C. LES DIFFICULTÉS LIÉES AU CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET SOCIAL
Le
développement économique de Mayotte est confronté au
défi d'une démographie galopante dont les conséquences
sont aggravées par l'immigration clandestine. Il se heurte aux handicaps
de l'isolement géographique et à la faiblesse des infrastructures.
L'économie mahoraise, encore largement basée sur l'agriculture de
subsistance, est fortement dépendante à l'égard des
transferts publics et marquée par un fort taux de chômage.
D'importants besoins sont constatés en matière d'éducation
et de formation, de logement et de santé.
1. Le défi d'une démographie galopante, aggravé par une forte immigration clandestine
Mayotte
est aujourd'hui confrontée au défi d'une croissance
démographique extrêmement rapide.
La
population recensée
est en effet passée de
32.607 habitants en 1966 à 47.246 en 1978, 67.167 en 1985,
94.410 en 1991 et
131.368 en 1997
.
Au rythme d'accroissement annuel moyen enregistré entre les deux
derniers recensements (+5,8 %), la population devrait dépasser
250.000 habitants en 2010
.
Il en résulte une densité démographique de plus de
350 habitants au km², comparable à celle des Pays-Bas, et une
grande jeunesse de la population : 56 % de la population a moins de
20 ans (contre 26 % en métropole).
L'accroissement démographique s'explique pour les deux tiers par un taux
de
natalité
particulièrement élevé (43 pour
1000 habitants). En effet, la
fécondité
qui atteint
5,2 enfants par femme
, n'est pas encore maîtrisée,
à la différence de l'évolution constatée dans le
département de la Réunion.
Pour le dernier tiers, il est imputable à l'
immigration
. Le taux
annuel de solde migratoire est de +3 %. Le nombre d'étrangers
recensés s'élève à 28.300, auxquels il faut ajouter
15 à 20.000 étrangers en situation irrégulière,
cette population immigrée étant constituée pour
l'essentiel de Comoriens (80 % environ) et de Malgaches.
On constate en effet une importante immigration clandestine en provenance des
autres îles des Comores toutes proches (Anjouan est à 70 km).
Le niveau de développement de Mayotte, sa relative
prospérité économique, ses équipements
sanitaires
15(
*
)
exercent une
forte attraction sur les populations des autres îles beaucoup plus
pauvres.
Or, les moyens de
lutte contre l'immigration clandestine
sont
dérisoires : 3 vedettes seulement, plus un radar mobile.
7.800 reconduites à la frontière ont été
effectuées en 1999, auxquelles s'ajoutent 9.000 départs
volontaires, mais les reconduits reviennent tout aussitôt. Les textes
applicables sont désuets et il n'existe pas d'incrimination
spécifique permettant de sanctionner les passeurs qui sont poursuivis
sur le fondement de la mise en danger de la vie d'autrui. Au total, le
coût de l'immigration clandestine est évalué à
100 millions de francs par an dont 20 millions de francs pour
l'hôpital.
Votre rapporteur souhaite que les moyens de lutte contre l'immigration
clandestine soient renforcés et que des actions de coopération
régionale soient développées en vue de réduire la
pression migratoire sur Mayotte.
Au cours de son audition devant votre commission des Lois, M. Jean-Jack
Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a approuvé
l'idée d'un développement des actions de coopération
régionale en la matière, tout en soulignant les
difficultés liées à la situation politique actuelle des
Comores et à ses conséquences, notamment dans le domaine
sanitaire.
2. Les handicaps liés à l'éloignement et à la faiblesse des infrastructures
Le
développement économique de Mayotte est handicapé par
l'isolement de l'île et la faiblesse des infrastructures.
La
desserte aérienne
est limitée par
l'impossibilité pour l'aéroport de Dzaoudzi d'accueillir des
avions gros porteurs faute d'une piste suffisamment longue. Le coût du
transport aérien depuis la métropole est élevé car
il faut nécessairement passer par la Réunion, ce qui ne
correspond pas au trajet le plus direct. L'allongement de la piste de
décollage apparaît donc comme une priorité.
Les capacités du
port en eau profonde de Longoni
sont très
limitées et ne permettent pas, par exemple, l'accueil des paquebots de
croisière.
Un effort important de développement des infrastructures a
été réalisé au cours des dernières
années, notamment avec la réalisation d'un réseau routier
goudronné et l'amélioration des équipements sanitaires,
mais un quart des habitants n'ont ni l'eau ni l'électricité
à domicile et il n'existe pas de réseau d'assainissement.
Ces données constituent autant de handicaps au développement des
activités économiques, et notamment du tourisme dont l'essor est
freiné par les difficultés d'accès et le manque
d'infrastructures d'accueil et d'hébergement
16(
*
)
.
3. Une économie encore largement basée sur l'agriculture d'autosubsistance et fortement dépendante des transferts publics
L'agriculture et la pêche constituent les
activités
traditionnelles de Mayotte et leur part reste prépondérante dans
l'économie.
L'
agriculture
est toujours largement orientée vers
l'autosubsistance : 60 % de ménages exercent une
activité agricole et ne produisent que pour leurs propres besoins.
