu'en vue de leur mise en
marché, dont je viens très rapidement de faire le bilan, ne sont
qu'un pâle reflet des potentialités qu'offre le génie
génétique.
Il y a en effet dans l'application de cette technologie aux plantes un
potentiel important d'amélioration en termes de qualité, tant sur
le plan nutritionnel que technologique ou agronomique, notamment par la
résistance aux insectes et aux maladies. Il y a aussi dans l'application
de ces techniques un potentiel fort en termes de réduction de l'impact
de l'agriculture sur l'environnement et de développement durable.
Toute nouvelle technologie, si elle présente des avantages, peut
présenter aussi des risques. L'avancée des sciences mais aussi
des techniques nous a montré que le risque zéro n'existait pas,
et le génie génétique n'échappe pas à cette
règle.
J'ai évoqué tout à l'heure les problèmes
éthiques soulevés par les manipulations génétiques
sur les animaux ; je n'y reviendrai pas, et je centrerai la suite de mon
exposé sur les risques liés aux plantes
génétiquement modifiées.
Ces risques sont, à mon avis, de trois ordres : alimentaire,
environnemental et économique.
- Le risque alimentaire
L'évaluation de la salubrité, qui comporte à la fois les
aspects nutritionnels mais aussi toxicologiques des aliments issus des plantes
transgéniques, est fondée sur le concept "d'équivalence en
substance". Il s'agit de comparer ces nouveaux aliments issus de manipulations
génétiques à des aliments courants de
référence, consommés traditionnellement sans effets
indésirables.
La difficulté de l'exercice concerne surtout la prédiction du
caractère allergène d'une protéine. Le seul moyen efficace
de répondre à cette préoccupation réside dans une
surveillance alimentaire renforcée, et je pense que, sur ce point,
M. Kouchner, que vous auditionnerez, fera aussi allusion à cette
question.
Si le caractère allergène d'une protéine introduite dans
une plante est avéré, il me semble évident que l'aliment
issu de cette plante ne doit pas être autorisé. A mon sens, il
n'est pas acceptable que le génie génétique multiplie les
sources d'allergènes potentiels.
- Le risque environnemental
La diffusion dans l'environnement de plantes transgéniques
entraîne parallèlement celle des caractères
transgéniques, parfois à d'autres variétés qu'aux
variétés d'origine. Le croisement de différentes
variétés et d'espèces sauvages apparentées peut
faire apparaître des plantes se comportant comme des mauvaises herbes,
qui peuvent par exemple résister à plusieurs herbicides.
La possibilité de transfert de gènes vers des bactéries
est improbable mais elle est possible, et cette possibilité doit
être précisément évaluée lorsque l'on
considère par exemple des gènes de résistance aux
antibiotiques.
De façon générale, ces gènes de résistance
aux antibiotiques, qui étaient nécessaires comme gènes
marqueurs lors des premières constructions génétiques, ne
sont plus aujourd'hui utiles. C'est pourquoi je pense préférable
que, pour la prochaine génération de plantes
transgéniques, ces gènes ne figurent plus dans les constructions
génétiques.
- Les risques économiques
Ils doivent être pris en considération, car il est évident
que la mise en marché de plantes transgéniques va engendrer au
niveau mondial des mutations profondes dans les relations entre les
agriculteurs et les industries semencières.
En effet, si seules quelques plantes transgéniques sont
autorisées en Europe, une soixantaine d'espèces
différentes a fait l'objet de dissémination expérimentale
dans le monde, et la mise en culture des plantes transgéniques, qui ne
concerne en France pour 1998 que quelques milliers d'hectares, approche trente
millions d'hectares dans le monde, dont les trois quarts aux Etats-Unis.
Par ailleurs, les règles actuelles de l'Organisation Mondiale du
Commerce ne permettent vraisemblablement pas d'interdire les importations de
plantes transgéniques reconnues sans danger pour l'homme et
l'environnement. Les Européens seraient alors contraints soit à
consommer des aliments issus de plantes transgéniques en provenance des
Etats-Unis, soit à payer des pénalités très
importantes et difficilement acceptables économiquement.
C'est l'un des enjeux des négociations à venir que de faire
accepter que les règles du commerce mondial prennent aussi en compte les
aspects environnementaux et sociaux dans les relations commerciales entre
Etats. C'est ce que l'on baptise à Genève le "quatrième
critère", déjà évoqué sans
succès lors du précédent cycle de négociations.
A titre indicatif, le gouvernement américain a d'ores et
déjà fait savoir au gouvernement français qu'il estimait
le préjudice actuel, dû au simple retard de décision sur le
maïs, à environ 200 millions de dollars.
L'autre aspect du risque économique concerne les enjeux liés
à la connaissance du génome des plantes. C'est la maîtrise
du vivant au service de l'homme qui est recherchée, mais aussi, par le
biais de la brevetabilité des gènes, son appropriation.
Le secteur semencier en France, avec un chiffre d'affaires de
10,5 milliards de francs, est actuellement le premier en Europe et le
troisième au niveau mondial. Il faut éviter que ce secteur perde
sa place de leader et se trouve à l'écart de l'innovation
biotechnologique. Il faut également éviter de le placer en
situation de dépendance face aux sociétés agrochimiques
américaines, qui disposent d'ores et déjà de nombreux
brevets sur des gènes d'intérêt agronomique majeur.
Comment, dès lors, maîtriser ces risques ?
- Par la recherche
Le risque le plus difficile à évaluer est, je pense, le risque
économique. Mais, quelles que soient nos décisions à
l'égard des OGM, il faut essayer de se prémunir et de ne pas se
laisser déposséder de nos connaissances sur les
variétés végétales. C'est pourquoi il me semble
urgent de renforcer ces connaissances.
Le gouvernement a décidé d'accompagner le développement de
la recherche dans ce domaine, dans le cadre de grands programmes de recherche
et de coopération visant à explorer le génome
végétal.
La recherche et le développement en matière de biotechnologie
sont des secteurs prioritaires du gouvernement pour la mise en place de
réseaux thématiques de recherche, et
Monsieur Allègre, lors de son audition, vous développera, je
n'en doute pas, ce point.
- Par des procédures adaptées
Concernant les risques alimentaires et environnementaux, des comités
d'experts sont capables de les évaluer. En effet, une plante
transgénique est le résultat d'une construction dont les
éléments sont parfaitement caractérisés, et l'on
dispose ainsi de bases rationnelles sur lesquelles on peut bâtir une
évaluation scientifique.
Le risque alimentaire est actuellement évalué par le Conseil
supérieur d'hygiène publique de France, sous la tutelle du
Ministère de la santé. Il le sera dans l'avenir par l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments, qui sera mise en place avant la
fin de cette année. Cette agence fédérera et renforcera
l'expertise existante en matière de sécurité alimentaire,
et devra assurer que cette expertise est réalisée avec
transparence.
L'évaluation du risque environnemental est assurée par la
Commission du génie biomoléculaire sous la tutelle du
Ministère de l'agriculture et de l'environnement. Cette commission,
essentiellement composée de scientifiques, est ouverte à des
représentants de la société civile, notamment
d'associations de consommateurs et de protection de l'environnement.
Pour les dossiers de mise sur le marché, ces évaluations sont
réalisées par l'ensemble des comités existants dans les
différents Etats-membres, relayés en général par
des comités scientifiques européens. Ces évaluations des
comités scientifiques, qui fondent les décisions
ministérielles, doivent être les plus transparentes possible, et
je souhaite que leurs avis soient rendus systématiquement publics.
Les interrogations principales concernant l'utilisation des OGM concernent les
effets à long terme susceptibles par exemple de menacer la
biodiversité.
La réponse n'est pas simple, et ce qu'il faut absolument garantir, c'est
la réversibilité d'éventuelles décisions, par
un suivi précis des autorisations accordées.
Les avis des comités scientifiques ne sont toutefois pas les seuls
éléments à prendre en compte dans les décisions.
Les attentes des consommateurs sont également à considérer.
Les études réalisées auprès d'échantillons
de consommateurs montrent toutes une large méfiance à
l'égard des organismes génétiquement modifiés. Plus
des trois quarts y sont a priori défavorables.
Toute technologie nouvelle génère de l'angoisse, puisqu'elle
explore un territoire inconnu du consommateur, et il n'est ni anormal ni
étonnant que les consommateurs soient inquiets. Cette inquiétude
est d'ailleurs renforcée par le manque de connaissance de la population
à l'égard de la génétique.
Pour qu'un risque soit acceptable par le consommateur, il faut un certain
nombre de conditions, qui ne sont pas réunies actuellement.
La première condition est que ce risque doit avoir pour contrepartie un
bénéfice tangible. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de
bénéfice perçu par le consommateur, dans la mesure
où les raisons de la modification sont ignorées. C'est pourquoi
il me semble essentiel que les innovations issues des biotechnologies
participent à l'amélioration des qualités nutritionnelles
ou gustatives des produits, et pas uniquement à une augmentation de la
productivité.
Une autre condition importante est la liberté de choisir. En effet, un
risque imposé, même théorique, est inacceptable. En
l'absence d'étiquetage, le consommateur a le sentiment qu'on lui impose
un risque en modifiant son alimentation à son insu.
Le Conseil des Ministres de l'agriculture vient, hier, de clarifier la
proposition de la Commission européenne sur le sujet et d'adopter des
mesures relatives à l'étiquetage des aliments issus d'OGM.
Ces mesures prévoient un étiquetage large des aliments issus
d'OGM sur la base de la présence de protéines nouvelles ou d'ADN
issus de la modification génétique, mais aussi l'utilisation
claire et non ambiguë du caractère génétiquement
modifié d'un produit. Il est à souligner que la mention "peut
contenir des OGM", réfutée à la fois par les associations
de consommateurs et les opérateurs économiques, n'a pas
été retenue.
En conclusion, Monsieur le Président, je pense qu'il faut
réellement garantir le choix aux citoyens de ne pas utiliser ou de ne
pas consommer des OGM.
La réponse aux demandes d'autorisation de dissémination de
plantes transgéniques doit, me semble-t-il, être apportée
dans le cadre d'un examen au cas par cas du bilan coûts/avantages
présenté par la lignée impliquée. Lorsque, par
exemple, le seul avantage que présenterait la mise en culture
d'espèces végétales transgéniques est leur
résistance aux herbicides, je ne trouve pas cela suffisant. Ni le
consommateur, ni le citoyen préoccupé d'environnement n'y
trouveraient d'avantage susceptible de compenser les inconvénients
possibles.
Ensuite, c'est le respect du principe de précaution qui guidera les
décisions du gouvernement.
Enfin, comme je l'ai déjà dit, le gouvernement tiendra
également le plus grand compte de tous les avis qui lui seront
exprimés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix
scientifiques et technologiques ainsi que par la Conférence des citoyens.
Tels sont les propos liminaires que je souhaitais tenir pour situer un peu
l'approche du ministre de l'agriculture et, plus largement, celle du
gouvernement.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Monsieur
le Ministre, d'abord de participer à ce débat, qui est un
débat de rapporteurs, mais ouvert.
Je rappelais tout à l'heure le premier travail de l'Office parlementaire
sur les biotechnologies dans l'agriculture et l'agroalimentaire était un
rapport de Daniel Chevallier, Député des Hautes-Alpes, ici
présent et qu'à l'époque, cela n'avait malheureusement pas
suscité le débat qui est réclamé maintenant.
Le Parlement avait donc déjà travaillé sur ce sujet, mais
un peu plaidé dans le désert.
Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la même situation. D'abord, je vous
remercie d'un certain nombre de précisions.
Vous venez de nous parler de la clarification des règles
d'étiquetage, dont nous étions très demandeurs et à
laquelle nous étions très attachés.
Vous nous avez également dit qu'après un renvoi la semaine
dernière, puisque trois pays avaient voté contre (la
Suède, le Danemark et l'Italie), le Conseil des Ministres de
l'agriculture venait de prendre une décision, qui est pour nous
importante, parce qu'elle permettra de clarifier la situation des
consommateurs, ce que ces derniers demandaient.
Le fait d'abandonner l'idée "susceptible de contenir" est pour nous
très important. Le fait d'étiqueter est majeur. J'ai eu plusieurs
courriers dans ce sens. S'il n'y a pas d'étiquetage, il n'y a pas de
transparence, et l'on est en ce sens en désaccord avec la position
américaine, qui ne souhaite aucun étiquetage pour l'instant.
Nous parlions tout à l'heure, puisque Monsieur Magalhães,
ici présent, est représentant de l'Organisation mondiale du
commerce. Nous parlions du rôle de l'OMC qui, finalement, est important
et majeur mais qui, paradoxalement, ne traite que des conflits et n'essaie pas
de fixer les règles du jeu en amont des problèmes qui pourraient
éventuellement se poser.
Nous avons abordé plusieurs problèmes tout à
l'heure ; il faut que cela avance, et c'est une demande que je vous ferai
et que l'Office fera dans le rapport que je présenterai. Il s'agit de
demander à l'OMC qu'il y ait fixation des règles du jeu avant
qu'il y ait résolution des litiges, même si les panels essaient de
les résoudre au niveau de l'Organisation mondiale du commerce.
Ce point de l'étiquetage est majeur et fait se poser d'autres questions.
On n'a pas tout traité lorsque l'on a traité le problème
de la détection des protéines et de l'acide
désoxyribonucléique (ADN), car se posera le problème des
seuils.
Je pose une question importante : le rapport entre l'agriculture
biologique et l'agriculture dite "traditionnelle". Il y a une affaire dans le
Gers et dans le Tarn-et-Garonne. Je l'ai rappelée ce matin à ceux
qui étaient présents. Je serai donc plus bref, mais nous pourrons
en parler après les auditions.
Il s'agit de l'affaire de Kochko. Cet agriculteur biologique, qui fabrique du
soja dans le sud de la France, a eu des semences provenant des Etats-Unis, bien
sûr garanties sans OGM, puisqu'ils respectaient le cahier des charges de
l'agriculture biologique.
Il a vendu son soja en Allemagne pour faire du tofu et, à la suite d'un
contrôle par des techniques PCR, techniques très précises
d'amplification de l'ADN qui permettent de détecter de faibles taux
d'ADN, on a détecté des amorces de soja
génétiquement modifié.
Qui devient le responsable dans ce cas ? Y a-t-il responsabilité si
l'on n'a pas de méthodes quantitatives, ou seulement des méthodes
expérimentales pour l'instant, pour savoir combien il y avait d'ADN dans
son soja biologique ? Qui est responsable ?
Dans ces cas, cela tombera-t-il sous le coup de la législation
européenne ? Quelles seront les règles du droit ? Si
l'on met "contient" alors qu'il n'y en a pas, y aura-t-il un
problème ? Si l'on met "ne contient pas" alors qu'il y en a
un peu, y aura-t-il également problème ?
