N° 1054 |
N° 545 |
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE |
SÉNAT PREMIÈRE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1997-1998 |
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 1998 |
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 juillet 1998. |
.
________________________
OFFICE
PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
________________________
RAPPORT
sur
DE LA CONNAISSANCE DES GÈNES A LEUR UTILISATION
Première partie :
L'utilisation des organismes génétiquement modifiés
dans l'agriculture et dans l'alimentation
PAR
M. JEAN-YVES LE DÉAUT,
Député
Tome I : Conclusions du rapporteur
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Henri REVOL, Vice-Président de l'Office. |
Agro-alimentaire.
AUDITIONS PUBLIQUES DU MERCREDI 27 MAI
1998
Présidence de M. Jean-Yves
Le Déaut.
M. Le Président
- Je
souhaite
vous rappeler brièvement le contexte de ces auditions publiques ouvertes
à la presse et la façon dont elles s'insèrent dans une
étude générale sur les organismes
génétiquement modifiés, menée par l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Dans l'ancienne législature, en 1997, l'Office avait été
saisi d'une étude sur "De la connaissance des gènes à leur
utilisation". Il y a eu ensuite la dissolution. Cette saisine a de nouveau
été examinée par le Bureau de l'Assemblée
nationale. Nous avons débuté cette étude vers le mois de
novembre dernier, en nous spécialisant sur les aliments issus des
plantes transgéniques dans l'agriculture et l'alimentation.
Cette étude est venue au moment où plusieurs décisions ont
été prises par le gouvernement français :
- En février 1997, le gouvernement français autorise
l'importation de maïs et de soja issus de plantes
transgéniques ;
- Au même moment, alors qu'il y avait une demande, on n'autorise pas
la culture du maïs d'été ;
- Le 27 novembre 1997, le gouvernement autorise la culture de ce
maïs d'été, avec des conditions ; le Ministre de
l'agriculture étant présent ce soir, il pourra répondre
aux questions à ce sujet.
Pendant cette période, nous avons donc commencé l'étude,
en nous disant qu'elle pouvait être au niveau du Parlement, concomitante
avec des décisions gouvernementales.
Ce sujet est complexe. Avant l'intervention de Madame Lebranchu, j'aurai
l'occasion de lire un petit courrier que j'ai eu sur le forum sur Internet, qui
résume à mon avis très bien la situation du citoyen. On
lui demande, en effet, de répondre de façon simple à des
questions qui sont scientifiquement et technologiquement complexes, et qui
résument assez bien la situation actuelle.
Pendant cette période, nous avons donc eu une étude qui m'a
conduit à auditionner pratiquement tous les acteurs de cette
filière. En même temps, dès novembre 1997, nous avons
souhaité organiser une Conférence de Citoyens -ce sera une
première en France- pour leur demander leur avis, à
côté de l'avis des experts entendus en auditions privées et
publiques.
Ces citoyens ne connaissent pas forcément les techniques de
génie génétique, puisqu'une enquête récemment
publiée dans " Les Echos " indique que seuls 54 %
des Français ont entendu parler des plantes transgéniques
actuellement. En même temps, nous aurons donc l'avis d'un panel de
citoyens.
Certains ont dit que ce n'était pas représentatif de la
population française. C'est évident, puisque cela ne concerne que
quatorze personnes. Mais c'est néanmoins l'avis d'un groupe qui a
été formé par différents intervenants, dont les
noms ont été publiés. C'est l'avis d'un groupe qui a
finalement pris connaissance d'un sujet et dont les membres ont discuté
ensemble, de manière dynamique.
Ce groupe a choisi d'auditionner plusieurs personnes, les 20 et 21 juin,
pendant un week-end, de manière publique.
C'était difficile ; c'était une première, mais je
pense qu'elle a le mérite d'exister.
Pendant cette étude, je me suis entouré d'un comité de
pilotage pour l'étude sur les plantes transgéniques de quatre
personnes, et, pour la conférence de citoyens, s'y sont ajoutées
trois autres personnes venant d'horizons différents.
Le comité de pilotage est composé de
Mme Francine Casse, qui est à l'INRA en biologie
moléculaire végétale, et M. Antoine Messean, qui est
à l'INRA et au CETIOM.
Il y a également Mme Marie-Angèle Hermitte, professeur
de droit à PARIS I, et M. Gérard Pascal,
spécialiste de sécurité alimentaire.
Pour la conférence de citoyens, les trois personnes
supplémentaires sont M. Philippe Roqueplo, sociologue,
présent dans cette salle, ainsi que M. Daniel Boy de Paris I
et Mme Dominique Donet-Kamel de l'INSERM, qui avaient déjà
commencé à travailler sur le processus de conférence de
citoyens pour l'ancien Secrétaire d'état aux universités,
M. François d'Aubert.
Ces trois sociologues, ce juriste et ces trois scientifiques ont donc
formé le Comité de pilotage et ont pris collectivement certaines
décisions concernant la Conférence de citoyens.
L'intérêt de tout ce processus, est de débattre, au travers
des auditions publiques d'aujourd'hui, ouvertes à la presse, avec des
experts qui n'ont pas le même avis sur ce sujet, sur six
thèmes :
1. Les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et
l'alimentation
2. Les enjeux pour la recherche
3. Les enjeux réglementaires, comment organiser l'expertise,
comment l'articuler avec la décision publique
4. L'information du consommateur, problème d'actualité, y
compris cette semaine, avec les problèmes de l'étiquetage, de la
traçabilité et de la sécurité alimentaire
5. Les avantages et les risques des organismes génétiquement
modifiés en matière d'environnement
6. Les avantages et les risques en termes de santé.
Au travers de ces tables rondes et de la Conférence des citoyens,
rassemblant d'un côté des experts, de l'autre des profanes, il est
intéressant de confronter des avis, même si ceux-ci ne
représentent qu'une partie de la population, mais également
de lancer un débat.
Ce débat n'a pas eu lieu alors que certaines décisions ont
déjà été prises. Cela a été
reproché. Lorsqu'une moitié des Français ne sait pas ce
qu'est une plante transformée par ingéniérie
génétique, cela montre bien le décalage qui existe entre
la réalité vécue par le consommateur et le progrès
des sciences et des technologies.
Un travail a été mené par le Sénateur Bizet,
plus spécialement sur la partie économique,
c'est-à-dire les enjeux économiques pour l'agriculture des
plantes transgéniques.
Au travers de tout cela, le Parlement a souhaité que l'on puisse lancer
le débat, que des avis puissent être confrontés, que des
agriculteurs, des industriels, des chercheurs, des consommateurs, des
associations de protection de l'environnement puissent donner leurs avis et les
confronter.
Ce n'est pas un débat à la Guillaume Durand. Cela ne doit
pas donner lieu à des empoignades mais, au contraire, cela doit
être pour nous-mêmes, pour la presse et pour ceux qui relayeront le
débat, l'occasion de réfléchir à des solutions
éventuelles à apporter à des questions éminemment
complexes.
Pour terminer cette présentation, on peut dire que nous avons eu de
manière classique des auditions privées, cadre classique du
travail parlementaire, des auditions publiques aujourd'hui, c'est-à-dire
des expertises collectives et contradictoires, une conférence de
citoyens, c'est-à-dire les avis du citoyen ou d'un panel de citoyens sur
un sujet complexe. De plus, nous avons lancé un forum sur Internet, qui
sera interactif.
Nous étions dans une situation relativement compliquée au niveau
de l'Assemblée nationale, avec un traitement qui était
relativement lent, et une apparition assez lente du forum sur le site
Assemblée nationale. Je donne l'adresse du site :
http://www.assemblee-nat.fr
Un débat sera interactif à partir du 1er juin, et il
appellera des réponses. Il est déjà ouvert, mais il sera
réellement interactif le 1er juin, avec des moteurs de recherche
plus performants qui permettront d'arriver assez rapidement sur ce forum.
J'ai donné l'adresse du site pour la presse, parce que plus on relayera
ce site, plus il y aura d'avis. Ce seront d'autres types d'avis, qui viendront
à côté de ceux des associations et des experts, et de ceux
d'un panel de citoyens. Les internautes nous donneront également leur
avis sur ce sujet, et je pense que c'est opportun.
Nous allons maintenant aborder la Table ronde I.
Table ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentationTable ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation
M.
le Président
-
Pour cette première table ronde, j'ai
à mes côtés :
- Monsieur Emmanuel Jolivet, économiste à l'INRA
- Monsieur Jean-Marie Pelt, botaniste bien connu, qui est
à l'université de Metz
- Monsieur Pierre Pagesse, Président de Limagrain
- Antoine Messean et Francine Casse, que j'ai déjà
présentés
- Monsieur Marcel Cazalé, Président de l'Association
générale des planteurs de maïs
- Monsieur René Riesel, Secrétaire national de la
Confédération paysanne, chargé des OGM.
Dans les auditions privées, nous avons bien sûr vu pratiquement
toutes les associations, sociétés ou entreprises qui sont
à cette table.
De cette première table ronde "Enjeux économiques et
internationaux pour l'agriculture et l'alimentation", je dirai, à titre
de brève présentation, qu'avec les organismes
génétiquement modifiés, on assiste à
l'entrée en force des sciences de la vie dans l'agriculture et dans
l'alimentation.
Bien entendu, cette technique n'était pas absente de ces domaines avec
le développement plurimillénaire des techniques de fermentation
en alimentation et les méthodes de sélection et de croisement des
plantes.
Mais les techniques de transgénèse apparaissent réellement
comme devant révolutionner ces deux secteurs, notamment à cause
de leur très grande efficacité, et à cause de leur
rapidité à obtenir les résultats recherchés.
Les enjeux sont considérables, car celui qui détiendra le pouvoir
de produire des aliments aura un pouvoir politique considérable. Cette
situation doit s'apprécier compte tenu des projections
démographiques, qui font entrevoir une forte croissance de la population
mondiale au cours des vingt prochaines années, et aussi des
problèmes d'environnement entraînés par l'intensification
de l'agriculture.