Les principales cultures vivrières sont la banane et le manioc.
Les deux principales cultures d'exportation sont la
vanille
et surtout
l'
ylang-ylang
, mais leurs productions, confrontées à une
vive concurrence internationale, tendent à décliner. En 1998, les
exportations se sont élevées à 11,4 tonnes
d'ylang-ylang (à comparer à une production mondiale se situant
autour de 100 tonnes) et à 3,3 tonnes de vanille.
Le
tourisme
reste peu développé (9.600 touristes
seulement en 1997) et attire essentiellement une clientèle provenant de
France métropolitaine (52 %) ou de la Réunion (40 %).
Aussi le secteur du
bâtiment et des travaux publics
constitue-t-il
la principale activité économique en dehors de l'agriculture.
Or ce secteur est très largement dépendant des
transferts
publics
. Ceux-ci ont atteint près de
1,3 milliards de francs
en 1998
. Ils s'inscrivent dans le cadre du concours de l'Etat au budget de
la collectivité et des dépenses relatives au fonctionnement des
services publics et des équipements publics, ainsi que des dispositifs
conventionnels mis en place par l'Etat :
- le
contrat de plan
, d'un montant global de 983 millions de
francs pour la période 1994-1998 ;
- la
convention de développement
, d'un montant de
2.167 millions de francs sur la période 1995-1999 ;
- et le contrat de ville de Mamoudzou, signé mi-novembre 1994, qui
représente 350 millions de francs sur 5 ans.
Ces conventions portent sur l'amélioration des infrastructures, de
l'habitat, des équipements socio-éducatifs et sanitaires, de la
desserte en eau potable, ainsi que sur le développement des productions
locales.
Le solde fortement déficitaire des échanges extérieurs (-
902 millions de francs en 1998, soit un taux de couverture de 2 %
seulement) témoigne de la dépendance de l'économie de
Mayotte à l'égard des transferts publics de la métropole.
Les productions locales souffrent en effet d'un manque de
compétitivité par rapport à la zone géographique
environnante : si le salaire minimum de Mayotte est inférieur de
60 % à celui des DOM, il est cependant 15 fois
supérieur à celui de Madagascar.
Compte tenu de cette forte dépendance, les acteurs socio-professionnels
aspirent à un statut stable permettant d'assurer la
sécurité des investissements.
4. Un taux de chômage élevé
Malgré les créations d'emplois (+ 7 %
par
an) liées au décollage économique constaté à
la faveur des transferts publics, le chômage est très
élevé, surtout parmi les jeunes et les femmes
17(
*
)
. Il affecte plus de 30 % de la
population active. Les demandeurs d'emploi constituent une population
très peu qualifiée
18(
*
)
, alors que les offres d'emploi
concernent essentiellement une main-d'oeuvre qualifiée. Le
phénomène est aggravé par l'immigration clandestine.
Il est à noter
qu'
il n'existe pas d'allocations de
chômage à Mayotte, ni de RMI.
5. D'importants besoins en matière d'éducation, de formation et de logement
Le
système éducatif doit faire face à d'énormes
besoins en matière de formation.
L'enjeu est tout d'abord quantitatif : pour faire face à
l'accroissement démographique, il faut constamment créer de
nouveaux postes d'enseignants et construire de nouveaux établissements
(devant la pénurie de locaux, ceux-ci sont souvent utilisés en
rotation pour deux classes différentes).
En 1999, 48.799 enfants étaient scolarisés
19(
*
)
, soit la quasi-totalité des
enfants de 6 à 16 ans et la moitié des effectifs
scolarisables seulement en préélementaire.
Mais l'enjeu est également qualitatif, car une large part des
instituteurs a été recrutée au niveau CM2
20(
*
)
. Maîtrisant mal le
Français, ils enseignent le plus souvent en shimaore. Dans ces
conditions, il n'est pas surprenant que 75 % de la population soit encore
non francophone -ce que l'on ne peut que regretter vivement s'agissant d'un
territoire français- et que le niveau de qualification professionnelle
soit très bas. Le taux de passage en 6
ème
est de
57 % seulement.
Si l'on veut faire évoluer le statut de Mayotte dans le sens d'un
rapprochement avec le droit commun, il apparaît donc prioritaire de
renforcer les équipements scolaires et les effectifs d'enseignants, afin
que l'enseignement du français puisse être assuré dans des
conditions normales.
Les besoins en matière de
logement
sont également
très importants, de nombreux logements étant insalubres. Des
programmes d'aide au logement sont mis en place. En 1998, les crédits de
la Ligne budgétaire unique (LBU) consacrés à l'aide au
logement ont atteint 113 millions de francs. Depuis 1978, la
Société immobilière de Mayotte a construit
14.000 logements sociaux. Au cours de la mission, la
délégation de la commission des Lois a pu visiter une
opération de résorption de l'habitat insalubre (RHI) à
M'Tsapere près de Mamoudzou.
A l'issue de ce rapide tableau, un constat s'impose : la situation
économique et sociale de Mayotte est marquée par un
important
retard de développement par rapport aux départements
d'outre-mer
.