C'est une première question que je pose, non pas en demandant la
résolution tout de suite, mais en insistant sur la
nécessité de résoudre ces questions au niveau
gouvernemental.
On a avancé dans le bon sens -en tout cas c'est ce que nous demandions
et c'est ce que certains demandaient-, et l'on souhaite évoluer.
Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé de
votre décision du 27 novembre. Elle venait après une
décision du 2 février 1997 de Madame Lepage -qui
s'est exprimée à ce sujet lorsque je lui ai posé la
question-, qui autorisait l'importation de soja et de maïs sans autoriser
la mise en culture.
Le 27 novembre, vous avez choisi d'autoriser également la mise en
culture ; n'y a-t-il pas un paradoxe dans ces deux décisions
gouvernementales, même si ce sont deux gouvernements
différents ?
Il nous est fait un reproche. Même si nous auditionnons le gouvernement,
le Parlement n'est pas l'organe exécutif ; ce n'est que l'organe
législatif qui prépare des lois, et je remercie Monsieur le
Ministre de dire qu'il tiendra compte de nos avis avec beaucoup d'attention.
Néanmoins, certain nous ont dit que nous faisions le débat
après les prises de décisions.
Y a-t-il donc paradoxe quant à la prise de décision le
27 novembre 1997 qui venait après une décision
contradictoire du 2 février ?
Ce débat qui vient après des décisions, est-ce la bonne
méthode pour travailler ?
M. Le Pensec
-
Dans la mesure où j'ai
été mêlé directement à ce point, je rappelle,
pour l'avoir un peu évoqué tout à l'heure, que le
maïs Novartis dont vous parlez avait fait l'objet -vous l'avez dit- d'une
autorisation d'importation et de mise sur le marché du gouvernement
précédent.
Nous nous trouvions donc dans une situation dont le moins que l'on puisse dire
est qu'elle était paradoxale. Les importateurs pouvaient faire entrer
sur le marché du maïs Novartis ; les agriculteurs pouvaient
l'utiliser pour nourrir leurs animaux mais il leur était interdit de le
cultiver.
Pour justifier une telle position, il aurait fallu, comme je l'évoquais
tout à l'heure, pouvoir mettre en avant un risque de
dissémination des gènes de cette variété de
maïs dans l'environnement, avec des conséquences dommageables qui
auraient pu en découler.
La Commission du génie biomoléculaire avait clairement
établi que ce risque n'existait pas, compte tenu de l'absence en Europe
d'espèces susceptibles de croisements avec le maïs.
Il est évident que celui à qui revient, au sein du gouvernement,
en première ligne, de prendre une telle décision se fait
communiquer d'emblée cet avis de base. J'étais désireux de
connaître cela.
Par ailleurs, il ne m'a pas échappé que toutes les commissions,
tant nationales que communautaires, avaient eu à se prononcer sur ce
dossier et avaient rendu un avis favorable.
Dans ces conditions, j'en ai fait part au Premier Ministre, qui a
considéré qu'il y avait là matière à une
décision du gouvernement. Le Premier Ministre a réuni les
ministres concernés au premier chef par cette question et nous avons
tenu une réunion de ministres sous la présidence du Premier
Ministre, pour arrêter ce qui serait la décision du gouvernement.
Il était évident qu'il n'était pas possible de
différer plus longtemps l'autorisation de mise en culture du maïs.
Je note que cette autorisation, qui a été donnée, a
été entourée de précautions à mes yeux
suffisantes pour rassurer l'ensemble des citoyens, à savoir :
- autorisation de mise en culture pouvant être retirée -ce
que j'appelais tout à l'heure la réversibilité- s'il
apparaissait que des conséquences dommageables puissent survenir dans
l'environnement ;
- mise en place d'un système de biovigilance pour contrôler
l'impact de la mise en oeuvre de la culture du maïs Novartis sur
l'environnement.
J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur la mise en place du
système de biovigilance, mais tout cela faisait partie intégrante
de la décision du gouvernement, qui a été prise
après mûre réflexion,
- après que je me sois fait communiquer toutes les données
des dossiers qui avaient été produits par toutes les instances
légitimement concernées et consultées par cette question,
- et après avoir eu de nombreux entretiens avec des experts dans
tel ou tel domaine, non seulement spécialistes scientifiques mais aussi
représentants des consommateurs et d'associations de l'environnement.
Tel est, Monsieur le Président, le contexte dans lequel a
été prise cette décision dans ce cas particulier, alors
qu'il nous apparaissait qu'il était possible de répondre
positivement à toutes les interrogations que posait ce dossier.
Mais bien évidemment, il a été fait de cela un cas
à part, et, la décision comportant aussi ce point, il a
été décidé le même jour du lancement d'un
grand débat public. C'est ce qui nous vaut d'être
présents aujourd'hui.
Je confirme que, pour l'avenir, il sera tenu grand compte de ce qui pourra
être dit non seulement dans cette instance, mais aussi par la
Conférence citoyenne.
M. Le Président
-
Je pose une autre
question, puis nous traiterons du problème de l'étiquetage, sur
lequel je suis intervenu parce que vous nous avez annoncé une
décision récente.
Un complément de question est posé sur les additifs, en disant
que l'on dosera l'ADN et les protéines, mais pas la totalité des
additifs. C'est un complément à la question posée sur
l'étiquetage, et l'on répondra peut-être de manière
globale tout à l'heure, puisque c'est une question importante, qui va
dans le bon sens puisqu'on le souhaitait et on le demandait.
M. Le Pensec
-
Sur la question du seuil de
détection, dont vous disiez qu'elle n'est pas complètement
résolue, il est de fait que les méthodes actuelles qui permettent
la détection de l'ADN ne sont pas encore complètement
harmonisées au niveau communautaire.
Actuellement, si l'on met en évidence de l'ADN
génétiquement modifié, le produit sera reconnu comme
génétiquement modifié, donc étiquetable
indépendamment de tout seuil.
M. Le Président
-
Une question m'a
été transmise : tous les comités scientifiques n'ont
vu aucun problème à la mise en culture du maïs Novartis (cf.
l'avis de septembre 1997 du Comité de la prévention et de la
précaution).
J'ai auditionné son Président et je réponds tout de
suite : dans le Comité de la prévention et de la
précaution, il n'y a pas eu de travail de recherche, mais de la
compilation de ce qui existait. Il y a eu une journée de travail,
notamment avec une décision dans l'avis qui est conforme à ce
qu'a dit Monsieur Le Pensec tout à l'heure : sur des
montages qui utilisaient des gènes de résistance aux
antibiotiques, il vaudrait mieux éviter d'autres types de montage dans
l'avenir.
Ce sera dans le rapport ; nous avons étudié ce point. Je
n'ai pas l'intention d'écarter cette question. Je la donne publiquement
pour qu'elle soit actée. Nous la discuterons davantage avec le Ministre
de l'environnement, parce que je voudrais poser d'autres questions concernant
spécifiquement le Ministre de l'agriculture.
Une question nous a été posée dans les auditions, et elle
est très importante. Les agriculteurs, y compris de mon
département, me l'ont posée :
Comment la mise en culture de plantes transgéniques, qui favoriseront la
productivité -il y a eu le débat ce matin de l'augmentation de la
productivité dans les pays riches- s'articulera-t-elle avec vos
récentes déclarations sur le fait que l'exportation n'est plus un
impératif majeur de la politique agricole ?
Si, dans nos pays, qui sont des pays développés, dans lesquels la
consommation risque de ne pas augmenter, en tout cas pas de manière
exponentielle, on a une augmentation de la productivité, ne faudra-t-il
pas se remettre dans le cercle de la vente et de la compétition sur le
marché international, ce qui signifie des baisses de prix ?
Cette question importante nous a très souvent été
posée par beaucoup d'agriculteurs, et je souhaite vous la poser parce
qu'elle est totalement du ressort du Ministère de l'agriculture et de la
pêche.
M. Le Pensec
-
Comme je l'ai déjà
dit tout à l'heure, je suis convaincu que, si le seul avantage que les
plantes transgéniques présentent est celui de permettre un
accroissement de la productivité, nos concitoyens ne
considéreront pas cela comme un avantage suffisant pour légitimer
et justifier une autorisation de maïs transgénique.
Je considère que le gouvernement ne pourra donner son autorisation
à une mise en culture de plantes transgéniques que si le bilan
avantages/inconvénients lié à cette autorisation fait
apparaître de façon évidente que les avantages l'emportent.
Les gains de productivité sont sans doute importants pour nos
agriculteurs mais, s'ils ne s'accompagnent pas d'avantages équivalents
pour les consommateurs et pour la protection de l'environnement, je pense
qu'ils ne suffisent pas pour légitimer la diffusion de ces
espèces végétales.
Ainsi que vous le savez, et comme j'aurai l'occasion de le redire bientôt
devant le Parlement en présentant la loi d'orientation agricole, je
considère que l'agriculture doit remplir une triple mission :
économique, environnementale et sociale, ou plutôt
sociétale.
Il ne s'agit pas de récuser le recours au génie
génétique en agriculture, mais les décisions publiques ne
pourront pas être justifiées par le seul souci
d'amélioration de la productivité de l'agriculture.
Je suis convaincu que la politique devra prendre en compte les autres
préoccupations environnementales et territoriales. C'est une conviction
que j'espère faire bientôt partager au Parlement.
S'agissant de l'exportation, c'est un autre débat d'actualité.
Certains ont peut-être déformé mes propos ou ont voulu me
faire dire plus que je n'avais dit, mais j'ai eu l'occasion de dire que
j'étais convaincu que notre pays avait les capacités
exportatrices, tout en tenant à préciser dans le cadre du
débat de la Politique agricole commune, qu'il n'y avait pas à
considérer que l'ensemble de l'agriculture européenne devait se
donner comme objectif premier d'être présente à
l'exportation sur les pays tiers, et que 80 % de son marché
était l'Europe, c'est-à-dire un marché à haute
valeur ajoutée.
Tel est le lien entre les deux questions.
M. Le Président
-
Plusieurs autres
questions sur l'étiquetage sont arrivées, mais je voulais poser
la question de la biovigilance. Madame Lebranchu vient, et nous pourrons
également poser ces problèmes d'étiquetage tout à
l'heure.
Sur la biovigilance, pouvez-vous nous indiquer comment cela se met en
place ? Y a-t-il des problèmes ? Finalement, les
différents articles de l'arrêté de février 1998
sont-ils faciles à mettre en place ? Qui sera chargé de la
biovigilance ? Comment cela se déroulera-t-il ?
Les questions que j'ai eues pendant les auditions portaient sur cette partie
pratique. Sur un décret, c'est bien, cela rassure effectivement, mais
comment cela se mettra-t-il en place ?
M. Louis Le Pensec
-
Cela se met en place
très concrètement, puisque ce matin se tenait encore une
réunion du Comité de biovigilance et que certaines personnes ici
présentes participaient à cette réunion.
Comme je le disais tout à l'heure, des possibilités d'apparition
d'événements défavorables existent pour la culture de
plantes génétiquement modifiées sur de grandes surfaces.
Il nous est donc apparu d'emblée qu'il fallait se donner les moyens de
suivre l'apparition possible de tels événements.
Le système de biovigilance a été créé pour
les variétés de maïs OGM récemment autorisées,
et il est piloté par un Comité de biovigilance, je serais
tenté de dire "provisoire".
Ce comité a pour objectif d'assurer une traçabilité des
semences de maïs OGM, mais aussi de suivre la possibilité
d'événements défavorables sur l'environnement et, d'ores
et déjà, des protocoles de suivi ont été mis en
place.
Concernant le suivi du gène marqueur de résistance à
l'antibiotique, une expérimentation sera mise en oeuvre pour suivre la
transmission éventuelle de ce gène dans les bactéries
du sol. D'autres expérimentations sont envisagées. L'une
d'entre elles concerne l'étude de la transmission de ce gène au
niveau du tube digestif des animaux.
Un bilan de l'utilisation des variétés de maïs OGM et des
résultats des protocoles expérimentaux sera
présenté au Comité de biovigilance et rendu public. Si des
effets jugés indésirables sont mis en évidence, ils seront
communiqués pour proposition d'action aux ministres concernés.
L'institution fonctionne donc. Je ne dirai pas qu'elle est pleinement
rôdée. Elle a été mise en place. Les dispositifs
administratifs sont en place et, aux dires des participants, en tout cas de
ceux qui y sont pour mon compte, je pense que de riches constats sont faits et
qu'une ambiance de coopération légitime pleinement la mise en
place de cette "institution".
M. Le Président
-
Nous arrivons
malheureusement à l'issue de cette heure, mais je voudrais vous poser
deux questions.
L'une est directement liée à ce que vous venez de nous indiquer.
Dans la conclusion de votre texte, vous dites que si, finalement, une
modification de la plante ne concerne qu'un unique gène de
résistance à des herbicides, il n'est pas sûr que le gain
pour le consommateur soit suffisant. Cela préjuge-t-il d'un certain
nombre de décisions futures dans ce domaine ?
Une deuxième question nous a été posée sur
l'attitude de Costimex et des sociétés qui regroupent le
maïs et les semoules de maïs fabriqués par des
agriculteurs ; des agriculteurs nous avaient saisis du fait que, cette
année, ils avaient reçu des lettres de Costimex et d'autres, leur
indiquant qu'ils ne voulaient pas de maïs génétiquement
modifié, alors qu'il y avait une autorisation de mise en culture.
De ce fait, il y a eu beaucoup moins d'hectares mis en culture que de doses
disponibles.
Ils nous ont dit que ce n'était pas de leur fait mais de celui des
clients. C'est assez intéressant. J'ai ici une lettre de clients
asiatiques, ce qui est intéressant pour l'OMC, parce que l'on a
exactement dans l'autre sens ce que les Américains nous reprochent.
Ces clients asiatiques indiquent dans le contrat de livraison de semoule de
maïs : "garantie libre de toute modification de gènes".
Finalement, dans ce cadre, n'y a-t-il pas également barrière non
tarifaire ? Ce que l'on ne peut pas retourner, cela existe et cela
satisfait d'ailleurs un certain nombre de personnes qui ne souhaitent pas que
cela soit mis en culture mais, d'un autre côté, au niveau
commercial, c'est exactement ce qui nous est reproché de l'autre
côté de l'Atlantique.
Que vous inspire ce type de pratique ?
M. Louis Le Pensec
-
Comme je le disais dans
mon propos, il m'apparaît important que les personnes qui souhaitent ne
pas utiliser d'organismes génétiquement modifiés puissent
le faire. Nous allons créer les conditions pour que puisse se
développer une filière de plantes non-transgéniques. Il
faut pouvoir apporter une telle assurance.