Les rivalités entre les producteurs de matières premières
alimentaires existent déjà, mais elles vont sans doute s'aviver
dans le futur. Ma récente mission aux Etats-Unis me l'a confirmé,
des contentieux existent déjà sur le point de savoir si l'Europe
autorisera ou non la culture d'un certain nombre de plantes
transgéniques.
Il est bien entendu que cette question se pose dans le cadre des règles
de l'Organisation mondiale du commerce. Le problème sera donc de savoir
notamment si l'Europe peut se désintéresser de ces techniques et
laisser la part du lion du marché agroalimentaire mondial aux
Etats-Unis. Nous en parlerons tout à l'heure avec des chiffres.
Nous avons donc un certain nombre d'enjeux en termes d'environnement, des
enjeux en termes économiques, et je pense qu'autour de cette
première table ronde, nous devons essayer de les cerner.
Je donne le chiffre que j'ai vu cette année et qui m'a
impressionné : 16 millions d'hectares cultivés en
plantes transgéniques en 1998 aux Etats-Unis ; 26 millions
dans le monde. Ces 16 millions d'hectares sont à comparer aux
13 millions d'hectares de grandes cultures françaises. Ce sont
16 millions d'hectares en soja, en maïs, en coton, puis en tabac et
une dizaine d'autres plantes, avec des superficies beaucoup plus faibles.
La règle du jeu est simple : vous commencez par une
présentation de cinq minutes, qui sera suivie d'un débat.
Ensuite, des questions seront posées par la salle. Si certains ont le
temps, on peut les poser. Mais s'il y a beaucoup de questions, ce que je pense,
transmettez-les et nous les poserons à nos intervenants. Des feuilles
circuleront pour que vous puissiez le faire.
M. Cazalé
-
Monsieur le Président, vous
avez débuté par une présentation des
éléments extérieurs, qui font aussi partie des
contraintes. Effectivement, il n'est pas inutile de savoir que largement plus
que la sole des terres cultivables en France est cultivée aux seuls
Etats-Unis en plantes transgéniques.
Mais cela se double d'une autre affaire : le taux de croissance a
été très rapide. Cela implique une question :
pourquoi y a-t-il un tel engouement dans ce pays ? Il faut bien que les
acteurs économiques y trouvent leur compte. Sinon, il y aurait eu une
évolution peut-être négative, en tout cas un retour en
arrière, et non pas une croissance d'une telle rapidité.
Lorsque l'on se rend aux Etats-Unis, il nous est dit que, pour des questions
incidentes, sanitaires en générales, on remarque, outre les
défenses prévues dans les caractéristiques de la plante,
une croissance des rendements telle que l'intérêt
économique existe pour justifier les achats par les agriculteurs,
puisque personne ne les obligera à le faire, de semences plus
coûteuses que les semences non-OGM.
Cela concerne principalement deux cultures : le maïs et le soja, et
nous, Européens, sommes concernés par les deux produits au titre
de la consommation.
Pour le maïs, des conventions signées au moment de
l'adhésion de l'Espagne et du Portugal font l'obligation à
la Communauté d'importer environ 2,5 millions de tonnes de
maïs venant presque exclusivement des Etats-Unis. Après le retard
pris par la Communauté, qui ne s'est pas pressée de remplir ses
obligations, nous aurons l'obligation de le faire, avec des maïs
importés qui contiendront une fraction d'OGM plus importante que
l'année dernière.
Pour le soja, nous nous approvisionnons presque exclusivement aux Etats-Unis en
tourteaux pour l'alimentation animale. Dès maintenant, dans l'aliment du
bétail, des tourteaux de soja ayant pour origine des plantes
transgéniques figurent dans des proportions assez conséquentes.
Nous n'avons pas rencontré de genre de problème en Europe,
d'abord parce que l'origine de la technique est aux Etats-Unis, et que les
firmes américaines ont engagé des sommes considérables et
continuent à le faire de manière fabuleuse. C'est à couper
le souffle de voir les engagements économiques qui sont pris par des
personnes qui doivent tout de même avoir un peu de jugement...
En France, nous avons du retard parce qu'ils n'ont pas été
autorisés, mais aussi parce que l'intérêt immédiat
n'a pas paru évident chez les producteurs. Cela s'explique par le fait
que les premières variétés qui ont fait l'objet de
transgénèse sont un peu anciennes, s'appliquent à quelques
zones et que, par ailleurs, les espaces cultivés qui sont victimes de
l'agression des insectes comme la pyrale ne sont pas très larges dans
notre pays. Les surfaces cultivées sont donc très petites.
Dans l'évolution du progrès, il faut constater que, dans les
propositions qui nous étaient faites l'année dernière,
certaines variétés, soit étaient résistantes aux
insectes, soit supportaient des traitements insecticides nouveaux.
En l'espace d'un an, nous avons des variétés qui supportent
à la fois les insecticides et les désherbants. Une telle
réalisation montre l'évolution très rapide de la
technologie et donne quelques indications sur ce à quoi nous pouvons
nous attendre pour les années qui viennent.
Pour situer les OGM, je considère qu'il est un peu limitatif de parler
d'OGM, parce qu'il ne s'agit finalement que d'une application d'une science
nouvelle, et pas seulement d'une technique nouvelle, la
transgénèse. Ses capacités sont très
élevées, et, comme beaucoup de sciences et comme la langue
d'Esope, peut être la meilleure et la pire des choses.
Nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas en surveiller les applications,
mais il faut faire un tri entre les bonnes et les mauvaises applications.
Je pense donc qu'il est évident que nous nous trouvons là avec
une perspective d'applications multiples et actuellement
insoupçonnées d'une science nouvelle qui est la
transgénèse.
Il faudra bien sûr, notamment sur un secteur dans lequel nous n'avons pas
de compétence, celui de la qualité des produits
élaborés, faire appel à des instances scientifiques.
Celles-ci détermineront le caractère acceptable de ces plantes
nouvelles en vérifiant qu'elles ne présentent pas de
difficultés particulières par rapport aux plantes non
transgéniques.
Je voudrais maintenant terminer par quelques mots sur les
caractéristiques de la plante maïs, au regard des problèmes
soulevés par l'admission, et en particulier par la diffusion.
Il se trouve que nous ne connaissons pas de plante sauvage fécondable
par le maïs, ce qui n'est pas le cas de toutes les plantes. Si elle devait
exister, elle serait en Amérique centrale. C'est donc une garantie qui
n'est pas commune.
En second lieu, on pourrait dire que, depuis cinq cents ans que le maïs
est cultivé en Europe, il a pu se fabriquer des plantes sauvages. Or, le
maïs ne peut pas se multiplier sans l'intervention humaine. Si un
épi tombe au sol, il pousse une touffe de plantes incapables de produire
un grain. La main de l'homme doit donc arracher les grains de la rafle et les
disperser pour que les plantes puissent être assez isolées pour
produire elles-mêmes un épi.
Une autre caractéristique est de création relativement
récente : les surfaces plantées le sont avec du maïs
hybride. Cela présente la caractéristique d'exiger l'achat des
semences chaque année. Cela signifie que si l'on éprouvait par
hasard le besoin de faire marche arrière, on pourrait revenir en
très peu de temps sur des autorisations que l'on aurait données.
Tels sont les propos que je pouvais tenir en guise d'introduction.
M. Le Président
-
Merci beaucoup, Monsieur
le Président.
M. Riesel
-
Comment s'empêcher de penser que
cinq minutes est tellement court pour exposer des positions et, pour ce qui me
concerne, des objections de la Confédération paysanne à la
commercialisation et à la mise en culture d'organismes
génétiquement modifiés, que l'on a peut-être
escompté que personne ne gâcherait de précieuses secondes
à le souligner.
Je le ferai pourtant d'emblée car, pour la Confédération
paysanne, c'est notamment la démocratie, ses formes admises, ou les
progrès qu'apporteraient ces formes génétiquement
modifiées du type conférences de consensus, que pose et auxquels
renvoit la façon dont on entend traiter la question des OGM en
agriculture.
La Confédération paysanne s'élève donc contre un
débat à grande vitesse, où l'innovation technologique
souligne les contours d'une organisation sociale où le
talk-show
médiatique, le radio-crochet prétendent se substituer, une fois
les décisions prises, au débat préalable.
C'est pour cette raison que la Confédération paysanne a choisi,
en janvier de cette année, de refuser cette règle du jeu
détestable en dénaturant un stock de semences de maïs
transgénique Bt de Novartis dans le Lot-et-Garonne, afin d'imposer ainsi
un procès et un véritable débat public sur les plantes
transgéniques.
Nos objections sont globales ; elles portent sur les risques pour la
santé publique, les risques pour l'environnement et la
biodiversité, les risques économiques et sociaux et les risques
pour la démocratie.
Je laisserai aux plus compétents que moi, parmi ceux qui ont consenti
à participer à cette audition, le soin d'exposer les risques pour
la santé humaine et animale, et singulièrement pour ce qui
concerne la résistance à l'ampicilline du maïs Novartis
déjà autorisé et les risques pour l'environnement et la
biodiversité, que ce soit par transmission sexuelle ou par passage aux
bactéries du sol.
Concernant les pollutions induites, j'insisterai seulement sur le fait que
l'imposture joue à guichet ouvert lorsque les "obtenteurs"
prétendent actuellement produire plus propre grâce aux OGM.
Si l'ensemble des grandes cultures devait être un jour OGM, c'est tout au
plus une économie de 15 % des produits phytosanitaires actuellement
utilisés qu'apporterait cette prétendue révolution
technologique, en accroissant les risques de surdosage accidentel routinier,
s'agissant de plantes résistantes.
Mais d'autres risques nous paraissent majeurs, au premier rang desquels
l'aggravation de la dépendance des paysans par rapport aux firmes
pharmaco-chimiques, leur intégration définitive dans un complexe
agro-industriel déresponsabilisant pour eux.