C'est la raison pour laquelle, à mes yeux, le comportement des
fabricants de semoule m'apparaît non seulement compréhensible,
mais totalement acceptable.
Pour la première question, je pense que, sur une question dont j'ai
souligné l'ampleur, la difficulté et la complexité, il ne
faut pas traiter globalement d'une expérience ou d'une seul
caractère. C'est donc à un bilan global coûts/avantages, et
prenant en compte toutes les interrogations que j'évoquais tout à
l'heure, que le gouvernement sera conduit.
Dans ce bilan, ne seront pas neutres la portée des recommandations,
suggestions, avis, critiques de vos auditions, les conclusions que vous
formulerez, le rapport d'étape que vous pourrez exprimer, tout comme
ceux de la Conférence de Citoyens.
M. Le Président
-
Merci, Monsieur le
Ministre. Au sujet de votre dernière remarque, je tiens à vous
dire que :
- La Conférence de Citoyens aura lieu les 21
et 22 juin ; elle présentera son rapport le 22 juin.
- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, qui vient de se réunir, dont je salue les membres qui
viennent d'arriver, se réunira le 30 juin. Je serai en mesure
de rendre un rapport d'étape, s'il est accepté par l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le
30 juin, pour vous indiquer les premières conclusions de ce
rapport, qui a débuté en novembre 1997.
Ce matin, j'ai entendu quelqu'un dire qu'il s'agissait d'études "TGV".
Ceux qui ont dit cela n'ont pas l'habitude de travailler dans cette enceinte.
Des rapports où l'on travaille huit mois au niveau du Parlement,
où il y a beaucoup d'auditions, du débat public, du travail en
amont, c'est peu courant.
Sur des grands textes qui ont été votés, des
décisions ont été prises et, trois, quatre ou cinq mois
plus tard, les textes sont au niveau de la discussion publique. Nous avons donc
pris le temps de la réflexion.
Du fait que ce sera un rapport d'étape, nous profiterons d'abord de
l'été pour essayer de faire le bilan de cette campagne, de voir
le bilan de la biovigilance, parce que ce sera très intéressant
pendant la campagne de culture, et peut-être de réfléchir
ensemble -en tout cas, je verrai plusieurs personnes de votre administration-
à des dispositions réglementaires et législatives dans ce
domaine, qui ont été proposées par certains, notamment
dans la table ronde précédente, tout à l'heure.
Tel est, M. le Ministre, le calendrier du Parlement.
Je vous remercie d'être venu, d'avoir répondu à certaines
questions, d'avoir donné des précisions. Des décisions
nouvelles sur l'étiquetage ont été prise en tout
début de semaine à Bruxelles, et il faut sans doute continuer.
Des questions complémentaires ont été posées sur
les additifs, sur les enzymes ; beaucoup de questions se posent alors. Je
donnerai mon avis personnel sur ce sujet, mais je pense qu'en supprimant la
notion "susceptible de contenir", on a fait un grand pas.
M.Le Pensec
-
Merci, Monsieur le Président, pour
cette contribution novatrice que vous apportez au processus de prise de
décision politique dans notre pays, telle que cette décision doit
être prise dans une république moderne.
Audition de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux
petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat
M. Le Président
-
J'ai le plaisir d'accueillir
Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'état aux petites et
moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat chargée de la
consommation.
Merci beaucoup d'être venue. Notre journée nous a d'abord permis
d'entendre trois tables rondes :
- une première sur les enjeux économiques et internationaux
pour l'agriculture et l'alimentation
- une deuxième sur les enjeux pour la recherche
- une troisième, où il y a des problèmes qui nous
préoccupent, et qui sont des problèmes communs, sur les enjeux
réglementaires, sur l'organisation de l'autorisation et du
contrôle de l'expertise sur les organismes génétiquement
modifiés.
Nous venons d'entendre Louis Le Pensec sur les problèmes de
l'agriculture et, dans le mesure où vous avez, Madame la Ministre, la
tutelle de la consommation, nous souhaiterions que vous puissiez nous indiquer,
sur ce dossier, quelles sont les parties qui traitent de la consommation.
Nous avons d'ailleurs vu des fonctionnaires de votre Ministère dans les
auditions privées. Certains seront également dans la table ronde
qui traitera demain de la consommation. Une autre table ronde traitera de la
santé et une dernière de l'environnement.
Nous verrons également tout à l'heure M. Kouchner et,
demain, Claude Allègre et Dominique Voynet. Nous aurons eu un
tableau complet de la situation des OGM dans notre pays.
Certains regrettaient que le débat n'ait pas eu lieu assez tôt. Ce
n'est d'ailleurs pas la faute du Parlement. A l'Office, nous avons
déjà publié un rapport sur ce thème, mais dans une
période où cela intéressait peu de monde.
Aujourd'hui, c'est d'ailleurs encore la même chose, puisqu'une
enquête récente montre que 46 % des Français n'ont
jamais entendu parler de plantes transgéniques.
Pour ceux qui n'ont pas entendu, je vous donnerai une question posée par
un sociologue américain : une tomate normale ne contient pas de
gènes et une tomate génétiquement modifiée en
contient ; cette affirmation est-elle vraie ? Vous verrez les
résultats. Des pays connaissent d'ailleurs mieux la tomate que d'autres.
Je ne vais pas répéter ce que je disais sur la dernière
livraison que nous avons eue sur notre forum surInternet, mais il est
intéressant de voir que l'on traite de questions complexes avec des
connaissances faibles des consommateurs et de la population, mais c'est
à nous d'organiser le débat dans le pays pour que les individus
puissent choisir. Je pense que c'est ce qui est important.
Madame la Ministre, je vous laisse la parole.
Mme Lebranchu
-
Merci, Monsieur le Président.
En tant que ministre chargée de la consommation, je pense qu'il est
logique que nous suivions de très près l'évolution de ce
dossier et, à ce titre, je dois veiller à la prise en compte des
intérêts des consommateurs, qui ne sont d'ailleurs pas
antinomiques de ceux des professionnels.
L'ensemble de mes fonctions ministérielles (production, distribution,
consommation) me permet d'ailleurs de mieux conduire, je crois, une politique
de consommation concertée entre tous les partenaires.
La démarche que l'on a longtemps appelée "de la fourche à
la fourchette", de l'amont vers l'aval, a montré ses limites lorsqu'elle
néglige les intérêts des consommateurs. La crise
européenne de l'ESB l'illustre, et la commission en a tiré les
leçons en confiant le pilotage de la politique de sécurité
alimentaire aux responsables de la politique de la consommation
(Emma Bonino, DG XXIV Direction générale de la
politique des consommateurs et protection de leur santé).
Ma position sur les OGM s'est toujours inscrite dans les priorités de ma
politique au sein du gouvernement, parce que :
- Une politique de la consommation qui crée ou restaure les
conditions de la confiance peut avoir deux axes :
. la sécurité des consommateurs et des garanties sur cette
sécurité avec la mise en oeuvre du principe de précaution,
. la transparence de l'information et son accessibilité. C'est la
raison pour laquelle ce que vous venez de dire sur le degré
d'information des uns et des autres est fondamental.
- Une politique de consommation dans un espace économique
élargi (Europe - OMC) nous conduit à encore davantage de
vigilance ;
- La politique de consommation se fait avec et pour le
consommateur-citoyen.
Il faut donc d'abord asseoir la confiance et répondre à la crise
de confiance des consommateurs, après les crises sanitaires ESB,
hormones, sang contaminé et d'autres.
Les OGM s'inscrivent totalement dans le prolongement de ces inquiétudes,
même si -il faut le souligner- tout le monde s'accorde à
reconnaître la qualité de notre alimentation en
général.
Ensuite, la maîtrise des risques sanitaires impose plusieurs points :
- une solide évaluation scientifique indépendante ; ce
sera le rôle de l'agence de sécurité sanitaire des
aliments, qui sera prochainement mise en place. Elle sera un lieu d'expertises
scientifiques, avec des experts indépendants. Ses avis seront rendus
publics, et nous devrions également avoir un rapport, d'ici à la
fin de l'année, sur des propositions en matière
d'environnement ; deux parlementaires ont été chargés
d'y travailler.
Pour les OGM qui ont été autorisés au cas par cas, cette
évaluation a été faite par la Commission du génie
biomoléculaire (CGB), le Comité supérieur d'hygiène
publique de France (CSHPF) et le Comité scientifique européen,
mais sans doute y a-t-il un besoin de transparence.
- Une gestion des risques par les pouvoirs publics sur la base du principe
de précaution ; il est difficile de gérer le réel,
parce qu'il faut toujours choisir. Je pense comme beaucoup d'autres que, le
risque zéro n'existant pas, et les certitudes scientifiques absolues
n'ont plus, notre tâche n'est pas simple.
Le principe de précaution y répond. Mal compris, il peut conduire
à stériliser toute innovation, à prendre des mesures
démagogiques. Bien compris, à l'inverse, il peut engendrer pour
nous tous une sécurité des choix. C'est l'intérêt
d'un dispositif de suivi (par exemple le système de biovigilance mis en
place pour les OGM).
C'est donc à partir du principe de précaution qu'il faut
aujourd'hui travailler sur la responsabilité des pouvoirs publics.
- Cette responsabilité est partagée, et des
responsabilités sont clairement définies, celles des pouvoirs
publics mais aussi celles des professionnels tout au long de la chaîne.
Pour la plupart, les professionnels ont d'ailleurs totalement compris
l'intérêt de bien maîtriser leur production et de
répondre aux préoccupations des consommateurs. On en veut pour
preuve l'attitude des producteurs et de la distribution sur l'étiquetage
des OGM, qui a abouti aux recommandations de l'ANIA dès
octobre 1997.
Ce sont les semenciers qui n'ont sans doute pas compris d'emblée
l'intérêt, non pas de la sécurité mais de la
transparence de l'information, qui est le deuxième volet de la confiance.
Nous pouvons donc maintenant parler ensemble de la transparence de
l'information.
Il est essentiel d'informer plus et surtout mieux. Les consommateurs veulent
savoir ; ils ont le droit de savoir. La question de l'étiquetage
des OGM et des produits dérivés d'OGM a catalysé toute
cette demande d'information qui va bien au-delà du contenu même de
l'étiquette.
Il faut bien être conscient du fait qu'au travers de cette exigence
d'indication sur l'étiquette du produit, s'exprime le droit de refuser
ces nouvelles technologies. C'est le débat sur l'autorisation qui se
trouve ainsi reposé, et toutes les interrogations qu'elle suscite.
C'est pourquoi il faut des lieux et des outils susceptibles de permettre une
information solide et accessible.
Le Conseil National de la Consommation (CNC), lieu de "confrontation" entre
professionnels (producteurs-distributeurs) et consommateurs, peut constituer
une enceinte pertinente.
Depuis un an on y débat d'ailleurs vivement des aspects scientifiques,
économiques, techniques et réglementaires. Des réunions de
travail avec la participation d'experts de tous milieux se sont tenues à
plusieurs reprises sur les bases scientifiques et les méthodes du
génie génétique, les risques sanitaires et
environnementaux, les aspects juridiques, le contexte international,
l'information des consommateurs, la traçabilité et
l'étiquetage des produits.
A la demande de représentants des différents collèges du
CNC, j'ai accepté tout récemment d'ailleurs d'instaurer en son
sein un groupe permanent sur les OGM.
Il faut également des instruments pédagogiques d'interface entre
le scientifique, le technique, le politique et le citoyen ; cela pourrait
être l'une des ambition pour l'INC (Institut national de la consommation)
et sa revue "60 Millions de consommateurs".
Pour ce qui concerne plus spécifiquement l'étiquetage, je
souhaiterais souligner la position que j'ai défendue dans le cadre des
négociations européennes et qui vient d'être
adoptée, à une nuance près.
C'est le choix de l'obligation générale d'étiquetage qui a
finalement été retenu, qu'il y ait présence d'ADN ou
de protéines résultant d'une modification
génétique. Cet étiquetage sera clair puisque ce sera la
mention positive "génétiquement modifié" qui sera
apposée. Ce n'a pas été sans mal que nous avons obtenu ce
résultat.
Enfin, des produits pourraient ne pas être étiquetés, mais
cette liste de produits non-étiquetés est vide pour l'instant,
parce que toute inscription sera négociée en tenant compte des
avis scientifiques, et révisée en fonction de l'évolution
technologique.
En tout état de cause, ces éventuelles exceptions au principe
général d'étiquetage devront rester très
limitées et seront clairement expliquées. La vigilance de mes
services et la mienne s'attacheront particulièrement à
l'élaboration de cette liste.
J'ai toujours plaidé pour un étiquetage le plus large possible,
parce que je pense que l'acceptabilité des OGM par les consommateurs, et
par suite, le développement des biotechnologies dans le domaine
alimentaire, ne peuvent se faire que si nous sommes prêts à mener
une politique de transparence et de clarté. C'est pour moi un
préalable incontournable.
En tout état de cause, je rappelle le chemin parcouru dans la
négociation européenne. Lorsque les négociations
européennes ont commencé sur le règlement relatif aux
nouveaux aliments (autour de 1995), ni la Commission, ni la majorité des
Etats-membres (dont la France), ne souhaitaient l'étiquetage des
produits dérivés.
Un premier infléchissement est intervenu avec l'adoption de
l'article 8 du règlement sur les nouveaux aliments. L'inscription
de l'obligation d'étiquetage en cas de non-équivalence du produit
était un premier pas.
Pour le texte qui vient d'être adopté, nous étions partis
d'une proposition avec la mention "peut contenir".
L'adoption du "peut contenir" de la proposition de la Commission (en fait
également très débattue dans le collège des
Commissaires) aurait créé une situation irréversible au
regard d'une information claire du consommateur, et hypothéqué
à notre avis toute chance d'obtenir une bonne traçabilité
des produits.
C'est la raison pour laquelle les débats ont été longs et
difficiles. Mais ils ont eu le mérite d'être clairs, et il faut
remercier en cela à la fois la présence française et nos
fonctionnaires sur place, que l'on oublie un peu trop souvent, parce que cela
n'a pas été simple tous les jours.
Nous avons aussi à prendre en compte, non seulement la dimension
européenne mais la complète dimension internationale.
Les réponses sur le marché unique ne peuvent être
hexagonales. Sur un marché ouvert, il faut des règles
harmonisées sur la base d'un haut niveau de protection des
consommateurs. C'est là, je crois, la limite du principe de
subsidiarité, que j'avais soulignée lors de mon intervention sur
la politique alimentaire devant le Parlement européen, en novembre
dernier.
Cette internationalisation du marché implique aussi la
nécessité de coopération des services de contrôle et
de validation de méthodes communes de détection.
L'étiquetage n'a de valeur que s'il est vérifiable, sans
contestation.
A cela s'ajoute le problème du "partage" des coûts du
contrôle, puisqu'un seul matériel "Polymerase chain reaction"
(PCR), par exemple, coûte actuellement 600.000 Francs. Le
problème ne sera donc pas facile à régler.
De plus, l'Europe doit peser sur l'OMC.
La libre-circulation devrait pouvoir avoir pour contrepartie, dans un tel cas,
le droit à l'information des consommateurs, appuyé sur des
garanties en matière de traçabilité.
J'ai eu récemment une discussion sur ce sujet avec une
délégation parlementaire des Etats-Unis, conduite par le
Président de la commission agriculture. Je ne puis assurer que j'ai
rencontré une totale adhésion, mais je n'ai pas non plus ressenti
une position de fermeture totale à une telle approche. L'OMC sera le
lieu de ce débat, et l'Europe devra s'y faire entendre.
Enfin, je souligne que la politique de la consommation se fait avec et pour le
consommateur-citoyen.
Le consommateur-citoyen veut participer aux décisions qui le concernent.
Jusqu'à aujourd'hui, c'est surtout par l'intermédiaire
d'associations-relais. Les dix-neuf associations nationales de consommateurs du
CNC font actuellement ce travail.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques, avec cette "conférence-citoyens", invente un
nouveau mode démocratique plus directement participatif, certes
utilisé ailleurs en Europe, mais dans des pays de plus petite dimension.
C'est une gageure, mais je pense que vous réussirez.
Les deux sont sans aucun doute complémentaires. J'en vois un signe
à travers vous et nos associations de consommateurs, en disant qu'un
débat ne pourra qu'enrichir l'autre.
En tout état de cause, cette demande d'une plus grande participation
traduit, je crois, le refus d'un pilotage des questions de l'amont vers l'aval.
Le citoyen-consommateur a le sentiment qu'on lui confisque ses
intérêts. C'est ce qui explique par exemple, à mon sens, la
réaction d'incompréhension et de protestation du CNC face
à l'autorisation de mise en culture, en novembre dernier, avant la
présentation de son avis.
Le consommateur-citoyen veut pouvoir se prononcer sur les thèmes qui
l'intéressent. Les biotechnologies en sont un, avec les limites que vous
avez soulignées tout à l'heure.
Le consommateur-citoyen est capable de comprendre que le risque zéro
n'existe pas (même s'il ne l'accepte pas toujours), mais il ne comprend
pas qu'on le lui cache. De plus, il croit qu'on lui cache quelque chose lorsque
l'on n'est pas assez transparent à son égard. La phrase est "si
vous ne voulez pas nous dire, c'est que vous avez quelque chose à
cacher".
Il faut donc des modes de fonctionnement adaptés à cette demande.
Le débat des OGM a pris, à l'évidence, une dimension
sociale et politique. Il suffit de lire la presse et de voir ce qu'il se passe
en Suisse par exemple.
Il nous faut -Gouvernement et Parlement- répondre par une écoute
attentive des questionnements, et surtout avoir toujours une explication claire
de nos choix.
Plus qu'un pari, c'est aujourd'hui une certitude : sans explication claire
de nos choix, nous n'aurons pas l'assentiment des consommateurs et, sans
l'assentiment des consommateurs, il n'y aura pas de consommation. Je pense que
les producteurs sont maintenant parfaitement convaincus de cette
nécessité.
Je vous remercie.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Madame la
ministre.
Il y a plusieurs questions, et vous pouvez me les faire parvenir pour que
j'essaie de les regrouper, parce que nous avons moins de temps que dans les
tables rondes.
Comme je l'ai déjà indiqué ce matin, le fait d'avoir
organisé des auditions de ministres et de responsables politiques, des
discussions entre experts, de manière publique et contradictoire, et une
Conférence de Citoyens avec un panel de citoyens, a pour objet, pour les
responsables politiques et les parlementaires, de prendre des avis à
tous les niveaux, celui de la décision et celui de ceux qui
subissent ces décisions, les citoyens.
Les experts n'ont pas le même avis ; le responsable politique a une
difficulté : prendre des décisions politiques dures sur ces
certitudes scientifiques molles. On le voit dans ce dossier.
Il faut donc confronter tous ces avis. Ensuite, le Parlement, l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques,
qui regroupe à la fois le Sénat et l'Assemblée nationale,
proposera et rendra un rapport, puis le gouvernement décidera. Je pense
que c'est une bonne chose.
En second lieu, l'avantage d'organiser de manière concomitante ces
différentes auditions d'experts, ces auditions de ministres et cette
Conférence de Citoyens, c'est de lancer le débat au niveau du
pays. Je pense que c'est très important.
La première question est la suivante : comment, selon vous, la
réticence des consommateurs français concernant les aliments
issus des plantes transgéniques s'explique-t-elle ? La jugez-vous
fondée ou non, et pourquoi ?
Je donne tout de même une explication : j'ai parlé tout
à l'heure d'une question amusante, mais j'ai ici une étude,
toujours du même sociologue américain, qui a étudié
les habitudes des consommateurs européens.
L'échelle des risques indiquée par les Européens est la
suivante :
1° les contaminations bactériennes ; 85 % pensent
que c'est dangereux
2° les résidus de pesticides (79 %)
3° les hormones et les antibiotiques (76 %)
4° les moisissures (76 %)
5° l'altération des produits (68 %)
6° l'irradiation de la nourriture (65 %)
7° les dates limites dépassées (58 %)
8° le génie génétique (44 %)
9° les colorants artificielles (39 %)
10° les nitrites (38 %)
11° le cholestérol (38 %)
12° le gras dans les aliments (37 %)
13° les additifs et les conservateurs (31 %)
14° le sel (14 %)
15° le sucre (12 %).
C'est assez intéressant. Dans l'échelle européenne, ceux
qui pensent qu'il y a le plus de risques sont les Suédois, puis les
Autrichiens, les Allemands et les Français. Ce sont les Italiens et les
Grecs qui pensent qu'il y a le moins de danger. Pour les Etats-Unis, il y en a
14 % (deux fois moins que celui qui pense en Europe qu'il y a le moins de
danger).
C'est intéressant pour commenter la question que je vous pose, que je
lie à ce que vous indiquiez tout à l'heure, à savoir que
vous voulez une amélioration de la transparence : finalement,
n'est-ce pas un certain nombre de problèmes qui se posent en
matière d'information du consommateur ? Que compte faire votre
ministère à ce sujet ?
Mme Lebranchu
-
Comme je l'ai dit dans l'exposé
-et je le confirme largement, en tout cas dans ce que l'on peut entendre
rencontrer, y compris via les associations- le premier élément de
crainte est lié aux crises récentes.
Dès l'instant où il y a eu des crises importantes dans un pays
où les autorités scientifiques sont de haut niveau, le
consommateur-citoyen devient forcément méfiant. Il a l'impression
(par exemple pour la crise de la "vache folle") que l'on connaissait le risque
et que l'on a tout de même distribué les produits.
La défiance fait partie du fait qu'actuellement, on a, à
l'extrême, envie de refuser tout nouveau risque potentiel. Pourquoi y
a-t-il un risque potentiel dans l'esprit de beaucoup de consommateurs ?
Parce qu'il n'y a pas eu d'expression claire, transparente et très
certaine des scientifiques, certains ayant dit qu'à long terme, on ne
peut pas savoir.
Dans la mesure où quelqu'un a dit cela, où il y a eu un doute, le
doute persiste. C'est la raison pour laquelle le principe de précaution
doit toujours répondre au principe qui est en face de nous, celui du
doute.
Je pense aussi que les consommateurs considèrent que nous ne sommes pas
transparents (je parle de la distribution, collectivement, puisque
nous-mêmes sommes toujours responsables) dans l'information qui est
donnée aux consommateurs.
Nous ne sommes pas transparents sur l'origine des produits, sur la façon
dont ils ont pu être traités, et nous sommes réticents
face, par exemple, au fait que l'on n'a pas le droit, dans une
publicité, de dire qu'il n'y a pas de nitrates dans un produit, parce
que cela signifierait qu'il y en a dans d'autres. Cela nous a été
cité hier, dans une autre réunion.
Cela rend le consommateur méfiant.
L'absence d'informations sur les produits, donc l'absence d'étiquetage,
est sûrement la première barrière, actuellement, à
l'acceptation potentielle des OGM, avec de plus la crainte que
l'étiquetage existe sur les produits directement OGM et qu'il n'y en ait
pas sur les dérivés.
On retrouve toutes ces raisons, la principale étant : "comme on ne
m'a pas assez pris en compte dans un passé récent,
peut-être ne me prend-on toujours pas en compte maintenant."
Voilà en tout cas ce que je crois.
M. Le Président
-
Vous abordez la
deuxième question importante, qui va compléter celles que
nous avons posées à Louis Le Pensec tout à
l'heure sur l'étiquetage.
La décision prise -et je crois que c'était la France qui se
battait pour que l'on écrive de manière claire "contient" ou "ne
contient pas"- va dans le bon sens. Nous avons eu une discussion sur ce sujet
à l'Office, et il y a eu l'unanimité pour le demander.
Tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet demandaient que ce soit clair,
en tout cas en France, même si ce n'est pas la position d'un certain
nombre de partenaires économiques. On voulait qu'il y ait
étiquetage, dès l'instant où l'on considérait que
le consommateur a le droit de choisir.
Néanmoins, Madame la Ministre, cette décision pose plus de
nouvelles questions qu'elle n'en résout. Excusez-moi de vous dire cela
mais, bien que n'ayant pas encore lu la totalité du texte que je vais
étudier, je connais le contenu des principales dispositions.
Tout d'abord, aucun seuil n'est pour l'instant indiqué. Sans seuil, on
ne traitera pas le problème dans les prochains temps, parce qu'il
pourrait y avoir deux types de procès. S'il est inscrit "contient des
OGM" et si l'on réussit à prouver qu'il n'y en a pas, il pourra y
avoir procès ; s'il est inscrit "ne contient pas d'OGM" et si l'on
réussit à prouver qu'il y en a, il y aura également
procès.
Or, avec l'amplification des amorces d'ADN par la technique PCR, les
biochimistes et les techniciens savent que l'on peut détecter des
concentrations très minimes d'ADN dans un aliment.
On a un bel exemple, que j'ai déjà cité deux fois :
l'exemple de Kochko. Il est très intéressant, et je l'avais
déjà indiqué à certains de mes interlocuteurs.
Cela signifie que dans "ne contient pas", si l'on ne met pas un seuil, on
n'arrivera pas à traiter la question.
Je ne dévoile pas le résultat de mes travaux, mais presque tous
ceux que j'ai consultés (y compris en Suisse, où la "votation"
aura lieu le 7 juin, et y compris ceux qui sont pour l'interdiction de
toute manipulation génétique et de toute recherche en Suisse,
c'est-à-dire qui vont très loin, y compris les Verts suisses)
sont pour un seuil qui n'est pas du tout le même que celui des
industriels.
Il y a un écart de 1 à 50, mais tous sont pour un
seuil, car sans seuil, on n'arrivera pas à traiter la question de "ne
contient pas".
Il va donc falloir fixer la limite du seuil. Dans quel délai les
Européens vont-ils se mettre d'accord sur cette fameuse limite car, tant
qu'on n'aura pas fixé cette limite, on sera de nouveau paralysé.
Un certain nombre de collecteurs de farine de maïs ou de distributeurs ne
se lanceront pas. Ils veulent tous partir, parce qu'il y a des
intérêts économiques, mais ils font tous du sur-place parce
qu'ils attendent de savoir lequel va démarrer le premier.
Quelle sera notre position ? C'est l'un des premiers points qu'il faudra
résoudre. Je souhaiterais avoir ensuite des précisions sur deux
ou trois points qui m'ont d'ailleurs été posés par
d'autres dans la salle.
Mme Lebranchu
-
Au risque de surprendre, y compris
certains de mes collègues, je suis contre les seuils depuis le
départ. Je ne vois pas pourquoi "ne contient pas" signifierait "ne
contient pas, sauf X %", même si c'est un Epsilon pour le
consommateur.
Je ne trouve pas l'argument pour défendre le seuil. L'argument que l'on
me renvoit, c'est que, dans un silo à grains, on peut avoir
entreposé des céréales non-OGM après des
céréales OGM et que, s'il y a cinq grains OGM par paquet,
cela fera un seuil Epsilon. Si cela peut se passer ainsi, cela
représentera zéro virgule quelque chose. C'est un seuil mais,
a priori, je suis contre les seuils.
Le problème -je ne sais pas quelle sera la position de votre instance-
est effectivement le procès qui serait fait à quelqu'un qui, de
bonne foi, a utilisé un silo après un autre silo.
Je pense que, pour les autres mélanges ou pour les autres utilisations
de produits, puisque l'on va en même temps parler de
traçabilité -on doit en parler-, dès l'instant où
il est possible d'avoir une traçabilité -on l'a obtenue pour
certains produits, et pour beaucoup de produits alimentaires actuellement-, si
l'on utilise dans un plat cuisiné des produits non-OGM et si l'on fait
la sauce avec des produits issus d'OGM, je ne vois pas pourquoi on ne le dirait
pas.
Si on ne le dit pas, c'est que l'on aurait quelque chose à cacher. Or,
celui qui met des OGM sur le marché estime qu'il n'y a pas de danger
pour la sécurité des consommateurs. S'il n'y en a pas, pourquoi
demander ces seuils, dans la mesure où ils sont
détectables ?
Telle est ma position aujourd'hui. Je suis prête à entendre des
arguments d'impossibilité, mais est-ce que ce sera un, deux ou
trois ? Mon souhait est que ce soit zéro.
M. Le Président
-
Je vous donne mon avis,
mais je pense que c'est assez intéressant parce que cela montre, y
compris dans le débat public, que l'on traite des questions. Mais cette
question est nouvelle, puisque vous avez pris une décision.
Personnellement, je pense qu'il ne faut autoriser un aliment que s'il n'y a pas
de danger en matière de sécurité alimentaire. C'est
évident. S'il y a un danger, il ne faut pas de seuil ; il ne faut
pas l'autoriser.
En second lieu, on a posé ce matin aux agriculteurs le problème
de la séparation des filières, qui est très
compliqué. Séparer des filières signifie le faire depuis
le champ de l'agriculteur jusqu'à la dernière industrie de
transformation, et il se passe des dizaines d'étapes dans la
chaîne qui va de ce champ à cette dernière industrie.
Il est évident que, si l'on veut le zéro zéro zéro,
s'il s'était agi de détection des protéines, il n'y avait
pas de problème, sauf par des techniques de radio-immunologie, car, pour
qu'il y ait une détection de protéines très sensible, on
n'a pas les mêmes techniques de sensibilité qu'avec l'ADN.