Une telle perspective n'est pas seulement préjudiciable pour les paysans
des pays développés. Elle concourrait à continuer à
détruire les outils d'autosuffisance des agricultures vivrières
des pays en voie de développement, dont nous avons la faiblesse de
penser qu'ils peuvent avoir d'autres ambitions géopolitiques que
d'être nourris par les "farmer's druck on belt" ou les chefs
d'entreprises agricoles performants sur fonds publics des bassins
céréaliers européens.
La Confédération paysanne dénonce, dans l'introduction
précipitée des organismes génétiquement
modifiés en agriculture, l'organisation délibérée
d'une prise de risques de type industriel, au profit exclusif de
l'agro-industrie et de l'agro-fourniture, qui ont seuls intérêt
à la propagation de techniques dont ni les paysans ni les consommateurs
ni la société n'ont besoin.
Prétendre de façon irresponsable que refuser ce risque, c'est
courir celui de voir d'autres pays ou groupes de pays accroître leur
compétitivité par rapport à notre agriculture, c'est
raisonner à courte vue ; c'est admettre que l'on est prêt
à tous les risques pour conforter une agriculture productiviste, dont
l'ensemble de la société ne veut plus et dont nous avions cru
comprendre qu'elle était remise en cause dans la loi d'orientation
agricole dont ce pays devrait se doter prochainement.
Voilà, très rapidement exposée, une toute petite partie
des raisons pour lesquelles la Confédération paysanne continuera
à se battre pour obtenir un moratoire sur la commercialisation et la
mise en culture, ainsi que l'élevage d'organismes
génétiquement modifiés.
Je vous remercie.
M. Le Président
-
Merci,
Monsieur Riesel. C'est effectivement court, mais vous aurez
l'occasion de reparler pendant la table ronde. C'était un exposé
introductif.
Peut-être vais-je vous demander, Monsieur Pagesse de
répondre, parce que vous êtes aussi agriculteur.
Monsieur Riesel vient de dire que c'est l'aggravation de la
dépendance des paysans ; vous êtes paysan et vous êtes
dans une coopérative qui s'est lancée dans les plantes
transgéniques. Qu'en pensez-vous ?
M. Pagesse
-
Merci, Monsieur le Député,
bonjour à tous.
Je souhaite tout d'abord dire que, depuis que l'humanité est
passée de l'économie de cueillette pour se nourrir à
l'agriculture, nous avons fait de l'amélioration des plantes, et nous
avons fait de la transgénèse, à partir bien sûr des
lois de l'hérédité et souvent des lois du hasard.
Mais, bien entendu, nous sommes devant de nouvelles applications du
génie génétique, qui sont au coeur d'une mutation sans
précédent pour l'agriculture et probablement pour la
société tout entière.
A mon avis, l'Europe et, dans l'Europe, la France, doivent participer
activement à cette mutation, sous peine de laisser les Etats-Unis
développer une hégémonie technologique et commerciale qui
risque d'être pour nous complètement irréversible.
Je donne tout d'abord quelques constats -cela a déjà
été dit- : aux Etats-Unis, les plantes
génétiquement modifiées sont en pleine expansion. On peut
dire qu'actuellement, dans le monde, il y a autant de surfaces de plantes
génétiquement modifiées que de SAU (surfaces agricoles
utiles) en Europe, si l'on ajoute la Chine et le Canada.
On peut donc considérer qu'à l'horizon 2005, plus des deux tiers
des grandes cultures américaines seront améliorés par le
génie génétique. Cette amélioration portera bien
entendu sur des applications agronomiques, avec un certain nombre de
résistances (aux insectes, aux virus, aux champignons, aux
différents stress hydriques ou de salinité), mais surtout sur des
applications qualitatives, dans le domaine de l'alimentation, de l'industrie,
et aussi dans celui de la santé.
Des plantes plus résistantes, mieux adaptées aux contraintes
climatiques et aux exigences de la protection de l'environnement,
répondant à toute la diversité des nouveaux besoins
industriels, relégueront les cultures actuelles au rang des produits
dépassés ou au rang de simples matières premières,
au prix des matières premières.
Le dire n'est pas céder au "tout OGM" ; ce n'est pas militer pour
une technologie qui ferait figure de panacée ; c'est simplement
reconnaître qu'avec précaution et responsabilité, principes
intangibles que les industriels s'appliquent quotidiennement à
eux-mêmes, les biotechnologies, et en particulier le génie
génétique, apportent des progrès agronomiques et
qualitatifs indéniables.
Ces progrès ouvriront des marché à plus forte valeur
ajoutée, tant pour l'agriculture que pour l'ensemble des filières
agroalimentaires.
Il est impensable que l'Europe tourne le dos à ces perspectives
d'avenir, à ces perspectives de compétitivité et de
progrès pour tous.
Dans cette mutation sans précédent, les semences occupent bien
entendu une position-clé. Elles sont le vecteur indispensable de ces
nouvelles technologies. C'est en effet à ce stade que les meilleures
combinaisons de gènes particuliers et d'une variété
élite se feront ou ne se feront pas, et les grands agrochimistes
mondiaux comme Monsanto ou Du Pont l'ont bien compris. Ils rivalisent pour
acheter à prix d'or les sociétés semencières et les
meilleurs laboratoires de biotechnologie.
Il n'y a pas une semaine sans que l'on entende l'annonce d'une nouvelle
acquisition. Le résultat, c'est la formation d'immenses
conglomérats, qui se comptent dorénavant sur les doigts d'une
seule main, et qui profitent essentiellement, bien entendu, à
l'économie américaine.
Pour nous, semenciers européens indépendants, qui nous accrochons
à cette indépendance malgré des offres
répétées, ces mouvements de concentration et
d'intégration verticale sont de réels sujets d'inquiétude.
Pour les agriculteurs, la perspective d'un avantage compétitif accru de
l'agriculture américaine par rapport à l'agriculture
européenne est également un vrai sujet de préoccupation,
d'autant plus qu'avec l'Organisation mondiale du commerce, nous entrons dans
une mondialisation des échanges, où seule l'innovation permettra
de faire la différence et d'affronter les nouvelles perspectives du
marché.
Avec les accords de l'OMC, que la France a signés, il n'est plus
possible de se retrancher derrière je ne sais quelle barrière ou
exception européenne. Avec ces accords de l'OMC, la profitabilité
du vivant a été officiellement reconnue.
Cette nouvelle donne fait de la prise de brevets une arme stratégique
pour tous les compétiteurs. Le brevet, c'est avoir le droit d'exploiter,
mais aussi celui d'interdire ; c'est avoir le champ libre pour gagner de
nouveaux marchés.
C'est le coeur de cette nouvelle économie de la connaissance qui
s'impose au plan international. Longtemps, l'agriculture, et
particulièrement l'agriculture française, a construit son
progrès sur une culture de partage et d'échanges. Elle bascule
aujourd'hui dans cette économie internationale, où la valeur
ajoutée n'appartiendra qu'à ceux qui auront su créer,
consolider, protéger et valoriser des innovations majeures.
Mais mesurer ces enjeux, c'est mesurer aussi le poids réel de
l'agriculture française et de ses débouchés. Nous sommes
encore le deuxième exportateur mondial de céréales,
mais pas seulement. L'agriculture et ses filières
représentent, comme aux Etats-Unis, environ 15 % du produit
intérieur brut, soit plus de 750 milliards de francs.
Si nous voulons maintenir ce rang, nous devons impérativement investir
dans ces nouvelles sciences de la vie. Notre niveau de vie, et pas seulement
celui des agriculteurs, en dépend. Faisons donc jouer tous nos atouts,
et vite, car il y a des retards qui ne se rattrapent pas, des atouts, car nous
en avons, et en particulier en matière de recherche.
Vous savez qu'un grand projet national de génomique
végétale est en cours d'élaboration. Il réunit les
principaux semenciers français, avec Rhône-Poulenc et l'INRA.
C'est un projet lourd, qui nécessite un soutien important des pouvoirs
publics.
C'est avec de tels types de programmes fédérateurs que nous
pourrons espérer rivaliser avec nos amis américains et participer
pleinement à la course à l'innovation. Nous sommes bien à
l'heure des choix, des choix de modernité, de progrès et
d'indépendance. Et lorsque je parle d'indépendance, je ne pense
pas seulement à celle des agriculteurs, mais à celle des
filières et, finalement, à celle du consommateur.
Car c'est sa liberté de choix qui est en cause : pouvoir choisir et
non pas subir l'hégémonie programmée des produits
américains.
M. Le Président
-
Merci pour cette
introduction. Je demande maintenant à Jean-Marie Pelt, botaniste,
Président d'honneur d'ECOROPA, association qui est partie prenante
d'"Agir pour l'environnement" et qui s'oppose aux plantes transgéniques,
de donner son avis.
M. Pelt
-
Monsieur le Président, Mesdames et
Messieurs, j'ai été frappé par les orientations nouvelles
qui se dessinent en matière de politique agricole pour notre pays,
lorsqu'il y a peu de temps, et encore maintenant, Bruxelles prétendait
faire entrer notre agriculture de plain pied dans la mondialisation, en
insistant beaucoup sur notre capacité à produire beaucoup,
à être "productivistes", comme on le dit.
On a vu les paysans français réagir dans tous leurs syndicats,
dans toutes leurs formations professionnelles, tout comme le Ministre de
l'Agriculture, en faveur d'une agriculture peut-être moins productiviste
mais plus orientée vers la qualité, vers l'autosuffisance de nos
marchés et des marchés européens, avec l'idée que
si l'on produit de la bonne qualité, on s'ouvrira également sur
les marchés internationaux.
Il y a donc en quelque sorte une tendance quantitative d'un côté,
et plus qualitative de l'autre.
Comment promouvoir une agriculture de qualité ? C'est en fait la
question qui se pose à nous aujourd'hui. On sait que l'on ne peut pas
aller plus loin dans le domaine de la chimie ; c'est la raison pour
laquelle on voit tous les grands organismes agroalimentaires refluer vers les
biotechnologies et les sciences de la vie.