Avec l'ADN, on aura des sensibilités très fortes, ce qui signifie
qu'à mon sens -ce sera, je pense, l'avis de l'Office-, il faudra
déterminer un seuil, qui peut être très bas. Parmi toutes
les personnes que j'ai auditionnées, je n'ai pas encore entendu de
tenants du seuil zéro. Je vois pourtant des personnes d'avis très
différents qui opinent du chef, et je pense qu'il y aura consensus en la
matière.
Il n'y aura sans doute pas consensus sur le pourcentage, mais il y en aura sur
le niveau. S'il n'y a pas de seuil, c'est à mon avis intenable. Le pire
d'un système, c'est qu'il ne soit plus gérable au niveau
économique et qu'il génère beaucoup de procès.
Il s'agit là de ma position personnelle.
Mme Lebranchu
-
Il y a effectivement deux niveaux. Les
seuils existent lorsqu'il y a une limite acceptable de quantités de
produits dans un aliment pour qu'ils ne portent pas atteinte pas à la
santé des individus (limite maximum de nitrates dans l'eau, de
pesticides, etc., limites que l'on connaît actuellement, qui sont
contestées par ailleurs).
Ces limites sont liées au fait qu'au-delà, on estime qu'il y a
danger pour le consommateur.
Dans ce cas, ce n'est plus du tout le même problème. On est sur
une question d'information du consommateur. Si l'on met des OGM sur le
marché, on est persuadé au départ qu'ils ne sont pas
dangereux. Je ne vois donc pas pourquoi on demande un seuil pour de
l'information.
M. Le Président
-
Nous avons
échangé des arguments ; nous aurons l'occasion d'en
reparler. En tant que biochimiste (je retire ma casquette politique), je dirai
que, s'il n'y a plus de seuils, tous les aliments seront OGM ; on mettra
donc pour tous "contient des OGM", même pour le bio, ce qui signifie
qu'il n'y aura plus d'information pour le consommateur.
Cela signifie que l'on aura tué l'information.
Mme
Lebranchu
-
C'est à mon
avis le seul argument qui soit recevable, à savoir que, pour se
dégager du seuil ou de l'absence de seuil, tout le monde écrive
"contient des OGM".
En revanche, lorsqu'il s'agit d'information, en particulier pour les plats
cuisinés, discussion que nous avons eue très longuement avec
certains, on doit connaître l'origine des produits parce que, si la
traçabilité n'existe pas pour cela, pour quoi
existe-t-elle ? Cela signifierait que les individus ont encore raison de
craindre les infections par des viandes contaminées.
Ou bien on sait, ou bien on ne sait pas, mais je pense qu'il ne faut pas poser
le terme, en tout cas par rapport à nos consommateurs, comme un seuil
d'acceptabilité d'OGM dans un produit. Nous devons être vigilants.
M.
Le
Président
-
Je pense que nous sommes d'accord sur ce point. Je vous lis tout de
même les réactions énormes qui sont arrivées. Je
voulais d'ailleurs vous poser certaines questions qui me sont parvenues sur le
problème des amorces. Seuil = amorce ; seuil =
possibilité de détecter.
Monsieur Riesel, de la confédération paysanne, a
évoqué cette question ce matin en disant que, s'il n'y avait pas
de seuil, tout serait OGM.
Je lis les questions :
Pensez-vous que le concept d'équivalence en substances soit
légitime ?
On sait que, sur les aliments de base, la traçabilité est
impossible, alors l'étiquetage ne constitue-t-il pas une
pseudo-réponse ?
Il est impossible de démontrer l'absence de la présence de
quelque chose. On ne peut aller qu'aussi loin que les méthodes d'analyse
le permettent. Comment étiqueter la récolte ou les produits d'un
agriculteur sans OGM dont les premiers rangs sont contaminés par la
production OGM du voisin ?
C'est le cas bio que j'ai indiqué tout à l'heure.
La transparence de l'information ; lorsque l'on se souvient que la
présence des industriels dans le Comité amiante a conduit
à bloquer toute diffusion de l'information, tout traitement
sérieux de la question, croyez-vous que l'on puisse avoir une
information solide de la part du CNC lorsque lui aussi comprend des
industriels ? Une information contradictoire sera-t-elle
possible ?
Sur l'amiante, j'ai également fait un rapport pour l'Office. Je pourrai
répondre à cette personne. Ce n'est pas aussi simple que ce qui
est indiqué. Ce ne sont pas seulement les industriels qui ont
bloqué. Tout le monde était au courant, mais à un certain
moment, on est condamné à vivre dans des situations difficiles.
Il y a un bon rapport de l'Office sur l'amiante. Vous devriez vous le procurer.
La PCR nécessite la connaissance des séquences que l'on
recherchera alors. Sera-t-il toujours aussi possible de connaître ces
séquences ?
Cela montre bien qu'il y a des réactions.
Un point est important : les amorces. Pour détecter un soja ou un
maïs génétiquement modifié, c'est technique, mais il
faut connaître l'amorce qui a permis d'insérer un gène. Or,
si des pays étrangers insèrent des gènes, par exemple les
Chinois ou les Argentins, si l'on n'a pas les amorces lorsque l'on a une
demande, on ne pourra pas le détecter.
Dans le dossier réglementaire, y aura-t-il la nécessité de
connaissance d'importation des amorces ?
Mme
Lebranchu
-
C'est ce que nous
avons demandé. Il y a eu une longue discussion à ce sujet au
niveau européen, et une discussion qui dépassera le niveau
européen. Nous avons demandé que l'on aille jusqu'au bout, que ce
soit clairement demandé et affiché, puis détecté.
Cela a été vraiment le consensus le plus large que l'on ait
obtenu. En tout cas, c'est ainsi que je l'ai vécu.
Concernant les équivalents, on n'est pas sur un débat consistant
à savoir si c'est dangereux ou pas, du moins je l'espère. C'est
OGM ou ce n'est pas OGM. Si l'on reste sur un débat "pourquoi pas les
équivalents", cela signifie que l'on n'est pas sur l'information "OGM ou
pas OGM", mais sur l'information "dangereux ou pas dangereux".
Les producteurs eux-mêmes se posent réellement la question, parce
qu'à mon avis, s'ils la posent vraiment ainsi, on est parti quelque part
en arrière, et déjà cela n'a pas été simple.
On est sur de l'information du consommateur, donc, équivalent ou pas,
c'est "OGM ou pas OGM". Nous devons être le plus limpide possible, parce
que, dans toutes les défiances de consommation, on a toujours eu
d'excellentes raisons pour dire que tel ou tel type de viande, marié
à tel ou tel type de bête dans tel ou tel type d'endroit,
n'était vraisemblablement pas contaminé pour telle et telle
raison, et les individus n'ont plus confiance.
On se trompe peut-être de débat lorsque l'on pose le
problème de l'équivalence, en tout cas à mon avis.
M. Le Président
-
Cela montre bien que,
finalement, cette décision pose de nouvelles questions qu'il faudra
résoudre.
Mme Lebranchu
-
Pour la contamination des premiers
rangs, le problème se pose sur les produits importés, puisqu'en
France, selon les autorisations données, les plantes autorisées
ne peuvent pas se marier aux plantes voisines. Sinon, l'information n'a pas
été bonne au départ.
(Dans la salle : "transgénique vers
non-transgénique").
Mme Lebranchu
-
Ce n'est pas possible.
M. Le Président
-
Si, c'est le
problème des premiers rangs.
Mme Lebranchu
-
Il faudra faire un
"no man's land" entre les deux champs.
M. Le Président
-
C'est un problème
bien connu des semenciers, qui ont exactement le même problème. Je
parle sous le contrôle du directeur de la production
végétale de l'INRA car je ne suis pas semencier, mais je les ai
tous auditionnés. Ils ont un cahier des charges avec des
arrêtés préfectoraux, qui prévoient que, dans une
distance de quatre cents mètres et sur un certain
périmètre, il ne doit pas y avoir de plantes sauvages ni d'autres
espèces.
Madame la Ministre, j'ai quelques autres questions. Il y en a eu beaucoup sur
l'étiquetage. Tout à l'heure, dans la table ronde, on a beaucoup
parlé de l'association des consommateurs au processus d'expertise, de
contrôle. La CGB et la commission de biovigilance, comment voyez-vous
l'association ?
Nous pensons que, plus les associations de consommateurs seront
associées au processus de décision, mieux ce sera. Je ne parle
pas forcément du processus de décision technique, car ce
processus est très complexe, et finalement, on a l'impression que des
gens ne suivent pas la partie technique.
Il faut peut-être que le citoyen et un certain nombre de
représentants des organisations d'associations puissent avoir leur mot
à dire, mais pas forcément en même temps que la Commission
de génie biomoléculaire.
Quel est votre avis à ce sujet ?
Mme Lebranchu
-
Si je vous ai cité le cas du
CNC, je réfute l'argument selon lequel il y a des professionnels, donc
que ces avis ne sont pas bons. Je pense qu'il y a des endroits où l'on
peut avoir des confrontations entre des professionnels, des consommateurs et
des scientifiques.
Ce que demandent nos consommateurs, ce n'est pas de retourner totalement
à l'école pour devenir spécialistes des OGM et pouvoir
comprendre toute décision scientifique. Ils demandent qu'on les informe,
qu'on leur dise, qu'on leur explique.
Les instances dans lesquelles on peut dire et expliquer existent. A partir des
travaux faits et des décisions prises, on a les moyens de l'information.
Si l'on veut informer nos consommateurs, on le peut. On a assez d'instances et
assez de moyens pour le faire.
C'est ce qu'ils nous demandent. Cela signifie que l'information doit aller
jusqu'au consommateur individuel, c'est-à-dire jusqu'à
l'étiquetage. Elle est au moment de la décision via leurs
organisations, et elle est ensuite au moment de la consommation via
l'étiquetage.
M. Le Président
-
Je pense que nous avons
eu un débat passionné et passionnant. Merci beaucoup, Madame la
Ministre d'être venue ; merci pour vos éclaircissements. Je
pense que la décision que vous avez prise va dans le bon sens ; il
faut sans doute aller plus loin encore avec nos partenaires.
Audition de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat
à la santé
M. Le Président
-
Monsieur le Ministre, merci
beaucoup d'être venu pour ces auditions publiques ouvertes à la
presse. Je vais essayer de résumer, parce que certains ont
déjà entendu mes explications liminaires.
Au cours de ces deux journées, l'Office parlementaire
d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a choisi
d'auditionner à la fois les responsables politiques, ceux qui sont
chargés de ce dossier sous tous ses aspects, aussi bien sous l'aspect
agricole que sous l'aspect environnement, recherche, santé,
consommation, donc les cinq ministres concernés.
Nous avons organisé cinq tables rondes publiques collectives
contradictoires, avec ce que l'on peut appeler des experts. Cette
démarche s'inscrit en parallèle avec une démarche
d'organisation d'une Conférence de Citoyens qui aura lieu au mois de
juin, où un panel de citoyens, qui ne sont donc pas des experts, a
été formé, à suivi des conférence sur ce
thème, avec un comité de pilotage qui a choisi les
conférenciers.
Il a essayé de le faire par consensus, puisque c'est une
conférence de consensus, puis le panel va choisir un certain nombre de
personnes qu'il souhaitera auditionner les 20 et 21 juin.
On a donc à la fois des avis d'experts, des avis de citoyens, des avis
de responsables politiques et, en fonction de cela, je serai amené
à rendre un rapport au Parlement. Bien sûr, vous serez
destinataires de ce rapport, comme tous les ministres concernés.
L'une des tables rondes aura lieu demain. Elle concerne les avantages et
risques des OGM en matière de santé, avec tous les
problèmes. Nous entendrons :
- Patrice Courvalin, de l'institut Pasteur
- Philippe Gay, directeur de biotechnologies à Novartis
- Anne Monneret-Vautrin, professeur à la faculté de
médecine de Nancy.
- André Rico, Président de la commission d'étude
de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et
substances assimilées
- Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie
moléculaire à l'université de Caen, et qui est dans
l'association "Agir pour l'environnement".
Comme aujourd'hui, nous aurons des experts qui n'ont pas le même avis.
Sur ce sujet des organismes génétiquement modifiés, nous
souhaitions avoir votre avis en termes de santé.
On parlait tout à l'heure des risques perçus par la population,
et l'un des risques perçus, lorsque l'on discute avec les consommateurs,
est l'éventualité de problèmes en matière de
santé.
Des problèmes se sont posés depuis quelques années. On a
connu le sang contaminé, l'encéphalite bovine spongiforme, et les
gens se demandent si, finalement, le progrès des sciences et techniques
dans le domaine des organismes génétiquement modifiés ne
conduira pas à de nouvelles catastrophes, si, finalement, l'homme ne
joue pas à l'apprenti-sorcier, et s'il est capable de mettre des
garde-fous.
Cela s'inscrit dans une décision gouvernementale d'autorisation d'un
type de maïs, donnée en novembre 1997, avec la mise en place d'un
système de biovigilance. Nous souhaiterions donc connaître
aujourd'hui, et le Parlement souhaiterait connaître l'avis du Ministre de
la santé sur ces questions, qui sont importantes.
En effet, le citoyen demande que l'on puisse le rassurer et qu'il puisse
être confiant dans les explications qui lui sont données, qu'il
puisse être un acteur de la construction de notre système de
vigilance, de contrôle et d'expertise.
M. Kouchner
-
Merci, Monsieur le Président.
Je voudrais d'abord vous féliciter de la méthode que vous avez
décrite, puisque cette décision de novembre, à laquelle
j'avais participé, proposait qu'une conférence de consensus se
tienne. Ce que vous venez d'exposer me semble tout à fait conforme
à ce que j'en pensais : contradictoire en permanence,
écoutant les experts et ouvert le plus possible aux citoyens.
Je me livrerais bien volontiers à de longues digressions sur la peur en
santé publique, je devrais dire "sur les risques et sur la peur en
santé publique", de nos jours. Vous avez vous-même rappelé
le problème gravissime du sang contaminé, de
l'encéphalopathie bovine spongiforme, et il y en a bien d'autres.
Tous les jours nous sommes, dans cette manière de crise permanente, de
doute permanent, face à ce que vous avez bien défini comme
étant une demande des citoyens d'être mieux informés, et
capable de connaître, dans les nouvelles disciplines ou dans les
avancées scientifiques, les risques encourus.
Je vais vous parler de la position du Ministère de la santé face
aux organismes génétiquement modifiés, mais nous aurons en
permanence, tout au long de l'année, j'en suis sûr, et des
années suivantes, à nous poser ces questions face à
l'évaluation des risques et à l'information.
Je voudrais donc vous dire "d'abord la précaution". Le ministre de la
santé ne peut pas faire autrement. Je commencerai par cela et je finirai
par cela.