La chimie implique davantage de pesticides, avec les problèmes de
santé que cela pose. Faut-il alors aller dans la direction du "tout
transgénique" ? C'est au fond la question posée dans le
débat de ce matin.
En quelques minutes, je voudrais reprendre le dossier du maïs, que
j'estime tout à fait symbolique. Nous l'avons autorisé en culture
en France, avec un argument qui vient d'être rappelé : le
maïs n'a pas de plante sauvage proche qu'il pourrait contaminer par ses
gènes.
Oui mais, proche du maïs transgénique, il y a le maïs
conventionnel, qui sera évidemment atteint par les gènes venant
du maïs transgénique, ce qui -cela n'a jamais été
dit- rendra rapidement impossible d'avoir sur les marchés de la
consommation des maïs que l'on pourra qualifier de
non-transgéniques, car il y aura des transgènes un peu partout.
Dans la nature, le pollen se diffuse très rapidement pour le maïs,
en peu de temps (environ une heure et demie), et lorsqu'il y aura beaucoup de
maïs transgénique, le maïs non-transgénique sera lui
aussi devenu un maïs transgénique. L'étiquetage sera donc
impossible.
Si l'on piétine, comme on le fait depuis deux ans à Bruxelles, au
Parlement européen et dans tous les Etats membres de la
Communauté européenne, sur l'étiquetage, c'est parce que
l'on n'arrivera pas à étiqueter. En effet, dans la nature tout se
communique ; on n'est pas dans un laboratoire, et les problèmes
dans la nature sont tout à fait différents des problèmes
techniques rencontrés dans un laboratoire.
C'est la raison pour laquelle la dissémination des plantes
transgéniques pose en soi un problème différent du travail
en strict laboratoire.
Ce maïs contient un gène de résistance à
l'ampicilline, qui est un antibiotique. Ce gène de résistance,
par une seule mutation qui ne manquera pas de se produire dans très peu
de temps, deviendra alors un gène de résistance à toutes
les céphalosporines, antibiotiques les plus utilisés actuellement
pour des maladies graves.
On risque donc de voir ce gène passer dans l'intestin des animaux ou des
hommes qui le consomment ou dans le sol, par les racines, sur des
bactéries qui deviendraient ainsi résistantes aux antibiotiques.
Or, créer des bactéries résistantes aux antibiotiques,
c'est à la fois une erreur et une faute, et je dirais même une
faute grave, car l'un des grands problèmes de santé que l'on
rencontre actuellement, est celui de la résistance aux antibiotiques.
Dans les hôpitaux, il y a dix mille morts par an parce que la
résistance aux antibiotiques augmente très rapidement et que nous
n'avons plus les antibiotiques suffisants pour faire face à ces
résistances en progrès.
Il fallait donc évidemment ne pas mettre un gène de
résistance aux antibiotiques dans le maïs. Lorsque l'on sait
qu'aujourd'hui il serait possible de ne pas l'y mettre, il faut alors regretter
que ce maïs ait été autorisé et que l'on n'ait pas
demandé aux producteurs de ne plus mettre ce gène, qui, je crois,
ne se mettra d'ailleurs plus dans les années qui viennent.
Ensuite, il y a un aspect écologique tout à fait curieux, que
l'on ne verra qu'avec un certain temps, car tous ces problèmes ne
viendront qu'avec le temps : le maïs Bt résiste à la
pyrale, qui meurt lorsqu'elle le mange, et à la noctuelle, qui ne meurt
pas lorsqu'elle le mange.
Un troisième insecte mange les noctuelles, donc protège le
maïs. Or, lorsque ce troisième insecte mange les noctuelles qui ont
mangé du maïs BT, il meurt. L'insecte protecteur
disparaîtra donc petit à petit, et il y aura de la part de la
noctuelle une "bonne affaire", car elle deviendra le compétiteur
tranquille du maïs dans quelques années, et on ne l'aura pas
éliminée.
Je parle de quelques années, parce que la pyrale deviendra
également résistante. On a fait des travaux très fins
sur le sujet, et l'on pense que, dans quelques années, la pyrale
sera devenue résistante au maïs BT, qui n'aura plus
d'intérêt, pas plus que le Bt lui-même. On aura fait
ce que l'on fait pour les antibiotiques : on aura créé
de nouvelles résistances dont on ne saura pas se dépêtrer.
Car c'est dans cette direction que l'on s'engage : des résistances
en série que la biologie connaît bien, qui font partie des lois de
la vie, que peut-être les chimistes qui se reconvertissent aux
biotechnologies ne connaissent pas encore mais qu'ils ont peu de temps pour
connaître.
Pour terminer, il y a la question fondamentale : c'est sur le maïs
que l'on a découvert les gènes sauteurs, c'est-à-dire que
les gènes peuvent passer d'un endroit à un autre du
génome, et d'un génome à un autre génome. C'est ce
que l'on appelle les transferts horizontaux.
C'est un domaine immense, dont personne ne connaît rien. C'est la
boîte de Pandore du génie génétique. On ne sait pas
ce que peuvent donner ces gènes lorsqu'ils deviennent sauteurs ou
lorsque le génome est perturbé, comme il l'est par
transgénèse. L'on peut imaginer que de nouvelles recombinaisons
se font -je prends exprès le mot scientifique-, et aboutissent à
de nouveaux agents pathogènes peut-être, qui seraient des
bactéries ou des virus.
L'hypothèse de voir naître de nouvelles maladies dans quelques
années est redoutable ; on ne peut pas l'exclure.
Ce dossier du maïs, que l'on croyait la plante la plus simple à
rendre transgénique, est au départ terriblement
" plombé ", et tout ce que j'évoque ne peut
apparaître que dans quelques années. On va beaucoup trop vite, et
cette précipitation, qui a été soulignée, de passer
brusquement au transgénique pour des avantages immédiats, me
paraît tout à fait redoutable.
C'est la raison pour laquelle nous proposons le fameux principe de
précaution : dans le doute, on s'abstient. Il faudrait travailler
davantage le génie génétique, qui n'est pas une base assez
solide actuellement pour voir se construire sur elle l'immense
cathédrale des plantes transgéniques. Nous n'avons pas les bases
scientifiques suffisantes ; le génie génétique est
trop récent pour que l'on parte à cette vitesse dans la direction
du transgénique.
En conclusion, n'ayons pas trop de complexes à l'égard des
Etats-Unis. Jusqu'à présent, en matière d'alimentation,
ils n'ont pas montré ce qu'ils savent faire. L'obésité
répandue partout, le diabète très fréquent, la
mauvaise alimentation, celle que nous déplorons dans nos restaurants
rapides, ne donnent pas l'impression qu'il faut suivre à tout prix les
Etats-Unis en matière alimentaire.
Nous proposons une agriculture qui serait durable, raisonnée,
biologique, etc. Il n'y a pas ici d'intégrisme en faveur d'une
agriculture particulière, mais en tout cas une faveur pour une
agriculture plus prudente, qui conserve de nombreux agriculteurs à la
terre. C'est d'ailleurs sur ce thème que nous allons réunir au
sein d'ECOROPA, demain, un panel pour évoquer ces points, et très
prochainement à Metz, dans mon institut, "quelle agriculture
voulons-nous vraiment pour demain ?".
On n'exclut pas forcément à perpétuité le
transgénisme, mais nous disons que, maintenant, il n'est pas l'heure
d'aller dans cette direction.
M. Le Président
-
Vous avez posé
beaucoup de questions. Je souhaiterais que l'on se limite au débat
aujourd'hui, car nous verrons demain dans le débat sur la santé
le problème des marqueurs aux antibiotiques, dans le débat sur
l'environnement le problème des résistances d'insectes, et tout
à l'heure dans la table ronde concernant la recherche le problème
des gènes sauteurs.
Néanmoins, dans un exposé liminaire, on peut poser la
totalité de la problématique.
Monsieur Jolivet, vous qui suivez le problème d'un point de vue
économique et qui suivez à l'INRA les personnes qui traitent de
ces questions d'économie, quel est votre avis, à la
question : y a-t-il un enjeu ?
Certains, comme Monsieur Pelt, disent que l'on va trop vite ;
d'autres, comme Monsieur Pagesse, disent que l'on va trop lentement et que
les Américains ne nous attendent pas, que ce sont des " rouleaux
compresseurs " et que la compétitivité de notre
économie, de notre agriculture et de notre agroalimentaire est mise en
jeu. Où est la vérité du côté des
économistes ?
Cela a-t-il modifié l'agriculture ? Finalement, y aura-t-il une
plus grande dépendance de nos agriculteurs dans ce nouveau modèle
économique qui chamboule un peu tout ?
M. Jolivet
-
Merci, Monsieur le Député. Je
vais partir de quelques indications. En 1996, on a cultivé aux
Etats-Unis 750.000 hectares de coton Bt.
Cette culture a
dégagé une variation de surplus d'environ 127 millions
de dollars, soit environ 1000 francs français par hectare.
La répartition de ces 1000 francs entre les différents
acteurs économiques est estimée de la façon suivante :
- 490 francs aux agriculteurs (près de la moitié)
- 400 francs à la firme Monsanto, producteur du gène
- 100 francs à la firme Delta & Pineland, qui
fournit la semence, rachetée depuis par Monsanto
- 10 francs au consommateur.
C'est l'une des rares études économiques existant actuellement
sur l'introduction des plantes transgéniques aux Etats-Unis. Ce
résultat doit donc être pris avec un certain nombre de
précautions, mais il a tout de même l'avantage de mettre en
scène les différents acteurs de la chaîne économique.
Ce qui m'intéresse dans ces données, c'est le 1 % sous forme
de baisse de prix, qui profite aux consommateurs. Je pense que, dans cette
affaire, on l'oublie un peu trop. Il a été peu question de lui
dans les précédents exposés, et c'est à se demander
si les producteurs et les firmes ne négligent pas trop le pouvoir
régulateur des consommateurs sur les marchés.