Mais rien qui ne soit autre chose que le doute scientifique concernant la
science. J'ai été frappé comme vous, par cette page du
" Monde ", hier, face au référendum qui va avoir lieu
en Suisse.
C'est d'ailleurs assez beau que cela se passe ainsi et que le débat ait
eu lieu et ait fait sortir un peu les scientifiques de chez eux.
Mais en même temps, je ne sais pas quelles sont les circonstances qui ont
présidé à cet échange très politique,
très humain en même temps, il est vrai que les peurs sont
agitées et qu'il faut s'en garder.
D'abord la précaution, rien contre la science, rien de
rétrograde, rien de cet esprit un peu moyenâgeux que l'on entend
parfois, mais toujours la précaution.
Monsieur le Président, le Ministère chargé de la
santé a une expérience ancienne des organismes
génétiquement modifiés. En effet, l'ingénierie
génétique est une technique qui a connu de nombreuses
applications dans le domaine sanitaire.
Elle est devenue presque routinière par de nombreux aspects,
même si elle ne cesse d'évoluer. Et c'est cette évolution
dont je parlais tout à l'heure. Nous avons presque chaque jour des
interrogations qui nous viennent.
En outre, cette technique ne génère pas forcément des
situations inédites ou dérangeantes aux plans de l'éthique
et de l'émotion, pas plus que d'autres techniques
médicales ; je parle de la greffe d'organes. Reportez-vous aux
articles concernant les débuts des greffes d'organes ; de
nombreuses interrogations aussi pesantes et aussi valables que celles qui se
posent maintenant étaient publiées.
Je pense à la moëlle osseuse, aux techniques d'assistance
médicale à la procréation avec création d'embryons
"surnuméraires", etc. Le débat que j'ai mené dans cette
enceinte en 1992-93, qui était un beau et très noble
débat, ressemblait à ce qu'il se passe maintenant.
On dispose aujourd'hui de méthodes qui permettent, d'une part, une
connaissance de plus en plus fine du génome, une cartographie,
grâce en particulier à des chercheurs français, qu'il faut
saluer, et, d'autre part, une dissection de plus en plus poussée du
génome, laquelle permet à son tour, puisque le code
génétique est universel, de faire exprimer un gène
spécifique d'une espèce par des cellules d'autres espèces,
ce qui, j'en conviens, ouvre des perspectives vertigineuses.
Le domaine des médicaments est sans conteste celui où
l'ingénierie génétique est entrée dans les moeurs
du fait d'une longue expérience industrielle. L'insuline humaine
recombinante est maintenant sur le marché depuis largement plus de dix
ans, et cela a été un progrès considérable.
Les médicaments ainsi produits sont des enzymes (facteurs de
coagulation) et des vaccins (dont celui contre l'hépatite B, dont
nous avons beaucoup parlé) ou des hormones, comme l'hormone de
croissance, des facteurs recombinants, des facteurs de greffe, par exemple.
Lorsque l'hormone de croissance est arrivée recombinante,
c'est-à-dire produit qui n'était pas extrait du corps humain,
cela a rassuré terriblement les familles qui en avaient besoin. Nous
avons donc cette expérience.
Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur
l'intérêt en termes de sécurité, car nous avons tous
en mémoire, ce que je rappelais, les hormones d'origine extractive et la
contamination, par exemple, des facteurs anti-hémophiliques.
Si le génie génétique n'a pas été, dans le
domaine pharmaceutique, à l'origine de la révolution que certains
avaient prédite au début des années 80 (dans la mesure
où la chimie de synthèse et la recherche phytopharmacologique ont
démontré depuis qu'elles n'avaient pas encore dit leur dernier
mot), il est cependant certain, à mon avis, qu'il ne s'agit pas d'un
effet de mode passager, et que les applications de cette technique se
développeront encore dans l'avenir pour le bien de tous, même s'il
faut se méfier, surveiller et évaluer en permanence, et ne jamais
être sûr de soi.
Les procédés industriels en la matière ont fait l'objet
d'un guide de bonne pratique, élaboré sous l'égide de
l'OCDE et publié par l'AFNOR. Le principe de base est de n'utiliser que
des micro-organismes non-pathogènes pour l'homme, pour les autres
espèces animales et pour l'environnement, et qui ne soient pas
susceptibles de le devenir après modification de leur patrimoine
génétique.
Les techniques ainsi mises en oeuvre par l'industrie pharmaceutique
démontrent la maîtrise de l'expression des gènes sur des
supports variés, et de la qualité des procédés de
purification.
Certes, même si la pureté du principe actif est
contrôlée très minutieusement, il persiste encore au stade
final quelques fractions de matériel génétique ou de
protéines étrangères dont la réactivité avec
l'organisme-hôte est inconnue (elle ne s'exprime pas en tout cas
cliniquement, et n'est pas décelable biologiquement avec les moyens dont
nous disposons actuellement) mais qui suscitent périodiquement des
craintes ou des polémiques, bien que divers groupes d'experts aient
estimé à plusieurs reprises que ces craintes ou ces
hésitations n'étaient pas fondées.
Des seuils pour ces contaminants ont d'ailleurs été
définis à cette occasion.
Si l'emploi d'organismes génétiquement modifiés et des
médicaments qui en sont issus est devenu, comme je le disais, routinier,
le domaine de la thérapie génique en est par contre à ses
débuts et paraît encore plus prometteur dans la mesure où
ce sera sans doute le seul moyen de traiter certaines pathologies fatales
d'origine génétique, à condition qu'elles soient
monogéniques.
Je pense à la mucoviscidose et à certaines maladies
neuromusculaires, pour lesquelles on ne dispose actuellement, dans le meilleur
des cas, que de traitements temporairement palliatifs.
Une fois définie la nature de l'intervention génique, la
difficulté est de trouver le vecteur qui permet l'expression temporaire
du gène dans les cellules de l'organisme-hôte. Des essais chez
l'animal se sont révélés très encourageants, et
certains projets sont en cours d'essai chez l'homme. C'est incontestablement
une voie d'avenir majeure.
J'évoquerai à peine le domaine de la recherche, pour indiquer
l'apport précieux que constituent les animaux transgéniques
exprimant :
- soit une pathologie humaine ou son support biologique : il n'y a
pratiquement aucun secteur de la recherche médicale qui, d'une
manière ou d'une autre, n'utilise pas les souris transgéniques
comme modèles d'affections humaines ;
- soit des molécules à usage thérapeutique, par
exemple dans le lait ;
- voire des antigènes (ou l'absence d'antigènes)
d'histocompatibilité, qui pourraient à terme servir pour des
greffes d'organes. Nous y travaillons, en particulier en France.
Cette question de la recherche thérapeutique nous ramène vers les
plantes génétiquement modifiées. En effet, il faut
souligner l'intérêt que soulèvent les expériences de
plantes transgéniques exprimant un produit thérapeutique. Chacun
a entendu parler des espoirs suscités par la production
d'hémoglobine à partir de plants de tabac
génétiquement modifiés.
Je ne voudrais pas insister sur ce point, mais il est vrai qu'à la fois
cela fait rêver et cela engendre cette méfiance naturelle, et la
mise en oeuvre de cette précaution. Je ne répéterai pas
assez ce mot.
Nous avons par rapport au problème du sang, des attitudes diverses en
Europe et dans le monde, dans les pays pauvres et dans les pays riches, mais,
même si la consommation de produits sanguins diminue pour des raisons
thérapeutiques et de précaution, nous aurons besoin en permanence
d'hémoglobine, et nous n'en avons pas assez. Maintenant, le manque se
fait souvent sentir.
On ne peut donc pas négliger ce point. On peut au contraire
considérer seulement comme un espoir, malgré la
nécessité de se méfier, cette production
hypothétique d'hémoglobine à partir du tabac
génétiquement modifié.
Le sommet du progrès sera atteint lorsque l'on pourra joindre l'utile
à l'agréable, lorsque l'aliment deviendra en lui-même une
forme galénique raffinée de médicament. Tout cela
entraîne également précaution et méfiance.
Cela n'est pas une fiction ; des essais de production de bananes exprimant
un antigène vaccinal sont engagés, et vous avez pu voir
récemment les résultats prometteurs chez l'homme, de
l'immunisation contre les colibacilles entérotoxinogènes.
Il est vrai que la forme galénique n'était sans doute pas
parfaitement au point, puisque les volontaires étaient obligés de
manger la pomme de terre transgénique crue.
Cependant, il est clair que la "plante-aliment" en tant qu'organisme
génétiquement modifié introduit une dimension
émotionnelle, et même scientifique et environnementale, tout
autre, en raison :
- de la diffusion considérable qu'elle peut connaître
à un double point de vue : diffusion dans l'environnement sur de
vastes étendues, et introduction dans l'alimentation de populations
potentiellement très importantes ; on ne peut pas négliger
que la famine demeure et que la production est insuffisante ;
- des perspectives et des enjeux dont elle est l'objet :
économiques bien sûr, et à une échelle
incomparablement plus importante que celle du médicament, mais aussi
humanitaire, car on peut raisonnablement penser que l'amélioration de
certaines variétés et leur adaptation à des conditions
géographiques particulières améliorera l'état
nutritionnel d'une partie de la population mondiale au cours du siècle
au seuil duquel nous nous trouvons.
Je pense en particulier à ces plantes dont on nous promet qu'elles
résisteront à la sécheresse.
J'en viens maintenant à la mise sur le marché des plantes
génétiquement modifiées et à la
sécurité alimentaire, mais j'ai voulu -pardon d'avoir
été un peu long- vous signifier que, dans le domaine de la
santé, nous sommes déjà depuis longtemps devant une
expression presque familière et une utilisation de nouveaux
médicaments qui proviennent de recombinants ou d'organismes
potentiellement modifiés.
Au-delà des inquiétudes que suscitent les manipulations
génétiques, la mise sur le marché des plantes
génétiquement modifiées pose le problème de leur
sécurité d'emploi et de celle des aliments qui en sont issus.
L'évaluation de leur sécurité d'emploi
préalablement à leur dissémination et à leur mise
sur le marché est strictement encadrée par des procédures
communautaires et nationales. Elles vous sont évidemment connues ;
je ne vous les décris pas. La multiplicité des niveaux
d'expertise des comités scientifiques européens, d'organismes
nationaux d'évaluation concourent à garantir une qualité
des évaluations réalisées.
Concernant les plantes, semences et animaux transgéniques, notre
dispositif réglementaire ne prévoyait pas jusqu'à
présent de consultation systématique du Ministère de la
santé sur les autorisations délivrées, qu'il s'agisse
d'autorisations de dissémination à des fins de
recherche-développement ou de mise sur le marché.
Toutefois, l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de
France, instance d'expertise placée sous l'autorité du
Ministère chargé de la santé, est recueilli si le CGB
signale l'existence d'un risque éventuel pour la santé publique,
lié à la consommation de ces produits. Cette consultation est
maintenant systématique ; c'est très nouveau.
Je souhaite attirer votre attention sur le cas des aliments issus d'OGM mais
n'en contenant pas eux-mêmes (huile de soja, amidon de maïs), et
jugés substantiellement équivalents à des aliments
traditionnels de référence dans l'Etat-membre où a
été déposé le dossier de demande de mise sur le
marché.
La commercialisation de cet aliment fait l'objet d'une simple notification aux
autres Etats membres, sans consultation préalable. Cela signifie que, si
un Etat membre estime que la mise sur le marché d'un aliment
présente un risque pour la santé, il devra invoquer la clause de
sauvegarde pour en interdire la commercialisation et apporter la preuve des
risques encourus.
Cette procédure, qui aboutit à une mise sur le marché de
certains aliments sans ouvrir la possibilité aux Etats-membres
d'effectuer une expertise a priori, peut certes paraître
contestable. Dans certains domaines, je la conteste. Elle pose par ailleurs au
niveau nationale la question du positionnement du Conseil supérieur
d'hygiène publique.
Faut-il solliciter son avis sur les notifications, considérant que les
dossiers qui sont transmis ne contiennent pas l'ensemble des
éléments nécessaires à la conduite d'une
véritable contre-expertise ? Cette approche peut paraître
souhaitable, et j'envisage de systématiser la consultation du Conseil
sur ces notifications.
Avec la loi relative à la sécurité sanitaire, qui est
presque votée, qui sera prochainement promulguée, l'expertise
organisée par mes services en lien avec le Conseil supérieur
d'hygiène publique de France sera transférée à
l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Je pense que mon collègue Le Pensec vous en a parlé. Je
tiens à dire à cette occasion que l'amélioration de la
sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation ne
résultera pas seulement d'un regroupement de capacités
d'expertise actuellement dispersées, mais nécessite qu'on lui
consacre plus de moyens qu'aujourd'hui, au moins de notre côté
santé. C'est très clair dans mon esprit.
Les risques :
La mise sur le marché des plantes transgéniques et des aliments
qui en sont issus a fait émerger de nombreuses interrogations et
inquiétudes, qui portent à la fois sur les risques
écologiques liés à la dissémination d'organismes
génétiquement modifiés dans l'environnement, et sur les
risques sanitaires liés à la consommation de ces produits
alimentaires.
Je vous répète une fois de plus que le fait que ces
interrogations ne m'irritent pas. Je les trouve naturelles et, si elles
n'existaient pas, je les susciterais.
Concernant les risques écologiques liés à la culture
à grande échelle, leur évaluation relève de la
compétence de la Commission de génie biomoléculaire, et la
gestion de ces risques des Ministères de l'agriculture et de
l'environnement.
Le principal problème posé est d'éviter que le
caractère de résistance introduit (résistance à un
herbicide, etc.) ne s'étende en dehors de la variété
transgénique et devienne un problème pour l'environnement. Nous
sommes conscients de cela, donc suivi et évaluation en permanence :
jamais d'arrêt à cette évaluation.
Les plantes résistantes aux herbicides ont acquis une place toute
particulière en raison du grand nombre de variétés
cultivées en jeu et des surfaces concernées (pas chez nous, mais
ailleurs). Si le désherbage de certaines espèces ne trouve pas
forcément une solution plus efficace par la voie de la
transgenèse, la culture d'autres espèces transgéniques est
susceptible de présenter un intérêt certain du fait d'une
réduction du nombre de traitements nécessaires.
De la même manière, la mise sur le marché de maïs
résistant à la pyrale a donné lieu à l'ouverture
d'un débat sur les risques d'une résistance accrue des insectes
à la toxine de
Bacillus
thuringiensis
, bactérie
employée à travers le monde pour lutter contre certains ravageurs
de cultures, et utilisée en lutte antivectorielle.