La question ne se pose pas exactement de la même façon aux
Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, les consommateurs semblent assez
indifférents ; il y a peu de mouvements. En Europe, ils sont assez
opposés ; c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles
nous sommes là aujourd'hui.
On peut dire que c'est lié à toutes les aventures que nous avons
connues récemment (vache folle, amiante, etc.), mais certains
sociologues, et non pas des économistes, pensent qu'il y a là un
mouvement beaucoup plus profond, et que, dans le domaine des choix
technologiques, les citoyens et les consommateurs qui sont des citoyens veulent
être beaucoup plus largement associés, surtout lorsque ces choix
technologiques concernent directement leur santé, leur cadre de vie et
leur alimentation.
Certains sociologues voient dans ce mouvement une restructuration en profondeur
de la société. De façon beaucoup plus concrète, les
consommateurs sont de plus en plus sensibles à des critères
qualitatifs multiples (la santé, l'impact environnemental, les
conditions de production des produits), et à des notions
éthiques.
Ils exigent et ils exigeront de plus en plus que ces attributs soient
clairement énoncés. Ils exigeront de plus en plus d'être
utilement informés, et c'est une question que les différents
acteurs économiques autres qu'eux doivent prendre en compte.
Sur l'agriculture et les agriculteurs, qui sont aussi des acteurs importants,
très peu d'études nous permettent pour l'instant de dire ce que
gagneront les agriculteurs. On observe tout de même des augmentations de
rendement, des diminutions de traitement, puisque pour le moment, les seuls
éléments sont des plantes dont les capacités de
résistances sont intégrées dans leur génome.
Il ne faut tout de même pas négliger le fait qu'il y a un gain. La
diminution du travail et des traitements compense plus ou moins largement le
surcoût des semences et les taxes technologiques que perçoivent
les firmes pour permettre aux agriculteurs d'utiliser leurs semences et leurs
technologies.
Cela étant, si, sous la pression des consommateurs, dont il était
question tout à l'heure, on envisage qu'il y ait une
ségrégation entre les OGM et les cultures
non-génétiquement modifiées, il y aura
nécessairement des changements de systèmes de production induits.
Ces changements seront liés, par exemple pour contrecarrer
l'évolution génétique et l'apparition de
résistances, à l'entretien des chemins et des bordures, à
la maîtrise des repousses et à des pratiques de cultures-refuge,
qui permettront de contrôler ces dangers potentiels.
Il n'y a actuellement aucune idée sur les coûts de ces affaires.
D'autre part, je souhaite aborder, toujours pour les agriculteurs et plus
spécifiquement pour les agriculteurs européens, la question des
dangers qu'il pourrait y avoir à ne pas prendre en charge et produire
des plantes transgéniques.
On a déjà évoqué deux notions :
- on peut se faire battre sur le marché mondial, pour les produits
de masse, et de toute façon, le maïs et le soja sont les produits
d'attaque des Etats-Unis ;
- on peut aussi perdre en interne le marché de l'alimentation
animale.
L'Europe peut être soumise à une attaque au sein de l'Organisation
mondiale du commerce, qui considérerait que les procédures
d'homologation plus longues et plus compliquées des organismes
génétiquement modifiés mis en place sont des
barrières non-tarifaires.
Cela étant dit, certains économistes s'occupant justement de ces
problèmes de barrières non-tarifaires à l'OMC, pensent
que, dans un tel combat, l'Union européenne pourrait gagner en se
fondant sur le refus ou sur la résistance des consommateurs à
l'introduction des OGM.
Un autre problème a déjà été un peu
évoqué : celui du progrès technique, de la
capacité des agriculteurs à s'en emparer, et du fossé qui
pourrait se creuser entre les agriculteurs d'outre-Atlantique et les
agriculteurs européens.
Là aussi, les économistes ont un avis. Ils pensent que ce n'est
pas tellement sur les cultures de masse que se fera la différence, mais
sur celles des productions différenciées, c'est-à-dire
celles sur lesquelles on travaille plus sur les avantages qualitatifs en termes
de transformation ou de qualité organoleptique, etc., que sur les
produits de masse comme le maïs.
Effectivement, on peut imaginer que, si les agriculteurs européens
prennent beaucoup de retard, il y a de nombreux phénomènes
d'apprentissages (techniques, organisationnels ou de commercialisation) qu'ils
feront beaucoup plus tard que leurs compétiteurs d'outre-Atlantique.
C'est aussi un danger pour eux.
M. Le Président
-
Merci beaucoup. Vous avez
parlé du problème des consommateurs ; là aussi, nous
aurons une table ronde consacrée uniquement à cela, mais c'est le
lot d'une table ronde qui démarre : on pose des problèmes
qui seront traités sur deux jours.
Je souhaite donc maintenant que nous nous limitions au thème de cette
table ronde, sachant que les autres thèmes seront abordés durant
ces deux journées.
Plusieurs questions ont été posés par les uns ou les
autres, sur lesquelles il y a eu des déclarations liminaires mais
pas de réponses. Je vais essayer d'en poser quelques-unes et
évoquer quelques-unes qui n'ont pas été posées.
Tout d'abord, y a-t-il un avantage économique à l'utilisation de
plantes génétiquement transformées, ou y a-t-il une
nouvelle dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes
agrochimiques ? Cela a été posé de manière
très claire, et je souhaiterais que l'on réponde à cette
question.
La deuxième question que vous avez abordée sans y répondre
est la suivante : la surface en terre arable par habitant est en train de
diminuer. C'est un argument donné très largement par ceux qui
sont pour. Elle était de 0,5 hectare par habitant en 1950 sur notre
planète, elle est actuellement de 0,3 hectare par habitant, et l'on
pense qu'elle va diminuer.
Dès l'instant où l'on veut traiter cette question, cela implique
un développement de ces technologies dans les pays en voie de
développement ; est-ce la priorité actuelle des grands
groupes industriels ? Est-ce vers les pays en voie de développement
qu'ils ont centré leurs efforts ? On peut en douter, mais je
souhaiterais une réponse à cette question.
Devait-on commencer par ce qui est le plus rentable, des gènes de
résistance à des herbicides, ce qui a été fait, ou
plutôt agir sur les qualités nutritionnelles, le goût ou
d'autres critères que l'on aurait pu privilégier ?
Les pertes pour cultures, notamment au niveau économique, sont
très fortes dans le riz, malgré les traitements, et sont encore
plus fortes en absence de traitements sanitaires. Pour le riz, en absence de
traitement il y a 82 % de perte au niveau mondial, mais pour le blé
aussi et pour le maïs, il y a plus de 35 % de perte malgré les
traitements, et 60 % sans traitements.
Finalement, cette technique permettra-t-elle d'augmenter la
productivité ? Si oui, à quoi cela servira-t-il, puisque
l'on a des problèmes de stocks, de quotas, de gel de terres, des
problèmes économiques à régler ?
Vous n'avez pas parlé d'une question qui me paraît très
importante : faut-il séparer les filières ? Dès
l'instant où l'on réclame le moratoire -j'ai bien entendu,
Monsieur Riesel, que vous le demandiez-, et où certains demandent
en tout cas des séparations de filières et de l'étiquetage
au niveau du consommateur final, faut-il séparer les
filières ?
A-t-on le moyen de le faire actuellement dans l'agriculture s'il n'y a pas
valeur ajoutée nouvelle ? Si oui, qui paiera le coût de la
séparation de ces filières ?
Enfin, vous avez parlé du moratoire ; l'Europe peut-elle refuser
les plantes transgéniques ? Comme Monsieur Jolivet vient d'en
parler, peut-elle les refuser dans le cadre de l'Organisation mondiale du
commerce ? Cela a été abordé par
Monsieur Jolivet mais pas par les agriculteurs qui sont autour de cette
table.
Voici les premières questions ; si vous voulez en poser d'autres,
des feuilles circulent pour vous permettre de le faire, et nous les soumettrons
à nos interlocuteurs.
Qui veut réagir sur ces questions ? Monsieur Cazalé et
Monsieur Riesel, vous aurez la parole l'un après l'autre.
M. Cazalé
-
Je vais d'abord essayer de ne pas
réagir uniquement en producteur mais comme quelqu'un qui
considère les choses de l'extérieur, et de poser une question en
guise de réponse.
Dans l'histoire des hommes, une découverte sur des capacités
nouvelles du même ordre que la transgénèse a-t-elle
été inutilisée, même lorsqu'elle comportait des
risques ? Cela ouvre des perspectives ; cela signifie qu'il faut
aménager le déroulement des choses, mais on n'a pas d'exemple, y
compris lorsque les savants qui les ont découvertes ont eu peur,
où elles n'aient pas été mises en oeuvre.
En second lieu, je voudrais réagir comme producteur à l'analyse
de Monsieur Jolivet, que je reconnais exacte mais qui doit se situer dans
le contexte.
Le prix du maïs pour l'utilisateur a baissé en valeur constante de
plus de quatre fois en l'espace de quarante ans.
Mais si on considère la tendance, il est clair que les progrès
ont profité au consommateur et, heureusement, en ces matières,
l'offre est supérieure à la demande et l'on voit bien comment les
pressions s'exercent.
Ensuite, il y a le fait important qu'il faut des produits de haute valeur
ajoutée. Il faut trouver des acheteurs et, quand il y en a, c'est
très bien, mais que signifie un produit à haute valeur
ajoutée en dehors des vins et des alcools, qui représentent tout
de même 42,6 milliards de francs sur 53 milliards
de francs de produits transformés ?
Généralement, ce sont des appellations où l'on remonte
pour la qualité au producteur et non pas au transformateur. Cela veut
dire un peu le contenu des produits transformés.
Il est clair que, selon une carte, publiée par une firme il n'y a pas
très longtemps, des terres favorables à la culture sous des
climats favorables, on voit la place que prennent l'Amérique du Nord et
l'Europe, y compris dans sa pénétration en Asie, sur l'ensemble
de la planète.
On peut alors très bien imaginer sur quels équilibres se feront
les marchés dans l'avenir, si c'est sur les produits de base, qui sont
l'expression la moins coûteuse du sol et du climat, car la valeur
ajoutée pourra se faire dans les pays qui ont une nombreuse main
d'oeuvre inemployée, la plupart du temps.
Par exemple, pour le bassin méditerranéen, avec sa population, sa
croissance de population, dites-moi où sont les terres favorables sous
un climat favorable qui existent pour nourrir cette population, qui est aux
portes de l'Europe.
Le problème qui se pose est un problème de peur, et je pense que
l'on a raison. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut redoubler de
précautions, mais ce n'est pas une raison pour refuser d'agir.
Les peurs engendrent un certain nombre de choses, par exemple les
séparations entre les bons et les méchants, ceux qui font du
quantitatif et ceux qui font du qualitatif. Je rappelle que la part du revenu
des ménages consacrée à l'alimentation était, au
sortir du dernier conflit mondial, de 50 % et qu'elle est maintenant de
16 %.
Même parmi les peureux, qui se déclare prêt à revenir
à l'affectation de 50 % de ses revenus à l'alimentation
animale au nom de la recréation d'une agriculture paysanne que
j'assimile assez facilement à la restauration historique du
siècle dernier ?
Dans cette affaire, on a besoin de certaines choses ; pas d'exemples de
démocratie que mon voisin de droite nous a donnés, parce que,
pour présenter l'action menée contre Novartis comme un exemple de
démocratie, il faut tout de même avoir une certaine
élasticité...
Pour résoudre les problèmes, on a davantage besoin d'hommes
savants que d'hommes inspirés. En effet, si nous ne devions agir qu'avec
des hommes inspirés, les hommes ne quitteraient un obscurantisme que
pour en rencontrer un autre.
Je vous remercie.
M. Riesel
-
C'est donc un peureux, et quelqu'un qui est
allé chez Novartis et qui a été condamné pour cela,
qui va répondre.
Quelque chose d'intéressant se passe ici ; j'en prends acte :
les positions évoluent un peu. D'ordinaire, on assiste à un
dialogue de sourds. Avant d'aller chez Novartis, nous avions nous-mêmes
invité M. Philippe Gay, qui est un chantre-maison du
transgénique, à venir débattre avec nous et, pendant une
journée, des opinions s'étaient croisées sans jamais se
rencontrer.
Néanmoins, il faut tout de même essayer de mettre un peu les
points sur certains "i". On a dit tout à l'heure que celui qui a le
pouvoir alimentaire a le pouvoir tout court. C'est donc bien de cela qu'il
s'agit, et derrière toutes les belles déclarations que nous
entendons ici, il n'y a pas de débat entre intégristes de la
non-productivité façon XIXème siècle et
progressistes purs et durs, chevaliers blancs du progrès.
Lorsque l'on parle de compétitivité de l'agriculture
française, il serait intéressant de voir ce que serait cette
compétitivité, notamment en grande culture, si l'agriculture
n'était pas soutenue comme elle l'est.
Si ce type d'agriculture n'était pas soutenu comme il l'est, ce que la
prochaine réforme de la Politique agricole commune entend de toutes les
manières continuer, il faudrait aussi parvenir à établir
un solde positif véritable de la balance commerciale agricole, et voir
ce qui resterait de positif lorsque l'on aurait retiré les importations
de carburants, de produits phytosanitaires, de pesticides, de matériels
agricoles. J'imagine que l'on se trouverait fort loin derrière le
tourisme, du côté des articles de Paris.
On a souligné qu'il n'y avait pas de risque de transmission des
caractéristiques du maïs transgénique, et
Jean-Marie Pelt a dit qu'il y avait néanmoins un risque pour le
maïs conventionnel ; c'est tout de même raisonner avec une
certaine légèreté, puisque ce risque de transmission
à une autre plante n'existe pas en Europe, mais qu'en est-il aux
Etats-Unis ? Considère-t-on que la frontière entre les
Etats-Unis et le Mexique est étanche ?
On dira que ce n'est pas notre affaire mais, si la transgénèse
devait pénétrer dans le bassin d'origine du maïs, comme elle
le fera inévitablement, cela signifierait que les seules ressources
semencières de la planète en matière de maïs se
retrouveraient dans les coffres des multinationales semencières.
Elles y sont déjà.
C'est évidemment à rattacher à l'ambition explicite et en
voie de réalisation, y compris au niveau européen, sur la
brevetabilité du vivant, sachant que d'autres ambitions sont à
l'oeuvre actuellement, notamment aux Etats-Unis dans la recherche, où le
nec plus ultra
des recherches en génie génétique
est d'obtenir des graines qui soient stériles à la seconde
génération. Ce n'est pas comme un maïs hybride, qui perd
simplement ses qualités mais qui est reproductible.
Il s'agit donc bien d'une ambition universelle de main-mise sur les ressources
alimentaires et la possibilité d'y avoir accès pour les
paysanneries, et par voie de conséquence pour les consommateurs.
M. Jolivet
-
Je souhaite d'abord indiquer que, si j'ai
mis en scène le consommateur tout à l'heure, c'était parce
que je suis convaincu que c'est une force économique de premier plan.
J'ai bien noté qu'une autre table ronde était consacrée
à cet aspect, mais j'insiste néanmoins sur ce point.
Je souhaite donner quelques indications concernant l'une des questions
posées : la nouvelle dépendance des agriculteurs
vis-à-vis des firmes. On a parlé du mouvement de concentration de
l'agro-fourniture : il se met très nettement en place une situation
oligopolistique qui aura un très fort pouvoir de marché.
Cette configuration oligopolistique est potentiellement un frein à la
concurrence ; il ne faut pas se le cacher. Elle représente donc
malgré tout un danger pour un partage équitable de la rente.
Un article du Courrier International était intitulé "Monsanto, le
Microsoft de l'alimentaire" ; il ne faut pas être naïf ;
il y a un réel danger vis-à-vis de cela, même si nous
n'avons pas de données actuellement et si les chiffres que je vous ai
cités au début montrent que, sur le partage de la rente, les
agriculteurs ont récupéré la moitié de la mise sur
le coton Bt aux Etats-Unis en 1996.
Mais que se passera-t-il dans le futur ? Ce n'est pas clair.
De plus, ces firmes (Monsanto, Du Pont, etc.) sont en position de
déterminer très largement l'évolution du changement
technique dans l'agriculture. C'est tout à fait clair. En 1996 et 1997,
Monsanto et Du Pont ont dépensé pour l'acquisition
d'entreprises semencières autant d'argent que l'ensemble du budget de la
recherche agronomique publique aux Etats-Unis en 1996. Cela vous donne des
ordres de grandeur des efforts consentis.
Je pense qu'il faut être vigilant sur une question importante :
veiller à ce que la question de l'innovation en agriculture ne soit pas
confinée au domaine des biotechnologies.
A mon sens, il y a des connaissances tout aussi considérables à
produire sur les systèmes sociaux et techniques de production, sur
l'organisation du travail, par exemple. Ce sont des domaines tout à fait
importants, et je pense que le fait de prendre ces deux aspects en compte
est en particulier du rôle de la recherche publique.
C'est à la fois monter en France avec des partenaires privés un
fort pôle de génie génétique végétal,
mais c'est aussi consentir beaucoup d'efforts dans ces domaines des
systèmes de production et des systèmes sociaux.
M. Pagesse
-
Je souhaite essayer de répondre
à quelques-unes des grandes questions que vous avez posées. Je ne
sais pas trop dans quel ordre les prendre.
Je suis de ceux qui considèrent que la qualité sera bien, demain,
vis-à-vis de la segmentation du marché, obtenue à partir
de sélections qui feront entrer les technologies des sciences de la vie.
Si l'on veut construire un acide gras pour faire de la matière plastique
à partir d'un oléagineux, ou si l'on veut faire de
l'oléique pour faire les frites ou faire du Diester, nous ne ferons pas
appel à la même combinaison. Il faut donc être vigilant,
parce que les qualités qui correspondent à la segmentation des
marchés, qui seront une débanalisation de nos productions, seront
produites à partir des technologies des sciences du vivant.
Dans le cas contraire, nous serons relégués comme producteurs de
matières premières, alors que tout le discours actuel, y compris
politique, est d'essayer de dire aux agriculteurs et aux transformateurs qu'ils
doivent essayer de déterminer la façon dont ils peuvent apporter
une valeur ajoutée supplémentaire.
C'est donc la démarche, y compris à partir de ces technologies,
qui nous permettra d'essayer d'apporter cette valeur ajoutée, au
bénéfice de tous bien entendu, puisque, comme le rappelait le
Président Cazalé tout à l'heure, la moitié du
budget était consacré à l'alimentation en 1950, et cette
part n'est plus que de 16 %. Je pense donc que la démonstration est
faite que notre productivité, souvent décriée, a tout de
même bien bénéficié à tout le monde.
Sur le sujet de l'inquiétude et de la sécurité, je suis de
ceux qui pensent que l'homme a probablement besoin d'autant de
sécurité que de nourriture, et que le meilleur moyen de lui
apporter la sécurité, c'est de lui permettre de participer
lui-même aux changements qui nous entourent.
Si chacun des citoyens devient un véritable acteur du changement, parce
que le monde autour de nous change, je pense que chacun se sentira
rassuré. Si, dans monde qui change, on reste au bord de la route, cela
impressionne beaucoup.
Quant à la question de l'indépendance, j'ai dit dans mon propos
liminaire qu'elle était très importante. Il y a la
dépendance des agriculteurs, de ceux qui sont dans les filières,
des transformateurs, et j'ai même dit du consommateur. En effet, si le
consommateur n'a que des produits américains, son choix sera restreint.
Mais à mon avis, le meilleur moyen de garder cette indépendance,
c'est de construire nous-mêmes notre propre force, notre propre
propriété intellectuelle, puisque le GATT, en 1992, a
lui-même consolidé cette propriété intellectuelle
dans les accords internationaux ratifiés par 125 pays, et
qu'aujourd'hui, je n'ai pas encore vu la méthode pour pouvoir en sortir.