Dans tous ces cas, quelle que soit la nature du gène introduit, nous
mettons en place un dispositif de suivi, de biovigilance pour les
variétés agréées, qui permettra d'assurer un suivi
des risques éventuels d'apparition d'événements
défavorables sur l'environnement, qui pourrait bien sûr conduire
à des mesures de retrait aussi immédiates que possible si
nécessaire.
Un autre problème évoqué, auquel je suis très
sensible, porte sur les risques de la dissémination des gènes de
résistance aux antibiotiques, notamment à l'ampicilline,
introduits dans les constructions géniques.
L'incorporation de ces gènes de résistance dans le génome
des plantes et les risques de transfert de ce gène, suscitent de
nombreuses inquiétudes. Je n'ai pas attendu cela pour être
sensible à la résistance aux antibiotiques ; peut-être
savez-vous que nous en avons fait l'un de nos chevaux de bataille.
Pour que ces gènes puissent s'exprimer, il faudrait toutefois, d'une
part que les protéines qui les constituent résistent aux
processus de préparation des aliments et de la digestion et, d'autre
part, qu'elles puissent se conjuguer à un vecteur susceptible de les
introduire dans les bactéries présentes dans la lumière
digestive, celles-ci n'étant pas capables de les incorporer
naturellement.
Ce danger est considéré comme très improbable par la
quasi-totalité des experts. Ce n'est pas une raison pour s'en contenter.
En outre, s'agissant du gène de résistance à
l'ampicilline, il est déjà répandu chez les espèces
présentes dans le tube digestif de l'homme et des animaux et, si le
phénomène de transfert se produisait, les experts de nombreux
pays ont considéré qu'il n'aurait qu'une incidence
négligeable sur l'état des résistances à cet
antibiotique. Cela rassure d'une certaine manière.
Le mésusage de certains antibiotiques en médecine me
préoccupe aujourd'hui davantage, comme je viens de vous le dire. Il
s'agit néanmoins d'un sujet sensible, d'autant qu'il n'existe pas de
réelle justification à l'introduction de tels gènes dans
les constructions géniques.
J'ai cherché dans ma tête et nous avons un peu parlé de
cela, je ne vois pas l'intérêt. Il me paraît donc
souhaitable à l'avenir d'abandonner l'utilisation de gènes de
résistance aux antibiotiques. Cela me paraît hautement
nécessaire.
L'expertise a également soulevé l'hypothèse de risques
sanitaires pour l'homme.
Tout d'abord -il me paraît important de le rappeler-, la mise sur le
marché de plantes transgéniques ou d'aliments qui en sont issus
est décidée au cas par cas, après une évaluation
scientifique basée sur le concept d'équivalence en substance.
Il s'agit d'un concept unanimement accepté à ce jour, qui
consiste à comparer les plantes ou les aliments à des plantes et
aliments traditionnels de référence. S'ils sont jugés
"substantiellement" équivalents à ces références,
c'est-à-dire lorsque, sous l'angle nutritionnel et toxicologique,
leur composition est estimée équivalente, aucune
démonstration de leur "salubrité" ne s'impose.
Le cas le plus fréquent est celui où l'équivalence en
substance est établie, à l'exception des produits des
gènes d'intérêts introduits. Ces gènes sont
généralement des protéines intervenant dans les
mécanismes de tolérance à un pesticide, ou de
résistance à l'agression par une organisme ravageur.
Les risques potentiels des produits de ces gènes sont alors
spécifiquement évalués. Il s'agit essentiellement de
risques toxiques et allergiques.
Concernant le risque toxique, un examen attentif se justifie, notamment pour
les plantes où un gène de résistance à un pesticide
a été introduit en raison de la formation de métabolites
du pesticide à la suite de son inactivation ou lorsque les gènes
transférés codent pour des enzymes qui catalysent des processus
biochimiques.
L'évaluation du risque toxique ne bénéficie pas de
modèle universel et fait généralement appel à une
approche qui conjugue la réalisation de tests de toxicité sur
animaux de laboratoire, d'études d'alimentation animale chez des
espèces d'intérêt zootechnique qui consomment
habituellement le produit, et la comparaison avec des protéines toxiques
identifiées dont la séquence figure dans des banques de
données.
Il ne s'agit pas d'une approche toxicologique classique. Elle nécessite
certes encore le développement d'outils méthodologiques, et les
experts français concourent, par leur travail, à ce
développement. J'estime que des progrès doivent encore être
faits dans cette voie.
Concernant le risque allergique, il est vrai que la prédiction du
caractère allergénique reste un exercice délicat. Il
repose sur des méthodes d'évaluation indirecte, comme par exemple
les tests de résistance des protéines à la chaleur et aux
attaques des enzymes digestives, considérant que
l'allergénicité est souvent le fait de protéines
absorbées intactes par la muqueuse intestinale.
On fait également appel à la recherche d'homologie de
séquences avec des protéines qui sont des allergènes
connus et dont la structure est répertoriée dans les banques de
données.
Cette dernière approche d'analyse comparative offre l'avantage
d'éliminer rapidement des constructions à risques potentiels,
mais l'absence d'homologie de séquences ne constitue pas une garantie
formelle d'innocuité. Aucune observation ne permet toutefois, à
notre connaissance, de considérer les produits issus du génie
génétique comme plus ou moins allergéniques que les
produits traditionnels de référence.
Il faut néanmoins rester attentif, comme toujours, compte tenu du
potentiel allergisant des protéines, d'autant que la mise en
évidence d'une allergie alimentaire est une question très
complexe et que l'on découvre aujourd'hui encore le rôle de
certains aliments pourtant très anciennement introduits dans notre
alimentation habituelle.
Au total, il est certain que nous sommes en face d'une innovation devant
laquelle les scientifiques ne peuvent nous fournir sur toute la ligne des
certitudes absolues. Le débat que vous organisez montrera la perception
que nos concitoyens ont de ces avancées combien prometteuses, et je vous
en remercie.
La manière dont, Monsieur le Président, vous comptez vous y
prendre, me satisfait.
J'aurais, pour ma part, tendance à me reporter quelques siècles
en arrière, au temps où les peuples précolombiens avaient
réussi le tour de force, à l'époque, de transformer en peu
de temps l'épi de maïs sauvage, qui avait la taille de la
dernière phalange de mon petit doigt, en un épi très
proche de ceux que nous connaissons.
Cette intervention humaine n'était pas moins audacieuse à
l'époque et, si certains l'estiment plus "naturelle" que celle devant
laquelle nous nous trouvons, je rappellerai, tout près de nous, la
création du colza. Il s'agit dans ces deux cas de création
d'espèces nouvelles, dont on peut mesurer ce qu'elles nous ont
apporté. Je pense qu'aujourd'hui, rester toujours sur ses gardes ne doit
pas conduire pour autant à diaboliser systématiquement les
espèces génétiquement modifiées par les techniques
d'ingénierie modernes qui nous sont proposées.
Cela doit nous entraîner à plus de méfiance encore, mais
pas à des certitudes d'avance.
Comment progresser aujourd'hui ? A mon avis :
- en renforçant les expertises scientifiques multiples et
contradictoires, car c'est bien un débat et une analyse objective des
données factuelles qu'il nous faut mener, plutôt que de se
cantonner à un débat d'idées plus ou moins
préconçues ;
- en renforçant nos pouvoirs d'investigation et de
contrôle ;
- en mettant en place un dispositif de biovigilance agronomique et
environnementale des variétés agréées (dispositif
permanent) ;
- certains évoquent la nécessité de compléter
ce dispositif par un système de vigilance portant sur le risque
allergique pour l'homme. Je dis d'emblée que cette question reste
ouverte, sans pour autant pouvoir proposer aujourd'hui ne serait-ce que le
schéma d'un nouveau dispositif.
C'est une question très complexe ; l'alimentation est un geste
très banal, souvent machinal ; elle est aujourd'hui (c'est un fait
positif) très diversifiée ; les aliments de base sont
très souvent transformés et ils contiennent de très
nombreux ingrédients.
De ce fait, l'alimentation en général présente des
risques, et le risque allergique, malgré des manifestations parfois
spectaculaires, n'en constitue que l'un des aspects.
En outre, les symptômes d'une allergie sont parfois peu évocateurs
en eux-mêmes. C'est la plupart du temps l'étude minutieuse de
certains tableaux cliniques qui conduit les cliniciens à émettre
l'hypothèse d'une manifestation allergique et d'en rechercher la cause,
laquelle est très difficile à mettre en évidence en raison
même de l'extrême banalité de l'acte alimentaire.
On est donc loin des systèmes de vigilance que nous avons mis en place
dans le domaine des soins, où la prescription (ou l'utilisation) d'un
produit concentre en quelque sorte l'attention sur ses conséquences
pendant une période de temps précise et limitée. Les
difficultés rencontrées dans la transposition de ce concept de
vigilance à la toxicovigilance me conduisent à être
circonspect en matière de vigilance alimentaire.
Progresser ensemble nous conduira à une plus grande transparence des
procédures et des décisions d'autorisation. Le gouvernement s'y
est d'ailleurs engagé. Transparence en permanence, information toujours.
La meilleur information des consommateurs est à mon avis le
déterminant essentiel. Elle conditionne l'acceptabilité de ces
nouveaux aliments par nos concitoyens. A cet égard, l'accord finalement
trouvé au dernier Conseil des Ministres de l'agriculture sur la question
de l'étiquetage, dont vous ont sans doute parlé
Marylise Lebranchu et Louis Le Pensec, me paraît un
élément de déblocage important.
Le débat que le Premier Ministre vous a demandé d'animer,
Monsieur le Président, me paraît également tout à
fait essentiel. Il est nécessaire que nos concitoyens puissent
apprécier par eux-mêmes la façon dont les scientifiques
peuvent répondre aux questions qui leur sont posées, ainsi que la
manière dont les pouvoirs publics répondent à leur attente
de qualité et de sécurité.
Loin d'esquiver le débat, ce qui aurait été une erreur, le
gouvernement l'a provoqué, et vous avez voulu qu'il soit le plus
contradictoire possible ; je vous en félicite.
Pour conclure, je voudrais resituer l'enjeu sécuritaire. La
sécurité alimentaire doit s'appliquer à tous les aliments.
C'est d'ailleurs le sens de la création prochaine de l'agence de
sécurité des aliments : surveiller, évaluer,
contrôler l'ensemble des aliments, qu'il s'agisse des produits
naturels comme des additifs. Et, sans être trop provocateur, les
organismes génétiquement modifiés ne sont-ils pas des
additifs particuliers ?
Notre démarche doit toujours être la même, centrée
sur le principe de précaution. Je vous avais dit que je conclurai comme
j'avais commencé, par ce principe de précaution, qui guide toute
notre attitude de santé publique, et qui doit conduire :
- à interdire toute dissémination, toute mise sur le
marché, si existent ne serait-ce que des indices de risques
significatifs ;
- à surveiller en cas de risque potentiels.
Ma responsabilité première, comme secrétaire d'Etat
à la santé, est de veiller à la prise en compte et
à l'application de ce principe en ce qui concerne le domaine sanitaire.
Je vous remercie.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, M. le
Ministre, de cet exposé clair sur tous les problèmes qui
concernent la santé.
Nous aurons demain l'occasion d'aborder un certain nombre de questions que vous
avez posées, notamment sur le risque allergique, sur les gènes de
résistance aux antibiotiques, sur l'insertion éventuelle de
parties de virus ou de capsides virales, dont on n'a pas parlé
aujourd'hui, sur les toxiques.
Je crois que vous avez abordé cela de manière très
précise, en donnant la position du gouvernement : le principe de
précaution, un système de biovigilance.
Quelques questions complémentaires : comment le système de
vigilance sur les risques allergiques va-t-il s'articuler
éventuellement ? Vous en avez parlé. Je pense, comme vous,
qu'il faut surveiller les risques allergiques dans l'alimentation, parce qu'il
y en a de plus en plus, mais que, du fait de l'importation d'aliments nouveaux
de toutes les parties du monde, en consommant un kiwi ou un fruit que l'on n'a
jamais consommé auparavant, on a beaucoup plus de protéines
nouvelles en une seule fois que l'on en a avec une gène
inséré au niveau du génome et qui produira une
protéine.
Il n'empêche que celui qui est inséré peut être
allergique. On a un exemple, dans une société américaine,
d'un gène de noix de cajou du Brésil qui avait été
inséré, et on avait dit qu'il y avait un problème. En
réalité, c'était déjà allergique avant de
l'insérer. Si l'on insère une protéine qui est allergique,
elle sera donc toujours allergique dans le nouveau porteur de gènes.
Il faut aborder ces questions avec le principe de précaution, et vous
l'avez bien indiqué.
Comment le principe de vigilance en matière de santé
s'articulera-t-il avec l'institut de veille sanitaire ? Dans
l'institut de veille sanitaire, aurez-vous effectivement une surveillance en
matière de biovigilance, notamment pour les bactéries
intestinales dont vous avez parlé dans les gènes de
résistance aux antibiotiques, avec une analyse proche de celle que nous
pouvons avoir actuellement dans l'état de nos connaissances ?
M. Kouchner
-
Je vous rappelle d'abord que, même
si elle était cliniquement connue, l'allergie alimentaire était
un concept très discuté et pratiquement peu présent dans
la clinique et dans l'enseignement. Il est assez récent que l'on s'y
intéresse de plus près.
Je crois avoir répondu : l'attention doit être portée
en permanence sur les allergies déclenchées. Cela étant,
je n'imagine qu'assez mal un système de vigilance particulier en ce qui
concerne l'allergie alimentaire.
Il n'empêche que nous avons maintenant ces dispositifs. C'est la
deuxième partie de votre question.
Comment l'institut de veille sanitaire va-t-il s'articuler avec l'agence de
sécurité alimentaire, par exemple ? Dans le dispositif
prévu, qu'il faudra renforcer puisque nous discutons, puisqu'il y a une
commission parlementaire qui est chargée de la prochaine agence
environnement et santé qui se développera, avec tout ce qui nous
arrive en permanence, l'articulation est très difficile entre le nombre
formidable d'organismes qui existent déjà et la façon dont
on essayera de les regrouper pour être plus actifs.
Ne parlons pas de cette nouvelle agence, d'abord parce que les parlementaires
sont à peine au travail, et il faudra certainement de longs mois.
Ce qui existe maintenant, c'est l'institut de veille sanitaire, qui est pour le
moment le Réseau national de santé publique. Ce Réseau
national de santé publique est chargé de détecter tout ce
qui concerne les atteintes ou les modifications ou les alarmes en
matière de santé publique, mais cela en aval, loin, comme
conséquence d'une pathologie que l'on n'aurait pas découverte.
Ce qui existe maintenant, sous la direction de Jacques Drucker, va se
renforcer considérablement avec d'autres missions qui lui seront
confiées et un budget relativement coquet pour le développer. Ce
qui existe maintenant est donc d'essayer de juger des conséquences, et
une alerte sur un point du territoire est mise en parallèle en
réseau avec une alerte qui serait passée inaperçue sur un
autre point, etc. (technique classiqu
Ce n'est pas suffisant ; nous voulons débusquer au plus
près. Ce qui serait intéressant, c'est évidemment
d'être en amont, peut-être au déclenchement.
Là, il y a deux agences, l'Agence de sécurité alimentaire
et l'Agence de sécurité sanitaire. L'Agence de
sécurité sanitaire, qui sera le renforcement de l'Agence du
médicament, est chargée très spécifiquement des
produits de santé, des médicaments, des dispositifs, du
matériel de la thérapie génique, etc. Il y a un nouveau
dispositif.
Il sera évidemment de son ressort, s'il existait, de traiter des
organismes génétiquement modifiés, notamment ceux qui
concernent la résistance aux antibiotiques. Je ne le souhaite pas ;
je l'ai dit très clairement, mais ce serait éventuellement sa
mission.
Sinon, c'est l'Agence de sécurité alimentaire, et c'est donc la
responsabilité première des services du Ministère de
l'agriculture et de la DGCCRF, mais nous y sommes, et c'est une avancée
considérable par rapport à la force que représentait ce
ministère face à la santé, que nous y soyons
complètement associés.
J'ajoute -c'est une avancée que l'on doit au Parlement- qu'il y aura un
organisme plutôt scientifique, mais un organisme conjoint, qui mettra
ensemble, systématiquement, sous la direction du Ministère de la
santé -et je vous remercie- l'Agence des produits alimentaires et
l'Agence de sécurité sanitaire.
En permanence, au sommet, experts et décideurs pourront donc relier des
événements qui seraient peut-être passés
inaperçus.
Tel est le dispositif mais, comme je ne l'ai pas expérimenté
puisqu'il n'existe pas encore, je ne sais pas comment cela va se passer.
Il n'empêche à mon avis, pour répondre pleinement à
votre question, Monsieur le Président, qu'une attention
particulière et qu'une vigilance permanente devraient être
portées sur les organismes génétiquement modifiés,
malgré l'existence de ce système que je viens de décrire
sommairement.
M. Le Président
-
Vous venez d'indiquer,
dans l'exposé liminaire et dans la réponse que vous venez de
donner, que notamment sur l'expertise à l'Agence de
sécurité sanitaire des aliments, il y aura plus de moyens du
côté de la santé.
En second lieu, y aura-t-il des moyens du côté de l'INSERM, pour
que l'on développe des projets de recherche sur les thèmes que
l'on vient d'aborder, c'est-à-dire les aliments et la
santé ?
M. Kouchner
-
J'en ai parlé aujourd'hui avec
Claude Allègre, qui vient demain. Vous savez que c'est une
cotutelle entre le ministère de la recherche et le ministère de
la santé.
Nous en sommes tous deux tout à fait partisans, mais nous sommes
placés pour le moment dans une réforme de l'INSERM qui nous
permettra sans doute de promouvoir un certain nombre de moyens mais aussi de
projets de recherche, et qui place, avec ses départements horizontaux
qui ont été un peu en question, l'organisme dans une meilleure
situation pour absorber de genre de projet. C'est indispensable.
Si Claude Allègre et moi-même sommes en accord sur ce point, je
pense que cela se fera. Il y a évidemment un problème d'experts
et de financement. Je ne vous le cacherai pas plus, et je ne vous cacherai pas
plus non plus qu'en ce qui concerne l'INSERM, c'est Claude Allègre
qui a l'argent, pas moi. Je m'occupe un peu du personnel et je possède
la cotutelle, mais la recherche est la recherche. Cela peut se discuter, mais
c'est ainsi.
Dans de nombreux pays, la recherche sur la santé appartient au
Ministère de la santé... J'arrive d'un voyage aux Etats-Unis,
où notre dispositif fait lever les sourcils, mais cela fonctionne aussi
...
M. Le Président
-
Pas forcément
très bien. C'était justement ma troisième question, sur
les contaminations bactériennes aux Etats-Unis, où c'est de loin
la peur la plus grande du consommateur, parce qu'il y a eu plusieurs milliers
de morts par contamination alimentaire. On le disait dans le débat sur
l'institut de sécurité alimentaire.
M. Kouchner
-
Il y a eu 12.000 morts, y compris
avec les problèmes dans les hôpitaux.
M. Le Président
-
Il ne s'agit pas des
contaminations alimentaires. Ils sont à 8000 et nous sommes
à quelques dizaines au niveau de la France. Le problème se pose
donc effectivement lorsqu'il y a des gènes de résistance à
un antibiotique, et je pense qu'il y a une confusion. Quelqu'un me l'a dit tout
à l'heure ; il y a beaucoup de spécialistes ici, y compris
parmi les journalistes, et j'en profite pour le redire.
Il y a une certaine confusion entre OGM et ADN, y compris ADN avec des
gènes de résistance à un antibiotique. Un organisme
génétiquement modifié a un gène nouveau
inséré par un vecteur, une amorce autorisant l'insertion et
permettant de le retrouver. C'est un peu sa carte d'identité.
Ce gène de résistance à un antibiotique était
utile ; c'étaient des constructions très anciennes. Nous
avons maintenant d'autres moyens. Ce sont des constructions qui ont
passé toutes les barrières des autorisations
expérimentales des premières plantes transgéniques.
Lorsque ces gènes sont insérés et lorsqu'il y a
consommation d'une cellule d'un aliment d'une plante transgénique, il y
a des digestions de cette cellule. Et, dans la digestion, où il y a
avant transformation du produit, on ne va prendre qu'une partie de l'aliment,
et l'on va retrouver soit des traces d'ADN, soit une petite partie d'ADN qui ne
sera pas totalement coupée au niveau de la digestion.
Vous venez très bien de dire que certaines protéines ne sont pas
totalement digérées, qu'elles peuvent être des
protéines allergisantes. De la même manière, certains
morceaux d'ADN peuvent ne pas être totalement digérés,
qu'ils soient dans le sol ou à d'autres niveaux d'une chaîne.
Et le risque qui est indiqué aujourd'hui, c'est que cela puisse
effectivement passer dans des bactéries du sol, avec un risque
certes très faible. On l'a montré, cela peut exister. Tout
imprévu est possible dans la nature, disait Antoine Danchin ce
matin. La nature est faite d'imprévus, et tout est possible. C'est la
fréquence qui change. Ce risque est donc possible ; cela peut
passer.
Lorsque c'est passé, c'est-à-dire lorsque c'est passé dans
une bactérie du sol, cela peut passer dans une autre bactérie,
dans une bactérie du tractus alimentaire. Il ne faut pas ajouter des
risques dans de mauvaises constructions.
Il y a eu un séminaire à Talloires, qui était très
intéressant sur le sujet, avec tous les experts dans ce domaine, et des
choses ont été dites, qui ne sont pas exactes. Il faut donc
mettre les points sur les " i ".
Ce qui est le plus probable, ce sont les conjugaisons entre bactéries.
Ce sont des transferts de bactéries qui existent déjà, qui
ont déjà des gènes de résistance à des
antibiotiques et qui, chaque jour, peuvent donner des gènes de
résistance à des antibiotiques sur des bactéries qui sont
pathogènes du tractus intestinal.
Et cela peut malheureusement exister. On voit effectivement un certain nombre
de maladies qui se développent, et cela peut exister. La
probabilité de l'aliment transgénique est donc beaucoup plus
faible dans tous les cas que la probabilité que l'on a malheureusement
parce que l'on a mal géré les antibiotiques.
Antoine Danchin a eu raison de le dire. Il a eu une phrase très
forte ce matin : parce qu'on l'a mal gérée, elle est
beaucoup plus faible, infiniment plus faible que ce que l'on a fait au niveau
des antibiotiques et qui a été mal géré.
Je pense que demain, Patrice Courvalin et ceux qui seront présents
reprendront cela dans cette enceinte et nous pourrons leur poser des questions.
Je pense que cela a été bien expliqué, et qu'il faut le
dire, sinon on a une confusion. Je disais tout à l'heure que la
moitié des Français n'avait jamais entendu parler de plantes
transgéniques ; si, ensuite, on leur dit qu'il y a des gènes
de résistance à des antibiotiques, il y a une confusion totale
sur certains sujets.
Des vrais risques existent, et notre rôle est le principe de
précaution. Le Parlement y est totalement attaché et,
personnellement, je suis très heureux, Monsieur le ministre, de votre
position, parce qu'elle correspond globalement à celle que nous avons au
niveau de l'Office.
M. Kouchner
-
C'est moi qui vous poserais volontiers la
question. Je partage entièrement ce que vous venez de dire ; tout
d'abord, j'ai fait un lapsus dans les chiffres, parce que j'ai pensé aux
12.000 morts d'infections nosocomiales. Or, on ne peut pas ne pas en
parler lorsque l'on parle de résistance aux antibiotiques.
Je suis pour la précaution mille fois plutôt qu'une, mais agiter
ce spectre alors que nous sommes devant une résistance majeure aux
antibiotiques parce qu'il y a un mésusage des antibiotiques dans notre
pays... 57 % des staphylocoques dorés pathogènes des
hôpitaux français sont résistants, alors que ce chiffre est
de 2 % au Danemark, et qu'il y a ces morts en permanence.
C'est la raison pour laquelle j'ai parlé de 12.000 morts ;
vous me pardonnerez, Monsieur le Président, mais vous avez cité
des chiffres, notamment à propos des infections alimentaires. Lorsque
j'étais ministre de la santé en 1992-93, une seule
épidémie de listériose a fait plus de cent morts en 1992.
Ce n'est pas autant qu'aux Etats-Unis, vous avez raison, mais c'est tout de
même beaucoup. Mais j'attire votre attention, parce qu'il y a un
mécanisme, que je connais mal honnêtement, qui est celui non pas
de la résistance d'une bactérie, mais du plasmodium et à
propos de la résistance au paludisme.
C'est à travers le monde un sujet majeur d'inquiétude. Il y a
2 millions de morts du paludisme dans le monde. N'agitons pas de faux
problèmes. Agitons-les aussi, mais nous en avons devant nous massivement
des vrais.
M. Le Président
-
Toutes les questions
préparées comportaient déjà des réponses
dans le texte. Je pose tout de même une dernière question :
vous n'avez pas parlé des virus. Dans les auditions que nous avons
menées, un certain nombre de personnes se sont exprimées, pas sur
la totalité des virus, mais sur les rétrovirus, et sur un certain
nombre d'insertions.
Certains disent qu'il faut effectivement trouver, notamment dans les pays en
voie de développement, la possibilité de lutter contre des virus
et, dans certains cas, des phénomènes de transcapsidation, des
phénomènes d'insertion de virus pourraient être dangereux.
Le principe de précaution doit bien sûr s'appliquer, mais que
pensez-vous de cette question précise ?
M. Kouchner
-
Je pense qu'elle est tout à fait
juste et pertinente, et que j'ai eu tort de ne pas en parler. Qu'aurais-je dit
face aux virus ? Bien entendu, une attention très
particulière y est portée dans notre pays et dans le monde
entier. Je ne pense pas seulement à Ebola, hépatite C,
hépatite B, etc.
De ce point de vue, je pense que l'effort doit être porté d'abord
sur la recherche, et sur la recherche clinique. C'est ce que nous faisons
absolument en permanence et, avec Claude Allègre, nous voudrions
que soient développées non pas seulement vis-à-vis du VIH
-cela a été fait de bonne façon dans notre pays- mais
également vers l'hépatite C, des expérimentations
cliniques.
Que dire d'autre que d'appliquer en permanence ce principe de
précaution ? Il est évident que, dans le siècle qui
vient, nous aurons affaire en permanence à de nouveaux virus. Nous
sommes très inquiets.
Il y a une épidémie de fièvre jaune de-ci de-là,
qui se déplace en Afrique. Il y a au Zaïre une
épidémie de variole, qui est circonscrite dans un endroit
très précis, que les épidémiologistes connaissent
bien, mais souvenez-vous que le virus de la variole a théoriquement
été éradiqué.
Vous avez vu ce qui s'est déplacé au Zaïre ces temps-ci.
Dans cette salle, j'imagine que l'on en entend d'autres à ce propos, en
d'autres séances. Si cette épidémie, par hasard, se
déplaçait, il n'est pas du tout inenvisageable que nous ayons
à refaire très vite de la vaccination antivariolique. Comment le
ferions-nous ? Nous avons posé la question au ministre de la
santé, à nos fabricants, etc.
J'ai peut-être eu tort de ne pas en parler, parce que c'était
peut-être loin, mais l'introduction du virus lui-même dans cette
préoccupation est absolument nécessaire. Et il y aura d'autres
espèces que nous ne connaissons pas, les rétrovirus en
particulier.
Nous avons également eu à nous féliciter des efforts de
recherche et de la façon dont, très vite, des médicaments
nouveaux sont trouvés. On ne va pas seulement accabler l'industrie
pharmaceutique ; lorsque l'on n'en a pas, on est bien démuni. Il
faut vraiment saluer la façon dont, en quinze ans, les
antirétroviraux et les antiprotéases ont changé la face de
la maladie SIDA et donné de l'espoir à beaucoup.
Je vous rappelle que, dans notre pays, cette année, il y a eu 57 %
de mortalité en moins chez les malades du SIDA. Nous devons là
aussi développer notre recherche.
Pardon d'être faussement lyrique, mais je pense que la meilleure
façon de répondre aux craintes légitimes de nos
concitoyens, c'est peut-être de les informer seulement, et de leur faire
partager à la fois nos espoirs et un certain nombre de résultats
des recherches internationales et des recherches françaises.
Il y a là une façon de considérer l'avenir avec autre
chose que de la crainte.
J'ai inauguré au Ministère de la santé ce que l'on appelle
les "mercredis de Ségur", et il n'y a eu pour l'instant que deux ou
trois séances. Nous avons décidé, à partir de
septembre -Monsieur le Président, vous serez d'ailleurs invité-
de mettre en oeuvre toute une série sur la peur en santé publique
et c'est le sujet ; on devrait peut-être dire "risque et peur", mais
pour que chacun des phénomènes soit analysé de
façon contradictoire.
Pour la dioxine, c'est arrivé à toute allure et,
honnêtement, même si l'on dit qu'il faut prendre cela très
au sérieux, l'administration n'a pas été rapide sur cette
affaire ; c'est le moins que l'on puisse dire. Heureusement que des
associations privées ont éveillé notre attention.
Nous devons en permanence développer la précaution, mais la
précaution n'est pas seulement de nous méfier de ce qui nous
arrive. C'est d'être préventifs, et c'est peut-être
l'intérêt de cette commission environnement et santé qui se
met en place.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Monsieur
le Ministre.