Je pense donc que notre véritable position pour construire une offre
alternative est de rassembler les moyens des uns et des autres qui veulent
rester indépendants, y compris ceux des agriculteurs. Nous construirons
ainsi cette indépendance ensemble, et c'est à ce prix que demain
nous garderons encore une marge de liberté.
Vous avez aussi posé une question à propos des pays en voie de
développement. Je pense qu'actuellement, le progrès des
technologies, y compris les vaccinations, a bénéficié
à l'ensemble de la planète, mais il y a toujours un
décalage.
Ces technologies coûtent très cher et, lorsque vous
dépensez beaucoup d'argent, ce n'est pas le vôtre ; on vous
l'a prêté. A un certain moment, vous avez donc un souci de
rentabilité, de retour sur investissement, y compris pour payer vos
banquiers ou simplement ceux qui, d'une manière ou d'une autre, par le
biais de la bourse ou des actions, vous ont avancé l'argent.
Il est donc normal que l'on puisse aller chercher les premières
rentabilités sur les marchés de proximité, mais il est
bien évident qu'à terme, les technologies
bénéficient à tout le monde. Je pense que le génie
génétique et les sciences de la vie, sont davantage un
élément de création de biodiversité.
Je pense donc que nous ne devons pas nous tromper de combat. Nous sommes dans
une véritable compétition, et il faut avoir le courage de la
soutenir.
Contrairement à tout ce qui est expliqué, y compris sur la
compétitivité de l'agriculture européenne - je suis
de ceux qui ont participé à une étude de prix de revient
du blé en Europe et aux Etats-Unis- si l'on fait abstraction de
toutes les aides et si l'on prend la parité des coûts de
production Cette étude n'a été faite ni par Pagesse ni par
Unigrains, puisque j'ai participé à une mission d'Unigrains, mais
elle a été calculée par Yves Michaux,
Président de l'Aérospatiale, parce que, pour exporter son Airbus,
il n'a pas pris les mêmes problèmes que nous pour exporter notre
blé, le prix de revient du blé européen est tout à
fait équivalent à celui du blé américain.
Ce n'est pas tout à fait le cas pour le maïs. Il ne faut donc pas
croire que, parce que certains éléments faussent la
compétitivité, nous sommes si maladroits que cela. Je pense que
nous avons là un atout, et que nous devons avoir la capacité de
le jouer.
Bien entendu, nous sommes malheureusement dans un système qui est ce
qu'il est. C'est un choix politique qui nous y a mis, et nous devons l'assumer.
Je ne veux pas revenir sur tout le système de nos compensations, qui ne
sont en fait qu'une compensation supplémentaire pour le consommateur.
Nous sommes une boîte de transferts, rien de plus.
M. Le Président
-
Merci,
Pierre Pagesse. Je vais poser à Jean-Marie Pelt la question de
la limitation des surfaces en terres arables de la planète, puisqu'il
s'intéresse beaucoup aux problèmes des forêts.
Tout à l'heure, je parlais de la baisse de la surface en terre arable
par habitant. C'est l'un des gros arguments produits par ceux qui sont
favorables aux plantes transgéniques. Est-ce un moyen ?
J'ai vu aux Etats-Unis, le vice-Président de la banque mondiale, avec
qui j'ai parlé de ces problèmes. Il m'a dit que, dans un certain
nombre de cas, les Américains étaient pour le
développement de ces techniques dans les pays en voie de
développement, parce que cela pouvait permettre de résoudre
le problème de la faim dans le monde, à condition que des
transferts de technologies se fassent.
Malheureusement, m'a-t-il dit, ces transferts de technologies, y compris pour
les semences fabriquées et disponibles actuellement, se font très
peu.
Est-ce une vraie question ? Nous sommes
5 à 6 milliards d'humains actuellement, et il y aura une
augmentation d'au moins 3 milliards dans les prochaines décennies.
Si l'on ne traite pas le problème de l'augmentation de la
productivité, est-on capable de traiter le problème de la
nourriture de ces personnes sans accroître les surfaces
cultivées ?
Je souhaiterais avoir votre avis à ce sujet.
M. Pelt
-
Il est tout à fait exact que la
surface de terre arable par habitant de la planète a tendance à
se réduire, d'une part parce que le nombre d'habitants augmente, et
d'autre part parce que l'on jardine très mal la terre.
L'un des grands problèmes de l'écologie est le mauvais entretien
de la terre sur l'ensemble de la planète. Nous avons ici parfois des
débats sur la manière dont l'agriculture devrait aussi entretenir
l'environnement -c'est l'un de ses objectifs- ; c'est mille fois plus vrai
dans les pays en voie de développement, où les terres ont
été massivement abandonnées pour les
favelas
des
grandes mégalopoles, et où l'entretien de la terre et de la
nature ne se fait plus.
Dans le bassin méditerranéen, dont on parlait tout à
l'heure, on a également perdu des terres de manière tout à
fait significative. La première urgence est donc de reconquérir
des terres. Bien avant d'imaginer comment on pourra cultiver ce qu'il reste, il
faut arriver à reconquérir des sols.
A propos des plantes transgéniques dans les pays en voie de
développement, je pense que cet argument est peu recevable pour la
simple raison qu'avec le transgénisme, on n'augmente pas de
manière significative la productivité biologique globale. Pour
augmenter par exemple les rythmes de croissance, la taille des
végétaux, la biomasse, il faudrait y introduire un nombre de
gènes importants. On a dit vingt gènes ; je ne sais pas si
c'est vingt ou plus, mais c'est le chiffre que j'ai rencontré plusieurs
fois, et on n'est pas encore capable de le faire. Cet aspect ne peut donc pas
se poser.
L'aspect qui pourrait être envisagé est de rendre des plantes plus
tolérantes au sel, par exemple -problème se posant dans de
nombreux pays en voie de développement-, ou plus tolérantes
à la sécheresse. Cela supposerait qu'il y ait une
véritable priorité de la part des producteurs de ces plantes
transgéniques en faveur du Tiers-Monde.
Cet intérêt pour le Tiers-Monde, je le vois dans les
débats, dans les déclarations de bonnes intentions. Dans la
réalité, c'est une autre affaire, parce que le Tiers-Monde n'est
pas solvable. Et l'on est devant un problème très
particulier : faut-il engager des recherches coûteuses et
considérables pour d'éventuels acheteurs qui ne seront
peut-être pas au rendez-vous des marchés ?
C'est exactement ce qu'il se passe pour les médicaments. On en fait pour
les bien-portants, c'est-à-dire pour ceux qui vieillissent dans les pays
riches, et on n'en fait pratiquement pas pour le Tiers-Monde, qui en aurait
pourtant le plus grand besoin.
Mais c'est l'une des critiques que l'on peut adresser au
néolibéralisme lorsqu'il va à la limite de ses
potentialités et crée alors des déséquilibres comme
ceux que je viens d'évoquer.
M. Le Président
-
Cela signifie que, si
l'on développait -j'ai également utilisé le conditionnel
dans mon exposé- par ces techniques des plantes résistantes au
sel ou à la sécheresse, vous y seriez favorable ?
M. Pelt
-
Oui. En tout cas, j'aurais sûrement
examiné le problème avec un éclairage différent. Je
pense que c'était peut-être par ce bout qu'il aurait fallu
commencer.
M. Le Président
-
Monsieur Cazalé, j'ai posé la question de la
séparation des filières, qui est très importante. En
effet, elle se posera dans les rapports entre les Etats-Unis et l'Europe. Elle
se pose d'ailleurs aujourd'hui ; vous l'avez dit tous les deux tout
à l'heure.
Actuellement, un maïs et un soja sont autorisés à
l'importation en France. Plusieurs ont été acceptés au
niveau de Bruxelles mais la décision n'a pas été prise
dans les pays où les dossiers ont été
présentés. C'est le cas de plusieurs maïs et d'un colza.
En revanche, aux Etats-Unis, en Argentine, en Chine (mais en Chine, il y a peu
d'arrivées pour l'instant ; c'est une consommation locale) et au
Canada, certaines plantes dont on n'a pas demandé la labellisation ou
l'accréditation au niveau de l'Europe sont cultivées. Or, les
Américains mélangent leurs différentes provenances de
maïs et de soja.
Cela signifie donc que, pour le maïs et le soja, il y a actuellement des
mélanges d'espèces autorisées en importation et
d'espèces non-autorisées. Les Américains disent qu'ils ne
peuvent pas séparer les filières, et qu'ils sont contre
l'étiquetage. Lors de mon voyage aux Etats-Unis, ils l'ont dit de
manière très claire.
Monsieur Cazalé, est-il possible de séparer les
filières, c'est-à-dire est-il possible d'arriver à trois
filières, ce qui pose le problème de l'agriculture
biologique : une filière agriculture classique sans OGM, une
filière avec OGM et une filière agriculture biologique ?
En second lieu, il y a une autorisation, depuis le 27 novembre, sous
condition de biovigilance, de planter du maïs dont la surface potentielle
était de 20.000 hectares, et j'ai entendu dire que seuls
1000 hectares ont été plantés. A quoi est-ce
dû, Monsieur le Président de l'Association des producteurs de
maïs ?
M. Cazalé
-
Il y a eu peu de semences, et je
pense que tout a été fait pour qu'il en soit ainsi. Il ne faut
donc pas s'en étonner aujourd'hui puisque, jusqu'au dernier moment, on
n'a pas su si l'on pouvait en disposer. Et dans la mesure où les
consommateurs étaient très réticents, les propres vendeurs
parfois des mêmes firmes ont dit : "lorsque nous serons nombreux,
nous ferons ; pour l'instant, si, au niveau de l'opinion qu'ont les
consommateurs de notre produit, nous devons être sanctionnés trop
fort, nous ne faisons pas."
Telle est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation
aujourd'hui. Je pense que l'on n'a su que l'on pouvait disposer de ces produits
qu'au dernier moment.
En second lieu, je tiens depuis hier une information que j'ai lue dans la
presse : la recherche publique ou la recherche universitaire aux
Etats-Unis aurait trouvé le moyen d'introduire les mutations non plus
dans le noyau du gène mais dans une autre partie, et que cela aurait
pour effet que seule la partie femelle de la plante porterait la mutation
génétique et non pas la partie mâle, c'est-à-dire le
pollen. Cela faciliterait beaucoup la séparation, qui est actuellement
assez difficile.
Mais je voudrais dire qu'ayant un peu vécu, une partie des peurs est
arrivée de la même façon au moment où sont
arrivés les hybrides. Cela représentait, à
l'époque, un changement au moins aussi important que celui des plantes
transgéniques, et cela se doublait d'une modification des apparences,
dans la mesure où le maïs denté venait remplacer le
maïs corné.
J'ai entendu, à cette époque, notamment dans ma région des
choses sur la qualité du foie gras, qui pourraient très bien
être transposées aujourd'hui , mais avec une ampleur
différente, dans la mesure où les organisations de consommateurs
et les médias s'en occupent.
Comme je préside l'AGPM et que nous sommes organisés en
filières, il y a une vingtaine d'années il existait treize firmes
qui vendaient des semences hybrides (marché captif, comme ce sera le cas
pour le reste), et nous spéculions en disant que, sept ou huit ans plus
tard, il devrait y en avoir cinq. Or, les firmes qui proposent des semences
sont maintenant au nombre de trente-trois.
Il faut considérer le phénomène fabuleux actuel des
concentrations de capitaux, comme un phénomène nécessaire
lorsqu'il y a une mutation technologique. La mutation technologique exige de
tels moyens que l'on a des concentrations qui n'ont jamais été
connues, et dont les caractéristiques, qui sont très
particulières, ne doivent pas être complètement le fruit du
hasard.
De ce fait, devant la baisse généralisée des prix
agricoles, je pense que ceux qui investissent actuellement doivent savoir que
ce n'est pas en repoussant une partie significative des coûts vers le
producteur agricole qu'ils se payeront. Ils se payeront par les modifications
qu'ils engendreront dans leurs produits élaborés. Et j'imagine
même que ce n'est plus à l'agriculteur qu'ils vendront les
semences, mais à celui qui commandera le produit fini.
Cela étant, il y a des opinions, et en démocratie, on ne peut pas
agir sans opinions. Le seul problème, c'est que la démocratie
suppose aussi qu'on la rationalise un peu, que l'on soit tolérant sinon
aucune société ne peut vivre, et qu'on n'avance pas des chiffres
à la légère.
Par exemple, j'ai vu un sondeur présenter le chiffre que tout le monde
connaît ici, parce qu'il a été largement publié, de
70 % des consommateurs qui sont anti-OGM. Je lui ai dit que, comme
technicien, il pourrait peut-être me dire combien de personnes sauraient
expliquer ce qu'est l'OGM, si nous posions une question ouverte. Il m'a
répondu qu'il n'y en avait pas 5 %.
Mais, aujourd'hui, nous venons d'avoir un chiffre : 50 % des
personnes n'ont pas entendu parler de plantes transgéniques, mais
70 % sont contre les OGM. Je pense qu'entre ce qu'est l'opinion, ce qu'en
est la traduction qui en est donnée par les uns et les autres, il faudra
revenir à une certaine rationalité pour traiter les
problèmes objectivement, sans passion des uns et des autres.
Je me répète : autant, sur la diffusion, on a quelques
données vécues, autant sur la qualité des produits que
l'on va mettre sur le marché, nous faisons appel aux savants qui sont
dans des institutions, parce qu'on leur demandera des comptes sur l'avis qu'ils
auront formulé.
En effet, plusieurs savants s'expriment au nom de savants. On se demande
d'ailleurs souvent de quelle discipline ils sont, et ils sont parfois de
disciplines qui n'ont aucun rapport avec le sujet. Lorsque quelques savants ont
des disciplines en rapport avec le sujet, je pourrais faire état ici de
commentaires sur l'économie de main-d'oeuvre des épandages
d'insecticides qui n'existeront plus, ou sur les palombes qui n'hiberneront
plus dans le sud-ouest parce qu'il n'y aura plus de perte de grains.
Demandons l'avis à des personnes, qui ont des responsabilités, et
ne prenons pas les avis de personnes qui se déclarent scientifiques, et
dont la renommée n'aura d'ailleurs pas à subir de grand tort si
leur avis ne se révélait pas exact.
M. Le Président
-
Il nous reste peu de
temps, mais nous n'avons pas assez abordé le problème de la
séparation de ces filières et du lien entre l'agriculture
biologique et l'agriculture traditionnelle.
J'ai en tête l'affaire de Kochko dans le Tarn-et-Garonne. Je la
résume brièvement car nous l'avons reçu dans nos
auditions. Il s'agit d'un agriculteur biologique du Tarn-et-Garonne qui fait du
soja biologique, avec un cahier des charges. Il vendait son soja à un
exportateur de Poitiers, qui l'a vendu en Allemagne.
Lors d'un contrôle en Allemagne par les techniques PCR, dont nous
parlerons dans l'autre table ronde, avec une très grande
sensibilité puisque l'on amplifie les promoteurs de gènes, on a
découvert que le tofu fabriqué à partir de son soja avait
une "contamination" non-prévue d'un soja
génétiquement modifié.
On remonte la filière et on arrive chez l'agriculteur. Le
problème de la responsabilité se pose. Lorsqu'il s'adresse au
semencier, celui-ci dit que c'est exempt d'OGM. On a fabriqué ces
semences aux Etats-Unis. Lors de la fabrication des semences, certains pollens
sont vraisemblablement venus de champs de sojas génétiquement
modifiés. La contamination était sans doute faible, mais nous
allons arriver à la même chose au niveau de notre pays, et cela
posera le problème de l'étiquetage et de la
traçabilité.
Dès l'instant où l'on a des organismes
génétiquement modifiés, peut-on s'organiser en plusieurs
filières, une filière agriculture sans OGM, une filière
biologique, qui sera sans doute dans le cahier des charges sans OGM (je ne sais
pas s'il y aura une biologique avec OGM ; pour l'instant, elle est sans
OGM) et une filière classique ? Si oui, qui payera ? Que
pensez-vous de ces questions à la Confédération
paysanne ?
Je demanderai également à Monsieur Pagesse de parler aussi
des filières.
M. Riesel
-
Je serais tenté de répondre
que l'agriculture " bio " devra accepter le risque d'être OGM.
Elle ne pourra pas y échapper. Du fait de la dissémination, il
sera impossible de garantir le contraire. De toute façon, la bio
garantit la mise en oeuvre de moyens dans l'état actuel des
choses ; elle ne garantit pas les résultats et, en ce qui concerne
les OGM, il est évident que, du fait de la dissémination, elle ne
pourra pas garantir des produits sans OGM.
Dans le même ordre d'idée, je voudrais revenir sur les avantages
économiques, donc la traçabilité. Cette
traçabilité aura un coût ; qui l'assumera ? Par
exemple, dans le Comité de biovigilance provisoire concernant le
maïs Novartis, sur la question de responsabilité par exemple, si un
paysan cultive un maïs conventionnel à côté d'un
maïs transgénique, c'est à lui qu'incomberait le coût
d'éliminer les rangs qui lui permettraient de se prémunir contre
la transgénèse accidentelle.
Le coût de la biovigilance devrait logiquement être assumé
par ceux qui attendent un profit de la dissémination du
transgénique, donc les firmes ; les industriels semenciers s'y
refusent totalement. On peut imaginer que les surcoûts liés
à la traçabilité se marchanderont de la même
manière, et il nous semblerait totalement scandaleux que ce soit
à des filières non-OGM d'avoir à assumer le coût de
la traçabilité.
Par ailleurs, pour revenir sur les avantages économiques stricts, le
fait que peu d'hectares de maïs Novartis aient été
semés cette année induit sans doute qu'il restera -nous
l'espérons, nous le souhaitons et nous oeuvrerons pour cela- une
considérable méfiance des consommateurs par rapport à ces
produits, donc une moins-value.
Donc, si traçabilité il y a, qui la paiera, si toutefois elle est
possible ?
M. Pagesse
-
Sur la filière bio, je pense
qu'à terme, le véritable bio sera OGM ou n'existera pas. Je vais
peut-être vous choquer mais, actuellement, le bio est une obligation de
parcours, de moyens, mais pas du tout une obligation de résultats. Or,
lorsque l'on fera les tests de salubrité sur les micotoxines, etc., qui
existent et qui sont des facteurs anti-croissance et anti-nutritionnels, on
reparlera de la question.
Sur les filières, je voudrais dire :
- que toutes les filières sont concernées
- et qu'actuellement, on n'a pas de tels investissements aux Etats-Unis
qui seront concentrés uniquement sur la valeur semencière, mais
sur la valeur agricole et probablement la valeur agroalimentaire totale, et
c'est alors le facteur 100 qui sera concerné.
Pour le coût, ma vision est qu'à terme, il y aura une
filière garantie non-OGM, qui s'apparentera à quelques pour cent
de la consommation, pour ceux qui, par idéologie, ne voudront pas
consommer des produits transformés, et le reste, où il sera
inscrit "contient des OGM". Je pense que, lorsque le consommateur aura compris
qu'il y a un gain en termes de prix et d'efficacité dans les
différentes qualité que pourra lui offrir la technologie, les
choses rentreront dans l'ordre.
En attendant, on a une phase transitoire à gérer ;
voyons de quelle manière on peut la gérer au mieux.
M. le Président
-
Si plus personne ne veut
s'exprimer, nous pouvons clôturer cette table ronde, dont je vous
remercie.
Je ne sais pas si les points de vue se sont rapprochés, puisque certains
souhaitent un moratoire et d'autres souhaitent toujours aller plus vite...
Néanmoins, sur la totalité des arguments, nous avons cinq autres
tables rondes et cinq Ministres à auditionner pour essayer de faire
progresser cette question.